7.4.5. Lecture de déclarations de témoins par le président: Marie
Annonciata le témoin 92
Le Président : Alors, 95.
le témoin 92 Annonciata. le témoin 92 Marie Annonciata est entendue, notamment,
parce que je crois qu’il y a eu une autre audition, le 13 novembre 1995 par
Messieurs STASSIN et BOGAERT de la police judiciaire de Bruxelles à l’abbaye
de Maredret.
« Vous me mettez au courant du but de votre
visite. Au moment des événements qui ont frappé le Rwanda le 6 avril 1994, je
me trouvais dans notre couvent Saint-Benoît, sœurs bénédictines, situé à Kigufi.
Nous avons entendu à la radio des invitations à rester chez soi, après que la
mort du président ait été annoncée. C’était la radio notre principale source
d’information.
Vous me montrez des photographies d’un jeune homme
et d’une jeune fille et vous me demandez si je les connais. (Il s’agit de photographies du témoin 123
Olivier et de NIWENAMUKOBWA Sylvie). Je connais effectivement ces deux
personnes. Le garçon est le prénommé Olivier. Il était le fils de Benoît qui
était l’assistant médical du dispensaire qui était situé à proximité de notre
couvent. La jeune fille se prénomme Sylvie et est la fille de ce même Benoît.
Si mes souvenirs sont exacts, c’est le 7 avril que Benoît et les membres de
sa famille sont venus se réfugier au couvent.
Il a dit qu’il était menacé par les gens de la
colline, qu’il avait peur d’être tué. Le 8 avril, dans la matinée, les militaires
sont venus. Ils ont emmené Benoît et un autre de nos hôtes qui était chauffeur
d’une famille ayant trouvé refuge au couvent. Cette famille a donné beaucoup
d’argent pour sauver son chauffeur mais, du même coup, Benoît a été relâché
et il a pu revenir dans le couvent. Dans la soirée, un militaire accompagné
d’autres hommes sont venus chercher Benoît et il a été tué. Sur interpellation,
je ne connaissais ni ce militaire, ni les hommes qui l’accompagnaient.
Sur interpellation, je connais effectivement les nommés le témoin 3 et
le témoin 12. Ce sont des hommes qui travaillaient chez HIGANIRO Alphonse et qui
possédaient une maison sur la colline à peu près à 1 km du dispensaire. Ils
n’étaient pas avec les militaires et avec les hommes qui ont attaqué le couvent,
en tout cas, je ne les ai pas vus. Je me souviens m’être rendu chez HIGANIRO
afin de leur demander de baisser la radio qu’ils faisaient hurler à tue-tête.
Ils étaient changés. Ils m’ont dit que je n’avais rien à leur dire et j’ai bien
senti que leur attitude était différente.
Pour en revenir aux événements qui ont touché
Benoît, je peux vous dire qu’Olivier avait réussi à se sauver et à rejoindre
la maison de monseigneur BIGIRUMWAMI. Je suis resté caché et après les événements,
j’ai revu l’homme chef des Interahamwe qui se prénomme Cypriani. Il est venu
exprès de Kigali pour organiser l’attaque sur notre couvent et pour tuer Benoît.
Il est revenu et a organisé un groupe de ± 200 personnes qui a attaqué notre
couvent. Sur interpellation, il m’a dit qu’il avait comme mission précise de
tuer Benoît et sa famille. Il m’a dit également qu’il nous avait bien vues dans
notre cachette mais qu’il n’avait pas voulu tuer les sœurs. D’ailleurs, c’est
grâce à lui que nous avons pu fuir vers Ngoma au Zaïre.
En ce qui concerne Alphonse HIGANIRO, je sais
qu’il est un personnage important et qu’il avait notamment été ministre. C’est
d’ailleurs parce qu’il était important qu’il avait obtenu ce terrain. Celui-ci
appartenait au dispensaire et Benoît y cultivait un potager. Ce potager a été
arraché pour permettre la construction de la maison de HIGANIRO. C’est le bourgmestre
qui avait donné le terrain à HIGANIRO. Sur interpellation, si HIGANIRO n’avait
pas été un personnage important, jamais il n’aurait pu recevoir ce terrain ».
Euh… pour autant qu’il s’agisse bien de la même personne, le témoin 92
Marie Annonciata a aussi été entendue par des enquêteurs du Tribunal pénal international
le 28 février 1996, toujours à l’abbaye de Maredret. Elle a, à cette occasion-là,
déclarée :
« Je suis pleinement consciente du fait que
vous enquêtiez pour le compte du Tribunal international et que mon témoignage
peut être utilisé comme preuve devant le Tribunal international. Je comprends
également que je pourrais être appelée à y témoigner. Je témoigne de mon plein
gré et je suis prête à venir réitérer mes propos devant le Tribunal international.
Je suis une sœur bénédictine qui vivait au couvent
de Kigufi et Gisenyi (Rwanda). Juste après le début du génocide, j’ai dû fuir vers Ngoma
au Zaïre où j’ai été évacuée par les Français. Je vis maintenant à l’abbaye
de Maredret en Belgique. J’ai déjà été interrogée par les enquêteurs belges.
Je pense leur avoir tout dit. Je comprends que vous souhaitiez des informations
supplémentaires sur les événements du couvent, je vais tenter de vous aider
bien que ce ne soit pas chose aisée.
Je me souviens très bien de ce jour, le 8 avril
1994, lorsque le couvent a été attaqué. Je n’oublierai jamais cette date. C’était
un jour de semaine, j’ai néanmoins le jour exact. Les ouvriers étaient au couvent,
ce doit donc être un jour de semaine. Ce jour-là, le couvent a été attaqué par
un grand nombre d’individus. J’estime leur nombre à environ 200. L’attaque a
débuté juste avant 17h. Les ouvriers étaient toujours au couvent.
Je pense que c’étaient des milices Interahamwe.
C’étaient en majorité des jeunes. Ils possédaient divers types d’armes :
des machettes, des houes, des pangas. Ils ont encerclé le couvent. Je ne les
ai pas bien regardés, je ne peux malheureusement pas vous donner de détails
concernant leurs visages. J’avais très peur et je cherchais avant tout un endroit
où me cacher. J’avais l’impression que ces milices travaillaient ensemble. Ils
étaient venus pour le couvent et je pense qu’il y avait un meneur. Je pense
que son nom était Cyprien, ou quelque chose comme ça. Je ne comprenais pas pourquoi
ces gens s’attaquaient à notre couvent. Etre attaqué par ces gens me terrorisait.
J’ai craint pour ma vie.
J’ai appris plus tard que ces gens en voulaient
à Monsieur Benoît, le responsable du dispensaire. Celui-ci était caché au couvent.
J’ai appris aussi plus tard que c’est dans tout le pays que les Tutsi étaient
systématiquement tués par les Hutu. Durant l’attaque du couvent, six personnes
ont trouvé la mort. Leurs assassins figuraient parmi les assaillants. Les victimes
furent donc Monsieur Benoît et sa femme, deux de leurs enfants, une sœur et
un ouvrier. Apparemment, les milices savaient que Benoît se cachait au couvent.
J’en arrive à cette conclusion car j’ai entendu certains d’entre eux demander
où Benoît se cachait.
Benoît et sa famille étaient des Tutsi. Je pense
qu’on les a tués car ils étaient Tutsi, je n’y vois pas d’autres raisons. Il
était le responsable médical du dispensaire, quelqu’un de très dévoué. Avec
moi, le couvent comptait six sœurs noires. Quatre d’entre elles étaient Tutsi
et les deux autres Hutu. Les autres sœurs étaient européennes. Une des sœurs
étant Tutsi a été tuée pendant l’attaque, son nom était Ansila.
Je sais qu’un homme appelé HIGANIRO vivait dans la maison à côté
du couvent. Je ne l’ai jamais rencontrée en personne. Je le voyais parfois passer
en voiture devant le couvent. Je ne peux pas vous parler beaucoup de lui. Après
être retournée en Belgique, j’ai appris qu’HIGANIRO était partie prenante dans
l’organisation du génocide, je l’ignorais auparavant. Tout ce qui précède est
véridique et conforme à mes souvenirs ».
Me. CUYKENS : Monsieur
le président ?
Le Président : Oui ?
Me. CUYKENS : Je peux
vous demander les références de ce que vous venez de lire parce que nous avons
le même texte mais manifestement traduit autrement, avec des petites variations
dans la traduction. Donc, si je peux avoir vos références, comme ça, on retrouvera
ce texte-là.
Le Président : Ah !
Où est-ce que j’ai trouvé ça, moi ? Ce sont dans les dernières traductions
qui ont été communiquées, avant l’ouverture de la session, sauf erreur de ma
part. Il y a la même chose mais avec des mots différents ?
Me. MONVILLE : Il y a exactement
la même chose mais avec des mots différents, à une autre partie, un autre moment
dans le dossier. Ca vient aussi du TPIR, mais c’est des pièces qui ont été jointes
après, je crois aussi.
Le Président : Voilà.
Si vous voulez lire éventuellement cette autre pièce ?
Me. CUYKENS : C’est
la même chose.
Le Président : Si c’est la
même chose, alors…
Me. MONVILLE : Il y
a des petits mots qui changent, ce n’est pas très intéressant.
Le Président : …il n’y a
pas de modifications sensibles dans les traductions ?
Me. CUYKENS : Non, non.
Par exemple, au lieu de parler de milices Interahamwe, on parle de miliciens
Interahamwe. Donc, c’est vraiment des petites différences de traduction.
Le Président : Alors, je
crois qu’on en a terminé. |