assises rwanda 2001
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Instruction d’audience A. Higaniro Audition témoins compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction d’audience A. Higaniro > Audition témoins > le témoin 103
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7.3.30. Témoin de contexte: le témoin 103 

Le Président : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place. Le dernier témoin prévu, peut approcher. Vous êtes bien sûr que ce n’est pas le même que le 3 mai ? Non, je ne crois pas. Monsieur, quels sont vos nom et prénom ?

le témoin 103 : Je me nomme le témoin 103.

Le Président : Quel âge avez-vous ?

le témoin 103 : Je suis né le 25 novembre 1954.

Le Président : Oui. Quelle est votre profession ?

le témoin 103 : Pour l’instant, je suis comptable.

Le Président : Quelle est votre commune de domicile ou de résidence ?

le témoin 103 : Molenbeek-Saint-Jean.

Le Président : Connaissiez-vous les accusés ou certains des accusés, avant le mois d’avril 1994 ?

le témoin 103 : Je connaissais seulement Monsieur HIGANIRO.

Le Président : Etes-vous de la famille de l’accusé ou de la famille des parties civiles ?

le témoin 103 : Non, non.

Le Président : Etes-vous attaché au service des accusés ou des parties civiles ? Donc, êtes-vous sous un lien de contrat de travail avec les accusés ou les parties civiles ?

le témoin 103 : Non. 

Le Président : Bien. Vous êtes entendu - il faudra l’indiquer au procès-verbal, bien que ça résulte déjà de la pièce déposée ce matin - à la demande de la défense de Monsieur HIGANIRO. Les autres parties, pas les parties civiles puisqu’il n’y a jamais de notification aux parties civiles, mais Monsieur l’avocat général ou les coaccusés s’opposent-ils à l’audition du témoin, sous serment ? Donc, vous indiquerez aussi qu’il n’y a pas d’opposition des parties. Je vais vous demander, Monsieur, de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment de témoin.

le témoin 103 : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président : Je vous remercie. Asseyez-vous, Monsieur. Monsieur le témoin, vous êtes en Belgique depuis combien de temps ?

le témoin 103 : Je suis en Belgique depuis novembre 1997.

Le Président : 1997. Depuis votre arrivée en Belgique, avez-vous eu des contacts avec Monsieur HIGANIRO ?

le témoin 103 : Aucun.

Le Président : Absolument aucun ?

le témoin 103 : Aucun.

Le Président : Aucun, aucun ? Ni par téléphone, ni par courrier ? Vous ne l’avez jamais rencontré en Belgique ?

le témoin 103 : La dernière fois que j’ai vu HIGANIRO, c’était lors de notre dernière… ma dernière réunion du Conseil d’administration dans la société qu’il dirigeait.

Le Président : Oui, vous situez ça à quel moment ?

le témoin 103 : C’était en 1993.

Le Président : En 1993. A quelle époque ? Vous savez encore, éventuellement ?

le témoin 103 : Je crois que mon dernier Conseil d’administration, là-bas, date du 19 mai.

Le Président : 19 mai ?

le témoin 103 : Ça a été mon dernier Conseil, en fait.

Le Président : 19 mai 1993 ?

le témoin 103 : Oui.

Le Président : Et vous parlez bien du Conseil d’administration de la SORWAL ?

le témoin 103 : De la SORWAL, oui.

Le Président : Vous étiez membre de ce Conseil d’administration depuis quand ?

le témoin 103 : J’étais membre du Conseil d’administration de la SORWAL depuis six ans. J’ai été nommé là-bas, en 1987, et ce jusqu’en 1993.

Le Président : Oui. Vous avez quitté le Conseil d’administration en 1993 ?

le témoin 103 : Oui.

Le Président : Pour quelle raison ?

le témoin 103 : Bon, euh… deux raisons, parce que la Banque rwandaise de développement que je représentais, venait d’ouvrir un bureau à Butare, alors, c’était plus économique pour la banque que quelqu’un sur place la représente au Conseil. La deuxième raison, c’est qu’en fait, mon travail là-bas semblait terminé puisque j’avais été nommé là-bas, en fait, pour suivre les paramètres de rentabilité de la SORWAL parce que je faisais partie du groupe qui avait étudié le projet de privatisation de la société. Je me suis retrouvé pratiquement là-bas avec les collègues qui représentaient d’autres bailleurs de fonds avec qui j’avais travaillé sur l’étude de faisabilité de la SORWAL. En 1993, pratiquement, l’équipement de production était bien rodé et puis, tous les paramètres de rentabilité étaient stables. Pour la banque, pratiquement, je n’avais plus rien à faire là-bas. Une autre raison, c’est que j’ai quitté la SORWAL, en fait, pour aller exercer d’autres… pour être détaché directement par la banque afin d’aller gérer une autre entreprise, cliente de la banque, qui, elle, avait des raisons… des problèmes plus sérieux parce que j’étais là pour assurer la gestion journalière de la société, ça s’appelle SORWASI.

Le Président : SOR… ?

le témoin 103 : SORWASI. C’est une entreprise qui produisait des tuyaux en PVC et qui était au bord de la faillite. Alors, j’ai été détaché pour aller m’occuper journalièrement de cette entreprise.

Le Président : C’est ça.

le témoin 103 : J’ai quitté la SORWAL et je suis parti dans cette entreprise, en novembre 1993.

Le Président : Hum. La BRD, dont la Banque Rwandaise de Développement, avait, à la SORWAL, un autre représentant à partir de votre départ du Conseil d’administration ?

le témoin 103 : Oui, quand j’ai quitté le Conseil, j’ai été remplacé par un représentant de la banque à Butare parce que nous avions un bureau là-bas.

Le Président : Et qui était éventuellement… Vous connaissez le nom de cette personne ?

le témoin 103 : Oui, oui, oui. Il s’appelle MURENZI, je crois.

Le Président : MURENZI ?

le témoin 103 : Oui.

Le Président : Comme vous êtes arrivé… enfin, plus exactement, quand vous avez été membre du Conseil d’administration de la SORWAL de 1987 à 1993, vous avez donc connu au moins deux directeurs généraux ?

le témoin 103 : Trois.

Le Président : Trois, même ?

le témoin 103 : Oui, parce que le tout premier était, venait directement de Swedish Match. Dans la période de transition, disons, de lancement du projet, l’installation des machines et le recrutement du personnel, les premiers essais de production, c’est un directeur général qui a été détaché par la société Swedish Match, qui assurait la direction de la SORWAL.

Le Président : Oui. Et ensuite ?

le témoin 103 : Ensuite, bon, il était directeur général et puis, dans la convention de financement, il devait être secondé par un Rwandais, c’est-à-dire NGIRIRA Mathieu. Quand la période d’essai a terminé, c’est NGIRIRA Mathieu qui a pris la direction générale. NGIRIRA Mathieu a été remplacé par HIGANIRO pratiquement en 1992.

Le Président : C’est ça. Savez-vous les motifs pour lesquels Monsieur NGIRIRA a été remplacé par Monsieur HIGANIRO ?

le témoin 103 : Oui.

Le Président : Puisque vous étiez au Conseil d’administration. Etait-ce une décision du Conseil d’administration ?

le témoin 103 : Oui, oui,oui parce que je pense même qu’il était question aussi du traduire en justice. Monsieur NGIRIRA, je pense que sa gestion n’a pas été très bonne, n’a pas été bien appréciée pendant qu’il a passé à la tête de la SORWAL. Je pense que nous avions accumulé des pertes énormes, je ne me rappelle plus du montant, mais ça avoisinait les 100 millions de francs rwandais d’alors. Ces pertes, c’était quoi ? C’était, il ne payait pas de taxes, il ne payait pas d’impôts, taxes sur les ventes, il ne payait pas d’impôts sur le personnel. Je pense même qu’il avait adopté une politique commerciale qui nous embarrassait beaucoup parce que les ventes que… il vendait des allumettes aux commerçants de Gisenyi ou des commerçants frontaliers avec le Congo, en espérant évidemment décoller la production de l’autre côté, et il ne percevait pas de taxes. Au Rwanda, on appelle ça « impôts sur le chiffre d’affaires ». Normalement, dans le temps, au Rwanda, les exportations étaient exonérées, mais ce n’était pas automatique. Il fallait s’adresser à l’administration pour avoir les documents qui prouvaient bien qu’une entreprise était exonérée des taxes à l’exportation. Monsieur NGIRIRA ne l’a pas fait, n’a demandé aucun document et pourtant, il n’a payé aucune taxe.

Autre chose qui nous embarrassait beaucoup au Conseil, c’est qu’il pratiquait des rabais importants sur les ventes, sur les boîtes d’allumettes destinées à l’exportation entre guillemets. Les rabais étaient tellement importants que les commerçants revendaient les boîtes d’allumettes au Rwanda parce qu’ils étaient toujours plus concurrentiels par rapport aux boîtes que nous produisions, étant donné les rabais. Alors, à un moment donné, le stock des boîtes d’allumettes était énorme dans le pays et nous étions sur le point de connaître des difficultés très, très sérieuses, et jusqu’à la faillite, parce que, quand nous nous sommes rendu compte de la situation, nous avons recouru au service des experts-comptables. Nous pensions qu’il y avait eu des malversations de quelque sorte. Finalement, les experts-comptables ont découvert que les pertes accumulées par l’entreprise au cours de cette période, provenaient de cette façon d’agir de Monsieur NGIRIRA. C’était beaucoup, et nous avons décidé du mettre à la porte. Nous avions aussi recruté un service Conseil pour nous aider à monter le dossier devant la justice, parce que nous avions commis, disons que nous nous sommes rendu compte quand même que nous avions commis aussi une faute comme Conseil, parce que nous n’avions pas un contrat avec Monsieur NGIRIRA. L’Etat l’avait nommé là, nous l’avions accueilli, et la société n’avait signé aucun contrat avec lui. Alors, il nous était difficile, très difficile du traduire en justice, parce que lui, disait qu’il était l’Etat, et nous ne pouvions pas traduire l’Etat comme tel, en justice, c’était compliqué. Finalement, il a été très malade. Je pense que cette maladie l’a emporté. Et je pense qu’à un moment donné le Conseil a mis fin à ces poursuites judiciaires.

Le Président : Hum. Le Conseil d’administration se réunissait combien de fois par mois, ou par an, ou par… euh… ?

le témoin 103 : Disons qu’en principe, c’était une fois par trimestre mais, il arrivait que nous en faisions plus parce que je me rappelle qu’en 1993, nous avons eu un Conseil d’administration en mars et nous en avons eu un autre en mai. En mars, c’était pour examiner le rapport des experts-comptables. En mai, c’était dans le cadre statutaire.

Le Président : C’est ça. Donc, en principe tous les trois mois, sauf exception, le Conseil d’administration se réunissait. Recevait-il à cette occasion des comptes, des rapports de la part, notamment, du directeur général ?

le témoin 103 : Oui, oui. Je pense qu’après les déboires avec NGIRIRA, nous avons été évidemment durs. Nous avons instauré un système de gestion très dur pour le directeur général parce que, pour le nouveau évidemment, parce que nous avons exigé qu’il nous remette un rapport trimestriel reprenant la trésorerie, la situation des clients et les prévisions pour le trimestre suivant. C’était rigoureux, il devait s’en tenir à ça. C’était pour éviter qu’on intervienne encore une fois un peu tard, comme dans le cas de NGIRIRA.

Le Président : Bien. Lorsque Monsieur HIGANIRO est devenu directeur général, vous semblez dire que le Conseil d’administration avait des exigences plus importantes qu’auparavant ?

le témoin 103 : Absolument. Nous avons même signé un contrat. C’était notre employé, en fait. Nous avons signé un contrat de travail. On voulait éviter que la situation se répète.

Le Président : Oui. Au moment où Monsieur HIGANIRO arrive et où Monsieur NGIRIRA quitte la SORWAL, y avait-il d’importants comptes de clients débiteurs à l’égard de la société ?

le témoin 103 : Ce que je me rappelle, c’est du temps de NGIRIRA parce que là, nos clients frontaliers présentaient des soldes débiteurs énormes.

Le Président : Qui étaient ces clients frontaliers ?

le témoin 103 : Franchement, je ne peux plus me rappeler, j’ai seulement une image vague de cette situation, je ne peux pas me rappeler des détails.

Le Président : Vous pouvez me dire qui était le responsable d’un de vos clients, d’un des clients de la SORWAL, qui est sans doute une société qui s’appelait Hardware Center ?

le témoin 103 : Pardon ?

Le Président : Il y avait un client de la SORWAL qui s’appelait Hardware Center. Qui était le responsable de ce client ? Je suppose que c’est une société. Hardware, ça ne ressemble pas à un nom rwandais et Center, ça ne ressemble pas non plus à un prénom rwandais, donc…

le témoin 103 : Je ne connais pas.

Le Président : Vous ne connaissez pas ?

le témoin 103 : Non.

Le Président : Monsieur HIGANIRO, c’est qui Hardware Center ?

Alphonse HIGANIRO : Je pense que c’était une société qui appartenait à Monsieur RUHUMURIZA ou sa femme, son épouse.

Le Président : HUMURIZA ? MUMURIZA ? Comment ? Monsieur ?

Alphonse HIGANIRO : Si je peux avoir le document comptable, je peux… C’est bien cela, Monsieur le président.

Le Président : C’est qui le responsable de Hardware Center ?

Alphonse HIGANIRO : C’est, en fait, c’est marqué ici, Madame RUHUMURIZA.

Le Président : MUMURIZA ?

Alphonse HIGANIRO : Oui. R-U-H-U-M-U-R-I-Z-A.

Le Président : Le prénom ?

Alphonse HIGANIRO : Je crois que c’était…

Le Président : Non, le prénom du mari ?

Alphonse HIGANIRO : Oui, c’est ça que je cherche, Monsieur le président.

Le Président : Phéneas ?

Alphonse HIGANIRO : Oui, je crois. Oui, c’est bien cela, Monsieur le président.

Le Président : Merci, Monsieur HIGANIRO. Ça vous dit quelque chose alors, ce client-là ? Hardware Center ?

le témoin 103 : Aucune idée.

Le Président : Aucune idée. Bien. Donc, vous dites qu’il y avait des clients qui présentaient un solde débiteur important au moment où Monsieur HIGANIRO reprend la gestion comme directeur général ?

le témoin 103 : Oui, oui. Je pense même qu’à cette occasion, parce qu’au départ c’était RWANDEX qui avait le monopole, plus ou moins le monopole de la commercialisation des boîtes d’allumettes et puis, à un moment donné, la situation nous a semblé un peu injuste. Nous avons demandé alors à la direction générale de chercher aussi d’autres clients, mais de limiter, étant donné le problème qu’on venait d’avoir. Nous avions aussi limité au niveau des rabais que la direction générale pouvait appliquer. Evidemment, je ne me rappelle plus des taux, de nouveau, mais tout ça, c’étaient des efforts dans le sens de limiter les dégâts, parce que nous venions d’être déçus.

Le Président : Bien. Et Monsieur HIGANIRO a changé la politique commerciale de la SORWAL à l’égard, notamment, des clients ?

le témoin 103 : Je pense que c’est plutôt le Conseil qui l’a changée.

Le Président : C’est le Conseil qui a changé et Monsieur HIGANIRO a…

le témoin 103 : Devait appliquer…

Le Président : Appliquer les directives du Conseil.

le témoin 103 : Absolument. Après NGIRIRA, je pense que le Conseil d’administration a pris la politique commerciale en main.

Le Président : Et cette politique commerciale consistait-elle, notamment, vous avez dit : « Recherche d’autres clients que RWANDEX » qui était quasiment le seul client de la SORWAL et qui était aussi l’actionnaire de la SORWAL ?

le témoin 103 : C’est vrai. Il s’agissait de chercher d’autres clients, mais en nombre limité, pour un peu, en dehors de RWANDEX évidemment, pour essayer d’encourager le commerce frontalier évidemment, mais dans le sens où NGIRIRA l’avait fait, mais aussi d’alimenter le marché local parce que je pense qu’on avait parlé de quatre ou cinq grands clients à travers tout le pays.

Le Président : Et le directeur général, a-t-il trouvé ces quatre ou cinq clients ?

le témoin 103 : Je ne me rappelle plus, mais je pense que…

Le Président : Est-ce qu’il n’en avait pas trouvé que deux ?

le témoin 103 : Oui, oui, je crois, pas tous, surtout qu’on venait d’exclure d’office, on devait exclure d’office ceux qui présentaient des soldes importants.

Le Président : C’est ça. Dans la politique commerciale de la société,       a-t-on exigé des paiements comptants plutôt que des crédits à 30 jours, 60 jours, 90 jours, des chèques datés ou post-datés ?

le témoin 103 : Si j’ai bonne mémoire, évidemment, il fallait encourager les paiements comptants, mais il y a des gens, certainement, qui se présentaient avec des camionnettes équipées, mais ce que je me rappelle qui était peut-être important, parce que c’est une décision du Conseil, c’est que, quand un client ratait une échéance, il fallait suspendre le crédit. Et quand il ratait deux échéances, il fallait le traduire en justice, et provisionner les créances douteuses. C’était ça, le principe.

Le Président : Et à l’égard de, je dirais, des créances qui étaient déjà douteuses parce que Monsieur NGIRIRA n’avait pas bien fait son travail, y a-t-il eu des poursuites à l’égard des clients qui se trouvaient ainsi débiteurs depuis un certain temps envers la SORWAL ?

le témoin 103 : Oui, certainement, certainement, mais je n’ai pas le détail. Je n’allais pas dans la gestion journalière évidemment, mais je crois que si on avait cherché du côté de la SORWAL ou même du Rwanda, dans les parquets, on aurait trouvé des gens que la SORWAL a poursuivis.

Le Président : C’est ça. Monsieur HIGANIRO, lorsqu’il est devenu directeur général de la SORWAL, a-t-il fait des propositions en vue d’améliorer la gestion de la société ? Des propositions au Conseil d’administration ?

le témoin 103 : Evidemment, quand je dis que… tout à l’heure, j’ai dit que…

Le Président : C’était le Conseil d’administration qui lui donnait des directives, avez-vous dit ?

le témoin 103 : Nous lui demandions des propositions parce que, comme tout Conseil, je pense qu’il demandait à la direction générale de nous présenter des propositions pour améliorer quelque chose, et c’est dans ce cadre-ci que HIGANIRO nous faisait des propositions. La plupart des éléments que je vous ai cités, ça provenait en fait de HIGANIRO, de son staff. Certaines propositions que nous trouvions raisonnables, nous les entérinions, d’autres, évidemment, nous les rejetions. Mais les principales suggestions, décisions du Conseil que je vous ai citées tout à l’heure, en fait, certaines provenaient de l’entreprise même. Bien sûr, c’était… parce que HIGANIRO entrait dans une situation, venait au moment où nous avions des problèmes avec NGIRIRA, je pense qu’il faisait aussi un effort pour être différent avec nous. Je pense que même quelquefois aussi au bureau, il me téléphonait pour demander des conseils. J’imagine que les autres, qu’il téléphonait aussi aux autres administrateurs. Je pense qu’il était très préoccupé d’être différent de NGIRIRA, sans aucun doute.

Evidemment, je n’ai pas examiné les états financiers de 1993, je pense que je ne les ai pas examinés. Peut-être on aurait vu quand même, ça pourrait, on aurait constaté un certain reflet quand même de son effort de gestion, parce qu’avec NGIRIRA, je vous ai dit que nous avions accumulé des pertes de l’ordre de 100 millions de francs rwandais. Avec une année seulement avec Monsieur HIGANIRO, je pense qu’on avait pu éponger les pertes jusqu’à -5, on avait des pertes cumulées de -5 millions et l’année suivante, une situation intermédiaire nous montrait un résultat positif de, je n’ai plus les montants, mais de plus de 50 millions de francs rwandais. Si bien que la situation s’améliorait très bien, très rapidement. Qu’est-ce qu’on devait faire en réalité ? Des efforts au niveau de la politique commerciale, des efforts aussi pour rembourser l’Etat. Et je pense qu’il a fait quand même… moi, disons, je ne le connaissais pas avant, mais maintenant en Belgique, on ne se voit pas, mais moi, je me rappelle de lui comme quelqu’un, comme un bon gestionnaire, en fait. Passer de -100 à +50 ou 60, je n’ai plus les chiffres en tête, en moins de deux ans, je pense quand même qu’il a reçu aussi les félicitations du Conseil.

Le Président : Vous n’habitiez pas Butare ?

le témoin 103 : Je sus originaire de Butare, mais j’habitais Kigali.

Le Président : C’est ça. Donc, vous veniez pour les Conseils d’administration ?

le témoin 103 : Voilà.

Le Président : Et vous ne rencontriez Monsieur HIGANIRO qu’à l’occasion de ces Conseils d’administration ?

le témoin 103 : Euh, pfft…

Le Président : Ou bien il vous invitait chez lui, vous l’invitiez chez vous ?

le témoin 103 : Non, non. Quelquefois, quand il avait un problème précis, il me téléphonait au travail, mais c’étaient des relations vraiment professionnelles.

Le Président : Bien. Y a-t-il des questions à poser au témoin ?

Le Juge Assesseur : Etait-ce le Conseil d’administration qui s’occupait de la politique d’engagement, qui engageait le personnel à la SORWAL ? Les ouvriers, le personnel qui y travaillait ?

le témoin 103 : Non, non. Nous, on se préoccupait des emplois jusqu’à un certain niveau, les directeurs, pas les ouvriers en tout cas, le personnel de cadre. En tout cas, c’est nous qui engagions le personnel de cadre.

Le Juge Assesseur : Et qui s’occupait d’engager le personnel ouvrier ?

le témoin 103 : Je pense que là, c’est vraiment la direction générale.

Le Juge Assesseur : Alors, comment vous pouvez expliquer, si je lis bien, que les valeurs réalisables à court terme clients, poste clients, sont passées en 1992, de 47 millions environ de francs rwandais, et en 1993, on les retrouve à 103 millions de francs rwandais ?

le témoin 103 : Les réalisables ?

Le Juge Assesseur : Oui. Il y a eu un événement particulier ?

le témoin 103 : Je ne sais pas. Peut-être si vous essayez de me donner les détails, je pourrais trouver des explications parce que c’est un compte qui peut, qui combine beaucoup d’éléments. C’est pas seulement les clients. Il y a aussi des provisions, peut-être, pour créances douteuses, c’est compris dedans ou c’est net, je ne sais pas.

Le Juge Assesseur : C’est le chiffre qui apparaît au bilan…

le témoin 103 : C’est difficile. Si on pouvait avoir la composition de ce montant.

Le Président : D’autres questions ? Maître EVRARD ?

Me. EVRARD : On a parlé de comptes annuels, de comptes trimestriels. Dans le cadre de l’accord technique avec la Swedish Match, n’y avait-il pas aussi… le directeur général n’avait-il pas à rendre compte également, à l’ensemble des actionnaires ou à certains actionnaires, des résultats mensuels ?

Le Président : Avez-vous connaissance de ce que le directeur général aurait dû rendre compte à des… à certains des actionnaires ou à certains membres du Conseil d’administration, non seulement tous les trimestres, mais bien plus régulièrement, tous les mois ?

le témoin 103 : Pour trimestriellement, oui, je pense que c’était une obligation depuis les déboires avec NGIRIRA, mais je pense que nous avions aussi demandé à Swedish Match ou à un actionnaire en tout cas, une assistance technique dans la mise en place de la comptabilité, je crois, une affaire comme ça. Je pense que ces contacts doivent se situer dans ce cadre d’assistance technique, à mon avis. Ce n’étaient pas des… ce n’étaient pas des rapports comme tels, officiels. C’étaient plutôt des données pour… que l’entreprise donnait à ces gens afin qu’ils puissent aider l’entreprise à la mise en place du système, à mon avis. Ce n’étaient pas des rapports comme tels.

Me. EVRARD : Monsieur le président, si je comprends bien le témoin, il n’y avait pas de rapports comme tels, mais il y avait, en tout cas, une assistance technique pour la comptabilité, extérieure à la comptabilité normale de la SORWAL ?

le témoin 103 : Je pense que ça a été au début parce que c’était difficile. Je pense même que c’était le Conseil qui avait demandé à un actionnaire en particulier, ou à un membre du Conseil, je pense que c’était l’actionnaire représentant… non, l’administrateur représentant l’Union allumettière belge, Monsieur BRETECHE, je pense que c’est à lui qu’on avait demandé cette assistance technique. Dans la pratique, je ne sais pas comment ça s’est passé. Ce que j’ai constaté, c’est que ça a été satisfaisant parce que je n’ai enregistré aucune plainte du côté de la direction générale. Je présume que tout s’est bien passé.

Le Président : Oui ?

Me. EVRARD : Si le Conseil d’administration avait constaté, à partir des documents comptables, des bilans, des comptes de résultats, de ces     - entre guillemets - rapports mensuels, certainement rapports trimestriels et annuels, si on avait pu constater que des sommes d’argent étaient soustraites pour des activités non mentionnées, est-ce que le Conseil d’administration aurait eu l’attention attirée par cela et quelles mesures aurait-il pu prendre ?

le témoin 103 : Je ne comprends pas très bien la question parce que nous exigions justement ces rapports trimestriels pour pouvoir réagir à temps. Et c’est un rapport qui nous donnait non seulement des données sur la situation passée, mais qui devait obligatoirement aussi nous donner des prévisions pour le trimestre suivant. C’est pour cela que moi, je ne comprends pas très bien la question.

Me. EVRARD : Monsieur le président, la question est formulée et le témoin ne le sait pas, la question est formulée pour la raison suivante : des témoins précédents sont venus nous dire, faisant référence à des pièces de la presse, que la SORWAL, au temps de la direction de Monsieur HIGANIRO, aurait, et cela ressort d’une pièce du dossier, donné de l’argent pour financer les Interahamwe ou utilisé un mécanisme, je ne sais lequel, mais en tout cas qui devait trouver un rapport avec la comptabilité et les créances douteuses ou les clients douteux dont on parle et dont des listes sont publiées dans la presse et c’est l’objet de ma question, c’est de savoir si on parle de clients douteux, on parle de mécanismes portant sur un montant important de 95 millions de francs rwandais, si le Conseil d’administration avait vu, parce qu’il y a des contrôles réguliers, des fuites non justifiées par des ventes correspondantes ou pour toute autre raison, quelles dispositions aurait pris le Conseil d’administration à l’égard de Monsieur HIGANIRO ?

le témoin 103 : Euh… je crois comprendre un peu maintenant. Je pense que, comme je l’ai dit quelque part au début, notre politique, la nouvelle, je veux dire, c’était de suspendre toute livraison à crédit quand le client ratait une échéance et c’était rigoureux. Là, c’était vraiment vérifié. Quand le client ratait deux échéances et là on provisionnait au niveau comptable. On considérait ça comme une créance douteuse, c’est peut-être ça que vous diraient les chiffres, comment c’était tout à l’heure. A ce moment-là, le client devait être traduit en justice. Je me demande si le témoin… si j’ai le droit de poser une question, si le témoin qui a déclaré ça, a vérifié qu’il y avait des clients qui auraient outrepassé cette directive du Conseil et qui n’auraient pas encouru de poursuites judiciaires, ça, c’est une petite question. Autre chose que je voudrais ajouter, c’est que le Conseil d’administration de la SORWAL était vraiment varié, et ça évidemment, c’est après coup que je l’ai constaté. Quand nous avons eu la guerre, on pouvait quand même avoir droit à regarder en arrière pour voir un peu la composition de ce Conseil. Ce Conseil n’était pas seulement du parti qui a donné naissance aux Interahamwe, pas du tout. J’étais moi-même membre du… j’étais dans l’opposition, moi-même, j’étais du parti social-démocrate. Monsieur BIRARA était pro-FPR. Monsieur NDAHIMANA Emmanuel était PL mais tendance FPR. Il y avait aussi dans le personnel de cadre, comme le directeur administratif et financier était MDR. Le financement Interahamwe aurait été très difficile, en tout cas, il n’aurait pas échappé au Conseil d’administration. Si les administrateurs étrangers, peut-être, n’étaient pas sensibles à ce genre de problème, nous en tout cas, Rwandais, on aurait pu en tout cas nous rendre compte de la tricherie, absolument.

Me. EVRARD : Une autre question, Monsieur le président.

Le Président : Je vous en prie, Maître EVRARD.

Me. EVRARD : Je vous remercie. Le témoin l’ignore également, un témoin qui s’est présenté vendredi, a parlé d’un cabinet, d’un gouvernement bis, gouvernement fantôme où se serait trouvé Monsieur, excusez-moi pour la prononciation, NZIRORERA, et ce témoin économiste sociologue, expert au Tribunal international, est venu nous dire qu’il y avait, avec ce cabinet bis, un mode de financement via un certain nombre de sociétés rwandaises, dont la SORWAL. Le témoin peut-il nous éclairer à ce sujet ? Sait-il quelque chose sur ce point ?

Le Président : Savez-vous quelque chose à propos des cabinets fantômes rwandais ?

le témoin 103 : Aucune idée. Aucune idée, mais comme membre d’un parti d’opposition d’alors, je peux quand même reconnaître qu’il y avait une présence du MRND à la SORWAL, c’est sûr, présence remarquée, mais je ne connais pas ce cabinet. La présence du MRND était remarquable évidemment. Il y avait le président du Conseil, Mathieu NGIRIRA, le directeur général, HIGANIRO et puis, il y avait aussi un avocat Conseil, Monsieur KAREMERA Edouard, certainement aussi dans le personnel de cadre, il y avait des gens comme ça. Mais je dois vous avouer qu’avant la guerre, on se préoccupait très peu de connaître ce genre de truc, qui appartient à quelle ethnie, qui appartient à quel… Avant la guerre, on se préoccupait très peu, très peu de ce genre de données. Mais, après coup, je peux aussi constater effectivement qu’il y avait une présence remarquable du MRND, mais sur le plan technique, je pense que je n’ai rien à reprocher à ces hommes, surtout que le président du Conseil n’avait même pas de voix délibérative, c’était une sorte de… comment dirais-je, de modérateur parce qu’il n’avait pas de droit de vote, et puis, le directeur général n’avait pas de droit de vote au Conseil non plus, alors, moi, je… Présence du MRND ou pas, je pense que nous, on a fait notre travail comme des techniciens.

Le Président : C’était qui, ça, Monsieur Joseph NZIZORERA ?

le témoin 103 : NZIRORERA Joseph, oui, je le connais comme… il a été longtemps ministre des travaux publics au pays. Il était aussi dans, euh… un des cadres importants du parti du témoin 32.

Le Président : Tiens, et Monsieur HIGANIRO, il était un cadre important dans le parti MRND ou bien pas ? Selon ce que vous avez vécu de la vie politique rwandaise ?

le témoin 103 : Je sais qu’il était du MRND, mais ses activités politiques, je n’en ai aucune idée, aucune.

Le Président : Une autre question, Maître EVRARD ?

Me. EVRARD : Merci, Monsieur le président. Le témoin nous a parlé de la politique commerciale. Il vient de nous dire qu’avant la guerre, on ne se préoccupait pas des appartenances politiques. Dans une deuxième liste, et je me réfère à ce que le témoin expert, Monsieur GUICHAOUA, est venu dire vendredi, on semble faire des distinctions entre certains groupes de clients, et attacher à cette distinction, une coloration politique. Est-ce que cela relevait d’une politique déterminée par le Conseil d’administration ou, au contraire, le Conseil d’administration a-t-il toujours eu comme politique, d’accepter, comme on le ferait dans toute société, tout client en raison de sa solvabilité ?

Le Président : Vous avez compris la question ?

le témoin 103 : Oui, oui. J’ai retenu ça à la dernière partie de son intervention, exactement. Nous retenions les clients sur base de leur solvabilité, pas sur base de leur appartenance politique parce que ce serait risqué pour, une entreprise, d’adopter une telle politique. La SORWAL, nous produisions, par exemple à 70% de notre capacité. Mais je pense que l’objectif de toute entreprise qui se veut rentable est d’atteindre, d’arriver à une capacité maximale. Alors, nous ne pouvons pas, et surtout que nous ne savions même pas que quelqu’un était ça ou ça. Après coup peut-être, on s’est rendu compte, on peut se rendre compte qu’il y avait des gens de tel parti ou de tel parti, mais avant la guerre, c’était difficile de catégoriser ces gens, je vous assure. Nous, on se préoccupait très peu de connaître l’ethnie de nos voisins ou de… non, non, tout ça c’est une donnée très récente, malheureusement qui risque de faire du chemin.

Me. EVRARD : Monsieur le président, en ce qui me concerne, une dernière question.

Le Président : Oui.

Me. EVRARD : Et qui n’aura pas de sous-question. Le juge assesseur, Madame MASSART, a posé la question relative à la politique d’engagement et le témoin a répondu qu’en ce qui concernait le personnel, je dirais, subalterne, c’était une décision qui relevait du directeur général. Je voudrais poser au témoin la question suivante : la création des postes relevait bien du Conseil d’administration ?

Le Président : La création des postes, même subalternes ?

le témoin 103 : Oui, de toute façon, même si j’ai dit que le Conseil n’engageait vraiment pas le personnel subalterne, je pense qu’à un moment, quelque part quand même, le Conseil aussi était responsable, parce que nous devions voter ce budget. Alors, c’est à ce moment-là où on discutait : est-ce qu’il est nécessaire ou pas ? C’est à ce moment qu’on demandait au directeur général de justifier la création de tel ou tel poste ou bien l’instauration d’un tel ou tel avantage pour le personnel, etc. Quelque part aussi, je pense qu’on suivait ça.

Me. EVRARD : Je vous remercie, Monsieur le président.

Le Président : Y a-t-il d’autres questions ? Maître GILLET ?

Me. GILLET : Oui, Monsieur le président, je reviens à la question de la politique commerciale. Je viens de faire un bref calcul. Est-ce qu’il était normal, par rapport à la politique commerciale qui avait donc été décidée par le Conseil d’administration au début de l’année 1993, d’être plus sévère à l’égard des clients qui ne payaient pas ? Est-ce qu’il était prudent, dans cette optique-là, de se retrouver, de laisser aller la situation pour se retrouver à la fin 1993, comme les tableaux l’indiquent, avec 50 millions environ d’encours de clients, qui, notoirement, étaient des chefs d’Interahamwe ou des sociétés qui leur étaient liées ? Je veux dire, est-ce qu’il y avait, compte tenu de ce que l’on savait de la situation politique à l’époque, tout de même pas une imprudence de se lier à des gens comme cela, dans le cadre d’une politique commerciale qui est celle qui a été décrite par Monsieur HIGANIRO et rappelée par vous-même ?

le témoin 103 : Vous me citez un chiffre en termes absolus. En termes absolus évidemment, il est énorme, mais c’est par rapport à quoi ? A l’encours global. C’est combien l’encours global ? C’est 50 millions par rapport à quoi ? Le total, c’est combien ? Ça évidemment, je n’insiste pas.

Me. GILLET : C’est la moitié, ce sont les 103 qui ont été rappelés tout à l’heure.

le témoin 103 : Ce que je voudrais dire, c’est qu’il était difficile, avant la guerre, de savoir à qui on donnait la marchandise. Il est vrai qu’après, certaines personnes se sont rangées dans le camp des Interahamwe. Il y en a même qui n’étaient pas vraiment de cette idée avant la guerre et qui ont été forcées pendant les événements, à devenir des gens comme ça. Si, après coup, on trouve ces gens avec l’étiquette d’Interahamwe, bon, pour la direction générale ou pour le Conseil, avant la guerre, servir un tel client n’aurait pas constitué vraiment une faute ou un risque quelconque. Non, je ne crois pas, je ne vois pas pourquoi on veut lier une situation normale et puis, une situation d’après-guerre. Après tout, je ne sais même pas si les chiffres que vous citez, ce sont les chiffres de la comptabilité de Monsieur HIGANIRO ou si c’est une comptabilité après lui. Moi, je me trouve dans l’impossibilité de répondre à ce genre de question parce que pour moi, je parle seulement sur le plan des principes, catégoriser les clients, dire que ça venait du MDR, ça, du PSD, ça, des Interahamwe, je pense que c’est plutôt tendancieux.

Le Président : Une autre question ?

Me. GILLET : Une question un petit peu plus précise alors, au témoin. Est-ce qu’il fallait beaucoup se préoccuper des étiquettes politiques, à l’époque, pour savoir que Monsieur KAJUGA était le président des Interahamwe, que Monsieur le témoin 121 en était le vice-président, que Monsieur RUHUMURIZA en était le deuxième vice-président ? Est-ce que, à l’époque, c’était quelque chose qui ne se savait pas ou bien est-ce que ça se savait.

le témoin 103 : S’il vous plaît, même si ça se savait, nous ne savions pas que ces gens allaient nous tuer. C’est difficile. A ce moment-là, tout allait bien. Nous ne savions pas qu’un jour ces gens allaient se retourner contre les autres. Comment on aurait pu le savoir ? C’étaient des citoyens rwandais comme tout le monde. C’est seulement après que nous avons constaté que ces gens étaient différents, qu’ils étaient dangereux tout simplement. Je pouvais bien servir KAJUGA comme président Interahamwe parce que tous les partis avaient leur jeunesse. Je pense que le MDR avait sa jeunesse Inkuba, je pense que le PCD avait sa jeunesse abakombozi, mais tous les partis avaient leur jeunesse. Je ne vois pas pourquoi on aurait, la société aurait refusé de servir un membre de la jeunesse, de mon parti par exemple, ou un membre de la jeunesse du MDR, parce qu’au début, on ne savait pas que ces Interahamwe étaient dangereux, je vous assure, c’est après qu’on l’a su.

Le Président : Pourtant, Monsieur NTEZIMANA, dès 1990, 1991-1992, en 1992, dénonçait les milices Interahamwe.

le témoin 103 : Oui, nous les dénoncions parce que nous avions appris qu’ils suivaient des entraînements militaires quelque part, qu’ils recevaient des armes, etc. Mais bon, nous pensions qu’on les entraînait peut-être pour la guerre, mais pour nous, en tout cas, nous savions que même s’ils s’entraînaient, nous savions que peut-être nous allions essayer de les stopper parce que notre politique, parce que dans les autres partis aussi, nous avions nos jeunesses, et je pense qu’à un moment donné, c’était vraiment tout à fait à la mode d’avoir sa jeunesse. Mais à un moment donné, la jeunesse du MRND avait tous les moyens, formation, tout ça… Mais nous pensions que c’était tout à fait normal parce que c’était le président du régime en place, qu’il avait les moyens plus que nous. Nous ne savions pas qu’un jour ces exercices militaires, que ces armes, allaient se retourner contre les frères, contre les amis. C’est une situation qui a basculé, je pense, à un moment donné. Normalement, les Interahamwe étaient formés pour nous, pour lutter contre les membres de l’opposition, au départ c’était ça. Et nous le savions, c’est sûr, c’est que nous aussi, on y réfléchissait. Mais ils étaient plus forts.

Ils étaient formés pour, un jour, nous neutraliser, nous, dans l’opposition. Mais c’est pendant la guerre que, par exemple, quand le MRND a recherché l’unité des Hutu, par exemple, on a dû transformer le discours ; cette fois-là, c’était seulement pour les Tutsi qu’on priait les Hutu de se mettre ensemble. Et puis, c’est un discours qui a été repris à grande échelle par certains médias comme RTLM, ça a basculé à un moment donné. Normalement, c’était destiné à nous, ces Interahamwe et nous étions prêts à faire face, mais à un moment donné, je pense que ça a basculé, tout s’est transformé aux dépens de tout le monde.

Le Président : Une autre question ?

Me. GILLET : Oui, une toute dernière question, Monsieur le président. Toujours sur les Interahamwe, parce que je ne crois pas que ça sert à quelque chose de continuer. Je voudrais savoir si le témoin était au courant que les organisations de défense des droits de l’homme rwandaises et internationales, de même que des rapports de l’ONU, déjà en 1992, et tout début 1993, avaient largement mis en lumière la participation des Interahamwe aux différents massacres qui ont eu lieu en 1992, au Rwanda ?

le témoin 103 : Oui, certains massacres étaient perpétrés par ces Interahamwe comme on dit, mais c’est évidemment global, je dirais plutôt le parti gouvernemental, parce qu’il ne faut pas vraiment catégoriser. Je n’aime pas qu’on parle Interahamwe comme ça, parce que finalement, il faut parler du patron au lieu de parler des enfants. Quand on parle d’Interahamwe, moi, je préfère parler de la partie gouvernementale parce que c’est… Il y a eu des massacres commis, effectivement, par le parti gouvernemental, mais d’autres, c’est prouvé que ça a été commis par le FPR afin de semer certains troubles. Oui, je pense qu’à ce moment-là, les organisations internationales regardaient seulement un côté, maintenant, on commence à regarder des deux côtés. Il y a des massacres aussi qui ont été perpétrés par le parti, par le FPR. Donc, il faut essayer de mettre ça dans la balance, parce qu’en cette période, je veux dire, il y a des bombes qui sautaient à Kigali ou dans les taxis, partout, certaines étaient posées par certains agents du FPR tout simplement, c’est une tactique militaire. Il est vrai que les moyens investis dans la formation d’Interahamwe, étaient remarquables, c’est sûr. Ça nous faisait peur dans l’opposition. Mais je pense qu’il ne faut pas se baser sur un rapport qui a été réalisé, à ce moment-là précis, pour trancher, parce qu’il y a d’autres vérités qui doivent encore être découvertes, et je pense qu’il faut faire beaucoup plus de recherches à ce niveau-là. La situation, là, est très complexe.

Le Président : Bien. Maître NKUBANYI ?

Me. NKUBANYI : Merci, Monsieur le président. Pour revenir à ces Interahamwe, le témoin voudrait qu’on parle de parti gouvernemental. Est-ce que le témoin savait que Mathieu NGIRUMPATSE, qui était le président du Conseil d’administration et qui est présenté comme modérateur, comme neutre, était président du MRND, et ensuite, le responsable juridique des Interahamwe qui avaient justement refusé de prendre une personnalité juridique, justement pour éviter d’être traduits en justice pour les faits qu’ils auraient commis. Est-ce que ce fait était à la connaissance du témoin ?

le témoin 103 : Oui, je suis parfaitement au courant, mais toutes ces fonctions que vous venez de citer, sont postérieures à la nomination de Monsieur Mathieu NGIRUMPATSE au Conseil d’administration, parce que, quand on l’a nommé là, il était chargé, il travaillait à la présidence, je pense qu’il était chargé des affaires économiques, quelque chose comme ça. Et il est devenu président du MRND et tout ça, après. Je pense qu’au moment de la nomination, je pense qu’il n’avait pas ce titre, c’était un fonctionnaire à la présidence.

Le Président : Bien. Une autre question ? Maître FERMON ?

Me. FERMON : Monsieur le président, le témoin a dit tout à l’heure que c’était la politique du Conseil d’administration d’accepter uniquement des clients solvables. Alors, deux questions par rapport à cela. D’abord, qui vérifiait cette solvabilité et selon quelle procédure, avant d’éventuellement effectuer une livraison ? Et alors, deux : quand nous constatons qu’il y a près de 100 millions de francs rwandais de clients douteux, est-ce qu’on ne peut pas en conclure que cette politique a échoué et que des livraisons ont été faites, ou des paiements ont été faits, je n’en sais rien, à des personnes qui n’étaient manifestement pas solvables, et vous avez cité tout à l’heure, la société Hardware Center pour un montant de pas loin, par exemple celui-là, de 27 millions de francs rwandais ? Est-ce qu’il n’y a pas eu alors un couac, je dirais, dans cette vérification de la solvabilité ?

Le Président : Qui vérifiait la solvabilité des clients ? Selon quelle procédure ?

le témoin 103 : Monsieur le président, si j’ai parlé de la solvabilité du client, je n’entendais pas dire qu’on vérifiait sa solvabilité quand il se présentait à l’entreprise. Je voulais dire, j’ai dit que le Conseil d’administration a mis des balises, tout simplement. On servait quelqu’un, mais quand il ratait une échéance, on suspendait, c’est ça que j’ai dit. C’était une façon indirecte de surveiller la solvabilité. Je n’ai pas dit qu’on allait étudier dans le dossier du client, la situation du patrimoine, la situation financière, pour décider, si oui ou non, on le servait. Non, non, c’est difficile, c’est plutôt délicat. Si on veut faire une politique commerciale comme telle, je pense que ce serait une mauvaise procédure. Non seulement… on s’est dit : « Bon, le client, on l’accueille, d’accord, on le livre, mais s’il ne paie pas la première échéance, bon, on arrête, et si à la deuxième échéance il ne rembourse pas, même la première, alors, non seulement on le traduit en justice et, nous aussi, on prend des précautions au niveau interne ». C’est comme ça que je définis la solvabilité des clients.

Le Président : Oui. Et alors euh… bon, évidemment, on a un chiffre de 95 millions de clients douteux, 95 millions de francs rwandais, mais c’est un montant qui, d’après le document qui a été versé par une des parties civiles, est un montant au 31 décembre 1998, mais comme nous n’avons pas l’évolution des comptes de ces clients, d’année en année, on ne peut pas évidemment tirer tous les éléments qu’il faudrait, de ce document. Faut-il constater alors si ces 95 millions - parce que certains commentaires semblent dire que ce sont des montants qui sont quasiment irrécouvrables dans leur intégralité parce qu’ils datent de la situation d’avant-guerre - est-ce que cette politique du Conseil d’administration a échoué ?

le témoin 103 : Je ne sais pas. Quand je parle de la politique commerciale, je pensais aussi qu’à un moment donné, ça avait échoué. Du temps de NGIRIRA nous avions pratiquement échoué, nous avons raté l’objectif et nous avons accumulé des impayés. Peut-être que cette situation reflète une partie de ces impayés qui n’étaient pas encore amortis au moment où on a construit ces relevés de comptes. Il faudrait peut-être avoir l’évolution de toute la situation pour savoir quelque chose. C’est une situation… je pense que je suis très mal placé pour répondre à cette situation. Je ne sais pas, pour le moment, combien… il faudrait savoir de combien d’impayés HIGANIRO a hérité de NGIRIRA, par exemple, combien il en a rajouté par la suite. Je pense que c’est une situation difficile à appréhender pour le moment, en tout cas, pour moi, c’est difficile.

Le Président : Bien. Maître FERMON ?

Me. FERMON : Monsieur le président, par rapport à cela, est-ce que le témoin pense que c’est possible que Monsieur le témoin 121, Monsieur RUHUMURIZA et Monsieur KAJUGA se soient encore occupés de commerce des allumettes, après les événements de 1994 au Rwanda ?

Le Président : Avez-vous connaissance qu’ils vendaient encore des allumettes après 1994 ?

le témoin 103 : le témoin 121 est à Arusha, je ne vois pas comment il peut encore faire du commerce au pays. RUHUMURIZA, à un moment donné, on me parlait d’une affaire en justice et je ne sais pas s’il peut encore commercialiser, je ne sais pas où il est, je ne sais pas, aucune idée. Mais pour le témoin 121, je pense qu’il est à Arusha, il est au Tribunal pénal international, alors, je vois très mal comment il ferait encore du commerce des allumettes pour le moment.

Le Président : Bien. D’autres questions ? Maître BEAUTHIER et ensuite, Maître EVRARD.

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, ce sera une question, compte tenu des compétences du client, à laquelle je ne sais pas si vous accéderez qu’elle lui soit posée.

Le Président : Du client ?

Me. BEAUTHIER : Euh… qu’est-ce que j’ai dit ? Oui, mais je crois que…

Le Président : Vous vouliez parler d’un compte client ?

Me. BEAUTHIER : Oui, exactement ! Je voulais parler d’un compte client. Moi, je suis assez éberlué de voir qu’au moins trois ou quatre réunions, puisqu’elles avaient lieu tous les trimestres, d’un Conseil d’administration d’une société aussi importante, se passent à scander la même chose sur la solvabilité. Qu’est-ce qu’on faisait d’autre à part ce slogan, dans le Conseil d’administration, qui était de dire : « Attention clients solvables, oui, on ne sait pas ce que c’est la solvabilité ». Quand on voyait les comptes trois mois plus tard, on se rendait bien compte que la situation était identique. Alors, Monsieur le témoin a, pendant cinq ans déjà, subi ça, un an et demi encore avec Monsieur HIGANIRO. Qu’est-ce qu’il tire comme bilan, lui-même, de cette gestion et de sa participation à cette gestion ?

le témoin 103 : Quelque part je vous ai dit qu’à un moment donné, à l’occasion d’un Conseil, je ne me rappelle plus, Monsieur HIGANIRO avait quand même reçu les félicitations du Conseil parce qu’il avait bien géré. Il avait pu éponger les pertes accumulées du temps de NGIRIRA, et passer à une situation positive. En ce qui concerne les soldes de ces comptes clients, à mon avis, j’ai dit qu’il m’est impossible de me prononcer là-dessus. Il se pourrait qu’une partie, une grande partie soit héritée de la situation précédente. Il se pourrait aussi, je ne sais pas quand la situation a été arrêtée, je ne sais pas, 31 décembre 1993 ? 31 décembre 1992 ? Je ne sais pas, je ne connais pas les références. Il m’est impossible de répondre à la situation. Je sais qu’avec NGIRIRA, nous avions quand même un compte, nous avions des impayés énormes. Je pense que nous avions, non seulement des impayés énormes, mais aussi nous avions des problèmes de vente parce que le stock de boîtes d’allumettes dans le pays, avait augmenté sensiblement, parce que certains clients nous retournaient les boîtes que nous leur vendions. Bon. Alors, Monsieur le président, je vous demande de me comprendre, je ne peux pas me prononcer sur la situation des comptes clients dont il est question ici, je n’ai aucune référence.

Le Président : Bien. Une autre question ? Maître FERMON ? A 17h, nous clôturons, je vous le signale.

Me. FERMON : Une toute petite question, Monsieur le président.

Le Président : Oui.

Me. FERMON : Qui est un complément de ce que j’avais demandé tout à l’heure. Est-ce que j’ai bien compris que c’est la direction qui décidait si, oui ou non, on faisait des affaires avec tel ou tel client ?

Le Président : Qui décidait de faire des affaires avec un client ?

le témoin 103 : Non, pas du tout, on n’avait pas de contacts avec les clients. Nous, on arrêtait la politique…

Le Président : Oui, ce n’est pas le Conseil d’administration qui disait : « On traite avec un tel ou un tel ? ».

le témoin 103 : …non, non, pas du tout. Nous, on arrêtait la politique, on essayait de voir si cette politique avait été suivie, c’est tout. Mais avec les clients en particulier, non, non. Ça, c’est de la gestion journalière de la société.

Le Président : Oui. Maître EVRARD ?

Me. EVRARD : Je vous remercie, Monsieur le président. Est-ce que dans le cadre, c’est peut-être une répétition, mais pour que les choses soient tout à fait claires, est-ce que dans le cadre de cette politique commerciale arrêtée par le Conseil d’administration, il était prévu des critères de sélection ou de discrimination à l’égard de certains clients ?

Le Président : Alors, est-ce qu’il y avait des critères de sélection des clients ?

le témoin 103 : Non, vraiment. Disons qu’à un moment donné, on avait voulu limiter, disons, pour limiter les impayés, limiter aussi le nombre de grands clients. Nous avions demandé au directeur général de lancer un appel d’offres pour choisir un nombre limité de clients à travers le pays mais, pour le reste, je pense que tout le monde qui pouvait payer, pouvait se présenter à l’usine et payer ses allumettes et les mettre dans sa camionnette. Il n’y avait pas vraiment de restrictions quelconques, non.

Le Président : Oui, une autre question ?

Me. EVRARD : Merci, Monsieur le président. A la lecture des procès-verbaux de réunions du Conseil d’administration de la SORWAL, ils sont rédigés dans une forme, je dirais, extrêmement administrative. Le témoin est-il au courant des procédures administratives, de la tenue, de la manière dont on tenait les documents administratifs à la SORWAL. Est-ce que c’étaient des décisions prises par le Conseil d’administration que le directeur général avait à appliquer, ou est-ce que c’est une organisation interne, je dirais, qui relevait uniquement de l’initiative du directeur général ?

le témoin 103 : Monsieur le président, excusez-moi, mais je ne peux pas répondre à cette question. La question de l’élaboration des rapports de la société ? Je ne vois pas en quoi… non, je pense que là, on attaque justement, directement le Conseil, mais pas la direction générale parce que c’est nous qui signions ces procès-verbals et si nous les signions, c’est que nous les acceptions. Je pense que, peut-être, la remarque me serait adressée directement, ou au Conseil d’administration de la SORWAL, mais en privé. Parce que si on a signé ces procès, je pense que… peut-être vous avez un de ces procès que j’ai signés ? C’est qu’on acceptait ces procès et le contenu.

Me. EVRARD : Monsieur le président, si vous le permettez, je souhaiterais préciser ma question. Elle était de savoir si les manuels de procédure de tenue des documents dans le cadre de la gestion journalière, est-ce que ces manuels de procédure ont été établis ou approuvés par le Conseil d’administration ou, au contraire, s’agit-il d’une sorte de simple règlement intérieur dont le Conseil d’administration a peut-être eu connaissance, mais sur lequel il n’a pas eu à se prononcer ?

le témoin 103 : Monsieur le président, je pense que toute entreprise qui se respecte, dispose de procédures. Nous avions aussi des procédures. Nous avions des procédures financières, nous avions des procédures pour les gens qui vont en mission, nous avions aussi des procédures au niveau de la gestion commerciale, je vous en ai cité certains éléments.

Le Président : Ces procédures, elles étaient déterminées par le Conseil d’administration ? Est-ce que c’était la direction générale qui s’occupait de ça ?

le témoin 103 : La direction générale faisait une proposition au Conseil d’administration.

Le Président : Et puis, le Conseil d’administration approuvait, désapprouvait ou modifiait ?

le témoin 103 : Oui, amendait ou rejetait.

Le Président : Bien.

Me. EVRARD : Monsieur le président, une dernière question.

Le Président : Oui.

Me. EVRARD : Dans le procès-verbal de la réunion du Conseil d’administration de la SORWAL, tenue à Kigali le 24 mars 1993, où le nom du témoin figure, figure également en cinquième place, le témoin est en sixième place, Monsieur BIRARA Jean-Berckmans, représentant rwandais. A la connaissance du témoin, lorsqu’un membre du Conseil d’administration participe au Conseil d’administration, il est évidemment nommé sur le procès-verbal. Lorsque celui-ci se fait remplacer par quelqu’un, est-ce qu’il y en a mention dans le procès-verbal du Conseil d’administration ?

le témoin 103 : Il fut un temps où, pour certaines sociétés, il y a le directeur et le directeur adjoint qui représentaient l’entreprise, mais par après, je pense que la situation a évolué, ce sont les adjoints qui sont restés. Je pense notamment, c’est RWANDEX ou       TABARWANDA, en tout cas, il y a des entreprises qui le faisaient comme ça. C’était dans le règlement intérieur, je ne sais pas, nous on ne pouvait pas le discuter. Ce que nous notions à ce moment, c’est que tel actionnaire est représenté ou non, ou, s’il se disait représenté, nous, on actait.

Me. EVRARD : Je voudrais préciser ma question.

Le Président : Monsieur BIRARA était-il là, à cette réunion ?

le témoin 103 : Dans la réunion qui s’est tenue à…

Me. EVRARD : A Kigali.

Le Président : A Kigali, au mois de mars 1993, le 24 mars.

le témoin 103 : C’est difficile à savoir, mais je sais seulement qu’on a étudié, à ce moment-là, le rapport des experts-comptables. Je sais aussi que tout le monde était là, tous les administrateurs, et je présume que BIRIRA était là, parce que c’était lui qui représentait RWANDEX.

Me. EVRARD : Je n’ai pas d’autres questions, Monsieur le président.

Le Président : D’autres questions encore ? Plus de questions ? Les parties acceptent-elles que le témoin se retire ? Monsieur le témoin, est-ce bien… enfin, confirmez-vous les déclarations que vous venez de faire et persistez-vous dans ces déclarations ?

le témoin 103 : Euh… disons que la dernière question, ça fait longtemps, je ne peux pas…

Le Président : Mais non, vous avez dit que : « Vous présumiez que », ce n’est pas…

le témoin 103 : J’ai dit : « Je présume », c’est-à-dire que je ne peux pas être très sûr.

Le Président : Bien. Vous confirmez vos déclarations ?

le témoin 103 : Je confirme.

Le Président : Et vous persistez ?

le témoin 103 : Oui.

Le Président : La Cour vous remercie pour votre témoignage. Vous pouvez disposer librement de votre temps.

le témoin 103 : Je vous remercie aussi.

Le Président : Bien. Mesdames et Messieurs les jurés, nous avons, sauf surprise, puisque les débats ne sont pas clos encore, nous avons terminé la deuxième partie du procès, l’audition des témoins, des experts. Je vais vous rappeler encore fois comment ça va se passer à partir de demain. Normalement, les parties civiles devraient prendre la parole maintenant. Mais, compte tenu de la particularité de ce dossier, c’est Monsieur l’avocat général qui requérra avant les parties civiles, demain. Ensuite, les parties civiles exposeront leurs points de vue. Le réquisitoire de Monsieur l’avocat général sera donc le point de vue de Monsieur l’avocat général sur la culpabilité ou l’innocence des accusés, avec sans doute aussi, quelques explications d’ordre juridique, même si vous n’avez pas à faire de droit, pour vous expliquer quand même exactement ce qu’on leur reproche, mais ramener le débat à cela, puisque c’est de cela que vous allez devoir juger.

Donc, Monsieur le procureur général requerra demain. Les trois jours suivants avec, rappelez-vous, un pont, il y a un congé prolongé pour vous et pour nous, seront consacrés à ce même débat sur la culpabilité ou innocence, avec le point de vue exposé par les parties civiles. Les quatre jours suivants, un jour par accusé, seront l’exposé de la défense de chacun des accusés à propos de ce même problème de savoir s’ils sont coupables ou innocents des faits qui leur sont reprochés. Après cela, il y aura éventuellement un jour pour les répliques et pour donner la parole, une dernière fois, aux accusés pour qu’ils s’expriment éventuellement eux-mêmes, s’ils souhaitent ajouter quelque chose pour leur défense. Après cela, les débats seront clos, et vous entrerez dans votre partie très active qui sera votre délibération, après que vous ayez reçu les questions auxquelles vous devrez répondre. Je formulerai un projet de questions que je ne vous soumettrai pas, pour ne pas vous embrouiller, mais que je soumettrai aux parties de manière à ce que les parties puissent examiner ce projet de questions, parce que si elles ne sont pas d’accord avec le projet de questions, elles devront éventuellement déposer des conclusions ou Monsieur l’avocat général devra éventuellement requérir par écrit pour que la Cour demande au président de modifier les questions. Et donc, pour que ça ne se fasse pas comme ça, en dix minutes - voilà les questions, êtes-vous d’accord ou n’êtes-vous pas d’accord ? Réouverture des débats s’il le faut - donc, j’établirai un projet de questions mais que je ne vous remettrai pas de manière à ne pas vous embrouiller, parce que si on les change, vous allez vous dire : « Avec quel questionnaire dois-je jouer ? ». Je le remettrai ou je communiquerai ce projet de questions aux parties, avant les répliques, de manière à ce qu’il y ait quand même un peu de temps de réflexion de la part des parties et une possibilité d’examen de ces questions.

Donc, demain, l’avocat général. Trois jours, les parties civiles. Quatre jours, la défense. Un jour pour les répliques et la parole sera donnée en dernier lieu aux accusés. Et puis, c’est vous qui entrez en scène, activement en tout cas. Les 12 jurés effectifs - pour autant qu’ils soient tous là encore, parce qu’il y a peut-être un suppléant qui deviendra effectif, je ne sais pas - les 12 jurés effectifs devront répondre à ce questionnaire au cours d’une délibération. Je vous exposerai les questions. Je vous donnerai des explications à propos des questions. Je vous donnerai des explications sur la manière dont, techniquement, vous devez répondre à ces questions puisque je n’entrerai pas dans votre conscience et votre intime conviction, et je vous dirai comment on répond à ces questions, de manière pratique et technique. Les 12 jurés suppléants ne participent pas à cette délibération, ils sont enfermés dans une autre pièce que la vôtre. Je leur dis, dès à présent : « Mesdames, prenez vos tricots ou vos crochets. Messieurs, prenez les journaux que vous ne lisez plus depuis le début du procès, de manière à pouvoir passer le temps parce que les autres, les 12 premiers, ils vont voter, ils vont discuter ; vous autres, vous allez peut-être devoir vous embêter », donc prenez des occupations, des jeux de cartes ou autres activités de ce genre, de manière à pouvoir tuer le temps parce que je ne sais pas combien de temps durera la délibération.

J’essaierai de limiter le nombre de questions, mais enfin, il y en a un minimum que je devrai vous poser. Le libellé sera peut-être très compliqué et très long, et vous ne devrez répondre que par « oui » ou que par « non », mais ça peut donc prendre un certain temps. Il n’est pas prévu de vous loger. Si jamais ça devait s’éterniser, il faudra peut-être qu’on fasse venir des lits de camp, ou je ne sais pas. Bon, le nombre de questions ne sera pas extrêmement élevé en principe, mais enfin, n’empêche que ça peut prendre du temps et donc, je dis aux jurés suppléants, dès à présent : « Prévoyez une activité quelconque. Vous serez retirés dans une autre pièce, vous n’aurez, pas plus que les jurés effectifs, de communication avec l’extérieur, donc prévoyez quelque chose pour passer le temps pendant le temps où les 12 effectifs vont délibérer ».

Lorsque cette délibération sera terminée, eh bien, vous rendrez un verdict, et à chaque question, vous ferez savoir quelle aura été votre réponse : « oui », « non », par 7 voix contre 5, je vous expliquerai tout ça. Si vous avez répondu « non » à toutes les questions, eh bien, ce sera terminé, ce sera un verdict d’innocence et dans ce cas-là, il y aura une ordonnance présidentielle d’acquittement général, et ce sera fini. Si par contre, vous avez répondu « oui », ne fût-ce qu’à une seule des questions, il y aura un autre débat sur la peine.

Bien. Je vous rappelle que pour cette délibération, seuls les 12 jurés effectifs, ou éventuellement un suppléant qui aurait pris la place d’un effectif tombé malade entre-temps, seuls les 12 jurés effectifs participent à cette délibération, sans les magistrats professionnels. Ce n’est qu’en cas de verdict, partiellement au moins, de culpabilité, qu’il y aura un deuxième débat et une deuxième délibération avec les magistrats professionnels. Donc, vous allez être vraiment à 12 avec votre conscience, avec le dossier aussi, sauf une partie du dossier qui sera retirée, avec votre conscience, vos bulletins de vote. Voilà.

Demain, exposé donc, de Monsieur l’avocat général, qui s’appelle des réquisitions, exposé de son point de vue sur la culpabilité ou l’innocence des quatre accusés. L’audience est suspendue et reprendra demain à 9h. Est-ce qu’il n’y avait pas un juré qui avait un problème pour un jour ? Pour mercredi ? Donc, mercredi, on commencera peut-être avec un peu de retard, ce qui veut dire que ça se terminera peut-être un peu plus tard aussi que prévu, compte tenu de… Vous vous êtes mis d’accord pour que ce soit le mercredi où ça durerait peut-être un peu plus longtemps ? Ça veut dire, mercredi, comme nous commencerons avec un peu de retard, enfin, le retard nécessaire à ce que vous puissiez faire ce que vous avez à faire, mercredi, on ne terminera donc peut-être pas à 17h puisque mercredi, ce sont les parties civiles qui exposent leurs points de vue ou une partie des parties civiles, donc ce sera peut-être 17h30-18h. Autant le savoir. Après, vous avez congé quatre jours ! Ça va ? Voilà. Oui, Monsieur le 3e juré ?

Le 3e Juré : [Intervention incompréhensible car hors micro]

Le Président : Non, puisque les constitutions de parties civiles peuvent être reçues jusqu’à la clôture des débats, et dans la mesure où la constitution, ou les constitutions, de parties civiles doivent nécessairement se fonder sur l’une ou l’autre des infractions reprochées aux accusés. Donc, ça ne change rien pour Monsieur l’avocat général, de requérir sur la culpabilité ou l’innocence puisque, en principe, c’est sur une de ces infractions-là que vient se raccrocher la constitution de parties civiles, ça ne change rien à l’exposé qu’il ferait. Ca va ? Voilà. Une bonne soirée à tous. A demain.