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9.6.2. Réplique de la partie civile: Maître NKUBANYI
Le Président : Maître NKUBANYI ?
Me. NKUBANYI : Merci, Monsieur
le président. Mesdames et Messieurs les jurés, s’il est un fait qui m’a le plus
interpellé et surpris durant les plaidoiries des avocats de la défense, c’est
bien l’indignation générale, le tollé suscité par l’exhibition, par Monsieur
l’avocat général, d’une machette, à la fin de sa plaidoirie. Qu’est-ce qu’on
a entendu : « Une machette, c’est du scandale, du jamais vu. Une première
dans l’histoire judiciaire ». Et en réalité, qu’est-ce qui est scandaleux ?
Est-ce vraiment une première judiciaire ? A mon avis : « Non »,
parce que nous sommes dans un procès criminel, et une machette : c’est
l’arme du crime, c’est une pièce à conviction, un objet du dossier. Est-ce vraiment
scandaleux de montrer cet objet-là ? Je crois que non.
En fait, quelques remarques.
Les victimes n’ont pas seulement vu une machette, elles l’ont ressentie
dans leur chair. Beaucoup en sont mortes, et d’autres en ont gardé des séquelles
psychiques et physiques indélébiles. Et puis, une machette est moins redoutable
qu’un écrit, qu’un discours appelant au massacre parce que l’écrit ou le discours
peuvent faire vibrer des milliers de machettes ; et d’ailleurs, la machette
est normalement un instrument pour les cultivateurs, et c’est le discours, c’est
les cris qui en font une arme de massacre, une arme du génocide. On devrait
plus sursauter face à l’écrit, face au discours, que face à une machette.
Mesdames et Messieurs les jurés, la raison de l’indignation des avocats
de la défense ne tient pas du tout à la dangerosité de la machette, elle tient
à autre chose. La machette, c’est une arme à double tranchant. Pendant les massacres,
elle a fait beaucoup de dégâts chez les victimes mais, pendant ce procès, elle
se retourne en quelque sorte contre les accusés, et plus spécialement contre
Monsieur HIGANIRO, contre qui mes clients se sont constitués partie civile.
En effet, le système de défense des accusés et de HIGANIRO, en particulier,
consiste en deux tactiques qui ne s’accommodent pas avec une machette :
il s’agit de la banalisation et de la jonglerie, deux tactiques qui ont servi
dans le génocide et qui, actuellement, servent dans la négation du génocide.
Parce qu’en effet, une machette, c’est du sérieux, on ne badine pas avec la
machette, on ne jongle pas avec elle, mais on peut jongler avec les discours,
on peut jongler avec les écrits. La banalisation, disais-je. On a dit de ce
procès qu’il était un procès historique. Et la défense a dit : « Non,
pas question, il n’y a pas de procès historique, on n’est pas à Nuremberg, on
est en Belgique ». Est-ce que le génocide rwandais, c’est le troisième
génocide du siècle ? « Ah non, pas du tout. C’est une manipulation
des médias. Il y a d’autres faits tout aussi graves : les Talibans, le
Vietnam, le Cambodge, la Palestine ».
Est-ce que les écrits de Monsieur HIGANIRO sont des écrits génocidaires ?
« Mais non, c’est une expression de la démocratie dans un pays qui se respecte.
Quand on appelle à l’union des Hutu contre les Tutsi à ce fait de pouvoir, c’est
comme en Belgique, quand le FDF appelle à l’union des francophones contre les
flamands assoiffés d’autonomie ». Et ce discours, on l’avait déjà entendu
au Rwanda. Le président le témoin 32, quand on lui a dit de fermer la radio Mille
Collines parce qu’elle prêchait la haine, il a dit : « Pas question,
on veut étouffer la jeune démocratie rwandaise, parce que la RTLM, c’est l’expression
de la démocratie, c’est l’expression libre des citoyens ». Voilà pour la
banalisation.
J’en reviens à la jonglerie. Ici aussi, c’est une tactique. On dit :
« Pour la sécurité dans Butare,… ». Maître SLUSNY en avait
déjà parlé, « …il faut poursuivre et achever le nettoyage ».
Et quand on accuse Monsieur HIGANIRO d’avoir fait une globalisation en parlant
des Tutsi à ce fait de pouvoir, il dit : « Non, ce n’est pas de la
globalisation. En fait, il s’agit d’un raccourci pour dire le FPR ». Et
quand on dit que la défense collective des Hutu, ça a un caractère criminel,
il dit : « Non pas question, ça n’a rien à voir avec les massacres.
Il s’agit d’une défense du citoyen contre les attaques du FPR ». Et puis,
d’ailleurs, tous ces écrits rédigés dans le cadre de la sous-commission de la
Commission du Comité directeur du MRND des fonctionnaires de Butare n’étaient
que de petits brouillons qui n’ont servi à rien, c’était du passe-temps…
Mesdames et Messieurs les jurés, la banalisation et la jonglerie,
disais-je, ont servi dans le génocide et peuvent servir aussi dans la négation
de ces faits pour des esprits non avisés que vous n’êtes pas, bien sûr. Et ces
tactiques ont des effets miraculeux.
Le premier effet, c’est qu’on peut en arriver à un génocide sans
génocidaires. On peut en arriver à des crimes de guerre sans criminels. Tenez,
pour Butare, où il y a eu 300.000 victimes, on peut se demander qui sont les
coupables. Monsieur HIGANIRO ? « Mais non, Monsieur HIGANIRO n’était
pas à Butare, et puis, les massacres ont commencé le 20 quand il était à Kigufi.
Donc, s’il était coupable, ça aurait pu commencer avant ». Est-ce que c’est
Monsieur SINDIKUBWABO et son discours ? Il pourrait répondre ceci :
« Mais non, pas question. Moi, je n’ai appelé qu’au travail ». Il
a appelé à ceci : « Ceux qui ne se sentent pas concernés doivent se
montrer, qu’ils nous cèdent la place et nous laissent travailler ». En
jonglant sur les mots, on peut dire : « Non, il a appelé au travail ».
Et vous l’avez entendu, ici, dans les images. Il a dit qu’il a appelé au travail
seulement. Est-ce que ce sont les miliciens, les militaires ou autres exécutants ?
On peut vous dire : « Non, pas question, nous, on a obéi aux ordres
et puis, on avait peur. Ca vous prend par les tripes, on ne peut pas, on ne
peut rien faire ». Et alors, la boucle est bouclée. On en vient à un suicide
collectif de tous ces gens. On en vient à des sectes comme les Davidiens qui
se suicident collectivement.
Et plus grave, plus grave alors, on en arrive à culpabiliser les
victimes, tant pendant le génocide que maintenant, pendant le procès. Pendant
le génocide et avant, on disait des Tutsi qu’ils étaient des ennemis intérieurs,
qu’ils étaient des complices du FPR, donc, coupables d’avoir attaqué le Rwanda
et donc, ils méritaient la mort, parce qu’ils ont agressé leur pays. Et maintenant,
quand ces victimes, moyennant… malgré tous les risques qu’elles courent
pour venir témoigner parce que, vous le savez, « aucun témoin ne doit survivre »,
c’est que ces victimes sont obligées de cohabiter avec les proches des criminels,
ils sont souvent tués après avoir témoigné. Ici, on nous dira qu’il s’agit simplement
de syndicats de délateurs. Ce sont des gens qu’il faut punir parce que ce ne
sont que des délateurs.
Mesdames et Messieurs les jurés, aujourd’hui, les victimes et les
proches des victimes que nous représentons, ont l’espoir que vous ne vous laisserez
pas berner par ces tactiques de banalisation et de jonglerie dont ils ont fait
les frais, et que vous déclarerez les accusés, et en particulier Monsieur HIGANIRO,
coupables des faits qui sont reprochés, et ainsi commencera, alors, le deuil
des victimes.
J’ai dit et je vous remercie.
Le Président : Merci, Maître
NKUBANYI. |
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