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9.6.4. Réplique de la partie civile: Maître HIRSCH
Le Président : Maître HIRSCH ?
Me. HIRSCH : Je ne suis pas
plus douée en matière de micro qu’en mécanique. Bon, ça tient ?
Le Président : Oui, ça tient.
Vous avez la parole, Maître HIRSCH.
Me. HIRSCH : Non, ça n’ira
pas… Merci, Monsieur le président. Voilà.
Le Président : On vous entend
parfaitement.
Me. HIRSCH : Je m’attacherai,
Monsieur le président, à répliquer à la défense de Vincent NTEZIMANA, et nous
nous sommes répartis le temps, entre Maître GILLET et moi, et j’en aurai pour
un peu plus d’une demi-heure.
Ce matin, le ministre Louis MICHEL a reçu son homologue rwandais
des affaires étrangères, le ministre Vincent NTEZIMANA. Vincent NTEZIMANA a
pris l’engagement pour son gouvernement de créer une commission d’enquête à
Kigali, chargée d’examiner les responsabilités dans les massacres de Tutsi qui
se sont déroulés au Rwanda en 1994.
Mesdames et Messieurs du jury, Monsieur le président, Madame, Monsieur
le juge. Et si, en juillet 1994, le gouvernement génocidaire avait gagné la
guerre : il n’y aurait plus un seul Tutsi au Rwanda. Les Hutu Power seraient
au pouvoir, ceux qui se seraient distingués par leur activisme durant le génocide.
Et soyez-en sûrs, Vincent NTEZIMANA serait du nombre. L’aboutissement d’un parcours
dessiné par NTEZIMANA, depuis 1990, le procès a fait apparaître un homme à double
face, un homme masqué, pas avec ses amis ; très tôt, il les choisira proches
du pouvoir, en Belgique déjà, et au Rwanda ensuite, ceux qui sont susceptibles
de l’aider à accéder au pouvoir. Un homme engagé dans une idéologie anti-Tutsi,
il tient des propos qui font peur quand il se laisse aller. Rappelez-vous de
Longin et du témoin 142, des paroles de mort. Aujourd’hui, certains parmi ses amis
sont dans cette salle aux deux derniers bancs. Il les rejoint après chaque audience
et pour ceux qui, comme nos clients, les victimes, comprennent le kinyarwanda,
ils ont ponctué chaque témoignage des victimes de ricanements, de propos anti-Tutsi
du style « paroles de Tutsi » ou « larmes de Tutsi », « peut-être
encore un Tutsi de trop ». Un homme à double face. Il sait cacher son jeu,
sans la moindre difficulté, il peut faire semblant d’être ce qu’il n’est pas
quand il le faut, quand c’est utile pour lui. Vous en avez eu une brillante
démonstration, ici.
Avec les démocrates, il va se montrer sous les traits d’un homme
ouvert, d’un homme en qui on peut avoir confiance. Le professeur KARENZI ne
lui aurait pas fait confiance s’il avait montré sa vraie nature. Rappelez-vous
de Madame le témoin 50, et de sa sympathie pour Vincent NTEZIMANA. Madame le témoin 6 ne
l’aurait pas accueilli en Belgique, militante des Droits de l’Homme, s’il avait
proféré devant elle le moindre propos anti-Tutsi. Il s’en est bien gardé, il
est d’une habileté extrême. Il rédige un livre avant ce procès « Armes
de défense », mais une arme qui se révélera à double tranchant. Un homme
pour qui la fin justifie les moyens, tous les moyens. Il voit loin, et depuis
longtemps, un coureur de fond, un sans-faute, ou presque.
Mesdames et Messieurs du jury, la défense de NTEZIMANA vous a présenté
une vision tronquée des faits et de la personnalité de NTEZIMANA. Une présentation
faite d’ombres, d’omissions, de contradictions et d’agressions basses contre
les témoins et les parties civiles. Une présentation qui porte atteinte à la
mémoire des victimes et qui a été douloureusement vécue par les plaignants dans
cette salle, une présentation à l’image de Vincent NTEZIMANA.
Je répliquerai sur trois points invoqués par ses avocats. D’abord,
les pressions sur la justice. Deuxièmement, le meurtre de la jeune fille, et
troisièmement, l’appel de Madame KARENZI à Vincent.
« On vous a parlé de pression, n’importe quoi », s’est
écrié Maître CARLIER. Et pourtant, eh oui, il y en a eu, et justement, et particulièrement
dans le dossier de Vincent NTEZIMANA. Près de 14 mois de prison, d’avril 1995
à juin 1996, ce qui veut dire que 14 fois un juge près le Tribunal de première
instance, va considérer qu’il y a suffisamment d’éléments pour maintenir NTEZIMANA
en détention préventive. Cela veut dire aussi, qu’à plusieurs reprises, trois
juges de la Cour d’appel vont confirmer aussi la détention de NTEZIMANA sur
base de témoignages dits « accablants ». Maître CARLIER omet de vous
dire que le procureur général a fait une pression indigne sur le juge d’instruction
pour que NTEZIMANA soit libéré, en dehors de toute règle de droit. Et je voudrais
invoquer ici un pro justitia qui émane du juge d’instruction Damien VANDERMEERSCH
et qui en atteste, qui figure dans le dossier : « Nous,
Damien VANDERMEERSCH, juge d’instruction, exposant avoir reçu ce 18 juin 1995
un appel téléphonique - 1996 pardon - un appel téléphonique
de Monsieur le procureur du Roi nous demandant si nous n’envisagions pas de
prendre une ordonnance de mise en liberté à l’égard de Monsieur NTEZIMANA Vincent,
compte tenu du fait que Monsieur le procureur général lui avait communiqué qu’il
y avait lieu dans cette affaire de prendre des réquisitions de non-lieu ou de
dessaisissement du magistrat instructeur, en vue d’une dénonciation des faits
aux autorités rwandaises ».
Le juge d’instruction ne l’a pas accepté. Du jamais vu. Maître CARLIER
omet de vous dire que ce même procureur général, suite au refus du juge d’instruction
de plier, a donné l’ordre au procureur du Roi de requérir le non-lieu en Chambre
du conseil, prétextant qu’il avait pris enfin le temps d’examiner le dossier
- il y avait 31 cartons à l’époque - et qu’il trouvait, à l’examen de ce dossier,
qu’il n’y avait finalement pas suffisamment d’éléments. Bref, traduisez :
classement vertical du dossier et libération immédiate de Vincent NTEZIMANA.
Maître CARLIER omet de vous dire qu’en Chambre du conseil, le juge d’instruction
a fait rapport sur les pressions dont il avait été l’objet, et qu’il s’est étonné
de cette subite étude approfondie du dossier par le procureur général, parce
que le dossier de 31 cartons n’avait pas quitté le bureau du juge d’instruction
un seul jour, et qu’il n’y en avait qu’un seul exemplaire, et qu’il était donc
impossible que le procureur général l’ait examiné. Oui, j’avais salué le courage
des magistrats qui ont permis que ce dossier suive un processus judiciaire normal,
mais après la Chambre du conseil de juin 1996 et l’ordonnance de la Chambre
du conseil transférant le dossier pour que la procédure se poursuive, le parquet
général a encore bloqué le dossier de NTEZIMANA pendant fort longtemps, trop
longtemps. Du jamais vu, cela aussi. Et il a fallu que l’avocat général WYNANT
succède à son prédécesseur pour que la procédure se poursuive normalement, et
que Vincent NTEZIMANA puisse être attrait devant ses juges.
Et ce n’est pas tout. Nous venons d’apprendre que parmi 10.000 demandes
de régularisation de séjour, le ministre de l’intérieur a, en décembre 2000,
soit six mois avant que vous ne rendiez votre verdict, choisi de régulariser,
à vie, le séjour de NTEZIMANA. Est-ce normal ? Est-ce normal, alors que
l’on sait que, par principe, on ne régularise jamais quelqu’un qui est dans
l’attente de l’issue d’une procédure pénale. Ne dites pas, Maître CARLIER, que
NTEZIMANA ne bénéficie pas d’appuis au plus au niveau de ce pays, ne dites pas
qu’il n’y a pas eu de pression sur le juge d’instruction et sur le procureur
du Roi pour que le dossier de Vincent NTEZIMANA soit oublié et enterré. Il y
en a eu, et c’est inacceptable.
J’aborde le deuxième point de mon intervention, le meurtre de la
jeune fille. Maître CARLIER vous demande de répondre non à toutes les questions
qui vous seront posées, sauf peut-être pour le meurtre de la jeune fille qu’il
considère comme, et je le cite, « le seul fait pertinent à retenir éventuellement
à charge de NTEZIMANA, mais à la condition du qualifier d’omission d’agir ».
Finalement, NTEZIMANA n’aurait joué aucun rôle dans les massacres à Butare,
tout juste un homme qui n’a pas eu le courage d’intervenir pour venir en aide
à une jeune fille moribonde. Il n’en est rien, n’est-ce pas. Vous vous rappelez
de ces deux jeunes filles Hutu que NTEZIMANA avait accepté d’héberger chez lui,
en même temps d’ailleurs qu’Innocent, pour désengorger la maison du capitaine
NIZEYIMANA. Et ces deux jeunes filles qui ont été emmenées de chez NTEZIMANA,
par Innocent lui-même et un militaire, est tuées un peu plus loin, parce qu’elles
étaient trop bavardes sur les pillages, notamment. Voilà la version que l’on
veut vous présenter d’un meurtre qui s’apparente en réalité à l’abattage d’un
animal. NTEZIMANA rentre chez lui après la réunion KAMBANDA, le 14 mai 1994,
en fin de matinée, et Caritas lui dit : « Regardez dans le jardin
ce qui s’y trouve ». Il va voir pendant que Longin et le témoin 142 sont affalés
dans le salon. Qu’est-ce qu’il voit ? Une des deux jeunes filles qui agonise
sous un arbre, couverte de sang, mais toujours vivante.
Au juge d’instruction, NTEZIMANA dira qu’elle était presque morte,
presque morte. Et le juge d’instruction lui demande comment il le sait. « On
voit - répond NTEZIMANA - quand c’est presque fini ». « Pourquoi
ne l’emmenez-vous pas chez un voisin - demande le juge - chez un médecin ?
». Normal, non ? Et la réponse de NTEZIMANA : « On ne pouvait
l’emmener chez un médecin parce qu’au premier barrage, on allait se faire tuer ».
Il circule librement, seul ou accompagné. Explication incroyable, justification
incroyable, mensonge, n’est-ce pas ? NTEZIMANA circule seul ou accompagné,
à pied ou en voiture, avec le témoin 142, Longin, Innocent, Aster, le capitaine, et
il le dit lui-même qu’avec une carte d’identité Hutu, on circulait sans problème.
Lui qui arrive même à traverser trois fois tout le pays en plein massacre, il
l’a laissée mourir, parce qu’au premier barrage, on allait se faire tuer. N’importe
quoi. La jeune fille est là, perdant son sang, dans son jardin, évanouie. C’est
alors qu’Innocent, qu’il a en fait rappelé en catastrophe de la SORWAL, arrive
enfin. « Cette fille n’est pas morte, tu dois l’achever ». Innocent
obéit. Il va dans la cuisine, prend un couteau de boucher, ressort dans le jardin,
s’approche de l’arbre sous lequel est la jeune fille, et achève la jeune fille,
sous l’œil de NTEZIMANA, sous l’ordre de NTEZIMANA.
NTEZIMANA se dit « pétrifié », impuissant devant ce garçon
dont il découvre à l’instant l’extrême violence. C’est une révélation, Innocent
est dangereux. Quelle fantaisie. NTEZIMANA serait le seul à Butare à ne pas
savoir qu’Innocent est dangereux. Innocent, qui se vante tous les matins au
petit-déjeuner d’avoir bien travaillé entre guillemets pendant la nuit. Et une
parenthèse, ces guillemets ne sont pas des astérisques. C’est ridicule, c’est
ridicule.
Et NTEZIMANA de pleurer à l’audience, devant vous, sur sa lâcheté.
Il n’a pas été à la hauteur, il a failli, il a honte. Et puis, ce n’est pas
tout. D’après NTEZIMANA, Innocent s’en va après cela, son forfait accompli et
il abandonne NTEZIMANA avec le cadavre sur les bras, si je puis dire. Et toujours
Longin et le témoin 142, à l’intérieur, vautrés dans le salon. Il faut bien faire quelque
chose. NTEZIMANA traîne le cadavre hors du jardin et le laisse en bordure de
route, c’est du moins ce qu’il dira au juge d’instruction à deux reprises. « J’ai
évacué le cadavre de la fille au bord de la route qui passe en dessous de chez
moi, en espérant que le premier passant puisse le signaler aux autorités ».
Il attend le service des poubelles. Mais j’attire votre attention sur le fait
qu’une fois de plus, à l’audience, NTEZIMANA n’a pas dit cela, et pour cause.
Entre-temps, Innocent avait été entendu, et il faut bien s’adapter, tout simplement,
parce qu’Innocent dit vrai.
A l’audience, Vincent NTEZIMANA a déclaré qu’il avait appelé MUKIMBILI,
le frère de Longin qui vivait chez le capitaine NIZEYIMANA, pour qu’il l’aide
à évacuer le corps dans sa voiture. Vous vous rappelez de qui est MUKIMBILI ?
MUKIMBILI, c’est celui qui joue aux cartes avec Vincent NTEZIMANA, c’est celui
aussi qui se promène aussi avec un fusil « Fal » dans tout Butare,
c’est celui aussi qui vivait chez le capitaine NIZEYIMANA et qui atteste de
l’arrivée des militaires régulièrement avec les cartes d’identité des Tutsi
morts. Il l’a donc aidé à évacuer le corps dans sa voiture. Traduisez :
ils vont jeter le cadavre, comme un détritus, dans une décharge ou une fosse
quelconque. J’attire votre attention sur le fait, encore une fois, que c’est
exactement ce qu’Innocent a déclaré. Il déclare d’ailleurs que c’est lui qui
a évacué le corps avec MUKIMBILI, et au fond, ce serait assez logique.
Et au fond, quelle est la logique de la version de NTEZIMANA ?
L’assassinat de cette jeune servante par Innocent ? Quelle est la logique
de cela ? Pourquoi Innocent aurait-il tué cette fille, et sa copine par
ailleurs ? Une fille avec laquelle il sortait, de même qu’avec l’autre,
son amie. Pour son argent ? Elle n’en a pas. Parce que c’était une Tutsi ?
Ben non, elle était Hutu. Pourquoi alors ? Mais la réponse, elle est dans
le livre de Vincent NTEZIMANA. Mais c’est bien sûr : c’est par amour, c’est
un crime passionnel. Sacré Innocent ! Tuer une fille par amour, mais deux,
quel tempérament ! C’est ridicule, mais c’est terrible, n’est-ce pas. La
seule chose qui est certaine, c’est qu’Innocent, homme à tout faire, a exécuté
l’ordre donné, et a tué comme un boucher cette jeune fille parce que NTEZIMANA
le lui a ordonné. Et il s’agit non pas d’une omission de porter secours, non,
mais il s’agit d’un assassinat imputable à NTEZIMANA, l’ordre donné de sang
froid par NTEZIMANA à Innocent de tuer la jeune fille, d’achever le travail.
Il n’allait tout de même pas le faire lui-même ! Un meurtre commis comme
d’autres par NTEZIMANA avec le bras d’Innocent.
Mesdames et Messieurs du jury, j’aborde le troisième point de mon
intervention : l’appel téléphonique à Vincent. Innocent, vous l’avez vu,
c’est l’homme à tout faire, l’homme à tuer, l’homme à piller, voler, l’homme
à évacuer les cadavres. Il fait ce qu’on lui dit. Il partage la vie du capitaine
et de NTEZIMANA, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre : il fait partie
des meubles. Il dira, tant dans son procès-verbal d’audition que dans les deux
émissions que vous avez vues, de télévision, les deux cassettes vidéo, tant
celles de RTL que de la RTB, que NTEZIMANA et le capitaine NIZEYIMANA planifiaient,
et ce sont ses mots, le génocide à Butare. La décision venait des deux pour
qu’on aille tuer ou piller. NTEZIMANA désignait les professeurs à tuer à Buye
parce qu’il les connaissait, et le capitaine exécutait. Il était le véritable
chef à Butare et commandait tant les militaires de l’ESO que la garde présidentielle.
Innocent dit que NTEZIMANA a désigné le professeur KARENZI en premier lieu.
Lorsque vous entrerez en délibération, vous aurez le dossier à votre
disposition. Je vous invite à lire la déclaration d’Innocent, son procès-verbal
d’audition du 22 mars 2001, ou même, éventuellement, puisque ces pièces font
partie du dossier, à revisionner une des deux cassettes, et je dirais, il y
a moins de blancs dans la cassette de RTL par rapport à la cassette de la RTB.
Manifestement, Innocent n’a pas participé à l’assassinat du professeur
KARENZI. Il rapporte les propos qu’on lui a rapportés par personne interposée.
Il a dit qu’il a dit qu’il a fait. Et sa version de la mort de KARENZI ne correspond
pas à la réalité. Innocent, il n’a vécu qu’une seule chose : le matin du
21 avril 1994, jour de la mort du professeur KARENZI et de Madame KARENZI, vers
9h le matin, un militaire qui venait de la résidence du capitaine est passé
chez NTEZIMANA où Innocent se trouvait ce matin-là. NTEZIMANA n’était, quant
à lui, pas encore rentré à la maison. Ce militaire cherchait à repérer la maison
des KARENZI qui, comme vous le savez, vous avez reçu un plan, était situé à
cinq maisons de celle de NTEZIMANA, dans la même rue. Le professeur KARENZI,
vous le savez, a été tué dans l’après-midi, et pas du tout dans la matinée.
Mais il était nécessaire de repérer les lieux à l’avance. Une opération d’une
grande minutie a été organisée. Vous vous rappellerez qu’Yvette atteste qu’il
y a eu d’abord un coup de téléphone pour vérifier si Monsieur KARENZI était
là, et après, on a raccroché. Et quelques minutes après, juste le temps de mettre
les enfants dans le plafond, de les cacher là, les gardes présidentiels sont
arrivés. Ils n’ont pas eu besoin de chercher la maison, ils savaient où elle
était. Elle avait été repérée, le matin même.
J’en viens à l’appel téléphonique. Le 21 avril, dans l’après-midi,
les enfants cachés dans le plafond, serrés l’un contre l’autre, entendent Madame
KARENZI demander qu’on appelle Vincent pour qu’il la sauve de la mort, pour
qu’il dise qu’elle n’est pas une Inyenzi. Madame KARENZI téléphone à Vincent,
parce qu’elle a confiance en lui, et parce que c’était prévu, entre la famille
KARENZI et NTEZIMANA, qu’en cas de problème, on se téléphonerait. Maître CARLIER
admet que c’est bien à Vincent NTEZIMANA que le garde présidentiel a téléphoné
à la demande de Madame KARENZI, mais il prétend que Vincent n’était pas au bout
du fil. Maître CALIER a dit : « Vincent NTEZIMANA ne répond pas parce qu’il
n’était pas là ».
Mesdames et Messieurs du jury, il a fallu attendre sept années pour
que cette réponse, tellement simple, soit donnée, et pas par Vincent NTEZIMANA
lui-même, mais par son avocat. Vincent NTEZIMANA ne répond pas parce qu’il n’était
pas là, c’est élémentaire. Je vais vous demander de me suivre dans le cheminement
que nous avons fait pour affirmer que Vincent NTEZIMANA était chez lui, le 21
avril, dans l’après-midi, et que c’est lui qui a répondu au téléphone et envoyé
Madame KARENZI à la mort.
Il faut revenir en arrière. Vincent NTEZIMANA est appréhendé le 27
avril 1995, et il sera d’abord interrogé par le commissaire Jean de STEXHE.
Il ne connaît pas encore le dossier, dont il ne prendra connaissance que quelques
jours plus tard, avant sa première comparution en Chambre du conseil. Il ne
sait pas, par exemple, qu’Yvette a survécu et ce qu’elle a déclaré. Retenez
cela, c’est important. Je vous suggère d’ailleurs de lire cette première déposition
de Vincent NTEZIMANA, surtout à partir de la page 4, qui concerne les événements
d’avril au Rwanda. C’est dans le carton 2, et c’est donc sa déclaration
du 27 avril 1995, la première des deux, il en fera deux ce jour-là auprès du
commissaire de STEXHE et dans la soirée du juge d’instruction.
On dirait, Mesdames et Messieurs les jurés, le témoignage d’un célibataire
en vacances. Il n’est pas encore arrêté, il n’a rien vu : ni massacres,
ni meurtres. « Le capitaine NIZEYIMANA - c’est lui qui le dit, hein - un
ami, j’allais chez lui, et il venait chez moi ». Il dit qu’il ne connaît
rien des activités du capitaine NIZEYIMANA au moment des événements, il ne le
pense pas impliqué dans des exactions. Il n’a rien constaté en tout cas. Quant
au professeur, Pierre Claver KARENZI, il dit, je le cite texto : « Si,
Madame, si le professeur KARENZI me l’avait demandé, j’aurais tenté du sauver.
J’aurais, par exemple, pu prendre contact avec un officier tel que le capitaine
NIZEYIMANA ». Je referme la parenthèse.
A la fin de son audition, en page 7, plus particulièrement, NTEZIMANA
est interrogé sur le sort réservé à la famille KARENZI, et on lui demande s’il
a reçu un coup de téléphone le 21, dans l’après-midi, un appel de chez les KARENZI.
Les enquêteurs ne lui ont rien dit d’Yvette, bien entendu, et il ne se méfie
pas. Et la réponse fuse, claire, nette, précise, péremptoire : « Nous
n’avons reçu aucune demande d’assistance téléphonique émanant des KARENZI le
jour des faits ». Il ne dit pas : « Je ne sais pas, je n’étais
pas chez moi ou on ne m’a rien dit ». Il dit : « Nous n’avons
- c’est-à-dire lui, et quelqu’un d’autre - n’ont pas reçu d’appel ». Les
enquêteurs qui savent où ils veulent en venir, bien sûr, continuent l’interrogatoire
et ils invoquent pour la première fois le témoignage d’Yvette. Je cite : « Qui
met en cause un prénommé Vincent originaire de Ruhengeri, professeur de l’UNR,
campus de Butare, voisin des KARENZI, qui aurait été contacté par la garde présidentielle
aux fins de savoir si Madame KARENZI était Hutu ou Tutsi. Ce Vincent aurait
répondu que Madame KARENZI était une Inyenzi, et Madame KARENZI a été exécutée ».
Et tout à coup, NTEZIMANA s’insurge, il perd son calme, et, première réaction
à chaud, il ne trouve rien d’autre à dire : « C’est un coup monté ».
Dans la soirée, il sera arrêté par le juge d’instruction Damien VANDERMEERSCH.
En prison, il réfléchit, et puis, il lit le dossier, et notamment le témoignage
d’Yvette et la déclaration anonyme.
Le juge est, à ce moment-là, en commission rogatoire au Rwanda, et
si le juge avait le moyen de vérifier - et je m’en réfère à une question qui
avait été posée, je pense, par Madame le 10e juré - si le juge avait
le moyen de vérifier qu’il a bien reçu un coup de téléphone dans l’après-midi
du 21 avril émanant de Madame KARENZI, il réfléchit, et le 10 mai 1995, il fera
une déclaration d’un flou artistique total sur son emploi du temps de l’après-midi
du 21 avril. On ne sait jamais, il vaut mieux être prudent mais en tout cas,
il n’était pas chez lui. Et je ne résiste pas au plaisir de vous lire cette
petite déclaration, toute scientifique de précision, qui est faite au commissaire
WATERPLAS.
NTEZIMANA : « Je suis pratiquement sûr
d’avoir appris la mort du professeur KARENZI chez ma voisine, Bénédicte VAN
CUTSEM. J’y ai passé environ 3 à 4 heures, comme je le faisais régulièrement
à cette époque-là. J’ai quitté son domicile vers 13 à 14h. C’est vers ces heures-là,
je crois, que j’ai appris la mort de KARENZI, euh… soit étant chez Bénédicte,
euh… soit ailleurs. Je ne me souviens plus où j’ai été par la suite. Je ne suis
cependant pas rentré chez moi. J’ai probablement été voir des copains comme
j’avais l’habitude de jouer aux cartes avec eux. Le soir, je suis rentré chez
moi. Ce n’est que le lendemain que j’ai été jusqu’à la maison des KARENZI ».
Vous aurez noté, Mesdames et Messieurs du jury, que contrairement
à ce que Vincent NTEZIMANA affirmera à l’audience, il ne fait aucune mention
du fait qu’il aurait téléphoné à Madame KARENZI, de chez lui, le soir du 21
avril. C’était une question de Monsieur le 6e juré. Donc, il n’était
pas chez lui dans la journée du 21, encore qu’il a la mémoire qui flanche sur
ce qu’il a fait entre 14h et le soir. Mais, il reste tout de même cette première
affirmation de NTEZIMANA : « Nous n’avons eu aucune demande d’assistance
téléphonique émanant des KARENZI le jour des faits ». Vous vous rappellerez
peut-être que lors de son interrogatoire sur les faits, au début du procès,
j’avais demandé à Vincent NTEZIMANA : « Mais qui est ce nous ?
». Il avait bafouillé, et répondu, mezza voce, qu’Aster et Caritas
étaient chez lui ce jour-là et que le « nous », c’étaient eux. Le
21 avril, Caritas est bien là mais Aster, certainement pas. Il a écrit une longue
lettre qui se trouve au dossier, que Monsieur le président vous a lue. Il ne
reviendra à Butare que le 5 ou le 6 mai, et le témoin 142 ou Longin ne sont pas là
non plus, ils n’arriveront que début mai. Il n’y avait donc que Caritas. Il
était passé, Aster, chercher les enfants et le frère de Vincent NTEZIMANA le
12 et il s’était rendu dans la région de Gisenyi, il ne reviendra qu’en mai,
il l’écrit du moins dans sa lettre. Et puis, c’est curieux comme formulation
« nous » pour parler d’autres personnes. Alors qui, ce « nous » ?
Ne serait-ce pas vous, Monsieur NTEZIMANA, et sans doute Caritas ? Et on
a fait venir, à l’audience, un témoin qui a fait une remarquable déclaration
dans un seul but : donner un alibi à Vincent NTEZIMANA, dans l’après-midi
du 21 avril 1994, au moment de l’appel de Madame KARENZI, j’ai nommé Louis-Grignon
le témoin.
J’ouvre une petite parenthèse. Pour un innocent, NTEZIMANA a toujours
eu des réactions inhabituelles, disons, même en prison. A vrai dire, il s’est
toujours défendu comme un coupable. Par exemple, il ne demandera jamais que
le juge d’instruction entende en commission rogatoire au Rwanda, des témoins
qui auraient pu, d’après ce qu’il nous dit du moins, facilement le disculper.
Il ne demandera jamais qu’on entende Caritas sur son emploi du temps le 21,
ou sur son rôle durant le génocide, pas plus qu’il ne demandera qu’on entende
son veilleur, ou même ses voisins, Jean-Bosco SEMINEGA et même Louis-Grignon
le témoin. Je referme la parenthèse.
On aurait dû l’entendre plus tôt, Louis-Grignon le témoin, parce
que, comme alibi pour Vincent NTEZIMANA, c’est béton. Vous l’avez entendu, il
affirme que le 21 avril 1994, il a passé toute la journée avec NTEZIMANA et
Jean-Bosco SEMINEGA chez Madame le témoin 143. Ils ne se sont pas quittés des yeux.
Et non seulement, NTEZIMANA a passé la matinée à jouer aux cartes, et il précise :
« Dans la même pièce », mais maintenant, en plus, ils sont restés
tout l’après-midi ensemble. NTEZIMANA ne les a donc pas quittés vers 14h, comme
il l’avait dit aux enquêteurs, ou vers 15h comme il l’a dit à un moment à l’audience.
Et quand ils ont appris la mort du professeur KARENZI, ils ont arrêté de jouer,
ils ont discuté et puis vers 5 ou 6h, ils sont sortis et ils ont continué à
papoter dans la rue, devant la maison, pendant environ 1 heure. Et puis quand
le soir commençait à tomber, ils ont traversé la rue, et ils ont ramené Vincent
NTEZIMANA en face, chez lui, du porte-à-porte. Ils ne se sont pas quittés d’une
semelle de toute la journée puisqu’il vous le dit. Et bien sûr, personne, mais
absolument personne n’a téléphoné tout l’après-midi. Et c’est ce que Maître
CARLIER a plaidé la semaine dernière , la nouvelle version de Louis-Grignon
le témoin : « NTEZIMANA est toute la journée chez ses voisins d’en
face ». CQFD, vous voyez bien, impossible de recevoir le coup de téléphone
de Madame KARENZI. Mais c’est oublier ce que c’est qu’une cour d’assises, et
le rôle que vous y jouez, Mesdames et Messieurs les jurés, dans l’instruction
des faits. C’est aussi faire injure à votre mémoire et à votre vécu.
Vous vous rappelez les questions qui ont été posées à NTEZIMANA sur
son emploi du temps le 21 avril et sur ce qu’il avait fait en apprenant la mort
du professeur KARENZI ? Hé bien, il n’avait pas du tout dit la même chose
que Louis-Grignon, pas du tout. En fait, qu’est-ce qui s’était passé ?
NTEZIMANA avait été complètement déstabilisé par une question que vous aviez
posée, Monsieur le 6e juré. Et il fait, à l’audience, alors que ce
n’était pas prévu, pour la première fois dans le dossier, une déclaration que
j’ai notée : « Le 21 avril, quand je quitte la
maison de Jean-Bosco, je me suis rendu, avec d’autres, chez le capitaine NIZEYIMANA
auprès de MUKIMBILI, on discutait, je jouais aux cartes ». Pour
essayer de se donner un alibi, pour dire qu’il était ailleurs lors de l’appel
téléphonique de Madame KARENZI, NTEZIMANA va jusqu’à dire, ici, à l’audience,
qu’il était le 21 avril chez le capitaine NIZEYIMANA, le bourreau de Butare,
à jouer aux cartes, et avec qui ? Encore avec MUKIMBILI qui, malheureusement,
tout comme Jean-Bosco SEMINEGA, ne peut pas dire qu’il n’y était pas, puisque
lui aussi il est mort.
Vous savez que le témoin 150 a fait en 1995 une déclaration suivant laquelle
NTEZIMANA n’était pas chez lui le 21 avril, pas plus que les autres jours d’ailleurs.
La défense de NTEZIMANA a parlé de pression exercée sur le témoin 150 par le témoin 142,
et Monsieur l’avocat général y a fait référence dans ses répliques d’hier, et
quand je parle de défense de Vincent NTEZIMANA, je parle de sa défense au sens
large. Son avocat bien sûr, le témoin 144 bien sûr et Madame le témoin 143 qui prétend
avoir amené « dans sa petite culotte », comme elle dit, malgré la
vigilance de tous les services de police, la fameuse attestation du témoin 150
datée du 24 novembre 1995. Maître CARLIER a omis de vous dire que figure au
dossier une audition du témoin 150, datée du 15 avril 1996 (carton 22, farde 77)
et donc, postérieure à la soi-disant attestation de Madame le témoin 143, dans
laquelle il déclare son indignation suite aux affirmations tenues par la défense
de Vincent NTEZIMANA qu’il aurait subi des pressions de la part du témoin 142 ou
de quiconque. le témoin 150 est mort, il ne peut plus confirmer ce qu’il avait dit
clairement : « NTEZIMANA n’était pas chez lui le 21 avril 1994 ».
Je referme la parenthèse, et je reviens aux alibis de Vincent NTEZIMANA.
L’après-midi du 21, NTEZIMANA dit qu’il était chez NIZEYIMANA »
et donc pas chez le témoin 143 avec Louis-Grignon et le témoin 150. Eh bien, Louis-Grignon,
il dit le contraire. Il a dit ici qu’il est resté avec vous, Monsieur NTEZIMANA,
et le témoin 150, toute la journée et jusqu’au soir, chez le témoin 143. Qui croire ?
Don d’ubiquité ou faux témoignage ? Voilà que NTEZIMANA se retrouve avec
deux alibis. C’est deux de trop.
Vous savez, Mesdames et Messieurs du jury, ce qui est extraordinaire
en cour d’assises, c’est que parfois, tout un système de défense peut s’effondrer
sur un mensonge, une toute petite phrase. Rappelez-vous encore les questions
de Monsieur le 6e juré, que je résume : « Qu’avez-vous
fait, NTEZIMANA, lorsque vous avez appris la mort du professeur KARENZI ? »,
et NTEZIMANA avait improvisé, inventé. « Le soir, eh bien, j’ai téléphoné
chez les KARENZI ». Vous vous rappelez ? C’était la première fois
qu’il le disait, il ne l’avait jamais dit avant, dans aucun de ses 37 interrogatoires,
je les ai comptés. Il n’avait jamais parlé de ce prétendu coup de téléphone.
Et le juge d’instruction et les enquêteurs à l’audience l’ont confirmé. Rappelez-vous,
je leur ai posé la question, ils se sont regardés, perplexes. Il n’a pas téléphoné,
le soir du 21, chez Madame KARENZI, bien sûr. Pourquoi alors l’invente-t-il
sept ans après ce coup de téléphone ? Pourquoi ment-il ? C’est
simple : pour essayer d’être crédible parce qu’il veut être cru par vous,
sous votre regard, par vos questions, il a soudain compris que son comportement
ne collait pas avec l’image qu’il voulait donner de lui. Comment se prétendre
innocent avec un comportement de coupable ? Quoi ? Il apprendrait
l’assassinat d’un proche, d’un ami, et il ne fait rien, il ne bouge pas, rien
pour sa femme, rien pour ses enfants. Et non seulement il ne fait rien, mais
en plus, il passe l’après-midi à jouer aux cartes avec des copains.
Alors, pour vous convaincre, il invente une réaction qu’il croit
normale pour essayer d’atténuer, auprès de vous, les faits qu’il a produits,
mais il ment. Il n’a certainement pas téléphoné à Madame KARENZI le soir du
21 pour une raison bien simple : c’est qu’il sait qu’elle est morte. Je
vous rappelle que son ami et voisin, le témoin 93, est allé voir chez
les KARENZI, et qu’il était planté devant la maison au moment où les enfants
en sortaient. Vous voyez, le témoignage d’Yvette ? Et il a vu le corps
de Madame KARENZI dans l’entrée, et il l’a nécessairement confirmé à NTEZIMANA,
mais pour autant que de besoin, je suis convaincue qu’il le savait déjà. Vous
noterez que les réactions de NTEZIMANA, le 21, sont parfaitement logiques. S’il
a ordonné l’exécution de KARENZI et de sa femme, il sait qu’ils sont morts,
et il vaque à ses occupations. Les enfants attendront leur tour. Et rappelez-vous
comment il évacue le corps de Madame KARENZI, comme si les enfants étaient déjà
morts, comme s’il savait qu’il n’aurait jamais de comptes à leur rendre.
En fait, Vincent NTEZIMANA, vous n’étiez pas chez le capitaine NIZEYIMANA,
pas plus que chez le témoin 143 ou chez d’autres copains. Alors ? La vérité
simple, n’est-ce pas, nous n’avons eu aucune demande d’assistance téléphonique
émanant des KARENZI le jour des faits. Ce nous, c’est « vous », si
je puis dire. Finalement, c’est votre première déclaration qui était la bonne,
du moins pour votre présence chez vous. En apprenant le témoignage d’Yvette,
vous avez eu peur, et vous avez inventé n’importe quoi, et vous avez essayé
de continuer ce n’importe quoi jusqu’ici, car vous étiez bien chez vous le 21
avril 1994 quand, vers 16h, Madame KARENZI vous a appelé à l’aide, et c’est
bien vous qui avez décroché, et c’est vous qui avez répondu sans hésiter au
garde présidentiel : « Madame KARENZI, c’est une Inyenzi. Tuez-la ».
Et elle aussi, a été assassinée sur votre ordre. Car il n’y a pas qu’Yvette
qui vous accuse, Monsieur NTEZIMANA. Vous vous accusez vous-même par vos mensonges,
vos contradictions, vos doubles alibis et vos alibis post-mortem. Mais vos mensonges,
il y a Yvette et il y a Innocent aussi qui accusent et il y a les enfants. Même
morts, les enfants KARENZI aussi vous accusent, Monsieur NTEZIMANA. D’abord,
ils ont parlé durant les neuf jours qu’ils ont survécu au couvent, à la supérieure,
aux religieuses, aux réfugiés, aux enfants qui étaient là, ils ont raconté la
mort de leur mère, l’appel téléphonique à Vincent. Et une rescapée d’ailleurs,
Diane IRABATURA, l’a raconté ici ce coup de téléphone mortel.
Et ensuite, la fuite même des enfants vers le couvent des benebikira
vous accuse. Les enfants auraient dû vous appeler à l’aide, NTEZIMANA. On leur
avait dit de s’adresser à vous. Comme le dit Maître CARLIER, c’est vers vous
que Madame KARENZI se tourne et personne d’autre, parce qu’elle avait confiance
en vous. C’est à vous que les enfants devaient s’adresser en cas de danger.
Pourquoi ne l’ont-ils pas fait ? En quittant la maison, après avoir couvert
le corps de Madame KARENZI de tissu et l’avoir laissé, là, sur le sol dans l’entrée,
les enfants savaient que ce n’était désormais plus vers vous qu’ils devaient
se tourner, Monsieur NTEZIMANA. Ils savaient que le professeur Vincent venait
de tuer leur mère, et cette réaction de survie des enfants, cette fuite vers
les vrais amis et pas vers vous, cette fuite loin de vous aussi vous accuse.
Vous avez poursuivi ces enfants jusqu’au couvent des benebikira et là, votre
liste a servi la liste d’évacuation. Tous les enfants du professeur KARENZI,
tous les enfants de la famille KARENZI, les enfants réfugiés aussi, les amis
étaient inscrits sur cette liste, et ce sont eux que les militaires cherchaient.
Ils n’ont pas trouvé Yvette, elle était cachée derrière la porte ouverte des
toilettes. Des militaires, sous les ordres du capitaine NIZEYIMANA ont retourné
le couvent, menaçant de tout brûler jusqu’à ce qu’ils trouvent ceux qu’ils cherchaient
par priorité, ces Inyenzi de KARENZI ; ils les ont trouvés, ils les feront
chanter que le FPR avait joué un mauvais tour, ils les ont battus. Ils emmèneront
séparément Solange et Malik, ils les ont tués. Et ils en ont profité pour emmener
20 autres réfugiés dont une petite fille de 5 ans. Cela devait être, comme le
Guernica de Picasso, l’enfer.
Oui, le professeur KARENZI avait confiance en NTEZIMANA. C’est pour
ça qu’il n’a pas fui avec sa famille. Le professeur KARENZI est mort de lui
avoir fait confiance, et sa femme et ses enfants et les enfants amis qui avaient
trouvé refuge chez lui, et après lui, beaucoup d’autres. Et cette idée est terrible
pour les parties civiles, pour la famille, pour les survivants. Ils sont morts
d’avoir fait confiance à cet homme-là.
Mesdames et Messieurs du jury, cet homme porte un masque. Voyez-le
autrement. Pensez-le autrement. Voyez son vrai visage. Il a construit son personnage
depuis toujours pour réaliser ses objectifs. Il a écrit son livre comme une
opération en relations publiques en vue de ce procès. Il a construit son personnage
avant le procès et pendant le procès. C’est un criminel, c’est un assassin.
Les victimes sont venues, non pas pour accorder le pardon, non pas pour demander
vengeance, mais pour demander justice. Condamnez-le pour tous ces morts, pour
ces corps sans sépulture, pour ces morts sans nom, pour les KARENZI, Pierre
Claver et Alphonsine, pour Solange, pour Malik, pour Umulinga, pour Séraphine,
pour Thierry, Emery et pour tous les autres.
Mesdames et Messieurs du jury, dites que vous l’avez démasqué, condamnez-le,
et vous ferez justice. Je vous remercie.
Le Président : Merci, Maître
HIRSCH. Alors, pour la suite, Maître GILLET, vous en avez pour à peu près combien
de temps ?
Me. GILLET : Vingt minutes
maximum, Monsieur le président.
Le Président : Vingt minutes.
Après vous, qui interviendrait ? Maître Clément de CLETY pour combien de
temps ?
Me. de CLETY : Une demi-heure,
je pense.
Le Président : Une demi-heure ?
Me. de CLETY : Maximum.
Le Président : Ensuite, qui
intervient encore ?
Me. FERMON : Monsieur le
président, on avait convenu que chacun des conseils qui est intervenu dans le
dossier des sœurs interviendrait pour un quart d’heure à peu près.
Le Président : Donc, Maître
FERMON, 15 minutes. Maître JASPIS, vous intervenez également ?
Me. JASPIS : Oui, un quart
d’heure.
Le Président : 15 minutes.
Maître BEAUTHIER ?
Me. BEAUTHIER : J’interviendrai
en fin, Monsieur le président. Je voudrais que tout le monde respecte les 15
minutes.
Le Président : Et Maître
RAMBOER ?
Me. FERMON : Quinze minutes
également.
Le Président : Il intervient
également ? Parce que je ne le vois pas pour l’instant. Alors, eh bien,
nous allons peut-être suspendre l’audience maintenant, il est 11h-20 pour la
reprendre à 11h. Ce sera alors Maître GILLET qui prendra la parole. |
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