assises rwanda 2001
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Instruction d’audience A. Higaniro Audition témoins compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction d’audience A. Higaniro > Audition témoins > le témoin 146
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7.3.26. Témoin de contexte: le témoin 146

Le Président : L’audience est reprise.  Vous pouvez vous asseoir.  Les accusés peuvent prendre place. Monsieur l’huissier, vous pouvez faire approcher le témoin suivant : Monsieur le témoin 146. 

Monsieur, quels sont vos nom et prénom ?

le témoin 146 : Je m’appelle le témoin 146, euh… et, plus fréquemment, on m’appelle Willy.

Le Président : Quel âge avez-vous ?

le témoin 146 : J’aurai 71 ans, le 12 juin de cette année.

Le Président : Quelle est votre profession ?

le témoin 146 : Je suis retraité de la construction. J’étais entrepreneur général.

Le Président : Quelle est votre commune de résidence ou de domicile ?

le témoin 146 : Fontaine-l’Evêque, 6140.

Le Président : Connaissiez-vous, Monsieur le témoin 146, les accusés, Monsieur NTEZIMANA, Monsieur HIGANIRO, Madame MUKANGANGO, Madame MUKABUTERA ou certains d’entre eux,  avant le mois d’avril 1994 ?

le témoin 146 : Oui. Je connais seulement Monsieur HIGANIRO avant, effectivement, avril 94

Le Président : Etes-vous de la famille des accusés ou des parties civiles ?

le témoin 146 : Non, ni l’un, ni l’autre.

Le Président : Etes-vous attaché au service des accusés ou des parties civiles par un lien de contrat de travail ?

le témoin 146 : Non.

Le Président : Je vais vous demander, Monsieur le témoin 146, de bien vouloir lever la main droite, et de prêter le serment de témoin.

le témoin 146 : Je jure de parler sans haine et sans colère…

Le Président : Sans crainte.

le témoin 146 : …et sans crainte, et de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président : Je vous remercie, vous pouvez vous asseoir. Monsieur le témoin 146, vous venez de dire, il y a quelques instants, que vous connaissiez Monsieur HIGANIRO avant le mois d’avril 1994. Pouvez-vous exposer dans quelles circonstances, et à quelle époque vous avez fait la connaissance de Monsieur HIGANIRO ?

le témoin 146 : Je l’ai rencontré dans le cadre d’une mission de contrôle. J’étais, à ce moment, envoyé par l’ONG, organisation non gouvernementale, bien sûr, Nord-Sud Coopération, dont le siège est à Mons. Cela se situait, si j’ai bonne mémoire, dans le courant du mois de mars 90. J’étais chargé d’établir des contacts et de vérifier si certains travaux, qui étaient subsidiés par l’ONG, étaient correctement faits et s’ils étaient bien au niveau des états d’avancement qui étaient présentés.  Monsieur HIGANIRO est venu nous accueillir à l’aéroport et, disons, m’a aidé un petit peu à connaître les différentes personnes que je devais rencontrer au cours de cette mission. Il était… il n’était pas directement concerné par ma mission, cette fois-là. Je l’ai rencontré de nouveau en 93 où là, c’était directement avec lui que j’ai eu contact pendant une quinzaine de jours. Il avait sollicité l’aide de l’ONG pour la construction d’un… disons d’une école, d’une école pour infirmières, à Kabaya. Là, je l’ai rencontré pratiquement tous les jours, et disons que j’ai parfait la connaissance que nous avions esquissée lors de mon premier séjour. 

Le Président : Vous avez donc eu, en tout cas lors de votre second séjour au Rwanda, de fréquents contacts avec Monsieur HIGANIRO,

le témoin 146 : Oui, pratiquement journaliers, Monsieur le président

Le Président : Avez-vous notamment été invité chez lui ?

le témoin 146 : J’ai été invité chez lui, d’ailleurs déjà à mon premier séjour, et le second, j’ai été invité effectivement. Il faut dire que nous résidions à l’hôtel Méridien qui est en bordure du lac Kivu, et à cette occasion-là, j’ai été invité chez lui, à passer la soirée, environ à trois kilomètres de là peut-être, dans sa résidence.

Le Président : Sa résidence, avait-elle un accès direct avec le lac Kivu ?

le témoin 146 : Oui, il y avait même, je ne sais pas comment on peut appeler ça, disons une rampe qui permettait d’y mettre un bateau. Oui.

Le Président : Des contacts que vous avez pu avoir avec Monsieur HIGANIRO, à cette époque, comment décririez-vous sa personnalité ?

le témoin 146 : Je crois que c’était un homme particulièrement attaché à son pays et à sa région. Il avait des projets assez importants, comme cette école d’infirmières, et il y était réellement très attaché. Il connaissait les plans par cœur, il connaissait les implantations. Il m’a fait, à cette occasion-là, visiter l’hôpital de Kabaya qui n’est pas un hôpital à montrer en exemple, et il m’a bien fait comprendre que cette école d’infirmières était importante. C’était un homme extrêmement posé, posé, je dirais en wallon : « Qu’il met un pied devant l’autre », c’est-à-dire avec beaucoup de sûreté ; il exposait ses programmes, il avait une formation comptable certainement, parce qu’il discutait chiffres, il discutait également de quantités, mètres carrés, mètres cubes, etc. avec beaucoup d’occupation.

Ce projet-là, en tout cas, il le connaissait parfaitement bien. Sur le plan familial, j’ai eu l’occasion, lors de mon premier séjour, de rencontrer son épouse et ses enfants, et d’être reçu dans une autre maison, mais je pense que celle-là, c’était un appartement de location, c’était à Gisenyi, et disons que nous avons passé la soirée ensemble avec mon président de l’époque, Monsieur Marcel COLLARD. Nous avons été très, très bien reçus. Nous avons pu parler des études de l’épouse, d’une opération qu’elle avait subie en Belgique, etc. enfin, disons des choses, je ne vais pas dire banales, mais qui nous concernaient l’un et l’autre, en tant que personnes. Nous apprenions à faire connaissance, disons.

Le Président : Au cours des entretiens que vous avez eus avec lui, vous a-t-il laissé transparaître des opinions politiques ?

le témoin 146 : Non, à aucun moment. La seule réaction qu’il ait eue, c’est un jour où nous avions quitté Kigali pour aller je ne sais plus vers quelle localité, parce que je m’occupais également de conduites d’eau et de ponts, et nous avons été arrêtés à un barrage militaire. Je dois dire que les plaisanteries étaient assez lourdes, à ce moment-là ; les militaires avaient l’air d’être saouls, et la question était de savoir s’ils l’étaient encore de la veille, ou s’ils l’étaient déjà du jour. Enfin, c’était autre chose.  Toujours est-il que nous avons produit nos papiers et il a produit lui-même sa carte d’identité. Et je me suis étonné de ces contrôles, et il m’a dit : « Oui, on contrôle tout le monde sur la route, ici, parce que nous ne sommes pas loin des rebelles, nous sommes d’ailleurs sous leurs feux éventuels ».  Il y avait des collines tout autour, disons que cela nous a mis un peu mal à l’aise. Au point de vue politique, il ne m’a jamais, jamais fait la moindre allusion, ni à ceux qui étaient en exil, ni à ceux qui étaient là, rien du tout. Je sais qu’il était bien vu, me semble-t-il, à l’ambassade de Belgique, parce qu’il nous a accompagnés une fois, là-bas. Et disons que c’était une personnalité estimée. Je parle de Kigali, ici.

Le Président : Cet épisode du contrôle par des militaires, cela se situe lors de votre visite, en juillet 1993 ?

le témoin 146 : En 1993, c’est bien celle-là, oui.

Le Président : Vous avez exposé, notamment, qu’à propos de ce contrôle, lorsque vous avez été entendu il y a déjà fort longtemps par la police judiciaire, que… vous avez exposé que dans la zone ou vous circuliez, les Hutu étaient systématiquement contrôlés, et vous vous étiez étonné de la manière dont les militaires auraient pu identifier telle ou telle personne.  Monsieur HIGANIRO vous aurait désigné son visage, semble-t-il, sur le visage cela peut se lire, et vous a précisé aussi que l’ethnie était indiquée sur la carte d’identité des Rwandais.

le témoin 146 : Oui, c’est exact, c’est exact. Il m’a montré son visage, qui est effectivement rond, et qui présente, vu de l’extérieur, peut-être toutes les caractéristiques des Hutu, et il m’a montré, effectivement, sur sa carte d’identité, que les Hutu, disons l’ethnie, était indiquée. J’ai vu qu’il y avait d’autres contrôles mais, effectivement, je n’ai pas pu remarquer s’il n’y avait que des Hutu ou s’il y avait, de temps en temps, quelques Tutsi.  Toujours est-il que le barrage, là, était manifestement, euh… enfin, disons qu’on est resté plus longtemps parce que c’était peut-être un Hutu, parce que ce n’était pas des Tutsi. Le contrôle a duré une bonne dizaine de minutes. Nous étions très mal à l’aise parce qu’ils étaient armés, bien sûr.

Le Président : Vous n’avez pas entendu, sur ces collines occupées par les rebelles, des coups de feu, à l’époque ?

le témoin 146 : Non, non, nous n’avons pas entendu de coups de feu. Non, non.

Le Président : Vous avez ensuite rencontré Monsieur HIGANIRO, semble-t-il, en septembre 1993, à Bruxelles, alors ?  Il serait venu…

le témoin 146 : Oui, effectivement. Monsieur HIGANIRO, semble-t-il, venait assez régulièrement en Belgique. Mais cette fois-là, à l’initiative de Monsieur COLLARD, nous nous sommes rencontrés dans un restaurant de Bruxelles. Et Monsieur HIGANIRO venait pour des affaires personnelles, je ne sais pas exactement lesquelles, mais nous avons envisagé à ce moment - je dois dire que je faisais entièrement confiance et je fais toujours entièrement confiance en cet homme - d’avoir une collaboration commerciale. C’est-à-dire que nous aurions importé des pièces de télévision ou éventuellement de PC, qui auraient été montées dans une usine, là-bas, au Rwanda. Le projet est tombé à l’eau assez rapidement vu les événements du Rwanda, mais à ce moment-là, c’était bien parti. Disons que nous avions des confiances réciproques.

Le Président : Lorsque Monsieur HIGANIRO et sa famille se sont réfugiés en Belgique, a-t-il, lui ou des membres de sa famille, pris contact avec vous ?

le témoin 146 : Oui. Oui. Il m’a d’abord envoyé une lettre à laquelle j’ai répondu, bien sûr. Je ne connaissais pas les événements directement, comme on les connaît maintenant, mais de toute façon, j’avais énormément de sympathie pour cet homme. J’ai répondu. Et il m’a sollicité, à ce moment-là, pour avoir la possibilité d’occuper un emploi dans l’enseignement. J’ai regardé un peu autour de moi, c’était extrêmement difficile, puisqu’il n’avait pas de statut de réfugié. Enfin, disons que c’était extrêmement difficile. Et par après, j’ai reçu son épouse, j’étais en fonction au Tribunal de Charleroi, j’ai rencontré deux fois son épouse qui m’a demandé aide, une aide financière et surtout un appui pour se… disons, se démêler un petit peu de la justice belge. J’ai appris à ce moment-là, avec beaucoup d’étonnement, qu’il avait été arrêté. Nous avons correspondu pendant son internement, et disons que toutes ses lettres étaient pleines d’espoir, c’étaient des lettres gentilles. Il manie la plume avec beaucoup d’élégance, et disons qu’il m’a fait connaître, à ce moment-là, peut-être d’une façon plus approfondie, ce qui s’était passé, disons, les difficultés qu’il y avait d’être Hutu, d’être Tutsi ou d’être un peu les deux, parce que, si j’ai bonne mémoire, la maman de son épouse est une Tutsi. Voilà, disons que j’en suis resté là avec lui. Quand il a été libéré, il a demandé à me rencontrer. Nous l’avons vu et je lui ai procuré une habitation sociale, dans ma commune, à Fontaine-l’Evêque. Il y réside là, actuellement, avec sa femme et ses deux enfants, qui sont parfaitement acclimatés et qui font des études, que je qualifierais de brillantes, à l’athénée de Fontaine-l’Evêque.

Le Président : Y a-t-il des questions à poser au témoin ? Maître BEAUTHIER ?

Me. BEAUTHIER : Merci, Monsieur le président. Monsieur le témoin 146 quand il était en voyage en juillet 1993, était-il accompagné de Monsieur SCULLIER ?

Le Président : Avez-vous été, lors de ce voyage en juillet 1993, accompagné de Monsieur SCULLIER ?

le témoin 146 : Effectivement, j’ai eu Monsieur SCULLIER lors du second voyage, et Monsieur COLLARD, lors du premier.

Me. BEAUTHIER : Qu’est-ce qui pouvait rapprocher, Monsieur le président, des écoles d’infirmières et une usine d’allumettes ?

le témoin 146 : Je crois… je peux répondre ? Je crois que Kabaya était la localité, ou en tout cas, était assez proche du village natal de HIGANIRO.  Butare, où l’usine d’allumettes était installée, je n’y suis jamais allé, je ne sais pas comment elle était.

Le Président : Une autre question ?

Me. BEAUTHIER : Oui, Monsieur le président. Le témoin n’a-t-il parlé à Monsieur HIGANIRO, que des questions de construction d’écoles d’infirmières ou bien y avait-il, pendant ces quinze jours, d’autres objets de conversation ?

le témoin 146 : Oui, effectivement, il m’a fait part d’autres projets qu’il avait là-bas. Entre autres, j’en ai parlé tantôt, de financement de conduites d’eau dans des villages où il n’y en avait pas, d’un pont sur un cours d’eau, que je suis allé voir d’ailleurs, des ponts tout à fait rudimentaires. Mais enfin oui, il avait la tête pleine de projets, pleine de projets.

Me. BEAUTHIER : C’est ça, je vous remercie. La tête pleine de projets, donc c’était, comme vous l’avez dit, une personnalité qui maniait bien l’écriture. Donc, quand Monsieur HIGANIRO écrit quelque chose, il lèche peut-être sa plume et il la plonge trois fois dans l’encrier avant de savoir ce qu’il veut dire. Bref, c’est un homme d’affaires

le témoin 146 : Moi, je ne l’ai connu qu’en tant qu’homme d’affaires, effectivement, et là, c’était un Monsieur très bien, oui.

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, Monsieur le témoin 146 a-t-il habité avenue Grand Moulignon, ou rue Grand  Moulignon ?

le témoin 146 : C’est effectivement la rue où je suis né, la rue Grand Moulignon, et j’y ai habité jusqu’à l’âge de 66 ans.

Me. BEAUTHIER : C’est une question, Monsieur le président. Pouvez-vous poser la question de savoir à quel numéro Monsieur le témoin 146 était domicilié, rue Grand Moulignon ?

le témoin 146 : Je vais vous demander de préciser la question parce que j’y ai habité, sur mes 66 ans, à cinq numéros différents.

Me. BEAUTHIER : C’est ce que je croyais bien.  Est-ce que la société EAG était domiciliée dans une de ces maisons ?

le témoin 146 : Je n’ai pas bien saisi le nom de la société ?

Me. BEAUTHIER : EAG

le témoin 146 : Non, ça ne me dit rien du tout, Monsieur.

Me. BEAUTHIER : Je vous remercie, Monsieur le président.

Le Président : Maître FERMON ?

Me. FERMON : Monsieur le président, le témoin nous a dit qu’il avait fait une première mission, si j’ai bien entendu, en mars 1990, pour l’ASBL Nord-Sud, et que Monsieur HIGANIRO l’avait accueilli à l’aéroport, à l’occasion de cette mission. Est-ce que le témoin peut nous dire quel projet il était… ce n’était pas le projet de Kabaya, si j’ai bien compris. Quel autre projet est-ce qu’il allait contrôler à ce moment-là ?

le témoin 146 : Non, effectivement, il n’y avait pas que ce projet-là.  Il y en avait un autre, mais vous m’excuserez, je ne me souviens pas très très bien. C’était l’agrandissement ou la finition d’une école technique qui était dans la région du lieu de naissance du président, à l’époque, une école technique, et de la construction de deux habitations pour résidents qui allaient participer à la, disons, à la direction, qui allaient donner des cours, qui étaient censés donner des cours, à cette école. C’était sur une colline, et je ne me souviens pas exactement, mais je suis allé à plusieurs reprises, pendant mon premier séjour. C’est bien malheureux à évoquer mais c’est là que notre délégué de Nord-Sud Coopération a été tué lors des événements.

Me. FERMON : Etait-ce l’école de Rambura ?

le témoin 146 : Exactement ! C’est Rambura, vous me rafraîchissez la mémoire, oui.

Me. FERMON : Est-ce que, Monsieur le président, le témoin peut nous dire qui était, je dirais, le président du pouvoir organisateur de cette école ?  Etait-ce Monsieur HIGANIRO ?

le témoin 146 : Non, ce n’était pas Monsieur HIGANIRO.  J’ai rencontré là-bas, j’ai aussi perdu le nom de vue, mais un colonel dont on parle assez régulièrement à la télévision, je pense, un colonel de l’armée rwandaise, un prêtre qui avait fait ses études au séminaire en Belgique, et un directeur qui s’appelait Valentin. Mais allez un peu… je ne pensais pas que vous m’auriez posé des questions de ce côté-là, je me serais rafraîchi la mémoire. Mais enfin, c’est bien là, c’est à Rambura.

Me. FERMON  : Est-ce que le colonel, Monsieur le président, qui était président de l’Association, pouvoir organisateur de cette école, dont on parle beaucoup à la télévision, est-ce que ce serait le colonel BAGOSORA ?

le témoin 146 : Oui, BAGOSORA, c’est cela. C’est cela, BAGOSORA. Il était d’ailleurs présent lors de ma première visite là-bas. Et je dois dire qu’il n’était pas en uniforme, je n’ai pas su directement qu’il était colonel.

Me. FERMON  : Est-ce que, du fait que Monsieur HIGANIRO va accueillir le témoin à l’aéroport à l’occasion de cette mission, est-ce qu’on peut en déduire que Monsieur HIGANIRO connaissait le colonel BAGOSORA à ce moment-là ?

Le Président : Avez-vous pu constater qu’ils se connaissaient, qu’ils avaient des liens ?

le témoin 146 : Oui, je pense effectivement qu’ils se connaissaient.  Mais quand Monsieur HIGANIRO est venu nous accueillir à l’aéroport, ce n’est pas nécessairement moi qu’il venait… parce que je ne le connaissais pas, c’était surtout Monsieur COLLARD, qui s’étaient déjà rencontrés à maintes reprises, là-bas, au Rwanda. Mais enfin, il est vraisemblable qu’ils se connaissaient.

Me. FERMON : Est-ce qu’à l’occasion de cette mission, Monsieur le président, est-ce que le témoin a aussi vérifié et fait des vérifications à propos d’un autre projet de Nord-Sud, dans le collège Saint-Fidèle à Gisenyi ?

le témoin 146 : Effectivement, j’y suis allé la première fois, mais ce n’était pas une question de vérification, c’était une question d’implantation. J’ai même, à l’occasion, fait un relevé sur place pour faire des agrandissements, effectivement, à Saint-Fidèle. J’y suis retourné avec Monsieur SCULLIER, qui était un ancien enseignant de là-bas, lors de mon second séjour, et nous avons pu constater, mais sans surveillance, que les travaux étaient effectivement faits.

Me. FERMON : Est-ce que, Monsieur le président, le témoin pourrait nous dire qui était le président du pouvoir organisateur de cette école Saint-Fidèle, à Gisenyi ?

le témoin 146 : C’est un nom imprononçable, mais enfin, son prénom était Séraphin, et il avait donné le nom de Saint-Fidèle, parce qu’il considérait que son père était un saint, et il s’appelait Fidèle. Ça, c’est pour l’anecdote.

Me. FERMON : Est-ce que, Monsieur le président, ce serait le nommé Séraphin RWABUKUMBA ?

le témoin 146 : Oui, maintenant que vous me citez ce nom, c’est bien, en tout cas, lui. Il ne doit pas y avoir beaucoup de Séraphin !

Me. FERMON : Est-ce que, Monsieur, est-ce que le témoin a pu constater, pendant ce séjour, que Monsieur HIGANIRO connaissait également, outre le colonel BAGOSORA, ce monsieur RWABUKUMBA ?

le témoin 146 : Je dois vous dire qu’il le connaissait, mais je dois vous dire aussi, et je vais parler, je suis sous serment, qu’il ne l’appréciait pas beaucoup !

Me. FERMON : Merci, Monsieur le président.

Le Président : D’autres questions ? Maître LARDINOIS ?

Me. LARDINOIS : Je vous remercie, Monsieur le président. Pouvez-vous… je suppose que quand l’ASBL Nord-Sud traitait avec Monsieur HIGANIRO, c’était en tant que président de l’ASBL Ibuka

le témoin 146 : C’est bien cela, Monsieur. 

Me. LARDINOIS : Est-ce que vous savez quelle est la signification du mot Ibuka ?

le témoin 146 : Ah non, je dois dire non !

Me. LARDINOIS : Monsieur HIGANIRO ne vous a jamais expliqué qu’Ibuka signifie « Souviens-toi » ?

le témoin 146 : Non, non, je dois dire, non, ça me paraît agréable à entendre à l’oreille mais non, je ne le savais pas

Me. LARDINOIS : Je vous remercie.

Le Président : Y a-t-il d’autres questions ?  Maître EVRARD ?

Me. EVRARD : Monsieur le président, le témoin nous a dit qu’il a eu des contacts avec Monsieur HIGANIRO lorsque celui-ci était en Belgique. Est-ce que, à la connaissance du témoin, Monsieur HIGANIRO a eu, d’une façon ou d’une autre, une activité de nature politique, ici, en Belgique ?

Le Président : A quelle époque ?

Me. EVRARD : A l’époque où Monsieur HIGANIRO se trouve en Belgique, et où le témoin le rencontre en Belgique.

Le Président : En 93, septembre 93 ?

Me. EVRARD : Non, quand il arrive en Belgique, le témoin nous a dit qu’il l’a aidé pour différents problèmes, un logement, une demande de poste d’enseignement.

Le Président : Ah ! Donc, après…

Me. EVRARD : Après ?

Le Président : Après son… sa volonté de s’établir en Belgique

Me. EVRARD : Tout à fait.

le témoin 146 : Il n’a jamais manifesté, ni discuté de politique avec moi. Je me suis fait répéter, à plusieurs reprises, le récit des événements. Je me souviens qu’il n’était pas à Butare pendant le, disons, les événements qui s’y sont déroulés. Il n’a jamais parlé de politique, il a simplement fait valoir, à plusieurs reprises, qu’il était croyant et religieux, et que ça l’assistait beaucoup dans les épreuves qu’il subissait. Mais au point de vue politique, jamais. Il n’a jamais eu non plus de parole, ni d’imprécation, ni de mot désagréable vis-à-vis du gouvernement actuellement en place.

Me. LARDINOIS : Une deuxième question, Monsieur le président, si vous le permettez. C’est une précision, parce que je n’ai pas tout à fait compris ce que le témoin a dit. Lors de la première visite que le témoin a effectuée au Rwanda, il est allé en présence… avec Monsieur COLLARD, si j’ai bien compris. Et si j’ai bien compris, Monsieur HIGANIRO venait accueillir Monsieur COLLARD, et à cette occasion-là, il a forcément accueilli le témoin ?

Le Président  : C’est bien ce que vous avez exprimé ?

le témoin 146 : Oui, oui, effectivement. Mais je vous dis, moi, je ne le connaissais pas. Il est surtout venu accueillir Monsieur COLLARD, et par la même occasion, moi-même, bien sûr. Il nous a conduits, le logement était réservé à l’hôtel des Mille Collines et, disons, nous a conduits jusque là. Nous avons, je m’en souviens encore, pris une bière sur la terrasse devant la piscine, et puis il est parti à ses affaires, et nous avons été à les nôtres.

Le Président : Oui ?

Me. LARDINOIS : Lorsque… Monsieur le président, peut-on demander au témoin si, lorsque l’on entend ici qu’il pense qu’il connaissait les autres directeurs des projets, c’est-à-dire les personnes dont on a parlé : Monsieur BAGOSORA qu’il n’a jamais vu en militaire et Monsieur… j’ai oublié le nom, mais quand il pense cela, est-ce qu’il a eu connaissance, dans les conversations et dans le séjour qu’il a eu avec Monsieur HIGANIRO, est-ce que des éléments sont sortis, qui lui permettent de faire dire qu’il y avait effectivement une connaissance entre ces gens-là ?

le témoin 146 : Non, je ne peux pas l’affirmer, mais je dois quand même rectifier un peu. J’ai finalement vu le colonel en uniforme. C’est quand il m’a accueilli les premiers jours, je ne l’ai pas vu en uniforme, entre autres, à l’école de Rambura, mais par après, j’ai su qu’il était colonel, et je l’ai vu en uniforme. Il portait d’ailleurs également un revolver et un béret rouge. Mais non, je ne peux pas imaginer qu’il y ait, je ne sais pas, qu’il y ait une association, peut-être, ou bien « souviens-toi », comme vous avez dit tout à l’heure. Non, il ne me semble pas qu’il… parce qu’il m’a présenté beaucoup d’autres personnes, aussi. Non, je ne pense pas que les rapports étaient plus particuliers entre lui-même, le colonel et d’autres personnes.

Le Président : Monsieur le témoin 146, lors de ce séjour, avez vous vu, ensemble, Monsieur HIGANIRO et le colonel BAGOSORA ?

le témoin 146 : Oui, certainement.

Le Président  : Oui, donc, à certains moments, vous les avez vus, vous les avez rencontrés, avec d’autres éventuellement, hein, mais… 

le témoin 146 : Oui, c’est cela.

Le président : …mais ce n’est pas séparément que vous avez vu l’un et l’autre ?

le témoin 146 : Non, ce n’est pas séparément. Je les ai vus ensemble, oui.

Me. EVRARD : Question subsidiaire, alors. Les voir ensemble, cela concernait, j’imagine, les projets pour lesquels le témoin était allé au Rwanda ?

le témoin 146 : Oui, effectivement, mais Monsieur HIGANIRO s’occupait, disons, des projets et le colonel s’occupait un peu plus, disons, des…  je vais mettre ça entre guillemets : des « excursions », c’est-à-dire des moments de détente que nous avions. Il y avait une jeep à notre disposition, lui-même y était souvent, en tout cas un chauffeur, et nous sommes allés visiter plusieurs endroits magnifiques, et à voir d’ailleurs, au Rwanda. Oui.

Me. EVRARD : Deux autres questions, Monsieur le président. Le témoin nous a dit qu’il y avait un projet d’importation au Rwanda, de matériel informatique concernant une entreprise. Est-ce que cette entreprise est la SORWAL ?

Le Président : Ce projet d’importation de pièces pour téléviseurs ou pour ordinateurs, cela concernait-il… ce projet concernait-il la SORWAL ?

le témoin 146 : Non, non, aucun nom n’a d’ailleurs été évoqué. C’était une société qui aurait été à constituer entre Monsieur COLLARD, peut-être à titre personnel, moi-même et Monsieur HIGANIRO. Mais, non, non, c’est beaucoup trop loin, nous n’avons jamais envisagé un nom de société, ni une participation en capital, ni quoi que ce soit. C’était un projet, et c’est resté un projet, avorté d’ailleurs.

Me. EVRARD : Une dernière question, Monsieur le président. Lors de l’épisode de l’arrêt au barrage, par les militaires, des papiers ont été présentés. Est-ce que, à la connaissance du témoin, Monsieur HIGANIRO a présenté une carte d’identité, comme tout citoyen, ou a-t-il eu le sentiment qu’il y avait un autre papier qui pouvait être présenté et qui serait une forme de laissez-passer un peu particulier.

le témoin 146 : Non, je suis formel, c’est bien sa carte d’identité parce qu’il m’a montré la photo qui était dessus, c’était bien la carte d’identité.

Me. EVRARD : Je vous remercie.

le témoin 146 : Je vous en prie, Monsieur.

Le Président  : D’autres questions ?  S’il n’y a… Maître BEAUTHIER ?

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, le témoin est fort complet. Je voudrais que vous lui posiez la question de savoir si, avec Monsieur HIGANIRO, il y avait d’autres projets avortés, donc, qu’il précise ; je m’excuse, mais c’est tout de même fondamental. Il y avait donc, construction d’une école d’infirmières, il y a eu, un moment donné, l’idée d’un pont, l’idée… on voit que le témoin est à la tête de plusieurs sociétés en Belgique, il y avait donc, j’imagine, d’autres projets en mouvance.

Le Président  : Etiez-vous, à l’époque, à la tête de plusieurs sociétés en Belgique, d’abord ?

le témoin 146 : Non, non. D’abord, j’y allais en tant que délégué de l’ONG, mais je n’étais pas… mon métier d’entrepreneur que j’étais toujours à l’époque, je n’y allais pas à ce titre-là. J’y allais parce que j’avais, je pense les avoir conservées, certaines capacités professionnelles, mais c’était uniquement à ce titre. Ma société n’a jamais été intéressée ni concernée d’y aller. Mais pendant que vous parlez de projets, il y était aussi question de l’implantation plus prononcée d’une fabrique qui s’appelait TRAVHYDRO, en Belgique, et DE COCK qui fournissait des échafaudages et des tubulaires au Rwanda. Mais je crois que c’est le seul contact que j’ai eu avec une entreprise belge, là-bas.

Me. BEAUTHIER : C’est cela. Donc, au fond, quand les personnes partent, elles partent avec éventuellement des projets et, c’est bien normal, différentes casquettes : ONG et puis, soi-même, en tant qu’entrepreneur.

Le Président : Je crois que le témoin vous a clairement répondu qu’il se rendait là uniquement au titre de membre d’une ONG.

le témoin 146 : Absolument, et parce que, semble-t-il, je dois dire que je fais partie depuis 20-25 ans de cette ONG, et que c’était à titre de…, je vais me mettre en évidence…, de compétences professionnelles, que je suis allé là-bas. Mais pas à titre personnel, absolument pas.

Me. BEAUTHIER : Je vous remercie.

le témoin 146 : Je vous en prie, Monsieur.

Le Président : D’autres questions ? Les parties sont-elles d’accord pour que le témoin se retire ? Monsieur le témoin 146, confirmez-vous les déclarations que vous venez de faire, persistez-vous dans ces déclarations ?

le témoin 146 : Je persiste, même si j’ai été un peu long, et je les confirme, peut-être ai-je oublié l’une ou l’autre chose, un petit détail peut-être, mais disons que tout ce que je vous ai dit est le reflet de la vérité.

Le Président : La Cour vous remercie pour votre témoignage. Vous pouvez disposer librement de votre temps.

le témoin 146 : Je vous remercie, Monsieur le président.