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Débats Répliques partie civile compte rendu intégral du procès
Procès > Débats > Répliques partie civile > Me. Beauthier
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9.6.10. Répliques de la partie civile: Maître BEAUTHIER

Le Président : Maître BEAUTHIER ?

Me. BEAUTHIER : Mais, Monsieur le président, nous avons tous faim de justice, bien évidemment, ne m’interrompez pas, ça ferait perdre du temps. Alors, je serai, je serai respectueux en tout cas de la parole donnée, ça m’évitera de devoir déplorer le fait que la défense se soit crue obligée, puisqu’elle n’avait pas d’autres arguments, que de commencer à imiter, à brocarder les avocats des parties civiles. J’admets que pour moi c’est assez facile à faire, mais enfin, pourquoi ne pas avoir parlé de CULLEN ? Je l’attendais celui-là, on devait au moins me donner la réponse. Lisez, vous verrez que je suis en style télégraphique, lisez carton 1, document 5 : Déclaration de Gertrude. Sept pages. Après ça, on peut tirer le rideau et le rideau de la scène qu’on vous a présentée, du théâtre dans lequel la défense a joué, était celui, je l’ai dit, du discrédit.

On a voulu me faire dire, je ne sais pas pourquoi, que dans le kit du suborneur, il y avait la lettre dont Jan FERMON vient de parler. Je n’ai jamais parlé de ça, mais ça fait bien dans le tableau de croire qu’on se trompe. Ca me permet très rapidement de faire allusion une dernière fois à cette lettre, cette lettre de sœur Gertrude dont Jan FERMON vous a parlé, hé bien, elle est le calque anticipé de ce que cette « juriste en herbe » qu’est sœur Gertrude, va utiliser comme termes, parce qu’elle en a l’habitude, pour faire partir les gens du couvent. Elle l’a fait à plusieurs reprises, sœur Gertrude.

Carton 2, 27/4 : qu’est-ce qu’elle dit ? Par téléfax, signé sœur Gertrude. Et là, elle ne dit pas que ce n’est pas elle. Elle dit : « Je suis consternée des démarches faites par les deux sœurs », et ça c’était dans le kit effectivement, « je suis consternée par les démarches faites par les deux sœurs, Scholastique et Marie-Bernard, par le fait qu’elles se sont détachées de la communauté. Elles savent que le monastère ne leur appartient plus ». En bon juriste : ça ne vous appartient pas, les pierres ne sont pas à vous. Et alors, on dit très clairement : « Je vous mets en garde également contre une certaine Madame NOVAK qui est ici en Belgique, c’est le témoin 20. Elle prétend aller au Rwanda pour offrir ses services », etc. Et on écrit cette lettre en disant : « Il n’est pas prévu que d’autres sœurs aillent les rejoindre. Nous maintenons intégralement notre engagement vis-à-vis de Terre des Hommes ». Ca, c’est la lettre qui sert justement à dire : « Expulsez sœurs Scholastique et Marie-Bernard ». Elle date du 12 décembre 1994. Et on va le dire un peu plus tôt même. La « juriste en herbe » va dire aux gens de Terre des Hommes : « Cet engagement est valable, en tout cas, jusqu’au 15 octobre 1995. Vous pouvez rester dans les lieux ». Et merveille de quelqu’un qui est annihilé par Dieu sait quel drame, qui est une femme en décomposition. Vous savez ce qu’elle dit le 23 octobre 1994 ? « Nous comptons sur votre bonne attention pour que ce qui est encore en bon état soit préservé : l’église et les annexes, la bibliothèque et son contenu, l’atelier pour les hosties. Vous pouvez disposer également du centre de santé, de ce qu’il en reste ».

Alors, on pourrait multiplier à l’envi les lettres juridiques comminatoires de mises en demeure que sœur Gertrude adresse. Il y en a encore une toute petite, c’était non pas une lettre, mais c’était une transcription d’un entretien téléphonique de sœur Gertrude : « Congrégation des Bénédictines de Maredret, propriétaire du monastère de Sovu », ce sont ses termes, à propos des deux sœurs Scholastique et sœur Marie-Bernard. C’est un entretien téléphonique qui a été relaté par Terre des Hommes. Elle dit ceci : « Les deux sœurs sont arrivées ce matin à Kigali et elles ont l’intention de rejoindre le monastère, ce que nous ne voulons pas. Au nom de la congrégation, nous vous demandons de ne pas les laisser pénétrer dans le site ». Si ça ce n’est pas une deuxième lettre d’exclusion, je ne sais pas comment ça s’appelle !

Et alors, je vais vraiment très vite et je m’excuse de hacher mes mots. On a dit : « Oui, Maître BEAUTHIER n’a pas d’ordre dans ses papiers, il essaie de faire en sorte que Immaculée, tout d’un coup, ait dit quelque chose et puis autre chose ». Je vous demande de lire C 4-33, cette fameuse Immaculée qui était chez Gaspard et qui a vu des réunions chez Gaspard, ça on ne peut pas le nier. Que dit Immaculée ? « Pendant les événements, je me trouvais à Sovu, sur la colline près du monastère. Je n’étais pas encore religieuse à ce moment-là ». Donc, elle y était pendant les événements. Et c’est vrai qu’elle est allée se réfugier chez sa grande sœur, jusqu’au début du mois de juin 1994. « Je suis alors revenue sur la colline de Sovu ». On peut lire cela 10 fois, 15 fois. Elle est partie, elle est revenue. Et à la limite, l’acteur, la défense, joue bien mal au théâtre. La représentation qu’on vous a donnée, c’est une trappe, ce ne sont que des planches. Imaginez que ce soit vrai, que cette Immaculée n’ait assisté qu’à des réunions, au mois de juin quand elle est revenue, mais est-ce que ce n’est pas encore plus terrible d’avoir, avec des génocidaires, une réunion, au mois de juin alors qu’on sait ce qu’ils ont fait, qu’une réunion le 8 avril ? Est-ce que l’argument ne se retourne pas comme un coup de bambou sur ces coups de gueule de la défense ?

Très vite, hein. Alors, soi-disant, il n’y a que REKERAHO qui accuse les sœurs, et là, on va très vite vers Kizito. Vous savez, je pourrais vous sortir quatre ou cinq témoignages de ceux qui accusent Kizito et Gertrude. Mais ici, on va prendre Kizito. Bien sûr, on n’a peut-être pas lu tout le dossier. Bien sûr, on n’a peut-être pas lu ce que des ouvriers disent, parce qu’on préfère lire ce que des monseigneurs disent. Vous verrez. A la demande du juge d’instruction, donc, ce n’est pas devant TREMBLAY. Devant Monsieur VER ELST-REUL, le 11 octobre 1995, à Huye, les références sont très claires, carton 2, pièce 23 : Théoneste, il fallait l’inventer ce prénom, KAGINA Théoneste, qu’est-ce qu’il dit Théoneste ? « J’ai travaillé au couvent en mai 1994 ». Il est arrivé après les événements, il le précise : « Mon travail consistait à jardiner - vous verrez que c’est très court - consistait à jardiner et à cuire des légumes dans leur potager, mais je ne cuisinais pas pour elles, chacune d’entre elles ­ pardon - des sœurs me donnaient le travail à faire. Je donnerais pour exemple la sœur Kizito qui venait me dire : « Aujourd’hui, que vas-tu faire ? ». On la voit, hein, si calme devant vous, si muette. « Tu vas couper les bananes ou bien de l’herbe, chercher les patates douces ». Toujours les patates douces chez elle. « Jardiner et faire tant d’autres tâches comme elle voulait ». Et ce monsieur va alors dire tout simplement, alors que TREMBLAY n’est pas là : « Je voyais… », je cite, « …très souvent un certain Gaspard qui était membre de la Croix-Rouge de chez moi, à Sovu », c’est lui qui a demandé à la Croix-Rouge de venir protéger le couvent, d’ailleurs, au moment où soi-disant les forces de Gertrude étaient annihilées, « je voyais très souvent un certain Gaspard qui était membre de la Croix-Rouge de chez moi, à Sovu, et un dénommé REKERAHO qui était chauffeur de la société FABO de Butare, venir à ce couvent de Sovu. Ils aimaient venir vers midi ou le soir, s’entretenir avec des religieuses, mais surtout avec la sœur supérieure et Kizito. La raison pour laquelle ils venaient si souvent, je l’ignore. REKERAHO et Gaspard, je les ai cités, ils étaient Interahamwe. Ces rencontres fréquentes de ces sœurs et de ces Interahamwe, me surprenaient ». On est au mois de mai-juin. Les réunions d’avant, alors qu’on savait qui étaient ces gens, les réunions d’avant se sont prolongées après. On va dîner avec les génocidaires qu’on va ensuite vilipender devant vous parce que, manifestement, on n’en sort plus.

Deuxième partie : Kizito et les clés. Alors, on a essayé d’abord de faire passer, c’étaient des ballons d’essai, Gertrude a dit : « Au fond, attention, Stéphanie, hein, j’étais avec Stéphanie ». Et puis, quand on a dit qu’on avait la photo des deux et qu’on savait que, ni Stéphanie, ni Kizito ne se ressemblaient, évidemment, on a abandonné la piste Stéphanie. Et puis alors, on a une autre stratégie, c’est le silence. Gertrude pour les CULLEN, Kizito pour les clés. Je vous ai lu, et je crois qu’elle est intéressante, la déclaration d’une sœur alliée, ô combien, à Cécile le témoin 37, sur les clés, qui ont dit qu’elles avaient toutes les deux les clés parce qu’elles étaient, sœurs Gertrude et Kizito, à un moment donné, restées les seules qui pouvaient sortir. Toutes les alliées l’ont dit. Cécile le témoin 37 l’a déclaré le 27 décembre 1995 (pièce 32, carton 4) : « Parce que toutes les portes, aussi bien l’hôtellerie que du monastère, avaient été fermées à clé, vous m’en demandez le pourquoi, c’est pour que le monastère ne soit pas envahi par les réfugiés. Je pense que c’est sœur Gertrude qui avait fermé à clé, les portes mais cela avait été décidé - tu parles ! - de commun accord ».

Et alors, on en arrive à la merveille des merveilles : seul REKERAHO accuse Kizito. Et Gertrude ? Mais non. Vous avez, devant le juge d’instruction, manifestement sur son rôle, Gertrude qui se lance en grande accusatrice et qui, je cite, dit : « Durant les événements - parlant de Kizito, originaire de la région, je cite - elle a eu des contacts avec les miliciens. Je sais qu’elle a voulu nous protéger et qu’elle allait vers eux pour plaider notre cause. J’ai cependant vu que lorsque le chef des miliciens, prénommé Emmanuel REKERAHO, venait de discuter, Kizito essaie du distraire en lui proposant à boire ». C’est le comble ! Cela a échappé un peu à tout le monde. Le 25 janvier 1996, Gertrude, devant le juge d’instruction. Voilà Kizito se transformant en Alsacienne portant des bières dans une taverne, pour Emmanuel REKERAHO. Et Gertrude va continuer, je ne cite rien d’autre que ce qu’elle a dit : « Je semblais entretenir de bons contacts avec le bourgmestre et avec Gaspard. Sœur Kizito semblait en bons termes avec les miliciens. Lorsque le bourgmestre a emmené les réfugiés, il a dit aux miliciens de ne pas s’attaquer au couvent et elle est manifestement annihilée, elle est manifestement sans jambes.

Et alors l’évêque ? Pour ceux qui ont tenté des pressions, encore dans leurs derniers courriers que j’ai reçus et dont je ne vous parle pas, je vais parler de l’évêque de Butare, non pas d’autres faux évêques, de Monseigneur GAHAMANYI. Alors, celui-ci a été interrogé par TREMBLAY, effectivement, mais qu’est-ce que TREMBLAY a pu lui promettre ? Un archevêché en Missie, en Lignie ? Un truc ex partibus dans Dieu sait quel désert ? GAHAMANYI, qu’est-ce qu’il a dit ? C’est pourtant l’évêque de Butare. Carton 10, pièce 3/2, parlant de Kizito, et parlant des réunions à propos de Gaspard et de REKERAHO, il dit ceci : « La prieure et ces deux individus étaient Hutu comme sœurs Gertrude et Kizito. Quant à cette dernière - dit l’évêque - son attitude m’a toujours paru fuyante et ne m’a jamais manifesté sa bonne foi ». Et lui va faire tout le récit de ce qui s’est passé à Ngoma et ce récit correspond à ce que l’abbé Jérôme a dit. Et en page 15, il va dire manifestement toute la pérégrination, que c’est lui qui a aussi téléphoné aux sœurs pour leur demander de revenir parce qu’il y avait l’opération Turquoise. Et il va encore, en plus, dire : « Après, j’ai reçu un fax de Gertrude pour interdire aux deux sœurs qui étaient revenues de retourner dans leur monastère ». Cet évêque est décédé, il était assez âgé. Cet évêque évidemment - vous reprendrez ses déclarations - il ne pouvait pas mentir sur cette mauvaise foi avérée pourtant d’une autre religieuse. Il ne pouvait pas mentir sur le rôle qu’avait eu Gertrude pour l’expulsion du monastère, des deux sœurs. Il ne pouvait pas mentir sur le rôle que Gertrude avait eu à Ngoma et qui est confirmé par l’abbé le témoin 59.

Vous savez, s’il faut encore se convaincre que Kizito était à l’avant-poste, voyez la déclaration de Marie-Paule LEBELLE. Marie-Paule LEBELLE, c’en est une qui a écrit des tas de choses. Dans les perquisitions, on a vu comment Marie-Paule LEBELLE s’exprimait à une mère abbesse de Maredret, parlant de Bujumbura, elle venait de rendre visite aux sœurs, on est le 18 juin 1994, et le 18 juin 1994, elle dit ceci : « Elle n’a rencontré, elle le dit, que sœur Kizito et sœur Gertrude » le 18 juin 1994. Même à ce moment-là, il n’y avait que deux représentantes, sœurs Kizito et Gertrude. Et qu’est-ce qu’on dit ? « Nous avons rencontré sœurs Kizito et Gertrude. Depuis, sœur Gertrude nous a dit qu’elle pouvait dormir la nuit - on parle d’une personne animée. Le bourgmestre les visite, mais il n’a pas d’autorité sur les milices ». Et donc, de réunions en réunions qui ont eu lieu - et c’est à ça que je veux m’attacher - de réunions en réunions qui ont lieu, on en vient à croire la version des témoins les plus proches de Kizito : « Ils se sont encore vus, ils se sont encore vus, bien après les massacres ».

Et alors, j’en veux pour preuve la déclaration effrayante, mais tellement vraie, qu’au fond on aurait dû vous lire au début de ce procès. Encore un Innocent, c’est son prénom, il est gardien, il a fait une déclaration, carton 10, 3/19, c’est assez facile, la lettre de CULLEN, c’est 1er carton, 1ère pièce. Ici, Innocent, c’est carton 10, 3/19, dernière pièce. Je crois que personne n’a lu ce témoignage. Il ne se souvient pas exactement de la date. C’est manifestement un type qui était là, qui n’a pas eu un très beau rôle, j’imagine : « On fracassait les fenêtres et on faisait une brèche dans le portail - je lis mot à mot - pour y lancer des grenades et verser l’essence à l’intérieur, pour faire sortir les réfugiés. On pouvait entendre les gens qui étaient à l’intérieur, crier et tenter de s’enfuir. A ce moment-là, j’étais à environ 20 mètres du garage et je pouvais voir tout ce qui se passait. Pendant l’incendie, il m’est impossible de dire l’heure. J’ai vu les sœurs Kizito et Gertrude, vêtues d’habits religieux, arriver sur les lieux. Elles étaient accompagnées de REKERAHO Emmanuel, elles ne parlaient pas, elles regardaient le spectacle, elles ont vu les réfugiés tenter de se sauver mais elles n’ont rien fait, car REKERAHO Emmanuel, sœur Gertrude, sœur Kizito, travaillaient ensemble. Je connaissais sœur Kizito de taille moyenne, je peux l’identifier facilement car elle est originaire de Sovu. Quant à sœur Gertrude, si je la voyais en présence de sœur Kizito, je pourrais la reconnaître, car avant les massacres, je n’allais pas à Sovu, je ne l’ai donc pas vue. Pendant cette journée, j’ai vu Gertrude, Kizito, REKERAHO Emmanuel, circuler du monastère de Sovu vers le centre de santé, accompagnés de réfugiés. Ils les conduisaient près du bois où ils étaient tués. Durant toute la période des massacres, je n’ai jamais parlé à ces deux sœurs, qui ne m’ont jamais adressé la parole. Concernant les événements du garage, je peux mentionner avoir demandé à BYOMBOKA où il avait pris l’essence qui avait servi à mettre le feu au garage. Il m’a répondu que l’essence provenait du monastère de Sovu ».

On a voulu taire évidemment, ou ne pas parler, on ne l’a pas vu, ce témoignage fondamental de quelqu’un qui n’a rien à gagner à dire exactement ce que lui a vu. Et lui a vu un épisode, un flash. Elles étaient là, de toute façon. D’autres verront qu’elles avaient un bidon d’essence, vous allez voir. Mais parlons une dernière fois, si vous le permettez, de cette essence. La défense vous a dit : « C’est REKERAHO qui, dans l’après-midi du 22, massacre. REKERAHO qui, dans l’après-midi du 22, a apporté - les mots qu’on a cités hier, mot à mot - qui a apporté, le 22, l’essence, il n’y en avait plus ». Un gendarme dirait : « Bardaf, c’est l’embardée, hein ». Vous imaginez ce qu’on essaie de vous faire croire ? REKERAHO, l’après-midi, apporte de l’essence parce qu’il n’y en avait plus. Alors qu’on vient soutenir contre l’évidence que le 22, c’est seulement le soir qu’il a reçu l’ambulance, avec quoi il a été chercher cette essence ? Ailleurs, à 5-10 km sur des chemins rocailleux ? Mais il n’y a évidemment pas d’autre solution que celle de dire qu’il avait l’ambulance avant, s’il a été chercher l’essence. Et puis de nouveau, double embardée. Est-ce que vous trouvez acceptable et dans vos questions, allez-vous répondre que c’est plus acceptable de donner à un criminel avéré plein de sang, une ambulance pour qu’il circule, soi-disant par la ruse ? On va faire la balade après, vers Butare, le 3 juillet, hein. Est-ce que vous trouvez que c’est mieux de donner à un criminel avéré, une ambulance le 22, plutôt que de la donner le 8 avril ? Moi, si j’étais la défense, j’aurais plutôt adopté la thèse du 8 avril. Là, j’aurais encore pu dire, et je les entends encore dire, le 8 avril, ah, je ne savais pas. Le 22, de toute façon, elle savait, elle ne savait que trop.

Presque fini, Monsieur le juge d’instruction.

Le Président : Euh, ex-juge d’instruction, peut-être, mais…

Me. BEAUTHIER : Oui, mais c’est parce que vous me regardez comme si j’étais en faute. Alors, RUTEGESHA Alfred. Vous savez, moi, je peux vous en sortir dix, si on me laissait le temps. RUTEGESHA Alfred, forgeron, carton 10, 3/18. Là non plus, on ne l’a pas vu. Alors, lui, c’est peut-être encore mieux. Il dit aussi que les dates, il ne sait pas très bien, il situe ça d’ailleurs le 23, mais vous allez voir que manifestement il décrit bien la journée du 25 : « Vers 8h du matin, j’ai aperçu sœur Kizito, REKERAHO Emmanuel, Gaspard, sortir une trentaine de réfugiés du monastère de Sovu et les remettre aux militaires qui les attendaient dans la cour intérieure du monastère. Ils furent conduits dans les bois et tués ». Ouh, on se dit. TREMBLAY est passé par là, hein. Pas de chance, on va lui demander : « Monsieur, vous allez préciser ce qu’il en est ». Alors, il reprend, il dit : « Ce jour-là, il est environ 8h du matin ». Et il explique. Il s’est rendu dans la cour intérieure du monastère. Par la suite, s’adressant… écoutez ceci : « Par la suite, s’adressant aux sœurs, REKERAHO Emmanuel a demandé… ».

Donc, REKERAHO, porte-voix des génocidaires : « Y a-t-il d’autres réfugiés à l’intérieur du monastère ? ». Et sœur Kizito a répondu : « Il n’y en a pas d’autres ». « C’est à ce moment-là que REKERAHO Emmanuel est entré à l’intérieur du monastère de Sovu pour aller vérifier », dit ce témoin parfaitement objectif, parfaitement sincère, qui ne recevra rien d’autre mais qui nous donne un élément. Il en est ressorti une dizaine de minutes plus tard. Il était fâché, et s’adressant à sœur Kizito - vous savez, c’est : « Frappe-moi, hein, je t’adore » - il était fâché, s’adressant à sœur Kizito, il lui a dit : « Vous autres, vous avez menti. Il y a des portes fermées que vous avez refusées d’ouvrir. Je cite : « Par la suite, sœur Kizito Julienne a fait le triage des huit réfugiés alignés devant la chapelle en identifiant les cinq personnes d’ethnie Tutsi et les trois autres, d’ethnie Hutu ». Vous croyez que ça s’invente ? S’il avait voulu être vraiment pour TREMBLAY, il n’aurait pas dit que sœur Kizito avait, à un moment donné, essayé de jouer la digression pour sauver quelques sœurs, non ? C’est toujours comme ça. Duplicité. Kizito, la reine de la duplicité, qui manifestement, reine de l’ombre, reine de la nuit, Kizito Julienne fait le triage. Ce sont des expressions qui ne s’oublient pas. Cinq personnes d’ethnie Tutsi et trois autres d’ethnie Hutu. C’est suite à ces paroles que l’on a séparé, à la demande de Kizito, que l’on a séparé les réfugiés, qu’on a remis quatre hommes Tutsi âgés de 30 et 31 ans et une jeune femme répondant au nom de Virginie. Suite à ces paroles, le militaire Alphonse, accompagné de - Dieu sait quel nom - est parti avec la jeune fille parce que REKERAHO a dit : « Prends cette fille-là et tue-la parce que je n’aimerais pas qu’on la découpe à la machette ». Kizito a donné Virginie.

Vous me permettrez, Monsieur le président, et j’ai terminé vous savez, de vous dire que dans le dossier, il y a des tas de Virginie, qu’on a fait l’impasse, devant cette Cour d’assises, sur le sexe, sur la sexualité, sur les viols, sur ce que des femmes ont enduré. Il y en a qui ont été machettées, il y en a qui ont été abattues, il y en a qui ont été, avant tout ça, utilisées comme des choses. Virginie l’a été, Clémence l’a été. Je vous dirai bon appétit, si vous en avez encore le courage. Ces dix lignes : « Les militaires nous ont encerclés et nous ont dit qu’ils nous protégeaient ». C’est un peu comme Kizito. C’est Clémence qui parle : « Nous étions très heureux. Mais le dimanche suivant, les militaires, les Interahamwe se sont mis ensemble pour nous assassiner. Je me suis évanouie sous un coup de gourdin. Le soir, je me suis réveillée parmi les cadavres des miens, tout le monde était nu, comme moi ». Elle a 22 ans. « Je me suis cachée dans un champ de sorgo, j’avais froid. Au bout de trois jours, j’ai eu faim et je suis rentrée vers ma maison. J’ai peut-être fait 4 km ainsi, toujours nue. Lorsque je voyais des gens, je me cachais dans les fourrés ». C’est des gens comme ça que Kizito a livrés. « Arrivée chez moi, j’ai constaté que la maison était détruite et j’ai demandé à mon jeune voisin Hutu. Ils ont ri. Ils ont appelé les voisins, j’ai été encerclée. Et on m’a assise, nue, de force, au sol. Les gens riaient et me demandaient où était ma famille. Je ne répondais pas. Je cachais ma poitrine de mes bras. Finalement, l’un d’eux m’a emmenée et m’a enfermée, toujours nue, dans une pièce sans fenêtre. Le jour, il assassinait, le soir il me battait et me violait. Lorsque je me suis retrouvée enceinte, j’ai d’abord eu honte. Mais aujourd’hui, je dois reconnaître que cet enfant est la seule richesse qui me reste. Je l’ai appelé Celle qui me sort de la solitude ».

Vous savez, on peut critiquer tout le monde, journalistes, avocats. Dans deux jours, Mesdames, Messieurs, ce sera vous qu’on critiquera comme on nous a critiqués. Dans deux jours, après la condamnation seulement, j’espère que les deux êtres humains contre lesquels je plaide, sortiront de leur mutisme et je me demande d’ailleurs si je ne les entends pas déjà, par leur avocat, vous demander un peu moins de prison pour pouvoir enfin commencer à demander pardon.

Le Président : Merci, Maître BEAUTHIER. Après le repas de midi, nous entendrons les répliques de la défense et puis, les accusés auront encore en dernier, la parole aujourd’hui. Alors, la défense de Monsieur NTEZIMANA a-t-elle déjà une idée de son temps de réplique ?

Me. CARLIER : Maximum une heure.

Le Président : Maximum une heure. La défense, pour l’ensemble, hein ?

Me. EVRARD : Pour l’ensemble, un quart d’heure chacun, Monsieur le président, donc 3/4h.

Le Président : 3/4h. La défense de sœur Gertrude ? Une demi-heure pour l’ensemble ? Deux fois une demi-heure ? Une demi-heure à deux.

Me. VERGAUWEN : Plus ou moins une demi-heure.

Le Président : Et pour sœur Kizito ?

Me. VANDERBECK : Plus ou moins la même chose, Monsieur le président, une demi-heure, à deux.

Le Président : Une heure, 3/4h, ça fait 1h3/4, deux heures 3/4. Bien. Nous reprendrons à 14h30. Pardon ?