assises rwanda 2001
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Instruction d’audience V. Ntezimana Lecture déclarations de témoins par président compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction d’audience V. Ntezimana > Lecture déclarations de témoins par président > le témoin 5
1. le témoin 119 2. le témoin 53 3. le témoin 91 4. le témoin 129 5. Commentaires défense V. Ntezimana 6. F. Kikabo 7. le témoin 76 et commentaires partie civile, défense de V. Ntezimana 8. J.M.V. le témoin 142 et commentaires défense de V. Ntezimana 9. le témoin 5 10. G. Hategekiman 11. A. Rutibabarir 12. le témoin 63 13. le témoin 107
 

6.4.9. Lecture de déclarations par le président: le témoin 5

Le Président : Alors, BISALINKUMI Ezéchiel. Je crois que ça concerne toujours le volet de Monsieur NTEZIMANA. Euh… oui, ceci, c’est un courrier adressé à Monsieur le témoin 144, je pense qu’il doit y avoir une audition, quand même. Oui, il y a une audition le 2 mai 1995, par Monsieur WATERPLAS de la police judiciaire de Bruxelles :

« Je suis bien l’auteur de la lettre que vous me soumettez. Je confirme en tous points le contenu de cette lettre. C’est à la demande de Monsieur le témoin 144 que je l’ai rédigée. Cette personne m’a contacté téléphoniquement, en me demandant mon témoignage sur Vincent NTEZIMANA. D’après Monsieur le témoin 144, il s’agissait d’un ancien étudiant de l’UCL qui était de retour en Belgique. Tel que je l’ai expliqué dans ma lettre, j’ai cru comprendre que NTEZIMANA avait été accueilli, à son retour en Belgique, dans le laboratoire de l’UCL, autrement dit, il y travaillait, et Monsieur VAN YPERSELE voulait mon témoignage à son sujet puisqu’il avait eu vent de rumeurs qui circulaient au sujet de NTEZIMANA, notamment en ce qui concerne l’implication de l’intéressé dans les massacres au Rwanda. J’étais le supérieur hiérarchique de NTEZIMANA à Butare, puisque j’étais le doyen de la faculté des sciences.

Si mes souvenirs sont exacts, il est arrivé en 1993. Je l’ai connu pendant l’année académique 1992-1993, et une partie de 1993-1994. Tel que je l’ai expliqué, il n’y avait rien à redire sur son comportement professionnel ou relationnel. Il était très actif en politique, c’est du moins l’impression qu’il m’a donnée. Il était membre fondateur et secrétaire d’un des partis d’opposition, le PRD. Bien que ne faisant pas de politique moi-même, j’ai quand même eu des discussions avec NTEZIMANA concernant la politique du pays. Il ne m’a jamais donné l’impression d’être extrémiste, de défendre des thèses radicales anti-Tutsi, par exemple. Tel que je l’ai expliqué, je ne peux cependant pas prétendre bien connaître les activités politiques de NTEZIMANA. En effet, afin de pouvoir garder mon statut de neutralité, je ne faisais personnellement pas de politique. En ce qui concerne le texte qu’il voulait me soumettre, il s’agissait en fait du programme politique du PRD, je n’ai finalement jamais vu ce texte, puisque j’ai quitté le Rwanda pour la Belgique, le 17 mars 1994, avant qu’il ne me le montre. J’étais donc ici au moment du déclenchement des événements, et je ne suis plus retourné au Rwanda depuis. Mon épouse et mes enfants ont, fort heureusement, pu être évacués à temps vers Nairobi. Ils sont actuellement également en Belgique. N’étant pas là aux moments chauds, je ne pourrais donc vous dire si NTEZIMANA a joué un rôle dans les massacres à quelque niveau que ce soit. Connaissant cependant sa personnalité, j’ai du mal à m’imaginer la chose ».

Alors, j’avais dit jusqu’à 4h15… Un commentaire, ou vous voulez lire la lettre ? Peut-être lire la lettre, parce qu’après, c’est RUTIBABARIRA Aster et là, c’est un peu long. Alors, je vais peut-être vous demander, Monsieur le greffier, pour avoir l’original parce que ma copie… Oui, c’est dans le classeur 5 du dossier 37. Parce que la copie n’est pas… C’est déjà une copie de copie de copie… Merci.

Ce n’est pas beaucoup mieux, m’enfin… C’est une lettre adressée par Monsieur BISALINKUMI Ezéchiel à Monsieur le témoin 144, le 20 novembre 1994 :

« Monsieur,

Par vos deux appels téléphoniques, notamment celui du 10 novembre 1994, vous avez souhaité avoir des témoignages sur Monsieur NTEZIMANA Vincent, de nationalité rwandaise, qui, comme vous me l’avez dit, a été obligé de fuir son pays suite aux événements qui s’y déroulent actuellement et a été accueilli dans votre laboratoire quelque temps après son arrivée en Belgique. Si j’ai bien compris votre message téléphonique, certaines personnes auraient contacté les autorités de l’UCL pour leur dire que Monsieur NTEZIMANA Vincent a pris part aux massacres intervenus au Rwanda durant ces derniers mois. De ce fait, en votre qualité de responsable scientifique de Monsieur NTEZIMANA Vincent, vous souhaitez disposer de tous les renseignements pouvant vous permettre de connaître la vérité. Avant toute considération, je voudrais tout d’abord m’excuser pour le retard pris à vous répondre, mais également demander votre indulgence suite au fait que les renseignements que je donnerai ci-dessous risquent fort probablement de ne pas vous avancer à grand-chose à partir du moment où ces renseignements sont antérieurs à la période qui vous intéresse. En effet, je suis arrivé en Belgique le 17 mars 1994, c’est-à-dire presque trois semaines avant le 6 avril 1994, date du déclenchement des événements pour lesquels Monsieur NTEZIMANA Vincent est accusé. Je voudrais faire deux remarques préliminaires :

1) Compte tenu de ce que je viens d’évoquer, il aurait été souhaitable que le témoignage que vous souhaitez obtenir de moi réponde à des questions précises, consignées par écrit, indiquant clairement les points sur lesquels vous souhaitez avoir une opinion en rapport avec les activités de Monsieur NTEZIMANA dans son milieu professionnel où je l’ai connu. Je suis donc conscient du caractère incomplet de mes propos, et c’est pour cette raison que je voudrais vous dire que si cette lettre ne répondait pas à vos attentes, vous pouvez toujours m’écrire, et je suis disposé à donner des éclaircissements éventuels.

2) Si vous avez tenu à me contacter, je présume que c’est suite au fait que vous avez été informé que j’étais doyen de la faculté des sciences à l’Université nationale du Rwanda, et donc, supérieur hiérarchique direct de Monsieur NTEZIMANA Vincent qui était enseignant au département de physique. J’attire donc votre attention sur le fait que les points de vue que j’évoquerai ici ne sont que les points de vue tout à fait personnels et n’engagent donc pas l’université nationale du Rwanda. J’ai connu NTEZIMANA Vincent au moment de sa réintégration à l’université nationale du Rwanda, au cours de l’année académique 92-93, au terme de ses études doctorales à l’UCL. Sur le plan strictement professionnel, c’est un enseignant qui s’est vite adapté à ses nouvelles fonctions, et qui les assumait avec compétence et dévouement. Par ailleurs, j’ai pu constater qu’il jouissait d’une bonne réputation auprès des collègues qui l’avaient connu à la faculté des sciences, où il fut assistant avant son départ en Belgique pour sa formation doctorale. Sur le plan relationnel, de mon point de vue, il m’a toujours donné l’impression de quelqu’un qui entretenait des rapports très chaleureux avec tous ses collègues qu’il respectait. Je n’ai jamais senti qu’il avait des problèmes particuliers avec ses collègues.

S’agissant de ses activités politiques, il me donnait l’impression de quelqu’un qui était très actif, il était membre fondateur et secrétaire exécutif d’un des partis d’opposition, le PRD, Parti pour le Renouveau Démocratique. Ici, il convient de signaler que, pour des raisons tout à fait personnelles, je n’étais membre d’aucun parti politique. C’est un choix délibéré que je m’étais fixé, et que je comptais conserver tant que j’étais encore doyen de faculté. Sauf erreur de ma part, j’avais l’impression que mes collègues enseignants respectaient ce choix et n’ont jamais cherché à me faire adhérer à leur parti pour ceux qui en étaient membres. Ceci m’a notamment permis de garder ma neutralité et mon indépendance dans l’exercice de mes fonctions de doyen. Ceci ne m’empêchait pas néanmoins de discuter avec mes collègues des questions politiques d’intérêt national. Vu le peu de temps que je consacrais aux activités politiques des partis, je ne peux pas prétendre que je connaissais très bien Monsieur NTEZIMANA Vincent en tant qu’acteur politique. Cependant, comme témoignage dans ce domaine, je garde encore en mémoire l’entretien que j’avais eu avec lui au mois de février 1994. Cet entretien faisait suite à une audience qu’il avait lui-même demandée, et m’avait expliqué qu’il souhaitait avoir mes avis et considérations sur un texte qu’il était en train d’élaborer en guise de programme de son parti.

Cet entretien s’est passé en présence de Monsieur Canisius le témoin 32, membre du bureau politique de son parti, et également enseignant à la faculté des sciences. Il m’a expliqué qu’il souhaitait soumettre le projet de texte à un groupe restreint de personnes dont il disait apprécier l’impartialité, la probité, leur profondeur de pensée ainsi que leur esprit d’indépendance, d’ouverture et de dialogue. Parmi les noms des personnes qu’il avait déjà contactées ou qu’il comptait voir pour la même raison, je me rappelle encore de celui du professeur Pierre Claver KARENZI, de GATWAZA Emmanuel qui était alors vice-doyen de notre faculté, tous deux enseignants dans le même département que lui du professeur Kayondo Ka KAYONDO du département de biologie, de NSHUNGUYINKA Antoine du département de pharmacie et du professeur KATABARWA Jean-Baptiste, doyen de la faculté des sciences appliquées. Malheureusement, certains de ces collègues ont été sauvagement massacrés durant cette tragédie, notamment le professeur KARENZI, Monsieur GATWAZA et NSHUNGUYINKA. Au cours de cet entretien et même après, Monsieur NTEZIMANA semblait vraiment être préoccupé par l’avenir de son pays, mais parlait souvent de dialogue entre toutes les composantes politiques dans le pays et fustigeait toute forme de violence pour monter au pouvoir.

Il paraissait très honnête et sincère dans ce qu’il disait et avait, pour moi, le mérite d’exprimer publiquement et à haute voix sa pensée et ses idées. Il savait souvent imposer ses idées tout en respectant celles des autres. Je pense d’ailleurs que c’est suite à cette forte personnalité que ses collègues enseignants au niveau de toute l’université l’avaient élu pour diriger le syndicat des enseignants de l’université nationale du Rwanda et était donc leur représentant au sein des organes de l’université nationale du Rwanda. Par rapport à cette image que je garde de NTEZIMANA, j’ai des difficultés à l’imaginer en train de prendre part aux actes dont il est accusé. Si les faits qui lui sont reprochés étaient exacts, je serais très surpris, peiné et choqué, car le souci constant de concertation, de consultation, le sens du dialogue qui le caractérisaient, même si par moments on avait l’impression qu’il cherchait à imposer ses idées, sont des qualités que j’imagine mal chez quelqu’un qui se rend coupable des actes comme ceux dont il est accusé. Cela étant, il y a certainement beaucoup de personnes qui étaient au Rwanda durant les événements tragiques et qui peuvent témoigner en toute objectivité sur le comportement des personnes qui y étaient. Il vaudrait mieux que ceux qui l’accusent puissent le faire à visage ouvert et qu’il puisse se défendre.

J’ose espérer que cette lettre ne sera pas exploitée à d’autres fins ou pour justifier ce qu’elle ne doit pas justifier. Elle reflète une propre opinion que je me suis faite sur un collègue, à une période qui, malheureusement, ne correspond pas à celle qui vous intéresse.

Espérant vous avoir été utile, je vous prie de croire, Monsieur, à ma franche collaboration ».

Des commentaires en ce qui concerne ce témoin ? Je pense qu’on va peut-être en rester là parce que le suivant c’est… ou alors, je saute à un autre mais ce n’est peut-être pas moins… le témoin 34, c’est moins long.