|
6.4.9. Lecture de déclarations par le président: le témoin 5
Le Président : Alors, BISALINKUMI
Ezéchiel. Je crois que ça concerne toujours le volet de Monsieur NTEZIMANA.
Euh… oui, ceci, c’est un courrier adressé à Monsieur le témoin 144, je pense
qu’il doit y avoir une audition, quand même. Oui, il y a une audition le 2 mai
1995, par Monsieur WATERPLAS de la police judiciaire de Bruxelles :
« Je suis bien l’auteur de la lettre que
vous me soumettez. Je confirme en tous points le contenu de cette lettre. C’est
à la demande de Monsieur le témoin 144 que je l’ai rédigée. Cette
personne m’a contacté téléphoniquement, en me demandant mon témoignage sur Vincent
NTEZIMANA. D’après Monsieur le témoin 144, il s’agissait d’un ancien étudiant
de l’UCL qui était de retour en Belgique. Tel que je l’ai expliqué dans ma lettre,
j’ai cru comprendre que NTEZIMANA avait été accueilli, à son retour en Belgique,
dans le laboratoire de l’UCL, autrement dit, il y travaillait, et Monsieur VAN
YPERSELE voulait mon témoignage à son sujet puisqu’il avait eu vent de rumeurs
qui circulaient au sujet de NTEZIMANA, notamment en ce qui concerne l’implication
de l’intéressé dans les massacres au Rwanda. J’étais le supérieur hiérarchique
de NTEZIMANA à Butare, puisque j’étais le doyen de la faculté des sciences.
Si mes souvenirs sont exacts, il est arrivé en
1993. Je l’ai connu pendant l’année académique 1992-1993, et une partie de 1993-1994.
Tel que je l’ai expliqué, il n’y avait rien à redire sur son comportement professionnel
ou relationnel. Il était très actif en politique, c’est du moins l’impression
qu’il m’a donnée. Il était membre fondateur et secrétaire d’un des partis d’opposition,
le PRD. Bien que ne faisant pas de politique moi-même, j’ai quand même eu des
discussions avec NTEZIMANA concernant la politique du pays. Il ne m’a jamais
donné l’impression d’être extrémiste, de défendre des thèses radicales anti-Tutsi,
par exemple. Tel que je l’ai expliqué, je ne peux cependant pas prétendre bien
connaître les activités politiques de NTEZIMANA. En effet, afin de pouvoir garder
mon statut de neutralité, je ne faisais personnellement pas de politique. En
ce qui concerne le texte qu’il voulait me soumettre, il s’agissait en fait du
programme politique du PRD, je n’ai finalement jamais vu ce texte, puisque j’ai
quitté le Rwanda pour la Belgique, le 17 mars 1994, avant qu’il ne me le montre.
J’étais donc ici au moment du déclenchement des événements, et je ne suis plus
retourné au Rwanda depuis. Mon épouse et mes enfants ont, fort heureusement,
pu être évacués à temps vers Nairobi. Ils sont actuellement également en Belgique.
N’étant pas là aux moments chauds, je ne pourrais donc vous dire si NTEZIMANA
a joué un rôle dans les massacres à quelque niveau que ce soit. Connaissant
cependant sa personnalité, j’ai du mal à m’imaginer la chose ».
Alors, j’avais dit jusqu’à 4h15… Un commentaire, ou vous voulez lire
la lettre ? Peut-être lire la lettre, parce qu’après, c’est RUTIBABARIRA
Aster et là, c’est un peu long. Alors, je vais peut-être vous demander, Monsieur
le greffier, pour avoir l’original parce que ma copie… Oui, c’est dans le classeur
5 du dossier 37. Parce que la copie n’est pas… C’est déjà une copie de copie
de copie… Merci.
Ce n’est pas beaucoup mieux, m’enfin… C’est une lettre adressée par
Monsieur BISALINKUMI Ezéchiel à Monsieur le témoin 144, le 20 novembre
1994 :
« Monsieur,
Par vos deux appels téléphoniques, notamment celui
du 10 novembre 1994, vous avez souhaité avoir des témoignages sur Monsieur NTEZIMANA
Vincent, de nationalité rwandaise, qui, comme vous me l’avez dit, a été obligé
de fuir son pays suite aux événements qui s’y déroulent actuellement et a été
accueilli dans votre laboratoire quelque temps après son arrivée en Belgique.
Si j’ai bien compris votre message téléphonique, certaines personnes auraient
contacté les autorités de l’UCL pour leur dire que Monsieur NTEZIMANA Vincent
a pris part aux massacres intervenus au Rwanda durant ces derniers mois. De
ce fait, en votre qualité de responsable scientifique de Monsieur NTEZIMANA
Vincent, vous souhaitez disposer de tous les renseignements pouvant vous permettre
de connaître la vérité. Avant toute considération, je voudrais tout d’abord
m’excuser pour le retard pris à vous répondre, mais également demander votre
indulgence suite au fait que les renseignements que je donnerai ci-dessous risquent
fort probablement de ne pas vous avancer à grand-chose à partir du moment où
ces renseignements sont antérieurs à la période qui vous intéresse. En effet,
je suis arrivé en Belgique le 17 mars 1994, c’est-à-dire presque trois semaines
avant le 6 avril 1994, date du déclenchement des événements pour lesquels
Monsieur NTEZIMANA Vincent est accusé. Je voudrais faire deux remarques préliminaires :
1) Compte tenu de ce que je viens d’évoquer, il
aurait été souhaitable que le témoignage que vous souhaitez obtenir de moi réponde
à des questions précises, consignées par écrit, indiquant clairement les points
sur lesquels vous souhaitez avoir une opinion en rapport avec les activités
de Monsieur NTEZIMANA dans son milieu professionnel où je l’ai connu. Je suis
donc conscient du caractère incomplet de mes propos, et c’est pour cette raison
que je voudrais vous dire que si cette lettre ne répondait pas à vos attentes,
vous pouvez toujours m’écrire, et je suis disposé à donner des éclaircissements
éventuels.
2) Si vous avez tenu à me contacter, je présume
que c’est suite au fait que vous avez été informé que j’étais doyen de la faculté
des sciences à l’Université nationale du Rwanda, et donc, supérieur hiérarchique
direct de Monsieur NTEZIMANA Vincent qui était enseignant au département de
physique. J’attire donc votre attention sur le fait que les points de vue que
j’évoquerai ici ne sont que les points de vue tout à fait personnels et n’engagent
donc pas l’université nationale du Rwanda. J’ai connu NTEZIMANA Vincent au moment
de sa réintégration à l’université nationale du Rwanda, au cours de l’année
académique 92-93, au terme de ses études doctorales à l’UCL. Sur le plan strictement
professionnel, c’est un enseignant qui s’est vite adapté à ses nouvelles fonctions,
et qui les assumait avec compétence et dévouement. Par ailleurs, j’ai pu constater
qu’il jouissait d’une bonne réputation auprès des collègues qui l’avaient connu
à la faculté des sciences, où il fut assistant avant son départ en Belgique
pour sa formation doctorale. Sur le plan relationnel, de mon point de vue, il
m’a toujours donné l’impression de quelqu’un qui entretenait des rapports très
chaleureux avec tous ses collègues qu’il respectait. Je n’ai jamais senti qu’il
avait des problèmes particuliers avec ses collègues.
S’agissant de ses activités politiques, il me
donnait l’impression de quelqu’un qui était très actif, il était membre fondateur
et secrétaire exécutif d’un des partis d’opposition, le PRD, Parti pour le Renouveau
Démocratique. Ici, il convient de signaler que, pour des raisons tout à fait
personnelles, je n’étais membre d’aucun parti politique. C’est un choix délibéré
que je m’étais fixé, et que je comptais conserver tant que j’étais encore doyen
de faculté. Sauf erreur de ma part, j’avais l’impression que mes collègues enseignants
respectaient ce choix et n’ont jamais cherché à me faire adhérer à leur parti
pour ceux qui en étaient membres. Ceci m’a notamment permis de garder ma neutralité
et mon indépendance dans l’exercice de mes fonctions de doyen. Ceci ne m’empêchait
pas néanmoins de discuter avec mes collègues des questions politiques d’intérêt
national. Vu le peu de temps que je consacrais aux activités politiques des
partis, je ne peux pas prétendre que je connaissais très bien Monsieur NTEZIMANA
Vincent en tant qu’acteur politique. Cependant, comme témoignage dans ce domaine,
je garde encore en mémoire l’entretien que j’avais eu avec lui au mois de février
1994. Cet entretien faisait suite à une audience qu’il avait lui-même demandée,
et m’avait expliqué qu’il souhaitait avoir mes avis et considérations sur un
texte qu’il était en train d’élaborer en guise de programme de son parti.
Cet entretien s’est passé en présence de Monsieur
Canisius le témoin 32, membre du bureau politique de son parti, et également
enseignant à la faculté des sciences. Il m’a expliqué qu’il souhaitait soumettre
le projet de texte à un groupe restreint de personnes dont il disait apprécier
l’impartialité, la probité, leur profondeur de pensée ainsi que leur esprit
d’indépendance, d’ouverture et de dialogue. Parmi les noms des personnes qu’il
avait déjà contactées ou qu’il comptait voir pour la même raison, je me rappelle
encore de celui du professeur Pierre Claver KARENZI, de GATWAZA Emmanuel qui
était alors vice-doyen de notre faculté, tous deux enseignants dans le même
département que lui du professeur Kayondo Ka KAYONDO du département de biologie,
de NSHUNGUYINKA Antoine du département de pharmacie et du professeur KATABARWA
Jean-Baptiste, doyen de la faculté des sciences appliquées. Malheureusement,
certains de ces collègues ont été sauvagement massacrés durant cette tragédie,
notamment le professeur KARENZI, Monsieur GATWAZA et NSHUNGUYINKA. Au cours
de cet entretien et même après, Monsieur NTEZIMANA semblait vraiment être préoccupé
par l’avenir de son pays, mais parlait souvent de dialogue entre toutes les
composantes politiques dans le pays et fustigeait toute forme de violence pour
monter au pouvoir.
Il paraissait très honnête et sincère dans ce
qu’il disait et avait, pour moi, le mérite d’exprimer publiquement et à haute
voix sa pensée et ses idées. Il savait souvent imposer ses idées tout en respectant
celles des autres. Je pense d’ailleurs que c’est suite à cette forte personnalité
que ses collègues enseignants au niveau de toute l’université l’avaient élu
pour diriger le syndicat des enseignants de l’université nationale du Rwanda
et était donc leur représentant au sein des organes de l’université nationale
du Rwanda. Par rapport à cette image que je garde de NTEZIMANA, j’ai des difficultés
à l’imaginer en train de prendre part aux actes dont il est accusé. Si les faits
qui lui sont reprochés étaient exacts, je serais très surpris, peiné et choqué,
car le souci constant de concertation, de consultation, le sens du dialogue
qui le caractérisaient, même si par moments on avait l’impression qu’il cherchait
à imposer ses idées, sont des qualités que j’imagine mal chez quelqu’un qui
se rend coupable des actes comme ceux dont il est accusé. Cela étant, il y a
certainement beaucoup de personnes qui étaient au Rwanda durant les événements
tragiques et qui peuvent témoigner en toute objectivité sur le comportement
des personnes qui y étaient. Il vaudrait mieux que ceux qui l’accusent puissent
le faire à visage ouvert et qu’il puisse se défendre.
J’ose espérer que cette lettre ne sera pas exploitée
à d’autres fins ou pour justifier ce qu’elle ne doit pas justifier. Elle reflète
une propre opinion que je me suis faite sur un collègue, à une période qui,
malheureusement, ne correspond pas à celle qui vous intéresse.
Espérant vous avoir été utile, je vous prie de
croire, Monsieur, à ma franche collaboration ».
Des commentaires en ce qui concerne ce témoin ? Je pense
qu’on va peut-être en rester là parce que le suivant c’est… ou alors, je saute
à un autre mais ce n’est peut-être pas moins… le témoin 34, c’est moins
long. |
|
|
|