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6.4.7. Lecture de déclarations de témoins par le président: Rose
le témoin 76
Le Président : Alors, le témoin 76
Rose, qui n’est pas venue. Moi, il me semble avoir vu une pièce indiquant qu’elle
refusait de venir pour des raisons professionnelles. Vous avez retrouvé la pièce,
Maître CLEMENT ?
Me. CLEMENT : Non.
Le Président : Madame le témoin 76
Rose est la députée FPR dont un témoin est venu nous dire qu’elle racontait
beaucoup de mensonges sur ses collègues, et qui aurait été expulsée du Parlement.
Ca concerne toujours le cas de Monsieur NTEZIMANA. Alors, j’ai une déclaration
faite le 27 février 1995, devant le commissaire de police d’Ottignies-Louvain-la-Neuve
de STEXHE. Elle déclare ceci :
« Par la présente, j’entends préciser certains
points relatifs au comportement de Vincent NTEZIMANA, avant les événements dramatiques
d’avril 1994 au Rwanda, ou pendant ceux-ci. Durant les études de Vincent NTEZIMANA
en Belgique, je l’ai rencontré à l’occasion d’une conférence sur le thème de
la situation politique au Rwanda, organisée sur le site universitaire de Louvain-la-Neuve.
NTEZIMANA s’affichait clairement partisan du MDR et ennemi du FPR.
Il était d’ailleurs l’ami d’Alexis NSABIMANA, président de la section MDR de
Belgique. En juillet 1992, j’ai participé, devant l’ambassade du Rwanda, à
une manifestation dénonçant les exactions du régime le témoin 32 alors que NTEZIMANA
était parmi les contre-manifestants.
D’un témoin direct en la personne du témoin 124,
je tiens que NTEZIMANA est l’auteur ou l’un des auteurs du tristement célèbre
« Appel à la conscience des Bahutu » et des « Dix commandements ».
Cet écrit criminel joua un rôle déterminant dans l’incitation ethnique dans
mon pays. Sa portée était d’autant plus grande qu’il émanait d’intellectuels
dont l’aura est importante dans un pays traditionnellement respectueux de la
hiérarchie sociale. « L’appel à la conscience des Bahutu » est bien
le document répertorié à l’annexe 9 de votre P.V. 3474/94.
A l’appui de mes dires, je cite le témoin en la
personne du témoin 124, collègue de NTEZIMANA et travaillant dans le même
laboratoire que celui-ci, à la faculté de physique de l’UCL à Louvain-la-Neuve.
le témoin 124 est docteur en physique et séjourne actuellement au Rwanda. Il
m’a affirmé avoir vu le libellé du texte de « L’appel à la conscience des
Bahutu » sur un terminal de l’ordinateur de cette même faculté de physique
à l’UCL.
Durant la période postérieure à son retour au
Rwanda de septembre 1992, NTEZIMANA est rentré au pays en septembre 1992, après
avoir défendu sa thèse à l’UCL. Il y créa, avec son ami Alexis NSABIMANA, le
PRD, Parti du Renouveau Démocratique, le premier en était secrétaire général
et le second, président. En octobre 1993, pour vous situer le personnage, nous
empruntions tous deux le même autobus pour nous rendre à nos domiciles respectifs,
dans le quartier de Buye à Butare jusqu’au site de l’UNR, Université Nationale
du Rwanda où nous étions tous deux professeurs de sciences. C’est à cette époque
que le président NDADAYE, du Burundi voisin, a été assassiné.
NTEZIMANA ne pouvait cacher sa haine ethnique
en qualifiant d’Inyenzi (cancrelat), les Tutsi. Aucun ne trouvait grâce à ses
yeux. Ainsi, il dénigrait le professeur KARENZI, collègue de NTEZIMANA, alors
que cet enseignant était respecté pour sa pondération parmi ses collègues du
corps académique. Dans la perspective de déstabiliser l’université nationale
du Rwanda à des fins inavouables, NTEZIMANA incita ses collègues, en novembre
1993, et les étudiants, à la grève en prétextant du problème des indemnités
de logement redevables au personnel académique qui n’avait pas reçu de logement
de fonction. A l’époque, nous nous étonnions de la virulence de NTEZIMANA alors
qu’il n’était pas personnellement concerné puisque ses indemnités lui étaient
versées ainsi qu’à son épouse. Alors que ces revendications ne concernaient
en rien les étudiants de l’UNR, NTEZIMANA a tenté de les impliquer dans le mouvement
de grève, sans y parvenir.
La stratégie de NTEZIMANA visait à perturber le
cours normal de l’année académique afin de la voir déclarer nulle. Ce qui aurait
permis de détourner le budget normalement affecté à l’université nationale du
Rwanda, pour l’affecter à l’achat d’armes et pousser à l’agitation dans la région
de Butare, considérée comme peu inféodée au pouvoir de l’époque. Ce dernier
aurait trouvé là un prétexte pour réprimer toute forme d’opposition.
A la mort de Félicien GATABAZI, secrétaire général
du PSD, j’ai entendu NTEZIMANA dire au sujet de celui-ci : « Je ne
comprends pas. Félicien était un Inyenzi (un cancrelat Tutsi). Il y a pourtant
bien d’autres Inyenzi à tuer. En réalité, cet assassinat est imputable à la
CDR (Coalition pour la Défense de la République), parti extrémiste. Ce parti
était manipulé par la présidence de la République. Malgré cela, RTLM, la trop
célèbre radio Mille Collines, lança une campagne diffamatoire accusant Alexandre
RYAMBABAJE de l’assassinat du président de la même CDR, Martin BUCYANA.
Alexandre RYAMBABAJE était d’autant plus visé
qu’il était originaire du Sud du Rwanda. Il avait postulé la fonction de vice-recteur
de l’UNR à Butare. Ces accusations mensongères ont été reproduites par le journal
extrémiste « Kangura », périodique qui s’était déjà illustré par la
publication de « L’appel à la conscience des Bahutu » et « Les
dix commandements ». Alexandre RYAMBABAJE réside actuellement en France.
Dès que possible, je vous communiquerai son adresse. Son audition se révélerait
probablement édifiante quant au comportement de NTEZIMANA Vincent lors de la
préparation et l’exécution du génocide ainsi que les massacres des opposants
à Butare.
Je l’ai également entendu s’en prendre à Jean-Marie
MANIRAHO. Il s’agissait d’un Hutu, professeur de l’UNR, professeur de physique
comme Vincent NTEZIMANA. Je l’ai entendu lui tenir des propos tels que :
« Dis-moi, comment peux-tu communiquer avec un Inyenzi (cancrelat Tutsi) ? ».
Il faut préciser que l’épouse de MANIRAHO était Tutsi. Il a été l’un des premiers
à être assassiné lors des massacres d’avril 1994, à Butare.
Concernant l’entraînement d’enseignants de l’UNR
aux techniques militaires, toujours durant la période qui précéda les massacres
d’avril 1994, des enseignants, dont ceux de l’UNR de Butare, qui, comme Vincent
NTEZIMANA, étaient originaires du Nord, allaient suivre un entraînement militaire
à l’Ecole des sous-officiers de Butare, l’ESO, à raison d’une demi-journée par
semaine. En dotation, ces enseignants avaient reçu une arme personnelle.
Pour la période comprise entre le 6 avril, date
de l’assassinat du président le témoin 32, et le 21 avril, date du déclenchement
des massacres à grande échelle, à Butare, les chefs de famille étaient réquisitionnés
afin de participer à des groupes de surveillance censés assurer la sécurité
dans chaque quartier de Butare, dont celui de Buye où je résidais, ainsi que
NTEZIMANA et KARENZI. le témoin 119, collègue de l’UNR et époux d’une Tutsi,
y était astreint. Il m’a affirmé avoir vu NTEZIMANA parmi les militaires qui
recensaient les maisons de Tutsi. Lors d’une de ces patrouilles, profitant de
l’absence organisée du témoin 119 à domicile, les extrémistes en ont profité pour
assassiner son épouse. le témoin 119 réside actuellement en Belgique, à Leuven (l’adresse
est indiquée ainsi même que le numéro de téléphone).
Après le 21 avril, date du début des massacres
généralisés, certaines personnes dont je n’exclus pas de retrouver les coordonnées
au Rwanda, ont vu NTEZIMANA participer à des barrages dont le but était de procéder
à l’arrestation et l’exécution sommaire de Tutsi ou d’opposants politiques.
En août 1994, après mon retour en Belgique, j’ai
été contactée téléphoniquement par le garant, à UCL, de NTEZIMANA. Il s’agissait
du professeur le témoin 144. Celui-ci évoquant l’urgence, me sommait,
d’un ton qui n’était pas conciliant, de confirmer que NTEZIMANA, son protégé,
n’était pas impliqué dans le génocide et l’organisation des massacres au Rwanda,
et plus spécialement à l’UNR. Ce professeur prenait la défense de NTEZIMANA.
Bien qu’inquiète de l’effet de ces pressions quant aux conditions de mon séjour
en Belgique, j’ai refusé d’y donner suite.
Pour ce qui concerne ma situation personnelle
lors du génocide, j’ai échappé à de nombreuses reprises aux massacres. Sur la
cinquantaine de personnes qui composaient ma famille, nous sommes quatre survivants ».
Le 8 mars 1995, elle déclare, toujours au commissaire de STEXHE :
« Je désire vous produire un document circulant
actuellement dans la communauté rwandaise émanant d’une certaine Association
Rwandaise d’Entraide et de Liaison (c’est le document AREL dont l’expert
le témoin 127 nous a parlé en ce qui concerne la signature, hier). Je précise qu’à ce jour, cette association m’était totalement inconnue.
Ce document que je vous produis et que vous joindrez en annexe de votre PV,
me laisse dubitative. Bien que signé par NTEZIMANA Vincent, j’ai de très sérieux
doutes quant à son authenticité car, sur le fond et sur la forme, il pourrait
s’agir d’un faux. Quoiqu’il en soit, il reste que Vincent NTEZIMANA, à l’égard
duquel je maintiens mes accusations, pourrait prendre peur et disparaître pour
échapper à la justice belge en s’inquiétant des propos et projets criminels
dont il y est fait mention ».
Est annexé ce document. Je pense que ce sont les seules déclarations
de Madame le témoin 76. Euh… toujours pas de témoins ? Ah ! Bien. Nous
allons de toute façon interrompre les lectures. Mais, Maître GILLET, oui ?
Me. GILLET : Oui, un commentaire,
si vous me le permettez, Monsieur le président.
Le Président : Oui.
Me. GILLET : Sur ce témoignage
de Madame le témoin 76 qui, c’est vrai, a été fort accusée de malhonnêteté, de
mensonges, de parti pris, etc. Mais je note tout de même, et cette dernière
déclaration est vraiment très importante, que c’est elle qui, lorsqu’elle vient
déposer ce tract, le soumet à la critique en disant : « Moi, je doute,
je crois que c’est un faux ». Si elle avait été la personne telle qu’on
l’a présentée, elle aurait présenté ce tract comme étant clairement de la main
de Monsieur NTEZIMANA.
Le Président : D’autres
commentaires ? Maître Clément ? CARLIER, excusez-moi.
Me. CARLIER : Merci, Monsieur
le président. Juste un commentaire, nous y reviendrons en plaidoiries mais,
par rapport à ce témoignage du témoin 76 qui a signalé ne pas pouvoir
venir pour des raisons professionnelles, je rappelle simplement à Mesdames et
Messieurs les jurés que nous avons entendu, ici le témoin 124, le collègue
d’université de Monsieur NTEZIMANA, qui l’accuse au demeurant, mais avoir dit
ne jamais avoir vu, sur un terminal d’ordinateur de Monsieur NTEZIMANA, ce fameux
« Appel à la conscience des Bahutu » et Madame le témoin 76, on
vient du lire, je cite : « Il m’a affirmé avoir
vu le libellé du texte de « L’appel à la conscience des Bahutu » sur
un terminal de l’ordinateur de cette même faculté de physique ».
Monsieur le témoin le témoin 124 s’en est expliqué en disant que c’était probablement
une erreur de compréhension entre eux. On voit, à ce moment-là, comment des
témoignages sont reportés par erreur de compréhension.
Le Président : D’autres commentaires ?
Donc, les témoins présents sont ? Oui, et puis il y a… Ah, donc ce serait
la même personne ? Bien. On va d’abord entendre le témoin 47. |
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