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9.6.1. Réplique de la partie civile: Maître SLUSNY
Le Président : Bien, nous
entendons donc maintenant les répliques des parties civiles. Je suppose que
les conseils des parties civiles se sont mis d’accord quant à l’ordre en tout
cas de passage. Maître SLUSNY, vous débutez ? Ou Maître…
Me. SLUSNY : Je débuterai.
Le Président : Ensuite, ce
sera Maître Clément de CLETY ?
Me. de CLETY : Non.
Le Président : Vous n’intervenez
pas ?
Me. de CLETY : Si, j’interviendrai,
Monsieur le président, mais en fait, on s’est réparti en fonction des accusés
plus ou moins. Donc, il y aura d’abord les répliques des parties civiles concernant
Monsieur NTEZIMANA et Monsieur HIGANIRO, et je fais partie du second wagon,
c’est-à-dire les deux sœurs.
Le Président : Bien. Donc,
après Maître SLUSNY, ce serait Maître NKUBANYI et Maître LARDINOIS, Maître
HIRSCH, Maître GILLET ou Maître GILLET et Maître HIRSCH. Bien. Alors, Maître
SLUSNY, je vous donne la parole pour votre réplique.
Me. SLUSNY : Je vous
en remercie, Monsieur le président. Mesdames, Messieurs les jurés, Monsieur
le président, Madame, Monsieur de la Cour, la réplique est une phase de la procédure
qui n’a rien d’obligatoire. On peut décider de répliquer ou on peut également
décider de ne pas répliquer. Le hasard a fait que ce matin, nous avons tous
décidé de répliquer mais peut-être pas tous pour les mêmes raisons. La raison
pour laquelle, en ce qui me concerne, j’ai décidé de répliquer, est la suivante.
Quand les parties civiles ont plaidé, l’avocat général a plaidé,
la défense a plaidé. Les parties civiles, si elles estiment que la défense a
été loyale, qu’elle a bien fait son travail, que tout a été dit, pourquoi devraient-elles
perdre votre temps et le leur ? Votre temps est précieux, vous êtes 24,
notre temps est précieux aussi. En plus, préparer une plaidoirie c’est très
fatiguant. Par conséquent, si ce n’est pas indispensable, on ne le fait pas.
Si l’on estime, en son âme et conscience, ce qui est mon cas, que la défense
n’a pas été loyale, alors on vient vous le dire. Et ce que je voudrais vous
dire ce matin, en quelques instants, ça va durer cinq minutes, c’est que l’on
ne peut pas nier l’évidence, on ne peut pas nier ce qui est indéniable. Je voudrais,
pour Monsieur NTEZIMANA et Monsieur HIGANIRO, vous dire combien, incident par
incident, en choisissant, c’est vrai, d’une manière subjective dans chacun des
incidents, ce qu’il y a de plus indéniable et ce que ces gens ont osé nier,
c’est vrai, ils ont le droit de se taire, ils ont le droit d’interpréter les
incidents, ils ont le droit de mentir. Mais lorsque l’ensemble d’une défense
se réduit à rien d’autre qu’un mensonge, on nie l’indéniable, on nie l’incontestable.
Monsieur NTEZIMANA est accusé de cinq faits. Je vais m’attacher à vous montrer
en quoi, dans mon esprit en tout cas, il nie l’indéniable.
Le premier fait, c’est l’établissement des listes. Il vous a donné
des explications contournées sur l’utilité de ces listes. Mais il y a eu, tout
au début du procès, souvenez-vous en, une question fondamentale qui a été posée
par vous, Madame le 4e juré suppléant, qui a demandé, ce n’est peut-être
pas dans les termes que vous avez utilisés : « Est-ce qu’en tout cas
au Rwanda, une des listes qui a été établie - on sait qu’il y en a eu des centaines
- a servi à autre chose qu’à tuer les gens ? ». Et l’expert a répondu :
« Non, en tout cas, jamais une liste n’a servi à faire autre chose qu’à
tuer les gens ». Et Monsieur NTEZIMANA le savait, il ne pouvait pas ne
pas le savoir. Voilà la négation de l’indéniable.
Le deuxième, c’est l’assassinat de la famille KARENZI. Je ne vais
pas vous en parler, Maître HIRSCH vous en parlera. Mais simplement un tout petit
incident dans cet assassinat, c’est quand Madame KARENZI dit appeler Vincent :
« Il vous dira si je suis une Inyenzi ». Les soldats disent :
« Oui ». Ils se retirent. Cinq minutes plus tard, ils reviennent,
et ils tuent Madame KARENZI. Vincent va bien vous dire : « Je ne sais
pas de quel Vincent on parlait… ».
Troisième incident, l’assassinat de la jeune fille qui était chez
Vincent. Si j’ai bien compris, les explications contournées de Vincent sont :
« Mais je ne devais pas la tuer, je ne me souviens même pas qu’elle était
Tutsi. Je ne sais pas si elle est Tutsi ou Hutu ». Ce que je peux vous
dire, c’est que Tutsi ou Hutu, elle en savait trop. Il l’a fait tuer.
Quatrième incident, horrible, pour moi, parce que le mensonge atteint
une profondeur insondable, c’est l’assassinat du jeune homme à la barrière.
Quelles sont les explications de Vincent : « Bah, je me trouvais par
hasard à la barrière, on était occupé à assassiner quelqu’un. Je me suis dit :
tiens, bon, je vais rester puisque je suis là, par hasard. Après tout, je suis
là, mais vous savez, je n’avais rien à voir dans cet incident ». Quelle
profondeur dans le mensonge, dans l’omission. On peut mentir, mais il ne faut
pas prendre les gens pour des imbéciles.
Dernier incident, c’est l’assassinat de la famille de Victor NDUWUMWE.
Vous vous souvenez, c’est l’histoire des dix maisons. Quel vice. On mène les
gens à la maison d’une deuxième rangée de dix. On s’aperçoit qu’on se trompe.
Un boy vous dit : « Non, ce n’est pas la deuxième en commençant par
ici, c’est la deuxième en commençant par l’autre côté ». On pointe les
soldats à cette deuxième maison, en commençant par l’autre côté. Les soldats
rentrent. Les coups de feu éclatent. Six personnes sont assassinées. Et on dit :
« Bah, je ne sais pas, je passais par là, et tous les soirs - je vous l’ai
dit dans ma première plaidoirie - on rentrait à la maison, on rentrait
chez le capitaine et on jouait aux cartes ». Et alors, il y a des petits
incidents, moins importants, on vous en parlera mieux que moi, il y a « L’appel
à la conscience des Bahutu ». On fait semblant qu’on ne sait même pas.
C’est toute l’histoire de Madame le témoin 50. Il y a les demandes d’entraînement
et d’armement. « Oui, les demandes d’entraînement et d’armement, c’est
normal, il faut bien se défendre ». Mais se défendre contre qui, hein ?
C’est le fameux miroir. Se défendre contre les gens qu’on assassine. Et puis,
il y a les rondes. Et puis, il y a toute l’organisation médiatique. Ce le témoin 144
qu’on fait venir et qu’on aura roulé, je ne sais pas si le témoin 144 roule NTEZIMANA
ou NTEZIMANA roule le témoin 144, mais tout ça sent tellement mauvais, ça sent
tellement la mauvaise foi. Tout ce qui est indéniable, tout ce qu’il a fait
a été nié en bloc et ça, ça ne peut pas passer.
J’en suis déjà à la moitié. Pourquoi ? Il y a Alphonse HIGANIRO,
les sœurs je n’en parlerai pas.
Alphonse HIGANIRO est accusé de trois faits.
Le premier, c’est des crimes auxquels il a incité ou provoqué par
des écrits. Souvenez-vous, il y a trois écrits. Le premier, c’est la lettre
du 16 janvier 1993, qui ne fait pas partie de l’acte d’accusation puisque vous
savez que la loi date du mois de juin, euh… juin 1996. Cette lettre où il envoie
quelques idées brutes au président, quelques idées brutes, quelques idées de
brute, des idées pour tuer. Deuxièmement, c’est le rapport n° 2 de la Commission
politique du Comité directeur des fonctionnaires où il écrit : « Il
faut organiser une défense collective pour faire une véritable démonstration
de force ». Une démonstration de force contre les gens que l’on veut
tuer. Et on vient vous dire : « Mais non, c’est une véritable démonstration
de force, on se défendait ». Le tueur vient se défendre. On nie l’indéniable.
C’était avouable, on aurait pu trouver des moyens pour dire : « J’ai
été forcé. Non, j’étais sous l’influence de… Je devais… ». Non, on vient
simplement dire : « Non, c’est tout à fait innocent ce que j’ai écrit ».
Le troisième écrit, ce sont les suggestions, vous vous souvenez, entre guillemets,
du même comité. On dit : « Tous les moyens sont bons car il en
va de la survie de cette ethnie ». Tous les moyens sont bons. On sait,
pour Monsieur HIGANIRO, ce que ça veut dire, tous les moyens sont bons. Ce n’est
pas simplement mentir et faire de la propagande. Tous les moyens sont bons,
ça veut dire tuer. Et Monsieur HIGANIRO dit : « Non, non, tous les
moyens sont bons, ce sont les moyens de la démocratie ordinaire ». On a
vu comment fonctionnait la démocratie au mois d’avril et au mois de mai, quand
il y était.
Et enfin, la lettre du 23 mai 1994 à le témoin 21 dont j’extrais, on en
a tellement parlé, nous la connaissons tous par cœur, cette lettre, mais j’extrais
une des phrases : « Pour la sécurité dans Butare, il faut achever
le nettoyage ». Et c’est la pathétique, la pathétique, la ridicule,
la ridicule affaire du camion embourbé. « Pour la sécurité dans Butare,
il faut achever le nettoyage ». Ca veut dire : « Pour que
mon camion puisse fonctionner dans l’usine, il faut qu’on désembourbe les roues
avant », d’un camion qui est une traction arrière. Vous avez dit,
Monsieur le président, une propulsion arrière. Voilà la négation de l’indéniable.
Voilà le véritable révisionnisme.
Le deuxième fait dont il est accusé, ce sont ses crimes commis comme
directeur de la SORWAL. Alors, nous savions au début du procès que les gens
qu’il engageait étaient des Interahamwe. Il a dit : « Non, non, pas
du tout, ce n’est pas des Interahamwe, c’est des gens qui passaient par là,
il fallait du personnel ». Négation de l’indéniable. Et nous avons appris,
notamment grâce au professeur GUICHAOUA, que non seulement les travailleurs
étaient des Interahamwe, mais qu’il n’y avait plus que quatre clients. Et souvenez-vous
qui étaient ces quatre clients ? Le président des Interahamwe, et les trois
vice-présidents des Interahamwe. Alors, que ces gens payaient la facture ou
qu’ils ne les payaient pas, je ne sais pas, ça n’a pas beaucoup d’importance.
Mai on vient dire : « Ah, je faisais du commerce tout à fait ordinaire ».
Du commerce ordinaire ? Je ne vendais qu’aux plus grands criminels au Rwanda.
La négation de l’indéniable.
Il y a, mais Maître LARDINOIS vous en parlera beaucoup mieux que
moi, il y a les crimes privés commis à Kigufi. C’est cette histoire extraordinaire
des cyprès, de l’assassinat, tout ça c’est magnifique. Je veux simplement sortir
une chose. Un seul, je vous ai dit, je vais illustrer chaque fois un petit incident.
A Kigufi, c’est, on l’entend dire dans les cyprès : « C’est comme
ça que vous tuez. Il faut tuer tout le monde ». Et le père le témoin 18 vient
nous rajouter, pour ajouter l’infamie à la disgrâce : « C’était en
plus d’une haine raciale, c’était également, nous a dit le père le témoin 18, par
cupidité. Il avait reçu ce terrain, il voulait le terrain de son voisin ».
Et alors, il y a trois petits incidents isolés, c’est le dîner de Pâques deux
jours avant son départ pour aller voir le président MOBUTU. Vous voyez, une
canaille qui va demander conseil à une autre canaille. C’est extraordinaire.
On dit : « C’était par hasard, il passait par là, alors, on se connaissait,
alors il est venu dîner chez moi ». Puis, il y a la participation à la
RTLM. « Cette participation à la RTLM, c’était un investissement ».
Et il y avait le fait qu’il était gardé par les gardes militaires. « Mais
non, tous les gens bien étaient gardés par les gardes militaires ».
Alors, je vous l’ai dit, j’en ai déjà terminé, ça va vite. Vous n’êtes
pas dupes, vous n’êtes pas dupes. Quand on avoue une faute, elle est à moitié
pardonnée. Quand on nie l’évidence, qu’on est pris la main dans le sac et que
l’on dit : « C’était pas ma main qu’il y avait dans le sac, et
d’ailleurs, il n’y avait pas de sac », quand on dit : « Je n’ai
pas volé la montre en or et d’ailleurs elle n’était pas en or », on n’est
pas crédible, on ment, et on ne mérite pas votre mansuétude.
Je vous remercie. |
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