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3.4. Réponses de la défense
Le Président : La défense de Monsieur HIGANIRO souhaite-t-elle
encore intervenir, répliquer ?
Me. EVRARD : Si vous m’autorisez, extrêmement brièvement, je
voudrais quand même réagir parce qu’on nous a dit, tous en chœur, que les avocats
de la défense, on était là pour qu’on ne juge pas, pour qu’on écarte des pièces
dérangeantes, qu’on venait avec des arguments de manière tardive, qu’on se raccrochait
à des bouées de sauvetage, j’en passe, et des meilleures.
Moi, je crois qu’il faut recadrer le débat au niveau juridique ;
il ne faut pas essayer de faire du bon sentiment, mes chers confrères, quand
on parle de problème juridique. Et c’est de problèmes juridiques dont nous entretenons
la Cour, et rien d’autre.
Et je voudrais même vous dire, Monsieur le président, vous connaissez
comme moi le prescrit de l’article 235bis du Code d’instruction criminelle,
la défense de Monsieur HIGANIRO aurait-elle choisi de taire les problèmes avec
lesquels nous venons cet après-midi pendant toute la durée de l’instruction
au moment du règlement de procédure, encore avait-elle le droit aujourd'hui
pour la première fois d’évoquer ces problèmes ? SVP, restons sérieux !
Nous parlons de problèmes juridiques.
Recadrons le débat. Une seule idée pour faire comprendre le problème.
Ce ne sont pas les pièces dérangeantes que nous venons d’écarter. Il y aura
des pièces, il y aura des témoignages dérangeants, et Monsieur HIGANIRO les
assumera. Ce qui nous dérange, c’est la situation suivante. Imaginez-vous, Madame
la quatrième jurée, vous, Madame la cinquième jurée suppléante que vous soyez
accusées d’un crime en Extrême-Orient, en Chine ; vous avez commis là-bas
des faits graves ; vous fuyez la Chine ; vous arrivez en France, en
Allemagne, n’importe où. Et qu'est-ce qui va se passer ? Vous allez avoir
un procès qui concerne non pas ce qui s’est passé sur le territoire français
ou allemand, mais sur le territoire chinois. Et qui va venir avec des pièces,
et je répète ce que j’ai dit tout à l'heure, qui auraient dû être rassemblées
par l’autorité publique ; ce ne sont pas les autorités chinoises, mais
ce sont les personnes qui ont été victimes de vos agissements en Chine. Est-ce
que je ne peux pas plaider de manière raisonnable que dans de telles conditions,
vous pourriez avoir des craintes, non pas que les pièces qui soient versées
n’aient pas été trouvées là où on le dit, mais que l’on ait omis de rapporter
d’autres documents, d’autres preuves qui auraient pu servir votre cause.
C’est là le problème, et s’il vous pait, je voudrais que plus personne
ne dévie de la trajectoire de ce qui a été écrit et plaidé dans ces conclusions.
Il n’y a aucune pièce qui nous dérange, il y a des principes qui nous dérangent.
J’ai dit et je vous remercie.
Le Président : La défense de…
Me. VERGAUWEN : Oui, Monsieur le président, trois réflexions. Première
réflexion à l’intention de Monsieur l'avocat général. La défense, il le sait
et nous le savons tous, peut invoquer le respect des droits de la défense à
tout moment.
Deuxième réflexion : pourquoi n’avons-nous pas invoqué ces arguments
plus tôt ? C’est ce qu’on nous reproche, finalement. On nous dit :
« Pourquoi vous n’avez pas invoqué ces arguments plus tôt ? ».
Alors, je réponds deux choses : d’une part, ça n’est pas de notre faute
si toutes ces pièces ont été déposées après l’ordonnance de la Chambre du conseil.
De deux, ce n’est pas de notre faute non plus si ces pièces ont été déposées
dans une langue qui nous est totalement étrangère. Alors, les problèmes de traduction,
ce sont des problèmes d’ordre public, et je vois mal comment on peut nous faire
le reproche à nous de ne pas avoir demandé plus tôt ces traductions.
Troisième et dernière réflexion, par rapport au fait que Monsieur
REKERAHO soit détenu au Rwanda et qu’il ne puisse pas venir. Ce n’est pas notre
faute non plus si Monsieur REKERAHO est détenu au Rwanda. Et je veux simplement
vous dire ceci, et je renvoie à la fin de ma première intervention lorsque je
vous ai dit qu’il y avait une question de cohérence, c’est bien cela notre problème.
Il est difficile d’interroger quelqu'un par personne interposée, et qu’on ne
vienne pas nous dire : « Vous cherchez à cacher des témoignages accablants,
etc. ». On vous en parle ! On vous dit effectivement ; on nous
invoque en termes d’acte d’accusation des témoignages que l’on nous décrits
comme étant accablants. Eh bien, on dit : « Nous, on voudrait interroger
ce témoin. On voudrait qu’il vienne ici pour qu’on puisse l’interroger, pour
qu’on puisse dire que nous ne sommes pas d’accord avec ce qu’il raconte et pourquoi
». Et on nous répond : « Non, vous interrogerez les enquêteurs ».
Je ne mets pas en cause l’impartialité des enquêteurs, je dis que peut-être
Monsieur REKERAHO son impartialité à lui, mais ça, c’est le débat de fond, peut
être mise en cause. Et on ne nous donne pas les moyens d’interroger ce qui est
quand même qualifié comme étant un témoin à charge dans ce dossier. Et dès lors,
ce n’est pas notre faute s’il n'y a pas de convention d’extradition entre la
Belgique et le Rwanda. C’est un problème effectivement de procédure qui se pose,
mais que nous soumettons à la Cour. Et nous disons simplement à la Cour :
« Nous avons des craintes, et nous demandons à la Cour d’en tenir compte
et dès lors de faire droit à ce que nous demandons ». J’ai dit et je vous
remercie.
Le Président : Bien, plus de réplique. Maître CARLIER, vous souhaitez
prendre la parole ?
Me. CARLIER : Je vous remercie, Monsieur le président, Madame,
Monsieur. Un mot pour vous, Mesdames et Messieurs les jurés, Maître BELAMRI
ici à côté de moi et moi-même n’avons pas encore pris beaucoup la parole jusqu’ici
et je crois que cela nécessite un petit mot d’explication pour vous. Nous assurons
la défense du premier accusé, Monsieur Vincent NTEZIMANA qui est derrière moi.
Vous verrez au cours de la suite de ce procès qu’il va y avoir des séquences
différentes. Tout ça, ça se situe dans le cadre du génocide Rwanda, c’est très
clair, et c’est pour ça que toute la question va être posée devant vous en une
fois. Mais il va y avoir pendant la première semaine qui va suivre des débats
concernant Monsieur NTEZIMANA, puis des débats concernant Monsieur HIGANIRO,
et puis des débats concernant les deux sœurs.
Alors, vous avez remarqué que pour ce qui nous concerne, pour ce
qui concerne Monsieur NTEZIMANA, nous n’avons soulevé aucune question de procédure.
Nous n’avons pas demandé que des pièces soient écartées. Ça ne veut pas dire
que les autres de la défense ont tort dans ce qu’ils demandent. Leur situation
est différente ; ils ont des arguments de droit que la Cour doit entendre.
Mais Monsieur NTEZIMANA n’est pas confronté à ce problème-là dans le cadre de
la procédure. Son seul souci, comme cela a été dit ici, c’est que tout soit
entendu, que toutes les pièces soient entendues, et qu’à partir de là, comme
Monsieur le président vous l’a dit ce matin, vous vous fassiez votre intime
conviction et que vous ayez à le juger. Je tenais à ce que cela soit clair pour
vous en ce qui le concerne.
Le Président : Les accusés souhaitent-ils prendre un instant la
parole eux-mêmes ? Pour ces problèmes de procédure. Monsieur NTEZIMANA ?
Vincent NTEZIMANA : Non, Monsieur le président.
Le Président : Monsieur HIGANIRO ?
Alphonse HIGANIRO : Non plus, Monsieur le président.
Le Président : Madames MUKANGANGO et MUKABUTERA ?
Consolata MUKANGANGO : Pas pour l’instant.
Julienne MUKABUTERA : Moi également.
Le Président : Bien. Alors, normalement nous aurions dû déjà être
à cette heure-ci en train de digérer la lecture de l’acte d’accusation sans
doute. Vous vous rendez compte que je ne vais quand même pas commencer cette
session en disant aux jurés qu’on va siéger aujourd'hui jusqu'à 10 h du soir.
Donc, l’audience va être suspendue. Un arrêt interviendra vraisemblablement
pour qu’on puisse continuer la procédure demain matin à la première heure, d’audience,
c'est-à-dire 9 h. Et nous procéderons ensuite, en fonction de cet arrêt,
soit à des retraits de pièces, soit à une déclaration d’irrecevabilité de poursuite…
que sais-je… arrêtant ainsi le procès pour l’un ou pour l’autre. Soit nous poursuivrons
par la lecture de l’acte d’accusation et des actes de défense, ainsi semble-t-il
peut-être d’actes de partie civile, peut-on les qualifier ainsi ? Ce n’est
pas prévu par la loi, mais…
Me. BEAUTHIER : Maître GILLET lira un acte de partie civile.
Le Président : Bien. Alors, il serait sans doute souhaitable que
ces actes, je crois que c’est le cas pour Monsieur NTEZIMANA, peut-être pour
Monsieur HIGANIRO, je ne sais pas, pour les parties civiles, que ces actes soient
en possession du greffe de manière à ce qu’on puisse en faire des copies, notamment
pour veiller à l’égalité des armes. Et puisque habituellement la copie de l’acte
de défense est fournie aux jurés et jurés suppléants, il conviendrait que les
autres actes lui soient également fournis, aux membres du jury, pour que tout
se passe de la même manière pour chacune des parties.
Donc, nous allons suspendre les débats pour aujourd'hui. L’audience
sera reprise demain à 9 h. Il y aura donc demain matin l’arrêt interlocutoire,
lecture, pour autant qu’il doit avoir lieu, de l’acte d’accusation, des actes
de défense, de l’acte de partie civile. Dans l’après-midi, contrairement à ce
qui était prévu, ce ne sera donc pas le matin, l’interrogatoire de chacun des
accusés uniquement en ce qui concerne leur personnalité et leur curriculum vitae.
Et on fera déplacer en fin d’après-midi, et c’est pour ça que je vous signale
que ce sera sans doute plus long que 5 h demain, les experts psychiatres qui
devaient être entendus en début d’après-midi de demain. Ils seront donc entendus
en fin d’après-midi.
De cette manière-là, parce qu’on a peut-être pas encore entendu parler
des faits, mais on n’a pas non plus entendu parler des quatre personnes dont
le sort dépend de ce qui va se dérouler ici, nous aborderons d’abord le problème
de connaître un tout petit peu mieux ces quatre personnes.
Et nous poursuivrons ensuite, sans doute, par les auditions dans
les jours qui suivent.
Donc, nous n’aurons certainement pas terminé à 17 h ou 17 h 30 demain.
Si vous avez des dispositions à prendre à la maison pour que Monsieur ou Madame
fasse le souper plus tard, vous invite au restaurant demain soir, voyez un peu
comment cela peut se faire.
Me. EVRARD : Je ne sais pas s’il est clair dans l’esprit de
la Cour que nous souhaitions faire entendre le Docteur le témoin 30 et Madame le témoin 16
qui sont en fait d’autres psychiatres qui ont examiné sœur Gertrude et sœur
Kizito. Je me demande dans quelle mesure il ne serait pas utile de les faire
entendre également dans la foulée des docteurs CROCHELET et DELATTRE.
Le Président : S’ils ont été dénoncés…
Me. EVRARD : Ils l’ont été. Ils sont repris dans la signification
des nouveaux témoins. Mais pour une question d’horaire, je pense qu’il serait
opportun…
Le Président : Moi, j’ai demandé à ce que l’on envisage que les
deux psychiatres qui étaient prévus, qui sont des psychiatres désignés par le
juge d’instruction soient avertis de ne venir qu’à 15 h 30 au lieu de 13 h 30.
Il faudrait peut-être que vous fassiez une démarche à l’égard de ces deux personnes
dont le rapport est inconnu jusqu'à présent…
Me. EVRARD : Il sera déposé demain matin.
Le Président : …et les autres parties, que ces personnes ne se
présentent pas non plus avant 15 h 30, de manière à ce qu’elles n’attendent
pas inutilement. Mais elles pourraient effectivement être entendues conjointement
ou dans la foulée des médecins psychiatres désignés par le juge d’instruction.
Me. EVRARD : C’est parfait, je vous remercie.
Le Président : Donc, prenez de votre côté, puisqu’il s'agit de
témoins que vous souhaitez faire entendre, prenez de votre côté les dispositions
pour que ces personnes se présentent, et en tout cas pas avant 15 h 30. L’audience
est suspendue et reprendra demain à 9 h. |
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