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10.3. Observations des parties et dépôt de nouvelles conclusions et
demandes
Le Président : Y a-t-il éventuellement
des observations des parties sur le libellé des questions ? Oui, Maître
CARLIER ?
Me. CARLIER : Non, c’est
voir ce que vous entendez par libellé. Il y aura des observations sur les questions,
mais...
Le Président : Alors, des
observations, si c’est sur les questions, dans quel sens ?
Me. CARLIER : Entendez-vous
réouvrir les débats ?
Le Président : S’il y a des observations,
il faudra les rouvrir.
Me. CARLIER : S’il y a des observations
sur les questions dont nous venons de prendre connaissance, il faudrait une
réouverture des débats.
Le Président : Eventuellement
souhaitez-vous, parce que, éventuellement... ou bien je donne les explications
au jury, sur le sens des termes peut-être ? Après, je veux bien vous laisser
quelques minutes de réflexion, ou peut-être suspendre un peu l’audience pour
savoir s’il y a, ou pas des observations, si vous voulez conclure, si vous voulez...
Quel est le sens des mots dans ces questions ? Je ne vais pas vous
ré- expliquer chacune des questions, puisque les mots reviennent bien souvent,
hein. Je ne vais peut-être pas non plus vous expliquer le sens des mots dans
l’ordre où ils apparaissent dans la question. Mais la première chose que je
dois vous expliquer, c’est quoi un homicide intentionnel ? Un homicide,
ça nécessite qu’il y ait un mort et que ce mort soit une personne humaine, homme
ou femme, enfant ou vieillard, il faut que ce soit une personne humaine, morte.
Il faut que quelqu’un ait eu la volonté de tuer cette personne, c’est ça
que ça veut dire, intentionnel. Parce qu’il y a des homicides qui ne sont pas
intentionnels, c’est ce qu’on appelle l’homicide involontaire. Si vous bousculez
votre voisin, Monsieur le 7ème juré, si vous bousculez le 8ème
et qu’il tombe, et qu’il se casse la nuque contre la barrière, on peut supposer
que vous n’aviez pas la volonté de tuer le 8ème juré, et pourtant,
il est mort. Il y a un homicide, mais vous ne l’avez pas voulu, ce serait un
homicide involontaire. Un homicide intentionnel, ça nécessite donc que celui
qui commet cet homicide veut tuer. C’est aussi clair, aussi simple que ça, mais
je crois qu’il faut le dire. Il faut que pour toutes ces infractions-ci il y
ait eu, quelque part, une volonté de tuer.
Et cette volonté, elle doit exister quand ? Lorsqu’on parle
de préméditation, il faut que l’idée ait germé, qu’elle ait mûri, qu’on se soit
procuré une arme et qu’on ait fait ceci et qu’on ait dressé un guet-apens, il
faut qu’on ait eu l’intention pendant un certain temps, mais la loi de 1993,
dans la mesure, elle ne vise pas l’assassinat mais tout homicide intentionnel,
ça veut dire que l’intention de tuer, elle existe, elle doit exister au moment
où on tue. Pas une seconde avant, vous pouviez ne pas avoir, une seconde avant,
l’intention de tuer quelqu’un, mais au moment où vous tuez, vous devez avoir
cette volonté de tuer. Pas une seconde après, regretter d’avoir tué, il est
trop tard, vous avez eu, au moment de tuer, la volonté de tuer même si une seconde
après vous regrettez ce que vous avez fait, vous avez commis un homicide intentionnel.
Beaucoup de ces questions, en tout cas, toutes les premières, disent
que la question porte sur le fait de savoir si les accusés sont coupables d’un
homicide intentionnel qu’ils ont accompli par action ou par omission. Vous allez
me dire : « C’est difficile de tuer quelqu’un en ne faisant rien !
». L’action, ça c’est clair, c’est donner un coup de couteau, de tirer une balle
de revolver, c’est pendre quelqu’un, c’est l’empoisonner. On voit bien ce que
c’est l’action de tuer. Et l’omission qui entraîne un homicide intentionnel,
c’est quoi ? Et bien, imaginez une infirmière dans un hôpital, à qui sont
confiés des malades et qui, délibérément, refuse de soigner ces malades. Elle
ne fait rien, elle ne les soigne pas, et elle ne les soigne pas pourquoi ?
Elle ne les soigne pas pour qu’ils meurent. Eh bien, ça c’est une omission qui
entraîne un homicide volontaire, intentionnel. Ca peut, selon certains auteurs,
aller plus loin. Le médecin qui est avec l’infirmière, il ne fait rien, il la
laisse rien faire. Il est simplement là, présent. Normalement, dans le droit
classique, le fait d’être présent quand on tue, ne vous rend pas responsable,
ni surtout coupable de ce quelqu’un d’autre a fait. Mais le fait, pour le médecin
qui n’interviendrait pas et qui laisserait son infirmière ne rien faire, et
qui par sa présence, non seulement, ne fait rien, lui aussi mais quelque part,
renforce la volonté de l’infirmière de ne rien faire, eh bien, lui aussi pourrait
être coupable d’un homicide intentionnel.
Dans le droit pénal classique, cela n’existe pas. La loi de 1993,
c’est la loi de 1993. Bon, je vous ai expliqué action ou omission, homicide
intentionnel. C’est pas n’importe quel homicide intentionnel qu’on leur reproche,
aux accusés. On leur reproche ces homicides intentionnels, par action ou par
omission, dans le cadre d’un conflit armé non international. En d’autres termes,
le crime passionnel - Monsieur NTEZIMANA, non je ne vais pas prendre l’exemple
de Monsieur NTEZIMANA, c’est pas un bon exemple - je me trouve au Rwanda en
1994, j’en ai marre de ma femme qui a un amant, je tue ma femme, on est en pleine
guerre, je ne tue pas ma femme dans le cadre du conflit, je le fais pendant
le conflit, mais je ne la tue pas parce que c’est mon ennemie, je la tue parce
que j’en ai marre de ma femme. Ou parce que je suis jaloux, je tue son amant.
Je vais faire un braquage au Rwanda en 1994, et je tue le caissier pour lui
avoir son argent. Ce n’est pas parce qu’il est mon ennemi, c’est parce que je
veux avoir de l’argent. Eh bien, cela, ce serait sans doute un vol avec violence
aggravé par la circonstance que j’ai tué le caissier. Si je tue ma femme ou
son amant, ce serait un meurtre ou un assassinat, mais ce ne serait pas dans
le cadre d’un conflit armé non international. Ca se passerait pendant cela mais
ça n’aurait pas de lien, ça n’aurait pas de lien avec la guerre.
Donc, ce qu’on leur reproche aux accusés, ce sont des homicides intentionnels,
par action ou par omission, qui ont un lien avec la guerre, même s’ils ne sont
pas militaires, ou qu’ils ne font pas partie des rebelles. Et même si les victimes
ne sont pas des militaires, même si ce ne sont pas, je dirais, deux combattants.
Parce que deux combattants qui se combattent, en fait, eh bien ça, ça ne serait
pas punissable, c’est la guerre, ça. Parce que ce qu’il est important de savoir,
c’est que la victime, elle n’est pas un combattant en tout cas. La victime,
en tout cas, ne participe pas directement, ou ne participe plus aux hostilités,
cela veut dire que la victime est soit un civil qui ne participe pas à la guerre,
soit quelqu’un qui a participé à la guerre, un militaire ou un rebelle qui a
participé à la guerre, mais qui a déposé les armes, qui s’est rendu. Je ne me
bats plus, c’est fini. Et vous avez, dans la définition du conflit armé non
international, ce que le Protocole numéro 2 additionnel aux Conventions de Genève
dit être un conflit non international.
Que dit ce Protocole ? Il dit que c’est un conflit armé qui
se déroule sur le territoire d’un pays bien sûr, du Rwanda en l’occurrence,
entre les forces armées de cet état et des forces armées dissidentes ou des
groupes armés organisés, les FAR par exemple, qui, sous la conduite d’un commandement
responsable, exercent sur une partie du territoire de cet état, un contrôle
tel que ce contrôle permet de mener des opérations militaires continues et concertées.
Permet de mener des opérations militaires continues et concertées, ça ne veut
pas dire que ça doit être continu, il faut que la possession ou le contrôle
d’une partie du territoire permette de faire des opérations militaires continues
et concertées et d’appliquer le Protocole numéro 2. Eh bien, le Protocole numéro
2, cela veut dire, puisque vous avec une partie du territoire, vous avez notamment
la possibilité de faire des prisonniers, et donc de respecter ce que le Protocole
dit qu’il faut faire à l’égard des prisonniers, c’est-à-dire de les traiter
correctement, ne pas les affamer, etc. etc. Donc, c’est dans ce cadre-là, c’est
avec ce lien-là, que vous devez avoir à l’esprit. L’homicide intentionnel, c’est
pas n’importe quel homicide intentionnel commis au Rwanda pendant la période
des événements dramatiques qu’a connu ce pays, il faut que ces homicides intentionnels
aient un lien avec le conflit armé non international qui se déroulait à l’époque.
Alors, je vous ai parlé des homicides intentionnels, je vais vous
parler un petit peu des tentatives d’homicide, parce que vous verrez que certaines
des questions disent : « C’est pas d’avoir commis, c’est d’avoir
tenté de commettre ». Je dirais que le plus beau cas, c’est un des témoins
que l’on a vu ici, c’est le témoin 123 et d’autres témoins qu’on a vus ici.
Ce sont des gens qu’on a voulu tuer et qui ont survécu. On a essayé de les tuer,
et ils ont survécu. Ils ont survécu, pourquoi ? Parce qu’ils ont su prendre
la fuite avant de mourir. Tenter de commettre un homicide, cela veut dire qu’on
fait le nécessaire pour tuer et on rate son coup. Et on rate son coup, pas de
sa faute à soi, mais en raison de circonstances indépendantes de la volonté
de l’auteur. J’ai envie de fusiller Madame le chef du jury, du regard seulement,
mais si j’avais vraiment un fusil, si je tire sur elle et que je rate mon coup,
j’ai voulu la tuer, c’est une tentative de meurtre. Je braque mon fusil, et
puis, je dis : « Non j’abandonne », ce n’est plus une tentative
parce que j’ai décidé moi-même de ne pas la tuer. C’est donc si je rate mon
coup parce que je suis mauvais tireur, c’est indépendant de ma volonté de tuer,
le fait que Madame le chef du jury reste en vie. Ca, c’est une tentative. Je
la vise, je dépose mon fusil. C’est ma volonté de la tuer, ce n’est pas une
infraction à ce moment-là. Ce que vous devez savoir, c’est qu’avec la loi de
93, le droit pénal classique dit que quand on commet une tentative de quelque
chose, on est puni d’une peine moins grave que si on avait réussi. Dans la loi
de 1993, la tentative, c’est la même peine. C’est la même peine.
Alors, quels sont les modes de participation classiques, les articles
66 et 67 du Code pénal, c’est ce que vous avez dans toutes les premières questions,
soit exécuté. On va voir un petit peu quels sont ces modes de participation,
parce que c’est vrai que c’est facile de savoir qui est l’auteur d’un homicide
volontaire, c’est celui qui tue. Et pourtant, la loi punit aussi d’autres personnes
que celles qui tuent. Et elle les punit de la même peine que celui qui a tué.
L’homicide, lorsque celui qui exécute le crime, eh bien, c’est celui qui tue
pour un homicide, celui qui coopère directement à son exécution c’est… on peut
se mettre à deux pour tuer, on peut donner à deux des coups de couteau à quelqu’un,
on peut aussi se mettre à deux parce qu’il y en a un qui tient la victime pendant
que l’autre donne des coups de couteau. Eh bien, ils sont punissables de la
même manière, aussi bien celui qui donne le coup de couteau que celui qui tient
la victime. Ca c’est la coopération direction directe.
Soit par un fait quelconque prêté pour l’exécution de ce crime, une
aide telle, que sans son assistance ce crime n’eut pu être commis. C’est l’aide
indispensable. Je veux tuer quelqu’un, pour ça je dois rentrer chez lui, je
connais son domestique, et je demande à son domestique en disant : « Ecoute,
je vais venir tuer ton patron et pour cela il faut que tu m’ouvres la porte »,
et le domestique me donne la clef ou vient m’ouvrir la porte et il sait que
je vais tuer et il est d’accord pour que je tue son patron. Eh bien, il m’aura
donné une aide indispensable pour que je tue, de la manière dont j’ai envie
de tuer, son patron. Eh bien, il est punissable aussi bien que moi. Et de la
même peine, c’est une peine de principe, il se pourrait peut-être que le juge
dise : « Bien, oui, lui, il a fait moins, on pourrait lui donner un
peu moins », mais la peine de principe reste la même que pour celui qui
a tué.
Soit par don, promesse, c’est la provocation privée ici. Soit par
don, je ne vais pas tuer moi-même mais je vais payer, ou faire un cadeau à quelqu’un,
pour qu’il fasse la salle besogne, cette personne est d’accord de faire la salle
besogne, je lui fais un cadeau ou je lui donne de l’argent, je suis commanditaire
en quelque sorte. Je suis punissable de la même manière que celui que j’ai payé
et qui va tuer. Je peux le payer, je peux lui faire des cadeaux, je peux lui
faire des promesses. Je peux prendre éventuellement, je ne sais pas, comme auteur,
une femme à laquelle je promettrai le mariage si elle tue. Une promesse. Je
peux menacer quelqu’un pour l’obliger à commettre un homicide, je peux abuser
de mon autorité ou de mon pouvoir, je peux donner un ordre à mon subalterne,
de faire la salle besogne. Je peux utiliser ce qui s’appelle des machinations
ou artifices coupables. Je fais croire à quelqu’un que s’il tue dans les circonstances
que je lui décris, ce ne sera pas un meurtre, il ne risque rien, je le trompe
quoi ! Je lui fais croire que ce qu’il va faire n’est pas punissable. Que
dans les circonstances, ben, au fond, c’est pas grave de tuer, dans ce cas-là,
c’est pas un meurtre : « Il ne faut pas vous en faire, vous savez,
vous ne serez pas puni parce que c’est pas punissable » : je trompe
cette personne sur la portée de son acte. Eh bien, je suis punissable, comme
lui. Alors, les dons, promesses, menaces, abus d’autorité, pouvoir, machinations
ou artifices coupables, vous allez voir que dans le paragraphe suivant, on parle
des écrits. Ca peut se faire par écrit. Des menaces, ça peut être fait par écrit.
Un ordre illégal, un abus de pouvoir, un abus d’autorité, ça peut se faire par
écrit.
Donc, le paragraphe suivant, c’est la provocation publique. C’est
toujours provoquer à commettre le crime et, en l’espèce, à commettre un homicide
intentionnel par des discours tenus dans des réunions ou des lieux publics,
par des écrits, des imprimés, des images ou emblèmes quelconque, qui ont été
affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés au regard du public.
Ca veut dire qu’ici, l’écrit, si même dans le paragraphe précédent il pourrait
y avoir un écrit, c’est une lettre que j’adresse à quelqu’un, c’est un écrit
privé, ça n’a pas de publicité, il n’y a que lui et moi qui savons ce qu’il
y a dans cette lettre. Personne d’autre le sait. Les discours, les discours,
ils ne doivent pas durer des heures. Mais cela doit être public, dans un lieu
public, sur la rue, dans un café, je me mets à haranguer les gens en disant : « Allez,
on va tuer des gens, allons-y, tuons, je ne sais pas, le troisième journaliste-là ! ».
Heureusement, on n’est pas au Rwanda, hein, pendant une guerre, parce que simplement
dire cela, cela suffirait pour que je sois punissable ! Vous savez, les
51, 52, 53ème questions, ça suffirait !
Les écrits dont il est question ici, ce sont des écrits qui ont une
certaine publicité, soit des écrits, des tracts qu’on distribue, c’est une lettre
que l’on fait circuler, qu’on photocopie, qu’on distribue, ce sont des articles
de journaux éventuellement, encore que là, on va se trouver dans le délit de
presse mais là, ça a de la publicité quoi, il y a soit du public, ou dans un
lieu public, même si on n’est pas très nombreux, mais on est dans un lieu public,
et on n’est pas en train, je dirais, de faire une discussion au café du commerce
entre copains, ça peut être dans un lieu privé aussi, à condition que ce lieu
privé devienne, à l’occasion, accessible au public. Je parle, je fais un discours
qui tente à faire tuer quelqu’un, quelqu’un de précis, quelqu’un de précis,
parce que la provocation doit avoir un lien direct, c’est ça, provoquer directement,
il faut que mon discours, ce soit de faire tuer le troisième journaliste, ou
à la limite, un nombre indéterminé de journalistes, il faut tuer tous les journalistes
qui sont ici. A mon avis, dans la presse demain, c’est moi qui suis fusillé !
Voilà, ça c’est la provocation publique.
Soit donner des instructions pour commettre ce crime, là on tombe
dans l’article 67 qui, dans notre Code pénal, est la complicité, et normalement,
le complice est aussi puni d’une peine inférieure à l’auteur ou au co-auteur,
mais dans la loi de 93, le complice est sur le même pied que le co-auteur. C’est
la même peine, raison pour laquelle dans les procès d’assises classiques, on
sépare les questions sur l’auteur et le co-auteur, sur la complicité. Ici, c’est
dans la même question parce que le résultat, peu importe le mode de participation,
la peine qui est applicable est la même : donner des instructions, soit
donner des instructions pour commettre ce crime : c’est éventuellement,
je ne sais pas moi, vous fournir un plan pour accéder à l’endroit où il faut
commettre le crime, c’est vous expliquer le chemin pour arriver chez la victime,
en ayant moi aussi, bien sûr, la volonté de commettre ce crime. Il faut que
je sois, que moi aussi je veuille tuer. Il faut que je sache à quoi vont servir
mes instructions. L’agent de police auquel on demande son chemin parce qu’on
est perdu, on cherche la maison de la future victime, je lui demande mon chemin,
il va me donner effectivement des instructions, des explications pour que je
trouve ma route, mais il ne sera pas complice de mon meurtre ! Parce qu’il
n’a pas, lui, la volonté que j’aille tuer bien sûr. Enfin bien sûr, oui, j’imagine !
Il se peut d’ailleurs que parfois les instructions sont tellement précises que
cela devient de la provocation ou cela devient l’aide indispensable où on se
retrouverait. Mais ici, simplement des instructions, cela suffit, à condition
que ces instructions, tout comme l’aide que l’on donne à quelqu’un, si j’ai
besoin d’une clef pour rentrer quelque part, je vais faire fabriquer une fausse
clef chez un Mister Minute ou je ne sais quoi, ben oui, en donnant la clef ou
en fabriquant la clef, il me donne l’instrument qui me permet de rentrer quelque
part mais il n’est pas censé savoir et il ne partage pas mon projet d’aller
voler quelque part. Donc, l’auteur, le co-auteur le complice, ils doivent tous
les deux, tous les trois, tous les quatre, tous les cinq, ils doivent tous avoir
la volonté de commettre l’infraction, c’est-à-dire… d’abord, ils doivent savoir
qu’il va y avoir une infraction et ils doivent être d’accord, ils doivent avoir
la volonté, tous, de commettre cette infraction.
Donc, soit l’instruction, je viens d’en parler, soit procurer des
armes, des instruments ou tout autre moyen qui a servi à ce crime, sachant qu’il
devait y servir. C’est le cas de la clef. Je vais acheter une arme de chasse
et j’ai un permis pour aller chasser. Le vendeur de l’arme, si j’utilise cette
arme pour aller tuer quelqu’un, n’est pas responsable de l’homicide que je commettrais
avec ce fusil. Il ne sait pas que c’est pour aller tuer quelqu’un, il s’imagine
peut-être que c’est pour aller tuer du gibier. Bon, c’est son boulot de vendre
des armes, il vend une arme, il ne participe pas à mon crime parce qu’il ne
sait pas à quoi, à moins que je ne le lui dise et non seulement que je lui dise,
mais qu’il soit d’accord, il dit : « Ah oui, c’est très bien, moi
aussi, je voudrais bien qu’on tue cette personne ! Donc, je vous la vends, cette
arme, et je vous fais même 10 % de réduction ». Soit, hors le cas prévu
par l’article 66 § 3 du Code pénal, avec connaissance, encore une fois ici,
il faut avoir connaissance de l’intention criminelle, il faut savoir ce que
l’autre va faire : aider ou assister l’auteur de ce crime dans les faits
qui l’ont préparé, facilité ou qui l’ont consommé et, hors le cas prévu par
l’article 66 § 3 - l’article 66 § 3 c’est ce dont je vous ai parlé - soit par
un fait quelconque, c’est l’aide indispensable ; ici, c’est l’aide simplement
utile. Ca a facilité les choses.
Ce que vous m’avez donné comme aide n’était pas indispensable pour
que je réussisse à commettre mon meurtre ou mon vol, mais cela m’a quand même
facilité les choses ou cela a permis de préparer le terrain. Encore une fois,
je vous dis : « Ca, ce sont tous les modes de participation que, dans
le droit classique, on appelle auteur, co-auteur et complice ». Ils doivent
- l’auteur, le co-auteur et le complice - avoir la même volonté, savoir ce qu’ils
font, savoir qu’ils participent à un homicide et vouloir cet homicide et vouloir
l’homicide de qui ? Par exemple, dans la première question, l’homicide
de KARENZI Pierre-Claver, et dans la deuxième question, MUKAMUSONI Alphonsine.
Et quand il s’agit de personnes non identifiées, c’est parce qu’on sait pas
qui sont les victimes mais qu’on voulait tuer ces gens-là. Même si ces gens
là ne sont pas identifiés, on voulait les tuer et on était bien d’accord et
je savais, et nous savions, à quoi nous participions et nous voulions la mort.
Alors, y a-t-il d’autres notions ? La tentative, je vous en
ai parlé, je crois. Ah oui, il y a les questions subsidiaires dont je dois vous
parler ! Les omissions d’agir pour empêcher la réalisation d’un crime ou
empêcher que ce crime ne continue, c’est les questions, à partir de la 35ème.
Je vous rappelle, la loi de 1993 : c’est un homicide par action ou omission.
Je vous ai expliqué ce que c’était cette omission, mais c’est une omission dans
l’intention de tuer. Il est aussi question, ici, pour les questions 35 et suivantes,
pour ces fameuses questions subsidiaires, il est aussi question… omis d’agir
dans les limites de ses possibilités d’action, donc, il faut d’abord qu’on ait
la possibilité d’agir. Il faut aussi que l’on ait connaissance d’ordres, qu’on
ait connaissance d’un ordre donné en vue de tuer, je résume très fort, mais
un ordre donné en vue de tuer, on sait que ça existe, on connaît cet ordre ou
on connaît des faits qui sont déjà le début de l’homicide. On voit quelqu’un
qui arrive avec une arme et qui... et on se dit : « Qu’est-ce qui
se passe, il est en train de vouloir tuer, j’ai la possibilité d’agir et je
n’agis pas ».
Ici, contrairement à l’omission dans les questions principales, et
contrairement à ce que je vous ai dit, où il y a un accord de volonté, nous
sommes d’accord de commettre un meurtre ; ici, la personne qui omet d’agir
n’a pas nécessairement la volonté que quelqu’un soit tué. Il peut ne pas avoir
de volonté du tout, il ne doit pas être d’accord avec celui qu’il pourrait empêcher
de tuer, il peut même avoir franchement la volonté, qu’il n’y ait pas de tués,
mais il a la possibilité d’agir, et il ne fait rien. Cela ressemble un peu à
ce qu’on appelle la non-assistance à personne en danger. Je ne veux pas qu’il
arrive quelque chose à la personne qui est en danger, mais au fond, je m’en
fous, je laisse faire les choses. On a parlé d’un délit ou d’un crime, parce
que tout ça c’est puni de la même peine, tout ça, c’est la même peine :
c’est la réclusion à perpétuité. C’est le maximum, mais s’il y a un débat sur
la peine, on vous expliquera qu’en fait vous pourriez descendre en dessous de
ce maximum, par l’admission de circonstances atténuantes.
Donc, c’est le délit de lâcheté : oui, c’est la lâcheté. J’ai
la possibilité d’agir, je n’agis pas, sans pour autant que je partage la volonté
de celui qui va tuer. Un : il n’est pas nécessaire que le meurtre se réalise
concrètement dans ce cas là. Et deux : il est vrai que les travaux préparatoires
parlent d’un lien de subordination de celui qui voudrait tuer, et d’un lien
de supériorité de celui qui n’agit pas. La question, elle vous est posée dans
les termes de la loi. Dans la loi, le terme de supériorité ou d’infériorité,
il n’y est pas. Ce qui n’empêche pas qu’il faut que l’on ait la possibilité
d’agir dans les limites de ses possibilités d’action, et qu’on pouvait empêcher
que ça se réalise. Il faut en avoir connaissance et il faut aussi avoir la possibilité,
des possibilités d’action et la possibilité de pouvoir empêcher, ça veut dire :
avoir la possibilité concrète de faire quelque chose.
Bien, je crois que j’ai ainsi fait tout le tour, presque tout le
tour des termes qui sont dans les questions, qui nécessitaient des explications.
Alors, je vais peut-être suspendre un quart d’heure, de manière à ce qu’on voit
s’il y a des observations. Ah oui ! Les observations, soit c’est parce que vous
voulez donner une explication complémentaire à celles que le président a données
et à ce moment-là, il n’y a pas de problème. Si c’est pour faire rectifier les
questions ou faire poser des questions complémentaires, là, il y a peut-être
intérêt à déposer des conclusions, ou pas. C’est à voir. Oui, Maître EVRARD ?
Me. EVRARD : Merci, Monsieur le
président. Vous dites qu’il y a peut-être alors intérêt à déposer, ou non, des
conclusions, mais nous venons de recevoir les questions définitives et nous
vous en remercions. Nous venons de recevoir, ce matin aussi, des conclusions
qui, je ne sais pas, seront peut-être, ou non, déposées. Si nous souhaitons
déposer des conclusions, il faut un minimum de temps, Monsieur le président.
Le Président : Oui, mais on va
suspendre en tout cas un quart d’heure, de manière à ce que vous réfléchissiez.
On reprend à 11 h moins quart, euh pardon, qu’est-ce que je dis ? Midi
moins quart !
[Suspension d’audience]
Le Président : L’audience est
reprise, vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place. Bien.
Après cette suspension, y a-t-il, de la part des parties, des observations ou
éventuellement des conclusions à déposer en ce qui concerne les questions. Monsieur
l’avocat général, en ce qui vous concerne ?
L’Avocat Général : En ce qui me
concerne, je n’ai pas d’observations à émettre sur les questions.
Le Président : Les parties civiles ?
La défense des accusés ? Maître CARLIER, vous souhaitez déposer des conclusions ?
Bien. Donc, Monsieur le greffier, vous voulez noter que les débats sont réouverts.
Maître CARLIER dépose des conclusions pour la défense de Monsieur NTEZIMANA.
Y a-t-il éventuellement d’autres conclusions ou observations ?
Me. EVRARD : Président, nous souhaitons
également déposer des conclusions, mais nous avons eu un quart d’heure pour
les rédiger à la main. Euh… nous souhaiterions peut-être qu’elles fassent l’objet
de copies afin qu’elles puissent être transmises aux autres parties.
Le Président : Oui, ce serait
peut-être utile.
Me. EVRARD : Je le pense aussi
Le Président : Vous déposez l’original ?
Vous avez l’original ?
Me. EVRARD : Oui, j’ai l’original,
tout à fait.
Le Président : Il est signé ?
Me. EVRARD : Il est signé.
Le Président : Celui de Maître
CARLIER aussi est signé ? Déposez l’original, on va re-suspendre un peu
l’audience de manière à ce qu’on fasse des photocopies, à la fois de celles
de Maître CARLIER, d’ailleurs… à moins que les parties aient reçu les conclusions
de Maître CARLIER ? Eh bien alors que peut-être pendant que Maître CARLIER
expose son point de vue… Il y a d’autres conclusions ?
Me. VERGAUWEN : Ce ne sont pas
des conclusions, Monsieur le président, je souhaiterais faire des observations
et déposer une pièce, à savoir, les travaux préparatoires de la loi de 1993.
Peut-être qu’il serait opportun de faire photocopier ces pièces à l’attention
des membres du jury pour que ce que j’explique soit éclairci par le document.
Le Président : Ce document sera,
dans la mesure où il est versé au dossier, dans le dossier soumis au jury.
Me. VERGAUWEN : Oui, mais j’aurais
souhaité qu’on fasse une copie pour qu’ils l’aient devant eux quand je prends
la parole…
Le Président : Bien. Donc, c’est
des observations, il n’y a pas de conclusions de votre part ? Pas de conclusions.
Donc, il faut faire des photocopies pour les parties, pour les parties et pour
le jury, de tout, de ces deux pièces-l. Pendant ce temps-là, je vais déjà donner
la parole à Maître CARLIER pour qu’il expose ses conclusions. Il doit bien être
entendu que, nonobstant le fait que les débats sont réouverts, on ne replaide
plus ! On plaide sur les questions quoi, pas sur autre chose. Vous avez
la parole, Maître CARLIER.
Me. CARLIER : Je vous rassure
tout de suite, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les jurés, ce ne
sera pas une plaidoirie. Donc, les conclusions ont un double objet par rapport
aux questions. Un premier objet : de demander deux questions complémentaires
principales qui viendraient au début des questions posées. La première étant :
y a-t-il eu conflit armé non international au Rwanda, du 6 avril 1994 au 18
juillet 1994 ? La deuxième étant : y a-t-il eu génocide au Rwanda,
durant la même période ? L’objet de ces questions : la première question
ici proposée est reprise évidemment dans chacune des questions qui sont déjà
proposées aux jurés. La deuxième question sur le génocide n’est pas reprise
dans chacune des questions proposées aux jurés. Selon les références que je
mets là, en conclusion, et j’en avais parlé dans ma toute première plaidoirie,
le génocide et la loi de 1999, la loi belge qui reconnaît l’incrimination de
génocides et de crimes de droit humanitaire, pouvait s’appliquer à ce procès
de façon rétrospective, c’est-à-dire qualifier les mêmes faits au regard du
génocide. La défense de Monsieur NTEZIMANA a toujours dit qu’il y avait eu génocide ;
durant huit semaines de procès, il a été question de génocide, il y a quelque
chose d’absurde, au bout de huit semaines de procès, de se trouver devant des
questions qui ne concerneraient pas du tout le génocide. C’est le motif pour
lequel nous demandons que cette question, qui est de fait et de droit, soit
appréciée par le pouvoir souverain de la Cour, au regard de l’arrêt de renvoi.
La deuxième demande de modification, vise alors trois questions précises,
et c’est une même modification sur ces trois questions, ce sont les questions
8, 9 et 52 qui sont les questions relatives à l’homicide intentionnel ou à la
tentative d’homicide intentionnel ou à la tentative d’homicide intentionnel
non suivi d’effets, notamment à partir de listes. Et la demande de modification
est double : c’est, d’une part, de supprimer l’adverbe « notamment »,
et, d’autre part, d’ajouter après les mots « listes de personnes »,
membres du personnel de l’Université nationale du Rwanda. Monsieur le président
a expliqué tout à l’heure dans l’explication des questions, la différence à
propos des questions entre Monsieur NTEZIMANA d’une part, Monsieur HIGANIRO
d’autre part, parce que, précisément, c’était à partir des listes que l’arrêt
de renvoi désignait les personnes, les enfants KARENZI et pas les autres. Par
exemple, pour ce qui concerne Vincent NTEZIMANA, pour la période infractionnelle
qui est visée, il n’a été question que des listes pour des homicides ou tentatives
d’homicide, tentatives d’homicide non suivi d’effets à l’égard d’un nombre indéterminé
de personnes. Il n'y a pas été question d’autres moyens pour la commission de
ces crimes. J’ai dit, je vous remercie, il appartient à la Cour d’apprécier
tout à fait souverainement ces demandes de modifications
Le Président : Je vous remercie,
Maître CARLIER. |
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