assises rwanda 2001
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Instruction d’audience V. Ntezimana Audition témoins compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction d’audience V. Ntezimana > Audition témoins > le témoin 9
1. N. Gasana 2. le témoin 9 3. le témoin 125 4. le témoin 134 5. le témoin 116 6. le témoin 61 7. le témoin 124 8. le témoin 50 9. le témoin 150 10. le témoin 73 11. le témoin 55 12. le témoin 100 et commentaires V. Ntezimana 13. le témoin 97 14. le témoin 104 15. H. Gallee 16. le témoin 84 17. le témoin 36 18. B. Van Custem et commentaires V. Ntezimana et E. Seminega 19. Lecture président attestation J.B. Seminega 20. le témoin 77 21. le témoin 10 22. le témoin 96 23. le témoin 42 24. R. Degni-Segui 25. le témoin 15 26. J. Léonard et commentaires partie civile et V. Ntezimana 27. J.P. Van Ypersele de Strihou 28. le témoin 118 29. le témoin 31, commentaires avocat général, partie civile, défense, audition interview I. Nkuyubwatzi 30. le témoin 108 31. le témoin 127 32. le témoin 109 33. le témoin 147 34. le témoin 105 35. le témoin 89
 

6.3.2. Audition des témoins: le témoin 9

Le Président : Monsieur, quels sont vos nom et prénom ?

le témoin 9 : Je m'appelle le témoin. le témoin 9.

Le Président : Quel âge avez-vous ?

le témoin 9 : 57 ans.

Le Président : Quelle est votre profession ?

le témoin 9 : Je suis professeur à l’université nationale du Rwanda.

Le Président : Quelle est votre commune de résidence ou de domicile ?

le témoin 9 : Commune de résidence, c'est commune urbaine de Ngoma à Butare.

Le Président : Au Rwanda, donc ?

le témoin 9 : Au Rwanda.

Le Président : Connaissiez-vous les accusés ou certains des accusés avant les faits qui leur sont reprochés, c'est-à-dire en gros, avant le mois d'avril 1994. Monsieur NTEZIMANA, Monsieur HIGANIRO, Madame MUKANGANGO et Madame MUKABUTERA. Connaissiez-vous certains de ces accusés, avant le mois d'avril 1994 ?

le témoin 9 : Je connais Monsieur HIGANIRO et Monsieur NTEZIMANA.

Le Président : Oui. Êtes-vous de la famille des accusés ou d'un des accusés ?

le témoin 9 : Non, Monsieur le président.

Le Président : Êtes-vous de la famille des parties civiles ?

le témoin 9 : Non, Monsieur le président.

Le Président : Vous ne travaillez ni pour les accusés ni pour les parties civiles.

le témoin 9 : Non, Monsieur le président.

Le Président : Je vais vous demander alors de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment de témoin.

le témoin 9 : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Le Président : Je vous remercie. Vous pouvez vous asseoir.

le témoin 9 : Merci, Monsieur le président.

Le Président : Monsieur le témoin, vous êtes donc professeur à l’université de Butare ?

le témoin 9 : Oui, Monsieur le président.

Le Président : Euh… vous étiez présent en avril 1994 à Butare lorsque des événements ont embrasé le Rwanda.

le témoin 9 : J'étais présent.

Le Président : Euh… vous avez, à un moment donné, été vice-recteur de l’université de Butare ?

le témoin 9 : Oui, Monsieur le président.

Le Président : Vous pouvez situer l'époque à laquelle vous avez été vice-recteur ?

le témoin 9 : A partir de novembre 1995 jusqu'en avril 1997.

Le Président : C'est ça. Donc vous n'étiez pas vice-recteur au moment des événements du Rwanda.

le témoin 9 : Non, Monsieur le président.

Le Président : Euh… au moment où l'avion qui transportait le président le témoin 32 a été abattu, le 6 avril 1994, est-ce que dans les jours qui ont suivi, les jours immédiatement postérieurs à cet attentat… quelle était la situation à Butare, à Butare même ?

le témoin 9 : A Butare même, euh… c'était l'étonnement général d'abord et puis, comme le pays commençait à s'embraser un peu partout, surtout dans la ville de Kigali, la tension a commencé à monter, monter pendant les quinze premiers jours, jusqu'au moment où, le 17 avril, le préfet le témoin 32 a dû intervenir pour réunir tout le monde au stade Huye, pour leur dire que ça ne faisait rien, c'était peut-être des choses qui allaient se passer et finir, juste pour calmer la tension. Mais, quelques jours après, c'était la catastrophe dans Butare.

Le Président : C'est ça. Donc, en tout cas jusqu'au 17 avril, il y a des tensions mais il n'y a pas d'événements particulièrement graves à Butare.

le témoin 9 : Pas à ma souvenance.

Le Président : Le 17 avril, le préfet, qui à ce moment-là était Monsieur le témoin 32, je crois, Jean-Baptiste… 

le témoin 9 : Oui, Monsieur le président.

Le Président : …tient une réunion publique, qui est un appel au calme ?

le témoin 9 : Qui était plutôt un appel pour sensibiliser les gens, pour leur dire qu'ils doivent se battre pour leurs droits, pour leur dire que personne ne pouvait entrer chez eux sans avoir un mandat de perquisition ou un mandat d'amener.

Le Président : Est-ce qu'au cours de cette réunion quelqu'un n'a pas posé la question de savoir si des Interahamwe, des milices, des miliciens, n'étaient pas en train de se regrouper dans une usine de fabrication d'allumettes, la Sorwal. Est-ce que quelqu'un n'a pas demandé au préfet s'il n'y avait pas quelque chose d'un peu particulier qui se passait dans cette usine ?

le témoin 9 : Monsieur le président, cette question a été posée et la réponse était que le préfet lui-même était parti visiter l’usine et qu'il n'avait rien vu.

Le Président : C'est ça.

le témoin 9 : A propos des Interahamwe ?

Le Président : Lui-même avait fait des vérifications, il n'y avait rien de particulier à cette usine.

le témoin 9 : Oui.

Le Président : Il y avait, semble-t-il, à Butare des militaires, mais… sans agressivité particulière, semble-t-il ?

le témoin 9 : Cela dépend, parce qu'il y avait des militaires dans les quartiers et cette question aussi a été posée. On a dit au préfet : « Si vraiment la situation était telle que vous la décrivez, mais pourquoi est-ce qu'il y a des militaires dans le quartier ? ». Ça dépend donc des quartiers. Il y a des quartiers qui étaient calmes mais il y avait des quartiers où les militaires devenaient vraiment agressifs.

Le Président : C'est ça. Euh… Monsieur NTEZIMANA était votre collègue à l’université ?

le témoin 9 : Oui, il était dans le département de physique.

Le Président : C'est ça. Il semble que, avec Monsieur NTEZIMANA ainsi qu'avec Monsieur KARENZI et d'autres professeurs de l’université, vous habitiez, je crois, la même rue que Monsieur Vincent NTEZIMANA ?

le témoin 9 : Exactement.

Le Président : Il semble donc qu'avec Monsieur NTEZIMANA, Monsieur KARENZI et d'autres professeurs vous vous étiez… vous avez essayé de trouver un système d'organisation pour… vous assister mutuellement s'il y avait des événements qui touchaient l'un ou l'autre d'entre vous. Vous avez notamment échangé des numéros de téléphone ou…

le témoin 9 : Oui, cela s'est fait, mais il faut prendre ça de façon générale. C'est toute la ville qui était en train de faire la même chose, et sur le conseil du préfet le témoin 32. Mais pour ce qui nous concerne, on s'est mis ensemble, on s'est dit : « Si quelqu'un s'attaque à l'autre il faudrait qu'on se porte au secours ». Mais cela ne s'est pas fait. Parce que toutes ces mesures ont volé en éclats à partir du 19, quand ils ont commencé à tuer.

Le Président : Donc, les tueries ont commencées le 19 semble-t-il ?

le témoin 9 : Je pense.

Le Président : Est-ce que ces tueries font suite à un discours que serait venu prononcer à Butare le président intérimaire, celui qui remplaçait donc Monsieur le témoin 32, Monsieur SINDIKUBWABO ?

le témoin 9 : Après la réunion du préfet le 17, je pense que le 18 au matin, j'étais pas là, mais on était en train de se dire, le président est passé à Butare, dans la salle polyvalente comme on l'appelle ou bien au palais du MRND à ce moment-là. Et puis, il aurait prononcé un discours, il aurait saqué le préfet le témoin 32 et l'aurait mis en résidence surveillée, il aurait mis un autre préfet qui s'appelait le témoin 150 et c'est ce soir-là, deux avions ont atterri au petit aéroport de Butare. On s'est demandé ce que venaient faire ces avions-là, les uns disaient que c'était pour dégager le contingent de la MINUAR, mais il semble qu'il y avait des soldats de la garde présidentielle qui étaient descendus sur Butare pour commencer le travail.

Le Président : C'est quoi le « travail » à cette époque-là ?

le témoin 9 : Le « travail », c'est tuer, éliminer.

Le Président : « Nettoyer » c'est aussi…

le témoin 9 : Nettoyer.

Le Président : Donc, les tueries commencent. Vous avez eu, semble-t-il, un contact téléphonique, vous avez indiqué dans votre déclaration le 22 avril 1994, je ne sais pas si la date est correcte, avec le professeur KARENZI, parce que vous étiez inquiet et lui vous aurait répondu qu'il était aussi inquiet.

le témoin 9 : Ce n'est pas le 22 avril, c'est un peu avant. Pendant tout ce temps-là on avait mardi et jeudi pour aller chercher des provisions au marché. Le professeur KARENZI me prenait pour aller chercher ces provisions-là. Au fur et à mesure que la tension était en train de monter, on s'est même dit qu'on devait prendre les enfants et les familles et les caser à l'école belge qui était tout près de chez nous, et puis leur chercher une protection. Mais, en analysant la situation, on s'est rendu compte que c'était plus les mettre en danger que les faire protéger, parce qu'il s'avérait qu'on ne pouvait pas avoir confiance dans des militaires. Le 22, il devait venir me chercher et c'est à partir de ce moment-là que je ne l'ai pas vu. Le 22, le même 22, le soir à 8 heures 20, six soldats sont venus chez moi et ont commencé à saccager ma maison, à massa…, enfin pas massacrer les enfants mais euh… comment… « chercher des montagnes », c'est toute une longue histoire. Donc, c'était à partir du 18-19 que vraiment les massacres ont commencé à Butare. Principalement par les militaires d'abord.

Le Président : Principalement les militaires d'abord, oui.

le témoin 9 : Pardon ?

Le Président : Donc principalement, dites-vous, ces tueries commencent par…

le témoin 9 : Pour ce qui concerne le quartier où j'habitais, qu'on appelle le quartier Buye, c'est surtout les militaires qui se sont occupés des premières tueries pendant au moins les dix premiers jours.

Le Président : Vous avez expliqué aussi, lorsque vous avez été entendu lors d'une commission rogatoire au Rwanda, que les militaires semblaient agir ou agissaient sous les ordres du capitaine NYZEIMANA.

le témoin 9 : Il était de notoriété publique que le capitaine NIZEYIMANA était un génocidaire. C'était lui qui était responsable des tueries, surtout dans la ville de Butare. D'un autre côté, il y avait le colonel le témoin 151, qui était un commandant suprême je dirais, entre guillemets, du district de Butare et autre, mais il y avait deux pouvoirs parallèles. Le colonel le témoin 151 avait un pouvoir formel si vous voulez, de l'armée. Mais le capitaine NIZEYIMANA, qui venait de la région du Nord je crois, avait un autre pouvoir que j’appelle réel, celui-là.

Le Président : Un pouvoir de fait.

le témoin 9 : De fait, exactement.

Le Président : Et le capitaine NIZEYIMANA était semble-t-il un ami, un grand ami, avez-vous dit, de Vincent NTEZIMANA.

le témoin 9 : J'ai vu beaucoup de fois la jeep du capitaine NIZEYIMANA stationner devant la maison de NTEZIMANA. Plus de trois ou quatre fois.

Le Président : Et vous avez, semble-t-il, eu un entretien au cours des événements avec le nouveau sous-préfet qui avait été nommé après le limogeage du préfet le témoin 32.

le témoin 9 : Euh… il s'agit de Monsieur…

Le Président : Oui, vous connaissez son nom ?

le témoin 9 : Faustin…

Le Président : RUTAYSIRE ?

le témoin 9 : RUTAYSIRE exactement. Oui. RUTAYSIRE était du parti PSD. Lorsqu'on a amené les nouvelles autorités à la place des autorités du préfet le témoin 32, RUTAYSIRE a été nommé sous-préfet. Il habitait notre quartier. Il avait aussi la responsabilité de contrôler ce qui se passait dans notre quartier mais cela ne l'empêchait pas de bavarder avec les gens qui faisaient la ronde. Et c'est à ce moment-là qu'il m'a dit que la famille de KANAMUGIRE, qui était au fond, tout près de la forêt, à gauche, avait été massacrée par des militaires sous l'instigation de NTEZIMANA en personne. Et c'est lui-même qui serait parti montrer où cette famille habitait, dans un véhicule avec les militaires.

Le Président : Il nous a expliqué qu'il était, semble-t-il, lui-même surpris que les professeurs étaient pratiquement en train de s'entretuer entre eux par militaires interposés.

le témoin 9 : Exactement, Monsieur le président. Il était surpris de comment les professeurs de l'université commençaient à « s'entredéchirer », fin de citation.

Le Président : Et donc, selon lui, Vincent NTEZIMANA serait allé montrer la maison de la famille du professeur KANAMUGIRE ?

le témoin 9 : KANAMUGIRE. Exactement.

Le Président : Et cette famille aurait donc été assassinée par les militaires auxquels Monsieur NTEZIMANA aurait montré la maison ?

le témoin 9 : Oui, Monsieur le président.

Le Président : Monsieur NTEZIMANA était à l'époque, président de l'APARU, l'Association du Personnel Académique de l’Université, et vous avez expliqué que, avant le 17 avril, donc avant le discours du préfet le témoin 32 appelant au calme et à veiller chacun dans les quartiers à sa propre sécurité, euh… vous avez exposé que Monsieur NTEZIMANA aurait dressé des listes de personnes qui voulaient évacuer. Et vous avez exposé que, selon vous, c'était Monsieur NTEZIMANA qui, de sa propre initiative, avait dressé ces listes.

le témoin 9 : Selon moi, de sa propre initiative, il a demandé à un nombre de gens, dont le professeur KARENZI, de dresser des listes pour qu'on puisse évacuer les gens dans trois directions. Direction Nord, Ruhengeri-Gisenyi, direction Ouest, Gikongoro-Cyangugu, et direction Sud, vers Bujumbura, le pays voisin. Pour ceux qui devaient aller dans la direction Nord, où la sécurité était presque 100 %, ceux-là étaient originaires du Nord de Ruhengeri et de Gisenyi. Pour ceux qui devaient aller dans la direction Ouest, Gikongoro, la sécurité n'était pas à 100 %. Mais je suppose que les originaires de ces régions-là, se sont mis sur la liste pour rentrer chez eux et qu'ils étaient sûrs de leur sécurité. Pour les autres, qui se sentaient menacés, soit qu'ils soient Hutu ou bien Tutsi, Hutu menacés et Tutsi, de toute façon, ils se sont inscrits sur les listes pour être évacués vers le Burundi. Après, je suppose que KARENZI, qui m'a demandé : « Où est-ce que je vous mets ? ». Je lui ai dit : « Liste Sud. Nous partons ensemble ». Je lui ai donné le nom des enfants qui étaient chez moi. Il nous a mis sur la liste et, à partir de ce moment-là, peut-être un ou deux jours plus tard, les tueries ont commencé. Je soupçonne, ou bien je suis presque sûr, que cette liste, surtout ceux qui devaient être évacués vers le Burundi est… ­ c'est devenu presque démontré ­ que c'est surtout eux qui sont morts parmi les premiers.

Le Président : Donc les personnes de ces listes auraient été plus particulièrement désignées. Vous avez expliqué que votre domestique aurait vu, entre les mains de militaires, des listes.

le témoin 9 : Quand ils sont venus chez moi, le 22…

Le Président : Oui.

le témoin 9 : Ma domestique, elle s'appelait Claudine, j'avais huit enfants à la maison. J'avais deux domestiques, Claudine et Françoise. Ils sont venus, ils sont entrés. Ils ont d'abord voulu défoncer le portail. Je suis allé ouvrir. En sortant de la maison, un coup de feu est venu, je suis tombé par terre, je me relève, un deuxième coup de feu et un troisième. Et les enfants, il fallait fermer la porte, je reste dehors, puis je tape. J'ai vu un véhicule double cabine glisser avec des feux de position derrière le portail. Je rentre dans la maison, je vais dans ma chambre à coucher et je tire le rideau. Il y avait un clair de lune et comme ça je vois six soldats en train de ramper dans le jardin, exactement comme vous voyez dans les films ou à la guerre, pour venir prendre d’assaut ma maison. Alors, tout simplement, je suis allé ouvrir, il n'y avait pas d'électricité, ils ont dit : « Faites du feu ». J’ai dis : « Il n'y a pas de feu, il y a une bougie ». J'ai allumé les bougies. Et puis ils ont commencé, ils ont dit : « Voilà. Vous venez de tirer trois coups de fusil, vous venez de blesser trois de nos soldats, soit c'est vous ou c'est les Inkotanyi que vous hébergez ici ». J'ai dit : « Ce n'est pas moi, je ne sais pas tirer au fusil, je ne connais pas de fusil et je n'ai pas d’Inkotanyi chez moi ». Ils me disent : « Où est-ce… tu vis avec qui ? ». Je dis : « Je vis avec les enfants ». « Faites venir les enfants ». On a fait venir les enfants dans le salon. Quand les enfants ont voulu s'asseoir, ils ont dit : « Non, sortez ». Ils les ont alignés devant la façade à partir du plus grand, avec un cynisme fantastique, jusqu'au plus petit et c'est à ce moment-là qu’un des soldats qui était devant la porte, avait un papier dans la main avec des noms dessus, et c'est à ce moment que la boyesse a vu qu'il y avait une série de gens sur cette liste-là.

Le Président : Vous ne pouvez pas affirmer que cette liste-là, c'était celle remise à Monsieur NTEZIMANA ? C'était peut-être une autre liste ?

le témoin 9 : C'était une liste. Moi, j'étais en train de combattre le traumatisme, je ne pouvais pas réfléchir. Mais c'était une liste, elle existe, ou bien elle existait.

Le Président : Les enfants qui étaient dans votre maison ont-ils été tués ?

le témoin 9 : Non.

Le Président : Vous-même, on a tiré sur vous ?

le témoin 9 : On a tiré trois fois. Je ne sais si c'était sur moi, quoiqu'un soldat a tiré trois fois. Ce n'est pas tout. Le militaire est allé dans la cuisine, il cherchait des grenades, il n'a rien vu, il a pris un grand couteau de cuisine et est venu tout juste en face. Il m'a dit : « Je veux une liste de 29 Tutsi ou je vous plante ceci dans le cœur ». J'ai dit : « Je ne connais pas de Tutsi ». Il dit : « Je veux une liste tout de suite. Prenez et écrivez ! ». J'ai dit : « Pas question, je ne connais pas de Tutsi ». Mon petit-fils qui était là ­ pas le petit-fils ­ mon garçon, il a dit : « Papa, lève-toi et cours ». Alors je me suis levé, j'ai regardé le militaire dans les yeux, j'ai dit : « C'est ici ou là-dedans. Ou bien alors ça va être quelque chose d'autre ». Il dit : « C'est quoi ? ». Je dis : « Pourquoi est-ce que vous voulez tuer les gens ? Moi je ne suis pas du FPR je n'ai pas de d’Inkotanyi ici. Pourquoi est-ce que vous voulez traumatiser le monde ? Pourquoi est-ce que vous voulez tuer ces gens-là ? ». Et puis ils ont dit : « OK. Où est votre femme ? ». J'ai dit : « Ma femme est au Zaïre ». En fait, elle était à Kigali. Et puis ils m'ont dit : « OK, nous allons dans la chambre pour conférer et… trancher, prendre la décision ». A ce moment-là, il y avait un soldat dehors qui avait les enfants en joue. Ils sont sortis de la chambre et ils ont dit : « Ca y est, on a tranché, rejoins les enfants ». C’était donc presque à la fin.

Et puis un soldat qui avait les enfants en joue, il a dit : « Mzee ­ ça veut dire le vieux ­ de quelle région vous venez ? ». J'ai dit : « Je viens de Byumba, ça c'est la région du Nord ». Puis il a dit : « Est-ce que vous connaissez d'où je viens moi ? ». Je dis : « Pas question, je ne le sais pas ». Il me dit : « Je viens de Byumba aussi. Est-ce que vous savez Byumba ? ». Je lui dis : « Je viens de la commune de Ngarama ». Il me dit : « Je viens de la commune de Byumba. Est-ce que vous connaissez Tiumba ? ». Je dis oui. « Connaîtriez-vous quelqu'un là-bas ? » J'ai dit : « Oui, je connais un assistant médical qui s'appelle KANYA MASHOKORO ». Il a dit : « OK. C'est sûr, vous êtes de notre région. Je ne veux pas tuer quelqu'un de notre région ». Ils ont mis les fusils sur les épaules, ils sont partis. C'est comme ça que l’on a été sauvés.

Le Président : En ce qui concerne les opinions politiques de Monsieur NTEZIMANA, vous pouvez en dire quelque chose ? Vous saviez qu'il était fondateur d'un parti, d'un nouveau parti, le PRD, parti du Renouveau Démocratique ?

le témoin 9 : Il est fondateur du parti du renouveau démocratique. Il partageait les idées avec un certain François BARANYERETSE qui était dans le département de physique avec un mathématicien du nom de Balthazar, je ne me souviens plus de son nom de famille. Avec un autre mathématicien qui s'appelait KANYANDEKWE et les idées qu'ils véhiculaient c'étaient des idées surtout de s'opposer à la mise en exécution des accords d'Arusha. Ce qui veut dire ce que ça veut dire. C'est-à-dire extrémisme parfait.

Le Président : Est-ce que vous pouvez expliquer aussi qu'elle aurait été la position prise par Monsieur NTEZIMANA lors de la réunion publique du 17 avril… la réunion organisée par le préfet le témoin 32 où il a été question notamment de faire des rondes pour veiller à la sécurité dans les quartiers. Est-ce que Monsieur NTEZIMANA était favorable à ces rondes ?

le témoin 9 : Monsieur le président, à ma souvenance je ne me souviens pas l'avoir vu dire quelque chose.

Le Président : Est-ce que vous n'avez pas expliqué que Monsieur NTEZIMANA, à cette réunion, s'opposait, lui, considérait qu'il ne fallait pas faire des rondes, mais qu'il était plutôt favorable au fait de distribuer des armes aux gens pour leur permettre de se défendre ?

le témoin 9 : OK. Ce n'est pas dans la réunion…

Le Président : C'est à une autre réunion…

le témoin 9 : …du 17, c'est d'autres réunions.

Le Président : D'accord.

le témoin 9 : Il y a eu d'autres réunions. Il y a même des réunions où on nous regroupait sur deux voies pour faire des listes de gens qui voulaient aller apprendre comment manier les armes. Je me souviens qu'il est apparu dans cette réunion-là. Et qu'il aurait dit : « Les rondes, pour moi je m'en fous, tant qu'on n'a pas une arme, moi je ne suis pas prêt à participer aux rondes ».

Le Président : Vous pouvez dire un mot de la personnalité de l'ancien vice-recteur Jean Berckmans…

le témoin 9 : NSHIMYUMUREMYI ?

Le Président : Oui. C'était quel genre de personnage ?

le témoin 9 : Ce sont des personnages très difficiles à décrire parce que… ce sont des personnages qui manipulent deux façons de communiquer : une façon formelle, externe, et une façon qu'on peut appeler le non-dit, ce qu'ils pensent. Il vous dit quelque chose mais il pense à autre chose. Les deux personnes sont comme ça. Mais ce que je sais de lui, c'est que par exemple, en tant qu’autorité ­ une des grandes autorités de l'université ­ en 1991, les gens qui avaient été pris et emprisonnés comme des Ibyitso , vous savez ce que Ibyitso veut dire dans ce contexte-là, c'est-à-dire des complices du FPR. Lorsqu'ils sont sortis de prison, ils ont réclamé leur salaire. Leur salaire leur est accordé par le règlement. Il a complètement refusé de payer les salaires de ces gens qui étaient en prison, injustement, jusqu'à ce que le recteur qui était en fonction à ce moment-là lui donne une injonction de les payer. Ca c'est un. Deuxièmement, moi quand j'ai échoué dans le camp de réfugiés à Nyarushishi avec les enfants, il était parti avec tout l'argent de l’université, traversé la frontière jusqu'au Bukavu et le Docteur le témoin 61 et moi, nous lui avons fait… comment ­ un message - comme quoi au moins qu'il nous donne le salaire d'avril ou de mai. Il a fait répondre qu'il n'a pas de l'argent à gaspiller à donner aux Inkotanyi. Je ne sais pas, qu'est-ce que vous voulez que je dise de NSHIMYUMUREMYI ?

Le Président : Non, je ne sais pas. Est-ce que c'était un… aussi un opposé aux accords d'Arusha ?

le témoin 9 : Oui. Mais il était beaucoup plus discret, il ne le disait pas publiquement. C'était plutôt quelqu'un qui agissait beaucoup plus que parler.

Le Président : Vous avez rencontré Monsieur HIGANIRO aussi à Butare ?

le témoin 9 : Oui, il était directeur de…

Le Président : De la Sorwal ?

le témoin 9 : De la Sorwal.

Le Président : Vous avez eu des contacts personnels avec lui ?

le témoin 9 : Non, pas comme tels, mais il était… parlant de l'ancien préfet le témoin 32, HIGANIRO aimait beaucoup aller fréquenter le préfet, le soir pour bavarder, boire un whisky, boire une bière. Un jour, le témoin 32, qui était un grand ami à moi, m'en a parlé. Je lui ai dit à le témoin 32 : « Fais gaffe, vous êtes en train de vous laisser manipuler par cet homme-là ». Il me dit : « Il est du parti libéral ». Je dis : « Il n'est pas du parti libéral, il est en train de passer en dessous pour vous détourner ». Il dit : « Mon vieux, moi je ne peux pas le foutre à la porte parce que j'ai une dette morale pour son beau-père ». La dette morale pour son beau-père c'est que son beau-père avait permis à le témoin 32 d'obtenir un passeport pour aller étudier aux Etats-Unis, passeport qui avait été refusé parce qu'il était Tutsi. Donc, il a senti qu’il devait probablement recevoir sa fille et son mari et bavarder gentiment avec eux. Probablement, ils parlaient de politique mais je ne sais pas. Mais quoiqu'il en soit, il n'y avait pas moyen d'éviter de parler politique en ce moment-là. Et comme lui était beaucoup plus proche de l’Akazu et du MRND, je ne voyais pas comment il peut changer du jour au lendemain, comme la foudre, devenir tout libéral, comme ça. C'est ce que j'ai fait valoir à le témoin 32.

Le Président : Vous avez expliqué qu’à Butare la réputation de Monsieur HIGANIRO avait été, notamment dans sa fonction de directeur de la Sorwal, qu'il avait eu la réputation d'avoir licencié des gens qui travaillaient à la Sorwal, des gens de Butare, pour les remplacer par des gens de sa région, des gens du MRND, des gens proches éventuellement de l’Akazu, donc l'entourage du président le témoin 32. Est-ce que c'était quelque chose que vous avez constaté personnellement ou ce sont des bruits qui couraient dans Butare, ça ?

le témoin 9 : Non je n'ai pas constaté personnellement les activités de chaque jour de la Sorwal. C'est des paroles, des bruits, des rumeurs comme on dit. Mais moi je me dis : « Il n'y a pas de fumée sans feu ». Et ça ne m'étonnerait pas de sa part qu'il le fasse.

Le Président : Vous vous souvenez que le premier ministre intérimaire, Monsieur KAMBANDA, est venu également à Butare ?

le témoin 9 : Oui, Monsieur le président.

Le Président : Au mois de mai je crois ?

le témoin 9 : Le 14 mai exactement.

Le Président : Et est-ce qu'il n'est pas venu plus particulièrement s'entretenir avec les professeurs de l’université ?

le témoin 9 : Cela s'est passé comme suit. Les gens, comme François BARANYERETSE, qui étaient en même temps membres du parti du renouveau démocratique, mais aussi qui étaient membres de ce qu'ils appelaient le Cercle des républicains progressistes, sont venus dans les quartiers et nous ont dit : « Demain, le premier ministre arrive pour s'entretenir avec les intellectuels de Butare ». BARANYERETSE François lui-même est venu chez moi. Je lui ai demandé : « Est-ce que c'est nécessaire vraiment d'aller là-bas ? ». Il a dit : « Faites ce que vous voulez de toute façon… ».  Alors on est parti là-bas, il nous a envoyé le véhicule, on était dans l'enceinte de la faculté de médecine, le premier ministre est venu, il a été introduit par le recteur, Monsieur le témoin 108, le vice-recteur Jean Berckmans a dit un mot. NTEZIMANA, qui représentait l’APARU, qui normalement devait dire un discours, ne l'a pas dit, mais ça ne l'a pas empêché de dire que les conclusions qui allaient sortir de cette rencontre seront soutenues par l'APARU. Et puis, il y a eu d'autres interventions, il y a des interventions du parti politique du PSD, de l'ancien parti Parmehutu, MDR, etc. etc. etc.

Le Président : Donc Monsieur NTEZIMANA soutenait les propositions de KAMBANDA ?

le témoin 9 : Exactement.

Le Président : Est-ce que vous savez que le président du PRD, Alexis NSABIMANA ? Ca vous dit quelque chose, Alexis NSABIMANA ? Non ?

le témoin 9 : Non, Monsieur le président.

Le Président : Bien. Y a-t-il des questions à poser ?

L’Assesseur : Au moment où il était question d'établir les listes, c'est-à-dire probablement une semaine après le début des événements, après le 6 avril, environ, vous dites que le professeur… KARENZI, pardon… a activement participé à l'élaboration des listes, comment cela a-t-il été possible ? Et est-ce qu'à l'époque, il était envisageable de fuir effectivement vers le Burundi ?

le témoin 9 : C'est possible parce que lorsque tout ça a commencé, les Rwandais, du moins ceux qui n'étaient pas dans la planification de cette affaire, ne pouvaient en aucun cas se rendre compte que c'était un génocide qui était entré dans un processus. On était habitué à des explosions depuis 59-63-73, on était habitué à ce genre de routine des explosions politiques et on pensait que c'était une affaire qui allait passer une semaine, que certainement certaines gens allaient mourir, mais que ça allait se calmer. Moi-même, avec le professeur KARENZI, nous ne nous rendions pas compte de quelle ampleur ces événements allaient prendre. Et c’est dans ce genre de logique qu'on a accepté de se faire inscrire sur des listes pour, au moins, mettre les familles à l'écart, si c'était possible. Et c'était possible, du moins avant la guerre. Aller de Butare à Bujumbura, c'était très très facile, vous passiez la frontière tout simplement comme ceci en montrant la carte d'identité ou le passeport. Donc, c'est possible que ces choses, ou bien que nous ayons réfléchi de cette façon. C'est après, lorsqu'on a commencé à tuer vraiment, que la réalité est tombée en face, qu’on s'est rendu compte à quel point on s'était gouré, permettez-moi l'expression, Monsieur le président.

L’Assesseur : Vous dites que le PRD, le parti de Monsieur NTEZIMANA, était un parti… radical extrémiste et anti-accords d'Arusha. Est-ce que ça s'est manifesté par des choses extérieures, des choses objectives, que vous avez pu constater, parce que les statuts de ce parti semblent ne pas du tout indiquer cela et les éléments, enfin… les affirmations de Monsieur NTEZIMANA ne vont pas dans ce sens-là.

le témoin 9 : Lorsque vous analysez les statuts et le programme de la CDR qui était le parti le plus extrême qui puisse avoir existé sur cette terre, rien n'est marqué là-dessus. Ce n'est pas parce que ce n'est pas marqué que dans le comportement on agisse pas autrement. C'est ce que j'avais dit tout à l'heure : « Il y a le dit et le non-dit ». Lorsque ces gens allaient enseigner dans des autobus ou bien qu'ils se rencontraient au guesthouse le soir, pour prendre un verre, les idées qu'ils étaient en train de mettre sur la table, ce n'était pas des idées modérées en tous cas. J'en ai écoutées quelques-unes : « Les accords d'Arusha on s'en fout, les Tutsi vont encore prendre le pouvoir etc ». Ce genre de choses. Voilà.

L’Assesseurs : Existait-il, indépendamment des listes dont vous avez parlé, un listing du nom des professeurs à l’université, listing qui reprendrait l'ethnie ? Et, deuxième question, avez-vous connaissance d'un autre Vincent au sein du corps professoral de l’université à cette époque ?

le témoin 9 : Monsieur le président, voudriez-vous faire répéter la première question s'il vous plaît ?

Le Président : Oui, la première question c'est de savoir si, à part les listes faites par Monsieur… ou incitées, selon vous, par Monsieur NTEZIMANA, les listes de personnes qui voulaient évacuer, existait-il ­ je dirais dans les documents officiels de l'université, dans ses statistiques, dans ses listes de membres du personnel ­ existait-il des listes ou des documents officiels de l'université qui reprenaient l'ethnie à laquelle appartenaient les professeurs ?

le témoin 9 : Lorsque vous allez dans les dossiers des professeurs, chaque professeur a un dossier, un dossier administratif, et, au Rwanda, à ce moment-là, chacun était tenu de montrer des attestations venant des communes. Et l'une des attestations était une attestation de naissance où absolument l'ethnie était marquée. Exactement comme la carte d'identité d'avant. Donc ça, c'est pour ce qui concerne les dossiers administratifs. Quant aux statistiques, je ne me souviens pas, je n'ai pas fait de recherches dans ce genre-là. A savoir combien de pourcentage de Tutsi ou bien combien de pourcentage de Hutu…  Mais, comme c'était une petite université et que, à ce moment-là, je connaissais presque tout le monde, je venais de passer, je suis entré en 88 des États-Unis, euh… c'est quelques années après que ces affaires ont commencé. J'avais eu le temps de connaître les gens, tout le monde qui était là. Les Tutsi étaient la minorité. Exactement selon le quota qui avait été instauré par le gouvernement comme dans les autres systèmes d'enseignement.

Le Président : Donc, sur base notamment des dossiers administratifs de chacun des professeurs, il aurait été possible d'établir des listes ne reprenant que les Tutsi ?

le témoin 9 : Oui. Exactement.

Le Président : Celui qui a… est-ce que le vice-recteur avait accès à ces dossiers administratifs ?

le témoin 9 : Oui.

Le Président : Est-ce que le président de l’APARU avait accès à ces dossiers ?

le témoin 9 : Ça dépend. Officiellement, personne n'a accès à ces listes, sauf une autorité administrative, pour une raison ou une autre. Mais, si nous entrons dans le système parallèle, je ne vois pas le vice-recteur refuser à quelqu'un en qui il a confiance d'aller vérifier telle ou telle information dans un dossier. Je ne vois pas, du moins à ce moment-là. Surtout lorsqu'il s'agissait de voir est-ce que vraiment il vous dit vrai, Tutsi ou Hutu. Parce qu’à ce moment-là le doute n'était pas permis. On devait être l'un ou l'autre. Quand il y avait un doute, alors on était dans le camp des victimes.

Le Président : Et alors la deuxième question de mon assesseur était de savoir si, parmi les professeurs de l’université de Butare, il y avait quelqu'un d'autre que Monsieur NTEZIMANA qui portait le prénom de Vincent ?

le témoin 9 : Pas à ma souvenance, Monsieur le président.

Le Président : Monsieur NTEZIMANA, est-ce qu'il n'y avait pas un autre Vincent, dans les professeurs ?

Vincent NTEZIMANA : Président, il y a un Vincent qui devra passer peut-être aujourd'hui, qui s’appelle…

Le Président : C'est, c'est…

Vincent NTEZIMANA : C'est le témoin 61.

Le Président : le témoin 61 ?

Vincent NTEZIMANA : le témoin 61.

Le Président : le témoin 61, ça vous rappelle quelque chose ?

le témoin 9 : Oui, oui. Le nom ne m'est pas venu directement dans la tête.

Le Président : Donc, il était bien…

le témoin 9 : Il avait fait connecter NTEZIMANA à Vincent, je pense que c'était…

Le Président : le témoin 61 était bien professeur à l'époque à l’université de Butare ?

le témoin 9 : Oui, oui.

Le Président : D'autres questions ? Monsieur le 6e juré ? Oui, Monsieur l’huissier, vous voulez bien apporter un micro ?

Le 6e Juré : Merci, Monsieur le président, vous pouvez demander à Monsieur le témoin, quand il a vu la jeep du capitaine qui se rendait souvent chez Monsieur NTEZIMANA, si c'était avant ou pendant les tueries ?

Le Président : Alors, vous avez expliqué tout à l'heure avoir vu à plusieurs reprises, deux, trois fois au moins la jeep du capitaine NIZEYIMANA stationner en face de la maison de Monsieur NTEZIMANA.

le témoin 9 : Après le 17 avril, c'est-à-dire à partir du lundi-mardi-mercredi, donc, pendant les tueries, quoi ! Mais cela ne veut pas dire que NTEZIMANA est resté cloîtré dans sa maison avec son hôte en train de boire une bière. Il pouvait sortir avec lui, aller chez les militaires, il circulait beaucoup avec les militaires.

Le Président : Monsieur NTEZIMANA circulait beaucoup avec les militaires ?

le témoin 9 : Oui.

Le Président : Pas seulement avec le capitaine NIZEYIMANA ?

le témoin 9 : Non.

Le Président : Euh… est-ce que vous saviez que Monsieur NTEZIMANA hébergeait des personnes chez lui ?

le témoin 9 : J'ai rencontré quelqu'un qui s'appelle le témoin 142. C'est le seul type que j'ai vu entrer, étranger au quartier, entrer chez NTEZIMANA et dire qu'il logeait chez lui. Ce qui m'a fort étonné par après par ailleurs.

Le Président : Pourquoi est-ce que ça vous a étonné ?

le témoin 9 : Je ne sais pas. le témoin 142 c'est… je ne le connais pas très bien mais… je connais des amis qui le connaissent, c'est quelqu'un qui est mulâtre, qui ne partageait pas nécessairement toutes ces idées politiques, d'ailleurs je crois qu'il était politiquement neutre, et ça m'étonnait de voir quelqu'un comme ça, qu'on pense être… de neutralité du moins, si je peux m'exprimer comme ça, aller vivre avec quelqu'un qui était connu comme soutenant l’extrémisme. C'est dans ce sens-là que j'exprime mon étonnement.

Le Président : C'était un peu le mariage de l'eau et du feu !

le témoin 9 : A peu près.

Le Président : D'autres questions, je vous en prie. Vous avez terminé ?

Le 6e Juré : Oui, oui.

Le Président : Alors, Madame le 4e  juré suppléant aurait…

Le 4e Juré suppléant : Merci, Monsieur le président. Je voudrais savoir si le témoin connaît les opinions politiques de l'autre Vincent, de Monsieur le témoin 61 ?

le témoin 9 : Les opinions politiques de Vincent. Connaître les opinions politiques de quelqu'un, ça veut dire quoi ? Ça veut dire, je sais qu'il n'est pas extrémiste dans le genre d’extrémisme de ceux qui sont ici, je sais qu'il n'est pas extrémiste dans le genre d'exclusion des gens par rapport à une certaine réalité, je ne peux pas dire qu'il est modéré, est-ce que quelqu'un qui n'est pas extrémiste est modéré ? Je ne sais pas. Il n'est pas extrémiste. Si c'est ça l'opinion politique, c'est ce que je peux dire là-dessus.

Le 4e Juré suppléant : Avait-il… Excusez-moi…

Le Président : Oui, je vous en prie.

Le 4e Juré suppléant : Avait-il une appartenance politique ? Appartenait-il à un parti politique ?

le témoin 9 : Non, pas à ma connaissance.

Le Président : Alors, oui…

Juré non identifié : Pouvez-vous demander à Monsieur si aux barrières, il y avait de l'éclairage le soir.

Le Président : Oui, donc, il semble qu'au Rwanda le soir, le coucher du soleil, c'est un coucher assez brutal et que vers 6 heures ou 7 heures du soir, il fait noir.

le témoin 9 : Oui, c'est vrai.

Le Président : C'est exact ?

le témoin 9 : Oui.

Le Président : Il y avait à plusieurs endroits dans Butare des barrières, des contrôles, des…

le témoin 9 : Disons des points de chute, des points de contrôle. Pas de barrière comme telle où on doit arrêter, lever la barrière. Ce n'est pas dans ce sens-là.

Le Président : Est-ce que les gens qui étaient à ces barrières, qui faisaient les contrôles… est-ce que ces gens avaient pendant la nuit, ou à partir de 6 heures ou de 7 heures du soir, un éclairage ?

le témoin 9 : Non. La ville n'était pas éclairée, il y avait beaucoup de pannes d'électricité et l'éclairage public est très, très faible, même jusqu'à présent, même avant. Mais…

Le Président : Éventuellement un éclairage autre que public, hein, je ne sais pas… un feu qu'on faisait, des bougies qu'on allumait, des lampes de poche…

le témoin 9 : Non. Je ne vois pas en quoi vient faire l'éclairage parce que toutes ces affaires-là se sont faites au grand jour, à partir du matin jusque vers 6 heures, et puis après, c'était le repos. Aussi bien du côté des victimes qui pouvaient encore se cacher et du côté des tueurs qui allaient dire leurs hauts faits, pour boire une bière. Il n'y avait absolument rien, il n'y avait que des militaires qui circulaient dans les quartiers pendant la nuit parce qu'ils étaient, eux, véhiculés, mais eux n'avaient pas besoin de bougies, ils avaient besoin de phares, et les phares fonctionnaient.

Le Président : Bien. Monsieur le 3e  juré, et ensuite Monsieur le 12e  juré.

Le 3e Juré : Oui, Monsieur le président, pouvez-vous demander au témoin de confirmer que les listes adressées aux professeurs qui désiraient s'enfuir, est-ce que ces listes comportaient bien, non seulement le nom des professeurs, mais également de leur famille ?

Le Président : Donc, dans les listes que vous avez faites ou sur laquelle vous avez figuré, je crois ?

le témoin 9 : Oui.

Le Président : Ça comportait non seulement le nom des professeurs qui voulaient évacuer mais également le nom des membres de leur famille ?

le témoin 9 : Exactement.

Le Président : Et est-ce que ces listes reprenaient également, peut-être en plus des noms, les numéros de cartes d'identité ?

le témoin 9 : Non, pas que je sache. Moi, quand il m'a demandé de me faire inscrire, j'ai dit : « Je veux me faire inscrire sur la liste des gens à évacuer sur Bujumbura. Alors, je m'appelle le témoin 9, mon fils aîné s'appelle untel et l'enfant suivant etc. », jusqu'au huitième, purement et simplement, mais c'étaient des listes séparées. Il y avait, je vous ai dit, la liste pour ceux qui allaient aller dans le Nord, la liste pour ceux qui allaient aller dans l'Ouest, et la liste pour ceux qui allaient aller…

Le Président : En tout cas, la liste sur laquelle vous avez demandé à ce que votre nom et le nom de vos enfants soient portés, vous n'avez pas communiqué, pour la confection de cette liste, les numéros de cartes d'identité ?

le témoin 9 : Non. Pas du tout.

Le Président : Bien. Monsieur le 12e juré…

Le 12e Juré : Merci, Monsieur le président. Le témoin pourrait-il préciser quand il a appris le décès du professeur KARENZI ?

Le Président : Oui. Vous souvenez-vous du moment où vous avez appris le décès du professeur KARENZI ?

le témoin 9 : Je pense c'est le 22 vers…

Le Président : 22 avril ?

le témoin 9 : 22 avril.

Le Président : Oui.

le témoin 9 : Dans l'après-midi. Parce que je l'attendais parce qu'il devait venir me chercher pour aller faire le marché. Il semble qu'il soit parti en ville et qu'il n'en soit pas revenu, et qu’il ait été tué devant l’hôtel Faucon.

Le Président : Vous pouvez préciser éventuellement qui vous a appris la mort du professeur KARENZI ?

le témoin 9 : Euh, je pense c'est la femme de Bernard, qui s'appelle Marie-Thérèse KAMPIRE.

Le Président : La femme de Bernard le témoin 93 ?

le témoin 9 : Oui. Exactement. Je ne me souviens plus très bien. Soit elle est venue chez moi… Elle est venue chez moi deux fois. La première fois pour m'annoncer que KARENZI était mort et vers fin mai pour m'annoncer que la famille de Jean-Baptiste le témoin 32 avait été massacrée. le témoin 32, sa femme Joséphine et les deux enfants.

Le Président : Donc, la femme et les enfants de l'ancien préfet ?

le témoin 9 : Oui.

Le Président : Oui, Madame le… je vous en prie Madame.

Juré non identifié : Est-ce que vous pourriez demander au témoin si Monsieur KARENZI avait des liens particuliers avec Monsieur le témoin 61 ?

Le Président : Oui. Est-ce que…

Juré non identifié : S'ils étaient proches ?

Le Président : Selon vous, selon ce que vous avez pu constater, des relations existaient entre les divers professeurs de l’université, est-ce que Monsieur KARENZI était particulièrement lié à le témoin 61 ?

le témoin 9 : Non, pas que je sache. Monsieur KARENZI avait, si je peux m'exprimer comme ça… était beaucoup plus lié à son travail. C'était un homme extrêmement gentil, qui recevait n'importe qui, qui pouvait donner conseil à n'importe qui, qui était disponible lorsqu'on allait le voir et qui pouvait vraiment s'abandonner pour quelqu'un d'autre. Mais les relations de rapprochement et d'amitié entre lui et le professeur le témoin 61, je ne les vois pas. Il était beaucoup plus en relation avec moi, on était des amis.

Le Président : Par exemple, Monsieur KARENZI, Monsieur NTEZIMANA et vous, vous habitiez dans la même rue ?

le témoin 9 : Dans la même rue. NTEZIMANA habitait la cinquième maison plus bas que celle de KARENZI…

Le Président : Est-ce que…

le témoin 9 : …et moi j'habitais 150 mètres plus loin, la quatrième maison.

Le Président : Est-ce que le témoin 61 habitait dans la même rue aussi ?

le témoin 9 : Non, non, pas du tout. le témoin 61 c'est de l'autre partie de la ville, sur la route qui va à Ngoma.

Le Président : Madame le 10e juré.

Le 10e Juré : Oui, Monsieur le président. Je ne sais pas si j'ai très bien compris mais le témoin n'a-t-il pas dit qu'il n'y avait pas de rondes ?

Le Président : Alors, est-ce qu'il y a eu des rondes ?

le témoin 9 : Oui, Monsieur le président. Il y a eu des rondes depuis la réunion du 17.

Le Président : Avril ?

le témoin 9 : Du 17 avril, jusque vers la fin mai, où tout le monde a abandonné, il n'y en a plus eues.

Le Président : Et vous avez vous-même participé à des rondes ?

le témoin 9 : Oui.

Le Président : Et c'était organisé par quartier…

le témoin 9 : C'était organisé par quartier, avec des shifts, comme on dit, c'est-à-dire ceux qui avaient passé la nuit dehors, allaient dormir le lendemain etc., l'autre équipe passait etc. Moi personnellement, j'étais avec un certain GATWAZA, qui était vice-doyen de la faculté des sciences et qui a d'ailleurs été tué par les militaires. Je me suis toujours demandé d'ailleurs si  NTEZIMANA n'était pas au courant de ça ou si ce n'était pas sous son investigation, étant donné que les militaires ont été emmenés chez GATWAZA par BARANYERETSE , qui était presque le lieutenant de NIZEYIMANA. BARANYERETSE est venu avec trois militaires chez GATWAZA, j'étais là, j'ai vu. Et ils l'on arrêté, ils l'on transporté en ville. Le soir, ils l'ont relâché. Le lendemain, ils sont venus le chercher lui et sa femme, ses enfants, son beau-frère et sa belle-sœur, tout le monde dans un véhicule bleu double cabine écrit « Riziculture RWAMAGAMA ». Comment est-ce que BARANYERETSE, qui partageait les mêmes idées que NTEZIMANA à un terme du parti du renouveau démocratique, puisse prendre une initiative pareille sans qu'on le sache et que les deux sont des professeurs de physique. Et leur victime est aussi professeur de physique et il était leur vice-doyen. Ça c'est de la spéculation mais… je pense que ça vaut ce que ça vaut.

Le Président : Bien. Y a-t-il encore des questions dans le jury ? Monsieur le 6e juré ?

Le 6e Juré : Monsieur le président, peut-on demander à Monsieur, pendant ces rondes qu'ils faisaient, est-ce qu'ils étaient accompagnés par des militaires, est-ce qu'ils étaient armés ? Et si non, quel moyen ils auraient eus pour se protéger contre ceux qui voulaient attaquer ?

Le Président : Pendant les rondes, étiez-vous accompagnés par les militaires ?

le témoin 9 : Euh, c'est absolument une très bonne question. C'est là qu'on vous montre que c'était absurde. Vous mettez des gens sur les rondes avec des petits bâtons et vous leur dites : « Essayez de protéger la ville contre les Inkotanyi », mais, par après, dans chaque point, pas des militaires, mais dans chaque point, disons, la rue où nous habitons et comme ça au bout de cette rue et à son bout, ceux qui étaient là avaient deux militaires, un militaire ici et un autre militaire là-bas. Ceux qui étaient au milieu, il n'y avait rien. Donc, dans un coin de rue il y avait un militaire pour renforcer les gens qui avaient la responsabilité de faire la ronde.

Le Président : Alors, Monsieur… plus de question dans le jury pour le moment ? Monsieur l'avocat général ?

L'Avocat Général : Est-ce que Monsieur le témoin peut confirmer - il l'a dit, mais je voudrais qu'il le confirme - que lui-même figurait sur les listes ?  Lui et sa famille. Donc, les noms étaient inscrits sur les listes pour être évacués.

le témoin 9 : Oui, Monsieur le président. J'étais bien sur la liste.

L’Avocat Général : Et, quelques jours après, vous avez fait l'objet d'une attaque par des militaires ?

le témoin 9 : Oui.

L’Avocat Général : Où vous avez dû votre salut simplement au fait que le militaire qui est venu était de la même région que vous.

le témoin 9 : Une pure chance.

L’Avocat Général : Une autre question. Vous l'avez déjà dit, Monsieur le président, mais je voudrais qu'on le répète clairement. Le nouveau sous-préfet, Monsieur RUTAYISIRE a bien déclaré que Monsieur NTEZIMANA, en compagnie de Monsieur SIBOMANA, venait pointer les maisons des personnes dans le quartier de l'école sociale à Karubanda et qu'il venait désigner les personnes qui devaient être emmenées. Notamment la famille KANAMUGIRE.

le témoin 9 : Ce n'est pas RUTAYISIRE seulement. Le 23 matin, nous nous sommes réunis pour aller voir chez un certain MANIRAHO, qui avait été massacré le 21 soir par des militaires qui étaient chez lui. Lui et toute sa famille et sa belle-mère, neuf personnes. Les cadavres étaient en train de gire là pendant trois jours. Personne ne s'occupait de ça. On s'est dit, ça commençait à pourrir, on va essayer d'organiser ça. Les gens m'ont vu le lendemain, j'avais été attaqué la veille. Ils se sont étonnés que je sois encore en vie. Un certain Antoine, le petit frère de NTAKIRUTINKA m'a dit : « Vous savez, c'est à cause de NTEZIMANA que vous avez été attaqué ». J'ai dit dans ma déposition que je soupçonnais que c'était lui qui avait instigué son coup chez moi.

Maintenant je suis sûr, je ne soupçonne plus… que c'est lui. Et je vais vous dire pourquoi. Il y a un mois exactement, là où j'habitais avant - je me suis déplacé, je suis juste en face d'où il vivait  - je sors de chez moi, je conduisais mon fils à l'école, et puis je rencontre plusieurs gens, un prisonnier, des caméras, un policier avec des armes, ils étaient en train de filmer toute la rue. Je continue. Le soir toute la ville savait ce qui s'était passé. Je suis allé à l'hôtel Ibis et Monsieur CAMPION Michel m'a dit : « Le type qui vivait chez NTEZIMANA a été arrêté et a confessé que, parmi les gens qu’il devait tuer sur ordre de NTEZIMANA vous faisiez partie avec votre famille ». Et ces gens, c'était KARENZI, c'était Gaëtan et moi. Donc ce n'est pas seulement RUTAYISIRE qui accusait NTEZIMANA de pointer du doigt les gens à tuer. Tout le monde, dans le quartier, se doutait de ça, Monsieur le président.

Le Président : Donc, vous avez, semble-t-il très récemment, obtenu une confirmation de ce que vous pensiez à l'époque ?

le témoin 9 : Exactement.

Le Président : Qui vous avait été déjà un petit peu confirmé par le préfet, ou le sous-préfet, RUTAYSIRE.

le témoin 9 : Oui.

Le Président : Bien. Monsieur l'avocat général, plus de question en ce qui vous concerne ? Les parties ont-elles… la défense ou les parties civiles ont-elles des questions ? Euh… Maître GILLET. Non. On peut essayer de trouver un ordre, mais…

Me. GILLET : Monsieur le président, le témoin a dit tout à l'heure, enfin a fait état de cette conversation entre le préfet le témoin 32 et lui-même à propos des relations entre le témoin 32 le préfet et Monsieur HIGANIRO, et on a parlé d'une affiliation de Monsieur HIGANIRO au parti libéral. Je voudrais en avoir la confirmation et je voudrais aussi que le témoin nous dise quelle interprétation il nous fait de cette affiliation, puisque, par ailleurs, on sait que Monsieur HIGANIRO a de tout temps été affilié au MRND.

Le Président : Vous avez expliqué tout à l'heure, vous avez eu un entretien avec Jean-Baptiste le témoin 32, l'ancien préfet, au cours duquel vous avez discuté de Monsieur HIGANIRO. HIGANIRO et le témoin 32 se côtoyaient. Il semblait que, de cette discussion, Monsieur HIGANIRO aurait été membre du PL, donc du parti libéral ?

le témoin 9 : Monsieur le président, en 1993, vers le mois d’août-septembre, l'opposition démocratique s'est scindée en deux. Que ce soit le MDR, une partie est devenue Power, et l'autre partie était dite modérée, que ce soit le PL, une partie est devenue Power, et l'autre partie était dite modérée. Il n'y a que le PSD qui a tenu jusqu'au début du génocide. Cela  étant donné, les gens du MRND ont infiltré les partis dont je viens de parler. Il y a des gens du MRND qui ont changé, qui sont allés dans le MDR. Il y a des gens du MRND qui ont changé, qui sont allés dans le PL. Pour moi, c'était tout simplement ça, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure, une infiltration.

Le Président : Est-ce que le MRND était bien représenté à Butare ?

le témoin 9 : Non. Butare c'était un parti, oh pardon… une région où le PSD était, avait plutôt la majorité des adhérents. Dans la ville - ça je parle de la région de Butare en général - mais dans la ville de Butare, le PSD et le parti libéral avaient presque à égalité les mêmes adhérents.

Le Président : Et le témoin 32 le préfet ?

le témoin 9 : Il était du PL, du Parti Libéral. Et il était du côté qui combattait le Power du PL. Et comme il était une autorité politique et administrative, et comme je soupçonne… ce n'est même pas une question de soupçonner puisqu’on sait que ce génocide a été planifié, endormir une autorité par des beaux mots, des gestes, des sourires pouvait être le parti de la stratégie. Il ne faut pas oublier que le témoin 32, qui était très fin et très intelligent, une fois avait découvert dans la commune de Ndora plus de 60.000 machettes qui étaient arrivées par-là, via les donations au centre de santé… Vous savez, on amène de la nourriture mais dans les caisses ce sont des machettes. Il avait découvert ces machettes, il les a confisquées, il les a mises à la préfecture. On pouvait se poser la question à quoi ces machettes allaient servir. Et ça c'était en 93.

Le Président : En 93 ?

le témoin 9 : Oui.

Le Président : Vous savez situer un peu plus précisément l'époque : début, fin…

le témoin 9 : Peut-être vers novembre, quelque chose comme ça.

Le Président : Vers novembre 93.

le témoin 9 : Oui, je ne me souviens pas très, très bien mais c'est vers novembre, parce qu'il m'a dit ça un jour. Il avait un problème à Nyanza, il m'a demandé de l'accompagner là-bas. Il devait mettre d'accord le sous-préfet, le bourgmestre, qui étaient de tendance différente pour essayer de ramener la paix dans la région. Nous sommes allés là-bas ensemble, il a passé toute la journée à essayer de faire la balance entre les deux tendances opposées, enfin et finalement le soir il a obtenu résultat. Il a dit : « Les gens vont être calmes, la vie continue etc. etc. ». C'est en rentrant qu'il m'a révélé qu’il y a des choses qui sont en train de se faire dans des régions qu’il ne comprend pas. Par exemple, le fait que les gens disent : « Nous amenons dans des centres nutritionnaires un nombre de caisses, du lait en poudre, des choses comme ça », et au lieu de ça, ce sont des machettes.

Le Président : Bien. Oui, Maître GILLET, encore et puis…

Me. GILLET : Monsieur le président, euh…

Le Président : Oui, je vous en prie.

Me. GILLET : Pourriez-vous poser au témoin la question de savoir… s'il sait que les partis se réunissaient pendant le génocide à Butare et quels étaient les gens qui se réunissaient ou les partis qui se réunissaient dans ces réunions de partis et s'il y avait éventuellement une appellation rwandaise de ces réunions de partis ?

Le Président : Vous avez compris la question ?

le témoin 9 : J'ai compris la question, Monsieur le président. La réponse est très simple, je n'ai aucune information là-dessus.

Le Président : Oui, Maître GILLET ?

Me. GILLET : J'aurais également voulu savoir s'il y avait une barrière entre chez lui et chez le capitaine NYZEYIMANA, et quelles sont les personnes qui se trouvaient sur cette barrière ?

Le Président : Entre l'endroit où réside le capitaine… ou résidait le capitaine NIZEYIMANA et votre quartier, le quartier où vous habitiez, y avait-il une barrière, un point de contrôle ?

le témoin 9 : Est-ce que vous connaissez la structure de la ville du quartier de Butare ? OK, c'est dommage qu'on ne peut pas dessiner ça tout de suite mais nous habitons une rue, l'angle comme ça, il y a une rue verticale, perpendiculaire à ça, et qui traverse une rue parallèle à une autre. Les deux rues sont importantes pour les besoins de ce que nous sommes en train de faire. La rue, la première rue, qui regarde le groupe scolaire, c'est là où on habitait. La rue suivante, il y avait une école belge qui longeait cette rue-là. Alors, l'autre rue perpendiculaire va, comme ça, derrière et passe dans le quartier des militaires en coupant la rue de la coopération et ce quartier de militaires était habité surtout par le général le témoin 27, qui était à ce moment-là, à Kigali mais c'est les militaires qui le gardaient, les escortes comme on dit, étaient là. C'est surtout eux, ceux-là, qui allaient dans les quartiers le soir pour violer, tuer etc. etc. de même que la rue où j’habite, plus loin, il y avait des militaires qui gardaient la maison du frère du président, le docteur Seraphin. C'est ces deux militaires-là qui ont fait des choses incroyables.

Alors, je soupçonne que derrière le témoin 27, il y avait des maisons officielles habitées par les officiers. Personnellement moi je ne sais pas où NIZEYIMANA vivait mais, comme officier, il devait probablement vivre là-bas. Mais entre-temps, sur la route qui descend de la gare à l'école belge il y avait une barrière tenue par BARANYERETSE François, dont j'ai parlé, tenue par Balthazar, le mathématicien qui avait une femme russe, tenu par KANYANDEKWE. Trois éléments des plus virulents. Est-ce que j'ai répondu à votre question, Monsieur le président ?

Le Président : Oui. D'autres questions ? Maître HIRSCH, ensuite Maître SLUSNY.

Me. HIRSCH : Oui, Monsieur le président. Est-ce que le témoin a connaissance d'un jeune homme qui aurait été tué particulièrement sur cette barrière ?

le témoin 9 : Je sais que quelqu'un a été tué sur cette barrière mais je ne l'ai pas vu. On était… je vais recommencer le dessin… la rue de chez nous se terminait par un T et derrière le T, il y a une rigole pour évacuer l'eau, et derrière il y avait une maison habitée par un Américain. Il l’avait abandonnée mais il y avait ses deux chiens là. Le soir, GATWAZA et moi, on sautait la clôture, et on allait dans la maison pour demander aux Zamu de nous faire du feu.

Le Président : Les Zamu, ce sont les gardiens ?

le témoin 9 : Les gardiens, oui. Ils nous faisaient du feu jusque vers 2 heures du matin et puis on rentrait. Mais, quand il y avait une truc  de fusillade à côté, à 50 mètres ou 60 mètres, nous, on se couchait dans cette rigole-là. Parce qu’on savait que pendant la nuit certains étaient pris sur des points de rencontre ou bien des barrières, pour être tués. On était donc très prudents à ce qu'on ne se montre pas. Et c'est à ce moment-là que nous avons entendu un coup de fusil, que nous avons localisé vers ici. Mais c’est une localisation par son, ça doit être imparfait, mais de toute façon, ce n'était pas devant, ce n'était pas derrière, c'était un peu au Nord de nous. Et le lendemain, quelqu'un nous a dit, quelqu'un a été tué sur cette barrière.

Le Président : Maître SLUSNY ?

Me. SLUSNY : J’avais deux questions, mais elles ont été posées avant moi, la prochaine fois je m'agiterai un petit peu plus fort pour qu'on me remarque avant, c'était de la transmission de pensée. Merci.

Le Président : Alors, Maître LARDINOIS et ensuite Maître BEAUTHIER.

Me. LARDINOIS : Je vous remercie, Monsieur le président. Pouvez-vous poser la question suivante au témoin : est-ce que Monsieur HIGANIRO habitait près de chez lui à Buye ?

Le Président : Voilà, oui. La maison de Monsieur HIGANIRO, est-ce que c'était dans votre quartier à Buye, près de chez vous ?

le témoin 9 : Monsieur le président, la maison où il habitait comme tel, je ne me souviens pas, mais je vois un peu l'endroit où cette maison, le quartier où il vivait. C'est, on peut dire, 300 mètres, 400 mètres en descendant à gauche, je ne sais pas. Mais c'est le quartier Buye tout en cas.

Me. LARDINOIS : Est-ce qu'éventuellement le témoin peut nous dire s’il a pu constater qu'il y avait une forte présence de militaires dans le quartier ou dans la rue où habitait Monsieur HIGANIRO ?

Le Président : Est-ce que vous avez constaté la présence particulière de militaires dans cette rue habitée par Monsieur HIGANIRO ?

le témoin 9 : Si l'endroit auquel je pense est correct, une fois j'ai envoyé les enfants, il y avait un kiosque. Et les enfants sont revenus en courant, en disant : « Il y a des militaires qui sont en train de tirer sur nous ». Pas tirer sur eux comme tirer sur des bêtes, tirer pour que les enfants ne viennent pas. Je ne suis pas allé voir. Je ne peux pas répondre à cette question. C'est tout simplement un indice d'information que je peux donner à ce sujet-là.

Le Président : Oui.

Me. LARDINOIS : Dernière question, Monsieur le président. Je voudrais savoir si le témoin sait dans quelles circonstances a été tué un de ses collègues de l’université, en l'occurrence Monsieur Hyacinthe KAYISIRE, je pense qu'il connaît, et qui s'était mis également sur les listes pour partir vers le Burundi.

Le Président : Vous avez connaissance des circonstances du décès de ce collègue ?

le témoin 9 : Monsieur le président, KAYISIRE Hyacinthe était un ami. C'était un musicien, nous avions participé dans des orchestres ensemble, nous avons été demandés en 1973, lorsqu'il y avait des événements où on chassait les Tutsi et les supposés sympathisants des Tutsi des écoles, finalement on s'est rencontré à l’université. On aimait beaucoup bavarder ensemble, mais on aimait aussi partager une bière. Et puis, il avait une vache chez lui dans le backyard et j'allais chercher du lait chez lui. Si bien que, au début des événements de Butare, j'étais avec lui. Lorsque la tension a monté, il a quitté Buye, il est rentré dans sa commune d'origine, euh… Gishamvu. Le lendemain matin, le bruit a couru que KAYISIRE était parti avec moi pour se cacher chez lui. Lorsque les gens m'ont vu, ils se sont étonnés de me voir, sans mon ami KAYISIRE. Toujours est-il, qu'il est revenu parce qu’à Gishamvu ils avaient commencé à tuer.

Donc, il s'est réfugié en ville, chez lui, et c'est à ce moment-là que je l'ai complètement perdu de vue. C'était tellement dense qu'on ne pouvait pas, sauf aller sur les rondes, on ne pouvait pas sortir de chez soi. Je ne sais pas comment il a disparu. Je ne sais pas qui l'a donné pour être tué, mais à un certain moment il a disparu, on l'a tué. J'ai demandé à son frère. Il m'a dit qu'il ne sait pas non plus. Mais il soupçonnait que les gens comme  NTEZIMANA, comme BARANYERETSE, comme les gens qui commandaient la ville avaient quelque chose à voir derrière. Je n'ai pas d'information tout à fait objective quant à cette situation.

Le Président : Bien. Maître BEAUTHIER ?

Me. BEAUTHIER : Depuis combien de temps le témoin connaît-il Monsieur NTEZIMANA ?

Le Président : Vous connaissez Monsieur NTEZIMANA depuis combien de temps ?

le témoin 9 : Mais je pense qu'il est rentré à Butare en 1993 et, à ce moment-là, il n'y avait pas moyen de ne pas le connaître puisqu'on était transporté ensemble dans les mêmes autobus, on fréquentait les cabarets, certains cabarets ensemble. Les professeurs, il n'y en avait pas plus de 200 à l’université. On se connaissait. Je le connais donc, depuis 93.

Me. BEAUTHIER : Est-ce que le témoin a constaté une évolution dans ses propos, dans ses pensées, dans ses actions ?

Le Président : Dans les contacts journaliers ou… peut-être pas journaliers, mais est-ce que vous avez constaté qu'au début que vous l'avez connu et à la fin où vous l'avez connu, il aurait évolué peut-être dans sa manière de penser, dans sa manière d'agir ?

le témoin 9 : C'est très, très difficile à dire. Pour dessiner ça, il faut avoir des relations personnelles, bavarder profondément avec lui, et très régulièrement, ce qui ne m'est pas arrivé. Mais je sais qu'il avait un certain militantisme dans ses idées. Lorsque pour devenir président de l'APARU, une fois il a agressé le vice-recteur comme ça devant tout le monde, dans l'auditorium. Il lui dit comme ça : « Monsieur le vice-recteur, la chaise sur laquelle vous êtes assis, moi aussi je peux m'asseoir là-dessus ». C'était son droit du faire mais il y a une façon de dire à une autorité, pas devant tout le monde. Cette sorte d'arrogance tient comme un trait permanent de son caractère. Il ne cachait pas ça. Dans ses propos… pour probablement les fois où je l'ai entendu, c'était une sorte d'arrogance, de suffisance, des qualités qui sont au service d'une intelligence brillante et qui calcule avec beaucoup de cynisme. C'est, vous savez, dessiner la personnalité de quelqu'un c'est très, très difficile, mais si je peux répondre à la question je ne vois pas d'évolution, je vois tel que je l'ai vu : suffisant, arrogant, intelligent, manipulateur, double personnalité.

Le Président : Bien.

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, on se trouve donc pendant les événements qui ont été décrits avec cette jeep qui vient de temps en temps, on sait aussi qui est ce capitaine NIZEYIMANA. Est-ce qu'il y a eu dans les voisins, des rumeurs, des bruits, est-ce qu'on s'est demandé si vraiment c’était important que ce capitaine vienne ; d'autant qu'il n'était, j'imagine, pas seul, il devait aussi y avoir d'autres militaires. Est-ce qu'il n'y a pas eu des paroles, il n'y a pas eu des confidences, le professeur KARENZI ne s'en est pas inquiété de voir ce Monsieur, qui était tout de même considéré comme quelqu'un d'assez, c'est un euphémisme, extrême.

Le Président : Est-ce que ça a jasé ? Est-ce qu'on a trouvé ça normal ces visites du capitaine NIZEYIMANA ? Est-ce qu'on s'est dit : « Non c'est bizarre ? ».

le témoin 9 : Monsieur le président, le professeur KARENZI n'a pas eu le temps…

Le Président : Oui, de voir…

le témoin 9 : …d'assister aux visites de NYZEYIMANA chez Vincent. Il était bien mort. C'est à partir de sa mort, le 22, que les visites du capitaine étaient régulières chez lui. Et ça a jasé, bien sûr que ça a jasé. Comment est-ce que je sais ? Ce n'est pas parce que je vois une jeep stationner devant une maison que je conclus que l'occupant de la jeep  est untel, c'est que quelqu'un d'autre l'a vu, quelqu’un d’autre l’a vu, qui dit que j'ai vu quelqu'un qui va chez… qui s'appelle comme ça. Donc, ça a jasé.

Le Président : Et les gens pensaient quoi de ces visites ?

le témoin 9 : Ben, euh… vous savez lorsque des gens se mettent ensemble dans une situation, qu'est-ce qu'ils font ?

Le Président : Monsieur NTEZIMANA… dit que parfois il jouait aux   cartes !

le témoin 9 : Bien sûr on peut jouer aux cartes. On ne peut pas jouer aux cartes en fermant la bouche ! En jouant aux cartes on peut parler, on peut évaluer une situation, on peut planifier une autre. On peut programmer, on peut faire toute une série de choses, c'est un travail, c'est une gymnastique intellectuelle. Et c'est cette gymnastique intellectuelle qui était derrière l'exécution de millions et de millions de gens. Ce n'est pas seulement NTEZIMANA mais d'autres l'ont fait à travers tout le pays. Un buvait la bière, un jouait aux cartes, un regardait le film, etc.

Me. BEAUTHIER : Le témoin a dit tout à l'heure qu'il connaissait Monsieur HIGANIRO. Il a parlé aussi du guesthouse. Je voudrais qu'il nous expose un peu qui était au guesthouse et qui allait au guesthouse, qui se mettait à la table de qui, et est-ce qu'il se mettait à la table normalement de HIGANIRO, de NTEZIMANA ou du capitaine puisqu'il semble que le capitaine allait aussi à ce guesthouse ?

le témoin 9 : Monsieur le président, dans les temps normaux, le guesthouse c'est un club universitaire. Il n'y a que les professeurs de l’université et des cadres de l'administration qui fréquentent le guesthouse. Mais ça, c'est de la théorie. Dans la pratique, n'importe qui, qui peut prendre une bière, parler à un ami, peut fréquenter le guesthouse. Je parle, à ce moment-là. Ca veut dire que personnellement j'ai pas vu HIGANIRO au guesthouse, mais j'ai vu NTEZIMANA plusieurs fois. Quelqu'un qui vient, tout simplement commande sa bière, il se met au comptoir avec une bande de copains, il commence à discuter et la plupart des discussions, c'étaient des discussions politiques. D'autres fois, vous pouviez venir vous-même, vous mettre à une table à côté, ou dehors sous une pagode et bavarder avec quelqu'un. Donc, c’est un lieu de rencontre de plusieurs tendances. Mais je n'ai pas vu HIGANIRO fréquenter ce guesthouse, à ma connaissance. Mais, à partir du moment où le génocide commence à couvrir toute la ville, n’allaient au guesthouse que ceux qui étaient sûrs d'avoir la sécurité parfaite. Moi je ne suis plus allé au guesthouse. Même avant, je n'y allais pas souvent.

Le Président : Est-ce que, avant, avant les faits d'avril, enfin… avant que les massacres ne commencent à Butare, est-ce que le capitaine NYZEYIMANA allait au guesthouse ?

le témoin 9 : Je ne sais pas.

Le Président : Vous ne savez pas. Bien. Maître HIRSCH et puis Maître CARLIER. Oui. Non, non allez-y Maître HIRSCH. Et avançons à propos des faits de NTEZIMANA si vous voulez bien parce que…

Me. HIRSCH : A ce propos, Monsieur le président…

Le Président : …il faudrait qu'on déborde un petit peu le problème des…

Me. HIRSCH : …la question effectivement que je souhaitais…

Le Président : …des circonstances d'ordre général pour avancer vers les faits qui sont reprochés à Monsieur NTEZIMANA, si vous voulez bien. Je m'adresse à toutes les parties à cet égard bien sûr.

Me. HIRSCH : C'est ce que je comptais faire, Monsieur le président. Le témoin nous a parlé des liens entre Monsieur NTEZIMANA et le professeur François BARANYERETSE qui était donc sur une barrière entre l'endroit qu'il a localisé où habitait le capitaine NIZEYIMANA et le quartier de Buye où habitaient les professeurs et notamment le professeur KARENZI ainsi que Monsieur NTEZIMANA Vincent. Donc, il nous a dit que ce Monsieur était membre du même parti politique que Vincent NTEZIMANA. Est-ce que le témoin pourrait nous préciser les liens qui existaient entre    Vincent NTEZIMANA et le professeur, un autre professeur, le témoin 93, auquel le témoin vient de faire allusion en disant qu'il avait appris la mort du professeur KARENZI par l'intermédiaire de sa femme. Merci.

Le Président : Vous avez connaissance des liens qui existaient entre Monsieur NTEZIMANA et Monsieur le témoin 93 ?

le témoin 9 : le témoin 93 était en remplacement de… Lorsqu'ils ont organisé des rondes, le responsable de la rue ou du petit quartier de chez nous était RUTAYISIRE qui avait été nommé sous-préfet. De par ses fonctions de sous-préfet, puisqu'il n'était pas là dans la journée, il a été remplacé par Bernard. C'est-à-dire que Bernard devait coordonner les rondes, quelle équipe avait fait le matin, quelle équipe avait fait le soir etc. etc. etc. Bernard habitait tout près de Vincent, il y avait une maison entre Bernard et Vincent, une seule maison, celle de l'ancien secrétaire général de l’université, le témoin 118 qui habitait entre eux deux. Quant à savoir s'ils avaient des relations personnelles ou        de connivence, je ne sais pas. Je vous dessine ce que j'ai vu, et c'est ça.

Le Président : Bien.

Me. HIRSCH : Deuxième question, Monsieur le président. Le témoin a déclaré dans son interrogatoire que l'établissement des listes était quelque chose de très intelligent ­ a-t-il dit ­ est-ce qu'il pourrait nous dire pourquoi ?

le témoin 9 : J'ai dit ça pour la raison suivante. Avant le génocide à Butare, ils ont évacué les étudiants qui étaient au petit campus, les étudiants de la faculté de droit qui étaient au petit campus, à Mburabuturo, à Kigali. Pour les évacuer, ils n'avaient pas besoin de listes, ça c'est un. A la fin du mois de juin, lorsque le FPR commençait à bombarder Butare, c'était le sauve-qui-peut général, l’université n'a pas dressé des listes de professeurs à évacuer et pourtant, en trois heures, tout le monde était évacué. Alors, si vraiment évacuation il y avait, pourquoi dresser des listes avant de savoir ce qui allait se passer. C'est que le dresseur des listes savait ce qui allait se passer. Est-ce que ce n'est pas intelligent ça ?

Le Président : Bien. Maître CARLIER.

Me. CARLIER : Merci, Monsieur le président. Le témoin…

Le Président : Je vais vous demander, Maître CARLIER, de bien parler dans le micro, éventuellement de vous en rapprocher.

Me. CARLIER : Merci, Monsieur le président. Le témoin peut-il nous dire quand le professeur GATWAZA a été tué ?

Le Président : Savez-vous quand le professeur GATWAZA a été tué ?

le témoin 9 : Je pense, je ne me souviens pas exactement de la date, mais c'était aux environs du 20 mai, un peu avant. Juste après la… pour ceux qui connaissent peut-être l'histoire de cette guerre, lorsque le FPR a pris la ville de Nyanza, qui était à 30 kilomètres de… plus au Nord… de Butare, les gens ont commencé à fuir vers Butare, et parmi les fuyants, il y avait deux policiers, qui sont venus chez GATWAZA, qui avaient une relation avec sa femme. En descendant de la gare, ils ont rencontré la barrière de BARANYERETSE et ils lui ont demandé où habite GATWAZA. Je me souviens, c'était deux ou trois jours après la visite du premier ministre.

Le Président : Donc, c'est… la visite du premier ministre, c'est le 14 mai ?

le témoin 9 : 14-15 mai. Vers le 20… je n'ai pas la date en tête, la date comme telle. Et BARANYERETSE est venu montrer ces gens où habitait GATWAZA. J'étais avec GATWAZA au salon, à 1 heure de l'après-midi. Nous étions en train de boire du thé. Il a dit : « Vous avez des visiteurs, Monsieur GATWAZA ». Bon, on a ouvert la porte, on a dit bonjour etc. etc. etc. vous savez. Et puis, une demi-heure après, le même BARANYERETSE revient avec trois militaires armés, qui venaient arrêter GATWAZA et les deux fuyants, ses visiteurs. Je pense que c’est… la dernière… le dernier tiers du mois de mai que ça s'est passé. La date exacte, je ne sais pas.

Le Président : D'autres questions ?

Me. CARLIER : Le témoin a-t-il connaissance d'activités de Monsieur Vincent NTEZIMANA en tant que président de l'APARU comme la grève relative à la question des logements des professeurs de l’université.

Le Président : Ça, ça remonte avant les événements nécessairement…

le témoin 9 : Oui. Ça remonte, moi je n'ai pas participé dans cette grève-là. Je ne sais pas comment ça s'est fait mais j'ai entendu parler, je ne sais même pas la période où ça s'est fait, je ne sais pas. Je sais que ça a existé, parce que je sais que ce problème existe encore jusqu'à présent et c'est un problème structurel dans la gestion des logements de l’université. Quant à savoir comment ça s'est fait, quel rôle il a joué dedans, je ne sais pas. Je n'ai aucune connaissance là-dessus.

Le Président : Oui.

Me. CARLIER : Qu'a fait le témoin le 22 avril lorsqu'il apprend la mort du professeur KARENZI ?

Le Président : Quand vous avez appris la mort du professeur KARENZI, qu'avez-vous fait de particulier en rapport avec la mort de Monsieur KARENZI ?

le témoin 9 : Rien. Il n'y avait rien à faire. Il n'y avait rien à faire. Tout simplement, lorsque j'ai su qu'il était mort, que sa femme était morte, qu'est-ce qu'il fallait faire ? A ce moment-là, on ne pouvait rien faire. Je vous ai parlé de l'autre cas, qui devait pourrir avec toute sa famille… même penser à… vous pouviez penser qu’ils savent lire dans vos idées et qu'ils allaient vous attaquer. Vous ne comprenez pas la peur que les gens ont, à chaque minute que Dieu crée, savoir : s'ils viennent, qu'est-ce que je fais ? Et ça pendant trois mois. Il n'y avait rien à faire.

Le Président : Oui. Plus d'autres questions ? Maître CUYKENS ?

Me. CUYKENS : Oui, Monsieur le président. Le témoin nous a parlé de ce qu’il avait eu la vie sauve en fait parce que le militaire qui l'avait en joue avait reconnu son origine géographique par son accent, si j'ai bien compris ? Donc, on peut véritablement déterminer la région d'origine d'une personne en fonction de l'accent ? Ça c'est ma question.

le témoin 9 : Monsieur le président, je n’ai jamais parlé de cette histoire d’accent…

Me. CUYKENS : Ah bon…

le témoin 9 : mais il est vrai que certaines gens de Gisenyi,  certaines gens de Ruhengeri, par l'accent, ne parlent pas comme les gens de Gitarama, ni de Butare, ni du Buganza, ni du Nord-Est. Ça, c'est connu au Rwanda. Mais ça ne veut pas dire qu'ils ne parlent pas la même langue. C'est un peu le flamand et le néerlandais de l'autre côté de la barrière. (Rires dans la salle)

Le Président : Et là, il y a même un problème plus important que l'accent hein… c'est que, c'est même pas la même langue hein, mais bon.

le témoin 9 : Excusez-moi.

Le Président : Mais sans doute que chez les Flamands, des accents d’Anvers, d’Ostende, comme  chez les Wallons, il y a l’accent de Liège, celui de Namur, et celui de Nivelles. Bien…

Me. CUYKENS : Oui, Monsieur le président, j’avais une deuxième question. Donc, le témoin nous a dit qu’il n’avait jamais rencontré Monsieur HIGANIRO mais il sait qu’il est en train d’infiltrer le parti libéral. Alors ma question c’est, s’il le sait sans l’avoir jamais rencontré, est-ce qu’il pense que Monsieur HIGANIRO  avait des chances dans cette infiltration.

Le Président : Oui, donc vous dites n’avoir jamais rencontré Monsieur HIGANIRO, n’avoir jamais eu… enfin, rencontré, peut-être l’avoir croisé en rue, mais ne pas avoir eu d’entretien avec Monsieur HIGANIRO. Vous dites par ailleurs que vous avez eu des entretiens avec l’ancien préfet… qui vous expose que, semble-t-il Monsieur HIGANIRO est devenu PL, et vous en déduisez, sans vraiment connaître Monsieur HIGANIRO, qu’il est en train d’infiltrer le PL. Si vous, qui ne connaissiez pas Monsieur HIGANIRO, vous pouvez déjà conclure qu’il est en train d’infiltrer, est-ce que la tentative d’infiltration avait des chances d’aboutir ?

le témoin 9 : Monsieur le président, je connais HIGANIRO, mais je ne l’ai pas fréquenté à Butare. Je le connais depuis longtemps. Je le connais depuis les années 1975, lorsqu’il était inspecteur de mathématique. Un garçon brillant qui venait de terminer à Louvain-la-Neuve. Je le connais dans les années 1980, quand j’ai eu fini ma maîtrise du Canada et quand je suis rentré. A ce moment-là, il était secrétaire général du ministère de l’éducation nationale. Je me vantais d’être son copain parce qu’on était des jeunes gens, qui partagions la bière avec un ami commun belge qui s’appelait PAPELOUF. Lorsque je suis allé le voir pour demander du travail en rentrant de l’université du Canada, il a fait comme s’il ne me reconnaissait pas. Je connais donc HIGANIRO, à ce point de vue-là. C’est à ce moment-là que j’ai dit : « Bon, on n’a plus rien à se dire ». Et quand il est venu à Butare, je n’avais plus rien à dire. Mais quand il est revenu à Butare c’était au moment où la politique était en train de chauffer au Rwanda et HIGANIRO, tout le monde le sait, était, du moins proche, s’il n’était pas membre, de l’Akazu. L’Akazu, dont vous entendez parler ce n’est pas une série de gens qui se mettent ensemble et qui commencent à converser. C’est une sorte de mafia par des liens très, très, très forts. Des liens presque de sang. Des liens qu'on ne peut pas trahir. Des liens qui sont…

Le Président : Enfin…

le témoin 9 : …qui sont à l’intérieur du MRND. Comment est-ce que quelqu'un qui a ces liens-là, du jour au lendemain, comme la foudre, passe dans un parti libéral ? C'est une question. Et c'est la question que j'ai posée au préfet le témoin 32.

Le Président : Une autre question ? Maître EVRARD ?

Me. EVRARD : Merci, Monsieur le président. Le témoin nous a dit que ses enfants s'étaient approchés apparemment de la maison de Monsieur HIGANIRO, ou de ce qu'il croit être la maison de Monsieur HIGANIRO, que des coups de feu auraient été tirés, les enfants auraient été effrayés… Quelle a été sa réaction ? Si on faisait cela à mes nièces, je crois que je porterais plainte ou, en tous cas, je me manifesterais.

Le Président : Ça se situe à quel moment Monsieur… ces fameux coups de feu, ça se situe à quelle époque ?

le témoin 9 : C'est en avril, c'est lorsque les tueries étaient en train de se faire. On avait besoin de bougies, les enfants sont allés chercher des bougies tout près ­ dans des kiosques ­ où je pense qu'il habitait, je vous ai dit que je n'étais pas sûr. Mais ils se sont fait chasser à coups de fusil. Vous voulez porter plainte où ? Il n'existe pas de juge, il y a des soldats qui sont en train de tuer les gens, il y a des Interahamwe qui sont en train d’entrer dans les maisons, dans les églises pour massacrer et vous allez porter plainte ! Comment ?

Le Président : Du calme dans la salle, un petit peu. Bien. Une autre question ?

Me. CARLIER : Le témoin a parlé de la prise de Nyanza. Est-ce qu'il était encore possible selon lui, d'aller de Butare à Gitarama après la prise de Nyanza ?

le témoin 9 : Monsieur le président, c'est une question, je ne sais pas, je ne sais vraiment pas par quel bout la prendre. Possible d'aller de Butare à Gitarama en passant par Nyanza ? Est-ce qu'il était déjà possible d'aller de Butare à Save qui était 12 kilomètres plus loin ? Certaines gens, comme les militaires, ils pouvaient le faire jusque Save, jusqu à Nyanza, mais d'autres qui étaient dans la bananeraie ou dans le sorgho ne pouvaient même pas faire un mètre ou deux. C'est une question qui, à mon avis, n'a… Je ne vois absolument pas aucun élément… cette question apporte, à moins que vous ne m'informiez au débat auquel nous assistons.

Le Président : En tout cas, vous ne savez pas, enfin vous avez donné une réponse. Bien ! Maître BEAUTHIER.

Me. BEAUTHIER : Petite question. Peut-être que la question voulait dire est-ce qu'il est normal que Monsieur NTEZIMANA, en tant que simple citoyen, pouvait aller de Butare à Gisenyi ou bien est-ce qu'il fallait vraiment être l'ami des militaires à ce moment-là pour pouvoir y aller ? Est-ce que Monsieur sait que Monsieur NTEZIMANA allait avec le pick-up des militaires, à Gisenyi ?

le témoin 9 : Est-ce que, Monsieur le président, il veut dire quand il a quitté Butare comment il est arrivé à Gisenyi, ça je suis incapable de lui répondre. Mais je me dis qu'il ne pouvait pas faire autrement. Et puis, pour aller à Gisenyi il ne faut pas nécessairement passer par Nyanza. On peut passer par Gikongoro via Kibuye et monter. Donc, il y a…

Me. BEAUTHIER : La question était plus précise, hein, la question est de savoir est-ce que n'importe qui pouvait à ce moment-là prendre la route ou bien est-ce qu'il fallait vraiment être accompagné ? Enfin, je connais la réponse. C'est qu'il fallait absolument être accompagné des militaires pour pouvoir le faire. Est-ce que n'importe qui pouvait le faire ou bien est-ce que, si je vous dis que Monsieur NTEZIMANA hier a dit qu'il avait été rejoindre ou voir ses enfants à Gisenyi, est-ce que vous trouvez que c'était normal à l'époque où il l'a fait, c'est-à-dire entre le mois d'avril-mai 94 ?

le témoin 9 : Moi, je trouve très normal que lui il ait pu le faire. Mais si j'avais demandé à le faire je n'aurais pas pu le faire.

Le Président : Bien.

le témoin 9 : La réponse est précise.

Me. BEAUTHIER : Je vous remercie.

Le Président : D'autres questions ? Alors s'il n'y a plus de questions, les parties sont-elles d'accord pour que le témoin se retire ? Monsieur le témoin, est-ce bien les accusés ici présents dont vous avez voulu parler ? Et le sens de cette question, parce qu'il y a parfois aussi un double sens chez nous, c'est de savoir si vous confirmez, si vous persistez dans les déclarations que vous venez de faire.

le témoin 9 : Je persiste, Monsieur le président.

Le Président : Eh bien, vous pouvez disposer encore que, pour des raisons administratives, je vous demande de rester à la disposition de la Cour puisque vous ne retournerez au Rwanda que dans quelques jours.

le témoin 9 : Oui, Monsieur le président.

Le Président : Merci bien.