assises rwanda 2001
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Instruction d’audience A. Higaniro Audition témoins compte rendu intégral du procès
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7.3.29. Audition des témoins: le témoin 109

Le Président : Monsieur, quels sont vos nom et prénom ?

le témoin 109 : le témoin 109.

Le Président : Quel âge avez-vous ?

le témoin 109 : 48 ans, Monsieur le président.

Le Président : Quelle est votre profession ?

le témoin 109 : Je suis chercheur à l’université de Namur.

Le Président : Quelle est votre commune de domicile ou de résidence ?

le témoin 109 : Je réside actuellement dans la commune de Bruxelles.

Le Président : Connaissiez-vous les accusés ou certains des accusés avant les faits qui leur sont reprochés, c’est-à-dire avant le mois d’avril 1994 ?

le témoin 109 : Euh… je connaissais Monsieur NTEZIMANA qui était un collègue à l’université du Rwanda, je connaissais Monsieur HIGANIRO mais je ne lui ai jamais parlé, c’était le secrétaire général du ministère de l’enseignement supérieur, mais je ne le connais pas comme tel.

Le Président : Etes-vous de la famille des accusés ou de la famille des parties civiles ?

le témoin 109 : Non.

Le Président : Etes-vous attaché par un lien de contrat de travail avec les accusés ou les parties civiles ?

le témoin 109 : Non.

Le Président : Je vais vous demander, Monsieur, de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment de témoin.

le témoin 109 : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président : Je vous remercie. Asseyez-vous, Monsieur le témoin 109. Monsieur le témoin 109, vous avez été avocat au Rwanda ?

le témoin 109 : J’étais mandataire en justice parce que le Barreau n’existait pas, entre 1979 et 1985.

Le Président : Vous avez été également chargé de cours à l’UNR, à Kigali, à l’époque, semble-t-il ?

le témoin 109 : C’est ça.

Le Président : Au départ en tout cas.

le témoin 109 : C’est ça. Entre 1989 et 1994, j’étais chargé de cours à la faculté de droit.

Le Président : Cette faculté de droit a déménagé, à un moment donné, de Kigali à Butare ?

le témoin 109 : Euh… c’est le contraire.

Le Président : Ou c’est le contraire, de Butare à Kigali, alors ?

le témoin 109 : Elle a déménagé en 1987, si mes souvenirs sont bons, j’étais à l’étranger à ce moment et elle est venue à Kigali. Mais j’y avais travaillé entre 1978 et 1985, quand elle était à Butare.

Le Président : Vous vous trouviez au Rwanda, lors des dramatiques événements qui ont débuté le 6 ou le 7 avril 1994 ?

le témoin 109 : Oui.

Le Président : Euh… n’étiez-vous pas également, euh… membre, ou peut-être même président, de la Ligue des droits de l’homme ou d’une ligue de défense des droits de l’homme ?

le témoin 109 : J’étais secrétaire général de l’ARDHO, une des associations de défense des droits de l’homme, qui était née en 89, je crois, euh… non, en 90, donc, en septembre 90.

Le Président : Euh… votre témoignage ici est surtout important en ce qui concerne les relations que vous avez pu avoir avec Monsieur NTEZIMANA, si vous en avez eues ?

le témoin 109 : Je n’ai pas eu de relations particulières avec Monsieur NTEZIMANA, parce que quand je suis rentré en 1989, lui travaillait, ou n’était pas encore d’ailleurs de retour, lui était à Butare pendant les événements, et moi, j’étais à Kigali, donc, je n’ai pas eu de relations particulières avec lui.

Le Président : Vous n’avez pas du tout séjourné à Butare pendant les événements ?

le témoin 109 : Non, sauf dans ma commune d’origine à Ntyazo qui est au bout de Butare, à la frontière avec Gitarama, je suis allé deux fois chez mes parents, avant le 19 avril.

Le Président : Et après le 19 avril ?

le témoin 109 : Après le 19 avril, je suis resté chez mes beaux-parents à Rutobwe à Gitarama, et j’ai quitté le 15 juin en partant vers le Zaïre, donc, je ne suis plus revenu dans le pays depuis lors.

Le Président : Euh… que connaissez-vous de Monsieur Vincent NTEZIMANA ?

le témoin 109 : Euh… Monsieur NTEZIMANA était un collègue à l’université. Lorsque Monsieur VANDERMEERSCH m’a posé la question, je lui dis qu’en fait je le connaissais, donc avant 1994, mais qu’après 1994 ou pendant les événements, je ne l’ai jamais vu, donc, je ne peux rien dire de précis sur la personne. J’avais dit que ce que je savais, c’était qu’il était membre d’un parti politique, le PRD, et il était professeur, collègue avec moi. Mais il n’y avait rien de plus. Donc, je ne peux rien dire de précis sur la personne.

Le Président : Et que pouvez-vous éventuellement dire d’un parti dont il a été l’un des membres fondateurs, le PRD ?

le témoin 109 : Euh… j’avais dit que pendant les événements de 1994, le parti avait fait une déclaration de soutien au gouvernement, mais en travaillant sur le Rwanda aujourd’hui comme chercheur à l’université sur le Rwanda, nous sommes, dans le pays, dans une logique binaire. Il fallait être pour ou contre. Il n’y a pas d’abstention dans notre région, que ce soit pendant la guerre, ou avant, ou même aujourd’hui. Il fallait donc soit se taire, et ne rien montrer qui puisse vous faire condamner, ou alors parler, et en tout cas, vous ne pouviez pas dire non. Il a fallu absolument se placer à gauche ou à droite, on n’avait pas le choix.

Le Président : Et ce parti se plaçait où, lui ?

le témoin 109 : J’avais dit à cette époque que le parti ayant pris position pour le gouvernement, il était pour le gouvernement, c’est clair. Ce que j’avais dit, je le répète. Mais, je dis qu’après avoir fait des études en essayant de comprendre ce qui s’est passé dans le pays, on ne pouvait pas ne pas être d’un côté ou de l’autre. Le silence vous condamnait.

Le Président : De Monsieur HIGANIRO, que connaissez-vous, si ce n’est de l’avoir vu ?

le témoin 109 : Ben, c’est-à-dire, Monsieur HIGANIRO, je vous l’ai dit, je le connais comme secrétaire général du ministère, je sais qu’il est de Gisenyi, mais je n’avais jamais parlé à Monsieur HIGANIRO.

Le Président : Euh… vous avez observé la vie politique qui se passait quand même, j’imagine ?

le témoin 109 : Oui, sans doute, sans doute.

Le Président : Monsieur HIGANIRO était-il quelqu’un dont on entendait les discours à la radio, ou dont on lisait les allocutions dans les journaux ?

le témoin 109 : Non, je ne crois pas, je n’en ai pas lu. Non, je ne crois pas.

Le Président : Euh… au fond, ce que vous saviez de lui apparemment, c’est des choses que l’on disait de lui ?

le témoin 109 : Oui, c’est-à-dire, on disait de lui qu’il était proche du président, qu’il était le beau-fils de Monsieur AKINGENEYE, le médecin du président. Mais c’est ce qu’on disait de lui, c’est vrai. Mais ce qu’il a fait, ce qu’on disait qu’il a fait, ça, je ne l’ai pas entendu, je ne pense pas l’avoir dit.

Le Président : A Butare, n’y avait-il pas une ministre, Pauline NYIRAMASUHUKO ?

le témoin 109 : Oui.

Le Président : C’était une femme un peu particulière ?

le témoin 109 : Femme particulière, non.

Le Président : Ou ministre particulière ?

le témoin 109 : Non, elle était ministre dans le gouvernement intérimaire, en 1994. Je crois qu’elle a même commencé avant, je n’ai pas les dates en tête. Elle n’était pas particulière sauf qu’elle était membre du MRND et, bon, assez active mais pas plus.

Le Président : N’était-elle pas considérée comme très extrémiste ?

le témoin 109 : C’est ce que les gens disent, oui, mais comme je n’étais pas là, je ne saurais pas vous le dire.

Le Président : Vous avez eu des contacts avec cette dame ?

le témoin 109 : J’ai eu des contacts avec elle…

Le Président : Elle a même été votre étudiante, je crois.

le témoin 109 : Oui, j’ai été son professeur, de 1989 à 1990, quand elle a terminé, donc, moi je l’ai trouvée en 2e licence, j’ai même dirigé son mémoire sur les successions au Rwanda, et puis, elle est allée travailler, elle est devenue ministre, donc, mes relations étaient limitées à ce niveau. Comme professeur, je n’avais pas de relations avec les ministres. Mais je connaissais bien son mari qui était mon recteur.

Le Président : Et dans ses propos, s’agissait-il d’une personne extrémiste ?

le témoin 109 : Ecoutez, les seuls propos que j’ai entendus, c’est ce qu’elle a dit à la radio à Kabaya, c’est les seuls propos que je puisse entendre. Comme je vous dis, je n’ai pas eu de relations avec elle pendant les événements. C’est les seules relations, qui s’étaient diffusées à la radio au moment des pacifications. Les sœurs disaient qu’elle venait les encourager, je ne sais plus exactement ce qui a été dit parce qu’il y a de cela maintenant 7 ans, 8 ans. Mais, c’est les seules choses que j’ai pu entendre à ce moment.

Le Président : Elle aurait fait un discours qui a été diffusé à la radio ?

le témoin 109 : Il y a eu un discours qui a été diffusé à la radio, mais…

Le Président : Dans lequel elle aurait dit que tout le monde, enfin, tous les Rwandais j’imagine… ou tous les Hutu, je ne sais pas, étaient des miliciens ?

le témoin 109 : Non, elle n’a pas dit : « Tous les Hutu ». Je crois qu’elle aurait dit, si mes souvenirs sont bons, parce que ça fait bien longtemps, je n’ai plus pensé à ça, je crois qu’elle a dit qu’elle soutenait le gouvernement, que tout le monde était ensemble, etc., quelque chose du genre. Je n’ai plus exactement le texte tel qu’elle l’a dit. Mais c’est des extraits que l’on donne, donc, ce n’est peut-être pas le discours, mais peut-être une réponse à une question. Mais en tout cas, ça a été dit à Kabaya, dans un discours, pendant les événements.

Le Président : Est-ce qu’elle n’incitait pas, dans ce discours, les gens à collaborer pour chasser les Inkotanyi ?

le témoin 109 : C’est peut-être ça, mais je dois dire que je ne me souviens plus. Je n’ai plus en tête ce qui a été dit exactement.

Le Président : Savez-vous si Pauline NYIRAMASUHUKO était une relation de Monsieur HIGANIRO ?

le témoin 109 : Je ne saurais pas dire, je ne sais pas. Mais je sais que Pauline était de Butare, Monsieur HIGANIRO est de Gisenyi, je ne connais pas les relations de leurs épouses, par exemple, mais non, je ne sais pas.

Le Président : Euh… savez-vous si Monsieur RWABUKUMBA était en relation avec Monsieur HIGANIRO ? C’est un des beaux-frères du président, hein.

le témoin 109 : Non, je ne sais pas, je ne sais pas. Monsieur RWABUKUMBA est un beau-frère du président, c’est tout ce que je savais. C’est quelqu’un qui était extrêmement discret, donc, je ne saurais pas, je ne lui ai jamais parlé non plus.

Le Président : Est-ce qu’il n’avait pas la réputation d’être le vendeur d’armes de l’armée rwandaise ?

le témoin 109 : Ca se disait, mais je vous dis, comme j’en ai parlé, je ne pourrai jamais le dire, personnellement en tout cas, je ne l’ai pas entendu. Les gens en parlaient, ils disaient qu’il achetait des armes et qu’il les vendait. Mais en quel nom, je ne sais pas.

Le Président : Euh… savez-vous qui était le président des Interahamwe ?

le témoin 109 : Monsieur Robert KAJUGA.

Le Président : Et savez-vous si Monsieur KAJUGA était en relation avec Monsieur HIGANIRO ?

le témoin 109 : Non, non plus, je n’ai jamais parlé à KAJUGA, je le connais de nom. De figure, je ne l’ai jamais vu.

Le Président : Pouvez-vous éventuellement parler de la radio RTLM ? De la constitution, de cette radio, du rôle qu’elle devait avoir ?

le témoin 109 : Euh… la radio a été, en fait, introduite, je pense bien, dans les années 1993. C’était une société anonyme avec, euh… ils avaient appelé des actionnaires, une radio privée, la première radio privée qui était dans le pays. Pendant, avant les événements, donc, ils diffusaient beaucoup de musique mais elle n’était pas diffusée sur tout le pays, c’était dans certaines régions, notamment Kigali et dans cette région, il y avait des antennes mais elle n’était pas entendue dans tout le pays. Dans cette radio, il y avait des animateurs, surtout pendant les événements, c’est là qu’on l’a beaucoup entendue, où certains animateurs s’évertuaient, en fait, à citer les noms des gens qui avaient survécu, ou à citer les noms des gens qui étaient complices, mais elle était considérée, à mon sens, par beaucoup de gens, en tout cas, par des Rwandais comme une radio extrémiste, c’est vrai. Mais les animateurs, il y avait des animateurs, et il y avait beaucoup de débats à la radio qui se faisaient, notamment sur les relations ethniques, sur la guerre, etc., euh… oui, je ne sais pas, c’est ça.

Le Président : Cette radio dénonçait des personnes nommément ? Elle indiquait : « Tiens, untel… ».

le témoin 109 : Oh, nommément, il y avait des animateurs, il y avait, comme Monsieur KANTANO qui était animateur qui était très aimé par les gens parce qu’il savait faire rire les gens et dire des choses d’une façon ridicule parfois. Il y avait RUGIU qui était animateur, mais… je ne sais plus, il y a beaucoup d’autres animateurs, mais c’est les deux que… je connaissais KANTANO, parce qu’il était très animateur dans les matchs de football, parce que c’était le seul Européen qui était là-dessus. Il y en avait d’autres, mais je ne les connaissais pas, je peux m’en rappeler certainement, mais ça ne vient pas tout de suite.

Le Président : Dans le PRD dont nous avons parlé, le président n’est-il pas devenu chef de la sûreté ou quelque chose comme ça, du gouvernement intérimaire ?

le témoin 109 : Oui, exact. Il était secrétaire général, je crois, ou de la sûreté, oui.

Le Président : Il y avait un des vice-présidents qui était un certain Jean le témoin 23 dans ce parti ?

le témoin 109 : Oui, c’est sûr.

Le Président : Et ce Jean le témoin 23, c’est un Hutu Power ou bien un modéré ?

le témoin 109 : Vous savez, quand Monsieur VANDERMEERSCH m’a posé la question, je lui ai dit : « le témoin 23 était un collègue à moi ». Et c’est grâce à lui que ma famille a été sauvée, parce qu’il était mon doyen et moi, quand j’ai été persécuté, j’ai dû partir de nuit, c’est lui qui a appelé pour qu’on vienne nous évacuer. Et ce qui m’a fait de la peine, c’est que, lorsque nous avons, lorsque j’ai déposé, j’ai dit : « Voilà, c’est eux qui ont déplacé ma famille, de Kigali jusqu’à Nyabarongo, parce qu’après Nyabarongo, il n’y avait rien, il n’y avait pas de barrière, il n’y avait rien ». On a interprété ça comme j’avais dit qu’on les a jetés, ce n’est pas ce que j’ai dit. Alors, Monsieur le témoin 23 était un collègue. Le juge me disait : « Est-ce qu’il était à gauche ou il était à droite ? ». Donc, il fallait choisir entre le fait qu’il était membre d’un parti qui a fait une déclaration de soutien du gouvernement ou alors, d’un autre côté, en tout cas, dans mes relations avec lui, je ne le croyais pas Hutu Power, je ne le crois pas aujourd’hui non plus. Non, pas du tout, je le confirme ici.

Le Président : Et vous avez expliqué il y a un instant, que vous avez été menacé. Vous avez donc dû fuir ?

le témoin 109 : J’ai dû fuir le 9 au soir, la nuit, avec Monsieur Charles BOVE et sa fiancée. Nous sommes descendus de la colline de Mburabuturo à pied, la nuit. J’ai dû laisser ma famille parce que j’avais l’espoir que, ne les connaissant pas, moi, on me connaissait parce que je parlais souvent à la radio, que peut-être, il y aurait un survivant. J’ai dû partir à pied, la nuit. J’ai traversé toute la vallée de Kigali, je suis allé jusque chez Madame MUKAS, qui était secrétaire à l’ambassade de Belgique. Je suis resté là, la nuit du 9, et j’ai téléphoné partout, pour essayer de faire évacuer ma famille, à beaucoup de gens. Le 10, j’étais resté là, et le 11 matin, l’armée belge est venue évacuer, donc, l’époux et Madame MUKAS. J’ai supplié pour qu’on m’emmène. Ils ont refusé. Je suis resté là. J’ai dû partir chez Monsieur MUGENZI Louis-Marie, j’ai dû sauter l’enclos. L’enclos était grillagé, j’ai dû utiliser la veste que j’avais pour ne pas me faire écorcher. Je suis allé chez MUGENZI, je suis resté là toute la journée. Et par hasard, j’ai rencontré Monsieur KAMANZI, qui était un ancien sous-préfet de Kinihira, qui avait fui également les événements, et qui était resté caché chez MUGENZI. Quand il est sorti, il m’a reconnu.

Nous sommes restés là, ensemble. Lui, connaissait le ministre de la défense. Il a téléphoné et on nous a envoyé un major de l’armée, Madame MUKAMWEZI qui est venue. Nous avons dû sauter les enclos pour ne pas nous faire voir sur la route, et on nous à emmenés, elle est allée devant nous, on nous a emmenés jusqu’à l’hôtel des Mille Collines. J’y suis resté la nuit, et le 12 matin, nous sommes repartis avec KAMANZI, dans sa camionnette, une fourgonnette. Nous sommes partis avec sa famille et le major qui nous accompagnait qui était devant. Nous avons pu traverser, je pense, plus de dix barrières à la descente de Kigali jusque dans la vallée. Et après, de l’autre côté de la rivière, il n’y avait pas encore de barrière. Nous sommes allés jusque Gitarama, le 12. Et c’est après que je suis allé voir mes parents, et mes enfants avaient été évacués grâce à Monsieur le témoin 23, justement le 10, le 10 matin, jusque chez mes beaux-parents. C’est comme ça que j’ai dû rester là.

Et après, quand j’ai dû quitter le Rwanda, le 15, j’avais été traqué parce que quand je suis allé chez moi, on a su que je n’étais pas mort et c’est grâce de nouveau à un officier, un ancien étudiant à moi, le major CYIZA, je peux le citer, qui m’a dit qu’il ne fallait pas que je circule parce que les gens me recherchaient jusque chez moi. Je suis allé dire à mes parents que j’étais en vie. Je suis reparti, vers le 19, avec des personnes qui étaient venues avec mon épouse et mes enfants. Et c’était un garde de nuit de l’université, qui travaille à l’université, un étudiant qui avait conduit ma famille dans ma voiture, et deux enfants d’un ami Tutsi qui avait été assassiné à Kigali. J’ai dû les emmener chez moi, en famille, dans l’espoir que ne les connaissant pas, il n’y avait pas de risque, Dieu merci, ils sont vivants. L’étudiant est parti chez lui, à Cyangugu et le Zamu, malheureusement, lorsque le Front patriotique a pris chez moi, mon Zamu a été tué, plus celui qui gardait mes bétails à la maison. Et moi, j’ai dû partir le 15, parce que c’était la folie générale, tout le monde fuyait. Il y avait des bombes déjà à Gitarama.

J’ai dû partir. J’ai enlevé les plaques de ma voiture pour ne pas être identifié et… enfin, les gens ne me connaissaient que très peu de figure, les gens m’entendaient souvent à la radio, parler des droits de l’homme, des droits de l’enfant et des droits de la femme, j’avais fait le droit de la famille, le seul droit de la famille dans tout le pays. Nous avons été reconnus à deux reprises. La première fois c’était à Kibuye, tout près de la paroisse de Nyange, où quelqu’un m’a dit qu’il aurait vu ma figure, en tout cas, ma photo quelque part dans un journal. J’ai juré que je n’avais jamais écrit, mais pourtant j’écrivais. J’ai payé pour pouvoir passer, et on a passé 65 barrières jusque Cyangugu, et à chaque barrière, il fallait payer. La deuxième fois que j’ai été reconnu, c’est par un étudiant, et c’est ça qui était très dur pour moi, mes étudiants, qui sur une barrière, m’ont reconnu aux environs de Nyamasheke, à Cyangugu, et qui ont demandé aux gens de ne pas jeter mes affaires par terre parce qu’on jetait tout par terre, on fouillait tous les papiers, on cherchait les armes, je n’en n’avais pas. Nous avons été secourus par l’évêque de Cyangugu. Nous avons logé là-bas. Lui se déplaçait presque toutes les heures pour aller voir les survivants qui étaient dans la tribune, dans le stade. J’y ai vécu pendant trois jours, dans un home au-dessus de chez lui, et c’est lui qui nous a cherché les papiers, nous avons pu aller à Cyangugu. Je suis resté chez un ami de jeunesse qui était dans le mouvement Xaveri comme moi, mouvement de jeunesse catholique, et c’est de là que nous avons pu être évacués ici, en Belgique, le 18 septembre 1994. Je résume, mais c’est très long, c’était très long pour moi et pour la famille.

Le Président : Alors, quand vous quittez la région de Kigali, vous dites : « Parce que vous étiez menacé », vous étiez menacé par qui ? Par des militaires ? Par des Interahamwe ? Par les deux ? Par…

le témoin 109 : Vous savez, lorsqu’on voyait des gens monter au campus, nous avions une chance, les gens croyaient qu’il y avait des militaires français dans notre campus. C’était une colline au-dessus, avec des bois, et on voyait arriver des personnes, des militaires ou bien des personnes qui n’avaient qu’un habit militaire au-dessus, ou des personnes qui n’avaient qu’un habit militaire avec simplement le pantalon. Donc, on ne savait plus qui était militaire, qui était milicien. Mais ce qu’il y a, c’est que ces personnes sont venues au campus, à deux reprises, prendre des gens et partir avec eux et qu’en tout cas, moi, quand j’ai quitté la nuit, précipitamment, avec Monsieur BOVE qui avait passé trois jours dans une citerne d’eau parce que c’était un Belge Tutsi, c’est ce qu’on disait du moins, le Zamu qui m’a prévenu, qui venait de monter d’en bas sur le terrain où il y avait un conseil, m’a dit que c’étaient des militaires de la garde présidentielle et des miliciens. Il m’a dit : « Ecoutez, il vaut mieux que tu partes ». J’ai dû partir en catastrophe en disant à ma famille : « Je pars, je n’ai pas le choix, sinon tout le monde sera massacré ».

Le Président : Bien. Y a-t-il des questions à poser au témoin ? Maître BEAUTHIER ?

Me. BEAUTHIER : Merci, Monsieur le président. Dans sa déclaration, et qu’il a encore répétée ce matin, le témoin a parlé évidemment des massacres, et alors, dans sa déclaration, il a aussi parlé des massacres avant le mois d’avril 1994. Il a notamment parlé de ce que des Hutu modérés avaient été massacrés bien avant, et il a parlé aussi de la préparation à la guerre, de l’organisation occulte qui, depuis de nombreux mois, se préparait à la guerre. Est-ce qu’il peut confirmer cela de science personnelle ?

Le Président : Que connaissez-vous de massacres antérieurs aux événements qui débuteront le 6 avril ?

le témoin 109 : Oui, il y a eu beaucoup de massacres antérieurement, après l’attaque du Front patriotique, il y a eu des massacres notamment à Kibilira, je n’ai pas les dates exactes de ces massacres mais nous avons fait des enquêtes avec l’association, en collaboration avec d’autres associations, notamment la FIDH, et on a publié des rapports sur ces massacres. Il y en a eu à Gisenyi, il y en a eu au Bugesera où des personnes avaient été massacrées. Mais, lorsque j’ai parlé des massacres des Hutu modérés, c’était à deux fois, je pense que je peux le dire, c’est deux fois. Une fois c’était, je crois, avant les événements, c’est vraiment au début des événements en 1994. Il a fallu d’abord tuer ceux qui pouvaient peut-être dire « Non », je dis : « Peut-être », je ne sais pas s’ils allaient le dire parce que nous sommes dans un pays où on ne pouvait rien dire ou alors, dire et payer. En 1994, les premiers massacrés, le 7 avril ou le 6 avril au soir, en tout cas, c’étaient des Hutus, et surtout des Hutu qui n’avaient pas accepté les idées extrémistes. Ce sont les premiers qui ont été massacrés. Donc, là, je le confirme.

Me. BEAUTHIER : Donc, deuxième partie de cette question évidemment, on peut bien parler d’un plan organisé, ce n’est pas parce que l’avion du président tombe, même si c’est un catalysateur, que les choses se mettent en place, les choses étaient bien mises en place avant, à votre avis ?

le témoin 109 : Ce qu’on pouvait constater, c’est que, avant les événements, il y a eu des distributions d’armes et là, je me souviens qu’en décembre 1993, l’évêque de Nyundo, Monseigneur KALIBUSHI, me disait qu’il y avait une distribution de 200 fusils dans la préfecture de Gisenyi, et qu’il avait même été pour protester. Mais à dire : « Est-ce qu’il y a eu une préparation ? », justement, le fait qu’on n’a pas pu le découvrir, c’est que ce n’était pas vulgarisé. Et s’il y a eu préparation, à mon sens, je disais : « Mais, s’ils n’ont pas pu l’arrêter ou s’ils n’ont pas fait d’efforts pour arrêter, c’est que c’était un plan ». Mais dire qu’il y a eu préparation, il faut vraiment partir de qui a préparé, comment il a préparé. Ce que je constate, c’est que le génocide a commencé à Kigali, en tout cas, les massacres d’abord de ces Hutu qui pouvaient dire « Non », de ceux qui ressemblaient aux Hutu, de ceux qui étaient très grands, à la fin, à certains moments, on ne savait même plus qui pouvait survivre. Ce qu’il y a, c’est qu’il y avait comme une spirale, ça commençait à Kigali, ça s’est étendu et, à mon sens, la préparation se trouve à ce niveau où il y avait une conviction jusque dans tout le pays. Sinon, c’était localisé dans certaines régions, mais pas, par exemple, à Butare, où je vous dis, je suis allé jusqu’au 19, il n’y avait même pas de barrières.

Donc, on peut dire que certaines personnes étaient peut-être au courant, mais le fait que ce n’était pas divulgué m’interdit de parler d’une préparation antérieure, mais la distribution d’armes… les formations des miliciens, nous les avons dénoncées dans l’Association des droits de l’homme, il y avait plus de 1.700 qui avaient été entraînés dans le parc, à Gabiro. Nous l’avons dénoncé, la lettre a été écrite.

Le Président : Une autre question ?

Me. BEAUTHIER : Oui, Monsieur le président, j’en ai deux ou trois autres, si vous le permettez. Le témoin a parlé de ces distributions éventuelles d’armes. Il a pourtant dit, et peut-il le confirmer, que même si les bruits étaient répandus que soi-disant les Tutsi allaient attaquer par Dieu sait où, il n’a jamais vu les Tutsi armés ou recevant des armes ?

le témoin 109 : Je confirme, je n’en ai pas vus.

Me. BEAUTHIER : Exactement. Je crois que cette réponse est fondamentale. Le témoin aussi, dans son exposé, a eu un raisonnement très intéressant à propos des barrières. Pourrait-il exposer à quoi servaient, à son avis, les barrières, réellement ? Parce que d’habitude, une barrière ça sert à arrêter, à contrôler les gens. Mais il a donné une explication qui était peut-être plus fouillée que ça ?

le témoin 109 : Je crois qu’il faut distinguer les barrières. Lorsqu’on a mis des barrières à Kigali et sur le pont de la rivière Nyabarongo, c’étaient des rivières qui filtraient les gens. Et je confirme qu’une personne qui avait une carte d’identité Tutsi, n’a pas pu passer, c’est clair, sur ces barrières-là. Ou même, certaines personnes qui étaient recherchées, étant surtout des personnes dans des partis dits « d’opposition ». Parce que l’opposition n’existait pas, nous n’avons même pas un mot rwandais qui signifie « opposition », ça veut dire « guhangana », ça veut dire simplement « s’affronter ». Donc, toutes les personnes qui étaient considérées comme étant opposées, ont été tuées sur ces barrières ; je parle bien des barrières de Kigali sur les axes qui arrêtaient les personnes qui passent. Tandis que dans la campagne, ce qui s’est passé… il y avait des barrières pour barrer le passage du FPR, disait-on. On devait donc attendre l’ennemi pour empêcher l’infiltration. Et on faisait une liste, chaque soir. L’agent de la cellule ou une personne, en tout cas, qui avait pris ses responsabilités - parce que, contrairement à ce que l’on affirme, ce ne sont pas les responsables politiques ou les bourgmestres qui dirigeaient cela dans beaucoup de communes.

Dans la commune où j’étais, le bourgmestre avait fui, on l’avait menacé. Le conseiller avait fui. C’était un garde de nuit qui dirigeait ça. Et c’est lui qui donnait ordre de tuer ou de ne pas tuer - et donc, dans ce cas-là, les barrières, tout le monde devait passer par les barrières. Donc, on appelait les gens, ils venaient passer la nuit, officiellement pour barrer le passage au FPR. Malheureusement, sur certaines barrières, les gens mouraient. Mais dans la région où j’étais, les gens savaient où il y avait des barrières, ils ne passaient pas ces barrières-là, ils passaient par les vallées. C’étaient des barrières qu’on mettait pour arrêter les gens et progressivement, quand les gens ont commencé à fuir, on mettait les barrières sur toutes les routes où les gens passaient. Il y avait des filtrages et, malheureusement, certains massacres sur ces barrières. Mais au sein de la population, on avait dressé des barrières pour empêcher le passage des infiltrés du FPR.

Me. BEAUTHIER : Donc, c’est la corrélation que je voulais bien avoir, Monsieur le président, c’est de savoir si quelqu’un qui avait un ascendant, qui était civil, pouvait évidemment prendre tout d’un coup la tête d’une barrière et commencer évidemment…

le témoin 109 : Quand on a vu sur certaines barrières, il y avait beaucoup d’inconnus, des personnes qui étaient arrivées dans la région sans qu’ils soient connus, qui portaient des armes et qui savaient les manier. Parce que la plupart de la population n’ont jamais touché une arme, ils ne savaient pas manier une arme. Donc, il y a eu des gens qui étaient souvent étrangers à la région, qui occupaient la barrière, dont on ne connaissait… que personne ne connaissait, qui étaient responsables de cette barrière. Et tandis qu’au sein de la population, on les appelait, ils venaient à la barrière, ils repartaient le lendemain ou ils venaient pendant la journée.

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, une avant-dernière question. Le témoin a une analyse également sur le rapport entre les gens du Nord et du Sud. Est-ce qu’il peut confirmer que pour lui, quelqu’un du Nord, par exemple comme les deux premiers accusés, ne parlent pas dans des discours très ostentatoires et qu’ils laissent parler plutôt les gens du Sud ? Est-ce que c’est quelque chose qu’il a retenu encore maintenant, après ses déclarations et qui se confirme ?

le témoin 109 : Lorsqu’on regarde dans la société rwandaise, ce qui se faisait, très souvent, lorsqu’on a entendu les discours qui ont été diffusés à la radio pendant les événements de 1994, je n’en ai pas entendu beaucoup du Nord, peut-être très peu, et certaines personnes auraient peut-être parlé mais il n’y en avait pas qui parlaient. J’ai entendu le premier ministre, il est de Butare, j’ai entendu le président, il est de Butare, je n’ai pas entendu quelqu’un du Nord qui faisait son discours. Mais c’est très souvent le cas au Rwanda, c’est le second qui parle ou c’est souvent quelqu’un d’autre mais ce n’est pas le chef qui parle. Mais en tout cas, c’est typique, effectivement, je confirme, que je n’en ai pas entendu.

Me. BEAUTHIER : Je vous remercie. Monsieur le président, dernière question, si vous permettez. Elle a trait, justement, au fait que le témoin parle de ces armes, c’est vrai qu’il y a des armes qui arrivent. Il a effectivement parlé de Monsieur BAGOSORA comme fondateur des escadrons, il a parlé aussi de Monsieur RWABUKUMBA comme étant quelqu’un qui était éventuellement, il a entendu des bruits, marchand d’armes. Qu’est-ce qui se disait à propos de ce commerce des armes ?

le témoin 109 : Mais qu’est-ce qui se disait, euh… avant, donc, avant les événements ? On disait que les armes étaient commandées, donc il y avait des armes qui étaient commandées en Egypte, des armes qui étaient commandées en Afrique du Sud. Et ce que les gens disaient, c’est que ces armes étaient commandées et que ça passait par des intermédiaires qui donc, fournissaient des armes au gouvernement et qui faisaient des factures. On parlait d’intermédiaires, on parlait de Monsieur RWABUKUMBA, mais je vous dis que, moi, je ne lui ai jamais parlé, comme je n’étais jamais dans ces filières d’armes, je ne pourrais pas le confirmer. Mais en ce qui concerne Monsieur BAGOSORA, ce que je dis sur BAGOSORA, je vous dis non plus que je ne l’ai jamais rencontré, je ne lui ai jamais parlé. Donc, c’est, j’ai lu ça chez Monsieur REYNTJENS, dans les documents qu’il avait écrits, notamment en 1992, sur les escadrons de la mort en disant qu’il en faisait partie, mais dire que c’est lui le fondateur, je ne le sais pas.

Le Président : Et en ce qui concerne le circuit géographique d’arrivée des armes vers le Rwanda, vous avez une opinion là-dessus ? Vous parlez d’armes commandées en Afrique du Sud, d’armes commandées en Egypte, ces armes arrivaient-elles directement au Rwanda ou passaient-elles notamment par Goma ?

le témoin 109 : Ah, je ne saurais pas vous répondre, ça je ne sais pas.

Me. BEAUTHIER : Je vous remercie.

Le Président : Maître LARDINOIS ?

Me. LARDINOIS : Je vous remercie, Monsieur le président. Par rapport à ce que le témoin a répondu tout à l’heure, à l’avant-dernière question de Maître BEAUTHIER sur la théorie du haut-parleur, en ce sens où des gens du Nord, dans le Sud avaient besoin d’un haut-parleur pour se faire entendre, c’est pour ça que c’est Monsieur SINDIKUBWABO qui a fait ce fameux discours à Butare, puisque…

Le Président : Je ne pense pas que le témoin ait parlé de haut-parleur.

Me. LARDINOIS : Je pense qu’il en a parlé dans ses déclarations.

Le Président : Peut-être, mais pas ici, alors…

Me. LARDINOIS : Oui, mais dans sa déclaration, il parle de haut-parleur. Est-ce qu’il peut confirmer que Madame Pauline NYIRAMASUHUKO était le haut-parleur de Monsieur HIGANIRO ?

le témoin 109 : Non, je ne l’ai pas dit.

Le Président : Oui. Une autre question ? Maître GILLET ?

Me. GILLET : Oui, Monsieur le président, j’ai trois-quatre questions, si vous me le permettez. La première, c’est que le témoin dit dans sa déclaration : « Parfois, on disait à la radio : arrêtez les massacres, mais on venait dire à la population que cela a été dit pour la galerie, pour les étrangers, qu’il fallait… »

Le Président : Pardon, vous lisez une déclaration ?

Me. GILLET : Oui, oui.

Le Président : C’est une déclaration chez le juge d’instruction, sous serment ? Elle ne peut pas être lue. Vous pouvez la paraphraser, mais pas la lire.

Me. GILLET : Je la paraphrase, alors. Donc, il disait que parfois à la radio, on disait qu’il fallait arrêter les massacres mais que c’était dit pour la galerie, mais qu’en réalité les massacres continuaient. Est-ce que vous appliqueriez cette définition au discours sur la pacification qui a été fait, à un moment donné, par le gouvernement qui a dit effectivement : « Il faut reprendre l’économie, il faut refaire tourner les machines, il faut arrêter les massacres ». Est-ce que - et ça date du 24-25 avril, donc, dans la période qui suit - est-ce que ça peut créer le même raisonnement, ce discours sur la pacification ?

le témoin 109 : Il y avait des discours à la radio, et à la radio, on appelait les gens à ne pas pourchasser des Tutsi, on disait qu’il fallait simplement barrer le passage à l’ennemi, c’est-à-dire au FPR, à l’attaque de l’ennemi, aux infiltrations. Mais dans la pratique, dans certaines communes - je dis dans certaines communes parce que j’ai confirmé, bien que dans ma commune où j’étais, en tout cas, le bourgmestre n’a pas exécuté ces ordres, n’a pas fait le contraire de ce que le discours disait - mais dans certaines communes, des personnes allaient plutôt dire aux gens : « Non, il faut continuer à tuer ». Mais ce sont certaines communes et certaines autorités qui étaient plutôt extrémistes elles-mêmes.

Le Président : Oui ?

Me. GILLET : Oui, Monsieur le président. Vous avez très clairement dit, dans votre déclaration, que Monsieur HIGANIRO, comme d’ailleurs Monsieur RWABUKUMBA, en tant que gens du Nord, agissaient et prenaient les décisions dans l’ombre et parlaient par l’intermédiaire d’autres personnes ; et vous avez d’ailleurs cité Pauline NYIRAMASUHUKO dont vous dites que, quand on parlait avec elle, on était convaincu que tous les Tutsi devaient être abattus. Est-ce que vous confirmez cette partie de votre déclaration ?

le témoin 109 : Je vous ai dit que je ne connais pas de relation entre HIGANIRO et NYIRAMASUHUKO. Les gens disaient que HIGANIRO était un homme fort à Butare, comme quelqu’un du Nord. Mais que NYIRAMASUHUKO agissait, mais je vous ai dit, je n’ai pas… ils n’ont pas de rela… je n’ai pas connaissance de relation parce que je n’ai jamais approché Monsieur HIGANIRO.

Me. GILLET : Une dernière question, Monsieur le président. Vous avez dit dans votre déclaration que, donc très clairement, que le parti de Monsieur NTEZIMANA et de Monsieur Jean le témoin 23 était un parti qui se réclamait de la tendance Hutu Power ?

le témoin 109 : Sur interpellation.

Me. GILLET : Sur… sur… Oui, peut-être, là, je ne lis pas, peut-être sur interpellation, enfin, vous l’avez dit.

le témoin 109 : Lorsque j’ai répondu à Monsieur le président - il m’a posé la question - j’ai dit : « Lorsque vous entendez un communiqué à la radio et que vous ne l’interprétez pas, il a fallu… ou bien, pour les partis politiques en tout cas, il fallait prendre position. Pour les individus, c’est autre chose, parfois le silence pouvait vous sauver. Mais pour les partis politiques, il fallait obligatoirement être à gauche ou à droite ». Et lorsque je l’ai dit, j’ai dit : « En faisant des recherches, aujourd’hui, dans un système de logique binaire, je crois qu’il n’y a pas à choisir ».

Le Président : Oui ?

Me. GILLET : Oui, Monsieur le président, une toute dernière question, en rapport avec cette logique binaire. Nous avons eu des témoins ici, comme Monsieur le témoin 110, qui nous ont, semble-t-il, démontré qu’il n’y avait pas que la logique binaire, qu’il y avait moyen de faire des choses…

Le Président : Vous voulez poser une question, Maître GILLET !

Me. GILLET : Oui, eh bien alors, que pensez-vous du choix fait par le témoin 110 dont je… que je suppose que vous connaissez, et comment le situer par rapport à cette logique binaire ?

le témoin 109 : Je connais le choix de Monsieur NTEZIMANA. Dans la société rwandaise, il y avait un choix très simple. Ou bien vous étiez ce que les Rwandais traduisent par « un homme tellement brave qu’il peut s’arracher une chique avec la pointe de sa lance » ; c’est des types comme NTEZIMANA. Mais je connais également Monsieur NZITONDA qui était responsable du service de l’immigration qui, pour vouloir sauver sa femme, s’est fait tuer ; on a tué sa femme et lui-même, il a été effectivement très brave. Il y en a eu beaucoup. Je vous ai parlé de ce bourgmestre qui a refusé, de la commune où j’étais, qui s’est vu expulser pratiquement de sa commune au risque de la mort, parce qu’il avait dit : « Non ! », il n’avait pas voulu coopérer. Et des Monsieur NTEZIMANA, il y en a eu beaucoup, parce que, s’il y a eu des Tutsi survivants au Rwanda, c’est grâce à beaucoup de NTEZIMANA, inconnus surtout. Je connais aussi une boyesse qui est partie avec deux enfants de son patron, qui est allée se cacher dans le camp, qui les a ramenés après. Il y en a eu. Mais je vous dis, c’était un choix. Toutes les personnes qu’on a surprises en train de cacher des gens sont mortes avec, que ce soient des Hutu ou des Tutsi. En tout cas, le fait de cacher des gens ou de défendre des gens, qui que l’on soit… même des militaires ont été tués parce qu’ils ont voulu défendre des gens. Mais des gens comme NTEZIMANA, lui, disait… c’était le petit frère du colonel NZUNGIZE et donc, pouvait peut-être, dans la région où on le connaissait comme quelqu’un qui a toujours été droit - et je le connais très bien pour le dire - quelqu’un qui était extrêmement droit, il pouvait se permettre certaines libertés comme petit frère de MUNDIE, euh… pardon, pas de MUNDIE, mais de Pierre NZUNGIZE. Mais il y en a eu beaucoup, mais qui ont été tués.

Le Président : Maître BEAUTHIER ?

Me. BEAUTHIER : Une petite question, Monsieur le président. Je crois qu’elle doit être posée maintenant. Quand on est un représentant, au Rwanda, d’organisations des droits de l’homme et qu’on fait des rapports, qu’on écrit des lettres à BOUTROS GALI, avant les événements, le témoin peut-il confirmer que, même si sur sa carte d’identité il est Hutu, non seulement il s’est senti menacé, mais parfois piégé par des gens dont il n’imaginait pas qu’ils pouvaient être des ennemis au moment du génocide ?

le témoin 109 : Il est évident que le fait d’être mentionné Hutu sur une carte d’identité ne suffisait pas en 1994. Encore, il ne fallait pas ressembler aux Tutsi, encore faut-il ne pas être grand ou ne pas être un concurrent politique. Des concurrents politiques ont été tués simplement parce que c’étaient des concurrents, des personnes qui pouvaient menacer votre poste ou des personnes qui avaient été, je dirais même, vraiment, excusez-moi le terme, mais, même des concubins de telle femme de Monsieur X, ou bien telle femme qui était concubine de telle autorité, a été tuée. C’étaient beaucoup plus des problèmes de haine personnelle, des problèmes de concurrence, concurrence économique, concurrence politique, c’était tellement mélangé qu’on ne sait pas donner une ligne conductrice des gens qui devaient être tués ou qui ne devaient pas l’être. Mais la carte d’identité ne suffisait pas. Il y a eu des gens qui en ont piégé d’autres, mais il fallait souvent un motif ou simplement une concurrence de champ ou une volonté de tuer pour reprendre le champ de l’autre. C’est ce qu’on a vu au sein de la population. Au sein de la population, on disait aux gens : « Ou bien vous tuez, ou ils vont vous tuer. Et si vous tuez, vous prenez le champ de tel ou vous prenez ses biens ». Certains miliciens sont venus tuer uniquement pour piller les grands commerçants. Donc, il n’y avait pas de logique dans cette affaire.

Me. BEAUTHIER : Alors, la toute dernière question, Monsieur le président, si vous permettez. Dans cette logique bien connue, qui pouvait arrêter éventuellement les massacres ? Si l’Eglise avait fait une déclaration, aurait-elle pu l’arrêter, si des gens influents dans la société intellectuelle avaient fait une déclaration, auraient-ils pu l’arrêter ?

le témoin 109 : Vous savez, même le président KAGAME a déclaré, lui-même, dans un livre à Monsieur MISSER, que même s’il avait des armes et des militaires, il n’aurait pas pu arrêter les miliciens. A un certain moment, le pouvoir était dans la rue et même des colonels, comme MURENZA, ou qui étaient considérés comme des colonels très importants, ils n’ont pas pu passer certaines barrières. Même des gens qui étaient assez grands, comme le général NDINDIRIYIMANA, il a été nommé ambassadeur alors que c’était le chef, le seul chef qui était officier breveté d’état-major pendant une guerre. Mais qui était capable d’arrêter cela ? Je n’en vois pas.

Me. GILLET : Une simple précision au sujet de ce que je vous ai entendu dire tout à l’heure au sujet du Parti du Renouveau Démocratique. Vous avez dit qu’il était pro-gouvernemental. A quelle époque est-ce qu’il était pro-gouvernemental ? Ça veut dire qu’il était favorable au gouvernement de Madame Agathe UWILINGIYIMANA ou bien, plus tard, au moment du gouvernement intérimaire ?

le témoin 109 : Mais, c’est-à-dire, c’est un parti qui venait de naître. On ne connaissait que les statuts de ce parti, il n’avait pas fait de meeting pour déclarer telles conditions. Donc, c’est… Beaucoup de petits partis qui étaient nés, n’avaient pas encore fait de meeting pour les classer d’une manière déterminée. Mais la déclaration, la seule d’ailleurs, je pense, si mes souvenirs sont bons, qui a été faite, c’est tous les partis politiques qui ont dû faire une déclaration. Ceux qui étaient morts étaient morts, ceux qui étaient survivants ont dû faire une déclaration de soutien au gouvernement, après 1994. C’est donc après le 6 avril, si vous voulez.

Me. GILLET : Après le 6 avril, d’accord.

Le Président : Maître WAHIS ? J’aimerais peut-être qu’on essaie d’avancer pour qu’on traite à nouveau des faits qu’on reproche aux accusés.

Me. WAHIS : Une toute petite précision, Monsieur le président. Le témoin avait, tout à l’heure, dit que c’était l’évêque de Nyundo qui avait écrit, à la fois au président de la République et à BOUTROS GALI, pour dénoncer la vente de… la distribution de 200 armes automatiques et que c’est pas lui-même, bien entendu, qui a écrit. Est-ce qu’il peut confirmer que c’est bien l’évêque qui avait écrit, à la fois à BOUTROS GALI et au président ?

le témoin 109 : Je confirme, c’est ce qu’il m’a dit lui-même.

Le Président : Une autre question ? Maître CARLIER ?

Me. CARLIER : Trois questions, Monsieur le président qui, directement ou indirectement, ont trait aux faits reprochés à Monsieur Vincent NTEZIMANA. Le témoin a parlé des Hutu modérés, est-ce que le témoin connaît Monsieur Emmanuel GAPYISI et, si oui, peut-il nous dire s’il le classe parmi ces Hutu modérés et de qui s’agissait-il ?

le témoin 109 : Je connais bien Monsieur Emmanuel GAPYISI, c’était le beau-fils de l’ancien président le témoin 42, il était du MDR. Mais lorsqu’on a parlé des Hutu modérés ou des Hutu non-modérés, c’est à partir, je pense, des années fin 93 où il y a eu des congrès, où il y a eu une scission entre le parti MDR. Je ne sais pas si GAPYISI était du côté de TWAGIRAMUNGU ou du côté de, je ne sais plus encore, quand on a scindé le parti. Mais il est mort avant les événements, donc, je le connais comme membre du MDR, mais connaissant sa famille et le connaissant, je ne l’avais jamais placé du côté des non-modérés, non, il était modéré

Le Président : Oui, une autre question ?

Me. CARLIER : Il est mort comment ?

le témoin 109 : Il a été assassiné, un soir, à Kigali.

Le Président : Oui ?

Me. CARLIER : Le témoin a signalé qu’il avait été secrétaire général…

[Interruption d’enregistrement]

Me. CARLIER : …de Gasana NDBOBA et, si oui, quelle appréciation porte-t-il sur ce comité ?

le témoin 109 : Je n’ai jamais travaillé avec eux. J’ai continué mes relations avec Monsieur NKUBITO qui était Ministre de la Justice, qui était président de notre association, mais je n’ai pas eu de relation avec le CRDDR.

Me. CARLIER : Dernière question. Le témoin a dit ne pas avoir eu de contacts directs avec Monsieur Vincent NTEZIMANA, lorsqu’il était sur le campus de Butare. Est-ce qu’il peut nous dire, néanmoins, s’il y avait, sur le campus de Butare, des rumeurs classant Monsieur NTEZIMANA comme un extrémiste ou comme quelqu’un tenant des propos ethnicisants ?

le témoin 109 : Non, il n’y en avait pas.

Le Président : Une autre question ?

le témoin 109 : Je crois qu’il n’y en avait pas parce que, même, je peux dire, s’il a été élu président de l’Association des professeurs, il y avait beaucoup plus de modérés chez les professeurs que d’extrémistes. Je ne pense pas qu’il aurait été élu.

Le Président : Autre question ? S’il n’y a plus de questions, les parties sont-elles d’accord pour que le témoin se retire ? Monsieur le témoin 109, confirmez-vous les déclarations que vous venez de faire ? Persistez-vous dans ces déclarations ?

le témoin 109 : Oui.

Le Président : La Cour vous remercie pour votre témoignage. Vous pouvez disposer librement de votre temps. Alors, il semble que Monsieur le témoin 147 soit présent bien que les parties aient renoncé à son audition. Oui ?

Me. CARLIER : Monsieur le président, si vous me le permettez, un bref commentaire, suite au témoignage. Il y a, parmi les pièces à conviction qui se trouvent devant vous et à la disposition de tout le monde ici, des exemplaires de la revue Dialogue. Je voulais simplement signaler que le témoin que nous avons entendu, travaille dans cette revue-là et, sauf erreur de ma part, en est un des rédacteurs principaux.

Le Président : Bien.

Me. CARLIER : Ce sont les numéros qui… les numéros qui sont dans les pièces à conviction, concernent plus particulièrement les périodes qui concernent les charges concernant les accusés.