assises rwanda 2001
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Instruction d’audience V. Ntezimana Lecture déclarations de témoins par président compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction d’audience V. Ntezimana > Lecture déclarations de témoins par président > A. Rutibabarir
1. le témoin 119 2. le témoin 53 3. le témoin 91 4. le témoin 129 5. Commentaires défense V. Ntezimana 6. F. Kikabo 7. le témoin 76 et commentaires partie civile, défense de V. Ntezimana 8. J.M.V. le témoin 142 et commentaires défense de V. Ntezimana 9. le témoin 5 10. G. Hategekiman 11. A. Rutibabarir 12. le témoin 63 13. le témoin 107
 

6.4.11. Lecture de déclarations par le président: Aster RUTIBABARIRA

Le Président : Alors, nous allons faire quelques lectures dans les témoins qui ont été… si les parties renoncent à des lectures, qu’elles le fassent savoir, hein… parce que le temps risque d’être occupé par d’autres choses encore aujourd’hui. Et en conséquence, notamment les constitutions de parties civiles, il serait peut-être utile que vous vous constituiez au moment où vous prenez la parole. Si ce sont des modifications ou si ce sont des élargissements, au moment où vous prenez la parole, vous indiquez pour qui vous intervenez en plus. Et vous allez plaider à partir de mercredi.

Donc, je crois qu’au moment où vous prenez la parole, dites pour qui vous prenez la parole, pour qui vous vous constituez, éventuellement si vous étendez des constitutions de parties civiles précédentes à d’autres accusés que ceux qui étaient visés éventuellement dans les constitutions initiales. Préparez simplement une note pour savoir pour qui vous vous constituez et contre qui, le reste, je dirais, ce seront des développements qui devront être faits en d’autre temps, mais simplement, précisez dans une note pour qui vous prenez la parole, soit des parties civiles déjà constituées, soit des parties pour lesquelles vous vous constituez au moment où vous prenez la parole. Et indiquez bien dans cette note, éventuellement, contre qui, enfin… pas éventuellement, certainement, contre qui vous vous constituez.

Alors, dans les témoins dont on n’a pas procédé à l’audition, il y avait Monsieur RICHARD Pascal mais qui n’a pas été entendu et qui a remis des documents. Monsieur RICHARD Pascal était, je crois, journaliste de France 3, si mes souvenirs sont bons. Il n’y a pas d’audition, donc, je ne compte pas, enfin, il a remis des documents, mais ce ne sont pas des documents établis par lui, donc, je ne compte pas procéder à une lecture de ce procès-verbal à moins que vous y voyez un intérêt, dites-le si vous considérer qu’il faut agir autrement.

Alors, Monsieur RUTIBABARIRA Aster. Il y a deux documents dans le dossier, mais ce sont deux traductions, faites par deux traducteurs différents, du même document. Il y a sans doute quelques variantes dans les traductions mais qui ne sont pas fondamentales, donc, je ne vais en lire qu’une. Pour rappel, Monsieur RUTIBABARIRA Aster, ça concerne les faits reprochés à Monsieur Vincent NTEZIMANA et il s’agirait du prénommé Aster, professeur qui logeait chez Monsieur NTEZIMANA en même temps que d’autres personnes dont Longin, le témoin 142. Monsieur RUTIBABARIRA Aster a envoyé un courrier le 24 juillet 1995, dans lequel il déclare :

« 1. Je suis citoyen du Rwanda, Afrique, étudiant actuellement aux Etats-Unis, mon adresse est 2006 Broadway (etc.).

2. Je donne ce témoignage en relation avec l’arrestation de Monsieur Vincent NTEZIMANA en Belgique, en rapport avec son implication alléguée dans le génocide rwandais en 1994.

3. Je suis un professeur assistant d’économie à l’université nationale du Rwanda, âgé de 35 ans, je suis marié et ai quatre enfants.

4. Je déclare connaître Monsieur Vincent NTEZIMANA depuis l’obtention de son diplôme au lycée de Byimana, Gitarama. Je puis dire que j’ai appris à le connaître mieux et de très près, depuis 1993, depuis que nous enseignions tous les deux à l’université nationale du Rwanda, Butare. Il enseignait la physique, au département de physique, en faculté des sciences. Sa femme, Madame le témoin 77, était ma collègue à la faculté d’économie ­ SESG - où elle enseignait au département des sciences sociales.

5. De plus, Monsieur Vincent, moi-même et d’autres amis, étions membres du MDR, Mouvement Démocratique Républicain, un parti politique d’opposition. Bien que Monsieur NTEZIMANA était du Nord, Gisenyi, et moi-même, de Kigali, au centre du Rwanda, nous nous sentions tous deux à l’aise au MDR, un parti qui s’était implanté le long de l’axe Ruhengeri-Gitarama-Cyangugu, plus qu’ailleurs.

6. Avant de retourner au Rwanda en janvier 1993, j’avais suivi de près la manière dont Monsieur Vincent et d’autres membres du MDR au Benelux, donc, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg, s’opposaient à la guerre destructive qui amenait, depuis octobre 1990, la misère et la souffrance au peuple rwandais et que le FPR voulait à tout prix continuer par tous les moyens nécessaires.

La section du MDR au Benelux, et suivant mon meilleur souvenir, Monsieur Vincent était un membre de son comité exécutif, donc la section du MDR fut la première à mettre en évidence le danger de scission dans le parti, du fait de certains membres qui, sentant que le président le témoin 32 était l’obstacle aux réformes politiques tout en étant encore un politicien puissant, pensaient que la guerre contre lui était le moyen nécessaire et le seul, de changer la scène politique au Rwanda, en oubliant tout simplement le sort de la population et d’autres membres qui s’opposaient à la guerre et pensaient qu’il était plutôt inhumain d’imposer un tel sacrifice à la population rwandaise. Evidemment, les premiers pensaient que le FPR ferait le travail à leur place et lui offraient donc un support inconditionnel, tandis que les derniers privilégiaient un règlement plus pacifique du problème.

7. Lorsqu’en 1993, les leaders du MDR ne parvinrent pas à trouver de base commune pour préserver l’unité du parti, Monsieur Vincent, moi-même et d’autres membres, avons été parmi les premiers à montrer notre insatisfaction et avons proposé nos conseils quand c’était nécessaire. Cependant, quand nous avons commencé à entendre que le parti se dirigeait vers une division entre deux tendances extrêmes : pro-FPR ou pro-guerre et pro-MRND, tendance qui devint par la suite, la tendance pro-Power, nous n’avons plus eu d’autre alternative que de résister et d’offrir aux gens qui croyaient encore à la démocratie, une chance d’oser affronter quiconque voulait réduire la voix du peuple au silence. Cela n’avait pas d’importance si cela allait être le président le témoin 32 qui désirait garder le pouvoir par n’importe quel moyen, ou le FPR qui souhaitait prendre le pouvoir au moyen de la guerre.

Nous voulions une véritable démocratie, des réformes politiques et démocratiques, un véritable partage du pouvoir entre tous les partis, basé sur des élections libres, la volonté du peuple, mais offrant des garanties importantes sur le respect de l’autorité de la loi et des droits civils et politiques fondamentaux pour toutes les ethnies du Rwanda : Twa, Hutu et Tutsi.

8. Lorsque nous sommes devenus conscients de l’incapacité du MDR d’arriver à un accord avec ces leaders et de sauver le parti de la scission et des tendances extrémistes qui s’affirmaient progressivement des deux côtés, Monsieur Vincent, moi-même et d’autres du MDR et d’autres partis politiques, avons commencé à prendre des contacts dans le but de proposer des solutions plus viables aux problèmes auxquels nous étions confrontés. Finalement, ces contacts nous ont rendus conscients de la nécessité de former un nouveau parti politique qui resterait focalisé sur la société dans son ensemble et non seulement sur les affaires politiques, comme il se fait d’habitude ; le PRD, Parti du Renouveau Démocratique était en train de se former.

Le PRD fut légalement accepté en août 1993. En signe de reconnaissance de ses efforts pour trouver des solutions pacifiques à la guerre au Rwanda, et pour garantir le respect des droits civils et politiques de la population, Monsieur Vincent NTEZIMANA fut désigné, par l’assemblée constitutive, secrétaire général du parti. Je fus désigné comme vice-président chargé des affaires économiques. Mes responsabilités furent, plus tard, élargies par le comité pour inclure l’information et la communication. C’est ainsi que j’en vins à organiser la plupart des conférences à Kigali et des émissions de radio à propos du but et du programme du parti.

9. La question que la plupart des journalistes, la population rwandaise et d’autres observateurs posaient était : le MDR s’est divisé entre partisans du FPR et partisans du MDR-Parmehutu, finalement pro-le témoin 32 et il est évident que toute la population est divisée selon ces deux pôles, « Pourquoi avez-vous quitté le MDR ? Vous devriez choisir un camp ou l’autre. Où vous situez-vous ? ».

La réponse des leaders du PRD était très simple. Quand nous sommes entrés au MDR ou dans un autre parti d’opposition, notre but était d’amener le président le témoin 32 à accepter le multipartisme, de laisser le peuple choisir ses leaders et aussi de trouver une solution au problème des réfugiés. le témoin 32 n’accepte la démocratie qu’avec réticence, il maîtrise la politique de « diviser pour régner » et la question des réfugiés n’a toujours pas été réglée. Au lieu de cela, il veut s’accrocher au pouvoir par tous les moyens nécessaires. Comment pourrions-nous composer avec lui, alors qu’il n’évolue pas du tout dans la direction vers laquelle nous lui avons toujours demandé d’aller ?

Quant au FPR, il a obstinément imposé la guerre au moment où le HCR des Nations Unies et les gouvernements de l’Ouganda et du Rwanda étaient sur le point de résoudre le problème des réfugiés. Bien qu’ils aient accepté de participer aux négociations de paix, le FPR n’a pas abandonné la guerre et n’a pas accepté de se transformer en parti politique, il se disait être une famille. De plus, près d’un million de personnes ont été déplacées à l’intérieur du Rwanda, vivant dans des conditions inhumaines, et le FPR ne considérait pas cela comme un problème à résoudre. Comment pourrions-nous rejoindre l’un ou l’autre de ces deux camps, alors qu’aucun des deux ne nous satisfait par rapport à nos objectifs ?

En outre, Monsieur NSENGIYAREMYE Dismas, le premier ministre sortant, qu’on disait être dans le camp du MDR-Parmehutu, avait fait des erreurs qui avaient conduit le parti à la division. Voulant rester au pouvoir, il laissa Messieurs TWAGIRAMUNGU et le témoin 32 briser le parti, son but ultime pour se concilier l’opposition, en acceptant la nomination d’une personnalité qui n’avait pas l’appui total de ce parti. Puisque nous étions en désaccord avec les deux bords, nous avons alors décidé de former un nouveau parti, un parti centriste : le PRD.

10. En conséquence de nos observations et des erreurs commises par d’autres partis politiques qui agissaient sans aucun programme pour notre société, le PRD avait pour objectif de proposer un projet pour le Rwanda du futur - nous pensons principalement au long terme - comprenant des réformes démocratiques et politiques, des réformes économiques, etc. Mais aussi et surtout, le règlement pacifique du problème des réfugiés et une fin à la guerre.

Le PRD commença à travailler sur ce programme avant même la signature des accords d’Arusha mais, comme il fut légalement accepté en août 1993, après les accords de paix d’Arusha et dans une période d’intenses problèmes ethniques dans le Parti libéral PL et entre le FPR et la coalition MRND-CDR, les leaders du PRD prirent d’autres contacts et organisèrent conférences et meetings dans le but d’éduquer et d’avertir la population du danger des politiques ethniques et des effets négatifs de la poursuite de la guerre.

Etant donné que le PRD n’avait pas pris part à l’accord de partage du pouvoir, tous les partis politiques qui ont été légalisés après les accords d’Arusha, n’avaient pas reçu un rôle actif dans les institutions de transition et étaient supposés attendre la fin de cette période, et finalement, des élections. Nous étions au courant de cela lorsque nous avons formé le PRD et nous ne nous en sommes jamais plaints car c’était pour nous une décision tout à fait objective, les leaders du parti purent rester neutres dans tous les débats.

11. Bien que les accords de paix d’Arusha aient été signés, nous devons rappeler que leur application était une autre affaire. De nombreux partis politiques et les partis d’opposition, aussi bien que le parti du président le témoin 32 et la CDR, s’inquiétaient du fait que le FPR avait reçu le ministère clé du gouvernement et un nombre disproportionné de postes dans l’armée. L’insatisfaction par rapport aux accords donna lieu à des querelles sur les sièges au Parlement et les portefeuilles ministériels. L’installation du gouvernement de transition élargi, pierre d’angle des accords d’Arusha, n’eut jamais lieu. Les assassinats politiques mirent en mouvement un cycle de violence et les partis politiques de l’opposition commencèrent à se diviser entre blocs Tutsi et Hutu.

Nous avons alors appelé tous les leaders concernés, à penser en fonction de ce qui est bon pour le peuple qu’ils prétendent représenter, et non en fonction de leurs intérêts personnels. Nous avons appelé le président le témoin 32 pour lui demander d’éviter tout ce qui pourrait mettre en péril les accords de paix. Nous avons affronté la CDR et le Parti libéral lorsqu’ils bloquaient les accords d’Arusha. Nous avons proposé des solutions au Parti libéral lorsqu’il était en train de se diviser. Nous avons demandé au FPR de s’asseoir à la même table que la CDR et de trouver des bases communes au-delà de leurs différences. Lorsque le témoin 32 reportait sans cesse la cérémonie d’assermentation des députés du Parlement transitoire et que le FPR, le PSD, le MDR et le PL refusaient sans cesse d’accepter la CDR dans cette institution, nous les avons appelés à un comportement plus compréhensible.

Le climat de méfiance était tellement évident et les politiques ethniques stimulaient le développement des extrémistes dans les deux tendances si bien que le leader du PRD devait se maintenir contre (ndt : contre quoi ?). Cependant, nous pouvons dire que nous n’avons pas réussi à amener les deux parties à un accord qui aurait pu épargner à la population, la souffrance humaine et la mort qui résultèrent du comportement irresponsable observé dans les deux camps, la clique du témoin 32 et la clique du FPR.

12. Quand, le 6 avril 1994, le jet présidentiel fut descendu par des missiles et quand les tueries ont commencé le 7 avril, à Kigali, où je vivais, quand j’ai vu l’intensité des tueries et combien il était extrêmement difficile de calmer les gens, quand j’ai vu que les soldats FPR en route vers Rebero L’horizon tuer tout le monde sur leur passage, depuis Remera jusqu’à Kikukiro et Rebero L’horizon et revenant enfin la nuit pour tuer les civils, j’ai décidé de fuir Kigali pour Butare, le 10 avril. Ma famille et moi-même, ainsi que la femme de mon frère et ses enfants, et ma cousine avec ses enfants, sommes arrivés à Butare le 11 avril.

Nous avons passé une nuit en profitant de l’hospitalité de Monsieur Vincent NTEZIMANA pour lequel je ne trouverai jamais assez de mots pour le remercier d’avoir permis à toute cette foule de loger avec sa famille. Cela dépassait de loin les liens amicaux et politiques. Nous avons passé une nuit là-bas et le 12 avril, nous partions pour Satinskyi et Gisenyi avec les enfants de Vincent que nous avons amenés, en compagnie de son frère, chez ses parents.

13. Le 13 avril, mon chauffeur et moi avons quitté Satinskyi et j’ai décidé de me rendre immédiatement à Cyangugu. La raison en était simple. En août 1994, je devais rentrer aux Etats-Unis pour continuer mes études. Mais quand j’ai quitté Kigali, ma femme n’avait pas pris mon passeport et je devais non seulement en demander un nouveau mais aussi prendre contact avec mon sponsor et mon université. J’étais plus près de Ngoma -Zaïre - mais je ne connaissais personne là-bas. Par contre, je connaissais une famille à Bukavu ­ Zaïre - où le filleul de ma femme habitait et j’avais un ami à Cyangugu où je pouvais rester plus longtemps, si nécessaire. Et je devais aller à Gitarama pour voir si je pouvais obtenir un nouveau passeport du service d’immigration qui avait été transféré là, ainsi que le ministère de l’intérieur. A Gitarama, je fus informé qu’il n’était pas encore organisé ni ne distribuait de passeports mais que je pouvais en obtenir un à Butare ou Cyangugu. J’ai donc décidé d’aller à Cyangugu où je fus arrivé dans la soirée du 13 avril. A ce moment, Gitarama et Butare pouvaient être traversés en sécurité. Mais à Gikongoro, on devait être prudent.

Nous avons rencontré davantage de problèmes à Cyangugu où tout le monde était suspecté d’être Tutsi et mon chauffeur a eu quelques problèmes et j’ai dû calmer les gens. Cependant, je n’ai pu obtenir de passeport là. On m’a dit que je devais être né à Cyangugu ou avoir une lettre de la direction des services de l’immigration, ce que je n’avais pas. De plus, la frontière était fermée et seuls les journalistes et les travailleurs de la Croix Rouge, qui essayaient de résoudre le problème des 8.000 Tutsi du stade de Cyangugu et de les nourrir, ainsi que d’autres officiels autorisés, pouvaient aller à Bukavu.

Mes difficultés ne s’arrêtèrent pas là. Je suis resté bloqué à Cyangugu deux semaines et demie pour autant que je m’en souvienne, car la voiture que mon chauffeur et moi avions empruntée, avait été volée. Ce fut seulement au début de mai 1994 que nous avons pu quitter Cyangugu et retourner à Butare. Entre-temps, pendant la période durant laquelle j’étais coincé à Cyangugu, les choses n’allaient pas bien à Butare où les massacres se poursuivaient. Je fus informé que Gikongoro n’était pas plus sûr et Kibuye était même un cauchemar, d’après ce que me racontaient les gens qui en revenaient.

Donc, je devais attendre jusqu’à ce que Butare fût à peu près sûr et que je trouve un chemin plus sûr pour m’y rendre. Je ne pus trouver de meilleur moyen que d’accompagner un lieutenant qui était appelé sur le front à Kigali et il a accepté de me prendre jusqu’à Butare et mon chauffeur, jusqu’à Gitarama. C’était vers la fin de la première semaine de mai 1994, je crois.

14. Monsieur Vincent NTEZIMANA a accepté que je loge dans sa maison où lui-même et sa femme, qui étaient alors aux Etats-Unis, m’avaient dit, quelque temps auparavant, que j’étais le bienvenu chez eux quand je venais enseigner à l’université plutôt que de dépenser trop d’argent dans les motels. Il y avait là d’autres hôtes, Monsieur le témoin 118, un Tutsi, ancienne vedette de football des Etincelles, football club à Gisenyi, et plus tard entraîneur de la même équipe et travaillant à la BRALIRWA à Gisenyi, et Monsieur le témoin 142, travaillant pour PETRORWANDA, qui travaillait toujours à la distribution du gaz, à Butare.

Je connaissais bien Monsieur le témoin 118, depuis le lycée du groupe scolaire Butare où il obtint le diplôme d’assistant médical, une année avant que j’obtienne le mien dans la section commerciale et administrative. Nous avions de bonnes conversations concernant nos craintes que la guerre ait fait renaître la haine entre les tribus et nous nous rappelions les bons moments passés ensemble au groupe scolaire Butare. Il me dit que sa femme était morte à cause de la situation chaotique et il n’était pas facile de faire confiance à quiconque. Il ne me dit pas que sa femme avait été tuée, mais j’avais entendu parler de son malheur.

Je ne connaissais pas Monsieur le témoin 142 auparavant, mais je connaissais très bien ses frères, Monsieur le témoin 142 Jean-Paul, qui était à l’université nationale en même temps que moi-même, et Monsieur le témoin 142 Jean-Pierre, je crois, avec qui j’ai passé quelque temps au lycée. J’avais aussi fait la connaissance du frère de Longin, Monsieur MUKIMBILI Jean et sa famille. Ils étaient aussi à Butare avec un ami à eux, le capitaine NIZEYIMANA qui était chef des opérations à l’ESO, l’Ecole militaire des sous-officiers et nous avons passé du temps ensemble à parler et discuter de tout et n’importe quoi.

Le capitaine NIZEYIMANA et Monsieur NTEZIMANA Vincent savaient très bien que leurs frères hôtes étaient Tutsi et ils savaient aussi qu’ils auraient à les protéger, les cacher, si nécessaire. Ce capitaine NIZEYIMANA et sa femme, un lieutenant, savaient aussi que leurs supérieurs pourraient ne pas apprécier qu’ils cachent des Tutsi, mais ils l’ont quand même fait pour leurs amis. Monsieur Vincent NTEZIMANA fit de même alors qu’il connaissait le risque encouru du fait de son acte. Nous en avions parlé et nous étions d’accord pour être loyaux envers nos amis, quoiqu’il arrive, mais que nous essaierions d’éviter les confrontations avec d’autres personnes ou de discuter de ce cas avec des personnes en qui nous n’avions pas confiance.

15. Monsieur Vincent NTEZIMANA est un homme avec un grand cœur. Nous sommes maintenant au cours de la seconde semaine de mai 1994. Sa femme de ménage, une dame Tutsi était là, elle n’avait pas sa carte d’identité et ne pouvait quitter l’endroit, même si elle en avait eu une. Elle pouvait être tuée si elle avait essayé de partir. Nous avons aussi discuté au sujet de sa situation et étions d’accord que nous ne la laisserions pas aller où que ce soit, toute seule, et nous lui avons recommandé de laisser le gardien ouvrir la porte aux visiteurs.

Durant la même période, des gens se plaignirent que Monsieur NTEZIMANA cachait chez lui, des gens qui ne participaient pas à toutes les activités dans lesquelles les autres étaient impliqués, spécialement les réunions pour améliorer leur sécurité et faire les rondes de nuit. Monsieur Vincent et nous, avons même été sur le point d’être attaqués et par la suite, être tués par deux soldats à qui on avait raconté que des complices du FPR étaient cachés dans la maison de Vincent.

Heureusement, notre collègue, le Docteur le témoin 93 Bernard les avait vus et leur avait demandé ce qu’ils allaient faire et avait discuté de notre situation. Il fut capable de les convaincre que nous n’étions pas des complices du FPR. Il appela immédiatement Vincent et lui dit au téléphone comment les choses auraient pu être pires s’il n’avait pas parlé aux deux jeunes gens. Il nous conseilla d’être plus prudents, de circuler parmi les gens pour leur prouver qu’ils n’avaient rien à craindre de nous, et d’être moins confinés à la maison.

16. Durant presque deux semaines, je fus avec Monsieur NTEZIMANA et ses autres hôtes, Monsieur le témoin 118 et Monsieur le témoin 142. Nous allions avec le frère de Longin, et occasionnellement, avec sa femme, à Gitarama et Ruhango, où Monsieur MUKIMBILI Jean travaillait deux ou trois jours par semaine, à la banque de Kigali, siège de Ruhango. Il était le gérant de ce siège et, pour des raisons de sécurité, ils ouvraient leurs bureaux au bureau principal de la banque de Kigali, à Gitarama. La femme du témoin 142 vivait là, à Gitarama, Kabgayi, et ils se déplaçaient le plus souvent avec Monsieur MUKIMBILI et restaient là quelques jours avant de revenir à Butare.

Je me souviens d’un incident survenu pendant cette période. Monsieur le témoin 142 fut accusé par un gendarme à Nyanza d’être un agent du FPR. Un lieutenant et ses hommes allaient l’exécuter quand nous le découvrîmes. MUKIMBILI, sa femme et moi-même, avons dû agir avec tact et diplomatie pour sauver la vie de notre ami. Nous retournâmes, sains et saufs, à Butare. Au cours de notre séjour à Butare, le frère du témoin 142, Monsieur Jean-Paul le témoin 142, nous rendit visite, et la sœur de Monsieur Longin, une religieuse, venait s’assurer que tout allait bien pour nous.

17. Lorsque nous sommes revenus de Cyangugu à Butare, les massacres étaient terminés dans la zone urbaine de Butare. J’ai entendu que quelques-uns de mes collègues avaient été tués par les soldats des FAR, les forces gouvernementales d’alors. Monsieur NTEZIMANA Vincent était toujours disponible pour nous et s’assurait que nous n’avions aucun problème. Etant donné l’insécurité générale due à la guerre qui s’intensifiait alors, et comme le FPR gagnait du terrain vers Butare, Monsieur NTEZIMANA, qui était aussi le président de l’APARU, l’Association des professeurs et chercheurs à l’université nationale, campus de Butare, devait parfois prendre d’importantes décisions.

C’est ainsi qu’il commença à discuter avec les autorités de l’université sur la manière d’évacuer le staff et les professeurs, en un lieu plus sûr. Une liste de personnes intéressées à ce projet devait être faite, finalement, et par Monsieur Vincent NTEZIMANA, et par d’autres professeurs ou membres du comité de l’APARU. Mais la responsabilité reposait sur les épaules de Vincent. Il était un lien entre le vice-recteur de l’université nationale et l’administration et nous, professeurs et chercheurs. Au moment où nous avons quitté Butare, Vincent, Monsieur Anastase NTEZIAREMYE et moi-même, aux environs du 25 mai 1994, l’évacuation n’avait pas été faite pour des raisons techniques, d’après l’administration de l’université.

Monsieur Vincent NTEZIMANA essaya de convaincre les autorités de l’université, de la nécessité de payer des avances sur les salaires d’avril, à tous les employés vu que la guerre imposait des épreuves à certains d’entre nous. Sous sa pression et parce qu’il parlait en notre nom à tous, les autorités de l’université ont accepté de négocier avec OPROVIA qui a accepté de donner des avances sous la forme de nourriture de première nécessité qu’il vendait au public. Monsieur Vincent NTEZIMANA a aussi condamné la guerre, et le FPR qui ne désirait pas arrêter cette agression. Dans un comité de presse à l’intention de Radio France International et parlant au nom de l’APARU, Monsieur Vincent NTEZIMANA a souligné l’importance, pour les deux partis en guerre, de déclarer un cessez-le-feu et de mettre en place les accords de paix d’Arusha.

18. Durant la période pendant laquelle je me trouvais avec Monsieur NTEZIMANA Vincent, je ne l’ai pas vu prendre part à la moindre activité relative aux massacres malgré que, comme je l’ai déjà dit, quand je suis arrivé à Cyangugu, les massacres avaient cessé dans la zone urbaine de Butare. Toutefois, je crois que, dans cette zone, il y avait des Tutsi parmi nous et je n’ai pas vu Monsieur Vincent NTEZIMANA s’impliquer dans quelque chasse, dénonciation ou fausse accusation contre des Tutsi. Nos amis, mes amis, ou ceux de Longin, ou du témoin 142, venaient nous rendre visite et Monsieur Vincent NTEZIMANA ne demandait jamais qui ils étaient aussi longtemps qu’ils étaient avec nous.

A-t-il participé à ces activités quand nous n’étions pas avec lui, durant la journée ou quand j’étais absent ? Comment aurait-il pu le faire sans éveiller les soupçons ? Il aurait un dédoublement de la personnalité s’il était capable de nous montrer le beau côté de sa personnalité et de se cacher pour faire des choses méprisables. C’est un homme qui s’inquiétait toujours de sa femme de ménage, parce qu’elle n’avait pas sa carte d’identité, et était Tutsi. Il s’inquiétait aussi au sujet de Monsieur le témoin 118 et Monsieur le témoin 142. Une autre chose est que, durant cette période, Monsieur NTEZIMANA Vincent a rendu visite à ses enfants à Satinskyi, au moins deux fois, nous laissant sa maison.

19. En politique, comme leader du PRD, Monsieur NTEZIMANA, moi-même et d’autres membres du comité, nous nous rencontrions quand c’était possible et nous discutions de la situation. Nous condamnions la guerre et appelions la population au calme. Evidemment, nous condamnions le FPR pour avoir repris la guerre, mais nous disions aussi clairement au gouvernement qu’il devait intensifier la campagne pour arrêter les massacres.

20. Aux environs du 25 mai 1994, Monsieur Anastase NTEZIAREMYE, Monsieur Vincent NTEZIMANA et moi-même, décidions de partir pour Gisenyi. Beaucoup de gens fuyaient la zone de Mayaga et de Mugina-Ntongwe vers Butare et on disait que la guerre progressait vers la région de Nyanza-Ntyazo. J’avais quitté Kigali pour essayer de trouver un havre dans ce pays en désintégration et, pour rien au monde, je ne voulais revivre le cauchemar que j’avais vécu à Kigali avec des bombes et des balles sifflant aux oreilles.

L’insécurité allait croissant et  la crainte du pire grandissait. De plus, ma famille était à Satinskyi. Nous avons décidé de partir pour Gisenyi via Satinskyi. Nous sommes arrivés le soir à Satinskyi, avons passé une nuit là et sommes partis pour Gisenyi, le 26 mai 1994. Le 27 mai 1994, nous avons reçu des laissez-passer en lieu et place des passeports qui n’étaient pas encore disponibles. De Ngoma - Zaïre, nous avons commencé à contacter nos amis en Belgique, au Canada et aux Etats-Unis, à la fin de mai 1994.

21. A Gisenyi, nous avons passé le mois de juin et la moitié de juillet 1994 avant de nous réfugier à Ngoma, le 14 juillet 1994. Nous avons rencontré de nombreuses personnes, certaines très sympathiques, d’autres pas trop. C’est la vie. Je me souviens que Monsieur Vincent NTEZIMANA connaissait de nombreuses personnes là-bas et cela ne m’étonnait pas. Il est né et a grandi non loin de là. Je lui ai présenté d’autres personnes de Kigali qu’il ne connaissait pas. Vincent, Anastase et moi-même, sommes allés à Ngoma pour prendre des contacts. Je me souviens de la première fois qu’il a reçu des nouvelles de sa femme Agnès. Il était très heureux. Au moins maintenant, Agnès avait des nouvelles de nous, disait-il en souriant. Parfois, je n’étais pas très heureux car mes fax ne passaient peut-être pas, ou parce que je ne recevais pas de réponse du tout. Anastase était toujours heureux, avec un certain sens de l’humour, comme d’habitude.

Et alors, Monsieur Vincent NTEZIMANA nous a présenté une charmante dame appelée Bélina, la propriétaire de l’auberge de Gisenyi. Nous allions là de temps en temps et nous bavardions avec elle. Elle nous dit combien elle était inquiète pour elle-même et ses enfants et qu’elle souhaitait les rejoindre en Belgique. Je me rappelle que Madame Bélina nous a invités à prendre un verre de bière et un barbecue poulet, à l’auberge. Nos emplois du temps respectifs ne nous ont pas permis de nous y rendre le soir convenu. Nous y sommes allés un autre jour pour nous excuser et elle nous a compris. Nous sommes allés à cette auberge à de nombreuses autres reprises, que ce soit simplement pour prendre un verre ou pour manger au restaurant. Même après qu’Anastase nous ait quittés pour le Canada via Nairobi - Kenya, Vincent et moi, y sommes retournés quelques fois. La dernière fois que j’ai rencontré Madame Bélina, c’était à Ngoma, avant le 14 juillet. Elle était avec ses enfants. Elle me dit que certains chefs Interahamwe à Gisenyi voulaient la tuer et qu’ils essayaient de la surveiller pour qu’elle ne puisse pas quitter Gisenyi. Je me rappelle très vaguement son mari, Monsieur KALIZA. Quelque temps auparavant, je ne connaissais pas sa femme.

Cette dame m’a fortement impressionné en me racontant ce qu’elle fit pour s’échapper. Avec de l’argent, elle a été capable de diviser ces Interahamwe de sorte que certains surveillent son commerce sans qu’elle leur ait dit qu’elle allait s’en aller très bientôt. De cette façon, elle était protégée par ceux qui, d’après elle, voulaient sa mort. Ensuite, elle trouva un ami qui l’a aidée à prendre ses bagages pour Ngoma, et elle traversa la frontière vers Ngoma comme une touriste. Cependant, elle me dit que certains Interahamwe étaient méfiants à un des barrages qu’elle a passés et, par chance, elle put les convaincre qu’elle allait à Ngoma, en visite comme d’habitude, puisqu’elle reviendrait. J’ai été ému par son histoire et heureux de la voir enfin heureuse. Elle me dit que son vol et le reste étaient presque arrangés pour qu’elle et ses enfants puissent rejoindre son mari en Belgique.

J’allais voir si j’avais reçu de bonnes nouvelles de mon sponsor et de mon université, avec cette sorte d’espoir et de désespoir qu’ont les gens dans le besoin. Pendant ce temps, à Gisenyi, Monsieur NTEZIMANA, qui était comme un parent célibataire, était tout le temps occupé à prendre soin de ses deux enfants, en particulier du jeune garçon qui était si petit et avait besoin de soins permanents. Et Madame Agnès n’était pas là. Parfois, nous voulions passer du temps avec lui, mais il s’excusait : « Vous, vous oubliez que j’ai à veiller sur mon fils Emugeni », parfois avec un sourire ou simplement en blaguant à ce propos. Il était devenu un expert en ce que beaucoup d’hommes rwandais n’apprennent jamais, mettre des couches aux enfants.

Quand il avait le temps, Monsieur NTEZIMANA et son hôte, moi-même et d’autres amis, allions nous promener le long du lac Kivu pensant seulement que rien ne serait plus comme avant, cherchant à comprendre comment quelques mauvaises personnes peuvent détruire l’espoir de toute une nation pendant que le monde se limite à regarder.

22. Monsieur NTEZIMANA Vincent n’est pas le genre d’homme qui accepterait une injustice des violations des droits de l’homme. Il n’est pas le genre d’homme qui prendrait plaisir à voir les autres souffrir, non. Et il est toujours prêt à se lever et dire ce qu’il pense, quelle que soit la personne à laquelle il s’adresse. C’est probablement la raison pour laquelle il s’est toujours intéressé à la politique. Je me souviens, à Gisenyi, quand nous rencontrions des politiciens, particulièrement ceux dont nous pensions qu’ils auraient pu faire un meilleur travail et épargner des souffrances à la population, nous nous levions parfois pour les affronter. Mais il n’est pas un lâche. Il ne se tairait pas par peur, non.

L’homme, tel que je le connais, préférerait mourir plutôt que de se taire devant les injustices. Que ce soit face à la politique de l’ex-président le témoin 32 ou celle du FPR, il tentera toujours de faire entendre sa voix. L’homme est dynamique, mais ne prend jamais de décision à la hâte. C’est un homme modéré, un intellectuel dans lequel on ne trouvera  ni hostilité, ni haine. Il aime la vérité, est franc et honnête. Il a toujours espéré que la justice serait faite et c’est la personne que j’imaginais le moins dans ce qui lui arrive. A mon humble opinion, Monsieur NTEZIMANA Vincent est un  homme qui soutient ouvertement les principes de démocratie et des réformes démocratiques ainsi que le respect scrupuleux des droits de l’homme et d’un état de droit, que ni le témoin 32, ni le FPR, ni le gouvernement dirigé par le FPR, ne supportent activement.

24. A propos du capitaine NIZEYIMANA et son épouse, je dirais que Monsieur NTEZIMANA Vincent est un de leurs amis, mais à ma connaissance, quand il était question de politique, nos discussions avec eux devenaient parfois bloquées. Nos manières de penser à la démocratie ont été influencées par les démocraties occidentales et parfois, il était difficile d’être bien compris de personnes qui ont été élevées dans un système différent. Je ne connais pas les activités du capitaine NIZEYIMANA pendant la guerre de l’an dernier parce que je ne le connaissais pas assez bien pour discuter avec lui de ses devoirs, mais je le trouvais ouvert d’esprit et le fait qu’il a ouvert sa maison à une famille Tutsi durant cette période m’a simplement assuré d’un bon côté de sa personnalité.

25. A propos du PRD, je voudrais souligner encore une fois, et ceci peut être vérifié à travers nos émissions et nos conférences radiodiffusées si Radio Rwanda en a gardé copie, que nous soutenions la mise en application des accords d’Arusha et demandions à toutes les parties d’y rester fidèles et de corriger tout ce qu’ils trouveraient inadéquat plus tard, mais, pour nous, l’assurance de la paix était préliminaire à toute future réforme démocratique et politique durable.

Nous voulions que tout le monde comprenne que maintenant, nous avions une base pour la paix : les accords d’Arusha. Nous ne pouvions pas nous permettre de rater la réalisation de cette paix pour notre population. De même, le PRD fut très innovateur dans sa contribution au développement de la démocratie au Rwanda. Par nos buts objectifs et par la manière dont nous éduquions la population, nos discours radiodiffusés ont, en peu de temps, changé positivement la manière dont les autres partis communiquaient avec la population. Notre attention se focalisait plus sur les réformes sociales et économiques que sur la politique ordinaire. D’autres partis apprenaient de nous, encore une fois si Radio Rwanda a ses copies, elles seraient utiles à toute personne intéressée, par notre apport à la nation.

26. Je crois que ce témoignage éclairera le cas de Monsieur NTEZIMANA Vincent.