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Instruction d’audience V. Ntezimana Lecture déclarations de témoins par président compte rendu intégral du procès
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6.4.4. Lecture de déclarations de témoins par le président: Jean-Baptiste TWAGIRAMUNGU

Le Président : Bien. Alors, je ne sais pas si… oui, je pense que ce n’est pas trop long, peut-être faire celle de… je ferais encore les auditions de Monsieur TWAGIRAMUNGU, donc l’époux du témoin 91, de manière à ce que vous ayez ça, ensemble dans votre mémoire. Alors, j’ai une première pièce le concernant qui est une audition faite par Monsieur le témoin 42 Célestin, officier du ministère public, auprès du Tribunal de 1ère instance de Butare, le 10 mai 1995.

« Question : Tu étais professeur à l’école sociale de Butare, et aujourd’hui, tu es accusé d’avoir tué tes collègues professeurs qui enseignaient avec toi et qui sont MUSHUMBA Sixbert et NDUWUMWE Victor. Quelle est ta défense à ce sujet ?

Réponse : Ce n’est pas moi qui les ai tués, et je n’ai même pas eu de responsabilité dans leur mort.

Question : Connaîtrais-tu alors ceux qui les ont tués, car vous étiez voisins ?

Réponse : Je ne connais pas les meurtriers, mais je sais seulement où ils ont été tués. NDUWUMWE Victor a été tué à l’école sociale Karubanda où il s’était réfugié. MUSHUMBA Sixbert est mort chez lui, à Maraba.

Question : Comment est-ce que tu l’as su ?

Réponse : Ceux qui y étaient nous ont raconté que les soldats ont attaqué cette école, et qu’ils ont tué toutes les personnes qui s’y trouvaient, et que Victor était aussi parmi elles.

Question : Quels sont les autres qui étaient avec Victor à ce moment ?

Réponse : Il s’agit de Spéciose, l’épouse du Docteur KAYONGA et ses enfants, Spéciose et un de ses enfants sont morts.

Question : Comment l’as-tu su ?

Réponse : C’est par RUKERIBUGA Augustin qui était préfet de cette école et par sa femme que je l’ai su.

Question : Par qui et où la famille de NDUWUMWE Victor a été tuée ?

Réponse : Ils ont été tués chez eux, à Buye. C’est par NTEZIMANA Vincent qui était professeur à l’UNR en compagnie d’un militaire armé. Nous les avons entendu tirer. Là où nous habitions, dans les maisons appartenant à l’école, il y en avait dix. J’habitais dans la deuxième venant de la ville. Victor NDUWUMWE habitait dans la neuvième, mais si on venait des côtés des réservoirs à essence, il occupait la deuxième et moi la neuvième. Ce jour-là, NTEZIMANA Vincent est venu chez moi en comptant la deuxième maison en venant de la ville, il s’était donc trompé, pensant être chez Victor NDUWUMWE. Il a demandé aux travailleurs si cette maison était celle de Victor. Ils lui ont répondu que celle de Victor était la deuxième en venant de l’autre côté, et il a continué son chemin, mais je le voyais et j’entendais tout ce qu’il disait. Quand ils y sont arrivés, nous avons aussitôt entendu le crépitement des fusils ayant fusillé la femme de Victor avec leur enfant et un domestique.

Question : Et comment les choses se sont passées, s’agissant de la femme de MUSHUMBA et leurs enfants ?

Réponse : Les enfants sont vivants mais quant à leur mère, elle a été enlevée par le substitut NTAHOBAVUKIRA Grégoire et cela avait été dit par le mari avant sa mort car sa femme avait été tuée avant lui. Nous sommes partis tous en même temps en fuyant. Lui est allé vers Maraba et nous vers Gikongoro. Après, j’ai appris par des gens rencontrés à Gikongoro fuyant ainsi qu’il avait été tué là-bas et parmi eux, il y avait son petit frère Paulin ainsi que Ferdinand et sa mère. Ceux-là sont vivants, vous pouvez leur demander de vous dire qui a tué MUSHUMBA et comment ils me l’ont expliqué lorsque nous nous sommes rencontrés, tous réfugiés.

Question : Est-ce que tu as déjà vu ce professeur Vincent quelque part d’autre en train de tuer ?

Réponse : Non, je ne l’ai pas vu autre part sauf qu’on a beaucoup parlé de lui un peu partout en disant que c’est lui qui avait fait tuer ses collègues GATWAZA Emmanuel et Wolfran, qui enseignaient à l’UNR. C’est le professeur le témoin 45 que je l’ai entendu dire et qui est emprisonné ici aussi et qui peut-être ne voudra rien dire car ils donnaient cours ensemble.

Y aurait-il autre chose que tu souhaiterais dire ?

Vous pourriez faire une enquête approfondie pour savoir de quel côté est la vérité ».

J’ai une autre audition réalisée le 8 juin 1995 par un policier rwandais dans le cadre de la Commission rogatoire de Monsieur VANDERMEERSCH et en présence de Monsieur VANDERMEERSCH :

« J’habitais à Butare avec mon épouse dans le quartier de Buye. J’y habitais depuis 1988 et jusqu’en mai 94. Je ne sais plus exactement la date mais c’est la fin du mois de mai. Il s’agissait d’un quartier de professeurs de l’école sociale, un alignement de dix maisons. A cette époque, je donnais encore des cours à l’école sociale.

Un jour, vers la fin du mois d’avril, j’étais chez moi avec mon épouse. J’ai vu Vincent NTEZIMANA avec un militaire. D’après mes souvenirs, il n’y avait qu’un militaire avec lui. Je connaissais Vincent NTEZIMANA qui était professeur à l’université, nous habitions d’ailleurs le même quartier. Je ne sais pas si lui me connaissait car il était professeur d’université,  supérieur à moi, mais s’il voyait mon visage, il devrait me reconnaître. La femme de Vincent, Agnès MUKANKUBANA, a été mon professeur de sociologie politique en 1ère licence. J’habitais la deuxième des dix maisons.

Vincent NTEZIMANA venait de la direction de chez lui et il est descendu de son quartier de notre côté. Il est venu jusqu’à notre portail, il s’est arrêté pour demander à un enfant travailleur s’il était chez Victor. Sur interpellation, je l’ai vu s’arrêter mais je n’ai pas entendu ce qu’il disait mais l’enfant est venu me rapporter directement après, que cette personne lui avait demandé où était la maison de Victor. Comme Victor habitait la neuvième maison sur les dix, je me suis dit qu’il s’était trompé entre la deuxième maison par la gauche et la deuxième par la droite. On est allé voir par derrière où ils allaient et nous les avons vus se diriger dans la direction de la maison de Victor. Je l’ai vu frapper au portail de la maison de Victor. Je n’ai pas vu ce qui s’est passé ensuite mais quelques minutes plus tard, trois ou quatre minutes, j’ai entendu des coups de feu.

J’ai appris par après que la femme de Victor, l’enfant et la travailleuse avaient été tués lors de cette fusillade. Après la fusillade, j’ai vu Vincent repasser. Sur interpellation, je ne me souviens pas que Vincent soit à ce moment-là venu parler avec mon voisin du n° 3. Cela s’est passé il y a longtemps, je ne me souviens pas.

Au point de vue des rescapés de mon quartier, il y a la veuve de Monsieur MIRONGO, je pense aussi à Monsieur Ildephonse MURENGEZI, un ancien professeur de l’université de Butare, en chimie, je crois, centre de recherches CURPHAMERTA. En décembre 94, il était à Kigali, il connaît bien NTEZIMANA.

A propos de NTEZIMANA Vincent, je puis encore dire que, lors d’une ronde à laquelle j’ai été obligé de participer en mai, j’ai personnellement vu des types avec des massues, sortir de la maison de NTEZIMANA et emmener deux filles en direction de la forêt. Nous n’avons rien entendu mais le lendemain, il y avait deux corps dans la forêt. Ces corps de fille étaient dans la forêt, près de la rangée des dix maisons où j’habitais, pas loin de la dixième maison. Je n’ai personnellement pas vu les corps mais c’est ce qu’on m’a dit. Lors de la ronde, je n’ai pas vu NTEZIMANA.

J’ai entendu dire par des personnes qui habitaient le quartier que Vincent NTEZIMANA était impliqué dans le meurtre de deux professeurs d’université, GATWASA Emmanuel et Urfin dont le nom m’échappe. Là, il s’agit uniquement d’une rumeur que j’ai entendue, je n’ai pas été témoin de quoi que ce soit à ce sujet, j’avais déjà quitté le quartier.

Je veux encore ajouter que durant les événements, j’ai vu une fois NTEZIMANA en compagnie de deux ou trois militaires, durant la journée. Je ne suis pas au courant de ses idées politiques. Je crois qu’il était vice-président d’un parti qui venait de naître. Vous me dites que NTEZIMANA Vincent vous a dit que je formulais des accusations à son égard parce que j’étais moi-même accusé du meurtre de Victor. Je dis seulement ce que j’ai vu. Je n’ai aucune raison d’en vouloir à NTEZIMANA que je ne connaissais pas personnellement, sauf de vue. Je me dis aussi que si j’avais voulu m’innocenter, j’aurais dû alors l’accuser directement du meurtre de Victor. Actuellement, je pense que j’ai été innocenté du premier meurtre qui m’était reproché et j’espère que l’enquête se poursuivra au sujet du meurtre de Victor et démontrera mon innocence. Je n’avais vraiment aucune raison de lui en vouloir et le citer, lui, plutôt qu’un autre, si ce n’est que c’est lui que j’ai vu.

Sur interpellation, je ne connais pas le capitaine NIZEYIMANA. Je ne peux pas vous donner d’informations concernant HIGANIRO Alphonse, je n’étais pas du même milieu que lui et donc, je ne le fréquentais pas ».

Je crois qu’il y a encore une troisième déclaration de Monsieur TWAGIRAMUNGU, déclaration faite à un inspecteur de police judiciaire, le 20 août 1998 :

« Question : Où te trouvais-tu pendant les massacres et le génocide de 1994 ?

Réponse : Je me trouvais à Butare, à Buye.

Question : Peux-tu nous dire comment était la situation dans la cellule de Buye pendant la guerre de 1994, puisque toi, tu y habitais.

Réponse : En 1994, l’insécurité a commencé à s’installer aux environs du 20 avril 94. C’est en ce moment que les gens ont commencé à mourir mais même bien avant cette période, il y avait également une mauvaise atmosphère, les gens avaient visiblement peur.

Pourquoi avaient-ils peur ?

Réponse : Parce qu’ils entendaient dire que les gens étaient en train de mourir ici et là, dans le pays et que Butare n’avait pas encore été atteint.

Question : Tu étais étudiant à l’UNR Butare pendant la guerre de 1994, peux-tu nous décrire l’atmosphère qui y régnait à cette époque, si jamais tu y es allé ?

Réponse : Je n’y suis jamais allé, j’avais une famille, j’étais externe, je rentrais à la maison tous les jours et quand la guerre a éclaté, personne ne pouvait se déplacer pour aller d’un point à un autre.

Question : Est-ce la première fois qu’on t’interroge ?

Réponse : J’ai été interrogé une autre fois, en 1995.

Question : Et sur quoi t’a-t-on interrogé en ce moment-là ?

Réponse : On m’a interrogé sur l’endroit où je me trouvais pendant la guerre, on m’a interrogé sur la mort de Victor et de MUSHUMBA qui travaillaient avec moi à l’école sociale Karubanda, alors j’ai dit ce que j’en savais, que Victor est mort à Karubanda et que MUSHUMBA, quant à lui, est mort chez lui, à Maraba.

Question : Puisque tu habitais à Buye, connaîtrais-tu un certain Monsieur le témoin 93 qui y habitait également ?

Réponse : Je le connais.

Question : Je voudrais que tu me racontes comment vous organisiez vos rondes de nuit, là, chez vous, à Buye ?

Réponse : La ronde de nuit était obligatoire pour tout homme. Chacun avait entre deux ou trois jours par semaine.

Question : Quel était alors l’objectif de vos rondes de nuit et en compagnie de quelles personnes les faisiez-vous ?

Réponse : Au départ, à Buye, nous avions instauré des rondes de nuit à cause du peu de sécurité, dans le but de nous opposer à ceux qui viendraient de l’extérieur et qui pourraient l’ébranler. Avant, nous avions des gardiens de nuit en commun, nous mettions ensemble l’argent pour les payer et lorsque la guerre est devenue rude et que les gardiens n’étaient plus capables de venir, nous avons alors décidé de faire nous-mêmes les rondes de nuit. Tout homme qui y habitait était obligé d’y participer.

Question : Puisqu’il y a eu beaucoup de victimes pendant ces rondes de nuit, n’y en aurait-il pas eu du côté où vous étiez, pour que tu puisses nous en parler

Réponse : La plupart des gens de Buye ont été tués chez eux…

[Interruption d’enregistrement]

…sauf des petits morceaux de bois, des machettes, mais moi, je portais un petit morceau de bois.

Question : Puisque tu dis que vous ne portiez pas d’armes pendant vos rondes de nuit, est-ce que la personne qui affirme vous avoir vus en possession de fusils, ne dit pas la vérité ?

Réponse : Moi, je me suis enfui en mai 1994, en ce moment, nous n’avions pas encore reçu de fusils. C’est en juin 1994 que ceux qui sont restés, les ont reçus.

Question : Qui était le chef à votre barrière ?

Réponse : Celui dont je me souviens s’appelle le témoin 93, c’est lui qui était chef de notre zone.

Question : J’aimerais que tu me parles des gens que vous auriez sauvés à vos barrières ou bien dans leur propre maison.

Réponse : Il y a une vieille dame du nom du témoin Emma, elle habite Matyazo Rurenda, chez MIRONKO. Nous étions voisins. Et comme nos maisons étaient très proches, lorsqu’on venait nous demander où se trouvaient les habitants de la leur, nous répondions qu’il n’y avait personne. Et même lorsque les gens des barrières venaient nous demander par où étaient passés les habitants de cette maison, nous leur répondions qu’ils étaient partis alors qu’ils se trouvaient à l’intérieur. Ils y rentraient en passant par l’arrière et ils sortaient par le même endroit de sorte que personne ne pouvait savoir qu’il y avait des gens à l’intérieur.

Question : D’après toi, comment se comportait le témoin 93 dans le secteur ?

Réponse : A mon avis, je constatais que nous étions méfiants les uns des autres mais aussi il était prévisible que chacun avait peur, personne ne disait clairement ce qui le préoccupait comme lorsqu’il y a manque de confiance au sein d’un groupe.

Question : Puisque vous étiez ensemble aux barrières, peux-tu nous dire quelle a été sa part de responsabilité durant la guerre de 1994 ?

Réponse : Je ne peux rien dire à son sujet quant à ce qu’il a fait de bien ou de mal, je sais tout simplement qu’il était chef de la ronde de nuit, dans notre zone.

Question : Puisqu’il était chef des barrières dans votre zone, que vous ordonnait-il de faire ?

Réponse : Il n’avait pas d’autres pouvoirs mis à part le fait de dire que tel groupe sera le premier à opérer et que tel autre suivra.

Question : Quels sont ceux qui sont alors responsables des massacres de 1994, des attaques au cours desquelles des gens ont été tués et des maisons pillées à Buye ?

Réponse : La plupart des familles ont été attaquées par des militaires de telle sorte qu’on ne peut pas connaître la part de responsabilité des civils dans cette histoire mais ce que je ne comprends pas, c’est la personne qui les a trahis ou qui envoyait les militaires.

Question : Et ceux qui n’ont pas été tués par les militaires, alors par qui ont-ils été tués dans la cellule de Buye ?

Réponse : Je ne connais personne qui n’ait été tué par des militaires à part chez un certain Victor NDUWUMWE qui a été attaqué en plein jour par un militaire qui a été conduit par NTEZIMANA Vincent. Au cours de cette attaque, la femme de Victor a été tuée mais Victor avait pu les échapper et c’est à l’école sociale qu’ils l’ont finalement tué.

Question : Et quelle a été ta part de responsabilité dans les massacres de la guerre de 1994 ?

Réponse : Je ne reconnais que ce qui concerne les rondes de nuit et des barrières et je pense que je n’ai eu aucune part de responsabilité.

Question : As-tu des témoins qui peuvent affirmer que tu n’as eu aucune part de responsabilité dans les massacres de la guerre de 1994 ?

Réponse : Comme par exemple, la vieille dame du nom du témoin Emma et les enfants qui étaient en sa compagnie, tous nos voisins sont partis, sauf chez le témoin 45, lequel est en prison à Karubanda. le témoin 93 est aussi en prison, nous étions ensemble.

Question : As-tu quelque chose d’autre à ajouter ?

Réponse : Je n’ai rien d’autre à ajouter sauf que je souhaiterais que vous fassiez une enquête approfondie pour pouvoir déterminer la part de responsabilité de chaque personne ».

Y a-t-il éventuellement des commentaires ou des demandes d’explication à propos de ces lectures ?