assises rwanda 2001
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Instruction d’audience A. Higaniro Audition témoins compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction d’audience A. Higaniro > Audition témoins > le témoin 139
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7.3.10. Témoin de contexte: le témoin 139

Le Président : Alors, il nous reste encore un témoin, nous l'entendons ? On est prêt ? Alors, Monsieur le témoin 139 peut approcher. Vous voulez un interprète ? Pas d'interprète apparemment. Alors, Monsieur, quels sont vos nom et prénom ?

le témoin 139 : le témoin 139.

Le Président : Quel âge avez-vous ?

le témoin 139 : 34 ans.

Le Président : Quelle est votre profession ?

le témoin 139 : Entrepreneur.

Le Président : Quelle est votre commune de résidence ?

le témoin 139 : Butare.

Le Président : Au Rwanda ?

le témoin 139 : Au Rwanda.

Le Président : Connaissiez-vous les accusés, Monsieur NTEZIMANA, Monsieur HIGANIRO, Madame MUKANGANGO, Madame MUKABUTERA ou certains des accusés, avant le mois d'avril 1994 ?

le témoin 139 : Oui, je connais HIGANIRO seulement.

Le Président : Uniquement Monsieur HIGANIRO ?

le témoin 139 : Je connais HIGANIRO.

Le Président : Etes-vous de la famille des accusés ou des parties civiles ?

le témoin 139 : Non.

Le Président : Etes-vous sous un lien de contrat de travail avec les accusés ou les parties civiles ?

le témoin 139 : Non.

Le Président : Je vais vous demander, Monsieur, de bien vouloir lever la main droite… l'autre main… l'autre main droite, et de prononcer le serment de témoin.

le témoin 139 : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président : Vous pouvez vous asseoir, Monsieur. Vous êtes de la région de Butare depuis la naissance, je crois ?

le témoin 139 : Ouais.

Le Président : Mais il se fait, semble-t-il, que le 6 avril 1994, le jour où l'avion du président le témoin 32 va être abattu, vous vous trouviez à Kigali ?

le témoin 139 : Ouais.

Le Président : Vous étiez, semble-t-il, en compagnie d'un certain Charles le témoin 100…

le témoin 139 : Non.

Le Président : A un moment donné, non ?

le témoin 139 : Non.

Le Président : Vous avez parlé d'un coup de téléphone de ce Charles le témoin 100…

le témoin 139 : Oui.

Le Président : Vous l'avez entendu ?

le témoin 139 : Oui, je l'ai entendu.

Le Président : Donc, pour l'entendre, il fallait que vous soyiez quand même près de lui, j'imagine ?

le témoin 139 : Oui.

Le Président : Ça se passait où ?

le témoin 139 : Il était chez lui, à la maison. Moi, j'étais derrière la clôture.

Le Président : Ah ! Vous avez entendu ce Monsieur Charles le témoin 100 qui serait le frère de l'évêque de Gitarama…

le témoin 139 : Ouais.

Le Président : …dire à quelqu'un qu'il venait de téléphoner à Butare…

le témoin 139 : Ouais.

Le Président : …au petit frère du président…

le témoin 139 : Ouais.

Le Président : …et qu'il avait ainsi appris que le président venait de mourir.

le témoin 139 : Ouais.

Le Président : Vous dites qu'en fait, il téléphonait à BAGOSORA ?

le témoin 139 : Je me suis dit que c'était BAGOSORA…

Le Président : Ah ! Oui, mais qu'est-ce qui vous faisait dire que c'était ça ?

le témoin 139 : Il téléphonait à un certain Théoneste. Théoneste qui était militaire.

Le Président : C'est ça !

le témoin 139 : Ouais.

Le Président : Et, en réalité, ce n’était pas un téléphone qu'il utilisait, ou c'était un téléphone particulier. Ca semblait plutôt être une radio émetteur-récepteur, parce que vous avez dit que vous avez entendu les réponses ou bien alors peut être que le téléphone était mis sur la position pour que tout le monde entende ?

le témoin 139 : Oui, en fait, c'était pas la radio, c'était le téléphone moderne, hein… tout simplement, je ne savais pas que c'était le téléphone moderne. Je l'ai vu ces derniers jours, hein… Aujourd'hui, sur le marché, on trouve des téléphones hein… là où on écoute hein… on peut écouter les conversations entre les deux personnes.

Le Président : Vous avez entendu dire que ce monsieur… le frère donc, Monsieur le témoin 100 disait à son correspondant BAGOSORA que la mort du président avait été causée par les Tutsi…

le témoin 139 : Oui.

Le Président : Qu'il fallait se réveiller très tôt le matin avec les armes pour exterminer les Tutsi…

le témoin 139 : Oui, j'ai entendu tout ça.

Le Président : Et que BAGOSORA répondait dans le même sens, et disant aussi : « Il faut téléphoner à la RTLM pour annoncer la mort du président, que RTLM va nous aider ».

le témoin 139 : Voilà. C'est ce qu'il a dit.

Le Président : Et vous dites que cette conversation que vous entendez, c'est le 6 avril à 20 heures 50 ?

le témoin 139 : Ouais.

Le Président : Et vous dites que le 6 avril, même avant d'avoir entendu ce coup de téléphone, vous avez déjà entendu des coups de feu dans Kigali ?

le témoin 139 : Ouais.

Le Président : Juste après l'accident de… enfin l'attentat contre l'avion ?

le témoin 139 : Oui, des coups de… des coups de fusil… euh… des tirs de fusil et des grenades.

Le Président : Comment est-ce que vous avez entendu cette conversation téléphonique-là ? Vous passiez dans la rue et la fenêtre était ouverte et…?

le témoin 139 : J'habitais la maison qui se trouvait juste en face de la maison de Charles.

Le Président : Oui ?

le témoin 139 : De passage, je venais de Kibungo, je rentrais, c'était la soirée. Arrivé là, tout le monde était à l'extérieur de la maison. J'entendis… j’ai suivi… j'ai pu suivre quand même cette conversation. Cette conversation, elle m'a causé quand même la peur qui m'a permis d'aller me cacher tout de suite.

Le Président : Donc, cette conversation n'était pas très discrète si les gens qui étaient à l'extérieur pouvaient l'entendre ?

le témoin 139 : Je suivais moi-même… on était à trois. C'est comme ça que j'ai appris quand même que c'était l'avion présidentiel.

Le Président : Vous vous êtes caché, mais vous êtes retourné à Butare après ?

le témoin 139 : Après, cinq mois plus tard.

Le Président : Cinq mois plus tard ?

le témoin 139 : C'était au mois d'avril. Je suis rentré à Butare au mois de janvier, je crois, hein… l'année qui en a suivi.

Le Président : A ce moment-là, Monsieur HIGANIRO n'était plus à Butare ?

le témoin 139 : Je ne sais pas.

Le Président : Quand vous êtes rentré en juillet…

le témoin 139 : Non, il n'était pas du tout à Butare, je ne l’ai pas vu.

Le Président : Le 6 avril, vous êtes à Kigali ?

le témoin 139 : Le 6 avril, j'ai quitté Butare, le 6 avril très tôt le matin vers 6 heures et demie.

Le Président : Donc le 5 avril, vous étiez encore à Butare, la veille du moment où on a abattu l'avion présidentiel ?

le témoin 139 : Oui, j'étais à Butare.

Le Président : Vous avez dit que, pour vous, Monsieur HIGANIRO, que vous aviez donc rencontré avant, était un des responsables de la CDR ?

le témoin 139 : Oui, j'ai dit ça.

Le Président : A Butare ?

le témoin 139 : Oui, à Butare.

Le Président : Le 5 avril 1994, vous avez vu… avez-vous indiqué personnellement, que des gardes présidentiels logeaient chez Monsieur HIGANIRO. Vous avez dit que c'étaient des personnes qui logeaient à son domicile et les autres étaient des personnes qui étaient engagées pour protéger l'usine… L'usine d'allumettes ?

le témoin 139 : Oui, j'ai dit ça parce que bon… avant, euh… vers 91, enfin 93… au cours de l'année 1993, il y avait des rumeurs comme quoi, à Butare, la ville était assiégée par les gardes présidentiels qui venaient juste pour protéger le petit frère du président et plus précisément HIGANIRO. Cette information, je l'ai eue auprès du préfet qui était à la tête de la préfecture de Butare.

Le Président : Et vous êtes formel pour dire que c'étaient des gardes présidentiels qui étaient déjà là, chez HIGANIRO, le 5 avril ? Est-ce qu'ils étaient là déjà depuis plusieurs jours ou plusieurs mois avant ?

le témoin 139 : Ils étaient là beaucoup plusieurs mois, euh… plusieurs mois avant, avant le 5 avril, parce que je le voyais même hein… en pistolet, en tenue ; ils portaient des tuniques avec des cordelettes, des cordelettes des militaires, ils avaient des pistolets. Je les ai vus moi-même. Et je le voyais souvent.

Le Président : Vous dites que le 4 avril 1994, le lundi de Pâques, vous avez vu que Monsieur HIGANIRO, sa femme, le recteur de l'université… C'est quel nom le recteur ou le vice-recteur, je ne sais pas ?

le témoin 139 : Le recteur s'appelait le témoin 108.

Le Président : La femme du recteur, le docteur Ignace BIGILIMANA ?

le témoin 139 : Ouais.

Le Président : C'est le frère du président ça ?

le témoin 139 : Non, c'était pas le frère du président.

Le Président : Ils se sont réunis chez le témoin 23 Vénaste ou Vénuste ?

le témoin 139 : Venant.

Le Président : Venant ?

le témoin 139 : Oui.

Le Président : Vous avez dit que ça vous intriguait, vous avez surveillé parce que ça vous intriguait de voir ces gens-là ensemble.

le témoin 139 : Oui, ça m'a beaucoup intéressé de… de m'arrêter un tout petit peu puis ils m'ont demandé pourquoi ces gens se réunissaient. Pourquoi… ?

Le Président : Oui ?

le témoin 139 : C'était parce qu’il y avait des rumeurs. Tout le monde… presque tous les gens de Butare avaient peur… avaient peur, s'attendaient à une attaque éventuelle des Interahamwe, des miliciens, des… Et on se demandait ce que venaient faire les militaires qui gardaient la… qui gardaient le président.

Le Président : Alors, comme vous êtes très curieux, est-ce que vous avez écouté à la porte ce qui se disait dans la maison du témoin 23 ?

le témoin 139 : Non, je passais sur la route.

Le Président : Vous avez dit aussi que vous saviez que Monsieur HIGANIRO, le directeur de l'usine d'allumettes, n'engageait comme personnel que des gens de la CDR, enfin des affiliés ou des membres du parti CDR.

le témoin 139 : Oui, une fois je l'ai vu moi-même. C'était dans la matinée. Je passais juste à côté de la Sorwal, de l'usine, et je me rendais à Ngoma, bon l'autre quartier… le quartier voisin. Il était… Ce monsieur, il était entouré par des… par des… par des gens, entre les deux… ils portaient des casquettes, des casquettes de la CDR et du MRND. Un peu après, je me suis rendu compte qu’il y avait un certain Boniface qui faisait partie… qui était à la tête des Interahamwe sur ma colline, qui avait été engagé là comme chauffeur. D'autre euh… L'information qui s'en est suivie, je l'ai recueillie chez lui, chez ce chauffeur-là.

Le Président : Il était quoi ce chauffeur, CDR, lui, non ?

le témoin 139 : Il était Interahamwe.

Le Président : Interahamwe ?

le témoin 139 : Ouais.

Le Président : Mais Monsieur HIGANIRO faisait du recrutement pour signer des affiliations à la CDR, sur la rue, ou bien c'étaient des recrutements de personnel qu'il faisait sur la rue ?

le témoin 139 : Je l'ai vu tout simplement entouré par ces… par ce groupe de… ce groupe de gens qui portaient des casquettes de MRND et de CDR.

Le Président : C'est ça. Vous pouvez expliquer ce que vous voulez dire quand vous dites que… il était aussi la liaison avec les gens du Nord de l’Akazu ?

le témoin 139 : Paraît-il que… Bon, cette information n'est… n'était pas à moi, je l'avais aussi recueillie auprès du préfet de Butare. Une fois, il m'a dit que euh… il se pourrait que se tenait une réunion des gens du Nord… des gens du Nord et des gens les plus proches de la famille et du président. Cette réunion présidée, paraît-il, par… par le petit frère du président et HIGANIRO.

Le Président : Il y aurait des réunions, dites-vous, une fois par semaine, Interahamwe-CDR-MRND tous ensemble à Butare le jeudi ; réunion présidée par le petit frère du président ?

le témoin 139 : Oui.

Le Président : Et il y avait encore une autre réunion présidée, celle-là, par Monsieur HIGANIRO, semble-t-il, qui réunissait les gens du Nord dans un local des frères de la charité.

le témoin 139 : Toutes ces informations de réunions, j'avais des preuves qui avaient été données par le préfet de Butare, à l'époque, il m'en a parlé… Et puis, cela a été vérifié, mais malheureusement comme j'ai pas continué à vivre à Butare… trois mois… j'ai pas eu l'occasion de vérifier longtemps. Mais ce cabaret que j'ai cité, qui se trouvait à un kilomètre de la ville, réunissait… réunissait… c'était l'endroit, c'était le lieu où les Interahamwe et CDR se réunissaient comme partout dans la ville de Butare. Il y avait chaque fois des bistrots pour d'autres partis.

Le Président : Et dans ce bistrot-là, Monsieur HIGANIRO allait ? C'est dans celui-ci et pas dans un autre, je veux dire ?

le témoin 139 : Vous dites ?

Le Président : C'est dans le bistrot CDR-MRND-Interahamwe que Monsieur HIGANIRO allait ?

le témoin 139 : Oui.

Le Président : Chacun choisit son bistrot…

le témoin 139 : Justement, il ne pouvait pas aller n'importe où…

Le Président : Et lui, il allait dans celui-là ?

le témoin 139 : Justement, il ne pouvait pas aller dans le bistrot de PSD, par exemple.

Le Président : C'est ça.

le témoin 139 : Oui.

Le Président : Bien. Vous avez expliqué que vous ne connaissiez pas Monsieur NTEZIMANA…

le témoin 139 : Je ne le connais pas.

Le Président : Mais par contre, vous aviez retrouvé le document à la préfecture de Butare où il était question d'organisation euh… de rondes, je crois ; son nom apparaît sur des documents ?

le témoin 139 : Bon euh… Quand l'année 95 a commencé, j'étais à Butare. Vu comment le génocide s'était déroulé à Butare, j'étais choqué par le massacre actif… qui avait été activé par certains intellectuels, certains commerçants de Butare. Et puis, je me suis dit : « Il faut que je me rende compte. Il faut que je me rende compte de tout ce qui s'est passé à Butare ». Je me suis intéressé à un travail personnel, parce que personne ne me l'avait demandé. J'ai commencé par fouiller des lieux que je soupçonnais… que je soupçonnais. J'ai commencé par fouiller la préfecture, j'ai continué par la commune, j'ai continué par… j'ai continué par la commune de Kizu, la commune à Maraba. Voilà. Et puis, j'ai trouvé… j'ai trouvé quand même pas mal de documents oubliés ou bien, peut-être abandonnés.

Le Président : Vous m'avez dit que c'était quoi votre profession ?

le témoin 139 : Avant, je travaillais à la préfecture.

Le Président : Oui, et actuellement ?

le témoin 139 : Actuellement, je suis entrepreneur.

Le Président : Et entre-temps, vous avez été quoi ? Détective privé ?

le témoin 139 : J'ai fait… j’ai fait le travail privé.

Le Président : Vous avez peut-être travaillé pour la Ligue des droits de l'homme ?

le témoin 139 : Non. Ça m'intéressait. ça m'intéressait de me rendre compte comment le génocide s'est déroulé, à partir des papiers.

Le Président : Bien. Y a-t-il des questions à poser au témoin ? Monsieur l'avocat général ?

L'Avocat Général : Oui, simplement dans le cadre des recherches que l'intéressé a fait… a faites, euh… dans le cadre de la commission rogatoire, il a fait une déclaration à Monsieur KAMANZI, inspecteur de PJ à Kigali, comme quoi Monsieur le témoin 139 avait fait des recherches dans les fiches d'identité de la commune de Ngoma. Et, peut-il confirmer ce qu'il déclare, à savoir qu'il a constaté que les fiches de nombreuses personnes tuées avaient disparues, notamment la fiche de Monsieur KARENZI, et qu’il a en somme constaté que les fiches étaient détruites à tel point que ces personnes étaient censées n'avoir jamais existé ou jamais résidé dans la commune.

Le Président : Oui ?

le témoin 139 : Je… j'ai fouillé la commune. Dans la commune, je lisais papier par papier, morceau par morceau. Et puis, quand j'ai ouvert là où on stockait des cartes d'identité au service de recensement, je me suis rendu compte que je cherchais la fiche de mes parents. Je me suis rendu compte que la fiche de mon père n'était pas là. Je me suis rendu compte que la fiche de ma mère n'était pas là et mes frères… donc, j'ai continué. Ce jour-là, on s'est croisé, beaucoup d'autres qui cherchaient les fiches des membres de leur famille, perdus, morts. Sur ces fiches, on cherchait quoi en fait ? On ne cherchait pas des noms, on cherchait pourquoi ? On cherchait des photos. Moi, je voulais… j'avais besoin de la photo de ma mère, de mon père et de mes frères. Je voulais enlever la… des photos passeport.

Le Président : Oui. Tout ça n'existait plus ?

le témoin 139 : N'existait plus, hein…

Le Président : Et à cette époque-là, où vous avez fait ces recherches, les bâtiments étaient abandonnés… ?

le témoin 139 : Les bâtiments étaient abandonnés.

Le Président : Préfecture, commune, etc. ?

le témoin 139 : Les bâtiments étaient abandonnés, il n'y avait personne. Il n'y avait personne qui travaillait là-bas. Mais à la commune, à la commune quand même - la commune avait démarré ses travaux - il y avait quand même le personnel. Mais à la préfecture, la préfecture ne fonctionnait pas hein… La préfecture était abritée par la commune.

Le Président : Y a-t-il d'autres questions ? Oui, Maître BELAMRI ?

Me. BELAMRI : Oui, Monsieur le président. Pourriez-vous demander au témoin, dans la même ligne que la question de Monsieur l'avocat général, de confirmer que lorsqu'il a fouillé l'administration communale, et notamment à la recherche de ces fiches, il y avait les identités complètes des personnes avec mention de l'ethnie Hutu ou Tutsi, comme cela figure sur le pro-justicia dressé ?

Le Président : Oui, donc sur ces fiches, euh… dans les mentions qui figuraient sur ces fiches, y avait-il l'ethnie Tutsi, Twa…?

le témoin 139 : Sur ?

Le Président : Sur les fiches.

le témoin 139 : Sur les fiches, sur ces fiches…

Le Président : Pas celles qui avaient disparues, là vous ne pouvez rien me dire…

le témoin 139 : Sur ces fiches… Ce n’est pas seulement sur ces fiches. Sur tous les papiers administratifs au Rwanda se trouvait une mention « Hutu, Tutsi, Twa, naturalisé ». Si vous voulez, j'ai ma carte d'identité de jadis sur moi, je peux vous montrer, si vous voulez ?

Le Président : Oui, ce n’est pas votre témoignage… pourquoi pas ?

le témoin 139 : Je peux vous montrer ça ?

Le Président : Oui. Je vais demander à Monsieur l'huissier de bien vouloir, provisoirement, prendre votre carte d'identité pour la faire circuler parmi les membres du jury. Faites circuler parmi les membres du jury ainsi que parmi les avocats des parties. Monsieur NTEZIMANA, vous savez comment étaient faites les anciennes cartes d'identité ? Monsieur HIGANIRO ?

Alphonse HIGANIRO : Ça date de… on l'a ici du temps…

Le Président : Du temps du colonisateur belge, hein… je crois ?

Alphonse HIGANIRO : Exactement, Monsieur le président.

Le Président : Bien. Pendant que ce document fait le tour… Ce sont les mentions qui figurent juste en dessous de la photographie, sur la carte d'identité. Y-a-t-il d'autres questions à poser au témoin ? Oui, Monsieur le 2e  juré suppléant ?

Le 2e Juré suppléant : Donc, quand monsieur parle du préfet de Butare, est-ce qu'il s'agit de le témoin 32 ?

Le Président : Ah oui. le témoin 32 Jean-Baptiste ?

le témoin 139 : Jean-Baptiste. C'est de lui que je parlais. C'était lui, le témoin 32 Jean-Baptiste.

Le Président : Y a-t-il encore d'autres… Oui, Maître HIRSCH ?

Me. HIRSCH : Merci, Monsieur le président. Le témoin, donc, était en rapport avec le préfet, avant son décès bien sûr, euh… est-ce qu’il a eu connaissance d'un événement dont on nous a parlé ici, qui est la confiscation par le préfet, de machettes fin… enfin, novembre ou décembre 1993 ?

le témoin 139 : Oui, une fois, euh… on a… il y avait des rumeurs comme quoi à Butare il y avait toujours… on s'attendait à une attaque des Interahamwe, des… des miliciens quoi, hein… Paraît-il que tout le monde… presque hein… la partie qui organisait ça, paraît-il qu’on distribuait ou bien on achetait, hein… des machettes en grande quantité. Bon, une fois, il a demandé à la gendarmerie d'arrêter ces achats.

Le Président : Est-ce qu'il a trouvé des endroits où des machettes se trouvaient… stockées ? Est-ce qu'il vous a parlé de ça ?

le témoin 139 : Oui. C'était chez un certain commerçant qui se trouvait dans la ville de Butare, MUNYAGASHEKE.

Le Président : Vous pouvez parler… parce qu'on a difficile à comprendre les noms…

le témoin 139 : Oui. C'était dans le magasin bon… ou bien dans le stock ­ moi, j'étais pas là - soit c’était dans le magasin ou bien dans le stock d'un certain commerçant.

Le Président : Et le nom de ce commerçant, c'était… ?

le témoin 139 : Il s'appelle MUNYAGASHEKE, je crois. Si, je m'en souviens très bien.

Le Président : Y a-t-il encore d'autres questions ? Oui, Maître HIRSCH ?

Me. HIRSCH : Oui, Monsieur le président. Je pense que le témoin a été vraiment très précieux dans cette enquête qui a été faite puisqu’il a réuni toute une série d'informations sur les rondes et les procès-verbaux qui avaient été dressés à l'occasion de différentes réunions durant le génocide à Butare, euh… qui sont donc les pièces sur lesquelles nous nous basons ici. Est-ce qu'il y en avait beaucoup d'autres ? Est-ce qu'il a, et est-ce qu'il a fait des procès-verbaux d'autres réunions qu'il n'aurait pas trouvés, ou qu'il n'aurait pas communiqués? Est-ce que…

Le Président : Oui, est-ce qu'il y avait d'autres pièces ?

le témoin 139 : Bon, euh… puisque c'était… c'était le travail personnel, tous les documents que j'avais, ils ont été consultés par pas mal de gens. Après avoir remis tous les documents que j'avais sur moi, je gardais toujours l'original… La fouille n'était plus possible puisque tous les bureaux étaient occupés par les propriétaires, la commune était complètement dans ses bureaux, la préfecture aussi. Et ailleurs, donc, j'ai pas continué. Tout ce que j'avais sur moi me suffisait comme informations personnelles.

Le Président : Est-ce qu’en ce qui concerne Monsieur NTEZIMANA, à part le document où il est question de rondes et où son nom apparaît comme se trouvant dans la ronde - je sais plus quel numéro… numéro 4, numéro 5, peu importe le numéro - y-a-t-il eu d'autres documents en votre possession qui mettaient en cause Monsieur Vincent NTEZIMANA ?

le témoin 139 : NTEZIMANA je le connaissais même pas hein… mais ça m'a beaucoup intéressé de retrouver des noms, hein… des noms… des noms que je saisissais facilement. Il y avait moyen de… il y avait moyen de poursuivre ces gens, de continuer mes recherches, mais puisque je le connaissais pas, ça m'a pas beaucoup intéressé.

Le Président : Est-ce que, par exemple, vous avez trouvé des documents avec le nom de Monsieur HIGANIRO ?

le témoin 139 : Non plus hein… Le document avec… sur lequel… mentionnait le nom de HIGANIRO, non plus, hein… Bon, mais une fois, j'ai… il y a quand même… il y a quelqu'un qui m'a donné un petit papier de… d'un parti que je connais pas… d'un parti qui était présidé par, peut-être, hein… paraît-il, par ce NTEZIMANA, enfin Monsieur NTEZIMANA. Je l'ai lu, hein… Dans ce document, on disait…

Le Président : Le PRD ? Le parti PRD ?

le témoin 139 : PRD ou bien RDR je sais pas, je m'en souviens pas. Mais vous l'avez peut-être… vous l’avez, paraît-il, dans le dossier. Moi, j'ai donné l'original parce que je n'avais que ça.

Le Président : Oui, Monsieur le 6e  juré ?

Le 6e Juré : Merci, Monsieur le président. Peut-on demander au témoin s'il a connaissance des barrettes noires ?

Le Président : Alors oui ! Euh…

Le 6e Juré : S'il connaît…

Le Président : Ça vous dit quelque chose, les barrettes noires ?

le témoin 139 : Barrettes noires ? Non.

Le Président : Les bérets rouges ?

le témoin 139 : Les bérets rouges ?

Le Président : Les militaires qui auraient un béret rouge ?

le témoin 139 : Les militaires de la MINUAR.

Le Président : La MINUAR, ce n’est pas des bleus ?

le témoin 139 : Non, je connais pas.

Le Président : La garde présidentielle, est-ce qu'elle avait, à leur uniforme, un signe particulier qui permettait de se rendre compte que c’étaient des gens de la garde présidentielle plutôt que des chasseurs alpins… enfin ou que des… je sais pas moi des… des tankistes… des… je sais pas quels sont les corps qu'il y avait dans l'armée.

le témoin 139 : A l'époque, je… ça m'intéressait pas de différencier les militaires. Tout simplement, je connaissais… je connaissais les gendarmes, hein… qui portaient des bérets rouges…

Le Président : Les gendarmes avaient des bérets rouges ?

le témoin 139 : Oui, ils portaient des bérets rouges. Le reste des militaires, je crois qu'ils portaient…

Le Président : Ils portaient tous le même béret ?

le témoin 139 : La plupart des militaires portaient des bérets noirs.

Le Président : Même les gardes présidentiels ?

le témoin 139 : Je sais pas.

Le Président : Y avait pas de service militaire au Rwanda… obligatoire ?

le témoin 139 : Non.

Le Président : C'était donc une armée, je dirais, professionnelle ?

le témoin 139 : C'était une armée, on se faisait inscrire, et puis on recrutait… ils avaient des conditions. Je les connais pas.

Le Président : D'autres questions ? Maître FERMON ?

Me. FERMON : Monsieur le président, le témoin nous a dit qu’il avait appris, si j'ai bien compris, que Monsieur HIGANIRO… qu’il y avait des soldats qui avaient été envoyés à Butare pour protéger le petit-fils… le petit frère du président et Monsieur HIGANIRO. Il a discuté de ça avec, si j'ai bien compris, le préfet. Est-ce qu’à d'autres occasions, il a discuté avec le préfet à propos de Monsieur HIGANIRO, est-ce que le préfet lui aurait dit d'autres choses sur ses relations avec Monsieur HIGANIRO, en bien ou en mal ?

le témoin 139 : Bon lui, il me disait souvent que HIGANIRO était son ami, qu'il fréquentait souvent la… le foyer… Bon, c'est ce qu'il me disait. Et puis il a été… il s'est fâché une fois, le jour où Monsieur HIGANIRO s'est disputé avec un grand ami à lui, dans un cabaret. Ils se sont disputés. Paraît-il que l'un voulait adhérer à une association internationale… HIGANIRO voulait absolument adhérer à l'association internationale, hein… le Rotary Club. Puis, les autres membres ne voulaient pas pour des raisons que j'ignore encore. Et puis HIGANIRO s'est disputé. Il y a quand même eu des discussions… ils ont connu discussion mauvaise. Mais, le lendemain, le préfet m'a dit que HIGANIRO était très fâché, hein… il a failli sortir son pistolet dans le cabaret ; il y a des témoins, y a des gens qui étaient là, si vous voulez que j'en cite des noms je peux le faire, ils sont toujours à Butare. C'est là où les relations, quand même, ont commencé… à marquer un caractère noir, il m'avait dit ça.

Le Président : Et savez-vous si, entre-temps, Monsieur HIGANIRO est devenu membre du Rotary Club ?

le témoin 139 : Oui. Parce que la dernière soirée dans laquelle j'ai participé, j'ai vu HIGANIRO comme membre. On était avec lui. C'était une soirée dansante et moi, j'avais acheté mon ticket, lui, il était là comme membre.

Le Président : Bien, d'autres questions ? Maître EVRARD ?

Me. EVRARD : Je vous remercie, Monsieur le président. Le témoin peut-il nous dire par qui, s'il le sait, par qui Monsieur HIGANIRO a été présenté au Rotary ?

Le Président : Est-ce que vous savez qui a introduit finalement Monsieur HIGANIRO au Rotary ?

le témoin 139 : Je ne sais pas parce que moi, je faisais pas partie de l'association.

Le Président : Autre question ?

Me. EVRARD : Merci, Monsieur le président. Le témoin déclare, dans sa déclaration qui se trouve au dossier, carton 8, farde 31, pièce 14 - et je demande simplement la confirmation de cela - il signale avoir été témoin oculaire du fait que le lundi de Pâques, c'est-à-dire le 4 avril, à partir de 10 heures du matin jusqu'à minuit, Monsieur HIGANIRO tenait une réunion chez Monsieur le témoin 23 Vénaste ou Vénant, je ne sais pas, qui était un commerçant de Butare, semble-t-il ? Tenant compte de l'emploi du temps de Monsieur HIGANIRO, peut-il nous confirmer cela ?

Le Président : Non. Peut-il confirmer ce qu'il a déclaré à propos… et qu'il vient d'ailleurs encore de dire il y a quelques minutes ? Vous confirmez avoir vu Monsieur HIGANIRO chez Monsieur le témoin 23 le lundi de Pâques 4 avril 1994 ?

le témoin 139 : Là où se tenaient des réunions, chez ce monsieur Vénant le témoin 23, c'était… c'est le passage… c'était sur mon passage pour me rendre en ville de chez moi. Et je me suis rendu en ville dans l'après-midi, bon, c'était vers 13 heures, bon, je… c'était vers… bon, c'était dans l'après-midi en tout cas, j'avais l'habitude de rentrer un peu plus tard. Vers 20 heures, je me suis rendu à la maison pour manger. De retour, j'ai été visiter un ami en ville qui avait… à l'hôpital qui avait fait un accident. Au moment de rentrer, j'ai vu encore le véhicule là.

Le Président : Autre question ?

Me. EVRARD : Merci, Monsieur le président. Le témoin a signalé qu'il avait reconnu, ou en tout cas qu'il avait identifié des gardes présidentiels en face de chez Monsieur HIGANIRO. Habitait-il dans le même quartier ou sinon était-il aussi de passage ?

Le Président : Est-ce qu'en habitant à Butare, il vous arrive de vous promener dans Butare ?

le témoin 139 : Vous dites ? J'ai pas saisi.

Le Président : Est-ce qu'en habitant à Butare, il vous arrive de vous promener dans Butare ?

le témoin 139 : Oui, j'habitais Butare.

Le Président : Y a-t-il une autre question ?

Me. EVRARD : Pas d'autres questions, Monsieur le président.

Le Président : Plus d'autres questions ? Les parties sont-elles d'accord pour que le témoin se retire ? Monsieur, confirmez-vous les déclarations que vous venez de faire ?

le témoin 139 : Oui.

Le Président : La Cour vous remercie pour votre témoignage, vous pouvez disposer librement de votre temps tout en restant administrativement à la disposition de la Cour, pour les problèmes d'hébergement avant votre retour au Rwanda.

le témoin 139 : Merci.

Le Président : Bien, l'audience est suspendue avec soit un quart d'heure de retard, soit un quart d'heure d'avance. Nous nous retrouvons demain matin à 9 heures. L'audience est suspendue.