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6.4.3. Lecture de déclarations de témoins par le président: Bernadette
le témoin 91
Le Président : Alors, le
témoin suivant qui ne s’est pas présenté, c’est le témoin 91 qui est
un des témoins qui devait venir du Rwanda et qui a refusé de venir du Rwanda,
qui est l’épouse d’un autre témoin, le suivant, le témoin 129 étant
incarcéré au Rwanda, accusé du meurtre de Victor NDUWUMWE. Madame le témoin 91,
moi j’ai deux pièces qui la concernent dans le dossier. J’ai d’abord une déclaration
qu’elle avait faite, je ne sais pas trop à qui, une déclaration faite le 10
janvier 1995, une déclaration… je ne sais pas si c’est devant une autorité à
Kigali, ou devant la Ligue aux droits de l’homme. Cette déclaration est la suivante :
« le témoin 91, mariée, agent de
la Banque nationale (tél…) demeurant à Kigali, déclare que son mari, Jean-Baptiste
TWAGIRAMUNGU, agent de CARE INTERNATIONAL, est innocent de l’accusation du meurtre
de deux enseignants de l’école sociale de Karubanda-Butare, Sixbert MUSHUMBA
et sa femme, et de Victor NDUWUMWE et sa femme, accusation pour laquelle il
est en prison à Butare. Elle ajoute que le principal accusateur, Abraham NTAYANDI,
commerçant connu dans la ville de Butare, ne se trouvait pas dans cette ville
pendant la guerre, mais il s’était rendu au Burundi avant même le début des
massacres. Les trois autres témoins du meurtre, trouvés par NTAYANDI, sont Jean-Claude
(nom de famille non connu) qui était à l’époque étudiant au Burundi, Marcel
(nom de famille non connu), agent de PETRORWANDA à Butare et (prénom non connu)
KARURETWA à l’époque enseignant au petit séminaire de Butare. Ils étaient tous
les trois absents de Butare pendant la guerre. Ils ne connaissent pas Jean-Baptiste
TWAGIRAMUNGU puisqu’ils sont incapables même de l’identifier. Accompagnée de
son mari, le témoin 91 a quitté Butare le 30 mai 1994, en direction de Gikongoro
qu’ils ont quitté plus tard, à bord des camions du HCR. Ils sont rentrés à Kigali
le 3 septembre 1994 après un séjour d’une semaine à Gitarama dans la famille
de son mari. Ils n’ont pas été inquiétés ni à Gikongoro, ni à Gitarama.
A Kigali, ils ont été domiciliés d’abord à Gitega
pendant un mois, ensuite à Muhima. Selon les frères de MUSHUMBA de l’ethnie
Hutu, il a été tué par le bourgmestre de Maraba, Butare et des militaires, le
30 juin 1994, après l’avoir arrêté dans sa maison. Sa femme, de l’ethnie Tutsi,
a été tuée dans la prison de Butare où elle était détenue. La famille de MUSHUMBA
ayant été ses amis, le témoin 91 est allée à Gikongoro accompagnée d’un OPJ pour
voir les enfants du couple MUSHUMBA, lesquels sont en ce moment avec la grand-mère
paternelle et vont bien. L’OPJ a voulu libérer son mari mais lorsque Abraham
NTAYANDI a appris la nouvelle, il est venu en criant à la brigade et il a dit
que tout le monde savait que le témoin 129 était impliqué dans
les massacres. Son mari est resté donc en prison malgré le fait que toute la
commune sait comment et par qui Sixberg MUSHUMBA a été tué. Concernant l’accusation
pour le meurtre de Victor NDUWUMWE, le préfet des études de l’école sociale
de Karubanda-Butare, Augustin RUKERIBUGA, qui est actuellement au HCR de Gikongoro,
lui a raconté que Victor NDUWUMWE a été conduit à Karubanda par Faustin RUTAYISIRE,
enseignant à l’école sociale, et c’est là qu’il a été tué par des ouvriers de
l’école. On l’avait conduit dans cet endroit pour sa sécurité mais il y trouva
la mort. Sa femme a été tuée par un civil accompagné des militaires, dans la
forêt de Buye. En même temps, ils ont tué son fils âgé de deux ans et la domestique.
Ce civil, qui se prénomme Vincent (nom de famille
non connu) était professeur à l’université. En dehors de ces deux accusations
de meurtre, ainsi que d’avoir participé aux réunions d’extermination des Tutsi,
on reproche à le témoin 129 d’avoir créé le MDR Power, l’aile extrémiste
du parti Mouvement Démocratique Rwandais, MDR. La réalité est, qu’au moment
où on créait ce parti, il était au Canada pour un stage de deux mois, du 16
septembre au 15 novembre 1993, et dès son retour, il a obtenu une bourse d’études
à l’université de Butare. L’accusation dit qu’il aurait créé ce parti en compagnie
de Jean KAMBANDA, ancien premier ministre, et d’un commerçant de Butare, Isaac
MUNYAGASHEKE, tous deux en exil actuellement. Or, n’ayant jamais eu aucun contact
avec ces deux personnes, le témoin 129 ne leur a jamais adressé
la parole. Finalement, le témoin 91 déclare que son mari, Jean-Baptiste
TWAGIRAMUNGU, est innocent de tous les crimes dont on l’accuse et que toutes
les allégations à son encontre sont dénuées de tout fondement ».
La deuxième pièce qui concerne Madame le témoin 91 est une
audition faite dans le cadre de la commission rogatoire internationale du juge
d’instruction VANDERMEERSCH, par un officier de police rwandais en présence
du juge d’instruction VANDERMEERSCH. Elle déclare à cette occasion :
« Mon mari est incarcéré depuis décembre
1994. Je l’ai vu pour la dernière fois le 23 avril de cette année (de
cette année, c’est-à-dire l’audition est du 12 mai 1995, donc, la dernière fois
qu’elle l’a vu, c’est le 23 avril 1995). Depuis, je n’ai
plus eu de contact avec lui. J’ai fait une déclaration au Haut commissariat
des droits de l’homme en date du 10 janvier 1995 concernant les fausses accusations
dont faisait l’objet mon mari, le témoin 129 (c’est la déclaration
dont je viens de vous donner lecture). J’habitais le quartier
de Buye à Butare depuis septembre 1989, avec mon mari et mes enfants. Nous étions
tous présents à Butare en avril 1994. J’ai fait état, dans ma déclaration au
Haut commissariat du 10 janvier 1995, d’un civil qui se prénommait Vincent et
qui était professeur à l’université. Ce Vincent, je le connais. Il habitait
dans le même quartier que nous, à Buye. Nos maisons étaient distantes d’environ
500 m. J’ai fait ma première année d’université avec sa femme qui s’appelle
le témoin 77, si je m’en souviens bien. Vous me montrez une photo de Vincent
NTEZIMANA. Je suis tout à fait formelle pour dire que c’est lui, je le reconnais.
D’ailleurs, après ma déclaration aux Droits de l’homme, je me suis souvenue
de son nom. Ce Vincent me connaissait de vue, on se saluait. Durant les événements,
je restais toujours à la maison. Un jour que je ne peux plus préciser, mais
qui devait se situer fin avril - début mai, je me trouvais avec mon époux à
la maison.
Nous habitions une rangée de dix maisons occupées
par les professeurs de l’école sociale de Karubanda. Mon mari était également
professeur à cette école, mais au moment des faits, je suivais un deuxième cycle
à l’université. Nous occupions la deuxième maison en venant de la ville et Victor
NDUWUMWE habitait le n° 9, soit l’avant-dernière maison de la rangée. Nous étions
au courant des massacres, et nous étions heureusement étonnés que durant plusieurs
jours, nos dix maisons avaient été épargnées. J’étais donc, avec mon mari, dans
la maison. Nous avons vu des militaires passer avec un civil. D’après mes souvenirs,
c’était un ou deux militaires, pas plus. Le civil était Vincent. Je l’ai vu
à travers la fenêtre, je l’ai parfaitement reconnu. Nous sommes sortis, mon
mari et moi, par derrière pour voir où ils allaient. Nous avions peur et comme
je vous l’ai dit, c’est la première fois qu’on voyait des militaires dans notre
petit quartier de dix maisons. J’ai vu alors personnellement Vincent pointer
du doigt la maison de Victor. Le ou les militaire(s) sont rentrés chez Victor,
Vincent est resté dehors. Je ne sais pas ce qui s’est passé après car, je ne
l’ai pas vu personnellement, mais j’ai entendu six coups de feu environ cinq
minutes plus tard. Nous avons vu repasser Vincent après avec le ou les militaire(s).
Ce ou ces dernier(s) ont continué leur chemin tandis que Vincent s’est arrêté
devant la maison n° 3 où il connaissait quelqu’un.
Je suppose que c’était son ami parce qu’il était
également professeur de l’université. Il est resté quelques instants à parler
avec le professeur et puis il est reparti. Par après, ce professeur, François
BATALINGAYA, m’a dit qu’il lui avait demandé de lui préciser dans quelle maison
voisine de la sienne habitaient des Inyenzi, soit la deuxième, soit la quatrième
puisque François habitait la troisième et nous la deuxième. Je pense qu’il visait
la quatrième maison où habitait une famille Tutsi. Je ne sais pas ce qu’a répondu
François, mais il m’a dit que Vincent lui a dit qu’il reviendrait la nuit. Heureusement,
il n’est pas revenu. La famille qui habitait la quatrième maison est toujours
en vie. En fait, il s’agit de la veuve de Monsieur MIRONGO, de Matyazo. Elle
a également vu ce que je vous raconte, elle pourrait témoigner. Elle habite
Butare, à Matyazo. On saura vous indiquer son adresse si vous allez à Matyazo.
Je tiens à vous signaler que, par après, j’ai appris par le voisin du n° 8 dont
l’homme s’appelait Juvénal et la femme Léonie, que Vincent et le ou les militaire(s)
avai(en)t emporté la femme de Victor, sa fillette et sa domestique, dans le
bois de Buye et qu’elles auraient été tuées là-bas. Sur interpellation, je ne
peux pas vous dire s’il est exact que Vincent se serait d’abord dirigé vers
notre maison avant de se diriger vers le n° 9.
Je me souviens seulement que quand nous avons
vu passer Vincent devant, je suis allée voir derrière. Tout ce que je peux vous
dire, c’est que la neuvième maison était la deuxième maison à partir de l’autre
côté et qu’il n’est pas impossible qu’il y ait eu confusion. Sur interpellation,
je n’ai pas vu d’autres agissements de Vincent que ceux décrits ci-dessus. J’ai
appris d’autres choses par mon mari. Il m’a dit une fois en revenant d’une ronde
que lors de celle-ci, ils avaient vu un militaire et un gardien de nuit entrer
chez Vincent. Ils sont sortis avec deux filles dont on a trouvé ensuite l’une
morte et l’autre gravement blessée. On disait qu’elles avaient été tuées à la
demande de Vincent parce qu’il y avait des réunions chez lui, avec des gens
du Nord et qu’elles avaient pu entendre ce qui s’y disait. On disait dans le
quartier qu’il y avait chez Vincent, des membres de l’état-major qui venaient
et que des réunions pouvaient s’y tenir parce que la femme de Vincent était
partie avant les événements, pour un stage aux Etats-Unis. Sur interpellation,
mon mari a participé aux rondes après le 19 avril. Le 19, les massacres
ont commencé. Quelques jours ont passé, et les autorités ont dit qu’on allait
arrêter les massacres et reprendre les rondes, ainsi que les activités quotidiennes.
Tout le monde était obligé d’y participer sous peine d’être appelé Inyenzi et
tué. Même les Tutsi y ont participé et ont été tués lors de ces rondes. C’étaient
des rondes avec des civils, à tour de rôle, dans le quartier.
Il y avait toutefois deux ou trois militaires qui veillaient dans
le quartier et à qui on devait faire appel si quelque chose se passait. On n’a
pas massacré lors de ces rondes. On reproche à mon mari d’avoir tué deux professeurs
qui habitaient le même quartier que nous et leur famille, soit Victor et une
autre famille, fin juin, alors que pour cette dernière, ils n’étaient pas à
Butare au moment du meurtre. Les membres de cette dernière famille victime témoignent
dans ce sens. Je joins à la présente, copie du témoignage du petit frère de
cette dernière famille. Sur interpellation, je connais HIGANIRO Alphonse, il
était directeur général de l’usine d’allumettes de Butare où j’ai fait un stage
de deux mois et demi, j’ai dû insister pour faire ce stage, il ne voulait pas
vraiment de moi, il clamait à qui voulait l’entendre qu’il était membre du CDR.
Pour moi, cet homme avait une maladie, elle s’appelait Tutsi ».
Des observations ? Des demandes d’explications ? Maître
HIRSCH ?
Me. HIRSCH : Un commentaire,
Monsieur le président ?
Le Président : Oui.
Me. HIRSCH : Simplement pour
signaler que la déclaration que le témoin 91 a faite et que vous avez
lue en premier lieu date du 10 janvier 1995, soit avant l’arrestation de Vincent
NTEZIMANA, le 27 avril.
Le Président : Bien. D’autres
observations éventuellement ? |
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