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7.3.5. Témoin de contexte: le témoin 18
Le Président : Le témoin suivant,
Monsieur le témoin 18. Oui, Monsieur le 2ème juré suppléant ? Oui, apparemment là-bas,
il y en a plusieurs en tout cas dans le dossier que j'ai vu s'appeler Jean-Marie
Vianney. Comme il y a des Jean-Berckmans, des Jean-Baptiste, il y a aussi quelques
Jean-Marie Vianney. Voilà. Monsieur, quels sont vos nom et prénom ?
le témoin 18 : le témoin 18.
Le Président : Quel âge avez-vous
?
le témoin 18 : 64 ans.
Le Président : Quelle est votre
profession ?
le témoin 18 : Prêtre missionnaire.
Le Président : Quelle est votre
commune de domicile ou de résidence actuelle ?
le témoin 18 : En Belgique
ou bien…
Le Président : Votre résidence
effective ?
le témoin 18 : C'est au Rwanda
depuis 43 ans.
Le Président : Et c'est dans quelle
commune ?
le témoin 18 : Gisenyi.
Le Président : Connaissiez-vous
les accusés ou certains des accusés avant le mois d'avril 1994 ? Les accusés
étant Monsieur NTEZIMANA, Monsieur HIGANIRO, Madame MUKANGANGO appelée en religion
sœur Gertrude et Madame MUKABUTERA, sœur Marie Kizito en religion. Connaissiez-vous
certains des accusés avant le mois d'avril 1994 ?
le témoin 18 : Oui.
Le Président : Lesquels ou lequel
?
le témoin 18 : Monsieur HIGANIRO,
en tant que voisin de là où j'habitais, à Kigufi.
Le Président : C'est ça.
le témoin 18 : Oui.
Le Président : Vous n'êtes pas
parent ou allié des accusés, ni des parties civiles ?
le témoin 18 : Non.
Le Président : Vous ne travaillez
pas au service des accusés ou des parties civiles ?
le témoin 18 : Non.
Le Président : Je vais vous demander,
Monsieur le témoin 18, de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment
de témoin.
le témoin 18 : Je jure de
parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie,
vous pouvez vous asseoir. Vous avez exposé, il y a quelques instants, que vous
résidez effectivement en votre qualité de prêtre missionnaire au Rwanda, depuis
de très nombreuses années. Vous avez également, pendant ce séjour au Rwanda,
séjourné en particulier à Kigufi ?
le témoin 18 : 6 mois seulement.
Le Président : De novembre 1993
à fin avril 1994 ?
le témoin 18 : Jusqu'au 25
mai 1994.
Le Président : 25 mai 1994 ?
le témoin 18 : Oui.
Le Président : Vous résidiez à
quel endroit à Kigufi, dans ce qu'on appelait la maison de Monseigneur…?
le témoin 18 : Le domaine
de la Trinité. C'est au bout d'une presqu'île. Donc, il y a la propriété des
sœurs bénédictines, la villa de Monsieur HIGANIRO, et puis alors au bout, c'est
le domaine de la Trinité, de Monseigneur BIGIRUMWAMI, vous voyez ?
Le Président : Alors, entre la
maison de Monsieur HIGANIRO, la villa de Monsieur HIGANIRO et le domaine de…
je vais dire de Monseigneur, parce que j'essaie de retenir tous les noms mais
je n'y arrive pas… euh ou le domaine de la Trinité, n'y avait-il pas encore
une autre habitation ?
le témoin 18 : Ah oui, celle
de l'assistant médical en contrebas du dispensaire, oui. Il y a deux maisons
pour le personnel médical qui travaille au dispensaire.
Le Président : Vous étiez en tout
cas à Kigufi au début du mois d'avril 1994 ?
le témoin 18 : Ah oui.
Le Président : Avez-vous été témoin
direct de la mort de l'assistant médical qui s'appelait à l'époque Monsieur
Benoît le témoin 123, de sa femme et de deux ou trois de ses enfants ?
le témoin 18 : Non.
Le Président : Pas témoin direct
?
le témoin 18 : Non.
Le Président : Il semble par contre,
puisque vous occupiez la maison du domaine de la Trinité, qu'un ou plusieurs
des enfants de l'assistant médical se soit réfugié, dès le 8 avril je crois
?
le témoin 18 : Oui. En fait,
ils étaient là probablement, dans la nuit du 7, cachés, et alors dès que les
Interahamwe sont partis, donc, ils sont venus : donc Olivier, sa sœur,
son cousin et sa cousine. Quatre que j'ai hébergés donc, que j'ai cachés disons
à partir du 8 jusqu'au 21 avril.
Le Président : Est-ce que vous
avez assisté à des menaces par des militaires ou par des Interahamwe à l'égard
de la famille, enfin de Benoît et de sa famille ?
le témoin 18 : Oui, par des
militaires. Donc, le 7, j'étais chez les sœurs bénédictines et quelqu'un est
venu me dire : « Les militaires sont chez la femme de Benoît et demandent
l'argent de la caisse du dispensaire ». Alors, je suis directement allé
là, et devant moi ils menaçaient de tuer Costasia, la femme et les enfants si
elle leur donnait pas l'argent, et alors, Olivier est allé chercher la caisse
de la veille ou de l'avant-veille, où il y avait relativement peu parce que
Benoît s'était enfui avec la caisse qui avait à peu près 30 ou 35.000 francs
rwandais, et il est allé se cacher quelque part. Et alors, Olivier a donné cet
argent-là. Les militaires ont trouvé que c'était insuffisant et devant moi,
vraiment alors ils ont dit qu'ils allaient tuer les enfants si on n’ allait
pas chercher le restant de la caisse.
Le Président : Vous dites que
c'est le 7 avril déjà ?
le témoin 18 : Euh… le… oui,
le lendemain de…
Le Président : Le lendemain de…
?
le témoin 18 : Oui, oui.
Le Président : De… de
le témoin 18 : De la chute…
Le Président : De l'attentat contre
l'avion…?
le témoin 18 : Oui, oui, le
lendemain, dans la matinée, il pleuvait.
Le Président : Déjà dans la matinée
du 7 ?
le témoin 18 : Oui, oui, oui,
oui, en fin de matinée.
Le Président : Parce qu'Olivier
semble parler, lui, du 8 avril ?
le témoin 18 : Tel que je
me rappelle c'est le 7 parce que le 8, il était chez nous, caché, ça doit être
une erreur mais c'est le 7, le 7 au matin, si je me rappelle bien. Vous savez,
il y a sept ans de cela.
Le Président : Mais, dans la lettre
que vous écriviez au juge d'instruction le 5 novembre 1995, ce qui était dans
votre mémoire évidemment beaucoup plus près des faits, vous parlez effectivement
aussi du jeudi 7 avril 1994…
le témoin 18 : Oui.
Le Président : Alors que dans
son audition déjà de l'époque, Olivier parlait du 8 avril…
le témoin 18 : Non c'est le
7.
Le Président : C'est donc le lendemain
même ?
le témoin 18 : Oui, oui, oui,
oui.
Le Président : Vous n'étiez évidemment
pas à Kigufi depuis très longtemps à ce moment-là ?
le témoin 18 : Non, je suis
arrivé à Kigufi au début de novembre. J'ai passé six mois à Kigufi donc…
Le Président : Mais les militaires
que vous avez vu ce jour là…
le témoin 18 : Oui…
Le Président : Etaient-ce des
gens que vous aviez déjà vus à Kigufi ?
le témoin 18 : Non. C'étaient
des militaires qui étaient probablement en garde à la BRALIRWA ou bien… vous
savez, il y avait des militaires qui circulaient un peu partout. Il y a deux
groupes de militaires qui sont venus ; les premiers ont emporté la caisse,
et puis par après, moi j'étais rentré à… au domaine de la Trinité, d'autres
militaires sont venus exiger de l'argent aussi.
Le Président : Avez-vous eu connaissance
de ce que ces militaires auraient été envoyés par une personne bien précise,
ou n'avez-vous pas connaissance de…
le témoin 18 : Non.
Le Président : …cette mission
confiée aux militaires par une personne précise ?
le témoin 18 : Non, non j'ignore.
Le Président : Vous avez pourtant,
dans une lettre, exposé qu'il pouvait y avoir peut être un mobile dans le chef
de Monsieur HIGANIRO pour que Monsieur le témoin 123 et sa famille soient tués ?
le témoin 18 : Oui, mais je
pense que là j'ai été mal informé sur la propriété de l'endroit qui, paraît-il,
appartient à la commune, et c'étaient les gens qui disaient que cette maison
de l'assistant médical dérangeait un peu Monsieur HIGANIRO parce que c'est tout
contre sa maison, sa haie, qu'il n'avait pas d'entrée directement sur le lac,
donc l'entrée de son garage sur le côté de la route…
Le Président : Parce que dans
votre exposé, vous disiez que, au fond le terrain sur lequel la villa était
construite, faisait partie du domaine des bénédictines, que c'était par pression
politique ou par piston ou par manœuvre que Monsieur HIGANIRO avait pu…
le témoin 18 : Non, là je
pense que ça appartenait à la commune.
Le Président : Et savez-vous si
le dispensaire et la maison qu'occupait l'assistant médical étaient aussi une
propriété communale ou autre ?
le témoin 18 : Ce dispensaire
avait été construit par Monseigneur BIGIRUMWAMI et puis, ne pouvant plus payer
de ses deniers le personnel médical, il a donné ça à l'Etat, donc à la commune
si vous voulez.
Le Président : Et donc…
le témoin 18 : C'est un dispensaire
privé qui a changé de statut et qui a été rattaché à l'hôpital de Gisenyi, donc,
au service officiel de la santé.
Le Président : Ça veut dire que
l'habitation de l'assistant médical appartenait aussi à l'Etat ou à la commune
?
le témoin 18 : Je pense, oui.
Le Président : Avez-vous, pendant
cette période assez… pendant cette période très troublée du Rwanda, oui, cette
période de l'histoire du Rwanda très troublée et particulièrement à Kigufi ,
avez-vous pu assister à des comportements de la part de membres, je dirais du
personnel de Monsieur HIGANIRO et en particulier de la part de deux personnes
qui s'appellent l'un, le témoin 12 et l'autre, le témoin 3, je crois. Avez-vous assisté
à des choses qui laisseraient croire que ce sont des tueurs, des pilleurs, des
voleurs, ou qu'ils ont eu, en tout cas, un tel comportement à cette époque-là
?
le témoin 18 : Oui. Donc,
le 7 vers le soir, vers 16 heures - 17 heures, les Interahamwe sont arrivés
chez les sœurs et ont démoli toutes les portes, à la recherche de Benoît qu'ils
savaient être caché là avec sa femme. Les sœurs s'étaient réfugiées je me rappelle
plus très bien où, ça doit être dans la salle de bains, entre deux armoires
et moi-même j'avais des visiteurs au domaine, il y avait des novices salésiens
en grande partie Congolais avec un Rwandais et un père salésien belge. Alors
nous étions nous-mêmes réfugiés, disons dans la chapelle, et puis… et je n'ai
pas… ce que j'ai vu, ça je l'ai vu parce que la maison où j'habitais était encore
un peu plus proche de la maison de Monsieur HIGANIRO, qui je crois n'était pas
là ce jour-là d'ailleurs, mais j'ai vu que deux ou trois ouvriers pillaient
la maison de Benoît et jetaient des matelas et des autres affaires au-dessus
de la haie, ça, j'ai suivi ça, avec des jumelles. Assez bien donc parce qu'il
y a, à vol d'oiseau peut être à peine 300 mètres. Mais, savoir si c'était le témoin 12
ou le témoin 3, ça je ne saurais pas dire, mais c'étaient des ouvriers de chez Monsieur
HIGANIRO qui pillaient.
Le Président : Bien. Y-a-t-il
des questions à poser au témoin ?
Non Identifié : Lorsque vous
hébergiez Olivier et les trois autres enfants, je suppose que vous avez eu des
conversations avec eux et notamment avec Olivier ? Oui… euh, est-ce qu'il vous
a rapporté les circonstances du massacre de sa famille, de même qu'éventuellement
euh… la circonstance, le moment où il a surpris des propos tenus par Monsieur
HIGANIRO avec ses deux domestiques ?
le témoin 18 : Non. Euh, je
ne me rappelle pas, nous n'avons pas eu de conversation, les enfants étaient
tellement blessés et traumatisés que je n'ai pas reparlé de cela avec eux. Le
lendemain, je suis allé chez les sœurs pour arranger la… l'enterrement, l'inhumation
de Benoît, de sa femme, des deux enfants et puis d'une ancilla, donc d'une oblate
familiale, disons bénédictine. Alors nous avons été dans des démarches tout
à fait matérielles, je n'ai pas reparlé de cela avec les enfants parce qu'il
fallait les soigner et le problème, ils étaient grièvement blessés, notamment
les deux filles à la tête, alors, je suis allé demander à Jean-Berckmans, qui
était un simple aide-infirmier de venir soigner les enfants de l'assistant médical.
Il n'a pas fait ça très discrètement, il est arrivé avec sa blouse blanche et
une boite avec de quoi les soigner. Alors, il a été vu ou aperçu par des militaires
qui étaient des GP, des gardes présidentiels qui étaient chez Monsieur HIGANIRO,
qui lui ont dit : « Nous savons que tu vas soigner les enfants du
muganga, du médecin qui se cache là-bas, chez le père là, alors, si tu y retournes,
eh ben, voilà une balle pour toi », en chargeant la kalachnikov. Alors,
deux, trois jours après, je n'ai plus vu le médecin… l'aide-infirmier. Il y
avait danger d'infection, je suis allé moi-même au dispensaire et ce Berckmans
qui m'a raconté ça, je lui ai demandé comment pouvoir les soigner sans danger
d'infection, comment faire se fermer des plaies ouvertes, etc., mais je ne me
rappelle pas d'avoir parlé avec Olivier qui était beaucoup plus petit, qui avait
treize ans à ce moment-là, quatorze ans, de ces circonstances pénibles de la
mort de ses parents ou des conversations qu'il aurait entendues.
Le Président : Avez-vous eu… dans
la maison du domaine de la Trinité vivaient, semble-t-il, des religieuses également,
une sœur le témoin 52 ou…?
le témoin 18 : Ah oui, des
auxiliaires de l'apostolat, oui, des religieuses laïques, disons, un institut
séculier, oui.
Le Président : Monsieur HIGANIRO
n'est-il pas venu rendre visite à ces auxiliaires pendant votre présence ?
le témoin 18 : Pas en ma présence,
que je sache. Je suis resté au domaine assez tard jusqu'au 25 mai, j'ai rencontré
peut-être l'une ou l'autre fois Monsieur HIGANIRO chez les sœurs mais lui-même
faisait beaucoup de déplacements vers Gisenyi et Ngoma mais je ne me rappelle
pas avoir rencontré HIGANIRO là, chez… au domaine avec le témoin 52, non.
Le Président : D'autres questions
? Monsieur l'avocat général et ensuite Maître SLUSNY.
L'Avocat Général : Est-ce
que le témoin peut confirmer que Monsieur HIGANIRO, tandis que vous célébriez
la messe, est venu questionner vos ouvriers pour savoir où se trouvaient deux
demoiselles Tutsi, Léocadie et Alphonsine ?
le témoin 18 : Non, ce que
je sais, c'est que j'étais resté seul avec le témoin 52 et les deux personnes que
vous citez. Léocadie n'était pas là, elle était à Kigali, l'autre était aussi
cachée, mais pendant que j'allais célébrer la messe chez les bénédictines à
différentes heures, parfois le matin, parfois le soir, parce que c'étaient des
périodes assez difficiles, c'est des…ce sont des… mon cuisinier donc, qui était
resté là, qui disait qu'il y avait des gens de chez Monsieur HIGANIRO, je ne
pense pas que ce soit HIGANIRO lui-même, qui envoyait voir si, dans les chambres
ou quoi, je cachais, s'il y avait encore des gens ou quoi. J'ai oublié le nom
d'une dame, mais qui venait un peu regarder là comme ça aux fenêtres des… mais
pas Monsieur HIGANIRO lui-même. Mais enfin, ils venaient de chez lui, je crois.
Une dame dont j'ai oublié le nom.
L'Avocat Général : Vous avez
déclaré aussi dans votre…
Le Président : C'est une lettre.
L'Avocat Général : Oui, dans
votre lettre du 5 novembre 1995, que Monsieur HIGANIRO, je cite : « Etait
extrêmement raciste et qu'il reprochait à des ouvriers Hutu, donc, des entreprises
avoisinantes de ne pas avoir éliminé leur femme Tutsi ». Vous avez écrit
ça.
le témoin 18 : Ça, j'ai entendu
ça, mais indirectement. Donc, de certains… de certains ouvriers qui racontaient
ça, mais alors allez voir si la source et le contenu des propos sont vrais.
Mais on racontait ça.
Le Président : Avez-vous connaissance
de l'endroit où Benoît le témoin 123, sa femme et ses enfants ont été inhumés ?
le témoin 18 : Ah oui.
Le Président : Vous pouvez situer
cet endroit par rapport notamment à l'habitation de l'assistant médical ?
le témoin 18 : Oui, c'est
au-dessus, l'habitation est en contrebas, et c'est un peu au-dessus et récemment,
je suis allé là, avec je crois deux Avocats Sans Frontières, des Belges, mais
retrouver l'endroit, j'ai été un peu surpris qu'on avait… c'était devenu un
champ de choux et alors je me suis un peu fâché, j'ai demandé à la responsable
des services nutritionnels pourquoi on est allé cultiver là et un gardien, un
ouvrier des sœurs bénédictines qui avait participé à l'inhumation et creusé
la fosse, m'a dit « Non », moi, je montrais un endroit tout près de
l'arbre où il n'y avait pas de culture, il m'a dit : « Non, c'est
ici en plein dans le champ de choux ». Alors, j'ai demandé aux ouvriers
de ce dispensaire, il y a à peine, deux mois de refaire l'emplacement exact
de la fosse, puisqu'on avait enterré Benoît, sa femme et les deux petits enfants,
oui.
Le Président : Vous souvenez-vous
si à l'époque, il y avait à, proximité de cet endroit, une haie de cyprès ?
le témoin 18 : Ça, je ne saurais
pas dire. Oui, probablement, il y avait des… il y a une haie de cyprès entre
la propriété de Monsieur HIGANIRO et l'habitation. Mais l'endroit, je le connais
très bien parce que je suis… les gens ne voulaient pas creuser la fosse. Soit
les ouvriers de HIGANIRO, soit les voisins, soit d'autres, alors j'ai dû un
peu me fâcher, de dire quand même : « Ces gens-là ont été tués dans
des conditions lamentables, et maintenant vous refusez de les enterrer ? »
Je ne vois pas… oui, peut-être qu'au-dessus, il y a une haie de cyprès qui descend,
oui.
Le Président : D'autres questions
? Maître MONVILLE.
Me. MONVILLE : Monsieur le
président, dans la foulée de ce que vous venez de demander, est-ce qu'il n'y
avait pas une route qui séparait les parcelles, donc, des deux aides-soignants
et la parcelle de Monsieur HIGANIRO et l'endroit où le corps, enfin les corps
de la famille de Monsieur le témoin 123 ont été enterrés ?
le témoin 18 : Il n'y a pas
de route qui sépare. La route passe sur les hauteurs, sur les côtés de la maison
de Monsieur HIGANIRO ; le dispensaire est d'un côté et les deux maisons
sont en contrebas, tout près du lac, mais il n'y a pas de route qui… c'est des
sentiers indigènes, mais il n'y a pas de route. La route passe sur le dessus
et continue jusqu'au domaine de la Trinité.
Le Président : Autre question
?
Me. MONVILLE : Oui, Monsieur
le président, si vous m'autorisez. En ce qui concerne le pillage de la maison,
est-ce que le témoin peut confirmer ce qu'il a écrit dans sa lettre du 5 novembre,
permettez du lire : « Les ouvriers de Monsieur HIGANIRO ont pillé
la maison de Benoît, dès 18 h ; je suivais cela de chez moi avec mes jumelles ».
le témoin 18 : Oui.
Le Président : Je crois qu'il
vient du dire, il n’y a pas bien longtemps.
Me. MONVILLE : Est-ce qu'à
18 heures ce n'est pas l'heure où, au Rwanda, il fait déjà sombre ?
le témoin 18 : Les jours varient,
il ne faisait pas sombre parce que la lettre qu'on m'avait demandée, le juge
d'instruction, Damien VANDERMEERSCH, j'ai simplement recopié mon diaire que
je faisais au jour le jour, mais ça je me rappelle très très bien avoir vu des
matelas et d'autres objets, passer.
Le Président : Merci. Maître SLUSNY,
j'avais oublié de vous redonner la parole que vous demandiez !
Me. SLUSNY : Je vous remercie,
il n'est jamais trop tard pour bien faire ! Selon le témoin - c'est une question
similaire à celle de ce matin - selon le témoin qui connaît très bien le Rwanda
et la situation locale, est-il possible que les hommes de Monsieur HIGANIRO
qui pillaient la maison du voisin, l'aient fait à l'insu de Monsieur HIGANIRO
?
Le Président : Des domestiques…
le témoin 18 : Oui…
Le Président : Lorsque le patron
n'est pas là…
le témoin 18 : C'est possible,
oui, c'est possible parce que ces massacres étaient liés à des pillages et c'était
aussi pour cela que les massacres avaient lieu parce que nous avons été aussi
pillés et menacés le 6 mai au domaine de la Trinité. J'étais là, seul avec le témoin 52,
le témoin 52 a échappé de peu à la mort. Ils descendaient toujours vers 16 heures
et alors, ils tuaient et puis ils pillaient et ils repartaient sur les collines,
parce que c'est des montagnes, des collines, avec le butin de leur pillage quand
il commençait justement à faire noir. Alors, on ne savait pas qui avait volé
qui.
Le Président : D'autres questions
? Oui Maître NKUBANYI ?
Me. NKUBANYI : Monsieur le
président, est-ce que vous pourriez poser la question au témoin de savoir si
les communications téléphoniques sont restées intactes durant les premiers jours
de ces évènements-là ?
Le Président : Alors y avait-il
le téléphone dans le domaine ou dans la maison du domaine où vous étiez ?
le témoin 18 : Oui.
Le Président : Avez-vous, vous-même
ou d'autres personnes de la maison, été en communication téléphonique, dans
les premiers jours d'avril 6-7-8 avril 1994, notamment avec Kigali, c'est-à-dire
avec des communications, je dirais inter-zonales comme on dirait, ou inter-préfectorales
?
le témoin 18 : Non, je me
rappelle avoir témoigné euh… téléphoné, pardon, à ma famille le 8 et puis le
9, les communications internationales ont été coupées. Et puis finalement, le
téléphone du domaine de la Trinité correspondait uniquement, nous avions des
communications soit de chez les sœurs benebikira à 3-400 mètres de chez nous
ou avec l'évêque de Nyundo qui était près… qui était aussi au fond là-bas emprisonné
là, à Gisenyi. Donc, il n'y avait plus d'autres communications et le téléphone
alors a été complètement coupé et démoli le 9… euh… le 6 mai, lorsque nous avons
été attaqués et le domaine est toujours à l'état de ruines là-bas… la première
chose qu'ils faisaient, c'est de couper le téléphone mais ayant vu arriver ces
4 ou 500 Interahamwe, ils étaient très nombreux, j'avais eu le temps de téléphoner
aux sœurs bénédictines leur disant : « Ca va très mal, est-ce que
vous voulez appeler les gendarmes de Gisenyi ? », qui sont venus avec un
peu de retard parce que, ne s'entendant pas avec les militaires, ils n'ont pas
disposé des véhicules et ils sont arrivés, qu'il faisait déjà noir. Mais, je
ne me rappelle pas avoir téléphoné à Kigali, j'ai téléphoné une fois, ici en
Belgique, et puis alors, on essaie d'avoir des nouvelles du restant du diocèse,
donc, avec Monseigneur KALIBUSHI qui était à Gisenyi et puis, ce sont les sœurs
elles-mêmes qui ont appelé les gendarmes à la rescousse.
Le Président : Y a-t-il d'autres
questions ? Maître EVRARD ?
Me. EVRARD : Voilà. Le témoin
nous a signalé que des gardes présidentiels se trouvaient à la maison de Monsieur
HIGANIRO. D'où tient-il cette information et quelle différence fait-il entre
des gardes des militaires et des gardes présidentiels ?
le témoin 18 : La réponse
est simple. Les gens les appelaient « JP » alors « JP »
c'est mal prononcé, c'est « GP » normalement, mais c'est… les gens
disaient ce sont des « JP » de Kigali ou de je ne sais où.
Le Président : Et cette surveillance
par des « JP » de Kigali, c'était déjà avant ou c'est après le 6 avril
?
le témoin 18 : Vous savez,
tous les uniformes de presque tous les militaires…
Le Président : Vous avez parlé
de surveillance de la maison de Monsieur HIGANIRO par des « GP ».
Est-ce que cette surveillance existait déjà avant le 6 avril 1994, ou n'a commencé
qu'après ?
le témoin 18 : Ah, non. Je
crois que c'est après, pour le peu que je m'en souvienne. Peut être qu'ils étaient
là avant, à l'intérieur de la maison ou quoi, mais c'est après parce que ça
nous gênait chaque fois… j'ai dû évacuer aussi de chez les bénédictines, l'abbé
le témoin 11, et Rosa le témoin 76 qui avait échappé de peu aussi au
massacre, mais alors, étant donné la grave insécurité, je les ai même pas conservés
une nuit. Alors, ils ont rejoint les six autres personnes qui étaient là, cachées
à huit ; donc dans la nuit du 21 avril vers 22 heures, je les ai fait fuir
par le Kivu et ils sont arrivés à Ngoma. Mais à ce moment-là, les « GP »
étaient là et c'était… fallait des ruses de sioux pour transporter en voiture
jusque chez moi, deux personnes que j'avais fait coucher par terre dans la Jeep
et recouvertes de couvertures pour que ces… Il y en avait un ou deux à l'extérieur,
ils ne voient pas que j'emmenais des personnes de chez les sœurs au domaine
de la Trinité, mais ils étaient là, mais auparavant, je ne me rappelle pas les
avoir vus là.
Le Président : D'autres questions
? Oui, Maître HIRSCH.
Me. HIRSCH : Monsieur le
président, euh… si je comprends bien donc, le témoin se cachait pour sauver
des gens. Est-ce que… pourquoi en fait, n'a-t-il pas fait appel - quand il a
été lui-même attaqué le 6 mai par des Interahamwe - pourquoi n'a-t-il pas fait
appel à la garde qui protégeait la maison de Monsieur HIGANIRO ?
le témoin 18 : Je n'avais
guère confiance dans ces militaires. Ils avaient menacé un aide-infirmier disant :
« Il y a une balle pour toi si tu vas encore soigner les enfants de cet
assistant et on sait que le Padre les cache ». Et puis alors deux ou trois,
quand vous avez en face de vous quatre, cinq Interahamwe, c'est insuffisant.
Et puis, il y avait deux gendarmes qui gardaient les sœurs et un de ces deux
gendarmes est venu. Bon. Alors, ils ont voulu assassiner à coups de machette,
le témoin 52, cette vieille qui avait 72 ans à ce moment-là. Alors, je leur ai dit :
« Quand même, c'est une abomination, vous allez tuer votre mère ou votre
grand-mère ! », et ils lui demandaient quelle était son ethnie, qu'est-ce
que tu es ? Elle a dit : « Moi, je suis umugoyikazi » donc,
une femme de la région, donc une Hutu, si vous voulez, et je l'avais prise dans
mes bras, ils n'ont pas osé manier la machette à ce moment-là, c'était un peu
risqué évidemment. Alors, après, ils sont allés piller chez moi, donner des
coups de masse pour enfoncer la porte en fer, alors en m’insultant, en disant :
« Nous savons que tu caches des Inkotanyi, donc l'armée de…
Le Président : Du FPR ?
le témoin 18 : Et alors, j'ai
commis l'erreur de courir pour leur dire : « Ecoutez si, vous voulez
piller, ne démolissez pas, je vous ouvre ma porte ! » et j'avais à peine
fait 30 mètres, j'ai entendu un coup de feu, c'était le pauvre gendarme tout
seul face à ces 400 types qui avaient sauté sur la vieille et qui lui avaient
donné deux coups de machette, hein, pour couper la carotide… je suis vite revenu,
elle était pas morte, elle était dans le coma et on a pu… les gendarmes de Gisenyi
étant enfin arrivés, on donnait à un gendarme dans une petite voiture qu'il
y avait là avec un autre gendarme armé, le témoin 52 qui était dans le coma et puis
quelqu'un pour la veiller à l'hôpital parce qu'on achevait les blessés à l'hôpital,
donc si on voulait soigner… euh… veiller un blessé, il fallait rester là et
j'ai dit à … un de mes ouvriers : « Tu ne quittes pas le témoin 52 ! Il
s'agit pas d'aller à la toilette ou quoi, il faut qu'il y ait toujours quelqu'un
qui soit là ! ». Alors, on l'a recousue, on lui a remis du sérum et du
sang, et elle a réchappé, la machette avait glissé sur le maxillaire inférieur.
Donc, les gendarmes sont arrivés, ils ont mis plus ou moins en joue
les ouvriers… euh… les Interahamwe qui emportaient les meubles et tout, ils
ont déposé ça et puis ils sont rentrés à Gisenyi. Moi, je me suis réfugié chez
les sœurs, parce que tout était démoli chez nous et alors, ils ont… le lendemain
à 4h du matin, ils ont… ils sont revenus piller systématiquement avec des barques…
des barques à moteur même transportant tout comme ça et tout était pillé, ouais.
Donc je ne… vraiment je dois dire je n'avais aucune confiance dans ces gardes-là,
les « GP », parce qu'on savait que c’étaient des gens qui avaient
éliminé, à Kigali, des gens que moi je connaissais, Joseph KAVARUGANDA, procureur
général et d'autres… Je ne me voyais pas gardé par ce genre… D'ailleurs, les
autres ont fait ce qu'ils ont pu, mais c'était pas grand-chose parce que même
si vous avez deux fusils en face de 400 Interahamwe avec des machettes et toutes
sortes d'affaires, vous… je crois que les gendarmes avaient aussi peur que nous,
même s'ils avaient un fusil, d'ailleurs, il a tiré en l'air pour m'avertir et
je suis revenu voir la brave qui avait été…
Le Président : Y-a-il d'autres
questions ? Maître GILLET ?
Me. GILLET : Oui, j'aurais
voulu savoir, Monsieur le président, si le témoin savait ce qui se passait à
Gisenyi, s'il allait à Gisenyi de temps en temps pendant cette période-là ?
le témoin 18 : Je dois dire
au début…
Le Président : Un instant…
le témoin 18 : Pardon.
Le Président : Je vous rappelle
que je souhaiterais qu'on ne s'égare plus hein…!
Me. GILLET : Je n'ai pas
l'habitude de m'égarer, Monsieur le président…
Le Président : Et que l'on… non,
non… mais que l'on vise bien les faits qu'on reproche aux accusés dans les questions
!
Me. GILLET : Je n'ai pas
l'habitude de m'égarer, Monsieur le président…
Le Président : Alors, soyez peut-être
plus précis !
Me. GILLET : Beh, je souhaiterais
savoir si, allant éventuellement à Gisenyi même pendant cette période-là, le
témoin a pu entendre parler des activités de Monsieur HIGANIRO à Gisenyi pendant
la même période ?
Le Président : Qu'avez-vous vu
ou entendu à propos des activités qu'aurait pu avoir Monsieur HIGANIRO à l'époque
?
le témoin 18 : Non…
Le Président : Vous avez parlé
de voyages qu'il faisait beaucoup, tout à l'heure.
le témoin 18 : Oui, c'est-à-dire…
il ne restait pas toujours dans sa propriété, il allait à Gisenyi ou à Ngoma
et moi-même du 7 avril jusqu'au 25 mai, je suis allé une seule fois pour évacuer
sœur le témoin 115 TERSIO euh… dont les nerfs avaient craqué, et je l'ai fait arriver
à la frontière de Ngoma et je suis passé à la préfecture pour demander donc
la permission de la faire arriver là, mais je ne sais pas ce qu'on… parce qu’évidemment,
il y a des bruits, des radio-trottoirs, tout ça, mais certaines personnes de
Gisenyi appelaient Monsieur HIGANIRO, il faut voir dans quelles mesures c'est
fondé « le coffre-fort des Interahamwe », donc il les payait. Mais
je n'ai pas vu… j'étais totalement… je n'étais pas du tout au courant de ce
qui motivait les déplacements de Monsieur HIGANIRO quand il allait… je crois
que c'était en partie pour évacuer sa famille ou rencontrer d'autres personnes,
parce qu'il y avait beaucoup de personnages politiques qui avaient déjà fui
Kigali et qu'on trouvait à la préfecture et qui s'enfuyaient vers Ngoma ou qui
cherchaient où ils allaient aller.
Mais c'est surtout le 25 mai, alors j'ai dû passer par la préfecture
aussi, nous avons quitté très difficilement la… les choses là, le domaine de
Kigufi, parce que ma famille pensait que nous étions tués et ils ont demandé
à la Croix-Rouge internationale, à un monsieur suisse je pense, et une dame
hollandaise ou l'inverse, je ne me rappelle plus… basés à Ngoma, sont allés
trouver le préfet et ont demandé par trois fois une escorte militaire pour venir
me chercher. Il y avait aussi une demoiselle française qui était là, donc Emilie
PERET, et chaque fois les militaires ont répondu : « Mais pourquoi
ils veulent être évacués, il n'y a rien du tout qui se passe ! C'est très bien,
il n'y a pas de problème ! ». Alors évidemment, les deux représentants
de la Croix-Rouge n'avaient aucune envie de franchir… il y avait dix barrières,
onze jusqu'à la frontière, onze barrières d'Interahamwe sur 10 kilomètres. Alors
finalement, nous sommes partis avec les deux gendarmes qui gardaient les sœurs
dans une voiture, une sœur bénédictine, sœur Anastasia, le chauffeur, sœur Anastasia,
un gendarme et moi dans la voiture de Mademoiselle PERET. Et bon, finalement
on est arrivé à Gisenyi, le préfet d'alors nous a beaucoup aidés parce qu'il
avait téléphoné et nous disions que c'était le préfet, ce qui était vrai, qui
nous avait appelés parce que nous étions les deux seuls européens restés aussi
longtemps dans la région de Gisenyi sans être évacués.
Le Président : D'autres questions ?
Les parties sont-elles d'accord pour que le témoin se retire ? Monsieur le témoin 18,
est-ce bien des accusés ici présents dont vous avez voulu parler et le sens
profond de cette question étant, persistez-vous dans vos déclarations ?
le témoin 18 : Oui.
Le Président : Eh bien, la Cour
vous remercie pour votre témoignage, Monsieur le témoin 18. Vous pouvez disposer
librement de votre temps, tout en devant administrativement rester à la disposition
de la Cour pour les problèmes de transfert vers le Rwanda, etc., donc, jusqu'à
votre départ pour le Rwanda. Je vous remercie. |
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