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6.3.25. Audition des témoins: le témoin 15
Le Greffier : La Cour.
Le Président : Merci. L’audience
est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place. Le
témoin prévu pour 13h30, Monsieur le témoin 15
Monsieur, quels sont vos nom et prénom ?
le témoin 15 : Je m’appelle
le témoin 15.
Le Président : Quel âge avez-vous
?
le témoin 15 : J’ai 40,
euh… 39 ans.
Le Président : Quelle est
votre profession ?
le témoin 15 : Je suis assistant
de recherche à l’Agence spatiale européenne.
Le Président : Quelle est
votre commune de domicile ou de résidence ?
le témoin 15 : J’habite
à Louvain-la-Neuve, Monsieur le président.
Le Président : Monsieur,
connaissiez-vous les accusés ou certains des accusés avant le mois d'avril 1994 ?
Donc, il y a Vincent NTEZIMANA, Monsieur Alphonse HIGANIRO, Madame MUKANGANGO,
Madame MUKABUTERA ?
le témoin 15 : Oui. Je connaissais
Monsieur NTEZIMANA Vincent, Monsieur le président.
Le Président : Bien. Etes-vous de la famille des accusés ou de la famille
des parties civiles ?
le témoin 15 : Non, Monsieur
le président. Je ne suis ni de la famille des accusés ni de celle des parties
civiles.
Le Président : Et vous n’êtes
pas sous contrat de travail ni avec les accusés ni avec les parties civiles ?
le témoin 15 : Non, Monsieur
le président.
Le Président : Je vais vous
demander, Monsieur, de bien vouloir lever la main droite et de prononcer le
serment de témoin.
le témoin 15 : Je jure de
parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie.
Vous pouvez vous asseoir, Monsieur.
Vous aviez écrit en demandant à ce que votre témoignage soit recueilli
à huis clos. Y a-t-il des parties qui demandent à ce que ce témoignage soit
reçu à huit clos ? Jusqu'à présent, voyez-vous, devant… dans notre procédure,
les témoins sont entendus en public et à première vue, les déclarations qui
figurent dans le dossier ne sont pas très périlleuses.
le témoin 15 : Il est écrit
qu'aucun témoin ne doit survivre, Monsieur le président, c'est en résumé pour
ça que j'avais demandé à ce que mon témoignage soit reçu à huis clos.
Le Président : Vous avez
en fait été surtout entendu à propos des relations que vous aviez pu avoir avec
Monsieur NTEZIMANA et de la personnalité de celui-ci, ainsi que ses opinions
politiques éventuelles.
le témoin 15 : Je crois
bien, Monsieur le président.
Le Président : Je ne crois
pas qu'il y ait un réel danger pour vous.
le témoin 15 : Je pensais
qu’il se pourrait que je cite des noms des personnes susceptibles de disposer
de témoignages, je dirais, entre guillemets gênants, mais si vous m'y autorisez,
je ne citerai aucun nom, ni en réponse à une question ni dans mon témoignage
spontané.
Le Président : Je crois que
votre témoignage touche surtout au problème de la personnalité de Monsieur NTEZIMANA.
le témoin 15 : D'accord,
Monsieur le président.
Le Président : De lui, vous
voulez bien parler ?
le témoin 15 : Absolument.
Le Président : Vous pouvez
expliquer comment, euh… à quelle époque vous avez fait sa connaissance, et dans
quelles circonstances ?
le témoin 15 : Euh… Je l’ai
vu…
Le Président : Si c’était
en Belgique ou au Rwanda ?
le témoin 15 : C'était en
Belgique, en 1980. À l'époque, il était en 1ère et 2ème
candidatures en sciences physiques à Louvain-la-Neuve. Et je suivais la même
formation. Et on s’est séparés après la 2ème candidature, quand il a choisi
ses options et que j'ai choisi les miennes.
Le Président : Vous l’avez
retrouvé aussi, je dirais, au Rwanda, par la suite ?
le témoin 15 : Oui, Monsieur
le président.
Le Président : Sur le plan
professionnel ?
le témoin 15 : En 1984.
Le Président : Vous avez
exposé, lorsque vous avez été entendu par la police, judiciaire à l'époque,
que Monsieur NTEZIMANA était politiquement engagé, aussi bien pendant la période
où vous l'avez connu en Belgique que par la suite, lorsque vous l’avez revu
sur le plan professionnel au Rwanda.
le témoin 15 : Je dirais
que ce que je sais de son engagement politique date de après 1990. Et peut-être
bon, si on peut considérer que l'ancienne Association générale des étudiants
rwandais qui était créée avant 1980, si on peut considérer que ça c'était une
organisation politique, je crois qu’il aura participé à l'une ou l'autre des
réunions de cette association.
Le Président : À propos de
son engagement politique au Rwanda, vous avez exposé qu'il était membre du MDR
et qu'ensuite il a créé son propre parti, avec d'autres, le PRD.
le témoin 15 : Oui.
Le Président : Euh… Selon
les contacts que vous avez eus avec lui, était-ce quelqu'un qui mettait l’aspect
ethnique des choses à l'avant-plan, ou à un plan quelconque d'ailleurs ?
le témoin 15 : Je pense
que sa plus grande préoccupation, du moins celle exprimée en des endroits où
je pouvais le rencontrer, c'étaient des préoccupations de l'homme qui veut que
les richesses soient mieux partagées au Rwanda, en quelque sorte se déplacent
des concentrations en ville vers les campagnes. Je crois que ça, c'était l’une
des caractéristiques de son engagement. L'aspect ethnique ne m’est pas tellement
apparu sauf, je dirais, dans la mesure où il pouvait se montrer très ferme quand
il était en présence d'une personne qui défend des idées appartenant uniquement
à une ethnie et pas partagées par tous les Rwandais.
Le Président : Vous avez
notamment, dans un… dans un courrier ou dans une sorte d'attestation, indiqué
que si Monsieur NTEZIMANA, avec d'autres, avait constitué le PRD, c'était certainement
parce qu’il ne pouvait pas se reconnaître dans la tendance Hutu Power du MDR.
le témoin 15 : C'est ce
que je pense dans la mesure où je crois que chaque fois que je me suis trouvé
un peu personnellement à critiquer cette tendance-là, sans le lui dire… il m’est
arrivé, par exemple, quand j'ai juré que je ne participerais plus, enfin, aux
réunions de la communauté des étudiants rwandais de Belgique, il s'est trouvé
que lui non plus, il n'y allait pas. Et c'était déjà à ce moment-là que naissaient
des tendances, si je puis dire, Power, et ça me semblait donc normal qu’il combattait
ce genre de tendance.
Le Président : En ce qui
concerne le rôle qu'aurait pu avoir Monsieur Vincent NTEZIMANA en avril 1994,
à Butare, dans les… dans des massacres qui se sont déroulés dans cette ville
à partir surtout du 20 avril 1994, euh… vous avez exposé… Vous étiez vous-même
à l'université nationale du Rwanda à l'époque, en avril 94 ?
le témoin 15 : Oui, Monsieur
le président.
Le Président : Comme professeur
? Ou comme…
le témoin 15 : Oui, j'étais
professeur au département de physique.
Le Président : Vous avez
exposé que vous aviez appris assez vite après l'attentat contre l'avion présidentiel…
le témoin 15 : Oui.
Le Président : …qu’une… qu'un
projet ou qu’une idée d'évacuation du personnel académique de l'université existait.
le témoin 15 : Oui.
Le Président : Vous avez
exposé avoir, le 7 ou le 8 avril 94, téléphoné à Monsieur NTEZIMANA pour vérifier
le bien-fondé de cette information dont vous aviez entendu parler.
le témoin 15 : Oui.
Le Président : Est-il exact
qu'il vous a, à ce moment-là, répondu qu'il avait reçu lui-même d'autres propositions
d'évacuation dans ce sens et qu'il allait poser la question au vice-recteur
de l'université ?
le témoin 15 : Je pense
bien que c'est dans ce sens qu’allaient les informations que j'ai recueillies
mais je ne peux pas assurer que c'est Vincent ou quelqu'un qui vivait chez lui
qui me les a communiquées. Je dirais, à l'époque, bon, c'était frais. Maintenant
je… je ne suis plus tellement sûr de qui m’a répondu.
Le Président : Vous avez
exposé que le même jour, donc le 7 ou le 8, vous auriez retéléphoné à Vincent…
le témoin 15 : Oui, chez
Vincent.
Le Président : …qui vous
aurait dit que ceux qui voulaient être évacués pouvaient se faire inscrire en
devant préciser le lieu de destination de ces personnes, ainsi notamment que
le numéro de carte d'identité et vous avez dit que vous vous étiez fait inscrire
ainsi d'ailleurs que vous avez demandé l'inscription d'un de vos collègues,
j'imagine, Faustin TUYISHIME et son épouse.
le témoin 15 : C’est exact,
Monsieur le président.
Le Président : C’est auprès
de Vincent NTEZIMANA que vous avez demandé cette inscription ?
le témoin 15 : Au moment
où j'ai téléphoné, c'est pas nécessairement lui qui a pris note de mon numéro
de carte d'identité et des noms que j'avais à faire inscrire, mais c'est chez
lui qu’on téléphonait.
Le Président : Vous avez
expliqué que vous attendiez, vous et d'autres, que cette évacuation se mette
en pratique, se réalise effectivement. Et vous avez exposé que quelques jours
après votre appel téléphonique, Vincent vous aurait dit que cette évacuation
était suspendue. Vous avez également exposé que, selon vous, votre propre conviction
en tout cas, c’est que si on dressait ainsi des listes à la demande de personnes
pour se trouver sur des listes d'évacuation, cela devait bien servir à une évacuation
et pas à autre chose.
le témoin 15 : Absolument,
Monsieur le président.
Le Président : Vous avez
dit aussi être convaincu que Monsieur NTEZIMANA, selon ce que vous saviez de
lui, ne pouvait pas être impliqué personnellement dans des massacres.
le témoin 15 : Je peux dire
que ce qui s'est passé au Rwanda ne peut pas être jugé avec des méthodes ordinaires.
Ce que je dis là c'est… le Vincent d'avant le 6 avril n'a pas besoin de tuer
pour survivre. Maintenant, j'habitais à Tumba, il habitait à Buye. En tant que
scientifique, je ne peux pas savoir ce qu'il a fait pendant la période où on
était séparé par ces 3 kilomètres.
Le Président : Vous-même,
dont le nom - c'est une évidence, hein vous-même dont le nom figurait sur
une liste dressée par Monsieur Vincent NTEZIMANA ou à la demande de diverses
personnes, vous-même, vous en êtes, si je puis dire, la preuve vivante, vous
n'avez pas été tué.
le témoin 15 : Non, je n'ai
pas été tué, comme vous le voyez, Monsieur le président.
Le Président : Y a-t-il beaucoup
de personnes qui auraient figuré sur ces listes, qui auraient été tuées, selon
vous ?
le témoin 15 : TUYISHIME
Faustin est mort seulement l'année passée de maladie, je crois. Son épouse est
toujours vivante. Mon épouse est vivante. Et, bon, je m'imagine que la plupart
des autres personnes dont j'ai entendu qu'elles figuraient sur ces listes, sont
encore vivantes, notamment des gens qui étaient originaires de Kigali mais qui
ne pouvaient pas rentrer à Kigali, qui voulaient partir dans l'autre sens, enfin
je veux dire vers la région de Cyangugu.
Le Président : Avez-vous,
vous-même, participé à des rondes ?
le témoin 15 : Absolument,
Monsieur le président.
Le Président : C'est une
décision qui avait été prise à quel niveau, de faire ces rondes ?
le témoin 15 : Je dirai
que l'homme qui m'a sauvé la vie se trouve dans cette salle. Au moment où, le
25, dans mon quartier, les rondes commencent, eh bien, je venais de passer du
20 au 25 sans sortir de la maison, d'autant que, bon, nous avions déchiré la
carte d'identité de mon épouse et j’avais pas la possibilité de la laisser seule.
Et donc, je pensais pouvoir continuer à faire le mort dans ma maison, comme
ça, jusqu'au jour où l'homme dont je vous dis qu'il m'a sauvé la vie me dit
que euh… à la barrière qui était tout près de son domicile, ils avaient dit
qu'ils n’allaient pas continuer à être les veilleurs de quelqu'un comme moi.
Et donc, il m’a dit que pour éviter que ces gens s'énervent, il valait mieux
que je commence à aller à cette ronde. Je dirais, à mon soulagement, quand je
m'y suis rendu, j'ai constaté que le chef, celui qui sifflait pour que les gens
commencent la ronde, c'était un Interahamwe Tutsi du nom de RUTAGENGWA. Et autour
de cette barrière, il y avait plein de femmes Tutsi qui rentraient un peu tard
dans la soirée, dans leur maison. Et ce que nous avons fait pendant toute la
période à Butare, c'était d'éviter qu'il y ait des gens qui ne sont pas du quartier,
qui se mêlent à nous.
C'est ainsi que, toujours avec le courage de la personne dont je
vous dis qu'elle m'a sauvé la vie, un jour il y avait, je crois, une dizaine
de Interahamwe qui étaient venus de Kigali et qui ont voulu passer la nuit dans
le quartier. Et c'est grâce à lui que… Moi, je suis monté vers 6h00. Quand je
suis arrivé, il a dit qu’il y avait des Interahamwe qui étaient venus de Kigali
et que s'ils passent la nuit là, et qu'ils apprennent qu'il y a encore des Tutsi
dans les maisons, qu’il se pourrait qu'ils déclenchent des massacres, et qu’il
fallait les chasser le plus vite possible. Alors, on a appelé des militaires
qui étaient sur une barrière proche et ces militaires les ont amenés, je crois,
passer la nuit dans un camp militaire. Voilà, en résumé, les jours que j'ai
passés à Butare, encore après le gros des massacres ; ça s'est déroulé
en permanence de cette façon-là. J'allais à la barrière vers 18h00 et puis vers
20h00, je présentais comme excuse que mon épouse était malade et que c’était
moi qui devais m'occuper des enfants, et je rentrais.
Le Président : Avez-vous
eu connaissance, en Belgique ou au Rwanda, d'un document qui s'appelait « Appel
à la conscience des Bahutu » et qui reprenait « Les dix commandements
des Bahutu » ?
le témoin 15 : J'ai vu ce
document au Rwanda en 1992, Monsieur le président.
Le Président : Vous ne l’avez
jamais vu sous une forme dactylographiée, en Belgique ?
le témoin 15 : Non. Non.
Le Président : Vous avez
connu, semble-t-il, un Zaïrois du nom du témoin 89 dont vous étiez
le parrain d’université.
le témoin 15 : Je sais que
j’ai été parrain d’un Zaïrois mais je savais pas qu’il s’appelait comme ça.
Le Président : Ah. D’après…
d’après le… mais je prononce très mal, hein… je prononce très mal sans doute.
Mais quand je lis le procès verbal, il est mis : « Je connais le nommé le témoin 89. Il est exact que j’ai
été son parrain d’université ».
le témoin 15 : Oui, j’ai
été parrain d’un… bon, si vous me le montrez ici, je vous dirai si c'est lui
ou pas, mais je ne sais plus comment on l'appelait à l'époque.
Le Président : Est-ce que
c’est un Zaïrois qui travaillait notamment à Louvain-la-Neuve, dans une société
de dactylographie qui s’appelait Copyfac ?
le témoin 15 : Je crois
bien. Bon, il est facile à identifier, le Zaïrois que j'ai parrainé, il a essayé
la physique et comme ça n'avait pas marché, je crois qu'il a tenté l'histoire
et puis après, je l'ai vu comme dactylo dans des maisons, enfin dans une maison.
Je n’ai même pas retenu le nom de cette maison mais je sais qu’il a travaillé
comme dactylo, effectivement.
Le Président : Auriez-vous
présenté votre filleul d'université à Monsieur NTEZIMANA ou l'inverse ?
le témoin 15 : Moi ?
Non, j'ai pas présenté mon filleul à NTEZIMANA. En fait, les relations entre
filleul et parrain, ça se limitait au moment où la personne se trouvait en physique,
ça n'allait pas plus loin que des explications dans des matières non comprises.
Ça pouvait aller loin, mais bon, dans ce cas précis, on n’a pas eu de relations
si serrées au point qu'on puisse sortir ensemble et aller nous présenter les
uns aux autres.
Le Président : Dans les renseignements
que vous avez fournis à la police judiciaire, à propos des listes de personnes
qui voulaient quitter la région de Butare, à l'époque où vous vous êtes fait
inscrire avec votre épouse, vous avez dit que, outre la personne dont on a parlé
tantôt, il y avait sur ces listes, KAZAMARANDE Evariste et son épouse, le témoin
Emmanuel, vice-recteur de l’UNR, un certain HABARUGIRA Pascal, GATWAZA Emmanuel
ainsi qu’un certain WOULSRANE ?
le témoin 15 : WOULFRANE ?
Le Président : WOULFRANE,
peut-être, oui.
le témoin 15 : Je ne suis
plus sûr pour WOULFRANE mais pour les autres, je pense bien avoir entendu dire
qu’ils s’étaient inscrits, effectivement.
Le Président : Et, avez-vous
des renseignements sur ces personnes ? Sont-elles actuellement en vie ?
le témoin 15 : HABARUGIRA,
je pense qu’il est réfugié quelque part en Afrique. GATWAZA, il est mort et
WOULFRANE. Alors, le témoin se trouve certainement au Rwanda.
Le Président : Bien, y a-t-il
des questions à poser au témoin ? Maître CARLIER ?
Me. CARLIER : Monsieur le président, dans sa déclaration du 6
juillet 95, le témoin signale, je cite : « A partir
du 7 avril 1994, ayant peur pour mon épouse considérée comme Tutsi dans le voisinage,
je me suis renseigné pour savoir comment on pourrait sortir de la ville de Butare ».
Et dans la déclaration du 17 avril 96, le témoin signale que : « Le
8 avril au matin, j'ai appris que l'on avait apposé la lettre T comme Tutsi
sur la porte de mon magasin ». Est-ce que le témoin peut confirmer
que c’est, d'une part, ses déclarations, et que c’est en raison de cela qu'il
aurait demandé à être inscrit sur des listes d'évacuation de l'université ?
Le Président : Oui, Monsieur.
Pouvez-vous confirmer cette… ?
le témoin 15 : Je confirme,
Monsieur le président.
Le Président : Et, est-ce
bien la… le motif pour lequel vous vous êtes inquiété : votre épouse, la
lettre T sur le magasin ?
le témoin 15 : Oui. Je veux
dire que quand je suis rentré au Rwanda en fin 1991, un membre de ma famille
est venu me dire qu’il avait l'intention de rejoindre le Front patriotique,
qu’il trouvait que ça pouvait être un métier de s'engager dans l'armée. Alors,
je lui ai dit que c'était pas une si bonne idée et je lui ai donné comme motif
que le Front patriotique contenait encore des extrémistes qui risquent un jour
de commettre une bêtise et que ça lui serait compté dessus. En échange, je lui
ai donné tout ce que j'avais comme instruments de musique que j'avais ramenés
de Belgique et je lui ai demandé de former un groupe orchestral avec ses… avec
ses copains. Et il m'avait dit qu'il allait, dans ce qui s'appelle la cité de
Kamembe, c’est à Cyangugu, qu'il allait visionner régulièrement des cassettes
d'entraînement du FPR que des gens qui allaient à Mulindi, ramenaient. Alors,
je lui ai dit de ne pas, ne jamais mettre les pieds dans ces réunions, et j'ai
cru qu'il m'avait entendu. Bon, il a formé son groupe, et puis, petit à petit,
des gens ont commencé à lui demander de leur vendre certains des instruments
et il est venu me voir, il m’a dit que si je voulais, je pouvais ouvrir un magasin
d'instruments de musique parce qu'il y avait plein de gens qui lui en demandaient,
ce que je fis. Et c'est comme ça que j'ai ouvert un magasin d'instruments de
musique et c'est lui, avec deux de ses copains, qui y travaillaient : un Burundais
et une fille Tutsi voisine.
Alors le 8, mon frère me téléphone et me dit que tout mon magasin
a été pillé. Alors, je lui dis : « J'arrive tout de suite, le temps que
je trouve un laissez-passer ». Il faut se souvenir que, à partir du 6,
au moment où les communiqués commencent à passer à la radio, la population recevait
comme ordre, de rester chez soi. Et pour sortir, il nous fallait des laissez-passer.
Et donc, j'ai dit à mon frère que, le temps que je trouve un laissez-passer,
j'allais arriver à Kamembe. Bon, à l'époque, je crois que vraiment je ne réalisais
pas la gravité de la situation. Toujours est-il que le soir, il me téléphone
en me disant qu'il fallait faire attention puisqu'il a appris qu’il y a des
gens qui sont passés en mettant la lettre H ou T sur les portes des magasins
de toute la cité de Kamembe. Et que mon… tous les magasins qui avaient la lettre
T, avaient été détruits. Alors, il me dit : « Soit les gens ils ont
considéré que le magasin appartenait aux gens qui y travaillent, soit ils considèrent
que tu es T, soit alors, il y a plus grave qu’ils auraient été jusqu'à enquêter
et savoir… », puisque j'avais parlé de cet état de choses à mon frère,
donc, il me dit qu’ils auraient peut-être fait des enquêtes et su que mon frère
participait à des réunions du FPR, enfin que, donc, cette personne participait
à des réunions du FPR.
Alors, j'ai un peu diminué ma volonté de partir moi-même, par mes
propres moyens, avec un laissez-passer. Ce qui s'est passé, c'est que le samedi
ou lundi, vous voyez, le 6, on est mercredi, le 7, le 8, j’apprends que le magasin
est détruit et le soir, c'est là que j'apprends qu’il faut faire attention.
Alors, je vais quand même, samedi, chercher mon laissez-passer ; ça, quoiqu'il
arrive, ça aurait été nécessaire. J'attends à peu près pendant trois heures,
à la préfecture de Butare. Chaque fonctionnaire me renvoyait au suivant, et,
à un certain moment, on m’a dit qu'il fallait m’envoyer à l’ESO, que c’est là
que les laissez-passer se donnaient. Je suis allé à l’ESO, j'ai attendu une
heure ou deux. Il y a personne à qui demander à laissez-passer, et donc, je
suis redescendu chez moi à Tumba où j’habitais. Et sur la route de Tumba, je
croise un ami d'enfance, fils d’un certain ZITONI, de la commune Gisuma. Eh
bien, il me dit qu’il se cache dans une clôture.
Alors, qui est cet enfant ? C’est un Hutu, je connais ses parents,
mais dont la taille et la figure, ça serait, je crois, la personne qui peut
contredire l'adage qui dit qu’un Rwandais peut reconnaître l'ethnie de l'autre,
rien qu'en le regardant dans la figure. Mais donc, il est Hutu. Il est monté
la veille avec un camion. Il est chauffeur et il travaille pour quelqu'un et
il a rangé son camion dans une clôture et je lui demande les nouvelles de Cyangugu.
Il me dit que le jour où il est monté, il y avait un bus qui était descendu
avec une centaine de personnes, et que, arrivé à Gisakura, tout le monde était
descendu du bus et qu'il y a des gens qui ne regardaient même pas les cartes
d'identité, que ces personnes enfonçaient le pouce entre les côtes des gens
et qu'ils déterminaient immédiatement s'ils étaient Hutu ou Tutsi. Et ce que
la personne m’a dit carrément, c'était que : « Toi, avec cette taille
et ton épouse, tu ne vas pas passer par cette barrière, essaie de chercher une
autre façon ». Alors, j'ai raconté tout ça à mon épouse, et l'idée qu’elle
a eue, c'était éventuellement qu'on contacte KARENZI, et puis qu’on passe par
le Burundi, éventuellement pour que je rentre, via Bugarama, chez moi (Bugarama,
c’est dans la préfecture de Cyangugu). Alors, ce qui nous a déchantés, c’est
que la même personne, donc le même ami d'enfance, me dit, quand je le revois,
que, même à Bugarama, si j'arrive à traverser le Burundi, je ne pourrais pas
rentrer parce que c'était un bastion des miliciens Interahamwe qu’avait rejoint
toute la jeunesse qui avait, je ne sais pas, éventuellement peur de combattre
contre les Interahamwe.
Voilà, je suppose que ça confirme donc ce que j’ai déclaré à deux
reprises.
Le Président : Bien, y a-t-il
d’autres questions ? Maître HIRSCH ?
Me. HIRSCH : Oui, Monsieur
le président. Le témoin a pu citer une série de personnes qui se trouvaient
sur les listes. Je n'ai pas très bien compris s’il avait vu ces listes ou si
c'est par recoupements qu'il a pu déterminer, parmi les gens qu'il connaissait,
les gens qui s'étaient inscrits sur ces listes.
le témoin 15 : Bon…
Le Président : Sauf erreur
de ma part, vous avez toujours déclaré n'avoir pas vu les listes ?
le témoin 15 : Exactement,
Monsieur le président. Les choses se passaient ainsi. Vous voyez, à partir du
7 ou même… enfin, le 7 au matin jusqu'au 8, je pense que j'ai appelé toutes
les personnes de Cyangugu qui se trouvaient dans la région de Butare. Ça c'est
une chose. Une deuxième chose, je pense que j'ai appelé toutes les personnes
dont les épouses étaient considérées comme tutsi. En quelque sorte, étant comme
un rat coincé dans un piège, j'avais une si grande soif de savoir ce qu'est
le sort de ceux qui sont dans un cas semblable au mien. C'est comme ça qu’en
téléphonant aux gens, donc, HABARUGIRA Pascal, il est de Cyangugu, je tombe
sur lui, je sais qu’il veut être évacué, et toutes les personnes, donc, dont
heu… TUYISHIME Faustin, on avait fait un plan que je l’hébergeais chez moi,
le temps qu’on trouve un chemin pour qu’on traverse vers Bukavu. Donc, c’est
tous les gens qui sont sur cette liste, c’est essentiellement des gens qui se
trouvaient dans des conditions ou dans des problèmes similaires à peu près aux
miens.
Me. HIRSCH : Si je comprends
bien, Monsieur le président, le témoin et différentes personnes qui se trouvaient
dans la même situation que lui, soit étant Tutsi ou ayant des épouses ou des
maris Tutsi, probablement…
le témoin 15 : Oui.
Me. HIRSCH : …dès le 7 avril,
ont décidé de quitter Butare.
le témoin 15 : Exactement,
exactement.
Me. HIRSCH : Euh… et à partir
de quand le témoin a-t-il pris contact - il vient de dire par l'intermédiaire
de son épouse - avec le professeur KARENZI ?
le témoin 15 : Non. J’ai
pas pris contact avec le professeur KARENZI. On a pensé faire cela mais on a
été découragé du fait que, même en ayant traversé tout le Burundi, j’étais pas
assuré de pouvoir arriver à destination parce que Bugarama, c’est… voilà, je
fais le tour du Rwanda et j’entre, je passe par le Burundi et je rentre par
le Rwanda via Bugarama. Mais à Bugarama, il y avait les, je dirais, les barrières
les plus sévères par lesquelles on me disait : « De toute façon, tu
ne vas pas pouvoir passer ». Alors, on a laissé tomber toute la route du
Burundi. D'autant plus que, bon, elle n'était pas non plus sans risque puisque
j'habitais à la route qui mène vers la frontière avec le Burundi et il y avait
des camions de militaires qui montaient bien sûr ; je crois pas que quelqu'un
ignore que le Burundi n'était pas considéré comme ami du gouvernement d'alors
et c'est là que les militaires se concentraient.
Me. HIRSCH : Est-ce que le
témoin sait, Monsieur le président, que Monsieur NTEZIMANA a évacué ses propres
enfants, le 12 avril ?
le témoin 15 : Je l'ai appris,
j’allais dire, par la presse, donc. Mais, ça ne m'étonnerait pas, dans la mesure
où les seules méthodes d'évacuation, à partir déjà du 7, toutes les personnes
qui connaissaient des gens, soit dans l'armée, soit des proches du président
membres du MRND, ils demandaient des escortes et ils étaient évacués.
Me. HIRSCH : Monsieur le
président, d'après le dossier, les listes d'évacuation, dans la thèse de Monsieur
NTEZIMANA, ont été élaborées justement le 12 avril. À partir de quand le témoin
a-t-il entendu parler de cette possibilité d'évacuation par l'université ?
le témoin 15 : Vous savez,
à partir du moment où dehors on parle d'évacuation sous escorte, à l'université,
tous ceux qui ont des problèmes d'évacuation, en parlent aussi. Ce qu'ils ne
trouvent pas, c'est la bonne clé, à qui s'adresser pour avoir cette escorte.
Bon, le bus on l’a. Mais les militaires, où les trouver ? C'était ça le problème,
et ça se discutait, je pense, à partir déjà du moment où moi, je me suis senti
coincé, ça veut dire le 8, je crois, j'ai commencé à réfléchir sur la façon
la meilleure dont je peux être évacué de Butare.
Me. HIRSCH : Est-ce que le
témoin, Monsieur le président, peut confirmer qu’en téléphonant à Monsieur NTEZIMANA
ou à quelqu'un qui s'occupait des listes chez lui, le témoin a donné les numéros
de cartes d'identité et l'identité des personnes qui étaient à évacuer de sa
famille.
le témoin 15 : Exactement.
Donc, j'ai fait inscrire ma famille et puis celle de TUYISHIME Faustin, à sa
demande ; il m'avait donné le numéro de carte d'identité que j'ai demandé
à faire inscrire.
Me. HIRSCH : Et dernière
question, Monsieur le président, est-ce que le témoin sait pourquoi le projet
d'évacuation a échoué ?
le témoin 15 : Moi, j'ai
mis ça sur presque, j'allais dire, à l'époque, c’est… les mots on les lâchait,
c'était de la méchanceté de la part du vice-recteur qui n'avait pas voulu donner
les véhicules. Donc, j'avais vraiment une dent parce que c'était la seule façon
pour qu’une personne dont l'épouse a déchiré sa carte d'identité, arrive à Cyangugu.
J'aurais pris le chemin seul, je me serais fait abattre car, au Rwanda, c'était
la première barrière à la sortie de la ville. Donc, vous comprenez que c'était
pas de gaieté de cœur qu'on a appris que l’évacuation avait été supprimée.
Me. HIRSCH : Une ultime question
alors, Monsieur le président. Donc, le témoin impute la responsabilité du fait
que cette évacuation n'ait pas eu lieu, au vice-recteur ?
le témoin 15 : Je ne peux
pas accuser une personne qui n'est pas là pour se défendre. Je m'étais promis
qu'à la fin de la guerre, à la limite, je lui demanderais pourquoi il a empêché
cette évacuation. Maintenant, c’est à lui de répondre à ces questions. Mais
je dois dire ici que ça était un gros coup pour nous quand nous avons appris
que l'évacuation avait raté.
Le Président : Une autre
question ? Maître BEAUTHIER.
Me. BEAUTHIER : Que pense le témoin du fait qu’on ait laissé la
liste de ces personnes en mains du vice-recteur, s'il était si mal intentionné ?
le témoin 15 : Je ne sais
pas si, a priori, le recteur était si mal intentionné. En fait, je crois que
nous avons tous joué notre vie au loto dans ce pays puisqu’il m'arrive parfois
de me dire : « Mais, si même ce bus avait été obtenu et qu'il soit
affrété, il aurait pu arriver qu'on nous tue quand même ». Alors maintenant,
bon, je m'imagine que c’est le recteur qui serait en train de devoir répondre
du pourquoi il a laissé partir ce bus. En fait, moi, j'ai compris ce qui s'est
passé au Rwanda quand j'ai commencé à m’asseoir moi-même et gérer ma vie sans
la confier à quelqu'un. Vous pouviez confier votre évacuation à quelqu'un et
que, bon, il en fasse bon ou mauvais usage. Ça, c'était quelque chose qui aurait
pu se produire. Donc, pour le moment, on ne peut pas juger ce qui s'est passé
pour que cette évacuation n'ait pas lieu, si c'est de la méchanceté de la part
de recteur, du vice-recteur, ou si c'est la peur d'avoir sur son dos tout un
bus qui va peut-être se faire massacrer. Mais, c'est la première fois que je
me suis retrouvé dans une situation où on dit : « Oui », et on
meurt ou on dit : « Non » et on meurt. C'était aussi dangereux
que ça de prendre des décisions, c'est peut-être une explication du pourquoi
la plupart des gens étaient paralysés.
Le Président : Une autre
question ? Maître CARLIER ?
Me. CARLIER : Monsieur le président, est-ce que le témoin peut
dire s'il y avait une autre possibilité pour Monsieur Vincent NTEZIMANA, en
tant que président de l'association du personnel, pour tenter d'organiser cette
évacuation que de remettre la liste au vice-recteur ?
le témoin 15 : C'est le
vice-recteur qui gérait les véhicules, de toute façon, donc, il n'y avait pas
moyen. Et à la limite, je dirais que le fait que Vincent était membre d'un syndicat
qui, quelques mois avant, avait organisé quand même une grève qui avait fait
mal, je m'imagine, au vice-recteur, je me suis dit : « Peut-être que
le recteur est en train de régler ses comptes avec NTEZIMANA en disant :
« Il a torpillé mes volontés de montrer que je tiens bien l'université,
eh bien, moi aussi, je vais faire échouer son projet d'évacuation des gens ».
Moi, je me suis posé toutes ces questions pendant toutes les nuits blanches
que je passais en essayant de trouver un moyen, et chaque fois, quand j’arrivais
à une solution, je me disais : « Mais peut-être que c'est pas celle-là ».
Et jusqu'à présent, j'ai jamais su ce qui s'est passé dans la tête des gens
à qui nous avions confié de nous évacuer et qui ont échoué.
Le Président : Une autre
question ? Maître HIRSCH ?
Me. HIRSCH : Oui, une ultime, Monsieur le président. Le témoin
nous a dit donc, que dès le 8 avril, donc très très tôt, il a pensé à quitter
le Rwanda et à fuir avec son épouse. Est-ce que cette ultime possibilité d'être
évacués sous la responsabilité euh… de l'université, est-ce que cette possibilité
lui a permis en fait de… de construire sur cette possibilité de fuite et lui
a permis d'attendre en fait que la prise en charge de sa fuite soit faite par
quelqu'un d'autre ? Est-ce qu'il a été rassuré par cette possibilité d'évacuation
par l'université ?
le témoin 15 : Je dirais
que j'ai eu tout le temps, en quelque sorte, avant le début des massacres à
Butare, de fuir. Donc, je veux dire que quand on a demandé à être évacués, puisque
j'avais essayé la solution du laissez-passer qui n'avait pas marché, j’essaie
la solution de l'évacuation qui est torpillée vers le 14 ou le 15. Entre le
14 et le 20, j'ai le temps, si j'avais eu d'autres possibilités, de fuir. Mais
voici que je n'ai pas fui et le 20, la foudre nous est tombée dessus. Donc,
si j'avais pu, par d'autres moyens, sûrement que le 14, enfin à partir du 14,
vers le 19 déjà, j’aurais fui.
Me. HIRSCH : Donc l'évacuation, Monsieur le président, par l'université,
était devenue l’ultime recours ?
le témoin 15 : L’ultime.
Je dois dire que j'ai continué à penser à d'autres façons d'évacuation et quand
j'ai quitté Butare le 4 mai, c'était, cette fois-ci, avec un laissez-passer
mais que j'ai dû attendre deux semaines. Et alors, puisque je ne peux pas être
sûr de la situation, au niveau barrière, entre Butare et Cyangugu, je vais avec
TUYISHIME Faustin parcourir toute la route en regardant l'état de la sécurité.
J’arrive à Cyangugu, je ramène une nouvelle carte d’identité pour mon épouse
et on commence à planifier l’évacuation. Donc, en quelque sorte, je dirais que,
tant que les laissez-passer étaient délivrés, la porte n'était pas fermée. Je
veux dire que, même après le 15, si j'avais pu avoir un laissez-passer le 18
ou le 17 etc. je serais parti comme je suis parti au mois de mai, quoi.
Le Président : Maître BEAUTHIER ?
Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, avec le respect qu'on doit
à ce que Monsieur a vécu, est-ce qu’on peut lui demander s’il aurait envisagé
de faire appel à un militaire, aussi absurde que cela puisse paraître ? Est-ce
que quelqu'un comme lui, pouvait imaginer faire appel à un militaire qu’il connaissait
de près ou de loin, pour évacuer sa femme, l'évacuer lui et le transporter quelque
part ? Est-ce qu'il y a pensé ? Est-ce que c'est tout à fait exclu
?
le témoin 15 : Vous savez,
le 19, quand les balles commencent à siffler dans mon quartier, le 19 ou le
20, eh bien, j'ai appelé mon voisin ; c'était un homme… je pense personnellement
qu'il était Tutsi mais il se dit Hutu et il dit que sa femme… et c'est la seule
Tutsi du groupe, je lui dis : « On appelle la gendarmerie ? »,
il me dit : « Non. Est-ce que tu penses que les gendarmes ne sont
pas en train d'entendre ces coups de… ces coups de feu ? ». Donc,
en quelque sorte, à moins d'être sûr que la personne que j'appelle me connaisse
et que j'ai jamais donné un sou pour le FPR etc., j'aurais pas pu me montrer.
En quelque sorte, je dis, le secret pour survivre, c'était faire le mort. Donc,
j'ai pas appelé de militaires, à la limite je n'en connaissais pas et je ne
vois pas qui j’aurais pu appeler.
Me. BEAUTHIER : C’est ce que je voulais savoir. Merci, Monsieur
le président.
Le Président : D’autres questions
? Maître CARLIER ?
Me. CARLIER : Monsieur le
président, pouvez-vous demander au témoin si avec le recul, compte tenu de tout
ce qu’il a entendu, jusqu'à y compris aujourd'hui, il pense que Monsieur Vincent
NTEZIMANA peu avoir organisé les listes comme un piège pour désigner les Tutsi
à assassiner ?
Le Président : Oui, Monsieur
?
le témoin 15 : Oui. Je dirais
que la réponse est évidente. Je crois que c'est une constante que tous les Rwandais
sont d'accord à affirmer, c'est que, à l'époque, la vie d'un Tutsi, ça valait
rien. Si NTEZIMANA avait voulu nous liquider, il aurait pris une voiture et
il serait descendu à Tumba, il aurait tiré dans le tas et il serait reparti.
Dire qu’on fait des listes et qu’on demande aux gens de s’y inscrire avec leur
carte d'identité, c'est quelque chose que je compare à quelqu'un qui voudrait
manger un steak et puis qui se toucherait le nez, qui irait nettoyer sa toilette
et puis qui irait à Bruxelles, à Namur acheter un ordinateur et puis qui après,
retournerait à Liège voir sa belle-mère, et puis seulement reviendrait manger
le steak en étant convaincu que s'il n'avait pas fait ce qui précède, le steak
n'aurait pas été mangé.
Le Président : C’est une
belle explication.
le témoin 15 : J’espère
qu’elle éclaircit certaines choses.
Le Président : D’autres questions ?
S’il n’y a plus de questions, les parties sont-elles d’accord pour que le témoin
se retire ? Monsieur, est-ce bien des accusés ici présents dont vous avez
voulu parler ? Le sens de cette question est simplement le suivant :
persistez-vous, confirmez-vous les déclarations que vous venez de faire ?
le témoin 15 : Oui, Monsieur
le président.
Le Président : La Cour vous
remercie pour votre témoignage. Vous pouvez disposer librement de votre temps.
le témoin 15 : Merci, Monsieur
le président. |
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