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9.3.9. Plaidoiries de la partie civile: Maître Beauthier
Le Greffier : La Cour.
Le Président : L’audience
est reprise, vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place. La
porte de la salle d’audience doit rester ouverte. Merci. Maître BEAUTHIER, vous
avez la parole pour votre plaidoirie.
Me. BEAUTHIER : Je vous remercie,
Monsieur le président. Je savais que cet incident allait venir, donc, je n’ai
pas préparé de début à une plaidoirie. Alors en exergue, je crois qu’il faut
parler du juge d’instruction. Maître HIRSCH l’a fait hier. Parler de Monsieur
VER ELST-REUL, parler de celui à qui je vais, pendant quelques temps, tourner
le dos et je m’en excuse auprès de lui. Je n’ai pas la vérité derrière moi,
mais c’est tout comme. Je lui tourne en tout cas pas le dos et sans le regarder
parce que c’est difficile à dire, je voudrais saluer son courage. Avec d’autres,
il a eu le courage d’être libre. Monsieur VANDERMEERSCH, au départ, était un
avocat du ministère de la justice, je l’ai souvent rencontré comme adversaire.
Il est devenu juge, normal, il n’a pas développé, tout d’un coup, une haine
pour sœur Kizito, sœur Gertrude ou tout autre de ses clients. Il est entré dans
ce dossier. Un jour, il vous dira, un jour, il écrira à tout le monde les pressions
que certains connaissent, les manières dont on a essayé de l’empêcher de mener
une instruction à charge et à décharge. Je le salue parce que, sans lui, on
n’aurait pas été ici, sans lui on ne serait pas ici.
Je ne vais pas vous décevoir, mais pour nous, il y a encore sept
autres dossiers qui nous attendent. Il y a celui des coopérants belges qui sont
morts, non pas par la foule assoiffée de Gisenyi, mais par des Interahamwe entraînés,
qui savaient qu’ils devaient éliminer trois belges, perdus, pieds nus, dans
la brousse, sans radio, sans même un vélo, pour qu’ils ne disent pas, pour qu’ils
ne disent pas ce que ces messieurs et dames qui sont ici accusés, ont fait,
ou à quoi ils ont participé. Il y a les dossiers des paras. D’autres diront
mieux que moi la lâcheté extrême avec laquelle, comme des lapins, on les a tirés.
Il y a de ces dossiers économico-financiers dans lesquels trempent RWABUKUMBA
et les autres. Bref, il y a du pain sur la planche. Heureusement que nous avons
une magistrature comme celle-là, heureusement que nous avons Monsieur VER ELST-REUL
à qui on a imposé un réquisitoire, à qui les autorités, au-dessus de lui, qui
ne sont plus là heureusement, ont imposé l’inadmissible. Celui qui est derrière
moi, qu’il en soit remercié, il a eu le courage de reprendre un dossier, de
le mener, de main de maître, à bien. Monsieur le président, je ne vous dirai
pas merci. Peut-être que dans quelques années, quand la flopée des procès seront
terminés, on verra quelles ont été, au fil du temps, vos expériences et vos
qualités. Les mercis seront pour plus tard.
Alors, pendant un petit moment, on va passer en revue ce dossier
ensemble. Vous avez vu, parfois nos sourires, parfois nos émotions. Moi, j’ai
vu vos tics, j’ai vu vos marottes, j’ai vu comment vous réagissiez. Je voudrais
que pendant peu de temps, on essaie de faire le point sur ce dossier dans lequel
vous avez déjà entendu tant de mots. Moi, je n’ai pas la force, ni l’envie de
commencer des effets de manche, des changements de ton, des coups de gueule,
des clins d’yeux. Le respect dû à mes clients, aux victimes, à la vérité et
aussi l’angoisse, l’angoisse que ce génocide ne soit qu’une des répétitions
qui n’en finissent pas de salir notre humanité, eh bien cette angoisse me pousse
à l’humilité. Juger, condamner ici ce qui s’est passé là-bas, c’est déjà difficile.
Cette modestie face à votre tâche, va me permettre un exercice difficile, peut-être
étonnant. Je ne prendrai, normalement, aucun appui sur les témoignages que vous
avez entendus ; ils sont là, vous les connaissez. Je vais simplement, puisque
la défense a choisi le détail, les contradictions, qu’elle choisira les témoignages
qui éventuellement seront les plus favorables. Vous avez entendu, vous entendrez
peut-être que les vétilles deviendront arguments essentiels d’une défense qui
va jusqu’à l’absurde : Gertrude et Kizito plaident l’innocence, même pas
la reconnaissance, fût-elle infime, d’une quelconque responsabilité, l’innocence.
Eh bien c’est dans les déclarations de ces deux dames que je puiserai
leur culpabilité. Elle est au choix par rapport à la convention de 1949, par
rapport à la loi de 93. Je vais vous en faire grâce mais le choix, c’est aussi
bien l’homicide involontaire, le choix c’est aussi bien avoir ou s’être abstenu
de venir au secours de, le choix c’est aussi bien - je le dirai par cœur puisque
je ne retrouve pas la convention - le choix c’est aussi bien d’avoir eu des
actes, et le terme est employé, d’apartheid, le choix c’est aussi bien d’avoir
permis que des populations civiles soient attaquées. Ce n’est pas cumulatif,
c’est l’un, éventuellement l’autre.
Prisonnières de leurs mensonges, incapables d’aveux, et pourtant
vous l’avez entendu ici, la seule chose, nous dit un témoin, la seule chose
qui fait du bien, c’est de parler après l’aveu. Sœurs Gertrude et Kizito, la
seule chose qui vous fera du bien, c’est de parler après votre condamnation.
Monsieur le procureur général a parlé de neuf versions, puis il y avait la version
de l’audience ; neuf fois deux, çà fait dix-huit. C’est sans compter les
versions des religieuses zélées qui, au fil du temps, se sont alignées sur leur
supérieure. Car Gertrude est une supérieure - c’est un peu le fil conducteur
de ce que je vais vous dire cet après-midi - Gertrude est une supérieure, c’est-à-dire
une chef, c’est-à-dire quelqu’un qui décide, c’est-à-dire quelqu’un qui doit
prendre ses responsabilités. Je ne sais pas, je ne lui permettrais pas du
dire à mon égard, si elle est intelligente. Elle est en tout cas maligne, vous
allez voir le fil conducteur de ses remarques, de ses déclarations. Alors, dix-huit
plus une petite dizaine de groupies, ça fait vingt-cinq versions ; on est
loin des contradictions des veuves, des témoins, d’autres religieuses, des paysannes,
dans le hit-parade des poux à rechercher sur la tête des témoins. Mais, j’ai
dit que je ne vous en parlerais pas.
Alors, sous votre contrôle - c’est une phrase qu’on emploie
souvent pour montrer qu’on a le dossier qui est là, à l’appui de ce qu’on dit
- sous votre contrôle, je vais simplement examiner quatre déclarations de Gertrude.
Celle à CULLEN. CULLEN, c’est qui ? C’est l’abbé des abbés.
L’Irlandais, si j’osais, je dirais qu’il s’est fait entuber. Première version,
elle date du 5 février 95. Deuxième version, celle à la police judiciaire, du
25 janvier 96. 95, 96. Troisième version, celle du 2 décembre 99, police judiciaire.
Quatrième version, celle de l’audience. Il y en a d’autres, mais on est alors
jusque minuit, si pour chacune des versions, je dois comparer chacune des phrases
et chacun des épisodes. Alors, avant l’attaque, on pourrait appeler ce chapitre-là :
« L’amour du prochain ». A CULLEN, elle doit expliquer, évidemment,
la situation et donc son amour du prochain. Ce qui est important, c’est que
quand elle l’explique à CULLEN, elle sait, contrairement à ce qu’elle va dire
plus tard, que le président est mort, qu’il y a des troubles.
Et dans cette lettre, en 1995, elle dira à CULLEN : « Les
novices devaient aller, très tôt le matin, à une session à Butare, à six kilomètres
du monastère, à Tierce… », hein, il y a les vêpres, les matines, « …à
Tierce, 8 h 15. J’ai remarqué qu’elles n’étaient pas parties. Je les ai questionnées.
Elles m’ont informé du décès du président de la république. Elles m’ont dit
que la capitale était dans un bain de sang ». C’est toujours sœur Gertrude
qui parle à CULLEN : « Beaucoup de monde avait commencé à fuir la
capitale. Des personnes nous sont arrivées à Kigali, à pied, très épuisées.
Je me souviens particulièrement d’un jeune homme et d’une maman avec son enfant »,
c’était sans doute Charles BUTERA, dont Dirk RAMBOER vous a parlé ce matin.
« Cet enfant était sur le dos de sa maman. Durant une semaine, du
6 avril au 9, nous avons décidé d’exposer le saint sacrement, pour l’adoration,
toute une journée. A partir du 11 avril, nous l’avons fait toute la nuit ».
A cette période, les personnes qui pouvaient fuir, partaient : les religieuses,
les prêtres, les ressortissants étrangers œuvrant dans le pays, etc.
Première leçon de ces déclarations - vous allez dire, ce n’est pas
transcendant, non, mais voyez ce qu’elle dira après - première leçon, elle est
au courant des événements. Elle accueille, dit-elle, les pèlerins et les réfugiés.
Nous savons qu’à ce moment-là, elle en discute avec Gaspard. Petite clôture,
juste à côté du couvent. Nous savons qu’à ce moment-là, REKERAHO est présent.
Comment pouvez-vous dire ça ? C’est vrai, peut-être que si on voit ce dossier
avec un certain détachement, on peut dire : « Mais au fond, toute
votre histoire se base sur ces rapports entre REKERAHO, Gaspard, Kizito, Gertrude
et vous prenez les témoignages que vous voulez ».
Mais, écoutez, carton 4, pièce 33, carton 4, pièce 33, une des zélées
de Gertrude va nous dire alors, qu’elle a tout intérêt, et qu’elle l’a fait,
à couvrir Gertrude, elle va nous donner la solution, elle va dire : « Sœur
Gertrude savait que j’étais cachée chez Gaspard, car elle m’y avait vue lors
d’une visite, un dimanche matin ». Ah ! Vous prendrez votre calendrier,
vous verrez que 17, est un dimanche. « Je tiens à préciser qu’il y avait
également une sœur Tutsi qui était cachée chez Gaspard », et elle dit le
nom : « Ermelinda ». Et alors, les enquêteurs, devant cette déclaration,
au détour, comme ça, d’un interrogatoire, les enquêteurs vont lui poser des
questions et elle va dire : « Au couvent, je ne connaissais que sœur
Gertrude que j’avais rencontrée chez Gaspard ». Deuxième question plus
insistante, et c’est vraiment le témoignage en faveur de Gertrude. Deuxième
question, les enquêteurs : « Gaspard recevait-il des visites chez
lui ? », « Je vous réponds que oui », dit Immaculée, « Il
en recevait souvent, mais je ne peux pas vous dire qui il voyait, car je restais
alors cachée dans la chambre ». Et donc, Immaculée, carton 4, pièce 33,
va déjà nous dire ce qui est nié, qu’il y avait des réunions, que sœur Gertrude
y participait.
On ne dit rien de tout ça à CULLEN. Amour du prochain. A l’abbé CULLEN,
on va écrire sur les événements qui se passent le 18 avril, je cite : « C’est
vers midi, le 18 avril, nous avons accueilli les réfugiés… », tu parles !
« …nous avons chanté l’office de sexte, ensemble », ah oui !
parce qu’à l’abbé CULLEN, on va connaître tout le cycle religieux. « Ce
jour, sœur Stéphanie et moi, sommes allées en ville pour trouver le colonel
en vue d’obtenir une protection pour les réfugiés ». A CULLEN, c’est :
« On a tout fait pour les réfugiés… », et elle l’écrit, hein :
« …en vue d’obtenir une protection pour les réfugiés ».
A l’audience, et là vous pouvez reprendre l’intégralité de ce qui
a été enregistré, nous avons fait le travail important de retranscrire, à l’audience,
qu’est-ce qu’elle dit : « Le 18, le lendemain, nombre important de
réfugiés », elle l’a dit devant vous. « Le matin, il y avait des américains
au monastère qui me disent : Mais nous partons, et donc, ils veulent aller
à Bujumbura prendre l’avion et retourner aux Etats-Unis et alors deux hommes
qui étaient au monastère, les a conduits en voiture… », je cite :
« …et en ONG. Et alors, ils les conduisaient jusque Butare. Pour ce
que je me rappelle, je leur ai dit : Est-ce que je peux vous accompagner
pour que je puisse aller à la préfecture, trouver des papiers pour essayer que
la communauté puisse partir ».
A CULLEN, on dit : « Protection pour les réfugiés ».
Après tous les témoignages, on dit : « On veut mettre les sœurs à
l’abri ». On voit - et je m’excuse de cette imposante lecture - on voit,
et vous allez voir très clairement, le glissement, le glissement où de la « protection
aux réfugiés », on en vient évidemment à dire, hors hiérarchie, en 96,
pièce 44, carton 4, je cite : « Lorsque ces gens venaient de partout
et ont été accueillis chez nous, j’ai été harcelée par les Interahamwe. En laissant
ces gens dans nos murs, je les conduisais d’une façon certaine à la mort. En
leur demandant de quitter, j’estimais qu’ils avaient peut-être encore une chance
de survie ». On sait que ce n’est pas vrai, mais voilà le glissement qui
commence à s’opérer et où on part de la protection des réfugiés vers la protection
des sœurs et où on arrive à leur dire : « Au fond, j’ai bien fait.
Je devais tout faire pour les sœurs », et à ce moment, parce que le jeu
est double, on sort la lettre de Kizito.
Je vous ai dit que je ne ferais des déclarations et je ne citerais
des déclarations que de Gertrude et Kizito. Vous verrez dans le dossier, ce
que sœur Kizito va dire le 24 avril 95 ; je lis textuellement, elle écrit
évidemment à ce fameux CULLEN : « Tout ce que nous avons vu et vécu,
la force d’en haut m’a donné pour tout supporter… », dit Kizito, « …je
n’arrive pas à accepter cette accusation calomnieuse et mensongère contre notre
mère Gertrude. Oui, je me sens incapable d’entendre dire que notre mère Gertrude
a participé au génocide. Je m’explique : mère Gertrude, ainsi que toute
la communauté… », vous vous rappelez qu’elle était au courant que, manifestement,
elle faisait cela pour les sœurs et… « …je m’explique : mère
Gertrude, ainsi que toute la communauté, ignorait les évènements terribles qui
se préparaient dans notre pays, les informations exactes nous ont été données
par un des ouvriers, trois jours avant que les meurtriers ne s’amènent au monastère… »,
ce serait le 18-19, alors que Gertrude dit qu’elle le sait depuis le 7 avril,
« …trois jours avant que les meurtriers ne s’amènent au monastère pour
massacrer les réfugiés qui s’y trouvaient, venant de n’importe quel côté du
monastère. Parmi eux, il y avait des familles de nos sœurs. A ce moment, notre
mère Gertrude ne comprenait pas du tout cette affaire tragique et ne savait
que faire pour sauver nos vies ». Le glissement s’est fait, on a demandé
à Kizito, le 24 avril 95, 6-7 mois après les accusations, de se raccrocher au
radeau : « Sauver nos vies ».
On a raconté tout autre chose avant, puis, sœur Kizito va alors évidemment
faire la part belle aux disputes entre sœurs. Et ce qui est tout de même assez
extraordinaire, c’est que… toujours - je m’excuse, hein, mais ayant des petits
yeux, je dois avoir une grande écriture donc… -…toujours à CULLEN, elle écrit
ceci, sans vouloir abuser de votre temps, en parlant de ce 18 avril : « De
nombreux blessés parvenaient à s’échapper jusque chez nous. Nous les accueillons,
nous les soignons. Le 20 et le 21 avril, nous avons veillé et prié pour tous
nos réfugiés ». Et devant les enquêteurs en 96, elle va dire, au lieu
de ce qu’elle dit à CULLEN : « Nous les accueillons », elle va
dire : « L’hôtellerie était occupée par un groupe », je
cite : « Il est vrai que tout le monde n’a pas pu rentrer, vu
le manque de places, et par conséquent, certains réfugiés sont restés sous la
pluie ». Devant vous, elle va dire, parce qu’elle ne sait plus quoi répondre :
« J’étais très fatiguée à ce moment-là, aussi peureuse devant la situation,
très traquée, j’étais paralysée par la peur ». Elle va encore dire, comble
de tout : « La barrière était fermée, non pas parce que nous
l’avions fermée… », je cite : « …mais la bousculade a fait que
le portail était fermé ». Pas de chance, sœur Gertrude !
Tout ce que je viens de dire, ces mensonges, vous avez, à plusieurs
fois… plusieurs reprises, renié votre parole, mais en plus, Cécile HANSSEN,
qui est vraiment celle qui vous a toujours soutenue, est venue dire la triste
vérité que vous avez cachée au père CULLEN, que vous avez voulu maquiller en
amour pour les sœurs, puisque Cécile HANSSEN va venir dire le 27 décembre 95,
je cite : « Le 18 avril 94, lorsque j’ai quitté le couvent… »,
dit sœur Cécile HANSSEN, « …des centaines de réfugiés étaient encore arrivés.
Ils n’ont pu rentrer dans les locaux ». ça, c’est la version Cécile HANSSEN, la
plus fidèle des fidèles, la sœur belge qui est visiblement en admiration devant
Gertrude, qui contredit, sans le savoir, ce que Gertrude vient de dire à CULLEN ;
elle dit : « Ils n’ont pu entrer dans les locaux, parce que toutes
les portes, aussi bien de l’hôtellerie que du monastère, avaient été fermées
à clef. Vous m’en demandez le pourquoi, c’est pour que le monastère ne soit
pas envahi par tous les réfugiés ». Je vous rappelle qu’à l’intérieur de
l’hôtellerie se trouvaient déjà environ 36 réfugiés, il y avait 50 chambres.
36 réfugiés, ça ne faisait même pas un réfugié par pièce. Et elle répond à la
question de savoir, plus insistante, pourquoi : « Je pense que c’est
sœur Gertrude qui avait fermé à clef les portes, mais cela avait été décidé… »,
vous savez que cela n’est pas vrai, « …de commun accord ». Alors,
voilà ce que sœur Gertrude est capable de dire, uniquement pour les faits du
18 avril.
Vous comparerez toutes ces versions. Au juge d’instruction, pour
rappel, elle va dire : « Vous me demandez si les réfugiés ont été
volontairement au centre de santé lorsque nous les avons invités », tenez-vous
bien, elle le dit le 25 janvier 96 : « Ils n’avaient pas le choix,
ils étaient nombreux. Pour moi, ils ont été directement au centre de santé ».
Alors, le 18, on passe vite au 22, jour de la tuerie, version à CULLEN :
« Le 22, au matin, quelqu’un m’annonce que les miliciens vont venir, etc.
J’ai pris la décision d’aller rencontrer leur chef, REKERAHO, je lui parlais
derrière le grillage, car j’avais peur de lui et de ses troupes. Arrivée devant
lui, il m’a méprisée et comptée pour rien ». S’ensuit toute une discussion :
« Il m’a dit que j’avais cinq minutes pour faire sortir tout le monde,
les miliciens ont tiré beaucoup, ils commençaient à massacrer les réfugiés,
j’ai eu peur d’attraper une balle et je suis rentrée dans la clôture ».
Elle poursuit à CULLEN : « Les massacres ont duré toute la journée,
nous attendions notre tour. Vers cinq heures de l’après-midi, les miliciens
ont pris les biens des morts… », là, je ne sais pas comment elle le savait,
« …les miliciens ont pris les biens des morts et sont partis, tandis que
le chef est venu me demander l’ambulance du centre ».
A l’audience, qu’est-ce qu’elle vous dit ? Elle ne parle plus
du grillage, devant, ni du portail. Elle sait tout ce qu’il y a dans le dossier
mais elle ne sait pas que vous allez un jour savoir que ce qu’elle dit est mensonge.
Qu’est-ce qu’elle dit à l’audience ? Elle ne parle plus donc du grillage,
elle dit : « Effectivement, je sors du couvent, je vais vers la ferme »,
donc autre version. Mais oui, elle va vers la ferme pour parler à REKERAHO et
elle dit : « Je rencontre ce monsieur pour la première fois ».
Vous apprécierez si ce qu’elle a dit est un pieux mensonge, mais voilà-t’y pas
qu’un moment donné, puisqu’elle l’a vu deux fois, au jour des massacres, on
est en train de tuer, REKERAHO le dit : « J’ai les mains pleines de
sang », elle le voit deux fois, elle le voit deux fois avec Kizito, on
le verra tout à l’heure. Elle dit : « Je rencontre ce monsieur pour
la première fois », bonjour monsieur, vous êtes boucher sans doute. Et
qu’est-ce qu’elle va dire devant vous ? Je cite : « Donc,
il vaut mieux que je sorte, effectivement je suis sortie pour la deuxième rencontre
du 22, je me suis dirigée vers l’homme qui dit REKERAHO : Il y a des
blessés ici, je voudrais l’ambulance pour conduire les personnes vers l’hôpital.
Effectivement, je me suis dit - sœur Gertrude - ouvrez les guillemets :
Mon Dieu quelle bonne idée ! ». Enfin, je me fiche éperdument de savoir
si l’ambulance a été donnée le 7, le 8, le 9, le 10 ou le 11, mais vous admettrez
que dire devant un jury : « Mon Dieu, quelle bonne idée ! »,
et elle a ajouté : « Quelle bonne action ! ». L’enregistrement
est à votre disposition, on l’a entendu, mais évidemment, à ce moment, ça n’a
pas l’air, pour vous, aussi énorme, ça n’a pas l’air, pour vous, quelque chose
qui ressemble à se moquer des gens.
Alors, si je devais tout faire, c’est vrai qu’on en a pour longtemps !
On passe à l’incendie. Là, c’est tout et son contraire. Vous le verrez dans
le dossier. L’incendie, c’est l’incendie, et je ne sais pas s’il ne faut pas
dire les incendies, ce qui accréditerait d’ailleurs les thèses des témoins qu’il
y a eu plusieurs bidons et qu’on a vu une fois Kizito et puis, une fois pas
Kizito. Ça brûlait bien, ça brûlait fort et quand ça brûlait pas assez fort,
Kizito mettait des feuilles de bananes parce que c’est sec et ça brûle fort.
Qu’il y a eu 703 ou 10 personnes, Kizito écrit à CULLEN : « Voyant
cette chose tragique, mère Gertrude tremblait sans savoir quoi faire pour sauver
notre vie ». Elle le dit, Kizito, pour l’incendie, elle l’a dit pour autre
chose, pour les événements du 18. Gertrude, elle, dira en 96, et je vais
vous donner deux déclarations de 96, et la déclaration de 99 de Gertrude ayant
en tête ce que Kizito dit : « Voyant cette chose tragique, mère Gertrude
tremblait sans savoir quoi faire, de peur, pour sauver notre vie ». Gertrude,
vous me parlez de l’incendie du garage du centre de santé en date du 22 avril
94, dans lequel beaucoup de réfugiés ont péri et vous me dites que divers témoins
rescapés affirment qu’ils ont vu sœur Kizito apporter des bidons d’essence qui
ont servi à mettre le feu. « Le 22 avril, nous nous cachions au réfectoire
de l’hôtellerie. D’où nous étions, je n’ai pas vu cet incendie ». « Tiens ? »,
lui disent les enquêteurs, « Kizito ».
Et alors quand elle est interrogée le 2 décembre 99, elle sait que
Kizito a dit : « Elle tremblait ». Il faut le faire, hein. Mais
enfin le 2 décembre 99, on n’était pas encore sûr d’être chez vous, il y avait
quelques magistrats qui avaient confondu le goupillon avec la balance. Gertrude
donne une version, le 2 décembre 99, carton 6 : « Je suis formelle
pour dire qu’au moment de l’incendie du garage, Kizito et moi, nous n’étions
pas au monastère… », ben oui, c’est évidemment plus simple, « …je
suis formelle pour dire qu’au moment de l’incendie… », troisième page du
PV du 2 décembre 99, carton 6, « …je suis formelle pour dire qu’au moment
de l’incendie du garage, Kizito et moi, nous n’étions pas au monastère, nous
étions parties à la paroisse de Ngoma… », elle veut tout mélanger, « …lorsque
nous sommes rentrées, nous avons constaté que le garage avait été incendié ».
Et vous savez ce qu’elle dit à CULLEN ? Il suffit de lire seulement
cet incident de l’incendie pour se rendre compte que tout de même, la bonne
foi, c’est uniquement le nom de la sœur, hein ! « Je suis restée
seule devant la porte… », dit-elle à l’abbé CULLEN, « …je suis restée
seule devant la porte du monastère, à réfléchir comment faire ». Ça, ça
explique la chef, la supérieure, qui réfléchit et qui doit dire à son père : « Mais
écoutez, ce n’était pas de notre faute, on était submergées, je tremblais, mais
je suis restée seule, j’ai passé une heure de réflexion ». Mais écoutez,
moi, je veux bien, elle peut être très forte mais c’est un charnier et elle
dit ça du soir du 22, après avoir donné - mon Dieu quel beau geste - l’ambulance
à l’autre. « J’y ai passé une heure de réflexion, j’ai décidé de réunir
la communauté pour demander son avis : fuir ou rester ». Et alors,
elle dit : « Quelle lâcheté, la communauté a choisi de fuir ». Elle
dira plus tard que c’est elle qui a organisé la fuite, et que c’est elle qui
l’a décidée.
Vous savez, l’incendie qu’elle n’a pas vu, où elle tremblait, où
elle n’était plus là, elle a tout vu, elle est sortie deux fois, non pas, et
c’est pas contradictoire, une seule fois dans la ferme, elle est sortie d’abord
pour voir REKERAHO, le matin, pour voir si tout se passait bien. Evidemment,
comme elle en avait l’habitude, elle est sortie par le grillage l’après-midi
et là, on a demandé si ça se passait bien, puis, on a invité, sans doute il
y a une Primus, sans doute il y a un verre de lait, encore une fois, ne nous
attardons pas à la Primus, ni au verre de lait, ni à la Jupiler, ni à la Stella
Artois, peu nous importe. Scholastique aussi a dû, à un moment donné, abreuver
ces gens assoiffés de sang. Le seul problème, c’est qu’à ce moment-là, Scholastique
était toute seule dans le monastère, et que les tueries avaient été terminées
et que, sans doute, REKERAHO n’était pas aussi plein de sang que cela. Mais
au cours de ce week-end de l’Ascension, j’avais dix exemples comme celui-là,
vous lisez les déclarations, prenez-en quelques-unes au hasard, tout est calqué
en fonction de la dernière version de quelqu’un qui a dit. Et alors, on change,
la sœur à géométrie variable à la paroisse de Ngoma. A la paroisse de Ngoma,
là, personne ne va contester qu’il y a eu des méchants, qu’on est entré, qu’on
en voulait au curé ; ça, c’est clair.
Alors qu’est-ce qu’on dit à CULLEN, page 3 de sa lettre ? Tout
est effrayant hein, elle parle de sa journée du… je vous le rappelle, le 22,
on tue, elle part tôt le 23, elle parle de sa journée du 23 et elle dit :
« A cette journée infernale… », évidemment pour elle, elle pense pas
à la journée infernale de la veille, « …à cette journée infernale, le curé… »,
et c’est vrai ça, « …craignant que la milice… », tout est toujours
un peu vrai, hein, « …craignant que la milice ne vienne nous tuer la nuit,
a réussi à trouver des militaires pour veiller sur la paroisse ». Elle
dit à CULLEN : « Cependant… », dit Gertrude à CULLEN, « …dans
le quartier, les gens mourraient, nous entendions beaucoup de coups de canons
jusqu’au matin, le dimanche 24 avril. Le curé m’a fait savoir que l’armée allait
venir faire une visite à la paroisse. Nous avons compris ». Et alors à
CULLEN, c’est beau, hein : « Nous avons choisi d’aller mourir au monastère.
L’armée est arrivée et nous a acheminées vers le monastère pour nous exécuter.
Mon père abbé, j’ai donné tout ce que je pouvais, je mourrai en paix. J’ai même
demandé à l’armée de venir me chercher pour aller nous exécuter dans notre monastère ».
Au juge d’instruction en 96, là, là, c’est tout de même assez différent,
là, on parle de ce qu’on a fébrilement téléphoné, d’abord au commandant de gendarmerie,
ensuite, on a téléphoné à l’armée. Et elle le dit, hein : « J’ai,
à ce moment-là, contacté celui qui se trouvait directement au-dessus du commandant,
je pense que c’est un lieutenant. Il m’a également opposé un refus. Je me suis
alors adressée au camp militaire se trouvant à Ngoma ». J’y reviendrai.
« Je suis alors tombée sur ceux qui avaient attaqué à Sovu… », ça,
c’est sans doute REKERAHO qui la recherche, « …il m’a demandé pourquoi
nous avons quitté le couvent, je lui ai répondu que nous nous sentions menacées,
mais que nous voulions retourner au monastère ». Ça, c’est la version de
Gertrude d’abord à CULLEN : « Les militaires, nous, on voulait qu’ils
nous tuent dans le monastère », à CULLEN c’est : « Je vais retourner »,
au juge d’instruction : « On cherchait, on cherchait pour nous protéger ».
Mais alors, que dit l’abbé Jérôme, cet abbé qui les a accueillies,
le 09 octobre 95, pièce 13, carton 2 : « Gertrude a alors pensé téléphoner
aux autorités militaires… », tenez-vous bien, l’allié de Gertrude, moi,
je ne prends que dans les alliés, « …en fait, elle avait remarqué que nous-mêmes,
à la paroisse… », ce qui est vrai, « …nous étions menacés et elle
voulait aller ailleurs ». Je cite toujours : « Elle a téléphoné
au commandant de la gendarmerie de Butare qui a dit qu’il allait essayer de
faire quelque chose. J’avais l’impression qu’elles ne se connaissaient… qu’ils
ne se connaissaient pas bien ». Elle a attendu l’intervention de la gendarmerie,
mais les gendarmes ne sont pas arrivés. Toujours Jérôme, l’abbé Jérôme, celui
chez qui elle a été, dit ceci : « Le 23 avril, elle a essayé de contacter
une nouvelle fois les autorités militaires, c’est dans l’après-midi qu’elle
a pu parler au commandant du camp militaire de Ngoma ». Je cite, hein :
« Le terrible lieutenant HATEGEKIMANA Ildephonse… », il a un prénom,
hein, Ildephonse, « …le commandant s’est étonné que les sœurs aient quitté
le couvent sans l’en aviser. Il a promis que le lendemain, il leur enverrait
des militaires pour les évacuer vers le couvent. Ils se parlaient comme des
personnes qui se connaissaient très bien ».
Alors à CULLEN, on dit : « Ecoutez, on demande aux militaires
de nous tuer là-bas », au juge d’instruction on dit : « On devait
nous protéger » ; protéger certes, cet abbé qui est son allié, vous
savez ce qu’il dit ? Gertrude lui a demandé en même temps d’envoyer d’abord
les militaires pour voir si le couvent n’était pas endommagé. Vous imaginez
le type de la police judiciaire qui entend ça ? On est le 09 octobre 95,
on sait qu’il y a eu des massacres et Gertrude envoie une estafette d’abord
pour demander si on doit pas voir si le couvent est endommagé ! Sur interpellation,
elle n’a pas fait allusion aux réfugiés de Sovu à ce moment, le commandant a
dit : « D’accord », qu’il allait envoyer tout de suite des militaires.
« A cette époque… », dit l’abbé Jérôme, « …on était
en train de tuer, de maison en maison, les Tutsi et les opposants politiques
des deux quartiers de Ngoma et de Matyazo, curieusement… », je ne retranche
pas une virgule, « …curieusement, alors que nous étions la cible des tueurs,
notre paroisse n’a pas été réellement attaquée par ceux-ci quand les sœurs étaient
chez nous ». Les gens de la police judiciaire alors… ou bien, je veux bien,
mais sur interpellation. « Sœur Gertrude… », dit l’abbé Jérôme, « …ne
m’a pas parlé, à ce moment, des autres réfugiés, ni d’éventuels attaques ou
massacres qui auraient eu lieu a Sovu. Elle m’a parlé de la présence d’un groupe
d’hôtes qui se trouvaient à la session, à Sovu, le 6 avril. Ils sont sortis,
par après, du couvent et quand ils sont revenus, ils étaient armés de grenades
et de fusils ». Tiens, voilà l’explication de certains hôtes.
Petite parenthèse sans note, les hôtes. Eric GILLET a reçu, il vous
l’a dit, une demande de constitution de partie civile de ces deux américains.
Ces deux américains, on le sait, faisaient un séminaire, là, à Sovu. Elle en
a parlé, l’abbé Jérôme le dit. Les Américains ont dit à Eric GILLET, l’ont envoyé
par téléfax, qu’ils étaient partis, tickets d’avion en main, le 7 avril. On
pourrait encore dire, éventuellement, le 8 si on ne sait pas lire la date sur
le ticket. Elle, elle dit, et elle vous dit, à vous, pour justifier un des voyages,
un de plus, qu’elle est partie avec les Américains le 17, elle dit qu’elle ne
sait plus très bien. Ils sont partis depuis longtemps. Tout ça pour cacher,
qu’avec certains de ces séminaristes, de ceux qui sont au séminaire, elle a
fait des allées et venues, et les Américains le disent : « Nous sommes
partis… », évidemment puisqu’ils avaient appris ce qui s’était passé le
6 avril, « …nous sommes partis et nous avons laissé, là, sur place, des
gens des sessions qui venaient à la fois du Nord et du Sud ». Les Américains
ont laissé, je crois qu’Eric GILLET vous le produira, le téléfax dans lequel
figurent, en astérisque, ceux qui sont morts. Ceux qui étaient Tutsi, tous,
nés dans le Sud, et les gens du Nord. Ils avaient une Cherokee, ils pouvaient
aller et venir. C’est de ça dont elle a parlé à l’abbé.
Jérôme continue : « Quand j’ai entendu comment elle parlait
au commandant militaire du camp… ». Alors, écoutez, au juge d’instruction,
vous savez ce qu’elle dit au juge d’instruction ? « Vous savez, moi,
je ne connaissais personne, alors, j’ai été voir dans le bottin et j’ai vu à
commandant de la place, je ne sais pas si c’est à « c » ou à « p »,
mais elle a dit j’ai… », écoutez, on est dans un massacre total à Butare,
« …j’ai été voir dans le bottin le commandant de la place et je l’ai eu
au téléphone, il m’a envoyé une escorte d’ailleurs ». Et après, elle va
le contester. Elle va dire : « Oui, les militaires sont arrivés plus
tard ». Non, les militaires sont arrivés avec elle, Kizito le dit. Mais
Jérôme et je termine par Jérôme, il dit : « Je me suis dit qu’elle
ne devait rien craindre, j’entendais d’ailleurs dans sa façon de parler, qu’elle
était à l’aise avec lui et qu’elle ne semblait pas se sentir réellement menacée ».
« CULLEN, attention, ils vont m’exécuter mais de grâce, qu’ils m’exécutent
au couvent ! Et il termine : « Quand elle m’a parlé de ses
hôtes armés, elle en parlait avec facilité et se félicitait d’avoir de tels
hôtes qui pouvaient ravitailler le couvent ». Ça, c’étaient les gens avec
la Cherokee.
Je resterai calme. J’arrive le 7… j’arrive le 6 mai. Vous voyez que
je saute, sinon c’est trop long. Les contradictions du 25. Cette odieuse affaire
du 25, où sœur Gertrude et sœur Kizito ont un rôle infecte, où elles font semblant
de dire : « Vous devez partir parce que sinon, c’est nous ».
Vous savez, on en reparlera tout à l’heure, dans la religion catholique, on
m’a appris que le passage à l’au-delà était assez facilité. Vous verrez un témoignage
dans le dossier où l’un des réfugiés a dit : « Puisque nous devons
de toute façon mourir et que l’au-delà est meilleur, sortons du couvent ».
Je suis sûr que c’est vrai. Mais quelle abomination quand ça vient, poussé par
sœur Gertrude.
Alors, je dis, je resterai calme, mais il y a de quoi ne plus rester
calme quand on voit ce qui s’est passé le 6 mai. Tout le monde est presque exécuté,
tout le monde, aux alentours, au centre de santé. Elle va écrire à CULLEN, page
4 de sa déclaration : « Après une semaine, le chef de la milice est
venu avec un papier du bourgmestre pour me demander de laisser partir les hôtes
à la préfecture ». Page 5 de cette même déclaration, s’oubliant un peu,
elle dit ceci, et je vous demande de vous en souvenir, à CULLEN, Gertrude à
CULLEN : « Nous avons tout tenté pour sauver les sœurs… »,
oui, ça, c’est le refrain qu’on connaît, « …et les familles. J’ai fait
appel au bourgmestre, sensé être bienveillant, avec le conseil des sœurs et
de notre voisin ». Flash-back, elle dit ça à CULLEN, mais elle sait particulièrement
que, depuis longtemps, les réfugiés lui ont dit, dès le 18 avril, et ici, on
est le 6 mai ou le 5 mai, depuis longtemps, dès le 18 avril, elle le dit elle-même
au juge d’instruction, je cite, Gertrude au juge d’instruction : « Les
réfugiés arrivaient au centre de santé, le 18 avril. On dit que le bourgmestre
n’avait pas eu le beau rôle », elle le dira à deux autres reprises.
Donc, depuis le 18 avril, elle sait soi-disant que le bourgmestre
n’a pas eu le beau rôle ; à CULLEN, elle vient dire qu’elle a fait appel,
et je cite : « Avec le conseil des soeurs et de nos voisins,
j’ai fait appel au bourgmestre sensé être bienveillant, pour nous venir en aide
et emmener nos hôtes pour les sauver », ça, c’est à CULLEN, hein !
Le 5 mai, elle dit : « J’ai écrit au bourgmestre sensé être bienveillant
pour venir en aide pour emmener nos hôtes, pour les sauver. Il a accepté d’en
prendre quelques-uns qu’il n’a finalement pas protégés. Il en a laissé d’autres
qui ont été tués sur place dont la famille de la sœur Fortunata et sœur Régine ».
Ben, évidemment, CULLEN qui dit ça, il se dit : « Mon Dieu, ce bourgmestre
les a trahis », alors qu’elle savait, soi-disant depuis longtemps, qu’il
n’avait pas eu le beau rôle. Et puis, pas de chance. On dit en Afrique : « C’est
la faute à pas de chance ».
Dans le kit du témoin suborné que l’abbé COMBLAIN dispose sur lui
pour aller demander aux sœurs de faire des faux témoignages, on retrouve, pas
de chance, vous le verrez au carton 4, pièce 10, plein de choses notamment.
Et puis, on va retrouver la lettre du 05 mai 94, cette lettre adressée au bourgmestre,
et c’est là où c’est difficile de rester calme. Monsieur l’avocat général a
fait assurer une traduction de cette lettre, carton 6, pièce 10, et puis, dans
son réquisitoire. Alors, je ne sais pas pourquoi mais j’avais envie de savoir
ce qu’il y avait derrière cette traduction et cette traduction est assez bonne.
Mais quand vous lirez cette lettre en français puisque, bien évidemment, comme
moi, vous ne possédez pas le Kinyarwanda, et je me la suis fait traduire par
trois personnes et j’ai encore demandé au traducteur qui l’avait traduite, si
mon interprétation était la bonne, parce que sœur Gertrude dit qu’elle n’a pas
écrit cette lettre !
Alors on va voir ce qu’il y a dans cette lettre. D’abord le « concerne »
dans la traduction de Monsieur l’avocat général c’est « demande de protection
aux autorités ». En fait, le terme « Gutabaza », c’est plutôt
le secours, c’est un peu « help », et vous allez voir que ce n’est
pas du tout ce qu’elle a dit à CULLEN, ce qu’elle a dit à l’audience, c’est
de dire au bourgmestre : « Au secours, débarrassez-nous de cette vermine ».
Vous allez voir que ce que je dis n’est pas exagéré. Donc, elle commence « concerne
au secours », pas du tout « au secours pour les réfugiés »,
« au secours pour nous », puisqu’elle dit : « Monsieur le
bourgmestre. Durant ces dernières semaines, il y a eu des gens qui sont venus
au monastère de Sovu, de manière habituelle, soit comme visiteurs qui ne restaient
pas plus d’une semaine, soit, pour la plupart, en mission et d’autres qui venaient
se reposer ou bien prier…», ça, c’est les séminaristes, « …depuis, la guerre
s’est propagée à travers tout le pays, il y en a eu d’autres, c’est les 7.000
qui sont venus de manière désordonnée… ». Alors, « …de manière désordonnée
et qui s’obstinent à rester ici… », je vous rappelle qu’on est le 5 mai,
la plupart ont déjà été exécutés, « …et qui s’obstinent à rester ici. Ici,
nous n’avons aucun moyen de les entretenir dans l’illégalité ».
Regardez le texte en kinyarwanda, « dans l’illégalité »
est en français. Tiens, désordre… « dans l’illégalité » en français.
« Il y a quelques jours… », poursuit Gertrude, « …que j’ai
demandé aux autorités communales… », c’est vrai, elle le dira elle-même
dans une de ses versions, « …de venir… », tenez-vous bien, la version
de l’avocat général est la bonne mais il ne faut pas la lire comme si c’était
une phrase, comme ça, elle dit, après avoir parlé en français, « dans l’illégalité »,
« …j’ai demandé aux autorités communales de venir et les mettre en demeure
de retourner chez eux ». J’ai demandé aux Rwandais, enfin, « au secours »
comme ça, « dans l’illégalité » en français, « mettre en demeure »,
tous les trois m’ont dit que Gaspard, qui soi-disant était l’auteur de la lettre,
ne pouvait pas, puisqu’il connaît le kinyarwanda, il parlait en kinyarwanda,
compte tenu de son degré d’instruction, employer des mots aussi savants que
la « mise en demeure », traduction évidemment en langue kinyarwandaise,
que « dans l’illégalité » en français, c’est tout de même assez surprenant
que les kinyarwandais fassent ça, et c’était nécessairement qu’il possédait
aussi bien et qu’il maniait aussi bien la langue française que le kinyarwanda.
Et ces trois personnes m’ont convaincu que c’était vraiment la chef qui avait,
dans l’ordre, voulu manifestement remettre les choses en place, en disant ici :
« …de les mettre en demeure de retourner chez eux, ou bien, d’aller partout
ailleurs où ils veulent vivre, parce qu’ici, au monastère, nous ne disposons
plus d’aucun moyen de subsistance. Je vous demande avec insistance… »,
en gras, « …Monsieur le bourgmestre, qu’à la date du 06 mai 94, soit la
date limite, il faut que tout soit terminé à cette date, pour que les travaux
habituels du monastère se poursuivent ».
Pour Monsieur l’avocat général, c’est « sans inquiétude »,
pour les deux traducteurs et celui qui a fait la traduction me dit que c’est
comme ça que cela se traduit littéralement : « …pour que se poursuivent
les travaux habituels du monastère sans cœur debout », c’est une expression
de religieuse, c’est-à-dire, en toute sérénité. On est bien dans la sérénité !
Et vous savez, c’est signé par qui ? C’est pas la sœur supérieure en tant
que telle, c’est signé, et ceux qui sont dans la salle me pardonneront de Umukuru
w’urugo c’est-à-dire, le chef du foyer. La chef. Et vous savez à qui c’est envoyé ?
La faute à pas de chance. Textuel : « Au commandant de place ».
Mêmes expressions. Alors, moi je veux bien qu’à la limite même, Gertrude ait
fait dactylographier ça par Gaspard, mais c’est pas Gaspard qui a utilisé ces
termes.
Et vous verrez d’ailleurs ce qu’elle dit, quelques jours plus tard,
il y a des lettres intéressantes dans le dossier, des lettres qui ont été saisies,
et là, je crois que vous devez retenir ça parce que j’imagine que la défense
va vous en parler. Elle écrit des lettres après ces événements-là, en disant :
« Ouf… », à tous ses amis, « …le calme, on a encore des petites
attaques, mais c’est le calme ». Donc, du 6 mai au 3 juillet, c’est le
calme. Elle écrit à toutes ses amies en leur disant, sans jamais parler des
massacres évidemment : « Nous sommes toujours chez nous, mais nous
souhaiterions partir chez nos sœurs Trappistes, le trajet est assez long, pas
du tout sûr, le mieux serait que toutes les professes solennelles viennent à
Maredret. Nous autres, nous avons pu fuir une nuit, c’est ainsi que nous avons
échappé aux massacres, mais nous n’avons aucune sécurité », dit-elle, le
18 mai, pour un peu apitoyer et puis, pour rester toujours dans cette ambiance
de sœur qu’elle veut protéger. Et elle va dire, dans une lettre, un tout petit
peu plus tard, le 24 mai, elle va dire exactement à une autre sœur : « Vous
savez, moi, je voudrais tellement une chose, c’est que les trois sœurs qui ont
été si éprouvées, puissent rejoindre la Belgique ». Elle le dit, qu’on
n’en tire pas argument, c’est dans le cadre de son argument à elle, de son argumentation
qui vise à dire à CULLEN : « J’ai été une sainte, j’ai voulu sauver
les sœurs », qu’elle continue dans son mensonge à dire ça, après les faits
où elle a le calme.
Elle est tellement menteuse. Elle est tellement menteuse. Vous savez
ce qu’elle va déclarer, en interdisant aux sœurs de parler ? C’est dans
le dossier, carton 5, farde 5. Vous le croyez pas, hein ? Vous savez ce
qu’elle va déclarer ? C’est pour ça que moi, je peux pas rester calme.
Vous savez ce qu’elle va déclarer aux journalistes ? Seule, devant les
journalistes, après ce qui s’est passé ? Publié dans « La Croix »,
le mercredi 3 août 94 : « Après les machettes, le ciel sera beau ».
Elle va avoir l’odieuse idée de faire le scoop journalistique à Bangui et de
dire : « Vous savez ce qu’on a vu… ? », je défends sœur
Régine et vous comprenez pourquoi ça va pas, « …vous savez ce qu’on a vu ?
On a vu des gens qui suppliaient de ne pas être tués à la machette mais à l’arme,
et nous avons dû donner de l’argent », ce n’est pas elle qui l’a donné
en tout cas. Et vous savez ce qu’elle va dire ? « Des mois de peurs,
de souffrances… » et le journaliste note, ouvrez la parenthèse : « Toujours
avec la même voix légère et la même simplicité, la jeune supérieure affirme,
je n’invente rien : Nous étions heureuses, quand on souffre beaucoup,
on finit pas accepter, par connaître la joie du Christ ! Oui, dit-elle,
nous étions heureuses, nous nous disions : « Il y a cinq minutes de
douleur mais après, après les coups de machette, le ciel est là, c’est toujours
le même ciel ! ». Et l’article continue : « Quand leur bourreau
venait les menacer, dit-elle, les religieuses revêtaient leurs habits de moniales ».
C’est pas moi qui était là, à Bangui, en 94.
Et devant Régine, vous savez ce qu’elle dit, en parlant de REKERAHO ?
« Je l’accueillais avec joie, je l’accueillais comme un frère. Signé Gertrude ».
Et le comble des combles devant Régine, à Bangui, le 3 août 94, on lui pose
la question : « Et dans la communauté composée de Hutu et de Tutsi ? »,
vous avez dit, vous avez dit, osé dire devant Régine : « Nous ne sommes
pas des saintes, il peut y avoir des frottements entre nous, nous en avons parlé.
Nous avons pensé que tous nous pouvons témoigner pour aider les autres. Ces
événements ne nous ont pas opposées, ils nous ont soudées davantage… »,
vous imaginez, après ce qui s’est passé, hein, « …après une longue conversation,
nous nous sommes toutes embrassées pour bien marquer cette union ». Et
le journaliste de terminer : « La bénédictine de Butare continue à
prier ». Vous savez, aux témoins, on devait demander de jurer sans haine
et sans crainte, de dire la vérité et rien que la vérité. Moi, je voudrais qu’elle
avoue, sœur Gertrude, sans hypocrisie. « Après les machettes… », vous
vous souviendrez de cela, « …le ciel sera beau ». Ça, c’est pour la
galerie, c’est pour évidemment l’extérieur. Mais : « Je l’accueillais
avec joie », mon génocidaire.
Je vais passer à sœur Kizito. On va essayer d’être un peu plus rapide
mais… Qui est toujours avec sœur Gertrude. Alors, je pourrais encore vous dire :
« Kizito, vous n’avez pas tort ». Il n’y a qu’une seule personne qui
ait de temps en temps dit, à de rares moments, et notamment devant vous, que
sœur Kizito n’était pas toujours avec Gertrude, vous voyez l’incident où un
jour, elle parle qu’elle est partie avec une sœur. Kizito, évidemment, était
toujours dans l’ombre de sœur Gertrude, et sœur Gertrude savait très bien que
de mettre toujours Kizito dans son ombre, c’était évidement la livrer avec les
problèmes d’essence, la livrer, évidemment, à une condamnation certaine. Alors,
celle qui était toujours avec Gertrude, c’est Kizito, REKERAHO le dit, les villageois
le disent, quasi toutes les sœurs le disent, et je vous dirais que même celles
qui sont les plus ferventes admiratrices.
Mathilde, carton 4, elle n’a rien vu, évidemment : « Nous
avons, ensemble, prié toute la journée. Je ne sais pas si ce jour-là, sœur Kizito
est restée toute la journée chez nous… », enfin, on ne sait rien, « …mais
je sais néanmoins… », ah là, bon, « …les sœurs Kizito… la sœur Kizito
assistait la sœur Gertrude et de ce fait, elle circulait plus librement que
nous dans le couvent. Les sœurs Gertrude et Kizito s’absentaient de temps en
temps pour aller se renseigner concernant la situation actuelle. J’ignore si
les deux sœurs devaient quitter l’enceinte du monastère pour obtenir ces renseignements ».
Liberata, le 22 décembre 95… oui, ça, c’est extraordinaire, hein :
« On lui a donné l’ambulance… », parlant de REKERAHO, « …qui
se trouvait chez nous. En fait, sœur Gertrude et sœur Kizito ont quitté l’hôtellerie,
sont descendues ouvrir la porte du garage, ont mis le véhicule à la disposition
de REKERAHO et sont remontées dans l’hôtellerie. Je les ai vues, je regardais
par la fenêtre ». Une des fidèles zélées, Liberata, vient dire ce que Kizito
a fait, c’est-à-dire qu’elle a donné les clefs de la voiture, elle a ouvert
les portes du garage. Moi, je m’excuse, mais celle qui a les clefs de la voiture,
celle qui a les clefs du garage, est-ce qu’elle a les clefs de la pompe à essence ?
Alors, Liberata, elle dira en 95 : « Sœurs Gertrude et Kizito étaient
toujours ensemble, la dernière citée discutant avec le chef des miliciens étant
donné qu’elle était originaire de la région de Sovu ». On entendra souvent
ça.
Et alors, un moment donné, on dit : « Mais… »,
à l’abbé Jérôme dont j’ai cité tout à l’heure, « …mais Monsieur l’abbé,
on se pose vraiment la question, vous parlez de sœur Gertrude, il n’y avait
pas quelqu’un d’autre ? ». Et alors, il dit ceci, l’abbé Jérôme : « Oui,
il y avait sœur Gertrude qui était particulièrement active ». Et à sœur
Kizito, on lui demandera, en 96, si elle peut dire qu’elle était particulièrement
active au moment où elle était à la paroisse de Ngoma. Elle dit ceci :
« Vous me parlez de la déclaration de père Jérôme, lequel vous a précisé
que je paraissais très active durant mon séjour chez lui. C’est exact, et c’était
vrai tout au long des événements, je ne sais pas comment exprimer cela. Aujourd’hui,
je dirais qu’une force me poussait à tout faire pour sauver mes sœurs ».
Et c’est la même déclaration où, un moment donné, on lui dit : « Mais,
vous étiez avec REKERAHO, vous avez été donner la clef pour le garage, vous
avez donné la voiture ». Elle dira, non plus pour ce qui concerne la paroisse
de Ngoma mais pour ce qui concerne REKERAHO, de nouveau : « Par une
force que je ne peux expliquer, je l’ai rejoint peu de temps après, j’ai assisté
à la conversation, REKERAHO a dit : Ouvre cette porte ».
Alors, que faisait Gertrude entre le 17 avril et le 23 avril ?
Je vous l’ai expliqué, mais que faisait Kizito entre le 17 et le 23 avril ?
Et là, vous allez voir dans le dossier, ça a son importance. Kizito était en
quelque sorte une, cela a son importance, c’est vrai, pas une vraie religieuse,
elle n’avait pas tous les attributs, elle n’avait pas beaucoup d’attributs,
en tout cas. Et Kizito dira en 96 : « Du 27… », non, « …du
17 avril au 19 avril, chaque sœur, malgré ce qui se passait, remplissait
sa mission quotidienne… », donc, du 17 au 19, « …c’est après, c’est
à ce moment que les sœurs qui étaient d’ethnie Tutsi sont restées à l’intérieur
du couvent accompagnées de jeunes sœurs novices. Cela explique qu’en ce qui
me concerne, j’ai repris certaines tâches qui étaient dévolues à la sœur Bénédicte
et à la sœur Bernadette. Bénédicte s’occupait de nourrir les bêtes, par exemple,
et de la ferme, et Bernadette, elle s’occupait des Zamu, c’est-à-dire, les boys.
Ceci explique que, contrairement à certaines sœurs… », elle le dira en
96, « …je circulais dans le monastère qui comprend le bâtiment proprement
dit et les jardins potagers ». Elle s’occupait de la ferme ; la ferme,
il faut évidemment, pour s’en occuper, vous avez vu les centaines d’hectares
de cette ferme, il faut tout de même avoir du matériel, s’occuper de la ferme
c’est-à-dire avoir la clef de l’essence. Et ça, elle le dit elle-même, du 17
au 19 non, à partir du 19 oui. L’essence c’est le 22.
En 99, on lui pose la question : « Savez-vous où était
entreposée l’essence ? ». Alors vous allez voir pièce 6, carton 6,
ça, c’est Columbo qui fait tomber, hein, à la fin du film : « Kizito,
savez-vous où était entreposée l’essence ? », « Oui, l’essence se
trouvait dans un local où étaient les groupes électrogènes. Il y avait de l’essence
au monastère vu que nous avions des véhicules. Sœur Bernadette disposait de
la clef de ce local étant donné que c’était elle qui s’en occupait ». Je
lis, hein : « Lorsque tout était terminé, je peux vous confirmer que
la porte de ce local était intacte et toujours fermée ». Mais bon sang,
mais c’est bien sûr ! « Oui, l’essence se trouvait dans le local où
était le groupe électrogène, il y avait de l’essence au monastère vu que nous
avions des véhicules. Sœur Bernadette disposait de la clef de ce local, étant
donné que c’était elle qui s’en occupait ». « Oui, mais vous aviez
donné, depuis trois jours, vous aviez reçu, depuis trois jours, cette clef,
donc c’est vous qui avez la clef de l’essence ». Et quand elle ajoute,
croyant mettre Bernadette en difficulté en disant que c’était elle qui disposait
de la clef, quand elle ajoute, dans la même volée : « Lorsque tout
a été terminé, je peux vous confirmer que la porte de ce local était intacte
et toujours fermée ». Mais comment le sait-elle, si elle a pas la clef ?
Alors là, j’imagine, avec l’enquêteur un tête-à-tête, elle poursuit : « Au
moins, je le suppose car s’il y avait eu un problème… », hum ! Oui,
là, « …moi, je suppose que s’il y avait eu un problème, l’ouvrier serait
venu nous en avertir ».
Et alors, j’imagine qu’un jour elle doit faire la récapitulation
de tout ce qu’elle a dit comme âneries à CULLEN, en 95, en 96, en 99. Se ravisant,
elle va dire : « Je persiste… », tenez-vous bien, hein,
« …je persiste. Avant les massacres, j’étais bien à l’intérieur du monastère
et je ne suis pas sortie. De plus, Gertrude ne m’a rien demandé pour renforcer
les services des trois sœurs chargées plus particulièrement de l’accueil et
de l’entraide des civils. Je dois préciser qu’après les massacres, soit fin
avril, il est exact que je suis sortie à plusieurs reprises dans les champs
du monastère pour y cueillir des patates, non, pour y chercher des patates douces ».
Ah, pas de chance, hein ! Moi, j’ai dit que je ne sortirais des témoignages
que des sœurs Gertrude et Kizito. le témoin 2, l’ineffable le témoin 2, va nous dire, ou confirmer :
« Les enquêteurs l’ont demandé dans la commission rogatoire en France,
le 11 mai 96 ; elle aurait pu dire tout autre chose mais elle était formelle ».
Le 25, et vous voyez pourquoi je veux revenir au 25, parce que c’était évidemment
avant le problème des grandes… enfin, c’était juste après les tueries, mais
c’était avant qu’on ne sorte les gens, le 25, et avant le 6 mai, le témoin 2, qu’est-ce
qu’elle va dire, au moment où on parle du 25 : « Ni sœur Gertrude,
ni sœur Kizito, ni sœur Scholastique n’étaient présentes pour nous, dans la
chapelle ». On va lui demander : « Mais depuis quand elles
se baladaient dans le… », et je cite le témoin 2 : « Depuis le début,
sœurs Gertrude et Kizito avaient une liberté totale de mouvement. Signé le témoin 2 ».
Alors, les petites phrases disant : « Après le massacre, je pouvais
partir chercher des patates douces », alors qu’elle dit elle-même :
« Du 17 au 19, j’avais ma tâche habituelle. Le 19, j’avais manifestement
repris la ferme et repris les Zamu », il est évident que Kizito ment quand
elle dit qu’elle n’est jamais, personne ne la croirait, sortie du monastère,
même le témoin 2.
Kizito et REKERAHO. Ah, vous savez, elle lui donne les clefs de l’ambulance,
elle lui donne à boire. Et elle a, le 25, quand les religieuses sont toutes
là, réunies devant vous, elle va dire ceci, en parlant de REKERAHO, Kizito disant
en parlant de REKERAHO : « En ce moment-là, il m’a dit mes origines
Hutu et que je n’avais rien à craindre… », elle a dit ça devant vous, « …que
j’allais être exposée à la mort. Je lui ai dit que je n’avais pas peur de mourir,
mais mourir avec ma communauté. A ce moment-là, il m’a fait entrer dans la chambre
de novice avec Gaspard… », donc, on voit déjà le tableau, « …j’ai
été torturée, comme on me demanda : pourquoi vous avez fait venir des personnes,
des partisans du FPR ? ». Et Monsieur le président, je me souviens
que vous avez dit : « C’est la première fois que vous déclarez cela,
c’est ce que vous expliquez pour la première fois », elle a dit :
« Oui, excusez-moi parce que je vais vous expliquer pourquoi je lui ai
servi à boire ». Ah, si vous comprenez ! « Ah, ce soir là, on
a servi à boire à des militaires pour essayer d’apaiser rien que leur colère
continue, je ne vois pas, d’autre part, que j’aurais servi à boire à qui que
ce soit ». « Donc… », dit le président, « …REKERAHO vous
a torturée et frappée ? », « Il m’a giflée, je me souviens bien
que dans la première déclaration devant la PJ, j’ai parlé de REKERAHO parce
qu’il voulait… », et puis, c’est inaudible. « Alors est-ce qu’il vous
a servi à boire lorsque les militaires étaient là ? Et donc, ce n’est
pas à REKERAHO que vous avez servi à boire… », dit le président, « …c’est
aux militaires ». « REKERAHO était là ». Peu importe, hein !
Ce qui est clair, ce qui est net, ce qui est évident, c’est que vis-à-vis de
REKERAHO, pour expliquer pourquoi REKERAHO et elle se trouvaient à l’intérieur
du monastère et pourquoi avec Gaspard, elle a dû dire : « Il m’a torturée ».
Mais vous savez, il y a eu mieux. Le 25 avril, Kizito continue à
mentir, mais vraiment comme une arracheuse de dents. « Le matin, REKERAHO
s’est présenté… », le 25, hein, « …sœur Gertrude nous a tous rassemblés
dans la grande salle de l’hôtellerie. Elle a demandé ce qu’il fallait faire.
Les sœurs sont restées silencieuses et une femme parmi les réfugiés a alors
dit : nous sommes venus pour nous réfugier, pour faire tuer les sœurs,
si cet homme veut que nous sortions, nous devons le faire. Les réfugiés sont
alors sortis… », on voit déjà le spectacle de Kizito qui assiste à tout
ça, « …ont été rassemblés dehors, et REKERAHO a dit qu’il allait les reconduire
dans leur colline, les sœurs qui avaient de la famille l’ont supplié, lui ont
donné de l’argent ». Et puis, on dit à Kizito : « Il y a tout
de même une chose qui va pas, de nouveau vous dites ça en 96, et plus tard,
et devant vous, elle va dire, en parlant du 25 avril : « A ce
moment, REKERAHO a commencé à frapper sur le portail, avec l’ambulance, nous
étions dans l’église, sœur Gertrude est sortie avec sœur Scholastique… »,
c’est toujours sœur Scholastique qu’on essaie de mettre en avant, « …moi,
personnellement, je suis restée à l’hôtellerie ou à l’église ». Alors,
Monsieur le président s’en souviendra tellement et nous aussi, enfin, c’était
absurde, c’était la première fois qu’elle, de nouveau, donnait un scoop. Et
le président a dit : « Vous n’avez donc pas assisté à l’entretien
au cours duquel… », puisqu’elle l’a dit plusieurs fois, je viens de lire
un passage, elle était avec REKERAHO, elle a dit comment ça s’était passé :
« Nous sommes venus pour nous réfugier, pour faire tuer les sœurs, si cet
homme veut que nous sortions, nous devons le faire », le président a demandé : « Vous
n’avez donc pas assisté à l’entretien au cours duquel REKERAHO aurait dit qu’il
- en ce qui le concerne - était d’accord d’épargner ou qu’il ne voulait pas
tuer les membres des familles des sœurs ? », « Je suis ignorante
de cette conversation, Monsieur le président », et cela se termine comme
ça : « Bien, vous pouvez vous asseoir ». Je crois que tout le
monde avait compris, une fois de plus, la malhonnêteté de Kizito.
Je termine presque sur Kizito parce qu’elle a dit peu de choses mais
je vous assure, dans ce qu’elle a dit par rapport à ses amis. REKERAHO le 25
janvier 96, 25 janvier 96, hein : « Des groupes de miliciens
se présentant encore parfois… », ça, c’est après le 5 mai, « …mais
grâce à REKERAHO, nous étions protégées ». Ça, c’est quand il fallait justifier,
justifier que manifestement, elle pouvait sortir pour aller chercher des patates
douces. « Grâce à REKERAHO, nous étions protégées ». Je vous rappelle
que REKERAHO, dans les versions les plus crédibles, avait dit : « Moi,
écoutez, je ne tue pas les gens de la famille, je m’en vais et je ne reviendrai
plus jamais ». Mais : « Grâce à REKERAHO, nous étions protégées.
Malheureusement, l’information selon laquelle il y a encore des réfugiés, est
arrivée aux Interahamwe, un petit garçon nous a trahis », tout ça, c’est
pour expliquer que, manifestement, il y avait encore, soi-disant, des attaques
et alors, elle dira : « Nous avons été avisées d’une attaque
imminente, par Gaspard RUSANGANWA, ils étaient sur la colline toute proche ».
Et ça ne vient rien faire, Kizito invente n’importe quoi pour pouvoir dire :
« Grâce à REKERAHO… », qu’elle connaît bien « …nous étions protégées.
Mais jamais… », dit-elle, « …je ne suis sortie à l’extérieur ».
Et quand on retrouve… et j’ai posé la question au juge d’instruction,
cela aurait été intéressant d’avoir beaucoup plus le récit de la femme du bourgmestre,
carton 8. La femme du bourgmestre dit notamment qu’elle a vu chez elle, chez
elle, donc, chez le bourgmestre, Gertrude et elle dit ceci à propos de Kizito
qui soi-disant n’est jamais sortie sauf, par contre, si mes souvenirs sont exacts,
en mai : « Sœur Kizito est venue me dire qu’elle avait déposé des
motos à la commune. Suivant ses dires, ces motos appartenaient aux personnes
qui avaient été assassinées par les militaires et les miliciens ». Bon,
à la limite, mais enfin quelqu’un qui donne quatre lignes d’interrogatoire,
qui dit : « Oui, Gertrude, je l’ai vue souvent, et sœur Kizito aussi.
Oui, je me souviens », mais c’est évidemment, notamment, qu’en mai :
« Elle est venue me dire qu’elle avait apporté des véhicules à la commune ».
Vous, quand vous ne connaissez personne, vous allez dire : « Oui,
hier, j’ai été apporté des choses » ? Mais c’est parce que vous avez
une conversation suivie avec ces gens, parce que vous les voyez souvent ;
cette dame est arrêtée, cette dame était une génocidaire. Et alors, vous avez
dans le… dans le dossier, une des religieuses qui dit : « Ce qui a
fort choqué la communauté, c’est que Gertrude demandait conseil à un Interahamwe
nommé Gaspard, lequel en compagnie de Maria Kizito, sortait du couvent pour
aller seulement rencontrer d’autres Interahamwe ».
Le bourgmestre, Gaspard, dernière question pour Kizito : Kizito
était-elle une Interahamwe ? Alors, je m’excuse, mais vous allez devoir
pendant trois minutes, subir un petit texte : « Toutes les sœurs
étaient ensemble, le témoin 115, Agnès, Annonciata et Kizito. Quand les miliciens sont
arrivés au portail, les sœurs ont tremblé, elle ont fui dans leur chambre. Mais
curieusement, sœur Kizito est allée rejoindre les miliciens au portail. Je suis
allée avertir des risques auxquels elle s’exposait, elle ne m’écoutait pas,
au contraire elle riait, se moquait de moi, me montrant à quel point elle n’avait
pas peur de ce qui pouvait arriver. On ne pouvait pas ne pas voir qu’elle partageait
des secrets avec les miliciens. Ignorant ce que je lui avais dit, Kizito est
allée s’entretenir avec les miliciens pendant une bonne vingtaine de minutes,
on voyait très bien qu’elle était à l’aise avec eux. Après leur causerie, ils
lui ont donné une massue et sont partis. Je ne sais pas ce qu’ils se sont dit.
Quand elle est revenue, elle avait la massue à la main, j’étais devant la porte
du couvent, je voyais les miliciens prendre le chemin du centre de santé où
l’assistant médical était Tutsi. Kizito frappait le ciment du pavement à côté
de nous, en disant : aujourd’hui, on va les exterminer, on ne parlera
plus d’eux, qu’ils sortent de leur cachette criait Kizito, qu’ils manifestent
en public qu’ils sont Tutsi, on va voir où ils iront encore. Ces propos, et
d’autres similaires, elle les a prononcés en ma présence, elle avait tout son
moral, pleine de courage et d’énergie quand elle parlait de la sorte, en tapant
le ciment de sa massue. J’ai demandé à Kizito ce que les miliciens étaient venus
faire, elle m’a répondu : penses-tu qu’il y en a d’autres qu’ils peuvent
chercher, à part les Inyenzi, qu’ils sortent. Pourquoi se cachent-ils alors
que c’est fini d’eux. Elle a ajouté que, même elle, était devenue Interahamwe ».
Je vous avais promis de ne pas citer des témoins qui sont venus devant
vous, des témoins du dossier. J’ai tenu cette promesse. C’est la déclaration
de Théodore qui tenta de raisonner Kizito, en début 91, à Kigufi. Début 91,
à Kigufi, trois témoignages accablants : Kizito et sa massue. 91 :
« Je suis une Interahamwe ». Elle est plus, REKERAHO le dira :
« Bien qu’elle n’ait pas utilisé d’armes pour tuer les gens, sœur Gertrude
et sœur Kizito sortaient des Tutsi de leur cachette et nous les livraient. Ces
deux sœurs ont collaboré avec nous dans tout ce que nous avons fait. Elles partageaient
notre haine pour les Tutsi, je ne faisais rien sans parler avec Gertrude et
Kizito, elles ont livré des gens innocents, sans aucune menace ni perquisition,
de notre part, elles ne pourront jamais prouver qu’elles l’ont fait seulement
parce qu’elles craignaient pour leur propre vie ».
Monsieur le président, Madame le juge, Monsieur le juge, je vous
prie de bien vouloir excuser le fait que je crois qu’un avocat ne doit jamais
injurier son adversaire, il se dessert. Je vous prie de bien vouloir m’excuser :
Kizito se nourrit, se repaît des malheurs des victimes. Elle exploite, pour
la survie, soi-disant, des sœurs, vis-à-vis de CULLEN, les malheurs de ses victimes,
elle exploite les malheurs de ses victimes, impitoyablement. Vous savez ce que
c’est, un exploiteur impitoyable du malheur des autres ? C’est un charognard,
un charognard. Ici, ce nom terrible a trouvé son féminin.
Après ça, c’est fini, hein ! Pas si innocente, pas si honnête,
pas si religieuse que ça. Je vais essayer d’aller vite. Une mère supérieure
chez les bénédictins, faut pas trop citer, hein, mais enfin, cela vaut tout
de même son pesant de soutanes. La sœur supérieure se doit de rappeler que le
Seigneur exige davantage du serviteur auquel il a confié davantage. Les limites
d’une supérieure sont données dans le petit mot « extra ». Tout ce
que la supérieure, ou le supérieur, doit faire c’est extraordinaire. C’est extra,
elle doit faire tout, plus que les autres et mieux que les autres. Alors, les
dix commandements des bénédictins, cherchez, et je crois qu’il n’y en a pas
un qu’elle respecte. Ne pas tuer. Aimer son prochain, peut-être certains prochains.
Alors, génial, hein, le troisième : ne pas dire de faux témoignages, ce
qu’on ne voudrait pas subir soi-même, ne pas l’imposer aux autres, vêtir celui
qui est nu, dire la vérité, de cœur et de bouche, dans l’amour du Christ, prier
pour ses ennemis, accueillir ses hôtes. Règle de saint Benoît, 7e :
« Tous les hôtes survenant au monastère doivent être reçus comme le
Christ, car lui-même dira un jour : j’étais sans toit - t-o-i-t,
hein - et vous m’avez reçu. Et l’on doit rendre à chacun
l’honneur qui lui est dû, surtout aux serviteurs de Dieu et aux pèlerins. Dès
qu’un hôte est annoncé, la supérieure et les frères ou les sœurs iront l’accueillir
avec une charité toute prête de dévouement ». 8e règle :
« La table de l’abbé ou de la supérieure sera toujours
avec celle de l’hôte et des pèlerins ». Ça fait mal quand on entend
que, soi-disant, elles avaient de la nourriture dans l’église.
Touche pas aux nonnes. Touche pas au nonnes. Touche pas aux nonnes
ou sinon, c’est un complot. DE BEUL est venu le dire : « African Rights,
sans nuance ». Jan FERMON leur a très bien dit : « Ecoutez, sans
nuance, ils ont très bien fait la balance entre les prêtres, les religieuses
qui s’étaient parfaitement et merveilleusement comportés, et les autres qui
avaient abusé de leur soutane ». Monsieur le témoin 147, professeur
à l’UCL, un homme qui nous a habitués à d’autres jugements, non rétrogrades,
comme un seul homme, s’est levé et a écrit : « Qu’est-ce que Colette
BRAECKMAN… », au rédacteur en chef, même pas à Colette BRAECKMAN, « …qu’est-ce
que Colette BRAECKMAN a écrit, c’est scandaleux, elle manque de nuance, ces
pauvres sœurs ! », enfin relisez, c’est dans le dossier. Mais qu’est-ce
que Colette BRAECKMAN a écrit, nom d’un chien ? Qu’est-ce que Colette BRAECKMAN
a écrit ? Le 1er septembre, elle a dit ceci : « Rapport
après rapport, l’organisation britannique de défense des droits de l’homme,
African Rights, démontre à quel point toutes les catégories de la population
rwandaise furent impliquées dans le génocide… », c’est pas vrai ?
« …prêtres et religieuses n’y font pas exception. A côté d’actes héroïques,
il y en eu d’autres de participations actives aux massacres ou de complicité
avec les tueurs ». Il fallait écrire une lettre au rédacteur en chef pour
dénoncer Colette BRAECKMAN qui terminait en disant de sœur Gertrude : « Elle
sortira peut-être un jour de son silence pour répondre devant la justice des
accusations dont elle est l’objet » ?
Mais, c’est vrai qu’on a vu comment on abattait les enquêteurs, on
a vu comment on abattait les témoins. Alors, il faut s’en prendre à African
Rights, il faut s’en prendre à Alison DESFORGES, Human Rights Watch, il faut
s’en prendre à Amnesty, il faut s’en prendre à la Fédération internationale
des droits de l’homme, moi, je n’en connais pas d’autres, et chaque fois leur
dire : « C’est un complot ». Comme si toutes ces organisations
s’étaient mises en complot contre Kizito, contre HIGANIRO, contre NTEZIMANA,
contre Gertrude. Vous jugerez en fonction des rapports, notamment d’African
Rights. Et là, vous m’appelez dans votre délibéré si vous voyez un hiatus, un
iota, entre les déclarations que vous avez entendues ici, qui sont dans le dossier,
et celles qui sont dans les rapports d’African Rights, d’Human Rights Watch.
C’est vrai, et là, DE BEUL, il avait dû chercher, qu’on a situé Maredsous en
Flandre. Bon, est-ce que c’est pour ça que tous les témoignages sont faux ?
On posera la question, évidemment à ceux qui feront l’exégèse.
Alors, c’est vrai, le dossier contient non moins de quatre cas de
religieux exemplaires, de ceux qui ont payé de leur vie, pour sauver, pour essayer
de sauver des réfugiés. Mais combien de religions ont été Hutu Power ?
Vous savez, Dirk RAMBOER, ce matin, a dit combien une partie de l’Eglise était
imprégnée de racisme, d’ethnicisme. Il y a une analyse qui est faite et qui
est très fine, et je crois qu’elle est vraie, par rapport à ceux qui se trouvent
là. Au départ, l’Eglise et l’Etat, mais surtout l’Eglise, l’Eglise supplante
l’Etat. Le colonisateur laisse l’Eglise faire l’éducation, presque tout. Et
puis, arrive le témoin 32. Progressivement, progressivement s’installe le pouvoir
fort, le pouvoir dictatorial, un pouvoir raciste et à ce moment-là, il y a un
glissement. La main mise de l’Eglise fait place à la mainmise du pouvoir, je
ne justifie rien, mais à la mainmise du pouvoir pour asservir l’Eglise. Et vous
allez voir qu’un moment donné, Madame le témoin 32, pour justement asseoir le
caractère un peu Louis quatorzien des choses, va tout le temps se mettre en
photo, tout le temps apparaître, c’est le cas du dire, près de celles qui
ont vu l’apparition de Kibeho, le Lourdes rwandais. Et l’Eglise servira au pouvoir
pour asseoir sa tyrannie. Ça, c’est vrai. Et les religieux, devenus militants
du MRND, sont devenus des artisans du génocide ; pas tous, il y en a eu,
et parmi les chefs. Qui, au Rwanda, ignore le rôle joué par l’archevêque de
Kigali à l’hôtel des diplomates, après le 7 avril ? Qui, au Rwanda, ignore
que Vincent NSENGIYUMVA, à l’Hôtel des Diplomates, le 7 avril, s’est réuni avec
BAGOSORA ? C’était pas il y a dix ans. Ceux-là sont des génocidaires. Alors
la règle des bénédictins s’efface devant la loi des machettes et n’attendez
pas de moi un discours anticlérical, anticlérical rwandais, le pape l’a fait
avant moi. Tous les membres de l’Eglise qui ont péché durant le génocide doivent
avoir le courage de supporter les conséquences des faits qu’ils ont commis contre
Dieu et contre leur prochain. Jean-Paul II, le 20 mars 1996, c’est à vous, Kizito,
c’est à vous, Gertrude que Jean-Paul II parlait, tous les membres de l’Eglise
qui ont péché durant le génocide doivent avoir le courage de supporter les conséquences
de leurs gestes.
J’ai presque fini, mais il faut tout de même que je parle de cette
pression asphyxiante de l’ordre, de cette pression asphyxiante des bénédictins,
ajoutée avec une pincée de pères blancs. C’est vrai que de l’Internationale
démocrate chrétienne aux institutions religieuses qui ont, chez nous, les plus
belles lettres de noblesse - j’ai aussi été à Louvain, l’ancienne - c’est vrai
qu’il y en a marre des pressions de Maredsous, Maredret, ce marécage où s’embourbent
la nonne et le père abbé. C’est vrai que CULLEN a épousé, jusqu’à s’étouffer,
les thèses des deux sœurs, sur base d’un récit faux, relisez-le, larmoyant et
parjure. Le 4 septembre 95, le père CULLEN écrivait à André COMBLAIN, le type
porteur du kit du faux témoignage : « Je vous remercie de la rapidité
avec laquelle vous avez répondu à ma demande, ainsi que pour le tact avec lequel
vous avez envisagé d’accomplir la tâche que je vous ai confiée ». Alors,
la tâche c’était quoi ? « Je n’avais pas cru devoir vous donner un
mandat écrit. Je vous l’envoie par la présente, puisque sœur Scholastique semble
l’exiger, avant de signer une rétractation. Ça, en droit pénal, cela s’appelle
subornation de témoin. Ça veut dire qu’on va trouver le type qui vous a enfoncé
la voiture, en disant : « Ecoute… », enfin le témoin du type
qui a vu que vous étiez pas en règle, on va le trouver en lui disant :
« Ecoute, tu changes ton témoignage, hein ». Et alors, il termine
sa lettre, il est pas jésuite, hein, mais : « Ceci reste la pierre
d’achoppement », alors, ça c’est… « aucune unité véritable dans la
communauté n’est possible sans que cette question soit résolue ». Alors,
quelle est la question ? Réfléchissez bien parce que c’est pas facile :
« Ou bien, en admettant que c’est vrai et en prenant la responsabilité
d’une rétractation… », donc, « …ou bien en admettant que sœur Gertrude
dit vrai et vous devez prendre la responsabilité d’une rétractation »,
« …ou bien en prétendant que les sources citées sont fausses… », c’est-à-dire
que sœur Gertrude se trompe, « …induisent en erreur et qu’on ne peut pas
s’y fier, mais alors il faut le prouver ».
Ça, en droit, c’est l’absurde, on retourne tout, c’est les sœurs
Scholastique et Marie-Bernard qui deviennent les accusées, qui doivent prendre
la responsabilité de se rétracter parce que ce qu’elles disent est faux, et
si ce qu’elles disent est vrai, elles doivent le prouver, c’est-à-dire elles,
doivent prouver leur innocence. Et vous savez, on continue, parce que CULLEN
n’en est pas à un tour de passe-passe extraordinaire, il dit ceci, sous la signature
de CULLEN, de la prieure administrative de Sovu actuelle, et de l’abbé DAYEZ
de Maredsous : « Tel est le climat qui est vécu ici actuellement.
Si réellement, les sœurs sont innocentes, qu’elles viennent en Belgique ».
Vous savez de qui on parle, hein ? On parle pas de Gertrude, on parle pas
de Kizito, « si les sœurs sont innocentes », c’est celles qu’on a
accusées. Qu’elles viennent en Belgique et qu’elles prouvent leur innocence.
« De notre point de vue, il n’y a pas d’autre moyen de sortir de l’impasse
actuelle, aucune réconciliation authentique ne peut exister tant qu’il n’y aura
pas rétractation ». Vous êtes là, avec la règle de saint Benoît qui dit :
« On doit obéir au père Adam, on doit obéir au supérieur », le super
abbé vient leur dire : « Vous ne pouvez pas entrer dans le couvent… »,
voyez les lettres : « …vous devez sortir, faites les hosties
ailleurs » et puis, vient écrire : « Nous espérons… », ça
c’est l’onctueux hypocrite, hein ! « …nous espérons que vous pourrez
amener les deux sœurs à cette décision majeure et je vous envoie en annexe,
quand elles auront signé leurs rétractations, le communiqué de presse ».
Ah oui, tout est prêt dans le kit ! C’est parfait, on va chez les sœurs,
on leur impose avec le supérieur et puis, cette presse qu’on a mise au pilori,
dont on dit : « C’est le complot contre l’eglise », dont on dit
des tas de choses, on prépare un petit communiqué.
Alors, c’est la version Kizito donnée à CULLEN. Maintenant, vous
la connaissez, je m’excuse d’avoir été long mais il fallait passer par là. C’est
la version donnée à CULLEN, le communiqué : « Ce mercredi 30 août
95, la RTBF a programmé une émission dans laquelle deux religieuses bénédictines
de Sovu, séjournant actuellement en Belgique, sont accusées d’avoir participé
au génocide… », j’en passe, « …j’ai pu interroger moi-même ces personnes »,
je passe, « …la vérité… », ah oui, ça, « …la vérité que sœur
Gertrude a personnellement ouvert le monastère pour accueillir les réfugiés ».
Elles disent toutes le contraire, y compris Cécile Hanssen
qui vient du dire, je vous l’ai lu tout à l’heure : « La vérité
est que sœur Gertrude a personnellement ouvert le monastère ». Gertrude
dit le contraire aussi, sauf à CULLEN. A d’autres sœurs : « Elle a
veillé à leur donner de la nourriture et des soins », ah, j’étais flageolante
sur mes jambes, hein ? « Elle a même aidé certains d’entre eux à s’évader » !
C’est pas Bobo s’évade ! Au risque de sa propre vie, en palabrant avec
les miliciens, en leur donnant de l’argent, en interpellant le bourgmestre,
elle a tout fait pour sauver non seulement les réfugiés qui étaient dans son
monastère… Enfin, en interpellant le bourgmestre, elle a tout fait pour sauver
les réfugiés ? Et on voudrait faire croire ça, encore le 30 août 95 ?
Mais qu’est-ce que c’est d’autre qu’une organisation criminelle ?
Des gens qui se mettent ensemble, pour faire des faux témoignages, des faux
témoignages qui sont dans le dossier. Le père DAYEZ va et vient. Le père DAYEZ tente de retourner, ah ben vous
avez reçu, hein ! L’an 2001, le 2 du mois d’avril, c’est juste avant le
procès, il y a eu des informations disant que les sœurs qui allaient venir témoigner,
allaient recevoir la visite du père DAYEZ ; père DAYEZ,
qui est aussi intelligent, a appris ça. Il appert des recherches effectuées
auprès de l’ambassade du Rwanda à Bruxelles, que le père DAYEZ, a effectivement
introduit une demande de visa et que l’obtention de ce visa s’est faite. Pas
critiquer les autorités rwandaises, hein ! Le père DAYEZ a obtenu un visa,
le 12 février 2001. On se demande ce qu’il allait faire quand on sait tout ce
qu’il a écrit, il ne pouvait pas entrer, bon. Par la suite, le père DAYEZ se
serait désisté. Alors, qu’est-ce que c’est, l’organisation criminelle ?
Une association structurée de plus de deux personnes, ils sont plus, agissant
de façon concertée en vue de commettre des crimes ou des délits, que ces crimes
constituent une fin en soi ou un moyen d’influencer indûment le fonctionnement
de l’autorité publique. Ça, c’est la criminalité, criminalité organisée.
Et alors, on a essayé… parce que le témoin 17 devait partir aussi avec DAYEZ.
On a dit : « le témoin 17 et DAYEZ vont partir », parce qu’on a cru
que le témoin 17, évidemment, allait aussi appuyer sur ce faux témoignage, encore en
2001. Et Patricia JASPIS vous a dit ce matin : « Ça ne doit pas intervenir »,
en lisant son texte, mais relisez-le. Vous savez ce que le témoin 17 a dit pour soutenir
les sœurs ? Et il est venu très honnêtement dire : « Je laisse
à votre jugement », c’était tout dire. Je crois que c’est lui qui a, à
ce moment-là, condamné les sœurs. Vous savez ce que le témoin 17 a dit ? « Moi,
je vous écris, père CULLEN. J’ai lu la lettre de sœur Gertrude, qu’elle vous
a adressée… », dont j’ai fait le commentaire, « …et tout ce qu’elle
dit, est qu’elle a ouvert la porte, elle a fait ceci, elle a porté, elle a parlé
à REKERAHO, donc, donc, pour moi, ce qu’on dit à l’extérieur, c’est des mensonges ».
Et quand le témoin 17 apprendra évidemment la vérité de tous les autres témoignages
et que sœurs Gertrude et Kizito se rétractent elles-mêmes, il ne pourra dire
qu’une seule chose : « Je vous laisse juge ».
Il n’a pas été au voyage, DAYEZ. Et qu’est-ce qu’il allait faire,
DAYEZ ? Vous savez que je le sais ! Faut pas être grand clerc, hein !
Il allait leur lire ceci : « Nul, dans le monastère ne peut se permettre
d’en défendre un autre », ça vaut pas pour les chefs, hein, ça vaut pour
les petites nonnes. Règle de saint Benoît : « Il faut veiller à ce
que, sous aucun prétexte, un moine, une moinesse, ne se permette d’en défendre
un autre et pour ainsi dire, du protéger, même s’ils sont unis par quelque
lien de parenté que ce soit, qu’en aucune manière les moines ne se permettent
rien de semblable, car il en peut sortir une très grave occasion de scandale,
si quelqu’un transgresse cette loi, qu’il soit durement châtié ». Et dans
les lettres de DAYEZ, on demande le châtiment pour les sœurs qui manifestement,
ont essayé de se tenir entre elles, on dit : « Mais, regardez, tout
ce qu’on dit est vrai, regardez, il y en a une qui… », non ! La seule
chose que DAYEZ dit : « Vous devez obéir à votre supérieure. Vous
devez obéir à votre supérieure ». Et René HAQUIN, dans le journal « Le
Soir », il y a une huitaine de jours, a fait un long article sur le devoir
d’obéissance même si c’est impossible ! Même si c’est impossible. Et DAYEZ,
évidemment, allait leur dire ça, sachant qu’il y en a quelques-unes qui respectent
cette règle qui devient ici, je vous l’ai dit, une association de criminels.
Conclusion. Il faut mettre tout en perspective. Kizito, en 91, était
déjà une Interahamwe. Les massacres ont commencé bien avant 94. Et la deuxième
perspective que vous devez avoir, c’est que tout était fait pour que les Hutu
réussissent. Supériorité, soutien étranger… On aura l’occasion - on a avancé
- dans d’autres procès, de montrer les soutiens logistiques financiers de la
coopération, qu’elle soit française ou belge, aux Interahamwe, et je pèse mes
mots. On aura l’occasion de voir tous les impacts que cela a eu au niveau de
certains industriels qui font en même temps la coopération et autre chose. On
verra, dans d’autres procès, que tout, manifestement, concordait pour dire :
« Les Hutu sont les plus forts ». Et la France, on en reparlera aussi.
On verra que, si la perspective doit être située avant 94, si tout « souriait »,
entre guillemets, aux Hutu, si à ce moment, les génocidaires faisaient du dérapage
contrôlé : on connaît les cibles, on pouvait viser les cibles, on savait
qui on devait tuer. Et aussi, il faut se dire que, comme tout pouvoir totalitaire,
il sécrète sa propre fin, le cafouillage au Rwanda du Hutu Power est venu d’abord
au niveau des stratégies militaires, les sanguinaires se sont bouffés entre
eux. Pour combien de temps ?
Alors, Régine, vous savez, c’est celle qui a perdu sa mère et ses
deux gosses, je vous demanderai de la laisser espérer. Moi, j’imagine une espèce
de musique dans sa tête, comme un long cri strident de douleur, de révolte,
espèce de cri assourdissant devant les morts, devant cette famille qu’elle a
vu crever devant elle, pour quelques billets, par les armes plutôt que par la
machette. Que peuvent-elles faire d’autre, les Régine ? Les survivantes ?
Que peuvent-elles faire d’autre qu’espérer ? Espérer peut-être que la page
est tournée mais avec cette peur au ventre que Régine, quand elle est venue
ici, nous a très simplement décrite. Première question, pour elle, c’est clair
que le FPR n’est pas à l’abri de critiques, c’est clair que ce n’est pas un
pouvoir idyllique, c’est clair que ce n’est pas un pouvoir démocratique, actuellement.
Je plaide pour des Hutu qui reçoivent, en Belgique, le statut de réfugié contre
le régime rwandais. C’est pas parce qu’on veut la condamnation de génocidaires
qu’on ne peut pas aussi demander à des chefs d’Etat de respecter les droits
de l’homme. La peur au ventre de Régine, c’est de se dire : « Peut-être
que le FPR ne va pas rester, ou que le FPR va encore faire l’objet d’encore
plus de critiques. Peut-être que les ornières de la corruption ne demandent
que le passage du char d’autres nouveaux riches. Peut-être qu’un jour, le pouvoir
basculera ». Votre responsabilité est écrasante. Si demain, à Butare, à
Sovu, les démons du génocide venaient, comme sœur Kizito, rôder sur d’autres
charniers - on a vu sœur Kizito le soir du 22, allègre, sauter de cadavres en
cadavres alors, laissez croire à Régine que le petit oiseau de paix n’est
pas uniquement dans le tableau de Magritte. Laissez croire à Régine qu’il y
aura un peu moins de vautours et de charognes, grâce à vous, au Rwanda. Je vous
remercie.
Le Président : Merci, Maître BEAUTHIER.
Maître FERMON, vous en auriez pour à peu près combien de temps ?
Me. FERMON : Un peu plus d’une heure,
Monsieur le président.
Le Président : Un peu plus d’une heure.
Nous allons suspendre l’audience maintenant. Nous allons la reprendre à 4 heures
moins dix. |
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