7.3.23. Auditions des témoins: le témoin 114
Le Président : Monsieur,
quels sont vos nom et prénom ?
le témoin 114 : le témoin 114.
Le Président : Quel âge avez-vous,
Monsieur ?
le témoin 114 : 46 ans
Le Président : Quelle est
votre profession ?
le témoin 114 : Je suis
gestionnaire économiste.
Le Président : Quelle est
votre commune de résidence ?
le témoin 114 : Stavelot.
Le Président : Connaissiez-vous
les accusés ou certains des accusés, avant le mois d'avril 1994 ?
le témoin 114 : Je connaissais
HIGANIRO Alphonse.
Le Président : Etes-vous
de la famille des accusés ou de la famille des parties civiles ?
le témoin 114 : Non.
Le Président : Etes-vous
lié aux accusés ou aux parties civiles, par un contrat de travail ?
le témoin 114 : Non.
Le Président : Je vais vous
demander, Monsieur, de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment
de témoin.
le témoin 114 : Je jure
de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la
vérité.
Le Président : Je vous remercie.
Asseyez-vous, Monsieur.
En ce qui vous concerne, j’ai bien trouvé une petite déclaration,
mais qui concernait surtout quelqu’un d’autre, qui concernait surtout Monsieur
KANYABASHI, qui n’est pas accusé, ici.
C’est la raison pour laquelle je vais quand même vous demander d’exposer
dans quelles circonstances et à quelle époque vous avez fait connaissance de
Monsieur HIGANIRO ?
le témoin 114 : J’étais
au gouvernement avec lui.
Le Président : Vous avez
été ministre ?
le témoin 114 : Du commerce
et de la consommation.
Le Président : A quelle époque ?
le témoin 114 : Du 9 juillet
90 jusqu’au 31 décembre 91.
Le Président : Alors, savez-vous
pourquoi il n’a plus été ministre ?
le témoin 114 : Pardon ?
Le Président : Savez-vous
pourquoi il n’a plus été ministre, après décembre 91 ?
le témoin 114 : Euh… il
y a eu des départs parce qu’il y a eu des changements dus au multipartisme et
à la nouvelle répartition et donc, il y a d’autres ministres qui sont partis,
avant ou après, dans ces circonstances-là.
Le Président : C’est ça.
Avez-vous été informé éventuellement que Monsieur HIGANIRO n’était plus en bons
termes avec les beaux-frères du président le témoin 32 ?
le témoin 114 : Non.
Le Président : Ayant été
ministre, je suppose que vous connaissez Monsieur SAGATWA ? Qui était Monsieur
SAGATWA, le colonel SAGATWA ?
le témoin 114 : Il était
euh… secrétaire particulier du président.
Le Président : Pour avoir
un contact officiel avec le président, fallait-il nécessairement passer par
l’intermédiaire de ce secrétaire particulier ?
le témoin 114 : Absolument
pas, parce que chaque ministre avait un téléphone, qu’il pouvait contacter le
président, il avait les conseillers pour des dossiers techniques et on pouvait
transmettre sans passer par SAGATWA. Il n’était pas nécessaire parce qu’il n’était
pas nécessairement technicien, et il n’intervenait pas dans les dossiers techniques
des ministères.
Le Président : En tant que
ministre en tout cas, il ne fallait pas passer par Monsieur SAGATWA ?
le témoin 114 : Absolument
pas.
Le Président : Une autre
personne qu’un ministre devait passer par SAGATWA ?
le témoin 114 : Je ne sais
pas, je ne l’ai pas… je n’ai pas eu à le faire.
Le Président : Savez-vous
quelles étaient éventuellement les relations entre Monsieur HIGANIRO et la…
la famille de l’épouse du président ? S’il y avait, entre eux, des relations
tendues ?
le témoin 114 : Non, je
ne sais pas. Je sais que son beau-père était médecin du président, mais je ne
connais pas les… les relations entre les… les… les familles.
Le Président : Avez-vous
eu, outre, je dirais, vos relations de collègue ministre, avez-vous des relations
d’amitié ou des relations d’ordre privé avec Monsieur HIGANIRO, vous rendant
éventuellement visite dans… dans les familles des uns et des autres ?
le témoin 114 : Non. Je
l’ai connu quand il est devenu ministre et on a collaboré. Et je le connais
comme directeur de la SORWAL, parce que je suis de Butare également.
Le Président : Pensez-vous
que sa nomination comme directeur de la SORWAL était une récompense ?
le témoin 114 : Non, je
pense que chaque fois qu’il y avait un ministre qui partait, il y avait toute
une répartition géographique des entreprises privées ou de… des parastataux,
et ça ne pouvait pas être considéré comme une récompense quelconque. Ce n’était
pas chez lui, il avait, euh… il avait eu des postes plus importants que cela
et… Non, on ne peut pas considérer qu’être à la tête de la SORWAL dans Butare,
dans une situation de guerre, soit une récompense pour un ministre qui part.
Le Président : C’est tout
juste une voie de garage ?
le témoin 114 : Non, pas
nécessairement. C’est un travail qu’on peut faire, c’est pas partir du gouvernement,
c’est pas une voie de garage, c’est pas… c’est pas un héritage, être ministre.
Le Président : L’ayant côtoyé
comme ministre, est-ce que c’était quelqu’un qui prenait des positions politiques
très affirmées comme ministre ?
le témoin 114 : Euh… au
gouvernement, à ce moment-là, le souci pendant la guerre, c’était d’assurer
l’approvisionnement du pays. Il a pris des positions pour assurer cet approvisionnement,
en tant que ministre de la communication et des transports, parce qu’au niveau
du pays, l’approvisionnement venait par Nairobi, donc, le Kenya, passait par
l’Ouganda et le Nord qui était occupé par l’armée du FPR et donc, c’était toujours
difficile de, d’assurer l’approvisionnement dans un pays enclavé et donc, son
souci était et le souci du gouvernement à ce moment-là, surtout sa contribution,
c’était de maintenir l’approvisionnement, de maintenir les communications, de
maintenir les transports,etc. au niveau aussi téléphone et autres communications.
Certaines compagnies aériennes avaient également eu des problèmes, certaines
avaient même refusé d’approvisionner le pays, de continuer à assurer les vols
donc, le souci aussi d’assurer, au niveau technique, l’approvisionnement du
pays. Donc, sur tous les débats au niveau du gouvernement, c’était dans ce sens-là
qu’on allait.
Le Président : Vous le décririez
comme ministre, plus comme un politique ou plus comme un technicien ?
le témoin 114 : C’était
plus technique à ce moment-là, donc, c’étaient plus des problèmes techniques.
On n’a pas… dans… on abordait les problèmes de guerre dans le… au gouvernement,
mais les contributions, le souci c’était plus continuer à assurer l’approvisionnement
du pays et le fonctionnement du pays, non pas jeter la psychose, non pas créer
un état, disons, on n’a jamais créé, disons, un état de guerre permanent au
niveau du pays, mais de continuer à faire fonctionner les services de l’état
et les services économiques.
Le Président : L’avez-vous
déjà entendu prendre des positions extrémistes ?
le témoin 114 : Non, je
n’ai jamais entendu.
Le Président : Pensez-vous
qu’il ait pu jouer un rôle politique à Butare, là où il était devenu directeur
de la SORWAL ?
le témoin 114 : Absolument
pas, parce qu’il n’a… il n’a jamais vécu à Butare, à ma connaissance. Moi j’ai…
j’ai donc, quand vous avez cité KANYABASHI, j’ai… j’ai commencé à… mon premier
travail au sortir de l’école à Butare, j’ai étudié là-bas et pratiquement, j’ai
vécu là-bas et HIGANIRO n’a jamais été dans les communes, ni dans les réunions
des partis, ni ailleurs, on ne l’a jamais vu. Moi personnellement, je ne l’ai
jamais vu dans des communes, donc, il ne pouvait jouer aucun rôle au niveau
des communes que ce soit à Butare ville et que ce soit à Butare les communes
rurales environnantes.
Le Président : Euh… vous
ne l’avez jamais vu participer à des meetings publics de partis politiques ?
le témoin 114 : Formellement
non, il n’a jamais participé.
Le Président : Vous-même,
participiez-vous à des meetings ?
le témoin 114 : J’ai participé
à plusieurs meetings.
Le Président : Bien, y a-t-il
des questions à poser au témoin ? Maître EVRARD.
Me. EVRARD : Merci, Monsieur
le président. Il a été évoqué lors de son ministère, en tout cas, lors de… lorsqu’il
était secrétaire général au ministère, le fait qu’il ait pu ou qu’il ait eu
une action pour suspendre des fonctionnaires qui étaient d’une appartenance
ethnique. Est-ce que le témoin peut-il nous parler de cette question, et
nous dire ce qu’il en sait ?
Le Président : Savez-vous
si, dans son action de ministre ou éventuellement de haut fonctionnaire avant
d’être ministre, Monsieur HIGANIRO a pu avoir une action tendant à suspendre
des fonctionnaires, soyons clairs, Tutsi ?
le témoin 114 : Non. Je
ne le connaissais pas avant. Les fonctionnaires qui ont été suspendus, c’est
autour du 1er, 2, 3 octobre 90, quand il y a eu des arrestations
massives à Kigali. HIGANIRO n’était pas encore ministre et quand il est arrivé,
il n’y a pas eu, à ma connaissance, de suspensions. Il faut dire que la suspension
d’une personne qui est nommée par un arrêté, la plupart des personnes au ministère
sont nommées par un arrêté, il faut, un arrêté et il faut une faute grave, il
n’y a pas eu de suspensions, à ma connaissance, au ministère.
Le Président : D’autres questions ?
Me. EVRARD : Merci, Monsieur le
président. Le témoin, à sa connaissance, peut-il nous parler des relations de
fidélité et des relations particulières qu’il y avait entre le président le témoin 32
et Monsieur HIGANIRO ?
Le Président : Avez-vous
connaissance des particularités qu’il pourrait y avoir dans les relations entre
le président le témoin 32 et Monsieur HIGANIRO ?
le témoin 114 : Non, je
n’ai pas connaissance de cela, j’ai pas… je ne… je ne l’ai jamais rencontré
chez lui, je suis allé quelques fois chez le président dans le cadre du travail,
je n’ai jamais rencontré HIGANIRO chez lui. Donc, je ne peux pas répondre à
cette question, je ne sais pas.
Le Président : Une autre
question ?
Me. EVRARD : Dernière question,
Monsieur le président. Si mes informations sont exactes, Monsieur le témoin 114
François était ministre en même temps que Monsieur HIGANIRO, dans le dernier
gouvernement du parti unique MRND. Et selon mes informations, ce dernier gouvernement
a fait voter la loi sur le multipartisme. Ma question est : Monsieur HIGANIRO
était-il opposé au multipartisme ?
le témoin 114 : Non, les…
les… la nomination, la création du multipartisme a été créée suite à un processus
de réflexion qui était initié au niveau du pays. Il y avait une commission qu’on
appelait commission de synthèse et le président avait… donc, s’était déclaré
favorable, donc, on ne pouvait faire marche arrière. Cette commission de synthèse
est aboutie à la mise en place d’une loi instaurant le multipartisme et personne
ne pouvait dire qu’il était contre, parce que c’était une loi qui était votée
suite à tout un processus, tout un débat. A ma connaissance, HIGANIRO n’était
pas membre du… des instances dirigeantes du parti et donc, le parti même avait
assumé ce multipartisme et donc, il n’y avait pas lieu de dire on n’était pas,
le… contre, parce que c’était une loi qui était votée.
Il est clair qu’il y a eu des critiques de plusieurs personnes, de
plusieurs personnes au Rwanda, parce qu’au moment où on avait la guerre qui
a commencé le 1er octobre, il y a eu quand même des décisions qui
ont miné la cohérence à l’intérieur et qui ont été critiquées de partout. Il
y a eu d’abord la dévaluation en octobre, en novembre, le 9 novembre 90 et il
y a eu la création du multipartisme donc, qui a généré toute une série de manipulations,
que ce soit au sein du parti politique existant ou des nouveaux partis. Donc,
les critiques existaient un peu partout, il y a eu des écrits, il y a eu des,
des gens qui sont morts pour ça, mais j’ai pas entendu HIGANIRO, je n’ai vu
aucun écrit de, de sa part mais il y a eu des critiques dans le pays, qu’on
peut trouver ailleurs. Donc, c’est pas… c’était pas… c’était courant d’émettre
des critiques à ce niveau-là.
Le Président : Une autre
question ?
Me. EVRARD : Monsieur le
président, on annonce les dernières questions et il y en a toujours une qui
vient…
Le Président : Ah, oui, ça…
Me. EVRARD : Le témoin nous
a dit être de Butare. Et il a parlé de la SORWAL, si je l’ai bien compris, étant
soit une entreprise privée, soit un parastatal. Je voudrais qu’il précise ce
point, première chose.
Deuxième chose : a-t-il eu des contacts suffisants avec Butare
que pour avoir, à sa connaissance, une opinion sur l’attitude de monsieur HIGANIRO
à Butare, notamment participation à des meetings ou d’autres choses, vous l’avez
posée mais, je pense, pour Kigali, et la façon également dont il était perçu
dans la ville de Butare.
Le Président : Bien. Non
seulement les questions arrivent mais le sablier s’écoule, hein, ça, je vous
le signale aussi.
Bien. Euh… la SORWAL : société parastatale, société privée ?
le témoin 114 : Les… si
j’ai bonne mémoire, l’état avait des parts dedans et donc, c’est à ce titre
qu’il pouvait nommer quelqu’un dans la société.
Le Président : Monsieur HIGANIRO,
à Butare, lorsqu’il est directeur général de la SORWAL, vous-même êtes à quel
endroit à cette époque-là, depuis 92 ?
le témoin 114 : Je travaille
à Kigali, mais je rentrais chaque week-end étant donné que ma famille et ma
belle-famille habitaient à Butare, je rentrais chaque, pratiquement chaque week-end.
Et j’avais mes parents donc, euh… étant donné aussi mes activités après avoir
quitté le gouvernement, mes activités dans le monde associatif, je… je voyageais
beaucoup dans la… dans la région et donc, je suis très bien au courant de ce
qui se passait. Pendant cette période, j’étais informé de ce qui se passait
dans ma commune et dans les communes environnantes.
Le Président : Donc, vous
ne voyiez pas, à cette époque-là, Monsieur HIGANIRO participer à des réunions
publiques de partis politiques.
le témoin 114 : Non, il
n’a jamais pris la parole, participé ou même, non, en tout cas pas, non, à ma
connaissance, non.
Le Président : Savez-vous
si, dans la population de Butare, son arrivée a été bien ou mal perçue ?
le témoin 114 : Je peux
dire : « On l’ignorait », parce que bon… on avait des… c’est
pas une ville, c’est une petite ville mais c’est une ville où on était habitué.
Il y avait l’université, il y avait des… il y avait d’autres usines, il y avait
des instituts supérieurs, il y avait des professeurs, donc, c’était pas, c’était
pas, c’était pas un événement que quelqu’un puisse être nommé là-bas. D’autant
plus aussi qu’on avait dans cet équilibre aussi dont on parlait, on avait aussi
des gens de Butare qui travaillaient dans d’autres entreprises parastatales
ailleurs, et donc, ce n’était pas nécessairement que ce soit un poste qui soit
dévolu par quelqu’un d’autre. Et donc, ça semblait normal.
Le Président : Bien. Autre
question ? Plus de question ? Les parties sont d’accord pour que le
témoin se retire ? Monsieur, avant que vous ne vous retiriez, je dois vous
demander si vous confirmez les déclarations que vous avez faites, si vous persistez
dans vos déclarations ?
le témoin 114 : Oui, je
persiste.
Le Président : La Cour vous
remercie pour votre témoignage. Vous pouvez disposer librement de votre temps.
le témoin 114 : Merci.
Le Président : Mesdames et
Messieurs les jurés, vous êtes d’accord pour que l’on aille peut-être un tout
petit peu au-delà de 17h30 puisqu’il n’y a plus qu’un témoin à entendre ?
Mais je vous signale qu’il va y avoir un flot de questions pour ce témoin.
Donc, Monsieur le témoin 14 peut approcher. |