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9.3.6. Plaidoirie de la partie civile: Maître
HIRSCH
Me. HIRSCH : [Début
d’intervention sans micro] …Oui c’est cela. le témoin 84 et son mari Fidèle qui est décédé également
durant le génocide. Egalement pour Monsieur KARONGOZI contre Messieurs HIGANIRO
et NTEZIMANA. Et également pour Monsieur John BERI qui était à Sovu jusqu’au
9 avril.
Le Président :
Bien. Ces pièces ont été communiquées ?
Me. HIRSCH : Oui,
Monsieur le président. Mesdames et Messieurs du jury, Monsieur le président,
Madame, Monsieur…
Le Président :
Oui, mais un petit instant, hein.
Me. HIRSCH : Oui,
Monsieur le président.
Le Président :
Je pense que vous n’étiez pas constituée jusqu’à
présent pour tout le monde ?
Me. HIRSCH : Non.
Le Président :
Pour toutes ces personnes.
Me. HIRSCH : Non.
Le Président :
Vous n’étiez constituée jusqu’à présent qu’au
nom de ?
Me. HIRSCH : Monsieur
Gasana NDOBA, Monsieur… KAYITAKIRE, mais pas sa sœur.
Le Président :
Donc, toutes ces notes de constitution de parties
civiles concernent… de nouvelles parties civiles.
Me. HIRSCH : C’est
cela, Monsieur le président.
Le Président :
Y a-t-il des observations en ce qui concerne
ces constitutions de parties civiles ?
Me. CARLIER : Pas
à ce stade-ci, Monsieur le président.
Le Président :
Bien, alors on va verser ces notes.
Me. HIRSCH : Les
constitutions de parties civiles, Monsieur le président, peuvent être déposées
jusqu’à la clôture des débats.
Le Président :
Oui, oui, tout à fait. Il n’y a pas de problème
mais il faut peut-être qu’on vous en donne acte, hein, à un moment.
Me. HIRSCH : Oui,
oui, mais c’est pour ça que je, sur votre suggestion, que j’en parlais avant
de commencer à plaider.
Le Président :
Alors, dans la mesure où il n’y a pas d’observations
à ce stade-ci, les notes sont versées au dossier et il vous est donné acte de
ces nouvelles constitutions.
Me. HIRSCH : Je
vous remercie, Monsieur le président.
Mesdames et Messieurs du jury, Monsieur le président,
Madame, Monsieur, Monsieur le procureur général, 800.000 corps sans sépulture.
Rappelez-vous ce médecin de MSF qui a témoigné ici,
Monsieur le docteur ZACHARIA qui vous a parlé des massacres à l’église de Kibeho
où il a assisté, impuissant, à l’assassinat de 2.000 personnes, femmes, enfants,
hommes. Rappelez-vous. Il quitte Butare vers le 20 avril et il vous a dit :
« Tout le pays était couvert de corps. On obligeait les gens à sortir de
leur maison et on les tuait ». Rappelez-vous. Quand il arrivait à la frontière
du Burundi, il a été pris dans une foule de vieillards, de femmes, d’enfants
qui fuyaient pour atteindre la frontière. Il était là avec sa voiture et des
gens qui essayaient de s’accrocher à son véhicule, et il n’a pu rien faire.
On coupait les jambes, on coupait les talons d’Achile des gens qui fuyaient,
pour les empêcher et puis après… de continuer leur fuite et puis après on revenait
pour les achever. Et vous vous rappelez qu’il a dit qu’il y avait un groupe
de gens qui avaient réussi à atteindre la frontière, et là il y avait des Interahamwe
qui les attendaient, qui les avaient précipités dans un piège, qui les avaient
traqués comme du bétail et qui les achevaient juste avant d’arriver à la frontière
du Burundi. Rappelez-vous ce qu’il vous a dit de son personnel, le staff de
MSF, et comme on avait séparé les Hutu des Tutsi et qu’on avait ordonné, au
péril de leur vie, aux Hutu d’assassiner les Tutsi qui étaient membres de ce
staff. Rappelez-vous de sa voix quand il vous a parlé cela, comme sa voix s’est
brisée. Rappelez-vous aussi qu’en quittant le Rwanda, il s’est arrêté et il
s’est recueilli en regardant la rivière qui charriait les cadavres et il les
a comptés.
Rappelez-vous le juge d’instruction et son émotion.
Rappelez-vous les fosses communes que vous avez vues. Rappelez-vous la cérémonie
qui a été filmée par le juge, où l’on sortait les corps ; on essayait de
reconnaître parmi ces corps, sur un morceau de vêtement, la trace, la présence
de quelqu’un de sa famille. On essayait d’identifier par n’importe quoi. Rappelez-vous
la cérémonie.
Rappelez-vous Spéciose pour laquelle nous nous constituons
partie civile aujourd’hui et qui est la mère de Thierry et Emeri qui sont morts,
qui était dans la famille du professeur KARENZI, et qui racontait la mort de
son mari, Fidèle, militant des droits de l’homme. Elle, ensevelie sous les cadavres,
qui entendait les bruits, qui entendait les voix et qui a assisté, parmi les
corps, à la mort de son mari.
Rappelez-vous. Ces récits se sont inscrits en nous.
Les émotions que nous avons ressenties. Nul ne sortira indemne de ce procès.
Les deux hommes et les deux femmes qui comparaissent devant vous, comparaissent
devant vous pour avoir participé à l’un des plus grands crimes de notre histoire.
Nous nous sommes battus avec les parties civiles depuis 1994 pour que ce procès
ait lieu. Les victimes se sont battues avec nous. Sans elles, sans les survivants,
nous ne serions pas là aujourd’hui, sans leur combat pour la mémoire, pour lutter
contre l’impunité.
Je veux aussi, Mesdames et Messieurs, rendre ici
hommage à certains magistrats très courageux qui, en 1996, ont pris des positions
remarquables. Je pense ici, et je ne vais pas revenir sur ce qui s’est passé,
sur les pressions qui été exercées sur l’instruction, sur le juge d’instruction,
mais je veux rendre hommage au juge d’instruction Damien VANDERMEERSCH, au procureur
du Roi qui accompagnait Damien VANDERMEERSCH dans les commissions rogatoires,
et qui a eu le courage de se lever en Chambre du conseil pour demander que l’accusé
NTEZIMANA soit renvoyé devant la Cour d’assises alors qu’il avait des réquisitions
de non-lieu devant lui, c’est Monsieur VER ELST-REUL. Je veux rendre hommage
aussi à la présidente de la Chambre du conseil qui a pris trois semaines pour
rendre son ordonnance, qui est Madame COPPIETERS t’WALLANT, et qui a rendu une
ordonnance qui nous permet d’être là aujourd’hui.
Nous nous sommes battus pour que les victimes soient
entendues, que place leur soit faite. Et aujourd’hui, Mesdames et Messieurs,
Maître GILLET et moi-même avons fait un choix. J’aurais voulu vous parler des
victimes, de ceux qui sont partis, de chacun. Mais aujourd’hui, pour les victimes,
nous avons choisi de moins vous parler d’elles que de vous parler des coupables.
Nous avons choisi de vous aider à juger, de rassembler pour vous les éléments
de l’instruction qui sont là, dans cette armoire, que vous n’avez pas lus mais
que nous avons lus et que nous connaissons ; et les éléments rassemblés
au cours de ces six semaines d’audience, comme l’a fait Monsieur l’avocat général
pour vous aider et cela avec l’aide de nos clients, les parties civiles, les
victimes, les survivants. Aujourd’hui, notre travail pour les victimes est de
lutter contre l’impunité et je le dis très clairement, pour que vous reconnaissiez
Vincent NTEZIMANA et Monsieur HIGANIRO coupables.
Monsieur NTEZIMANA et Monsieur HIGANIRO vont plaider
qu’ils n’ont pas participé au génocide - le doute - et c’est leur droit. Les
murs de ce palais, de cette salle plus particulièrement, ont l’habitude d’entendre
les plaideurs, pour la défense des accusés, vous dire, dire au jury habituellement,
que si vous avez douté une seule seconde, une seule minute de la culpabilité,
un instant, vous devez déclarer les accusés non coupables et répondre non aux
questions qui vous seront posées.
Je voudrais dire ici que dans ce dossier, il est
humain de douter. Pour des faits pareils, c’est normal de douter. Et c’est ce
que nous vous disions en commençant, dans la déclaration préliminaire que nous
avons faite devant vous, le premier jour du procès. Comment imaginer, comment
est-ce possible que des hommes normaux aient pu participer à cela ? La
première réaction que vous avez dû avoir et que vous devez avoir, que vous deviez
avoir, était de douter. Comment est-ce possible, comment ont-ils pu faire cela ?
Mais après, il y a la réalité de ce que nous avons vécu ici. Les faits, l’instruction,
les témoins, les six semaines d’audience. La machine génocidaire a fonctionné
jusqu’ici. Maître GILLET vous a parlé de ce garçon, ce jeune garçon, Philippe,
qui est mort au début de ce procès : il s’est suicidé. Ce sont des témoins
qui n’ont pas osé venir, ce sont des témoins qui n’ont pas osé parler. Ce sont
des pressions qui s’exerçaient jusque dans cette salle et sur les marches de
ce palais. Il y a des gens qui, même en prison à Arusha, restent extrêmement
puissants. Et il existe un lobby des génocidaires qui ne s’arrête pas aux portes
de ce palais.
Alors, Mesdames et Messieurs du jury, je vous dis :
« Que cela s’arrête. Place à vous. Place à la justice ». Je parlerai
des faits qui concernent NTEZIMANA et Maître Eric GILLET parlera des faits qui
concernent HIGANIRO.
Maître GILLET vous a déjà parlé du cadre du génocide
en relation avec ces deux accusés, mercredi dernier. Il vous a parlé notamment
des écrits de NTEZIMANA et de l’ « Appel à la conscience » et des
« Dix commandements ». HIGANIRO et NTEZIMANA se sont mis d’accord
en comparaissant devant vous. Ils avaient le temps de se mettre d’accord. Ils
se sont mis d’accord durant la détention préventive ; ils sont restés plus
d’un an en détention préventive dans la même prison, en se voyant tous les jours.
Ils se sont mis d’accord pour comparaître devant cette cour ; ils risquent
tous les deux la même chose : la perpétuité. Nous savons ce que c’est la
perpétuité. Vous ne savez peut-être pas que les parties civiles ne plaident
que sur la culpabilité et que les parties civiles se sont entendues pour la
peine. Alors je vous le dis déjà, la peine de perpétuité en Belgique, ça correspond
environ à 13 ans de prison. L’enjeu est important de se mettre d’accord devant
votre Cour, devant leurs juges. Même avec ce risque-là, ils ont choisi de nier
toute participation au génocide. Ils ne se fréquentaient pas. Ils étaient politiquement
différents. Leur seul lien, leur seul lien, non politique, et il était important
du dire, c’était cette fameuse association : l’ADSK. Maître GILLET en
parlera davantage tout à l’heure.
Mais j’ai encore et vous avez certainement également
encore en mémoire cette audience du 18 avril, en commençant ce procès, sur l’interrogatoire
de personnalité de Vincent NTEZIMANA ; et pour terminer, Monsieur le président
a posé une question à Vincent NTEZIMANA et il lui a demandé quelles étaient
ses activités ou ses liens par rapport à HIGANIRO. Et NTEZIMANA a répondu, vous
vous en souviendrez certainement, la main sur le cœur avec une émotion dans
la voix, qu’une de ses sœurs, en sixième primaire, n’avait pas pu passer de
classe car sa famille n’avait pas la possibilité de payer 40 francs. Vous vous
rappellerez certainement. Et pourtant c’était la meilleure de sa classe. Je
signale au passage que dans son livre qui a été déposé et qui figure au dossier,
ce n’est pas de sa sœur dont il s’agit mais d’une connaissance qui s’appelle
Jean de Dieu. D’où la création de l’ADSK, une association pour aider les enfants
et un accès aux médicaments ; Vincent NTEZIMANA vous a dit : « Il
n’y a pas de médicaments dans les collines ». Il y a eu trois réunions
fin 93, et l’assemblée constituante, tenez-vous bien, en février 1994, avec
300 personnes, et on a recueilli 300.000 francs.
Et puis l’interrogatoire de personnalité de Monsieur
HIGANIRO et à la fin de son interrogatoire, la même question. Et HIGANIRO, il
a confirmé immédiatement : « Oui ». NTEZIMANA est venu le voir,
« Il s’agissait du développement social de notre région », a-t-il
dit. Et il lui a dit chaleureusement, je l’entends encore : « Je te
suis ». « Il y avait 300.000 francs et je ne sais pas ce que cet argent
est devenu. La guerre ». Un vrai miracle, n’est-ce pas ? En février
94, à quelques semaines du déclenchement du génocide, réunir 300 personnes,
et nous verrons lesquelles, sur un projet aussi mobilisateur. Alors, je vous
dis pas, en temps ordinaire déjà, mais en pleine guerre, il faut vraiment avoir
un extraordinaire charisme - et nous savons que c’est une création de Monsieur
NTEZIMANA que cette association -, un extraordinaire pouvoir mobilisateur.
Mesdames et Messieurs du jury, les accusés ont le
droit comme chacun dans un état démocratique, d’organiser leur défense comme
ils le souhaitent. Le droit de se taire sur ce qu’ils ont vu notamment. Le droit
de mentir aussi. Même le droit de sous-estimer leurs adversaires. Et même le
droit de prendre les juges pour des imbéciles. Personnellement, je ne suis pas
sûre que ce soit un bon choix.
Maître GILLET vous a dit mercredi le contexte, fin
novembre, décembre, c’est la pleine préparation du génocide. Et vous avez entendu
Madame Alison DESFORGES qui a fait un exposé extraordinaire sur ce qui a permis
le génocide. NTEZIMANA a fondé son parti. Il y a des tueries en novembre. Les
Interahamwe sont armés jusqu’aux dents et en état d’alerte. Beaucoup d’entre
eux ont reçu un entraînement militaire au camp militaire de Bugesera. Tous n’attendent
que le moment approprié pour passer à l’action. Les partisans du président distribuent
des armes. Vous avez en janvier, moins d’un mois avant cette réunion de l’ADSK,
le télégramme de DALLAIRE parlant de Jean-Pierre, dont Maître GILLET vous a
parlé, disant qu’il y a des hommes qui avaient été formés, 1.700, formés à la
discipline, les armes, le combat au corps à corps et la tactique. Estimation :
on a cité le chiffre de 1.000 Tutsi en 20 minutes ou en une heure. RTLM a un
nouvel émetteur. Et une semaine avant cette réunion, avec la participation des
intellectuels, le 26 janvier, les dirigeants du MRND et notamment Joseph NZIRORERA,
Robert KAJUGA vont étudier le moyen de susciter un conflit entre les Interahamwe
et les soldats belges de la MINUAR. Comment créer une psychose collective et
faire partir les Belges ? Nous savons comment les choses se sont passées.
Et c’est dans ce contexte, Mesdames et Messieurs
du jury, que NTEZIMANA qui est à l’origine de ce mouvement va réunir 300 personnes,
les plus hauts militaires, les membres des escadrons de la mort, pour sensibiliser
l’armée, les religieux, les professeurs d’université, les étudiants universitaires.
A quoi ? A une aide aux enfants nécessiteux de l’école primaire de sa région.
J’ai des doutes. Vous en aurez certainement aussi sur les objectifs réels de
cette association, dont certains de ses membres se retrouvent comme acteurs
de première ligne dans le génocide. Le but, n’est-ce pas, était de déclencher
le génocide. Comment atteindre les Tutsi, tous les Tutsi ? Comment éviter
leur fuite ? Comment déclencher l’apocalypse ? Comment payer les responsables
de cellules, qui n’étaient pas payés ? Je m’en réfère à une déclaration de Monsieur
HIGANIRO. le témoin 21 qui dit qu’on n’avait pas le temps de se réunir pour faire
de la politique, mais enfin on voit ce que ça donne. Et 300.000 francs. Qui
participe à cette association ? Le colonel Anatole, j’oublie… je n’arrive
pas à retenir son nom, commandant de la place de Gisenyi, Pierre TEGERA, BANYERETSE
qui sera sur les barrières à Butare, qui a fait participer aux listes avec Vincent
NTEZIMANA. Et il s’agit d’une sensibilisation des professeurs et des étudiants
à la problématique des bourses. Alors, les professeurs et les étudiants, je
veux bien, mais les militaires et les religieux ?
Alors je m’interroge, Mesdames et Messieurs du jury.
Pourquoi HIGANIRO et NTEZIMANA n’ont pas simplement reconnu devant votre Cour
qu’ils étaient ensemble à Butare, originaires de la même région, et qu’ils se
voyaient et qu’ils avaient des liens entre eux ? Et c’est tellement normal.
Leurs liens à Butare. On a beaucoup parlé du capitaine
NIZEYIMANA. On ne sait pas où il est, le capitaine NIZEYIMANA. La seule chose
que je peux vous dire, c’est que sa tête est mise à prix, si on peut dire, par
les Américains pour 5 millions de dollars. Il est considéré comme un des
numéros un du génocide. Le capitaine serait apparenté à BAGOSORA. On a parlé
d’Innocent NKUYUBWATSI, excusez-moi, je dirai Innocent, qui demande au capitaine
de l’héberger à Butare, ce qu’il fera, et le capitaine introduira Innocent auprès
de HIGANIRO, où Innocent va rapidement gravir, depuis manœuvre, la hiérarchie
de la SORWAL pour devenir en plein génocide, caissier. NTEZIMANA connaît également
le capitaine NIZEYIMANA. Un moment où il cherchait un domicile, il a d’ailleurs
vécu chez le capitaine NIZEYIMANA et on peut situer cela au mois d’août ou septembre
1993, au moment, je pense, où il participe à la création de son parti. Il a
vécu là avec sa famille. A l’époque Innocent s’y trouvait déjà.
On vous a parlé des liens entre le capitaine NIZEYIMANA
et HIGANIRO. On ne vous en a pas parlé spontanément, mais nous avons appris
au fil de ces audiences que HIGANIRO avait participé à son mariage, je reviens
en arrière d’ailleurs : c’est par Innocent que le capitaine NIZEYIMANA
avait rencontré son épouse qui est également militaire et lieutenant à l’ESO.
Et peut-être qu’il a joué plus d’une fois les intermédiaires amoureux dans le
dossier, mais en tout cas, cette fois-là, c’est par Innocent que le capitaine
NIZEYIMANA rencontre son épouse. HIGANIRO, donc, était là au mariage. Il est
également le parrain de son premier fils. Et je vous rappelle également que
Madame NTEZIMANA qui a été entendue à l’audience, ici, vous a parlé avec énormément
de chaleur de sa rencontre avec le capitaine NIZEYIMANA : son cachottier
de mari ne lui avait même pas dit, je parle de Vincent NTEZIMANA, que ce capitaine
avait une charmante épouse avec laquelle elle a immédiatement sympathisé en
lui amenant d’ailleurs, vous vous rappellerez de cela, la layette qui lui restait
d’un de ses enfants à la maternité. Je n’ai rien contre, bien sûr, je suis simplement
frappée par le fait que l’épouse de Monsieur NTEZIMANA vous parle dans ce contexte-ci,
et sachant ce qu’elle sait aujourd’hui ou qu’elle devrait savoir aujourd’hui,
d’un homme qui est considéré comme le bourreau de Butare, comme un homme sympathique
qui faisait preuve d’un esprit démocratique ; elle vous a même parlé de
ses convictions par rapport à l’opposition. Cela me frappe et cela me choque.
La vie à Butare. Vous savez que HIGANIRO est armé
et vous savez aussi que pendant cette période, en 93, NTEZIMANA va demander
à être armé, à recevoir une arme, sauf erreur de ma part, de BAGOSORA. Vous
savez que ces gens se voient régulièrement parce que finalement, ils sont isolés
à Butare entre gens du Nord au Guest House. HIGANIRO arrivera à se faire membre
du Rotary et pour cela, il va littéralement séduire le préfet Tutsi, le seul
préfet Tutsi de Butare. Les liens au Rotary, les liens au Guest House, à l’hôtel
IBIS aussi où ces gens se réunissent, il y a plusieurs témoignages au dossier,
avec le capitaine également, le témoin 21 qui est d’ailleurs du même village que le
capitaine NIZEYIMANA, enfin de la même colline, etc.
Je voudrais dire aussi à propos des liens à Butare,
que Vincent NTEZIMANA qui, sur une question de vous, Monsieur le 6e
juré, euh… vous lui demandiez quels étaient les liens qu’il avait avec KARENZI
et il a répondu qu’il en était très proche, voire même des liens d’amitié. Il
faut savoir que dans le dossier, NTEZIMANA a été jusqu’à discuter politique
avec Monsieur KARENZI, et il dit qu’il lui a même fait payer 1.000 francs pour
participer à son parti politique. Il dit qu’il était en relation avec lui régulièrement,
qu’il lui soumettait son travail et tout cela témoigne, quand on sait ce qui
s’est passé, non pas d’un cynisme mais d’une… enfin, il n’y a pas de mot, d’une
terrible perversité. Je vous rappelle également, pour mémoire, et je ne pourrai
sans doute pas parler de tout, qu’outre les demandes d’armes pendant cette période,
en plein génocide, Vincent NTEZIMANA va demander à pouvoir s’entraîner militairement
et je fais référence ici à une lettre du 25 avril 1994 qu’il a signée. Je m’en
réfère également à cet égard aux réflexions que vous avez entendues ici du procureur
NSANZUWERA dont on vient de parler, qui était donc procureur avant le génocide
et qui s’est finalement retrouvé en Belgique comme il vous l’a dit, et qui,
à propos de cette demande d’entraînement, vous a simplement dit que la participation
des professeurs d’université et des civils aux barrières était simplement une
manifestation du fait qu’ils allaient tuer leur voisin. C’est le mot qu’il a
employé. Il n’y a pas d’autre explication. Il n’y a pas d’autres ennemis à tuer
que ceux qui étaient les voisins, ceux qui habitaient avec eux, ceux qui partageaient
parfois leur repas, et voilà.
Je voudrais terminer ce premier point sur la stratégie
de défense de NTEZIMANA, sur un point qui me paraît important. NTEZIMANA vous
a dit qu’en fait il avait sauvé des gens et que c’est pour cela qu’il était
resté à Butare. Alors je voudrais dire très clairement que NTEZIMANA, durant
le génocide, n’a sauvé personne. Et je pourrais le traduire en disant où, dans
la bouche de Vincent NTEZIMANA, la métamorphose des Hutu en Tutsi au fil de
l’enquête !
Je voudrais rendre hommage ici à un homme qui a
témoigné, qui porte le même nom que Vincent NTEZIMANA : le témoin 110.
Vous vous rappelez certainement de lui. Cet homme est un juste, il a sauvé des
gens. Il vous a dit ici qu’il avait, à un moment, accueilli 43 personnes chez
lui. Et vous vous rappellerez certainement que tout le monde savait qu’il sauvait
des gens. Vous vous rappellerez certainement la réaction de la salle quand il
s’est levé après avoir dit qu’il ne pouvait pas faire autrement et que pour
continuer à vivre, il avait été obligé de faire ce choix-là. Vous vous rappellerez
certainement que la salle a applaudi et je dois dire que j’ai personnellement
eu envie de me lever devant lui.
Vincent NTEZIMANA vous a dit qu’il a sauvé des Tutsi
au péril de sa vie. J’affirme ici que consciemment, il n’a sauvé personne et
que s’il avait su que certaines personnes, je pense par exemple à Longin, étaient
apparentées à un Tutsi, jamais il ne l’aurait sauvé. Il a toujours cru héberger
des Hutu et même des Hutu Power, et cela à la demande du capitaine NIZEYIMANA.
Vous vous rappellerez que son épouse part aux Etats-Unis
le 1er avril, avant l’assassinat, la mort du président le témoin 32.
Elle doit partir pour un mois, elle y restera bien sûr beaucoup plus longtemps.
Et en partant, elle confie ses deux enfants à leur père, bien entendu, qui doit
tout de même travailler, de un an et sept ans. Donc, il y a un tout petit enfant.
Et vous vous rappellerez certainement que Madame NTEZIMANA vous a dit combien
elle avait essayé de récupérer la garde d’une des enfants qui était partie ailleurs,
et qui s’appelle Caritas. Elle vous a également parlé d’ailleurs du frère de
Vincent NTEZIMANA dont personne n’avait parlé dans le dossier ; en tout
cas Vincent NTEZIMANA ne vous a jamais dit que son frère était là, qui est étudiant,
sauf erreur, à l’université.
Et même, Vincent NTEZIMANA a fait plus ; vous
vous rappellerez certainement du témoignage d’Innocent, du film que nous avons
vu. Mais c’est difficile à retenir évidemment quand on voit un film, tout ce
qui se dit. Mais à un moment, Innocent dit qu’habitaient chez le capitaine NIZEYIMANA
non seulement Vincent, mais également ses enfants et son frère. Et Vincent NTEZIMANA,
à l’audience, a dit : « Vous voyez bien, tissu de contradictions,
tissu de contradictions, c’est impossible ». Or, c’était vrai et l’épouse
de NTEZIMANA l’a confirmé à l’audience. C’était vrai. A un moment, et je peux
situer ce moment au 7 avril, NTEZIMANA qui a eu peur, peut-être - vous savez
que le capitaine NIZEYIMANA était sous la protection des militaires -, peut-être
qu’il a eu envie de se placer sous cette même protection, ou ses enfants. Et,
ou bien simplement parce qu’il savait ce qui allait se passer, et il préférait
être là-bas plutôt que seul chez lui. Et ils ont été passer quelques jours chez
le capitaine NIZEYIMANA.
Donc, du 1er avril ou 2 avril au 6-7
avril, il est seul avec ses enfants et, bien sûr, Caritas. Du 7 avril au 12
avril, il est également seul avec ses enfants et Caritas. Le 12 avril - et c’est
une date importante parce que c’est la date à laquelle il va faire les listes
d’évacuation -, le 12 avril, il va, alors que les massacres se déchaînent dans
sa région d’origine, alors que le 12 avril, vous vous rappellerez, HIGANIRO
accompagné d’une flopée de militaires va rejoindre Gisenyi, c’est la même région,
le 12 avril, il confie son bébé d’un an et son enfant de 7 ans à son grand ami,
Aster, dont on reparlera par après. Et Aster qui, soit dit en passant, dit dans
une lettre qui est déposée au dossier à la demande de NTEZIMANA et que malheureusement,
on n’a pas pu entendre ici parce qu’il n’a pas voulu se déplacer - il est pour
le moment aux Etats-Unis -, il dit dans cette lettre qu’il arrivait à se déplacer
alors même qu’il n’avait même pas de document d’identité et que sa femme avait
oublié de les lui donner. Donc Vincent NTEZIMANA va confier ses deux enfants
à Aster pour les amener en pleins massacres dans la région de Gisenyi alors
que, je vous le rappelle, jusqu’au 20, dans Butare-ville, c’est le calme.
Autre paradoxe : ce serait normal que Caritas
accompagne ; eh bien non, Caritas va rester. Ce qui fait qu’en fait, NTEZIMANA
va rester jusqu’au début mai seul, seul avec Caritas. Vous savez que les massacres
se sont déchaînés à Butare entre le 20 et le début mai. Alors Caritas - je l’appelle
Caritas, non pas parce que je n’arrive pas à prononcer son nom mais parce qu’on
ne le connaît pas -, Caritas fait partie de ces témoins, de ces personnes dont
Vincent NTEZIMANA ne se rappellera jamais le nom. Jamais. Je vous rappelle qu’il
y a eu trois commissions rogatoires au Rwanda et qu’il était parfaitement possible
de demander à entendre certaines personnes. C’est la même chose pour l’ensemble
des boys et boyesses qui entouraient NTEZIMANA. Son veilleur, son jardinier
à un moment, les Zamu comme on les appelle, jamais on n’aura un nom. Jamais.
Et puis, c’est extraordinaire, cette métamorphose. Au début, dans ses premières
déclarations, dans ses premières déclarations, Vincent NTEZIMANA dira - et je
parle même d’avant son arrestation, le 27 avril 1994 -, il va rédiger une série
de notes qui seront saisies et dans une note du 6 octobre, il écrit tout simplement
qu’il ignorait l’ethnie de Caritas. Traduisez que c’était une Hutu. Quand Vincent
NTEZIMANA ignore l’ethnie, c’est une Hutu. Et au fil des déclarations de Vincent
NTEZIMANA, elle va devenir une Tutsi sans carte d’identité. Il va donc rester
seul avec elle du 12 avril au début mai. C’est la seule personne, à part Aster,
qui ne vient pas de chez le capitaine NIZEYIMANA. Donc, pas de vases communiquant
dans ce cas-là.
Il n’est pas tout à fait seul - je parle des gens
qu’il a sauvés, hein - il n’est pas tout pas tout à fait seul. Il déclare dans
le dossier qu’avant le début des massacres, avant le début des massacres - et
je vous rappelle qu’à mon avis, il passe beaucoup de temps chez le capitaine
NIZEYIMANA, donc sa maison est vide -, avant le début des massacres, il va pour
désengorger l’habitation du capitaine NIZEYIMANA, proposer à Innocent de venir
habiter chez lui, avant le début des massacres. Et également à deux jeunes filles,
les servantes. On ne saura jamais très bien qui étaient ces jeunes filles. Et
Vincent NTEZIMANA nous a dit à l’audience que ces deux jeunes filles dormaient
dans la chambre de Caritas. Il va être très entouré pendant cette période. On
ne peut pas dire qu’il a sauvé ces gens, bien sûr. Innocent n’en parlons pas,
et les deux jeunes filles sont mortes. Elles sont Hutu, si on en croit le dossier,
mais de nouveau, pour NTEZIMANA, dans son livre, elles deviennent Tutsi. Et
on pourrait dire effectivement qu’il aurait pu les sauver mais il est accusé
de les avoir tuées parce qu’il les trouvait, dira Innocent, trop bavardes à
son goût. Nous y reviendrons.
A propos de Caritas, cette Hutu qui devient Tutsi
parce que finalement, il ne pouvait cacher personne d’autre que la boyesse et
la nourrice de ses enfants. Et devant les psychiatres, il dira d’ailleurs, Vincent
NTEZIMANA : « Pendant le génocide, la nourrice de mes enfants était
une Tutsi. Par hasard, j’ai rencontré deux Tutsi qui fuyaient et cherchaient
un refuge. Je leur ai proposé de les héberger. Je prenais un grand risque. A
plusieurs reprises des militaires sont venus pour les tuer. Je me suis interposé.
Parfois, j’ai donné de l’argent. Et comme par chance, ils sont encore en vie.
Par la suite j’ai dû fuir bien sûr, etc. Deux des personnes que j’ai cachées
disent que je suis un extrémiste. C’est la meilleure ! ». Il parle
de Longin et le témoin 142.
Longin et le témoin 142. Longin et le témoin 142 arrivent trois
semaines plus tard, début mai. Et Aster, lui, il arrivera encore une semaine
après, la deuxième semaine de mai. Et je vous rappelle que les massacres, le
meurtre de la famille KARENZI, etc., c’est entre le 20 et le début mai. Ils
arrivent donc quand le gros des massacres des professeurs, des étudiants à l’hôpital
sont terminés. Et il a cette phrase extraordinaire à propos de Longin et le témoin 142,
Vincent NTEZIMANA à l’audience : « Si vous devez mourir, nous mourrons
ensemble ». C’est grandiose. Le problème, c’est qu’ils ne sont pas morts
et qu’aujourd’hui, ils témoignent contre lui.
Vous avez les déclarations, à l’audience, du témoin 142.
Malheureusement, il était cité comme témoin mais il n’est pas venu. Il fait
partie de ces témoins qui ne sont pas venus. « Je me souviens que Vincent
tenait des propos vraiment extrémistes avec Aster et NKUYUBWATSI. Je vais vous
donner l’exemple qui m’a le plus frappé. Vincent disait qu’il jurerait que dans
sa région, de Ngororero, il n’y avait plus un seul Tutsi. Je me souviens qu’il
disait aussi qu’il fallait éliminer tous les Tutsi du pays et qu’il parlait
des professeurs tués à Butare en disant qu’ils étaient des Inkotanyi. Devant
moi, il a approuvé à plusieurs reprises les massacres. Concernant Aster, je
me souviens qu’il a parlé de ma belle-famille sans savoir qu’il parlait d’elle
et effectivement c’était des Tutsi. Il ne savait pas que c’est de ma belle-famille
qu’il parlait. J’ai eu l’impression qu’il était parmi les organisateurs et qu’il
était écouté. C’est pour cela qu’il était bien plus présent aux réunions de
quartier et très ami avec le capitaine NIZEYIMANA ».
Vous avez entendu, à l’audience, Longin qui était
là également et qui a confirmé cela, qui a confirmé, sur une question de Monsieur
le président d’ailleurs, qu’il avait peur de Vincent NTEZIMANA et que Vincent
NTEZIMANA ne savait pas qu’il était apparenté… qu’il avait… à une Tutsi, je
ne sais pas exactement quels sont ses liens. En fait, ces gens arrivent d’abord
chez le capitaine NIZEYIMANA, je parle de Longin et le témoin 142, ils vont être hébergés
là quelques jours. Il faut savoir que le frère de Longin habite chez le capitaine
NIZEYIMANA. Le frère de Longin, c’est pas n’importe qui, on en parlera plus
tard, c’est un Interahamwe notoirement connu, qui est mort maintenant mais qui
a fait de la détention et qui se baladait avec un fusil Fall durant les massacres
à Butare, et que Vincent NTEZIMANA considère qu’il a été caché par le capitaine
NIZEYIMANA. C’est presque risible.
Ces gens qu’il a cachés, je parle de Longin et le témoin 142,
Vincent NTEZIMANA, alors que cela aurait été tellement normal s’il avait su
qu’ils étaient Tutsi, c’était tellement normal du dire au moment de son arrestation.
Et au moment de son arrestation, pas un mot. Il n’en parle pas. Il faudra attendre
qu’il parle du meurtre de la jeune fille dans son jardin pour qu’il cite le témoin 142
et Longin. Il raconte le meurtre et il dit que Longin et le témoin 142 ont été témoins
de cette scène ; Caritas également. Vous avez entendu à l’audience ce que
Longin en a dit : « Il n’était pas présent ». Lors de sa septième
audition le 24 mai 1995, NTEZIMANA dira qu’il ne sait pas s’ils sont Tutsi ou
Hutu et vous vous rappellerez une question de Monsieur l’avocat général qui
a demandé à NTEZIMANA pourquoi, au départ, il disait que ces gens étaient en
fait des Hutu.
A l’audience, vous vous rappellerez certainement,
Vincent NTEZIMANA a dit qu’il a voulu les faire passer pour des Hutu et qu’il
leur a distribué je ne sais pas quel gadget, pour les faire passer pour des
Hutu, des Hutu Power. Et c’est curieux d’ailleurs dans le dossier, à un moment,
il le dit. Il raconte le meurtre du jeune homme, mais je reviendrai sur tout
cela : « Je voudrais encore dire qu’une fois en passant sur un
barrage dans le quartier près de chez moi, j’étais avec Longin et le témoin 142 qui
se baladent évidement comme ça, au début mai, des militaires ont tué une personne
sous nos yeux. Nous passions, nous l’avons vu ». C’est le meurtre du jeune
homme pour lequel Vincent NTEZIMANA, d’ailleurs, est accusé. Et le juge d’instruction
l’interpelle en lui disant : « Mais, vous me dites qu’il est étonnant
que Longin et le témoin 142 se promènent avec moi en ville et à proximité des barrages,
alors que je viens de dire qu’ils étaient soupçonnés d’être Tutsi et à tout
le moins menacés ». Et la réponse fuse : « J’avais fait croire
qu’ils étaient Hutu et pas menacés ». Le fait qu’il les pense Hutu est
simplement reflété par la manière dont il parle devant eux. Il ne se cache pas
- et c’est confirmé par Longin et le témoin 142 -, il ne se cache pas pour avoir des
propos extrêmement virulents contre les Tutsi, devant eux. Il parle sans gêne.
A l’audience, Longin l’a confirmé et je vous le rappelle, Monsieur le président
lui a demandé s’il avait peur de Vincent NTEZIMANA et il a dit : « Oui ».
La seule chose qu’on peut dire, Mesdames et Messieurs
du jury, c’est que s’il a sauvé des gens qu’il ne connaissait pas et qui étaient
proches du capitaine NIZEYIMANA, il n’a en tout cas jamais sauvé un Tutsi qu’il
connaissait. A commencer par le professeur KARENZI. Et il aura dans le dossier,
et peut-être ici, cette phrase extraordinaire. Le juge d’instruction lui dit :
« Mais pourquoi n’avez-vous rien fait, vous, le démocrate, le militant,
pourquoi n’avez-vous rien fait pour sauver KARENZI ? ». Et il a cette
phrase extraordinaire : « Il ne me l’a pas demandé ». Résumons-nous,
il n'a accueilli chez lui que le trop plein de chez le capitaine NIZEYIMANA,
le bourreau de Butare et à sa connaissance et consciemment, aucun Tutsi.
Aster qui arrive la deuxième semaine, Aster est
vice-président de son parti, il tient des propos extrémistes ; on ne peut
pas vraiment dire qu’il l’a sauvé. Mais je voudrais citer ici NTEZIMANA lui-même,
dans une note qu’on a saisie chez lui, avant son arrestation. C’est une note
qu’il rédige. Vous savez c’est l’époque de l’enquête de Monsieur le témoin 144,
avant l’arrestation de NTEZIMANA, et il est en train d’essayer de produire des
documents qui pourraient le dédouaner. Et notamment il écrit un document à propos
des rondes effectuées à Butare, après le 6 avril 1994. Et il parle de son voisin,
la maison occupée, la maison de madame le témoin 143 dont vous vous rappellerez
certainement. Et il dit ceci en fait, il parle donc de la maison occupée par
Monsieur le témoin 150 Jean-Bosco : « Il y avait des réfugiés dans cette
maison, de même que chez moi, mais il n’y avait pas d’Inkotanyi. Après la fouille
de la maison du témoin 150, les militaires ont compris qu’ils avaient été trompés
et ils sont repartis sans passer chez moi. Les amis de Madame le témoin 143 m’ont
appris cette nouvelle le lendemain ».
Je voudrais citer ici Monsieur le témoin 150, feu Monsieur
Jean-Bosco SEMINEGA, qui rapporte effectivement cet incident : « La
maison a été fouillée par des militaires qui cherchaient des Inyenzi. Ils étaient
envoyés par le Comité de sécurité dirigé par l’ami de Vincent NTEZIMANA, le
professeur le témoin 93. Et après cette fouille, Vincent est venu vérifier
lui-même, il semblait chercher quelqu’un qui se cachait chez lui ». Et
le témoin 150 Jean-Bosco ajoute ceci qui est vraiment embêtant pour la défense de
Vincent NTEZIMANA : « C’est l’unique et seule fois que NTEZIMANA est
venu après le 19 avril ».
Alors, Mesdames et Messieurs du jury, si Vincent
NTEZIMANA n’a sauvé personne durant les massacres à Butare, pourquoi reste-t-il
et pourquoi fuit-il après les massacres ? Massacres qu’il prétend, dès
le départ dans le dossier, et c’est une déclaration véritablement hallucinante,
qu’il n’a jamais vus. Je vous invite à lire les deux premières déclarations
du 27 avril de Vincent NTEZIMANA ; c’est hallucinant ! Entre 100.000
et 300.000 morts à Butare. Et Vincent NTEZIMANA quittera Butare à trois reprises,
Durant les événements, durant le génocide, et il n’a vu aucun massacre. Rien !
Rien. Je pense, nous pensons qu’il reste à Butare depuis le 7 avril justement
pour organiser les massacres à Butare.
J’en arrive à mon point, mon troisième point. Vincent
NTEZIMANA a adopté un système de défense pour expliquer sa présence ici parce
qu’il est victime, il se dit victime, d’un complot. Il l’appelle même :
« Un complot composite ». Parce que le complot, il y a beaucoup de
comploteurs ; on n’en verra qu’un seul finalement, Monsieur Gasana NDOBA
que vous avez vu ici. « Le cartel de mes détracteurs est composite ».
Sa stratégie commence par attaquer la victime, Monsieur Gasana NDOBA. Ensuite
il attaque les témoins, je pense à Madame le témoin 50, et les enquêteurs. Pour lui,
un bon témoin est un témoin mort, je pense à Monsieur le témoin 150. Il y a les témoins
qu’il ne veut pas entendre et qu’il ne cite jamais. Et il y a les autres bons
témoins qui sont en prison.
L’attaque de Gasana NDOBA. Dans un document, de
nouveau du 6 avril 1994, intitulé par Vincent NTEZIMANA… pardon du 6 octobre
1994, « Assassin extrémiste Hutu ou éléments gênants pour le FPR :
essai de compréhension », Vincent NTEZIMANA va donner une explication de
ce complot ourdi contre lui. Je le cite : « J’ai dit non à la violence,
y compris celle du FPR, même si ça devait me coûter cher un jour. Aussi je suis
persuadé que ce sont mes positions contre le FPR qui me valent les accusations
de toutes sortes que je connais aujourd’hui. Alors que je n’ai en rien participé
ou collaboré aux massacres et que j’ai même caché plusieurs personnes chez moi
pour les protéger ». Il est donc victime d’un coup qui a été monté contre
lui. L’origine, on ne peut pas l’imputer à Gasana NDOBA qui est le frère du
professeur KARENZI comme vous le savez.
Au départ, Gasana NDOBA, au moment où les assassins
reviennent en Belgique, fuient en Belgique, va déposer plainte contre HIGANIRO,
en juillet 1994 ; il ne pense pas à Vincent NTEZIMANA qu’il connaît à peine.
Et puis, il va y avoir une rumeur, c’est Vincent NTEZIMANA lui-même qui le dit.
Vincent NTEZIMANA va être interpellé par des gens de son université. Et une
enquête va débuter, menée par Monsieur le témoin 144 qui a soutenu Vincent NTEZIMANA
depuis le départ et jusqu’ici. Et quelque part je pense que nous pouvons le
remercier parce que sans lui, peut être qu’aujourd’hui nous ne serions pas là
avec comme accusé Vincent NTEZIMANA. Monsieur le témoin 144 a pris contact avec
Monsieur Gasana NDOBA pour lui demander de réagir par rapport à cette rumeur.
On se trouve à l’été, en septembre 1994. Et Gasana NDOBA va poser des questions,
va se renseigner. Et c’est vrai qu’à partir de ce moment-là, fin septembre,
le 30 septembre, il va déposer une plainte contre Vincent NTEZIMANA. Mais ce
n’est pas lui qui est à l’origine de cela, n’est-ce pas. C’est l’enquête qui
a été menée au sein de l’université par Monsieur le témoin 144.
A cet égard, je voulais dire qu’il y avait déjà
une enquête qui devait être… qui devait alimenter ces rumeurs, outre les témoins,
c’est la Sûreté, la Sûreté de l’Etat. Vous trouverez dans le dossier une note
de la Sûreté, qui date de septembre, je pense, 1994 ou d’août 1994 : « L’intéressé
aurait organisé les rondes Interahamwe à Butare et désigné les personnes à faire
exécuter par la garde présidentielle. Il aurait quitté Butare sous escorte militaire ».
Il y a donc avant la plainte de Gasana NDOBA et le début de cette enquête, d’ailleurs,
devant le juge d’instruction Damien VANDERMEERSCH, il y a une enquête et des
notes qui concernent les activités de Vincent NTEZIMANA à la Sûreté de l’Etat.
Il y a aussi un témoignage anonyme. C’est vrai que
j’aurais aimé pouvoir interroger cette personne parce que ce témoin, dont Monsieur
le procureur général connaît l’identité, a dit des choses extraordinaires, et
vous le verrez, si vous le voulez, dans le dossier. Il a d’abord dit, bien avant
les premières déclarations de Vincent NTEZIMANA, en septembre 1994, il a dit
des choses, des faits qu’il avait constatés lui-même et d’autres qui étaient
rapportés par des tierces personnes. Dans les faits constatés lui-même, il dit :
« Dans le quartier de Buye… », il connaît bien NTEZIMANA, il sait
d’où il vient, sa commune d’origine, il en parle. « Dans le quartier… »,
il parle de NTEZIMANA, « …on le craignait car il était connu pour être
l’un de ceux qui dressaient la liste des personnes à exécuter. La liste était
donnée aux petits groupes d’Interahamwe, deux ou trois, ou des membres de la
garde présidentielle, deux ou trois, chargés de la salle besogne consistant
à éliminer les opposants ou supposés tels, les Tutsi ». Il va parler des
gens en uniforme militaire qui se trouvent chez Vincent NTEZIMANA. Il va parler
du fait que Vincent NTEZIMANA circulait librement dans Butare. Il va parler
également de la mort du professeur KARENZI, mais là, ce sont des faits qui lui
ont été rapportés. Il va dire que les gardiens de maison, son Zamu, dont on
parle, du quartier disaient l’avoir vu accompagner et guider trois militaires
jusque devant la maison du professeur Pierre-Claver KARENZI, professeur en physique
et professeur à la faculté des sciences comme Vincent NTEZIMANA lui-même. « Après
leur avoir montré la maison, il s’était retiré en laissant sur place les militaires
qui ont sorti le docteur KARENZI de chez lui pour aller le tuer sur la rue devant
l’hôtel Faucon ; c’était à la date du jeudi 21 avril 1994 vers 16 h 30 ».
Voilà ce qu’il y a déjà. Il y a ce témoignage anonyme,
il y a l’enquête de la Sûreté et il y a la rumeur étayée par l’enquête menée
par le professeur le témoin 144. Et puis il y a donc la plainte de Gasana NDOBA,
le 30 septembre, contre Vincent NTEZIMANA. Et vous avez cette chose extraordinaire :
Vincent NTEZIMANA va lui-même déposer plainte contre Gasana NDOBA et va joindre
à cette plainte - pour diffamation - et va joindre à cette plainte toute une
série de pièces dont une qui nous intéresse beaucoup ; c’est le témoignage
de Madame le témoin 143 qui va dire avoir rencontré, mais j’y reviendrai, un témoin
qui disculpe complètement Vincent NTEZIMANA : il s’agit de Jean-Bosco SEMINEGA.
Attaque contre Gasana NDOBA menée également à l’audience, vous l’avez entendu,
par Monsieur le témoin 144, j’y reviens. Mais on peut se poser dès à présent
une question, n’est-ce pas. Quel intérêt pour une victime, pour un membre de
la famille du professeur KARENZI assassiné, quel intérêt pour une victime d’accuser
un innocent ?
Attaque contre Gasana NDOBA et puis attaque contre
les témoins et les enquêteurs. Je pense ici particulièrement à Madame le témoin 50
que vous avez entendue ; c’est cette jeune dame qui travaillait à COPYFAC
à Louvain-la-Neuve. A propos de l’ « Appel à la conscience »
et des « Dix commandements », vous l’avez entendu à l’audience, Vincent
NTEZIMANA, « Un texte immonde » a-t-il dit. Il aurait honte d’y avoir
participé. Et confronté à cela, vous avez l’extraordinaire simplicité du témoignage
de Madame le témoin 50. C’est simple, elle se rappelle très bien de ce texte, en raison
de son contenu, elle vous l’a dit ici. Elle se rappelle très bien de Vincent
NTEZIMANA. Elle se rappelle même des discussions qu’ils ont eues ensemble. Elle
dit même qu’elle avait de la sympathie pour lui, Encore qu’elle n’a pas compris
son argumentation par rapport à ce texte. Et ce témoignage est tellement simple
que le tir de Vincent NTEZIMANA va dévier, il va dévier, une fausse piste :
l’ordinateur.
Alors là, il y a donc un témoignage de Madame Rose
le témoin 76 qui n’est pas venue, qui avait entendu dire par celui qui a partagé
le bureau de Vincent NTEZIMANA à l’université pendant fort longtemps, qui est
Monsieur BONFILS que nous avons entendu ici, qu’il aurait entendu dire que le
texte avait été dactylographié sur l’ordinateur qui se trouvait dans le bureau
de Vincent NTEZIMANA à l’université. C’était évidemment faux. C’était évidemment
faux. Pourquoi Vincent NTEZIMANA allait à COPYFAC ? Précisément parce que
back up d’ordinateur, il connaît, un ordinateur en réseau, il connaît, et BONFILS
pouvait immédiatement repérer le document sur l’ordinateur de Vincent NTEZIMANA.
Il n’était pas question de taper ce texte, ni en principe aucun des textes compromettants,
sur l’ordinateur de l’université.
Mais le tir va dévier, et vous l’avez entendu ici,
le témoin 144 a aussi critiqué ce témoin, pas assez brillant, moins brillant
que Vincent NTEZIMANA, etc. Mais ce que dit BONFILS, le témoin 124 qui donc
travaillait dans le même bureau que NTEZIMANA, est néanmoins intéressant. En
fait, BONFILS va citer la bande des trois à l’université. La bande des trois,
elle est composée de Vincent NTEZIMANA, de RUHIGIRA Joseph Désiré, et également
de Papias NGABOYAMAHINA. Et il dira ceci, BONFILS, concernant l’ « Appel
des Bahutu » : « C’est lui avec Papias et Désiré qui l’ont rédigé.
Ce document a circulé dans les cercles des étudiants, etc. ». Et il pense
à tort, BONFILS, qu’il a été rédigé par un Zaïrois dont il oublie le nom mais
qu’il permet d’identifier, et d’ailleurs qui sera identifié et interrogé dans
le dossier et que ce texte a été donc dactylographié à COPYFAC. Et Vincent NTEZIMANA,
à propos de ces deux personnages, confirmera immédiatement que c’est vrai, que
non seulement il les connaît, le commandant Désiré RUHIGIRA et le nommé Papias,
mais ils se voient régulièrement et en ce qui concerne Désiré RUHIGIRA, leurs
épouses ont d’ailleurs sympathisé. Beaucoup de choses se passent par les épouses,
rappelez-vous le capitaine NIZEYIMANA.
Qui est RUHIGIRA Joseph Désiré ? On en a déjà
parlé. Il était étudiant dans le collège Saint-André à Kigali dans lequel Monsieur
HIGANIRO a donné cours de mathématiques. C’est un personnage brillant. Il a
été envoyé en Belgique à l’école royale militaire. Il a fait ses études et puis
il donnera cours à l’ESO à Butare. Qui il y a rencontré à ce moment ? Il
reviendra en Belgique à l’école d’architecture, construire des forts peut-être,
vous a dit Monsieur l’avocat général. Il était agent de sécurité du président.
Personnage plus âgé que Vincent NTEZIMANA auquel Vincent doit respect et déférence.
C’est un personnage important et durant le génocide, il sera responsable de
la sécurité du gouvernement génocidaire. Papias est président du CERB, c’est
lui qui signe les communiqués. Il n’y a pas grand chose à en dire, sinon une
chose : en avril 1994 il va annoncer à un journaliste que les casques bleus
belges sont morts, avant qu’ils ne soient tués. Vincent dira donc qu’ils se
fréquentaient régulièrement.
Le témoin zaïrois que nous avons entendu ici, BENDE,
je pense que Vincent NTEZIMANA ne voyait pas tellement d’inconvénients à ce
qu’on l’entende. D’ailleurs, ce n’est pas lui qui avait dactylographié le texte.
Vous l’avez entendu ici, se prendre un peu les pinceaux dans une question que
Monsieur le président lui avait posée sur les liens que Madame le témoin 50 pouvait
avoir avec Vincent NTEZIMANA. Elle avait parlé de sympathie. Et lui, il a répondu,
non pas que c’était impossible, non pas que c’était impossible mais que bon…
alors qu’en fait, il n’avait rien à en dire et qu’il ne pouvait rien en savoir.
Il… ça lui paraissait, ça lui paraissait vraiment difficile qu’il puisse y avoir
des liens de cette nature-là. Or, pourquoi ? Madame le témoin 50, pourquoi n’aurait-elle
pas sympathisé avec Vincent NTEZIMANA ? Une chose plus intéressante que
ce témoin a dite à l’audience, et on ne l’a pas beaucoup interrogé, c’est qu’il
connaissait Vincent NTEZIMANA et qu’ils avaient un ami commun qui avait été
son parrain à l’université et qu’il a appelé Mathias, je crois, je ne sais plus
s’il l’a… s’il l’a nommé. Faut dire aussi que ce Monsieur zaïrois était également
en physique. Mais peu importe, peu importe.
Pourquoi Madame le témoin 50, quand elle dit qu’elle a
dactylographié le texte et qu’elle l’a répété ici devant vous, ne ment-elle
pas ? Pourquoi dit-elle la vérité ? Elle dira même, à la lecture du
texte : « Je maintiens avoir dactylographié ce texte à l’époque, à
l’exception de telles pages, que je ne me rappelle pas avoir vues ». Ça,
c’est une déclaration qu’elle fait en décembre 1995 et pas devant la Cour où
bien sûr, la mémoire peut être plus défaillante après tellement d’années. Elle
dira également que c’est la même personne qui lui a commandé des travaux à dactylographier
du CERB. Elle est formelle, elle le dit clairement : « Je maintiens
avoir dactylographié le document, en ce compris la partie intitulée : Voici
les dix commandements. J’avais d’ailleurs, dit-elle, été choquée à l’époque
par la référence explicite du document aux dix commandements bibliques ».
Elle parlera de BENDE en disant : « Moi, j’ai été tellement choquée
par ce texte qu’il est fort possible que j’en ai parlé autour de moi et que
je lui ai parlé, à lui, de ce document ». Et elle reconnaîtra formellement
Vincent NTEZIMANA sur photo. Même si la photo qu’on lui a présentée était plus
grande que les autres, peu importe.
Et elle ajoutera ceci : « Lorsqu’il est
venu rechercher l’ « Appel » dactylographié par mes soins, j’avais
eu une discussion avec lui sur le contenu du texte en question. Je lui avais
fait part de mes critiques à ce sujet. Je me souviens bien de cette personne
que vous identifiez comme étant Vincent NTEZIMANA. Lors de cette discussion… »,
et vous allez voir que c’est très très étonnant, « …j’avais été étonnée
de ses réponses à mes critiques. Il m’affirma en effet que le texte intitulé
les « Dix commandements » provenait des milieux Tutsi et qu’il avait
l’intention d’annexer le document, etc. Qu’il avait l’intention d’annexer ce
texte à un document principal tendant à démontrer que l’ethnie Tutsi manipulait
les Hutu ». C’est étonnant parce que ça vous rappelle certainement ce que
Maître Eric GILLET a développé devant vous : l’accusation en miroir. C’est
un argument vraiment étrange. D’ailleurs, c’est ce que Madame le témoin 50 avait immédiatement
pensé. J’avais trouvé ces explications incohérentes, au vu du libellé de l’ensemble
du travail. Réaction, je dirais, évidente, normale.
Madame le témoin 50 fait plus que se rappeler spontanément
du document qu’elle avait dactylographié, fait plus que se rappeler de la conversation
qu’elle avait eue avec Vincent NTEZIMANA, et de l’argument qu’il lui avait opposé.
Elle se rappelle également de Joseph Désiré et non seulement elle se rappelle
de Joseph Désiré mais elle se rappelle du lien et des marques de déférence que
NTEZIMANA avait par rapport à Joseph Désiré et il lui doit respect et déférence.
Et ça l’avait frappée : « Il était frappant de relever combien Vincent
NTEZIMANA manifestait des marques de déférence, sinon de soumission, à l’égard
de Joseph Désiré RUHIGIRA » qu’elle reconnaît également sur photo. « J’affirme
solennellement que Vincent NTEZIMANA est bien la personne qui m’a commandé la
dactylographie du document intitulé : Appel à la conscience des Bahutu ».
Ici, nous avons eu un doute sur le texte mais en tout cas, les « Dix commandements »,
elle était ici formelle, et je vous le rappelle, sous serment.
Madame le témoin 50 dit vrai. Pourquoi il est impossible
que ce soit un témoignage construit comme d’autres l’ont été devant vous ?
Elle se souvient du contenu, elle se souvient des discussions, elle se souvient
de RUHIGIRA et des relations avec NTEZIMANA et faisant cela elle se souvient
non pas de faits, mais d’un vécu. Elle se rappelle de ce qu’elle a ressenti,
de ce qu’elle a pensé, de ce qu’elle a constaté. Il est donc impossible que
ce témoignage ne corresponde pas à la réalité. Vincent NTEZIMANA a bien fait…
[Interruption d’enregistrement]
Me. HIRSCH :
…NDOBA et on va attaquer l’enquêteur. Durant l’instruction, Vincent NTEZIMANA
a refusé d’être entendu par cet enquêteur, pour des raisons qu’il allait expliquer,
qu’il n’a jamais expliquées, mais qui tiennent sûrement au complot et au FPR
qui influence les témoins contre lui.
L’attaque qui a été faite ici, à l’audience, contre
l’enquêteur et contre Gasana NDOBA était vraiment scandaleuse. Vous vous rappellerez
certainement du témoignage sous serment de Monsieur le témoin 144, qui a tout
simplement dit que le témoignage de Madame le témoin 50 était un faux, que l’officier
de police judiciaire - ou la BSR, je ne me rappelle plus - qui avait recueilli
ce témoignage avait obtenu d’elle qu’elle fasse un faux, parce que ce policier
avait été corrompu par Gasana NDOBA. Et comment avait-il été corrompu par Gasana
NDOBA ? Gasana NDOBA - je vous le dis tout de suite : c’est inexact,
c’est tout à fait faux ! - mais Gasana NDOBA aurait permis à cet enquêteur
d’adopter une petite fille survivante du génocide. Et c’est pour cela que cet
enquêteur aurait fait faire un faux témoignage à Madame le témoin 50. Vous apprécierez
le procédé. Nous avons été mandatés par Monsieur Gasana NDOBA pour déposer une
plainte contre Monsieur le témoin 144.
Monsieur NTEZIMANA dira plusieurs fois dans le dossier :
« Le FPR prépare bien ses témoins ». Et NTEZIMANA se considère comme
la proie du FPR, les témoins calomniés, Gasana NDOBA calomnié durant l’instruction
par Monsieur le témoin 144 à l’audience. Je voudrais dire ici que le professeur
KARENZI, lorsque l’ « Appel à la conscience » a été publié au
Rwanda, est parmi les seuls intellectuels à avoir dénoncé par une lettre ouverte,
adressée au président de la République, ce texte infâme : « Appel
au meurtre ». Et après cela, le professeur KARENZI a été littéralement
descendu dans le journal Kangura.
Parmi les exemples que je voulais citer du complot,
je voudrais parler brièvement du meurtre de la femme et du bébé de Victor NDUWUMWE.
La seule défense de Vincent NTEZIMANA à propos de ce meurtre - vous vous rappellerez
qu’il est accusé d’avoir amené les militaires à cette maison, et on a fait un
calcul : la deuxième maison à partir de telle partie de la rue, vous vous
rappelez certainement de cela, vous avez d’ailleurs vu une vidéo présentée par
le juge d’instruction à cet égard - Vincent NTEZIMANA est donc accusé d’avoir
amené les tueurs et d’avoir tué non pas Victor, pour cela quelqu’un d’autre
est en prison, mais d’avoir tué sa femme et son bébé de deux ans. Vous avez
dans le dossier la déclaration du témoin 91 dont le mari est en prison,
effectivement pour le meurtre de Victor, pas pour le meurtre de l’enfant et
de la femme, mais pour le meurtre de Victor. Et cette femme a fait une déclaration
non pas après l’arrestation de Vincent NTEZIMANA, non pas après en avoir entendu
parler - elle était au Rwanda, elle est toujours au Rwanda - elle a fait une
déclaration à un organisme de défense en date du 10 janvier 1995 - et je vous
rappelle que Vincent NTEZIMANA a été arrêté le 27 avril 1995 - et dans cette
déclaration, elle dit ceci à propos du meurtre de la famille de Victor :
« En même temps, ils ont tué son fils âgé de deux ans et la domestique ».
Ce civil, dont elle parle, qui a été désigné, qui se prénomme Vincent, nom de
famille non connu, était professeur à l’université.
Elle va confirmer cette déclaration par après, et
elle dira devant les enquêteurs belges alors - son mari c’est Jean-Baptiste
TWAGIRAMUNGU qui est détenu pour notamment le meurtre de Victor - elle dira
ceci : « J’ai fait état dans ma déclaration au commissariat du 10
janvier 95 d’un civil qui se prénommait Vincent et qui était professeur à l’université.
Ce Vincent, je le connais, il habitait dans le même quartier que nous à Buye ;
nos maisons étaient distantes d’environ 500 mètres. J’ai fait ma première année
d’université avec sa femme qui s’appelle Agnès, si je m’en souviens bien ».
Vous lui montrez une photo de Vincent NTEZIMANA et elle le reconnaîtra formellement.
Son mari a été interrogé après cela, parce que Vincent NTEZIMANA disait que
c’était un complot qui était monté contre lui, et il dira très simplement ceci :
« Vous me dites que NTEZIMANA vous a dit que je formulais des accusations
à son égard, parce que moi-même j’étais accusé du meurtre de Victor. Je dis
seulement ce que j’ai vu : je n’ai aucune raison d’en vouloir à NTEZIMANA
que je ne connaissais pas personnellement, sauf de vue. Je me dis aussi que
si j’avais voulu m’innocenter, j’aurais dû alors l’accuser. Si j’avais voulu
m’innocenter, j’aurais dû alors l’accuser directement du meurtre de Victor ».
NTEZIMANA dira qu’il ne connaît ni Bernadette, ni
son mari. Elle n’a pas dit qu’elle connaissait NTEZIMANA, Bernadette, elle a
dit qu’elle connaissait Agnès, son épouse. Et effectivement, Vincent NTEZIMANA,
détenu, va téléphoner à son épouse et lui demander s’ils se connaissaient. Et
elle va répondre qu’effectivement ils se connaissaient. Donc, cette femme Bernadette
n’a pas menti. Alors on va discuter probablement, la défense va discuter de
la manière dont cette femme et son bébé ont été tués. Et Monsieur le procureur
général vous a dit, finalement peu importe et finalement on ne le saura jamais,
l’important évidement n’est pas de savoir la manière ; j’espère qu’elle
a été la plus douce possible, on a parlé de coups de feu, et vous savez qu’il
y a des gens qui ont payé pour être tués par balles plutôt que d’être découpés
en morceaux. Peu importe. L’important, c’est que c’est bien Vincent NTEZIMANA
qui a désigné cette maison pour que les tueurs exécutent, assassinent cette
femme et son bébé.
Le complot. Je vais aborder un dernier point, et
puis j’interromprai, Monsieur le président, si vous le permettez. J’ai envie
de dire à Vincent NTEZIMANA : « Pour qui vous prenez-vous ? ».
« Le cartel de mes détracteurs est composite ». Faire appel à des
faux témoins : pour qui vous prenez-vous ? Vous croyez vraiment que
les survivants, les familles des victimes n’ont rien d’autre à faire que de
monter un dossier contre vous parce que vous avez critiqué le FPR ? Croyez
vous être le seul à avoir critiqué le FPR ? Vous croyez vraiment que c’est
suffisant ? Monsieur Vincent NTEZIMANA, je pense que vous savez parfaitement
pourquoi vous êtes ici.
Si vous le permettez, Monsieur le président, je
souhaiterais interrompre.
Le Président :
…Bien, vous en avez encore pour combien de temps ?
Me. HIRSCH :
A vrai dire, je ne sais pas.
Le Président :
Et Maître GILLET, vous en avez pour combien de temps ?
Me. GILLET :
Je dois en avoir pour pas plus d’une heure et demie, Monsieur le président.
Ça, je suis certain.
Le Président :
Bien, alors nous allons interrompre pendant une heure. C’est-à-dire le temps
de prendre le repas. Une heure et demie et vous en avez pour plus d’une heure
et demie encore ? Oui et bien alors, on reprendra à 13 h 30.
[Suspension d’audience]
Le Président :
L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre
place. Maître HIRSCH, je vous restitue la parole pour la suite.
Me. HIRSCH :
Merci, Monsieur le président. Je vous parlais du soi-disant complot composite
exercé contre Vincent NTEZIMANA, et pour clore cet aspect de mon intervention,
je voulais vous parler des témoins morts et de Jean-Bosco SEMINEGA. Nous avons
assisté, Mesdames et Messieurs du jury, à quelque chose d’assez extraordinaire
à l’audience, lors de l’interrogatoire sur les faits de Monsieur Vincent NTEZIMANA.
Monsieur Vincent NTEZIMANA a dit pour la première fois en 7 ans où il était,
et de qui il a appris la mort du professeur KARENZI. Il ne l’avait jamais dit
avant. A l’audience et pour la première fois, il nous a dit qu’il avait appris
la mort du professeur KARENZI quand il se trouvait chez son voisin Jean-Bosco
le témoin 150, durant la première moitié de la journée ; il y jouait aux cartes.
Et nous avons appris également à l’audience, et pour la première fois, que durant
la deuxième partie de la journée, il se trouvait chez le capitaine NIZEYIMANA ;
également, il y jouait aux cartes.
Le témoignage de Monsieur Jean-Bosco SEMINEGA qui
figure au dossier, et dont le juge d’instruction nous a parlé, a été invoqué
pour la première fois par Madame le témoin 143, je vous l’ai dit tout à l’heure.
Avant l’arrestation de Monsieur NTEZIMANA, le 27 avril, elle a annexé une déclaration,
en date du 5 février 1995, de laquelle il résulte que le témoin Jean-Bosco SEMINEGA
est véritablement le témoin à décharge pour Vincent NTEZIMANA. Curieusement,
alors que cette pièce figure au dossier, lorsque Vincent NTEZIMANA sera arrêté
le 27 avril, il ne fera pas état de ce témoignage. Jean Bosco le témoin 150 est vivant,
bien entendu, et peut être entendu. Madame le témoin 143 non plus ; elle sera
entendue à deux reprises, notamment le 4 mai 95 et également en septembre 95 ;
elle ne fera non plus état de ce témoignage à décharge qui est tellement extraordinaire
qu’il innocente Monsieur NTEZIMANA - c’est du moins ce que Monsieur le témoin 144
est venu dire devant la Cour - elle n’en fera pas état non plus. Et, curieusement,
la défense de Monsieur NTEZIMANA ne mettra pas tout en œuvre pour que ce témoin
tellement essentiel soit entendu en commission rogatoire.
En fait, le témoignage de Jean Bosco le témoin 150 n’est
vraiment pas bon pour Monsieur NTEZIMANA. Ce témoin qui innocente Vincent NTEZIMANA,
d’après Monsieur le témoin 144, on est loin du compte ; il l’innocente pas
tellement : il est interrogé le 20 octobre 1995, et il décrira Vincent
NTEZIMANA comme un extrémiste qui recevait régulièrement la visite du capitaine
NIZEYIMANA, et il cite également la participation d’Innocent - dont on a parlé
déjà - au massacre de la famille KARENZI. Il dit qu’Innocent aurait voulu piller
le domicile des KARENZI, et qu’apparemment sur ce point Vincent NTEZIMANA s’y
serait opposé.
Il rapporte également la rumeur qu’une femme aurait été tuée chez
NTEZIMANA. Il dit que Vincent participait au Comité de sécurité de Buye, que
le chef de la sécurité était le témoin 93, ami de Vincent, et il dit
surtout ceci, et je vous l’ai rapporté tout à l’heure : « La seule
et unique fois où Vincent NTEZIMANA s’est présenté chez Madame le témoin 143, et
donc chez Jean-Bosco SEMINEGA, c’était pour voir s’il n’y avait pas des Tutsi
qui s’y cachaient ». Il affirme clairement ceci : « C’est la
seule et unique fois où Vincent s’est présenté chez moi depuis le 19 avril ».
Il est donc faux de dire que Vincent NTEZIMANA se trouvait le 21 dans la matinée
ou en début d’après midi chez Jean-Bosco SEMINEGA. Il est également faux de
dire que c’est Jean-Bosco SEMINEGA qui appris la mort du professeur KARENZI
à Vincent NTEZIMANA.
Il y a les témoins qui sont morts, il y a les témoins
qu’on ne veut pas entendre. Je pense par exemple à François BANYERETSE. Figure
au dossier une déclaration de Vincent NTEZIMANA qui dit qu’il correspond avec
ce Monsieur qui était sur les barrières, et qui est sans doute responsable de
la mort de beaucoup de monde. Malheureusement, il n’a pas produit cette lette.
C’est une déclaration du 24 mai de Vincent NTEZIMANA. Et les bons témoins, ils
sont en prison : je pense par exemple à le témoin 93.
Mesdames et Messieurs du jury, je pense que seul
Vincent NTEZIMANA sait pourquoi il était tellement important pour lui de mentir
sur son emploi du temps le 21 avril. Vous avez le témoignage anonyme qui dit
qu’il a désigné du doigt la maison du professeur KARENZI. D’aucuns disent peut-être
qu’il a participé au spectacle, puisque vous savez que le corps du professeur
KARENZI, après avoir été torturé, a été exhibé devant l’hôtel Faucon, et que
se trouvait là le vice-recteur, le préfet, le nouveau préfet, le témoin 93
était passé par-là également. Etait-il à l’université, puisque vous savez que
ce jour-là, a commencé le massacre des étudiants, ou bien peut-être simplement
en train de taper la carte chez le capitaine ou même chez lui ? En fait,
on s’en fiche.
La seule chose qu’on peut retenir, c’est que c’était
tellement compromettant pour lui de dire où il était ce jour-là qu’il a été
jusqu’à dire devant cette Cour, et pour la première fois, qu’il avait passé
l’après-midi chez le capitaine NIZEYIMANA.
Comment orchestrer le déclenchement du génocide
à Butare entre le 6 avril et le 20 avril ? Mesdames et Messieurs du jury,
je pense que Vincent NTEZIMANA, le capitaine NIZEYIMANA et probablement d’autres
- par exemple le vice-recteur - se sont trouvés le 7 avril dans une situation
difficile. Comment déclencher le génocide à Butare ? On sait qu’il a été
déclenché immédiatement à Kigali, mais comment le déclencher ? Ça n’est
pas évident : il y avait un préfet qui était un préfet Tutsi, c’est une
ville d'intellectuels avec des universitaires. Beaucoup plus de Tutsi donc,
une très très grosse minorité Tutsi par rapport au reste du pays. Un problème
avec les armes par exemple. Vous savez que le préfet avait confisqué des machettes ;
il y en avait d’autres probablement. Il y avait un entraînement, notamment à
la SORWAL - et on en reparlera tout à l’heure - mais on manquait de troupes,
on manquait de miliciens, on manquait d’Interahamwe à Butare. Il fallait organiser
les choses pour réaliser et provoquer le génocide à Butare.
Et je pense qu’à la lecture du dossier, et après
avoir suivi de très près l’ensemble de ces témoignages, les choses se sont passées
en trois temps. Le travail notamment de Vincent NTEZIMANA - et nous savons par
le dossier qu’il a durant une semaine qui ont précédé les massacres, travaillé
avec notamment le capitaine NIZEYIMANA, nous le savons notamment par Colette
BRAECKMAN - en trois temps. D’abord, rassurer les Tutsi, et éviter les fuites :
qu’ils ne partent pas. Deuxièmement, préparer le terrain d’un point de vue psychologique
aussi. Et troisièmement, organiser les massacres.
Pour rassurer et éviter les fuites, trois moyens.
L’organisation des rondes et les communications téléphoniques entre voisins.
Deuxièmement, un système téléphonique : le télé-accueil. Et troisièmement,
les listes d’évacuation. Vous vous rappellerez, Mesdames et Messieurs du jury,
et je commence par mon premier point, rassurer et éviter les fuites des ennemis
de l’intérieur, les Tutsi. Vous vous rappellerez que jusqu'au 19 avril, la fuite,
le 18-19, la fuite était possible vers le Burundi. Vous vous rappellerez le
témoignage de Colette BRAECKMAN, qui est passée par Butare. Et la question de
la fuite a été envisagée par beaucoup de gens durant cette période, notamment
par le professeur KARENZI qui a voulu rester - et j’y reviendrai - à Butare.
Contrairement à ce que Vincent NTEZIMANA dit, il n’y avait pas d’attaque du
FPR du côté du Burundi, il n’en a jamais été question ; c’est le professeur
GUICHAOUA qui vous l’a confirmé formellement ici. Vous vous rappellerez également
les témoignages de Longin et du témoin 142 qui font état de discussions entre NTEZIMANA
et Aster concernant la fuite des Tutsi qui avaient échappé aux massacres. La
première chose donc dans cette ville est d’éviter que les Tutsi ne partent,
il faut qu’ils restent, n’est-ce pas ?
Et le premier moyen de les faire rester, c’est les
rondes et les échanges téléphoniques. Il y a différents témoignages à cet égard
dans le dossier. Mais il y en a un par exemple, qui est celui du témoin 150,
entendu ici - Tharcisse et pas Jean-Bosco, le témoin 150 - qui se rappelle
par exemple que le professeur KARENZI et Vincent NTEZIMANA essayaient de se
parler pendant cette période-là, et notamment, un soir, le professeur KARENZI
a essayé d’atteindre Vincent NTEZIMANA. Il a essayé pendant toute la nuit et
il n’y a pas réussi. Ce qui me fait penser d’ailleurs qu’il ne dormait pas chez
lui la plupart du temps, et qu’il était chez le capitaine NIZEYIMANA.
D’abord donc les rondes entre voisins. Et les échanges
téléphoniques, pour se rassurer, pour s’il y avait un problème. Deuxièmement :
télé- accueil. C’est une chose extraordinaire n’est-ce pas ? Vincent NTEZIMANA,
dans sa première déclaration devant le juge d’instruction, le 27 avril 1994,
va faire état de ce procédé, qui a été utilisé manifestement pour éviter la
fuite des professeurs, qui était de les rassurer en leur disant qu’ils pouvaient
téléphoner à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. A qui ? Au capitaine
NIZEYIMANA. Et c’est Vincent NTEZIMANA qui le dit : « Je lui ai demandé
- dit-il - au capitaine NIZEYIMANA ce qu’il faisait par rapport à l’armée, etc.
Il m’a dit que les militaires étaient partis au front et débordés. Mais qu’ils
avaient mis sur pied une unité chargée de répondre aux appels téléphoniques
des gens et - c’est lui qui le dit - éventuellement de les secourir ».
C’est extraordinaire, que le capitaine NIZEYIMANA,
pour éviter, avec Vincent NTEZIMANA, que le professeur KARENZI et tous les autres
professeurs qui ont été assassinés ne fuient, puisque c’était encore possible.
Ils leur ont dit simplement qu’ils étaient sous la protection des militaires.
Et d’ailleurs au dossier figure le témoignage du recteur le témoin, le nouveau
recteur que vous avez entendu ici, et qui dit qu’il a téléphoné avant sa mort
au professeur KARENZI et que le professeur KARENZI allait demander la protection
des militaires. Les rondes, le système téléphonique entre voisins, le télé-accueil
organisé par le capitaine NIZEYIMANA avec Vincent NTEZIMANA et les listes d’évacuation.
Les listes d’évacuation. Je pense que ces listes
avaient un double but ; d’une part, celui de rassurer, et dire aux Tutsi
qui avaient peur que l’université allait les prendre en charge, qu’on allait
mettre à leur disposition des véhicules pour qu’ils puissent quitter, qu’ils
puissent partir vers la destination de leur choix, le Burundi ; et d’autre
part - et là je rejoins Monsieur l’avocat général - c’était un piège aussi parce
que les listes dont l’université disposait n’étaient pas à jour sur les Tutsi.
Il y avait de nombreux réfugiés qui arrivaient à Butare, et on ne savait pas,
on ne les avait pas répertoriés ces réfugiés. Et puis il y avait les enfants
aussi, et on ne les avait pas répertoriés. S’inscrire sur ces listes, en inscrivant
tous les occupants de la maisonnée, tous les enfants, avec leur numéro de carte
d’identité, était permettre également de les assassiner. But double donc :
à la fois rassurer, et empêcher les Tutsi de partir, et en même temps, un double
profit, répertorier les Tutsi et leurs enfants, les réfugiés nouvellement arrivés
à Butare, de manière à pouvoir les exterminer jusqu’au dernier.
Qui a fait ces listes ? Le président de l’APARU ?
Vincent NTEZIMANA, responsable du personnel ? BANYERETSE et le témoin 93,
actuellement détenus ? Quand a-t-il fait ces listes ? Le 12 avril,
soit à un moment où la fuite était encore possible, vers le Burundi en tout
cas. Et je vous rappelle que c’est également le 12 avril que ces enfants partent
vers Gisenyi avec Aster.
Vincent NTEZIMANA a cette phrase extraordinaire :
« Si ma volonté avait été de leur nuire, je l’aurais fait discrètement
et je n’aurais pas demandé qu’ils me communiquent leur nom ». Je ne pense
pas. Je pense vraiment que ces listes ont été faites essentiellement pour rassurer
les gens. Et c’est le but tout à fait pervers de cette opération réalisée par
Vincent NTEZIMANA. Vous avez Madame le témoin 143 qui déclarera d’ailleurs que
c’était normal que les Tutsi aient envie de quitter Butare : « C’est
normal qu’ils voulaient quitter un endroit - dit-elle - où ils étaient étrangers ».
Et vous avez également la réaction du témoin 150, parce que le professeur
KARENZI, qui s’était inscrit sur ces listes, avait également proposé d’inscrire
le témoin 150. Et il avait pris contact avec Vincent NTEZIMANA qui n’était
pas là, et donc il avait été chez BANYERETSE qui avait éclaté de rire, en lui
disant que jamais un moyen de transport ne serait mis à sa disposition, que
c’était vraiment ridicule d’imaginer cela, et il ne s’est pas inscrit sur la
liste. Il était là pour témoigner devant vous.
Vous avez eu la question d’un juré vous, Madame
je pense. Vous avez posé la question de savoir, est-ce qu’il y avait des listes
qui ont permis de sauver des gens ? Et la réponse a été que « Non,
il n’a pas eu de listes qui ont permis de sauver des gens ». C’était une
opération extraordinaire, n’est-ce pas ? Vincent NTEZIMANA, quand il est
interrogé à propos de ces listes, il va dire qu’il y avait 50 à 70 familles,
mais une toute grosse majorité de familles Hutu. Et très peu de Tutsi. D’ailleurs,
il dira il n’y a qu’une seule famille Tutsi qui a été tuée, c’est la famille
du professeur KARENZI, et un célibataire.
Et pourquoi cette opération n’a pas fonctionné,
d’après Vincent NTEZIMANA ? Il a donc remis cette liste au domicile privé
du vice-recteur. Pourquoi le domicile privé ? Il faut savoir que la femme
du professeur KARENZI était secrétaire du vice-recteur, impliqué dans les massacres.
Il faut savoir aussi que le professeur KARENZI, à ce moment-là, avait demandé,
quelques mois avant, avait demandé à bénéficier d’une année sabbatique et de
partir avec sa femme à l’étranger pour des études complémentaires. Et l’autorisation
de libérer sa femme n’était jamais venue du vice-recteur ; donc, le 7 avril,
elle était toujours là.
L’explication que va donner le vice-recteur est
extraordinaire, d’après Vincent NTEZIMANA. Il y a donc une toute grosse majorité
de Hutu qui figurent sur cette liste. Nous savons par Vincent NTEZIMANA que
les Hutu circulent parfaitement librement dès lors qu’ils ont des papiers dans
le pays et il a - je vous rappelle - qu’il a confié ses enfants à un Hutu qui
n’avait pas de papiers d’identité. Et la raison pour laquelle on ne va pas procéder
à cette évacuation, elle est donnée par le vice-recteur : c’est qu’il y
avait énormément de Hutu sur la liste, que les Hutu ne risquaient pas grand-chose,
mais que par contre les Tutsi minoritaires risquaient leur vie en figurant sur
cette liste et en arrivant aux barrières, et que donc, dans la mesure où les
Tutsi avaient le risque d’être tués, on n’allait pas évacuer cette toute grosse
majorité de Hutu. Donc, on ne sauve pas les Hutu majoritaires sur la liste,
car les Tutsi qui y sont minoritaires risquent beaucoup plus d’être tués que
les Hutu.
C’est extraordinaire d’imaginer ce raisonnement,
quand on sait que celui qui l’a fait est Hutu. Imaginez maintenant qu’il y a
50, 60 familles de Hutu qui veulent quitter Butare ; au nom des quelques
familles de Tutsi qui figurent sur cette liste, on ne va pas leur permettre
de fuir, parce que les Tutsi risqueraient d’être tués ? C’est évidemment
une argumentation qui est ridicule, et qui touche - qui toucherait si elle était
vraie - à la bêtise et à l’abnégation. La première chose donc était de rassurer ;
la deuxième chose, préparer le terrain. On a besoin d’hommes, et il y a des
hommes qui vont arriver, des hommes du Nord, des armes aussi. Il faut aussi
organiser les massacres, et pour cela il va falloir mettre à jour les vraies
listes d’extermination, avec les réfugiés nouvellement arrivés et les enfants,
les listes des étudiants, les listes des professeurs, les listes du personnel
soignant à l’hôpital, etc. etc. Il faut que tout soit prêt le 21, et le 22,
les tueurs seront là avec des listes. Il faut qu’on sache où on va mettre les
barrières, il faut qu’on puisse cocher les noms, et chaque fois les tueurs arrivaient
chez le capitaine NIZEYIMANA en remettant les cartes d’identité des morts, et
sa femme et lui rayaient sur les listes les personnes qui avaient été tuées.
Le capitaine NIZEYIMANA va mener les massacres.
Au niveau militaire, le capitaine NIZEYIMANA a supplanté même ses propres supérieurs :
c’est lui le véritable chef des massacres à Butare. Vincent NTEZIMANA et le
capitaine - la paire - va participer activement au déclenchement du génocide.
Comment déclencher le génocide à Butare ? Et là je pense qu’il a vraiment
joué un tout grand rôle ; Innocent dira dans le dossier que c’est Vincent
NTEZIMANA qui désignait au capitaine les personnes à tuer puisqu’il les connaît.
Je pense que la manière dont le génocide s’est déclenché à Butare a été vraiment
pensée, par le choix des victimes et par la mise en scène qui en a été faite.
Le choix, c’est d’abord l’assassinat de la reine
Tutsi. C’est une vieille dame de 81 ans, une veuve qui vivait en paix depuis
des années, que personne n’aurait osé toucher. Et c’est le capitaine NIZEYIMANA
qui va organiser son massacre et celui de sa famille. Ça va évidemment frapper
tous les esprits - ce meurtre a lieu le 20 avril - évidemment c’est la panique.
Le professeur KARENZI à ce moment-là, il va essayer de provoquer une réunion
pour - il se rend compte de ce qui se passe - il va essayer d’évacuer les enfants
vers le Burundi et à ce moment-là c’est trop tard, c’est impossible.
Le deuxième choix est justement celui de tuer le
professeur KARENZI. C’est un choix symbolique, parce que qui était le professeur
KARENZI ? Le professeur KARENZI était un Tutsi, répertorié et considéré
comme tel. Il était le premier docteur en physique, il est considéré comme un
intellectuel, un universitaire de tout haut niveau. C’était un des plus anciens,
un des plus respectés de toute la communauté universitaire. Reconnu internationalement.
Il était membre, le seul membre Tutsi du MRND. Et à cet égard, on raconte une
anecdote. C’est à l’occasion d’une visite du président le témoin 32 à l’université
de Butare ; il avait organisé, il y avait un meeting organisé, différentes
personnalités devant prendre la parole. Et puis le président avait fait la visite
de l’université, notamment des laboratoires, et il était tombé sur quelqu’un
qui était seul au laboratoire en train de travailler. Et c’était le professeur
KARENZI. Et à la suite de cela, on raconte que revenu à Kigali il avait dit :
« C’est cet homme-là qu’il me faut comme membre du Comité central du MRND ».
Il était évidemment otage, mais il est resté pendant de nombreuses années, jusqu’en
1990.
C’est un homme qui avait créé une école à Butare ;
il n’avait pas profité de sa situation parce que, comme membre du Comité central
du MRND, il avait voiture de fonction, il avait le moyen d’influer je dirais
sur les décisions prises en ce qui concernant sa famille. Par exemple, deux
de ses enfants avaient été refusés à l’école parce que Tutsi. Et il avait alors
créé une école, plutôt que d’essayer de les faire inscrire, je dirais :
« Par pression ». Il avait créé une coopérative aussi, et c’était
quelqu’un qui était respecté, qui était aimé. C’était, il avait une voiture
de fonction et quand il arrivait à Butare il la laissait là, et il prenait son
vélo. Il allait au cours, donner cours en vélo, il se baladait à Butare et on
l’appelait le professeur-cycliste. C’était aussi un acharné de football, et
il était aussi le professeur-footballeur. Il avait été entraîneur et c’était
un homme, je pense, assez extraordinaire, reconnu et respecté de tous, et pas
du tout le Tutsi assoiffé de pouvoir comme les accusés essaient de décrire les
Tutsi.
Je vous l’ai dit, il a participé à la dénonciation
de l’ « Appel à la conscience des Bahutu » en 1990, et il a été
vilipendé pour cela.
Le choix du professeur KARENZI - j’oublie de dire qu’il était, que
la reine dont je viens de parler était la marraine d’un de ses enfants - le
choix du professeur KARENZI est évidemment un choix extrêmement symbolique :
en le tuant en premier lieu, en le désignant en premier lieu, et la manière
dont il a été tué, c’était un signal fort que tout était possible, que tout
était possible, et qu’après lui tous pouvaient être tués. Il n’a pas été tué
n’importe comment ; la plupart des professeurs, la plupart des gens ont
été tués, dans le début du moins, chez eux. Ici, ça ne s’est pas passé comme
çà. Les gardes présidentiels envoyés par NTEZIMANA et NIZEYIMANA sont arrivés
chez le professeur KARENZI et ils l’ont pris. Ils l’ont pris, ils ne l’ont pas
tué sur place parce que le signal aurait été moins fort. Ils l’ont pris, ils
l’ont amené devant l’hôtel Faucon, où toute la population était là, des génocidaires.
Il y avait le vice-recteur - je vous l’ai dit - il y avait le préfet, et il
a été torturé devant tous et son corps a été exhibé pendant trois jours. Ça
a été le signal du déclenchement du génocide à Butare : la mort de la reine,
l’assassinat de KARENZI, et après cela le massacre des professeurs à Buye a
commencé. Innocent le dit très clairement, les victimes étaient désignées par
Vincent NTEZIMANA et l’exécution avait lieu, ordonnée par des militaires ou
par des gardes présidentiels, sous la direction du capitaine NIZEYIMANA.
Je vais vous citer un exemple, c’est celui du recteur
le témoin qui est venu ici. Je ne sais pas si vous vous souvenez. Le recteur le témoin
qui dit que tout le monde à Butare savait que c’était le capitaine NIZEYIMANA
qui dirigeait les massacres. Il a raconté ce qui lui était arrivé : il
était sur la liste, et Innocent, dans sa déclaration, dira que des militaires
avaient été envoyés pour tuer le recteur le témoin et sa famille, et puis qu’ils
étaient revenus. Il le dit dans la vidéo également. Et pourquoi étaient-ils
revenus ? Parce qu’il y avait eu des coups de feu qui étaient venus du
domicile du recteur le témoin, et que donc peut-être il s’était défendu, peut-être
- on ne sait pas, on ne connaît pas bien l’explication - mais qu’il avait eu
la vie sauve parce qu’il était défendu par peut-être des miliaires ou d’autres,
et que c’est pour ça que finalement il n’avait pas été tué.
Et quand vous entendez le recteur le témoin, qui a
vécu évidemment les choses mais de l’autre côté, il dit aussi qu’il y avait
une série de militaires qui sont venus et qui encerclaient sa maison. Il dit
d’ailleurs qu’il a cru voir Vincent NTEZIMANA à cette occasion, et que les militaires
encerclaient sa maison et qu’il y a eu à ce moment-là des coups de feu. Il ne
sait pas d’où ils venaient, et que les militaires ont cru que ces coups de feu
venaient de chez lui. Exactement ce que Innocent nous a rapporté. Mais finalement
le recteur le témoin nous explique pourquoi il a été sauvé, et ça, ça tient à
l’homme je dirais : celui qui dirigeait les militaires et qui était chargé
du tuer, lui a demandé de quelle région il venait, et ils étaient exactement
de la même colline. Et c’est pour ça que lui, sa femme et les enfants qui étaient
chez lui, ont été épargnés.
Il y a eu le massacre de la famille de Gaétan, le
massacre d’une série de professeurs, le massacre des étudiants. Vous vous rappelez
comment les choses se sont passées : les étudiants qui ont été mis, rangés,
Hutu, Tutsi, ceux qui circulaient avec les listes. Ceux qui ne s’y retrouvaient
pas sur les listes, on a été les chercher jusque dans les chambres, même dans
les chambres des amis : on savait qui était ami de qui, et les étudiants
ont été sortis de leur chambre. Et par groupes de 10 ou 15, on les a emmenés
et on les a exécutés en série.
Dans le dossier, pas un mot, pas une fois Vincent
NTEZIMANA en parle. Des centaines d’étudiants ont été exterminés, le même jour,
21-22 avril. Il n’en a pas dit un mot, pas un. Le massacre à l’hôpital - professeur
ZACHARIA vous en a parlé, nous en a parlé - c’était terrible ce qu’il a raconté.
Vous vous rappellerez, ces massacres ont été faits et ordonnés par le capitaine
NIZEYIMANA également. Vous vous rappellerez, il a parlé de l’exécution de toutes
ces infirmières qui figuraient sur les listes, et il a raconté comme tout d’un
coup, il est intervenu, il s’est interposé et il a dit : « Mais Sabine,
c’était une infirmière qui était enceinte, c’est pas une Tutsi, elle est Hutu,
je le sais, vous pouvez pas la tuer ». Et à ce moment- là l’Interahamwe,
le militaire a regardé sur sa liste et il a dit : « Oui, vous avez
raison, c’est une Hutu. C’est tout à fait juste, et son mari est Tutsi et ce
qu’elle a dans son ventre, aussi » et elle a été tuée.
Début mai, j’ai appelé cette période la période
des bavures. La période des bavures, c’est le meurtre du jeune homme et c’est
le meurtre des deux jeunes filles. La défense de Vincent NTEZIMANA va essayer
de vous démontrer que les déclarations d’Innocent sont contradictoires - et
c’est peut-être vrai parfois. Il faut dire que durant l’enquête, on n’avait
pas Innocent dans le dossier ; il a été arrêté deux ou trois semaines avant
le début du procès et on avait parfaitement fait avec - fait sans pardon, puisque
Vincent NTEZIMANA était renvoyé devant la Cour d’assises sans avoir ce témoignage
- mais c’est vrai que le témoignage d’Innocent - vous avez vu la vidéo - son
témoignage est au dossier, vous avez entendu le substitut qui l’a interrogé,
était une très très mauvaise surprise pour Vincent NTEZIMANA. Il n’apporte pas
des éléments nouveaux, mais il confirme ce qu’on savait, et ce qu’on savait
c’est l’organisation-même entre Vincent NTEZIMANA, le capitaine NIZEYIMANA,
la réunion avec HIGANIRO du 6 avril, qu’on savait que c’est eux qui ont organisé,
désigné et exécuté les massacres.
Je voudrais dire, Mesdames et Messieurs du jury,
il y a toujours des déclarations qui sont contradictoires chez un témoin, chez
une victime aussi d’ailleurs. A cet égard, c’est pour ça que pour les victimes
d’abus sexuels par exemple, on procède immédiatement, dès la révélation, à des
cassettes vidéos pour enregistrer les premières déclarations. Donc, même chez
les victimes il y a des déclarations qui sont parfois contradictoires, mais
pas sur l’essentiel.
A propos de contradictions, on peut relever que
chez NTEZIMANA, il y en a pas mal dans le dossier. Je ne vais pas vous en faire
l’exégèse ou la lecture, mais c’est tout à fait normal. Si c’est normal, les
contradictions chez un témoin, chez une victime, c’est aussi normal chez un
coupable. Et Innocent, il est aussi coupable, et il n’a pas envie, alors qu’il
n’est pas encore jugé, de se mettre non plus particulièrement en avant. Pas
plus d’ailleurs que Vincent NTEZIMANA. Innocent, c’était l’exécuteur, l’homme
à tout faire. Il le dira lui-même. Il tue et il vole, il pille. Par exemple,
il vole une voiture avec le témoin 40 - dans le dossier, qui travaille à la SORWAL-
pour la vendre. Il pille, il va chercher une belle armoire parce que le capitaine
NIZEYIMANA lui a demandé. Même dans le dossier on dit à un moment qu’il a été
prendre le frigo chez les KARENZI et qu’il l’a amené chez Vincent NTEZIMANA.
Le meurtre du jeune homme sur la barrière. Vincent
NTEZIMANA, non pas le 27 avril quand il est arrêté, mais au bout de sa cinquième
ou sixième audition, dira lui-même qu’il a vu, sous les yeux de Longin et le témoin 142,
assassiner un jeune homme sous ses yeux. Vous vous rappellerez certainement
ce qu’il nous a dit à l’audience - dans le dossier - il dit : « Nous
l’avons vu tuer sous nos yeux ». A l’audience, il n’avait rien vu parce
qu’il faisait trop noir ! Vous vous rappelez qu’on avait discuté l’emploi
de torches, de lampes, etc… il faisait trop noir !
Nous avons une déclaration au dossier du témoin 142
- et je ne vais pas évidement vous la redire - mais qui corrobore totalement
la déclaration qu’Innocent fera à cet égard. Ils passent donc, ils reviennent
de chez le capitaine NIZEYIMANA. Ils sont quatre, il y a Vincent NTEZIMANA,
il y a le témoin 142, il y a Longin et il y a Innocent. Et quand ils passent près d’une
barrière, il y a un jeune home qui est là, qui est molesté par les Interahamwe
qui se trouvent sur la barrière, et Vincent se précipite et demande qu’on le
déshabille, et à ce moment-là on va constater qu’il a deux pantalons les uns
sur les autres, et pour lui, pour eux, c’est apparemment la preuve absolue qu’il
s’agit d’un Tutsi qui essaie de fuir. Et Vincent NTEZIMANA va ordonner, tout
en y mettant la main à la pâte lui-même, que l’on tue ce jeune homme. Il va
être tué à coups de crosse. Et Vincent NTEZIMANA ,à l’audience - je ne sais
pas si vous l’avez entendu, alors qu’il ne l’avait jamais dit dans le dossier,
à un moment cela lui a échappé - et il a dit : « Il a été tué à coups
de crosse ». Vincent va lui donner des coups et Innocent va l’achever.
Et vous avez eu la confirmation de cela à l’audience par quelqu’un qui était
là, qui est Longin. Et puis, il va procéder, comme il dit, à l’évacuation du
corps.
Le meurtre de la jeune fille. D’après Vincent NTEZIMANA,
il sait - il en a parlé spontanément - c’est faux. Quand vous voyez le dossier,
il y a d’abord la déclaration anonyme dont on a parlé tout à l’heure. Les gardiens
des maisons Zamu du quartier ont dit qu’il aurait, Vincent, participé à l’assassinat
d’une servante. En fait, Vincent n’en parlera pas spontanément, la première
déclaration qu’il fait, interrogé là-dessus, c’est ceci : il fera croire
que la servante dont on parle ici n’est pas la jeune fille Hutu qui va être
assassinée, mais que c’est Caritas dont on parle. Il dira ceci : « J’ai
eu vent d’une rumeur selon laquelle j’aurais égorgé ma propre domestique, prénommée
Caritas ; il n’en est rien, bien entendu ». C’est pas de Caritas dont
on parlait - elle est probablement vivante, encore que j’aurais également
souhaité l’entendre - mais c’est de la jeune fille dont Innocent a parlé et
qu’il a assassinée à la demande du capitaine NIZEYIMANA et de Vincent NTEZIMANA.
Pourquoi en parle t-il alors ? Parce qu’il
en parlera. Il en parle parce qu’à Butare tout le monde sait cela. Et qu’il
y a une commission rogatoire avec le juge d’instruction qui est à Butare. Il
en parle peut-être aussi parce que Madame le témoin 143 revient de Butare et qu’elle
a dû en entendre parler également. Il fait donc spontanément, soi-disant, une
déclaration suivant laquelle il a assisté au meurtre par Innocent de cette jeune
fille, dans son jardin. Et c’est extraordinaire, parce que c’est à cette occasion-là
qu’il va voir le vrai visage d’Innocent. C’est une révélation. Il découvre le
15 mai - ça fait un mois que les massacres se passent - il découvre le 15 mai
le vrai visage d’Innocent . Innocent qui est chez lui depuis avant le début
des massacres. Et il va vous dire ici à l’audience avec de l’émotion, avec des
larmes, qu’il n’a pas pu réagir, qu’il a été effrayé par Innocent, qu’il devait
sauver Caritas : « C’est dur, Monsieur le président, de faire le petit
devant un plus petit que soi », a-t-il dit. Cela a dû lui coûter cher évidemment
au niveau de son ego, cette version tarabiscotée. Et il s’effondre en larmes :
« J’ai échoué », a-t-il dit en pleurant parce qu’il n’est pas intervenu
pour sauver cette jeune fille. Et que fait-il avec le corps ? Comme d’habitude,
on a évacué le corps, on a évacué le corps avec la voiture du frère de Longin,
l’Interahamwe dont j’ai parlé tout à l’heure. Traduisez : on a été jeter
le corps comme un détritus dans une fosse commune.
Mais pourquoi cet assassinat ? C’est vrai qu’on
peut se demander ; il s’agit d’une jeune fille Hutu, et Innocent va en
donner une version - je ne sais pas si elle est bonne. Il dit qu’en fait, ces
servantes, il y en a deux, parlaient trop, et qu’elles avaient révélé le secret.
Et pour Innocent, qu’est-ce que c’est le secret ? Le secret, c’est pas
de tuer, c’est de piller. Et effectivement, on peut se dire que peut-être Vincent
NTEZIMANA n’avait pas envie que ça se sache ; que non seulement, il faisait
exécuter les gens mais en plus qu’il les volait - et je vous rappelle que le
capitaine NIZEYIMANA a fait une fortune sur le génocide : il avait l’or
pillé dans les monastères.
Dans son livre, Vincent NTEZIMANA va donner une
autre version - elle vaut ce qu’elle vaut bien entendu. Il dira que Innocent
était finalement attaché à cette jeune fille, et qu’on peut concevoir cet assassinat
comme un crime passionnel. Voilà. Une autre raison pourrait être aussi que cette
servante, ces servantes avaient participé ou avaient entendu des réunions avec
des gens du Nord ; c’est Bernadette qui fait état de cela. Des réunions
au cours desquelles on a peut-être parlé autrement des massacres ou des pillages,
mais qu’on aurait parlé de projets d’importation d’armes - de je ne sais quoi
- mais que le secret qu’elles ne devaient pas révéler touchait peut-être à la
stratégie du génocide - je n’en sais rien. Le fait est que c’est Vincent NTEZIMANA
qui a organisé et ordonné l’exécution de ces deux jeunes filles.
Le meurtre de la famille KARENZI. Je vous l’ai dit,
le choix du professeur KARENZI était délibéré. C’est par ce choix, par sa mort,
que les massacres ont pu commencer à Butare. Sa mort a été un choc, une décharge
qui a permis l’extermination de milliers de personnes. Vous avez dans le dossier
le témoignage anonyme qui désigne donc NTEZIMANA, que NTEZIMANA désigne à trois
militaires la maison du professeur KARENZI ; vous avez la déclaration d’Innocent
qui, à mon avis, n’a pas participé à l’assassinat du professeur KARENZI - je
pense d’ailleurs que Vincent NTEZIMANA avait à cœur d’envoyer non pas des militaires
dépendant du capitaine NIZEYIMANA que probablement le professeur KARENZI connaissait
- mais qu’il a envoyé délibérément des gens de la garde présidentielle, que
probablement le professeur ne connaissait pas. Innocent dit qu’un militaire
est venu et a demandé l’adresse du professeur KARENZI ; que ce militaire
était envoyé par Vincent NTEZIMANA et le capitaine NIZEYIMANA. Peu importe !
Vous avez également le témoin 150 qui parle de la responsabilité d’Innocent, mais
encore une fois, je ne le crois pas, pas dans le pillage, peut-être, mais dans
la mort du professeur KARENZI.
Avant sa mort, le professeur KARENZI avait été rassuré
par l’organisation mise en place par Vincent NTEZIMANA. Il avait téléphoné à
Vincent NTEZIMANA. Il était rassuré par l’existence de ces rondes, peut-être
de ces listes, mais il était un peu tard. Il l’a été en tout cas jusqu’à la
mort de la reine. Vous avez entendu Gasana NDOBA, le frère du professeur KARENZI,
qui vous a dit qu’il était resté en relation téléphonique avec son frère presque
jusqu’au 15 avril, et qu’il essayait de l’inviter à partir, de quitter :
il savait, il entendait ce qui se passait au Rwanda et il avait peur pour lui,
et je pense que ça restera pour toujours une blessure ouverte pour Gasana NDOBA
de n’avoir pas pu convaincre son frère de partir, de quitter, de fuir. Mais
le professeur KARENZI avait fait ce choix-là malgré tous les massacres qui s’étaient
déroulés pendant les années précédentes. Il avait fait le choix de rester quoi
qu’il arrive. Et quand il a voulu partir, c’était trop tard, même pour ses enfants.
Solange, la fille du professeur KARENZI, va essayer
du convaincre ; elle entend les jeunes, les Interahamwe autour d’elle,
elle va essayer du convaincre. Elle était au Burundi le 7 avril, et le professeur
KARENZI l’a fait revenir à Butare avec une autorisation du préfet défunt de
Butare. Et quand elle revient, elle participe à des discussions familiales dont
Yvette, la seule survivante, parlera : on essaie de convaincre le professeur
que tout le monde doit partir et qu’il y a un vrai danger. Et le professeur
va dire non, il est rassuré, il dira cela à Gasana NDOBA : « Je suis
rassuré, j’ai des amis ici : il y a des professeurs qui sont avec moi.
Jamais les massacres ne se déclencheront à Butare ».
Le récit d’Yvette. Yvette c’est cette jeune fille
qui a survécu. Il y a toujours un témoin qui survit. Comme il y a toujours un
repenti - je pense au témoignage d’Innocent. Yvette - vous vous rappelez - elle
rapporte comment les choses se sont déroulées chez les KARENZI : il y a
eu un appel téléphonique, on a raccroché ; on voulait simplement vérifier
que le professeur KARENZI était là. Il a répondu qu’il était là, et puis ils
sont arrivés. Monsieur KARENZI, Madame KARENZI ont donné de l’argent aux enfants
et ils les ont fait monter dans le faux plafond. Et puis ils ont attendu. Les
enfants étaient fatigués parce que depuis l’assassinat de la reine, le professeur
KARENZI les faisait dormir dehors la nuit, et donc Yvette quand elle dit que
le coup de fil anonyme a eu lieu vers 15 heures, peut-être que c’est 15 heures,
peut être que c’est plus tôt, peut être que c’est plus tard ; finalement
on ne le sait pas. Et puis le professeur KARENZI et sa femme ont compris, et
ils ont attendu. Les militaires sont arrivés - vous connaissez cette histoire
qui vous a été racontée - le professeur KARENZI a été emmené et il a été tué
devant l’hôtel Faucon. Sa femme est restée, les militaires sont revenus, ils
sont repartis et puis ils sont revenus.
Et à un moment, ils ont pillé aussi la maison. Elle
leur a donné de l’argent, elle leur a donné tout ce qu’elle avait, et puis à
un moment, un militaire lui a dit - Yvette entendait tout cela et les enfants
ont entendu tout cela -un militaire lui a dit : « Est-ce que tu peux
prouver que tu n’es pas une Inyenzi ? ». Elle a dit : « Oui »,
elle a dit : « Oui comme c’était prévu, comme ça avait été organisé,
comme c’était convenu avec Vincent NTEZIMANA : il fallait l’appeler, Vincent,
le professeur ». Et c’est ce qui s’est fait, et le message de l’autre côté
a été de dire qu’elle était une Inyenzi et elle a été tuée.
Les enfants étaient cachés dans le plafond ;
ils sont restés aussi longtemps qu’ils ont pu. Puis ils sont descendus. Il y
avait le corps de Madame KARENZI dans l’entrée, et encore une flaque de sang
d’ailleurs, une trace de sang. Et ils ont essayé de mettre des tissus sur son
corps, et au moment où ils sortent, ils voient le témoin 93 l’ami de
Vincent, qui est là devant la porte et qui voit le corps. Et Solange, l’appelle
et lui dit : « Papa avait tort : on aurait dû partir. On a cru
à votre système, à votre organisation et ça n’a rien donné ». Et Bernard
ne bronche pas et les enfants ont été se cacher dans la nuit chez les voisins
dans les broussailles. Ils ont passé la nuit dehors, et le lendemain, ils ont
été au couvent des Benedikira pour y trouver refuge.
A l’audience - une des audiences - Vincent NTEZIMANA
a fait parler le témoin 150 : ça n’était pas la rumeur qui lui avait appris
la mort du professeur KARENZI, ça n’était pas des voisins, c’était lui pendant
qu’ils jouaient aux cartes. Et dans le dossier, on a eu un témoignage miraculeux
d’un voisin qui n’avait pas été entendu précédemment, qui est le témoin Louis-Grignon
qui a été entendu à l’audience, qui a confirmé effectivement que c’est le témoin 150
qui leur a appris la mort du professeur KARENZI. Témoignage qui n’avait pas
été mis au point tout à fait convenablement. C’est un petit grain de sable de
plus dans le raisonnement. Vincent NTEZIMANA nous avait dit la veille ou l’avant
veille qu’il avait passé l’après-midi chez le capitaine NIZEYIMANA, à jouer
aux cartes. Et ce témoin mal préparé a dit qu’au contraire, Vincent NTEZIMANA
était resté tout l’après-midi avec lui dans la maison du témoin 143 avec Jean-Bosco
le témoin 150. Je vous le rappelle, Jean-Bosco SEMINEGA dit que c’est faux, et que
Vincent NTEZIMANA n’est passé qu’une seule fois pour y chercher des personnes
qu’il cachait. Et qu’est-ce qu’il leur ajoute ce miraculeux témoin ? C’est
qu’ils ont passé l’après-midi à discuter de la mort de KARENZI, et qu’après
ils se sont retrouvés dans la rue, à discuter entre eux sans bouger - parce
que s’ils avaient bougé,ils auraient pu voir le cadavre de Madame KARENZI -
et puis qu’après Vincent NTEZIMANA a été raccompagné jusque chez lui, mais c’était
juste en face et voilà.
En réalité, Mesdames et Messieurs du jury, la mort
du professeur KARENZI a été réfléchie, organisée, et son exhibition aussi, par
Vincent NTEZIMANA. Alison DESFORGES, que nous avons entendue ici, dit qu’il
est impossible - et je veux bien la croire - que c’est le capitaine NIZEYIMANA
qui aurait organisé cela. Il avait besoin qu’on lui désigne les cibles et cela,ça
a été le travail intellectuel de Vincent NTEZIMANA. Personne à Buye, personne
à Butare, probablement personne au Rwanda ne pouvait imaginer qu’on allait s’attaquer
à ce professeur cycliste, ce professeur footballeur qui était reconnu par tous.
Vincent NTEZIMANA a été tenu au courant de la mort
du professeur KARENZI, que ce soit chez lui, derrière son téléphone - et je
suis convaincue qu’il a beaucoup téléphoné ce jour-là - où que ce soit ailleurs,
qu’il a été informé par Bernard MUTEWINGAMBO, par le vice-recteur, par n’importe
qui ou par les gardes présidentiels qui avaient exécuté le professeur KARENZI.
Vincent NTEZIMANA va avoir, par rapport à la mort du professeur KARENZI, les
réactions d’un assassin qui n’a pas fini son travail. Il apprend la mort du
professeur KARENZI au moment où elle se passe, c’est-à-dire probablement en
début d’après-midi. Et que fait-il pour ce professeur qui est son maître ?
Qui est un proche, presque un ami ?
Est-ce qu’il court chez les KARENZI pour aider son
ami, son épouse et protéger ses enfants au péril de sa vie peut-être ?
Est-ce qu’il décroche son téléphone ? Est-ce qu’il demande l’aide du capitaine
NIZEYIMANA ? Est-ce qu’il appelle le vice-recteur ou le recteur pour organiser
la lutte alors qu’on tue le personnel de l’université ? Est-ce qu’il s’effondre
en larmes parce qu’il a failli ? Est-ce qu’il se sent tellement anéanti
qu’il reste prostré ? Non, il nous dit qu’il va jouer aux cartes. Il nous
dit qu’il va jouer aux cartes. Parce que moi je le verrais plutôt envisager
la suite : recevoir avec NIZEYIMANA les cartes d’identité des morts de
la journée. Un témoin rapporte que quand NIZEYIMANA n’était pas là, sa femme
prenait les cartes d’identité, et qu’on rayait sur les listes les noms des morts.
Je le verrais plutôt à l’université. Pour superviser les massacres.
En fait, Vincent NTEZIMANA sait, le 21 avril, que
Madame KARENZI est morte. Il le sait parce qu’il en a été informé par Bernard,
notamment, et peut-être par d’autres qui sont passés là, parce que c’était une
réaction normale de passer chez KARENZI alors qu’on avait appris sa mort. Mais
il sait aussi que les enfants sont vivants. Et j’attire votre attention sur
ce qu’il va faire et qu’il reconnaît avoir fait. Il va dire que le 22, il va
aller chez KARENZI, chez le professeur KARENZI, et qu’il va voir le 22 - le
lendemain de sa mort - le corps de Madame KARENZI. Il va dire qu’il va retourner
voir le corps de Madame KARENZI et qu’il va, avec un groupe de voisins, procéder
à l’ « évacuation » du corps de Madame KARENZI. Il aurait pu
l’enterrer, il aurait pu lui donner une sépulture. Non. Il va faire jeter ce
corps dans un endroit que nous ignorons, dans une fosse, avec d’autres corps
- nous ne le savons pas - il va procéder à l’évacuation du corps de Madame KARENZI
comme s’il s’agissait d’un détritus, d’une poubelle.
Et pour moi, Mesdames et Messieurs du jury, c’est
très significatif. Il sait que les enfants sont vivants, mais dans son esprit
les enfants sont déjà morts. Comment sinon pourrait-il expliquer à Malik, à
Solange, aux enfants du professeur KARENZI, comment pourrait-il leur expliquer
où ils peuvent prier, où le corps de leur mère est enterré ? Il sait, au
moment où il « évacue » le corps de Madame KARENZI comme il dit, que
les enfants sont condamnés. Ils sont condamnés ; ils doivent mourir. Et
c’est d’ailleurs ce qui se passera. Les enfants, le 22, vont trouver refuge
au couvent des benebikira. Ils vont téléphoner, ils vont téléphoner et on leur
dira : « Faites attention, il y a des barrières ». Il y a un
enfant laitier qui passe dans la rue et ils lui demandent : « Est-ce
qu’il y a une barrière pour aller jusqu’au couvent ? ».
Finalement la réponse est apparemment : « Non »
et les enfants se rendent au couvent. En passant, ils tombent sur des militaires,
des militaires qui dépendent du capitaine NIZEYIMANA, et leur identité va être
contrôlée. La jeune fille Solange va d’ailleurs être retenue par les militaires
et on ne sait pas ce qui s’est passé avant qu’elle ne rejoigne le couvent. Et
ces militaires avaient probablement participé au pillage de la maison KARENZI
parce qu’ils étaient en possession d’une note que le fils de Speciose avait
rédigée - Thierry. Une note, ils avaient cette note. Ce sont les mêmes militaires
qui ont pillé la maison sous l’ordre de Vincent NTEZIMANA, qui dépendent du
capitaine NIZEYIMANA et qui interpellent les enfants alors qu’ils se rendent
au couvent des benebikira.
Les enfants, à part Malik, mourront le 30 avril.
Il y a eu une attaque du couvent, avec des civils, sous l’ordre de NIZEYIMANA.
Le couvent a été encerclé par plusieurs véhicules : il y a deux entrées
au couvent sur deux rues différentes. Encerclé par des véhicules aux deux entrées,
les militaires, les civils, sont entrés dans le couvent et ont fouillé partout.
Ils étaient à la recherche des enfants KARENZI. On a fouillé sous les lits et
on a fouillé partout, et on a fait sortir tout le monde. Certains des enfants
avaient réussi à se cacher, et finalement, ils ont eu peur et ils sont sortis
de leur cachette, ils ont tous été emmenés, battus, torturés et ils ont été
tués dans un endroit que nous ignorons jusqu’à ce jour : nous ne savons
pas où ils ont été tués. Et Yvette, qui était là, Yvette qui s’était cachée
dans les toilettes, qui avait laissé la porte ouverte et quand ils étaient entrés,
ils avaient poussé toutes les portes, ils l’avaient pas vue et Yvette n’est
pas sortie : Yvette a survécu et elle a raconté. Tout comme les enfants
avaient raconté à la sœur du couvent ce qui leur était arrivé, et notamment
la présence du témoin 93 au moment de leur sortie de la maison.
Le génocide se caractérise, selon Maxime STEINBERG,
à l’opposé de tous les autres massacres, par l’élimination systématique des
femmes et des enfants : ce n’est pas seulement l’assassinat d’un peuple
aujourd’hui et maintenant, c’est aussi l’assassinat de son avenir. Vous vous
rappelez, Mesdames et Messieurs, du témoignage de Speciose qui a assisté à la
mort de son mari, couverte de cadavres, et dont deux enfants sont morts chez
les KARENZI. Elle nous a écrit - et je voudrais vous lire quelques passages
de sa lettre : « En quittant mon pays, j’étais révoltée que les tueurs
ont volé les miens, mes sentiments, mon temps, ma disponibilité, tout ce qui
nous reste sur terre. Je croyais que je partais seulement pour témoigner. J’avais
peur du faire mal et de gâcher l’occasion qui m’était offerte de contribuer
à la justice. J’avais honte même d’avoir accepté, tant j’étais faible de cœur
et brisée. Je suis ici mais mon cœur est là-bas, à l’intérieur du Palais de
Justice, aux jurés qui seront notre perte ou salut.
Je suis chaque jour le procès : les plaies
de Butare se sont ouvertes. Je pense à mes enfants, à la famille KARENZI, à
toutes les victimes de Butare qui ne seraient pas mortes de la sorte si les
quatre accusés n’étaient pas nés. Chaque jour, je me souviens de ce que j’aurais
pu ou dû dire aux jurés, et je me reproche mes oublis. Mais je vous remercie,
vous qui avez suggéré les témoignages des victimes, car tous nous sommes soulagés
que pour une fois notre survie aura servi à la justice, et je vous remercie
beaucoup de vos efforts pour le déroulement du procès car même s’ils n’iront
pas en prison, rien ne sera plus comme avant. Ces bourreaux sont nus devant
le public belge. C’est l’avis de toutes les victimes, vous nous avez ennoblis
par votre lutte et contribution, vous avez rendu la dignité aux nôtres. Nous
vous remercions beaucoup pour cela. Les mamans de Sovu n’oublieront jamais cela
et moi non plus. C’est la première fois qu’on était devant un président du jury
qui respecte les victimes, la première fois qu’on avait des avocats qui aiment
les victimes.
Personne, sauf les avocats de la défense des accusés,
n’a demandé aux victimes de donner des preuves des viols subis, de dire combien
de coups de machette ont tué les nôtres. Nous nous sentions aimés et entourés,
et c’est aussi la première fois après tant d’années, surtout pour ces mamans
qui doivent vivre avec leurs bourreaux sur les collines. J’ai été les accueillir
et elles vous remercient tous. Je ne sais comment vous exprimer notre rapport
à nos cœurs. Comme vous le dites bien, vous avez donné un cercueil aux nôtres
et nous avons payé un peu le prix de notre survie qui est amère ! Dommage que
je n’aie pas les mêmes talents, la même force, la même intelligence que mon
mari, mais je vous garantis que de mon vivant, je n’épargnerai rien pour la
mémoire et la justice des nôtres. Je sais qu’il ne vous le dira pas, mais demandez
toujours à Vincent, qui a vu le corps d’Alphonsine KARENZI, de nous dire où
il l’a jeté : au moins nous pourrons l’enterrer et être un peu soulagés.
Le mal absolu, 800.000 morts, sans sépulture, 800.000 corps évacués, jetés à
la rivière, entassés pêle-mêle dans des fosses communes, jetés où ? Le
génocide devait éliminer toute forme de transmission, la mémoire d’une génération
à l’autre, du père au fils, de la grand-mère à l’enfant ; raser les
maisons, effacer les parcelles, déraciner les cyprès ; le génocide devait
faire des survivants des êtres sans passé, sans mémoire, des êtres sans ombre.
Nous vous avons dit certains vont avoir la force
de parler pour nommer devant vous ce qu’il leur est arrivé, nous vous avons
dit que vous alliez voir des images insoutenables : les pires images sont
elles qui se sont inscrites en nous en écoutant les récits de ces survivants,
de ces revenantes. Nul ne sortira indemne de ce procès, mais il a été possible
malgré la peur de mal dire, de mal faire, de mal témoigner, de trahir la mémoire
des morts. Cela a été possible de parler, de dire, de transmettre. Vous avez
fait place à l’humanité, merci d’avoir eu le courage de rester, le courage d’entendre
et d’écouter, merci d’avoir le courage de juger, merci de donner par votre verdict
un cercueil aux morts, une ombre aux victimes.
Merci, monsieur le président
Le Président :
Merci, Maître HIRSCH. Maître GILLET, je pense que nous allons quand même suspendre
une vingtaine de minutes. Eh bien, on reprend à 15 h 20. |
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