assises rwanda 2001
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Instruction d’audience V. Ntezimana Audition témoins compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction d’audience V. Ntezimana > Audition témoins > J.P. Van Ypersele de Strihou
1. N. Gasana 2. le témoin 9 3. le témoin 125 4. le témoin 134 5. le témoin 116 6. le témoin 61 7. le témoin 124 8. le témoin 50 9. le témoin 150 10. le témoin 73 11. le témoin 55 12. le témoin 100 et commentaires V. Ntezimana 13. le témoin 97 14. le témoin 104 15. H. Gallee 16. le témoin 84 17. le témoin 36 18. B. Van Custem et commentaires V. Ntezimana et E. Seminega 19. Lecture président attestation J.B. Seminega 20. le témoin 77 21. le témoin 10 22. le témoin 96 23. le témoin 42 24. R. Degni-Segui 25. le témoin 15 26. J. Léonard et commentaires partie civile et V. Ntezimana 27. J.P. Van Ypersele de Strihou 28. le témoin 118 29. le témoin 31, commentaires avocat général, partie civile, défense, audition interview I. Nkuyubwatzi 30. le témoin 108 31. le témoin 127 32. le témoin 109 33. le témoin 147 34. le témoin 105 35. le témoin 89
 

6.3.27. Audition des témoins: le témoin 144

Le Président : Monsieur le témoin 144.

Monsieur, quels sont vos nom et prénom ?

le témoin 144 : le témoin 144.

Le Président : Quel âge avez-vous ?

le témoin 144 : 43 ans, sauf erreur.

Le Président : Quelle est votre profession ?

le témoin 144 : Je suis physicien et climatologue.

Le Président : Quelle est votre commune de domicile ou de résidence ?

le témoin 144 : Chaumont-Gistoux.

Le Président : Connaissiez-vous les accusés ou certains d’entre eux, avant le mois d'avril 1994 ?

le témoin 144 : Je connais Monsieur NTEZIMANA.

Le Président : Etes-vous parent ou allié des accusés ou des parties civiles ?

le témoin 144 : Pas à ma connaissance. Je ne pense pas, non. Je ne connais pas toutes les parties civiles, mais pas à ma connaissance en tout cas.

Le Président : Etes-vous attaché au service des accusés ou des parties civiles, donc, sous contrat d’emploi avec les accusés ou les parties civiles ?

le témoin 144 : En aucune manière, Monsieur le président.

Le Président : Je vais vous demander, Monsieur le témoin 144, de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment de témoin.

le témoin 144 : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président : Je vous remercie. Vous pouvez vous asseoir.

Monsieur le témoin 144, pouvez-vous, dans un premier temps, exposer à quelle époque et dans quelles circonstances vous avez fait la connaissance de Monsieur NTEZIMANA et éventuellement situer les époques où vous avez eu des contacts avec lui.

le témoin 144 : Je crois que ce… la période pour laquelle j'ai le plus de souvenirs, bien qu'il est possible que je l'ai croisé avant euh… qu'il ne revienne en Belgique, en 87. Donc, Monsieur NTEZIMANA revient en Belgique en 87 pour faire sa thèse de doctorat à une époque à laquelle moi-même, je reviens des Etats-Unis ; j'avais fait ma thèse aux États-Unis, et donc, lui commençait sa thèse, j'avais terminé la mienne. Et mes souvenirs les plus précis commencent à ce moment-là. Je me souviens en particulier d'un moment où il était un petit peu perdu dans son… dans son travail scientifique et où je lui avais demandé de m’aider à corriger des rapports de laboratoire, je crois, et à cette occasion-là, je me suis rendu compte qu'il était un petit peu perdu par rapport à l'ampleur de la tâche qui était devant lui pour son doctorat, et je lui ai donné l’un ou l'autre conseil. Donc, ça c'est le premier souvenir précis que j'ai de Monsieur NTEZIMANA.

Plus tard, dans les années qui ont suivi, dans la mesure où je ne travaillais pas directement avec lui - il travaillait surtout avec Monsieur GALLEE, avec Monsieur SCHAYES, Monsieur BERGER, le directeur du laboratoire - je l’ai évidemment croisé régulièrement, entendu à des séminaires, de temps en temps l'une ou l'autre discussion dans un couloir, de temps en temps je me rendais compte qu'il était actif, politiquement, parce que sur l'imprimante du laboratoire - et à ce moment-là tous les terminaux étaient centralisés dans une salle, je crois qu'il y avait très peu de personnes qui avaient un terminal dans leur bureau, les imprimantes étaient centralisées aussi - il y avait de temps en temps, entre les graphiques que je faisais pour mes propres recherches ou les papiers que j'imprimais moi-même, il y avait de temps en temps une feuille qui s'intercalait et je me souviens de l’un ou l'autre document, probablement datant de 92 ou quelque chose comme ça, qui était euh… et donc, sur lequel j'avais jeté un coup d'œil, et qui étaient clairement des documents qui appelaient… appelaient à la paix et qui dénonçaient le régime le témoin 32. Je me souviens en particulier d'un texte que j'ai retrouvé par la suite dans les… dans les ordinateurs de notre institut, dans les copies de sauvegarde que nous avions chez nous, un texte daté du 9 janvier 92, qui était un communiqué de presse qu'il signait et qui dénonçait la création des fameuses milices Interahamwe. C’est un communiqué de presse qui avait été publié en Belgique.

Alors plus tard, euh… le dernier exemple de contact dont je me souviens, c'est en… en mars 93, quand il quitte l'institut - il a terminé sa thèse brillamment, il a terminé avec la plus grande distinction - nous avons été, comme on le fait souvent quand des personnes partent, quittent l'institut, et lui retournait au Rwanda à ce moment-là, nous avons été tous ensemble boire un verre près du café de la gare, à Louvain-la-Neuve; on était certainement une douzaine de l'institut, autour de lui, pour fêter en quelque sorte son départ. Et je me souviens d’une discussion assez longue de ce soir-là autour de ce ou de ces verres, portant sur la politique du Rwanda. Et j'ai un souvenir très précis du fait que Monsieur NTEZIMANA était très très critique par rapport au régime du général le témoin 32, qu'il était aussi assez critique par rapport aux méthodes du Front patriotique rwandais pour renverser le régime d’le témoin 32 et que lui retournait - c’est en tout cas l'impression que j'avais, et c'est l'image qui me reste de cette conversation - retournait au Rwanda avec l'espoir, malgré la situation très difficile, d'apporter, de rechercher - c'était peut-être très naïf, hein, j'avais l'impression qu’il était peut-être un petit peu naïf à ce moment-là - mais de rechercher une troisième voie, une voie de conciliation qui respecterait les intérêts de tous les… de tous les Rwandais, quelle que soit leur ethnie. C’est en tout cas le souvenir très précis que j'ai gardé de cette conversation, Monsieur le président.

Le Président : Lorsque les événements d’avril-mai 1994 ont… ont eu lieu au Rwanda, Monsieur NTEZIMANA est resté pendant un certain temps à Butare puis a quitté Butare et est… est arrivé en Belgique. Avant son arrivée en Belgique, avez-vous eu des contacts avec lui ? Etes-vous notamment intervenu pour lui trouver un logement, pour lui trouver des moyens de subsistance, pour lui obtenir une bourse ?

le témoin 144 : Tout à fait. Donc, je crois que c’est vers le… le 25 juin, si ma mémoire ne me trompe pas, qu’un fax est arrivé à l’institut, un fax provenant, si je me souviens bien, de Goma, tout près de Gisenyi, un fax signé de Vincent NTEZIMANA. Il ne m’était pas adressé, je ne me souviens plus s’il était adressé au professeur SCHAYES ou au professeur BERGER, mais en tout cas, il ne m’était pas adressé ; il n’y avait d’ailleurs pas de raison particulière pour laquelle il aurait dû m’être adressé, je n’avais pas travaillé particulièrement avec Vincent NTEZIMANA. C’était un appel à l’aide qui provenait d’une région dont on savait par les journaux, que la situation était très difficile, que le choléra n’était peut-être pas très… que les épidémies de choléra n’étaient pas loin. Et dans la mesure où il y avait déjà précédemment, depuis quelques mois, un projet de recherche dont Monsieur SCHAYES, la personne qui travaillait le… avec… une des personnes qui travaillaient avec Monsieur NTEZIMANA, était responsable et que dans le cadre de ce projet, il avait été question d’attribuer une bourse à Monsieur NTEZIMANA - ce projet avait été un petit peu euh… était resté un petit peu en suspens - eh bien, il est apparu que vu l’appel à l’aide, il fallait essayer de toutes les manières de l’aider, d’aider cet ancien… cet ancien étudiant de l’institut, qui avait quitté l’institut à peine un an auparavant, à sortir de l’enfer dans lequel il avait l’air d’être avec ses deux enfants.

Et donc, nous nous sommes mis, tous les permanents de l’institut, à voir ce que l’on pouvait faire pour, soit réactiver ce projet de recherche, ce projet d’attribution de bourse à Monsieur NTEZIMANA, soit trouver une autre solution. Alors, réactiver la bourse, ça n’a pas été possible, ça prenait trop de temps, enfin cette bourse-là en tout cas. Et donc, on a, avec les… l’accord des autorités, des plus hautes autorités de l’UCL à l’époque, obtenu l’accord qu’il revienne pour faire une formation complémentaire, un diplôme de troisième cycle complémentaire. Un document a donc été signé par les autorités de l’UCL pour lui permettre d’obtenir un visa ; une bourse a été attribuée sur des fonds qui étaient gérés, je crois, par Monsieur SCHAYES ou par Monsieur BERGER, pour effectivement donc, l’aider à revenir et à… à passer au moins 6 mois ­ c’était, je crois, sur cette hypothèse-là qu’on était parti au départ, on s’imaginait un petit peu naïvement que les choses allaient s’arranger très vite - au moins 6 mois ou un an en Belgique. Donc, il est arrivé fin juillet, début août 94, en Belgique, un moment où j’étais en vacances moi-même. Et donc, voilà à quoi, euh… Effectivement, donc j’ai participé avec d’autres à des démarches qui ont conduit à ce qu’il revienne.

Le Président : A ce moment-là, vous n’avez pas encore entendu parler, en Belgique en tout cas, de l’implication éventuelle de Monsieur NTEZIMANA dans des massacres à Butare ?

le témoin 144 : Non. Aucunement. Et je dois dire qu’une question a été posée par les autorités de l’UCL avec lesquelles nous avons eu une réunion - et nous étions plusieurs membres de l’institut, il y avait plusieurs représentants des autorités de l’UCL et des services compétents - une réunion qui a eu lieu début juillet 1994. Et donc, la question évidemment a été posée, personne autour de la table ne souhaitait aider quelqu’un qui aurait pu participer à… au génocide ou aux massacres. Et donc, la question a été posée, et nous avons répondu, enfin, tous ceux qui connaissaient Monsieur NTEZIMANA ont dit qu’à notre connaissance, et vu ce que l’on savait de lui - ses opinions modérées, son souci de rechercher la paix, la conciliation - l’impression qu’il nous avait toujours donnée de manière constante au cours des… des six années pendant lesquelles il avait fait son DEA et puis sa thèse de doctorat, eh bien, ça nous semblait très difficile à imaginer. Donc, à notre connaissance, il n’avait pas participé. Mais à ce moment-là, nous n’avions pas encore les informations qui sont arrivées plus tard, après son retour.

Le Président : C’est pourtant, semble-t-il, assez peu de temps après son retour en Belgique que… que des rumeurs commencent à circuler dans les milieux de l’UCL et de Louvain-la-Neuve ; rumeurs relativement précises et portant sur des accusations graves.

le témoin 144 : Tout à fait. Je crois que c’est très très vite. Je n’étais pas là puisque j’étais en vacances quand ils sont revenus. Je suis moi-même rentré de vacances, je crois vers le… le 4 août, quelque chose comme ça, quelques jours après qu’il soit… qu’il soit revenu. Et j’ai eu un coup de fil d’un de mes collègues, Hubert GALLEE, qui m’a dit : « Jean-Pascal, tu sais, il y a eu une réunion la semaine dernière avec… chez le professeur BROUILLARD au département de physique de l’UCL. Trois étudiants burundais ou rwandais sont venus se plaindre chez le professeur BROUILLARD que l’UCL avait accueilli en ses locaux et avait même aidé, semble-t-il, à revenir Vincent NTEZIMANA ; et ils trouvaient cela tout à fait scandaleux, ils étaient tout à fait choqués parce que - c’est ce qui a été dit à l’époque - Monsieur NTEZIMANA aurait, d’après ces trois personnes, menacé de mort deux personnes bien particulières, et d’autre part aurait été, ont-ils dit, l’auteur de L’appel à la conscience des Bahutu ». C’étaient les trois accusations, si je me souviens bien, qui étaient sur la table à ce moment-là.

Alors, il est bien entendu que quand j’ai entendu cela, tout comme je crois quand Monsieur GALLEE et quand Monsieur BERGER, le responsable du laboratoire, ont entendu cela - je crois que Monsieur BERGER était peut-être en vacances à ce moment-là aussi, je crois qu’il n’était pas présent en tout cas juste au moment du retour de Monsieur NTEZIMANA - eh bien, nous avons été extrêmement euh… comment dirais-je, euh… préoccupés, préoccupés parce que, dans l’esprit d’aucun membre du laboratoire, il ne pouvait être question de continuer à aider, bon, d’avoir aidé, ça c’était fait, mais de continuer à aider quelqu’un qui aurait effectivement été coupable de ces trois choses-là. Et donc, d’une part, le directeur du laboratoire nous a demandé de rencontrer nous-mêmes, Hubert GALLEE et moi, les trois personnes qui étaient venues trouver le professeur BROUILLARD et d’autre part, mon collègue Hubert GALLEE, officier de réserve très… très respectueux des institutions, et qui avait des contacts à la gendarmerie, a téléphoné à la gendarmerie d’Ottiginies pour leur faire part de ce qu’il venait d’apprendre et leur demander s’ils pouvaient faire quelque chose pour vérifier. Je crois que la gendarmerie lui a répondu que… que ce n’était pas dans leurs attributions, qu’il y avait, en ce qui concernait les questions de ce genre, un Comité du respect des droits de l’homme au Rwanda, qui s’occupait d’enquêter sur les Rwandais qui revenaient et qui étaient accusés d’avoir participé aux massacres et au génocide, mais qu’en tout cas, la gendarmerie ne souhaitait pas s’en occuper. Et donc, le professeur BERGER, aussi ennuyé que nous de ce qui se passait, nous a demandé alors de vérifier dans la mesure de nos moyens ce qu’il était possible de vérifier.

Le Président : Vous est-il possible de résumer les démarches entreprises dans cette mission de quasi enquêteur ?

le témoin 144 : Bien, oui. C’était vraiment d’une certaine manière à contre-cœur, d’une part parce que ce n’était pas du tout notre… notre… notre boulot. Nous aurions préféré pouvoir continuer, soit à être en vacances - c’était tout de même les vacances - soit à nous occuper de climatologie. Mais, vu l’importance des charges qui pesaient contre lui, vu les apparences qui étaient terriblement accusatrices, ce que nous avons fait, Hubert GALLEE et moi, c’est donner des coups de téléphone et rencontrer d’abord les trois personnes qui avaient accusé Monsieur NTEZIMANA de ce dont ils l’avaient accusé. Et puis, dans la mesure où, d’une part, ces personnes-là nous ont aussi, comme la gendarmerie, renvoyés vers le comité dont il s’est avéré alors qu’il s’agissait du Comité pour le respect des droits de l’homme et la démocratie au Rwanda qui était animé à l’époque par Monsieur GASANA Ndoba, je suis entré en contact - et peut-être bien que mon collègue aussi - avec Monsieur GASANA Ndoba pour échanger nos… nos idées à l’époque, étant animés, je le pensais, tous les deux ou tous les trois de la même volonté de rechercher la vérité, du moins c’est ce que je pensais à ce moment.

Et puis, nous avons, d’autre part, été en contact, donc, avec les accusateurs qui nous ont dit : « Bon, telle personne a été menacée de mort ». Et il nous semblait que la première réaction à avoir, dans la mesure où la gendarmerie ne s’intéressait pas à l’affaire, eh bien c’était d’essayer nous-mêmes de retrouver, dans la mesure où elles se trouvaient en Belgique, et elles se trouvaient en Belgique, les deux personnes dont il paraissait… dont il était dit que Monsieur NTEZIMANA les avait menacées de mort, et un des… un des… une des trois personnes qui étaient venues chez le professeur BROUILLARD nous avait dit : « Il s’agit de Madame KALISA et de Monsieur… euh… de Madame KALISA et de Madame Rose MUKUKANKOMEJE. Et donc, j’ai retrouvé ces deux personnes, j’ai pu leur parler et elles m’ont toutes les deux dit… Madame MAKUKANKOMEJE m’a dit qu’elle ne pouvait pas avoir été menacée par Monsieur NTEZIMANA parce qu’elle n’était pas à Butare quand les… le génocide et les massacres se sont produits mais qu’elle avait, par contre, des idées très précises sur les opinions politiques de Monsieur NTEZIMANA qu’elle m’a fait savoir, qui m’ont étonnées parce qu’elles ne correspondaient pas du tout à l’image que j’avais gardée de Monsieur NTEZIMANA. Et quant à Madame KALISA avec qui j’ai parlé plusieurs fois et qui ne me disait pas toujours exactement la même chose, j’ai aussi eu en tout cas la… j’ai en tout cas eu la conviction, à un moment donné, que elle… ce qui avait été dit qu’elle aurait dit euh… par euh… ce qui aurait été dit par les trois Rwandais ou Burundais qui étaient venus, que Madame KALISA aurait dit, n’était pas quelque chose qu’elle confirmait elle-même en tout cas.

Donc, petit à petit, cherchant à vérifier les informations en écoutant aussi les trois personnes rwandaises et burundaises qui disaient : « Il était bien connu que Monsieur NTEZIMANA distribuait des documents extrémistes à Louvain-la-Neuve », bon, eh bien, je leur ai demandé : « Bon, il est bien connu, je suis tout prêt à l’admettre, mais quel est le… quelles sont les personnes qui peuvent… qui peuvent en témoigner ? Je veux dire, où est-ce que ça s’est passé, quand est-ce que ça s’est passé, devant qui ? Est-ce qu’il y a éventuellement des documents qui restent de ces… de ces distributions de documents extrémistes, paraît-il ? ».

Et un des accusateurs de Monsieur NTEZIMANA, Monsieur NYAMULINDA - dont j’ai appris par la suite qu’il était un des représentants du FPR, le Front Patriotique Rwandais, à Louvain-la-Neuve - m’a dit : « Adressez-vous à telle personne ». Je m’adresse à cette personne, je lui téléphone, qui me dit : « Non, pas du tout, moi, je n’ai jamais… je n’ai jamais entendu directement Monsieur NTEZIMANA tenir ces propos ou distribuer ces documents mais vous pouvez vous adresser à telle autre personne qui pourra vous le certifier ». Je m’adresse à cette personne-là qui me renvoie encore à une autre personne et la dernière personne me renvoie au premier, Monsieur NYAMULINDA. Et à ce moment-là, eh bien je me suis dit : « Il y a quelque chose qui tourne en rond ici. Il y a quelqu’un qui dit que quelque chose est bien connue et qui… qui donne toute l’apparence de la vérité, et en fait ce n’est rien d’autre qu’une rumeur et qui a peut-être été - ça ce n’est qu’une hypothèse - mais qui a peut-être été lancée par la personne-même qui prétend comme bien connus les éléments qui étaient présentés à charge ».

Et donc, partageant ces… euh… mes ou nos conclusions provisoires au fur et à mesure que notre enquête entre guillemets - et je suis ennuyé d’avoir dû faire cette enquête à la place des autorités, à l’époque - partageant au fur et à mesure nos conclusions partielles avec Monsieur GASANA Ndoba qui cherchait de son côté aussi ce qu’il en était, je me suis rendu compte à un moment donné que, petit à petit, de nouvelles accusations apparaissaient, qu’on ne parlait plus du tout du fait que Monsieur NTEZIMANA n’avait pas menacé… avait menacé plutôt Madame KALISA ou avait menacé Madame le témoin 76 mais qu’on l’accusait de quelque chose de nouveau. Et puis, creusant chaque fois les nouvelles accusations, je suis arrivé progressivement à la conclusion que chaque fois que l’on creusait, il n’y avait pas grand chose dans les accusations en question. Et à un moment donné, j’ai eu l’impression, peut-être que je me trompe, mais que si j’expliquais publiquement, ou en tout cas à ceux qui accusaient Monsieur NTEZIMANA, pourquoi je pensais… quels étaient les éléments, me semblait-il, objectifs ou les témoins qui m’avaient parlé de telle ou telle chose et qui m’avaient… qui avaient plutôt infirmé ce qu’on avait dit qu’ils avaient dit, chaque fois que j’expliquais donc aux accusateurs de Monsieur NTEZIMANA, Monsieur Ndoba en particulier, ce qu’il me semblait de ces accusations-là et que ces accusations-là ne me semblaient vraiment pas solides, de nouvelles accusations apparaissaient etc. Et puis alors, je me suis… et puis à un moment donné, j’ai vraiment eu le… l’impression que… qu’il y avait un travail de construction de faux témoignages. Mais ce n’est qu’une impression, je peux me tromper, j’ai toujours dit que je pouvais me tromper et je le reconnaîtrais si j’avais de bonnes raisons du reconnaître.

Le Président : Avez-vous eu des entretiens avec Monsieur NTEZIMANA ?

le témoin 144 : Oui. Pas… alors, pas tout de suite. Parce qu’au début, nous étions tellement choqués, mon collègue Hubert GALLEE et moi, par ce que nous avions entendu à propos de ce dont on l’accusait. On s’est dit : « On ne va absolument rien lui dire dans un premier temps, au contraire, nous allons prévenir la famille chez qui il logeait ». Et je me rends compte que je n’ai pas répondu à votre question tout à l’heure : « Est-ce que j’ai aidé à trouver ce logement ? ». Je ne m’en souviens pas, en tout cas je ne pense pas parce que cette famille était amie de NTEZIMANA et donc, je ne pense pas qu’il ait fallu chercher de l’aide pour trouver un logement. Donc, j’ai prévenu cette famille très discrètement, à un moment où je savais que Monsieur NTEZIMANA était chez nous, et donc, j’ai parlé à euh… soit au mari, soit à la femme, je ne me souviens plus…

Le Président : Il s’agit du couple le témoin 6-LEONARD.

le témoin 144 : Oui, c’est ça, la famille le témoin 6-LEONARD. Et je leur ai dit, en toute discrétion : « Vous savez, voilà ce qui se passe et ce qu’on dit ici à Louvain-la-Neuve, je voudrais que vous le sachiez parce que les accusations… les apparences sont extrêmement… les accusations sont apparemment extrêmement graves. Il loge chez vous, je voudrais que vous le sachiez. Et peut-être que vous pourriez être attentifs à ses communications téléphoniques, pour voir un petit peu si, euh… s’il reçoit ou s’il donne des communications téléphoniques qui éventuellement pourraient donner l’un ou l’autre élément intéressant ». Donc, ils étaient évidemment très inquiets aussi. Mais ce n’est qu’après un certain temps, quelques semaines, en tout cas un certain nombre de jours, je ne me souviens plus exactement combien de jours, qu’un jour il n’était plus possible de… de ne pas en parler avec lui, puisque cherchant à faire venir son épouse qui, à ce moment-là, était aux Etats-Unis - et pour la faire venir, il fallait qu’elle ait un visa pour la Belgique, il fallait que les autorités de l’UCL délivrent un nouveau document lui permettant, donc, permettant à l’épouse de Monsieur NTEZIMANA, de venir - Monsieur NTEZIMANA s’est rendu compte en entrant en contact avec les services responsables de l’UCL, qu’il y avait des réticences importantes à lui fournir ce document, et à ce moment-là, je crois qu’il n’était plus possible de… de… de cacher le fait qu’à l’UCL, que ce soit chez nous ou que ce soit dans les services centraux, comment dirais-je, des… une inquiétude très grande existait à propos de la gravité des charges qui étaient portées contre lui. Et à ce moment-là, nous avons mis les pieds dans le plat et commencé à parler avec lui, et à lui demander quelle était sa version, sa version des faits à propos de ce qui lui était reproché.

Le Président : Il vous a donné des explications ?

le témoin 144 : Il m’a donné des explications et je lui ai conseillé de les mettre par écrit. Et dès que j’ai pu avoir un contact finalement avec une instance officielle qui avait l’air d’être intéressée par ce qui se passait, à savoir la Sûreté de l’Etat, vers le mois de… d’octobre, je crois, début octobre, une des premières choses que j’ai faites c’est de leur communiquer ces… ces documents écrits et de même que toutes les autres informations que j’avais… que j’avais accumulées pendant… pendant ces quelques semaines.

Le Président : Les… les trois accusateurs initiaux, s’agissait-il de Messieurs SHERTI Epimaque, NYAMURINDA Pascal et KARANGWA Pierre-Célestin ?

le témoin 144 : C’est bien ça.

Le Président : Il semble que ces personnes aient ressenti certaines de vos démarches comme des pressions à leur égard ?

le témoin 144 : C’est possible. C’est possible euh…

Le Président : Pouvez-vous expliquer quelles ont été, selon vous, les démarches que vous avez entreprises envers eux ?

le témoin 144 : Je voudrais expliquer. Je voudrais expliquer parce que je crois que c’est important. On parle souvent de pression dans cette affaire et je voudrais expliquer ce dont il s’agit en l’occurrence. Donc, je me souviens très précisément d’une conversation dans le courant du mois d’août, première quinzaine du mois d’août, avec le père SHERTI, Epimaque SHERTI, à qui j’explique que quelque chose qu’il m’a dite, que telle personne avait dite, était… m’avait été tout à fait infirmée par cette personne-là, et que donc, il y avait quelque chose que je ne comprenais pas dans la mesure où tel jour, le père SHERTI me dit : « Tel témoin a vu telle chose », je parle à cette personne qui me dit l’inverse et donc peut-être très naïvement à ce moment-là, je retéléphone au père SHERTI et je lui dis : « Vous savez, ce témoin ne m’a pas dit ça, il m’a dit quasiment le contraire ». Et puis, j’apprends le lendemain que le père SHERTI a retéléphoné au témoin, a exprimé son irritation par rapport au fait que ce témoin m’a dit, à moi, quelque chose qui ne plaisait pas au père SHERTI, et puis, quand j’ai reparlé à ce témoin dans les heures qui ont suivi, il m’a dit que lui n’allait en tout cas pas inventer des choses pour faire plaisir au père SHERTI, et que ce qui était… ce qu’il avait vécu - et il avait vécu des événements dramatiques aussi, dans sa famille plusieurs membres de sa famille avaient été massacrés - il l’avait vécu, il n’allait pas inventer autre chose, il n’allait pas charger, comme semblait le souhaiter le père SHERTI, m’ a-t-il dit, il n’allait pas le charger, il n’allait pas charger Monsieur NTEZIMANA par… pour le plaisir de faire plaisir au père SHERTI.

Et donc, à un moment donné, retéléphonant une xème fois - il y a eu un certain nombre d’échanges. Moi, j’essayais de savoir qui disait vrai dans cet… dans cet… dans cet écheveau de déclarations - je retéléphone au père SHERTI, et après une assez longue conversation, il me dit : « Vous savez, il vaudrait mieux que vous ne vous occupiez plus de cette affaire, que vous fassiez confiance à la justice » qui ne s’occupait pas, en tout cas à ma connaissance, en tout cas de cette affaire à ce moment-là. Et puis, je crois que dans la conversation je lui ai expliqué pourquoi je pensais qu’il y avait des mensonges et des faux témoignages qui étaient faits à propos de Monsieur NTEZIMANA, en tout cas pour certains d’entre eux, ceux pour lesquels j’avais vraiment des… enquêté entre guillemets moi-même. J’avais donc acquis progressivement cette conviction-là, pas du tout pour défendre à tort et à travers Monsieur NTEZIMANA, ce n’était pas du tout ça mon but. Et je lui ai dit : « Vous savez, si des personnes colportent des rumeurs très graves contre personne… contre quelqu’un en Belgique, eh bien, à ma connaissance, cela s’apparente à la diffamation et il y a des lois en Belgique à propos de la diffamation », et je lui ai simplement dit ça. Evidemment, il l’a… il l’a peut-être très mal pris, mais je ne lui ai rien dit d’autre.

Le Président : Ce n’est pas les conversations, parfois des heures durant, avec Monsieur NTEZIMANA, les yeux dans les yeux, qui vous ont convaincu de ce que…

le témoin 144 : Non. Non, ça c’est ce que certains journaux aiment bien écrire, parce que c’est évidemment facile d’écrire ça, et de me faire paraître pour un naïf, pour le premier des naïfs ; que simplement en regardant Monsieur NTEZIMANA, dont je serais l’ami, ce qui n’est pas le cas, dans… droit dans les yeux, que j’aurais pu me faire une idée à propos d’accusations si graves, bien sûr que non. Il se fait que, effectivement, quand j’interrogeais Monsieur NTEZIMANA dans mon bureau, parfois avec Monsieur GALLEE, je le regardais droit dans les yeux, c’est vrai, c’est ce que j’essaie de faire d’habitude quand je parle aux gens. Mais ce n’est pas parce qu’ il avait une bonne tête ou parce que ses yeux ne clignaient pas ou quoi, que je me suis fait cette… cette idée-là. C’est parce que j’ai accumulé toutes ces… toutes ces informations-là qui sont… qui ont été complétées plus tard par un certain nombre de documents qui me semblaient être des faits objectifs, que j’ai essayé d’analyser tout à fait rationnellement. Et c’est ainsi que progressivement… alors qu’au départ, contrairement à ce que certains journaux ont écrit aussi il y a quelques jours, au départ, j’avais un a priori tout à fait défavorable à son égard suite à la gravité des accusations.

Imaginez un petit peu, quelqu’un… trois personnes viennent trouver un professeur de l’UCL pour lui dire : « Vous savez, telle personne… il a menacé de mort telle personne, il a menacé de mort telle autre personne, il a écrit tel texte qu’on peut assimiler au « Mein Kampf » d’HITLER ou à peu près », eh bien, l’a priori ne peut être que défavorable. Donc, ce n’est pas du tout parce que je l’ai regardé dans les yeux que j’ai eu cette… progressivement cette conviction-là, dont je suis toujours prêt à changer, si, heu… s’il y a de bonnes raisons d’en changer.

Le Président : Vous n’avez jamais eu des contacts avec des personnes se trouvant au Rwanda au moment des faits ?

le témoin 144 : Alors, j’ai eu des contacts avec…

Le Président : Je dirais des témoins peut-être directs de ce qu’on reprochait à Monsieur NTEZIMANA ?

le témoin 144 : J’ai essayé par toutes les manières d’avoir des contacts avec des personnes qui étaient sur place et je n’ai réussi qu’à avoir des contacts avec des personnes qui sont retournées sur place et qui ont pu parler avec des personnes qui étaient sur place, notamment Madame le témoin 143. Mais, je n’ai pas eu d’autres… je n’ai pas eu… je… j’essaie de me souvenir, je ne pense pas que j’ai parlé à quelqu’un qui était sur place au moment du génocide, je ne pense pas.

Le Président : Monsieur NTEZIMANA vous a-t-il, par exemple, expliqué quelles étaient ses relations avec un militaire de Butare qui est le capitaine Ildephonse NIZEYIMANA…

le témoin 144 : Oui.

Le Président : …ou, a-t-il essayé de cacher ce genre de relation ?

le témoin 144 : Non, il n’a pas essayé du cacher et je dois dire que c’est une… c’est une des choses qui me posaient… c’est une des choses qui me posaient sérieusement question, d’autant plus que progressivement il… les charges contre le capitaine NIZEYIMANA qui n’est pas jugé ici, mais enfin, on peut parler d’accusations à son égard, sont devenues de plus en plus précises. Et donc effectivement, il m’a parlé de… de ce capitaine, il m’a euh… expliqué, parce que je l’ai… je l’ai titillé sur ce sujet-là, il m’a expliqué que c’était quelqu’un qui était originaire, si je me souviens bien, de la même région que lui et qui donc, naturellement (parce qu’au Rwanda souvent les… par origine, les contacts sont facilités), naturellement avait des contacts avec lui, mais il m’a expliqué en long et en large à quel point sur certains… sur certains aspects de la… de la politique rwandaise, il était en désaccord avec le capitaine NIZEYIMANA. Donc, je crois qu’il n’a pas soupçonné, s’il a fait tout ce dont on l’accuse, qu’il pouvait, euh… avoir fait… se mettre à faire tout cela en avril 94.

Le Président : Vous a-t-il relaté avoir été témoin du meurtre d’une jeune fille, dans le jardin de sa propriété, par une personne qu’il hébergeait ?

le témoin 144 : Oui. Oui, il m’en a parlé aussi.

Le Président : Vous a-t-il parlé d’avoir été témoin du meurtre d’un jeune homme sur une barrière, à proximité de son domicile ?

le témoin 144 : Euh… Il me semble que oui, Monsieur le président. Excusez-moi de ne pas pouvoir être plus affirmatif, mais j’essaie d’être le plus… de vous dire vraiment ce qu’il y a dans ma mémoire. Il me semble que oui. Je ne suis pas tout à fait certain sur ce point-là. Je crois que oui. Mais…

Le Président : Alors, est-ce que ce sont des choses qu’il… dont il a parlé spontanément avec vous ?

le témoin 144 : Moi, je lui ai demandé un jour de me dire absolument tout ce qui s’était passé entre son retour au Rwanda et son départ du Rwanda et de… d’écrire le plus possible à ce sujet-là. Et, euh… au fil du temps, au fur et à mesure que le… qu’il… qu’il me parlait, qu’il m’expliquait ce qui s’était passé, il m’a finalement expliqué tout ce qui… tout ce dont on l’accuse et tout ce dont il… donc, tout ce dont il se défend aussi. Oui, il m’a… il m’a parlé, je crois qu’il m’a parlé de tout, enfin à moins qu’il y ait des choses que je ne sache pas, mais je crois qu’il m’a parlé de toutes les accusations qui sont… qui ont été, par la suite, formalisées, dans le… par la justice.

Le Président : Ce sont des choses dont il vous a parlé avant son arrestation ou postérieurement ? Avez-vous eu des contacts après son arrestation ?

le témoin 144 : J’ai eu des contacts épistolaires après son arrestation. Il m’a écrit après son arrestation, mais évidemment l’essentiel des contacts que j’ai eus, c’était, soit avant son arrestation, soit après… après sa libération.

Le Président : Mais, par exemple, cet épisode d’une jeune fille assassinée sous ses yeux par quelqu’un qu’il héberge ou achevée en tout cas, plutôt que…

le témoin 144 : Je pense que ça, c’est venu assez tard. Je pense qu’il ne m’en a pas parlé tout de suite.

Le Président : Après son arrestation ou avant ?

le témoin 144 : Euh… Il est possible que ce soit après son arrestation. Franchement, je ne pourrais plus le certifier, il y a eu tellement d’accusations qui ont été portées contre lui et avec une évolution dans le temps avec certaines accusations qui arrivaient, qui partaient etc. A un moment donné, on l’a accusé aussi d’avoir assassiné sa domestique, par exemple, puis on a retrouvé la domestique vivante donc, ça devenait difficile à défendre. Que franchement cette accusation précise là, je ne sais plus à quel moment elle est arrivée et je ne l’ai pas retrouvée dans mes notes, je n’ai pas relu toutes mes notes avant de venir ici mais je n’ai pas retrouvé de… je n’ai pas retrouvé le moment où il m’a parlé de cela.

Le Président : Bien. Y a-t-il des questions à poser au témoin ? Monsieur l’avocat général ?

L’Avocat Général : Une première question que je voudrais poser au témoin, Monsieur le président. Est-ce que d’autres personnes, d’anciens étudiants ayant résidé au Rwanda ont bénéficié de la même aide et du même soutien que celui que vous avez attribué à Monsieur NTEZIMANA pour le sortir de là, par exemple ?

le témoin 144 : Le seul… le seul étudiant euh… des Grands Lacs qui est venu dans notre institut au cours de la même période, donc les années 90, c’est le témoin 124 qui a eu une bourse du même genre que celle que Monsieur NTEZIMANA a reçue pendant son doctorat, et Monsieur BONFILS était en Belgique au moment du génocide et donc, n’a pas pu être aidé. Il est certain que s’il avait lancé un appel à l’aide de la même façon, en mai ou en avril, en mai ou en juin 94, certainement nous l’aurions aidé de la même façon, ça, j’en suis tout à fait convaincu.

L’Avocat Général : Vous avez déjà répondu à cette question du président. Les trois personnes, donc, qui avaient fait des déclarations contre Monsieur NTEZIMANA ont ressenti votre… votre phrase comme quoi la diffamation est un délit en Belgique, comme des pressions voire des menaces. Mais, ce ne sont pas les seules personnes : le professeur le témoin 116 a également reçu la même remarque de votre part. Est-ce que c’est une phrase qui vous arrive comme ça tout naturellement lorsqu’on ne partage pas immédiatement votre opinion ?

le témoin 144 : Non, c’est très rare, Monsieur l’avocat général. C’est très rare, je pense que j’ai dû la prononcer quelques fois à cette époque-là, chaque fois que j’avais vraiment l’intime conviction qu’il y avait des personnes qui disaient le contraire de la vérité. Et j’ai cru de mon devoir de citoyen de rappeler que certaines lois existaient. Je ne savais pas que ça pouvait être assimilé à… ou qu’on pouvait me le reprocher. Mais si personne… si des personnes l’ont mal pris, euh… je crois que c’est… j’en suis désolé. Mais, je maintiens que je l’ai dit, je pense que j’étais tout à fait en paix avec ma conscience quand je l’ai dit. Et je dois constater que le professeur le témoin 116 vient d’être… aurait peut-être dû écouter ce que je lui ai dit, très humblement, parce que j’étais trois niveaux plus bas dans la hiérarchie académique - il est professeur ordinaire, j’étais chef de travaux à ce moment-là, il a 20 ans de plus que moi - donc, je lui ai dit amicalement qu’il y avait des lois sur la diffamation. Et j’ai appris en lisant « Le Soir » la semaine dernière, que le professeur le témoin 116 venait d’être condamné - et ce n’est pas moi qui ai recherché sa condamnation - pour diffamation en appel, et que cela avait été confirmé en Cour de Cassation. Donc, peut-être que le professeur le témoin 116 aurait dû écouter ce que je lui disais sur l’existence de certaines lois à l’époque.

L’Avocat Général : Vous avez dit là tantôt que, donc, vous avez commencé votre enquête assez tôt et qu’à partir de quelques semaines, puis vous avez dit quelques jours, et dans votre audition devant le juge d’instruction vous dites : « Dans le courant du mois d’août. Monsieur NTEZIMANA est arrivé dans le courant du mois d’août ». Donc…

le témoin 144 : Il est arrivé, je crois, tout début août, hein. Donc, quelques jours ou quelques semaines, nous sommes toujours au mois d’août, je pense.

L’Avocat Général : Le 4 août. Donc, c’est pratiquement le même mois que, disons, vous basez vos observations sur le récit de Monsieur NTEZIMANA lui-même. A partir de, disons, fin août, vous avez des discussions avec Monsieur NTEZIMANA, vous venez de dire qu’il n’était plus possible du lui cacher, et qu’à partir de ce moment-là, c’est en somme sur base du récit de Monsieur NTEZIMANA que vous vous êtes inspiré.

le témoin 144 : Pas du tout. Ça, c’était une source, c’était un élément d’informations parmi d’autres et que, évidemment, je ne prenais pas pour argent comptant, pas plus que je ne prenais pour argent comptant ce que les autres personnes à qui je parlais, me disaient. Donc, j’ai toujours… j’ai toujours, a fortiori, vu ce préjugé défavorable (je pense que si j’avais un préjugé au départ, il était défavorable), j’ai toujours douté à tout moment, encore aujourd’hui, de la véracité de ce que Monsieur NTEZIMANA me disait. Et donc, j’ai toujours cherché à recouper ces informations-là, de multiples manières. Et c’est loin d’être uniquement en me basant sur les déclarations de Monsieur NTEZIMANA ­ hein, je serais vraiment bien naïf de… de tirer des conclusions comme cela - que je suis arrivé progressivement à cette… à cette conviction. Donc, c’était un élément parmi d’autres.

L’Avocat Général : Alors, vous venez du dire, Monsieur NTEZIMANA ne vous a parlé de l’épisode de la jeune fille qu’après… après son arrestation…

le témoin 144 : Je… je n’en suis plus sûr, Monsieur l’avocat général. Excusez-moi, je…

L’Avocat Général : Enfin, vous venez de dire que vous aviez l’impression qu’il ne vous en avait pas parlé immédiatement, et que c’est venu plus tard…

le témoin 144 : Oui, je sais que c’est venu assez tard. Est-ce que c’est à ce moment-là ou pas… je ne sais plus.

L’Avocat Général : Dans l’enquête, c’est venu très tard aussi. C’est venu au moment où une commission rogatoire allait être envoyée au Rwanda, justement pour notamment entendre des personnes à ce sujet, que Monsieur NTEZIMANA a fait sa déclaration. Maintenant, une autre question. Est-ce que vous avez déjà rencontré Monsieur GASANA ? Je ne dis pas téléphoné, hein. Rencontré, discuté les yeux dans les yeux.

le témoin 144 : Alors, est-ce que j’ai rencontré Monsieur GASANA ? Euh… On s’est certainement parlé au téléphone plusieurs fois, ça c’est certain, et je voudrais vous parler de l’avantage du téléphone, dans un instant. Euh… Est-ce que je l’ai rencontré ? Euh… J’hésite un petit peu parce qu’à un certain moment donné, Monsieur GASANA passait assez régulièrement à la télévision et donc, je connaissais son visage. Et j’essaie de me souvenir. Est-ce que j’ai vu Monsieur GASANA ailleurs que sur un écran de télévision ? Je crois que non. Il me semble que non. Je ne pense pas que je l’ai rencontré. Mais, le téléphone a l’avantage qu’on peut passer vite d’une personne à l’autre. Et cela permet d’éviter un certain nombre de manipulations qui sont davantage possibles quand il y a plus de temps qui passe.

L’Avocat Général : Vous n’avez donc pas rencontré Monsieur GASANA Ndoba, néanmoins vous avez fait une, c’est joint à une de vos auditions, une lettre à qui de droit, dénommée : « Quelques éléments qui font ma conviction que Vincent NTEZIMANA est innocent des crimes dont on l’accuse » et je lis là, à la page 3, je vais simplement faire quelques lectures : « J’appris de plusieurs sources que l’objectivité du Comité pour le respect des droits de l’homme et la démocratie au Rwanda ­ donc, c’est le comité dont Monsieur GASANA Ndoba est le responsable - laissait largement à désirer. Je crains qu’il ­ donc, Monsieur GASANA Ndoba - n’ait également des motivations politiques derrière son acharnement ». Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer cela ?

le témoin 144 : Bon, deux choses. Enfin, une série d’éléments, là aussi. D’une part il y avait cette conviction qui s’était construite progressivement, qu’un certain nombre de personnes de mauvaise foi témoignaient ou faisaient témoigner à charge de Monsieur NTEZIMANA. Et donc, évidemment une question qui se posait… qui s’est posée à un moment donné, c’est : Qui cela pouvait-il être ? Quand j’avais été en contact avec Monsieur GASANA Ndoba au début de l’enquête, j’avais évidemment un intérêt pour le Comité pour le respect des droits de l’homme et la démocratie au Rwanda et quand le nom apparaissait dans une publication, par exemple, le nom de ce comité apparaissait dans une publication, j’avais évidemment l’attention attirée.

J’ai par exemple eu l’attention attirée par un article publié dans la revue de la Fédération des Etudiants Francophones, la FEF, une revue qui s’appelait à l’époque : « 120.000 » (je ne sais pas si elle existe toujours), dans laquelle trois personnes qui avaient mené une enquête au sujet de la manière dont le Commissariat général aux réfugiés traitait les dossiers des réfugiés en provenance du Rwanda, euh… écrivaient, euh… mettant nommément en cause, Monsieur GASANA Ndoba et le Comité pour le respect de la démocratie au Rwanda, que Monsieur GASANA Ndoba et son comité étaient, dans bien des cas, l’unique informateur de Monsieur BOSSUYT qui était à l’époque, le commissaire général, qu’il intervenait de près dans les dossiers concernant… mais intervenait de manière très unilatérale, l’article était extrêmement critique.

Et d’autres personnes, y compris des personnes qui faisaient partie du Comité pour le respect des droits de l’homme et la démocratie au Rwanda et qui connaissaient donc, de l’intérieur, le fonctionnement du comité, m’ont dit - et ça ce sont des personnes que j’ai rencontrées ; bon, c’est un peu un hasard que j’ai rencontré ces personnes-là et pas Monsieur GASANA Ndoba lui-même - m’ont dit que le comité en question dénonçait les droits de l’homme quand il s’agissait, et c’était certainement très utile, euh… dénonçait les violations des droits de l’homme, et c’était certainement très utile du temps du régime le témoin 32 mais n’avait pas du tout la même objectivité quand il s’agissait de dénoncer d’autres violations des droits de l’homme après 94. Et donc, plusieurs personnes dont certaines avaient travaillé à l’intérieur du comité et qui donc, connaissaient bien Monsieur GASANA Ndoba, m’ont dit euh… que Monsieur GASANA Ndoba était très peu objectif finalement et très… et qu’il était probablement à l’origine de certains des montages de témoignages qui m’étaient apparus. Mais je peux me tromper.

L’Avocat Général : Oui. Vous avez fait allusion au commissaire général, Monsieur BOSSUYT, qui l’est toujours d’ailleurs actuellement, en disant effectivement que Monsieur GASANA avait une grande influence sur lui en ce qui concernait donc, la manière dont il traitait, le commissaire général, le dossier des réfugiés.

Bon, je continue un deuxième paragraphe de votre lettre, où… non. D’abord, dans votre audition devant le juge d’instruction, vous avez même dit que vous aviez reçu un coup de fil de Monsieur Ndoba GASANA qui se faisait passer comme quelqu’un d’Amnesty International. Bon, est-ce que…

le témoin 144 : Non, non…

L’Avocat Général : …vous entendez ça ou est-ce que cette personne - parce qu’on a déjà eu des personnes ici qui le disent, qu’ils reconnaissent des infiltrants parce que c’est visible sur leur figure ­ donc, Monsieur GASANA vous téléphone, se fait passer pour quelqu’un d’Amnesty International, mais vous savez immédiatement que c’est lui ?

le témoin 144 : Non, non. Non, je pense qu’il y a…

L’Avocat Général : C’est dans votre audition devant le juge d’instruction, j’ai le…

Le Président : Vous ne pouvez pas le lire, non.

le témoin 144 : Il… il… je…

L’Avocat Général : Enfin, vous avez dit que certaines personnes prenaient des fausses affiliations, notamment en se faisant passer pour des gens d’Amnesty International, comme Monsieur GASANA Ndoba.

le témoin 144 : Ah. Ça j’ai dit, effectivement. Mais ce n’est pas tout à fait la même chose que ce que je viens d’entendre, et en particulier, je n’ai jamais entendu Monsieur GASANA Ndoba, moi-même, se présenter au nom d’Amnesty International. Mais j’ai parlé à des personnes… Non, je n’ai… je pense…

L’Avocat Général : Je ne vais pas lire l’audition devant le juge d’instruction, mais je la connais par cœur, Monsieur le président, donc, dans l’audition devant le juge d’instruction, il est dit que Monsieur GASANA Ndoba se présentait téléphoniquement comme quelqu’un affilié à Amnesty International.

le témoin 144 : Oui, mais pas à moi. Il se présentait téléphoniquement, mais pas à moi. Non, je pense qu’il faut distinguer… je pense qu’il y a un malentendu, là. Je pense qu’il faudrait relire la phrase que j’ai signée dans ma déposition que je n’ai plus vue depuis 5 ans ou 6 ans, mais ce n’est pas à moi. Et si jamais c’est ça qui a été écrit, c’est une… c’est une malencontreuse erreur. Ce n’est certainement pas à moi que Monsieur GASANA Ndoba s’est présenté comme venant d’Amnesty International. Je n’en ai en tout cas absolument pas le souvenir. Par contre, j’ai le souvenir de personnes - il faudrait que je… franchement là, je ne me souviens plus qui, il faudrait que je retrouve, peut-être que je pourrais le retrouver en cherchant - de personnes qui se plaignent d’avoir reçu des coups de fil de personnes se présentant au nom d’Amnesty International, alors qu’elles n’avaient aucun mandat d’Amnesty International. Comment est-ce que - mais peut-être que là je peux apporter un élément d’information - comment est-ce que nous pouvions avoir cette idée qu’elle n’avait aucun mandat d’Amnesty International ?

Parce que mon collègue Hubert GALLEE a également pris contact avec Amnesty International pour leur demander s’ils avaient des informations à propos de Monsieur NTEZIMANA et qu’à l’occasion de ces contacts, il est… il est apparu qu’à ce moment-là en tout cas, Amnesty International n’avait aucune action, aucune enquête en cours à propos de Monsieur NTEZIMANA. Et donc, c’est un des éléments d’informations qui a servi à ce que j’écrive cela, mais je n’ai jamais écrit et jamais dit, je pense, que Monsieur GASANA Ndoba s’est présenté à moi comme étant d’Amnesty International. Je ne vois pas d’ailleurs pourquoi il l’aurait fait, ça n’avait pas d’intérêt.

L’Avocat Général : Alors, j’ai un autre passage de votre lettre cette fois-ci : « J’ai connaissance qu’on utilise parfois une fausse identité ou une fausse affiliation et recherche activement des personnes prêtes à déclarer quelque chose qui puisse être retenu à charge de Monsieur NTEZIMANA. Certaines de ces démarches se font au nom d’un avocat des parties civiles ou d’une organisation honorable comme Amnesty International ». Vous confirmez cela ?

le témoin 144 : Je confirme cela, Monsieur l’avocat général. On m’a dit ça, oui.

L’Avocat Général : Mais je pourrais dire, Monsieur le témoin 144, que la diffamation en Belgique est un délit, hein ?

le témoin 144 : Je l’entends, Monsieur l’avocat général. Mais je peux retrouver mes notes, et je suis prêt au débat.

Le Président : Délit d’audience ! Y a-t-il d’autres questions ? Maître SLUSNY.

Me. SLUSNY : Puisque le témoin est arrivé à la conviction que Monsieur NTEZIMANA n’avait rien à voir avec les très nombreuses accusations et très diverses accusations qui revenaient, qui repartaient, est-ce qu’il s’est également fait une opinion sur les explications que Monsieur NTEZIMANA lui aurait données sur l’origine de toutes ces accusations, qui sont fausses évidemment ?

le témoin 144 : Pour moi, c’est le… c’est peut-être une des choses plus… les plus étonnantes, c’est peut-être une des choses que je comprends le moins bien, c’est pourquoi il y a un tel, à mon avis un tel effort concerté pour euh… pour enfoncer Monsieur NTEZIMANA. Ça c’est quelque chose que j’ai un petit peu de mal à comprendre et je… bon, j’ai d’autant plus de mal à comprendre par exemple quand je vois - et c’est quelque chose qui s’est passée dans notre institut aussi, dans notre bâtiment - quand je vois qu’au début de l’année 95, un tract circule à Louvain-la-Neuve, dans notre bâtiment en particulier, qui est un tract tout à fait haineux, le tract de l’AREL au nom d’une association prônant la fin du travail, travail entre guillemets - je pense que vous savez bien ce que ce mot voulait dire à ce moment-là - et signé par le président de cette association, Monsieur NTEZIMANA. Et quand il est apparu que ce tract qui avait vraiment une… une… une intention claire de nuire, je crois que Monsieur NTEZIMANA a d’ailleurs porté plainte pour que l’on recherche les auteurs de ce tract, et il est apparu que la signature au bas de ce tract n’était pas la sienne.

Quand on a dit qu’il avait écrit des textes haineux et qu’on avait retrouvé ça sur nos ordinateurs… Moi, j’étais responsable des ordinateurs pendant cette période-là, donc, une des choses que j’ai faites, c’est prendre toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder… empêcher que l’on… que l’on touche aux cassettes en question. Et quand les enquêteurs judiciaires ont examiné ces cassettes, ils se sont rendu compte que les textes en tout cas haineux qu’on lui attribuait, ne s’y trouvaient pas.

Donc, il y a, je crois, un certain nombre de personnes qui euh… qui ont probablement pour des raisons politiques… et je crois que Monsieur le témoin 116 est aussi emporté par des raisons politiques, Monsieur le témoin 116 est membre du Parti travail… du travail de Belgique, un parti d’extrême gauche qui a pour but la destruction de l’appareil d’Etat (c’est ce qui se trouve sur son site web dans des mots très proches), et donc, c’est un parti qui a soutenu le FPR activement, et donc, quand Monsieur le témoin 116 dit ce qu’il dit, notamment à mon sujet, notamment à propos de Monsieur NTEZIMANA, je pense qu’il est emporté par des considérations politiques. Et je pense que ceux qui cherchent à nuire à Monsieur NTEZIMANA sont également emportés par des considérations politiques, parce qu’ils ne supportent pas l’idée que Monsieur NTEZIMANA qui était, à mon avis, un opposant au général le témoin 32, était aussi un opposant aux méthodes violentes du FPR pour le renverser ; et donc, Monsieur NTEZIMANA n’a plus beaucoup d’amis puisqu’il était critique par rapport aux deux… euh… aux deux côtés.

Donc, pourquoi ? qui ? euh… J’ai un petit peu de mal à mettre d’autres noms que celui de Monsieur GASANA Ndoba. Je me trompe peut-être en ce qui le concerne, mais je pense qu’il y a un effort qui est fait pour enfoncer Monsieur NTEZIMANA et à mon avis, c’est à tort.

Le Président : Une autre question ? Maître HIRSCH ?

Me. HIRSCH : Oui, Monsieur le président. Je suis un tout petit peu étonnée, là, en ce qui concerne Monsieur GASANA Ndoba que le jury se rappelle certainement avoir entendu, et qui est donc le frère de Monsieur KARENZI qui est décédé.

Le témoin sait-il que Monsieur GASANA Ndoba a déposé une plainte, notamment contre Monsieur HIGANIRO, en juillet 1994, qu’il n’a pas déposé de plainte contre Monsieur NTEZIMANA en août 94 ni en septembre 1994, que, par contre, une enquête était déjà en cours à laquelle le témoin a fait référence à la Sûreté de l’Etat, reprenant Monsieur NTEZIMANA comme ayant participé aux massacres. Et le témoin nous a dit maintenant d’ailleurs qu’il a communiqué certains renseignements à la Sûreté de l’Etat, au mois de septembre 1994. Monsieur GASANA Ndoba nous a dit ici que c’est le témoin qui avait pris contact avec lui au mois de septembre 1994 pour se renseigner à propos de Monsieur NTEZIMANA et que jusqu’alors - et en cela le témoin a grandement contribué à cette enquête - et que jusqu’alors, Monsieur GASANA Ndoba n’avait pas du tout dans son point de mire, Monsieur NTEZIMANA. Peut-il donc nous confirmer que c’est à son initiative qu’un contact, un premier contact, a été pris avec Monsieur GASANA Ndoba ?

le témoin 144 : Tout… tout à fait. Donc, animé vraiment par la volonté de… de rechercher la vérité et parce que, et la gendarmerie d’Ottignies, et les trois accusateurs de Monsieur NTEZIMANA, nous avaient conseillé de prendre contact avec Monsieur GASANA Ndoba. J’ai effectivement… je crois que c’est moi qui ai pris le premier, contact avec Monsieur Ndoba, je suis presque certain que c’est moi qui lui ai téléphoné. J’ai le souvenir que c’est plus tôt que septembre, mais je peux me tromper. J’ai aussi le souvenir, et ça, ça peut être vérifié, qu’en réponse à cette conversation, cette première conversation avec Monsieur Ndoba, où Monsieur Ndoba m’a expliqué ce qu’il y avait dans « L’appel à la conscience des Bahutu », Monsieur Ndoba m’a envoyé à mon domicile ou à mon bureau - et j’ai gardé l’enveloppe, il y a un cachet sur le timbre, on pourrait retrouver la date - m’a envoyé une copie de l’article de Kangura où l’« Appel » avait été publié. Et donc oui, donc au départ, effectivement, j’ai pris contact avec Monsieur GASANA Ndoba, oui.

Me. HIRSCH : Monsieur le président, avec votre permission, comment le témoin peut-il dire alors que c’est GASANA Ndoba qui est à l’initiative de cette espèce de complot auquel nous participons tous pour le moment, contre Monsieur NTEZIMANA ?

Le Président : Pardon ? Pardon ? Pardon ? Vous mettez la Cour avec vous ? Parlez pour vous, mais… pas pour les autres, hein ? S’il vous plaît.

le témoin 144 : Je ne… je ne… je n’ai jamais voulu suggérer - en tout cas, si je l’ai fait, je prie tous ceux qui se sont sentis offensés, de m’excuser - je n’ai certainement jamais voulu dire qu’un complot était en cours, ici, dans cette salle, en ce moment. Mais, le… J’ai perdu le fil, le fil de ce que je voulais dire…

Le Président : Compte tenu de la réponse précédente, expliquant que c’était vous-même qui aviez pris le premier contact avec Monsieur GASANA Ndoba…

le témoin 144 : Ah oui, d’accord.

Le Président : …comment en arrivez-vous, à un autre moment de votre déposition, à dire que Monsieur GASANA Ndoba serait à l’origine, lui, d’un complot ?

le témoin 144 : Eh bien, mon préjugé, si j’avais un préjugé - j’essaie d’en avoir le moins possible, mais je dois reconnaître que j’en avais sans doute, euh… j’en avais deux au début du mois d’août, j’avais un préjugé qui était très défavorable à l’égard de Monsieur NTEZIMANA, et un préjugé qui était, a priori, très favorable à un comité qui s’appelait le Comité pour le respect des droits de l’homme et la démocratie au Rwanda (mon passé de militant en ces matières me conduisait à être tout à fait sympathique à… à un comité qui portait un tel nom) - et donc, j’avais un préjugé tout à fait favorable à l’égard de Monsieur NTEZIMANA. Et au départ, c’est d’ailleurs pour ça qu’au début j’ai pris contact avec lui, nous avons échangé des informations, etc., et ce n’est que petit à petit, au fil du temps, quand je me rendais compte que quand euh… je lui expliquais…

[Interruption d’enregistrement]

le témoin 144 : …Et donc progressivement, je suis arrivé à changer euh… à changer d’avis à son sujet. Bon, j’ai aussi reçu progressivement des informations sur le caractère très partial du travail du comité en question, notamment par ces, comme je l’ai expliqué tout à l’heure, par ces personnes qui… qui travaillent, qui militaient au sein du comité, qui l’ont quitté, dégoûtées par les méthodes de Monsieur GASANA Ndoba. Et donc, j’ai changé d’avis. Et donc, il n’y a pas, pour moi, pas contradiction entre le fait… entre le fait que j’ai pris contact avec lui au début, que nous avons échangé librement des informations, et le fait que maintenant je suis arrivé progressivement à me poser beaucoup de questions sur son rôle dans la construction du dossier à charge de Monsieur NTEZIMANA.

Le Président : Alors, moi je voudrais vous poser une question. Vous aviez, dites-vous, en août 1994, lorsque vous apprenez ce qu’on reproche à Monsieur NTEZIMANA, un préjugé défavorable à Monsieur NTEZIMANA. Vous avez un contact avec Monsieur GASANA Ndoba qui, semble-t-il, notamment par les plaintes qu’il dépose, ne vise pas Monsieur NTEZIMANA et, en tout cas, ne semble pas avoir, à la même époque, un préjugé défavorable à l’égard de Monsieur NTEZIMANA. Vous n’avez jamais eu de contact avec des témoins se trouvant au Rwanda au moment des faits. Monsieur GASANA va retourner vivre au Rwanda. Monsieur GASANA va avoir, lui, des contacts avec des personnes qui ont vécu les événements. Ne pensez-vous pas qu’il était possible pour lui de faire la démarche inverse de la vôtre ? Parce que ses informations n’étaient pas les mêmes que les vôtres ?

le témoin 144 : C’est certainement possible. Mais j’ai parlé, pour ma part, à d’autres personnes qui sont retournées au Rwanda et qui ont aussi mené leur enquête, qui sont revenues avec des informations qu’elles ont rapportées au juge d’instruction à propos des pressions qui avaient été exercées, et là, c’était autre chose que simplement rappeler qu’il y avait des lois sur la diffamation, c’étaient des menaces sur la vie de certains témoins. Et donc, euh… je reste avec beaucoup de questions sur le rôle de ces voyages au Rwanda, de Monsieur GASANA Ndoba, dans la mesure où…

Le Président : Avez-vous seulement reçu une information selon laquelle Monsieur GASANA Ndoba aurait, lui, menacé la vie de témoins ?

le témoin 144 : Non, mais je pense que là, le… le… enfin ce n’est pas de ça qu’il s’agit, donc, je ne comprends pas… je ne comprends pas bien cette question. Donc, lui-même, non. Mais un témoin euh… qui a été interrogé par le juge d’instruction a été l’objet de pressions très précises de personnes résidant au Rwanda. Mais Monsieur GASANA Ndoba n’était pas au Rwanda à ce moment-là.

Le Président : Bien.

le témoin 144 : Pas plus qu’il n’était au Rwanda pendant le génocide, d’ailleurs.

Le Président : Oui, Maître GILLET.

Me. GILLET : Oui, Monsieur le président, nous sommes ici pour nous aider mutuellement à retrouver la vérité dans cette hist… dans cette affaire du génocide rwandais. Et la question que je voudrais poser au témoin, si on veut discuter entre gens qui veulent vraiment travailler dans le même sens, est la suivante. Est-ce que le témoin - puisqu’il vient de parler… il se posait la question du rôle de ces voyages de Monsieur GASANA au Rwanda ; Monsieur GASANA s’est retrouvé comme d’autres, dans la même situation (perdu des familles entières, retourné là-bas pour retrouver ce qui s’était passé, des témoins etc.), il a travaillé pendant des années pour documenter le génocide comme on dit, pour trouver quoi faire, comment lutter contre l’impunité etc. - est-ce que Monsieur le témoin ne s’est jamais posé la question de savoir si tous ces gens qui avaient des charges matérielles supplémentaires (accueillir des familles, des orphelins, etc.), qui ont vécu assez misérablement, comme Monsieur GASANA en Belgique avant qu’il ne retrouve un emploi plus stable au Rwanda, n’avaient pas assez de leur temps pour s’occuper de cela et de toutes les conséquences de ce génocide, pour encore devoir s’occuper - ce que d’ailleurs ils ont fait, mais c’est vrai de manière beaucoup moins importante qu’avant 1994 - pour s’occuper des violations des droits de l’homme, réelles, commises par le nouveau régime ? Est-ce que Monsieur… le témoin, est-ce que Monsieur le témoin 144 ne s’est jamais posé cette question-là ?

Le Président : Mais peut-être que la réponse qu’il donnerait ne ferait pas avancer beaucoup le débat. Mais ce serait peut-être utile d’organiser un débat télévisé après.

Me. GILLET : …procès d’intention, Monsieur le président, je crois qu’il était important de faire ce… d’attirer l’attention sur cet aspect du problème.

Le Président : Alors, le problème c’est que, certes, dans un procès pénal, l’intention criminelle est importante, mais le procès d’intention n’a pas à y entrer. Donc, il n’y aura pas de question. Y a-t-il éventuellement une autre question ?

Me. HIRSCH : Si vous permettez, Monsieur le président.

Le Président : Je vous signale qu’il reste encore un témoin, pour vous donner une petite idée, Monsieur le témoin 22, et que je souhaite que nous terminions au plus tard, à 18h.

Me. HIRSCH : Je peux ?

Le Président : Oui.

Me. HIRSCH : Merci, Monsieur le président. Le témoin fait état d’un témoignage qui disculpe entièrement Monsieur Vincent NTEZIMANA des accusations qui sont portées contre lui. Est-ce qu’il pourrait nous dire de qui il s’agit ?

le témoin 144 : De Madame le témoin 143. Qui est retournée au Rwanda et qui a enquêté elle-même sur le sujet. Mais à ce moment-là évidemment, quand j’ai écrit ce document qui date d’il y a 5 ans, c’est un élément d’information parmi d’autres et depuis, je n’arrête pas de chercher d’autres éléments et je n’ai jamais trouvé, jusqu’à présent, un élément qui va dans l’autre sens. Et donc j’ai toujours dit que si on me… si on me montrait par a+b que… que je m’étais trompé, qu’il y avait des éléments tout à fait incontestables qui montraient qu’il était coupable, je serais le premier à souhaiter qu’il soit puni, mais je n’ai pas encore trouvé, je n’ai pas encore été convaincu. Mais donc, pour répondre à votre question, il s’agit du témoignage de madame le témoin 143.

L’Avocat Général : Encore une question et je m’arrête. Parmi les éléments que Monsieur le témoin 144 a soulignés dans sa déclaration, donc, qui alimentaient ses doutes quant à la culpabilité de Monsieur NTEZIMANA, il en a fait déjà état de plusieurs, il y avait un autre élément à savoir, un article qu’il avait lu dans une revue concernant la culture rwandaise du mensonge. Et il y avait une phrase qui vous avait frappé à savoir la phrase : « Etre intelligent, c’est savoir mentir et bien calculer ses coups ». La seule question que je voudrais poser, c’est que les accusés ici sont également des Rwandais, vous seriez d’accord avec moi que cet adage peut s’appliquer à eux ?

le témoin 144 : Je me suis toujours posé cette question-là aussi, Monsieur l’avocat général, et j’ai… je suis arrivé à la conclusion provisoire que si, euh… Monsieur NTEZIMANA qui est loin d’être la seule source d’informations sur laquelle je me base pour penser qu’il est innocent, croyez-le bien, mais si Monsieur NTEZIMANA a la cohérence qu’il a depuis le premier jour à propos de tout ce qu’il m’a dit euh… par rapport aux accusations, il doit être… il doit recevoir le prix Nobel, demain matin, pour son intelligence, parce qu’il faut effectivement être très intelligent pour mentir mais alors, pour mentir avec cette cohérence-là et cette constance-là, il faut être extraordinairement intelligent et je ne crois pas même que ce soit possible. Mais de toute façon, même si c’est le cas, ce n’est qu’un… les déclarations de Monsieur NTEZIMANA ne sont, pour moi, qu’un élément parmi d’autres.

Le Président : Je vais faire simplement une remarque, une remarque, c’est que Monsieur NTEZIMANA, se trouvant dans la position d’accusé, il a le droit de mentir, les témoins n’ont pas ce droit. Maître BEAUTHIER ?

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, c’est une simple question. Le témoin fait beaucoup état et je l’ai noté, bon, vous l’avez noté également, le jury l’a noté également, d’« analyses rationnelles », d’« éléments rationnels », de « démonstrations ». Et j’ai noté aussi en parallèle qu’il y avait au moins à dix reprises : « Ce sont des personnes », « Des personnes », « Des personnes », « On m’a dit ». Et pour finir quand on creuse un peu on voit que c’est le père SHERTI qui lui a dit que les trois témoins éventuellement n’étaient pas valables. Chaque fois : « Ce sont des personnes », chaque fois : « On m’a dit ». Est-ce que c’est comme ça que l’analyse rationnelle se base, se fonde, sur base d’éléments qu’on annonce rationnels mais qui au fond, sont essentiellement subjectifs ? Je ne vais pas faire du tout de critiques sur les prévisions météorologiques, ce serait trop facile. Mais enfin, ça me permet tout de même d’avoir une certaine difficulté à comprendre le témoin. Voulez-vous lui poser la question de savoir si les éléments rationnels qu’il nous a annoncés au début, sont tous ceux qu’il vient de dire parce qu’alors, je voudrais savoir quelles sont ces personnes. Il y en a une, SHERTI.

le témoin 144 : Je… je peux répondre ?

Le Président : Alors, je suppose que vous n’avez pas fait exactement la même démarche en tout cas qu’en météorologie, pas tout à fait en tout cas…

le témoin 144 : Bien sûr, hein, c’est un autre domaine et c’est… c’est… J’aurais voulu dire quelque chose qui était une partie de la réponse à la question qui n’a pas pu être posée, mais donc, je ne vais pas le dire maintenant, je le dirai peut-être plus tard, euh… en réponse à votre commentaire. Mais, je vais essayer de répondre à la question de Maître BEAUTHIER.

Je pense que si je devais reconstituer ici l’ensemble de… des événements, des contacts que j’ai eus, des documents que j’ai analysés, qui m’a conduit à construire progressivement cette conviction qui est devenue très forte mais dont je suis prêt à changer demain matin, que Monsieur NTEZIMANA est innocent, je pense que nous serions encore là dans une semaine. Je suis tout prêt à prolonger le témoignage si vous le souhaitez mais alors, je demanderais que vous me laissiez un petit peu de temps pour préparer cette semaine d’explications. Mais je voudrais peut-être, dès maintenant, si jamais cela ne se produisait pas, donner un… une série d’éléments objectifs.

J’ai dit que j’étais responsable de l’informatique de l’institut et que j’avais pris très tôt des mesures de sauvegarde pour empêcher que qui que ce soit, Monsieur NTEZIMANA, d’abord, dont je me méfiais et dont je me méfie toujours, hein, je me pose la question : est-ce qu’il est très intelligent ? Est-ce qu’il ment ? Hein, je me pose tous les jours la question, et ma réponse pour le moment, c’est non, mais bon. Donc, j’ai protégé ces… ces cassettes. Et puis, à un moment donné… J’ai signalé à la Sûreté de l’Etat quand j’ai eu un contact avec eux, à la suggestion des autorités de l’UCL d’ailleurs, début octobre, je leur ai dit : « Vous savez, il y a des cassettes de sauvegarde, nous sommes très conservateurs ici, tous les fichiers des 10 dernières années sont sauvegardés tous les mois dans une armoire, j’ai donné l’ordre à l’informaticien qui s’occupe de gérer cela, que personne ne puisse y toucher et y modifier quoi que ce soit ». J’ai appris depuis que, même si on avait voulu le faire, c’était techniquement à peu près impossible, mais bon.

Et puis, quand la… la justice, longtemps après, est venue voir ce qu’il y avait dans ces… dans ces documents et que les experts judiciaires ont examiné ces documents tels qu’ils sortaient de ces cassettes et que nous avons en parallèle travaillé alors sur la copie que nous avons été autorisés à garder des cassettes qui ont été saisies, nous avons recherché alors tous les documents qui pouvaient ressembler de près ou de loin à « L’appel à la conscience des Bahutu » ou à des textes de haine.

Et nous avons retrouvé le communiqué de presse, donc, que je me souvenais avoir vu sur une imprimante en janvier 92, communiqué de presse dénonçant la création des milices Interahamwe (c’était probablement la première fois que quelqu’un dénonçait, en Belgique, la création de ces milices qui allaient avoir le triste rôle que l’on connaît, quelques années plus tard), d’autres textes qui étaient des appels à la réconciliation. C’étaient bien souvent des textes qui étaient un petit peu naïfs, je trouvais, politiquement, mais ce n’étaient pas des textes, au contraire, de quelqu’un qui euh… appelait à la haine contre une autre ethnie. Alors, des documents comme cela qui ne peuvent pas avoir été reconstruits par la suite, puisque c’étaient des documents d’époque, dont j’étais sûr, pour avoir pris moi-même les mesures de sauvegarde, que c’étaient des documents qui avaient réellement été écrits au début des années 90 par Vincent NTEZIMANA, eh bien, ça fait partie des éléments objectifs, ce ne sont pas des personnes qui m’ont dit ou quoi, ce sont des… des documents.

J’ai vu une émission qui a été enregistrée dans les locaux de la RTBF, l’été 91 ; j’ai vu l’enregistrement de cette émission. Et j’ai vu un jeune étudiant qui était face à l’ambassadeur du Rwanda, l’ambassadeur du régime le témoin 32, s’opposer - alors qu’il était étudiant en Belgique et dépendant quelque peu comme tous les étudiants rwandais, des services de l’ambassade - s’opposer très violemment à la politique du général le témoin 32. Et cet étudiant, c’était Vincent NTEZIMANA. Je n’ai pas… cette cassette qui provient de la RTBF ne peut pas avoir été inventée par la suite. Donc, c’est aussi quelque chose d’objectif et qui ne fait pas partie de… de déclarations qui m’auraient été faites par l’un ou par l’autre.

Donc, des éléments objectifs, il y en a un certain nombre mais il n’y a pas que ce genre d’éléments-là au titre de document qui a contribué à forger ma conviction, il y a aussi de très, très nombreux contacts - je crois que ma facture téléphonique de la deuxième moitié de 94 doit être assez importante, je n’ai pas eu l’occasion d’aller la vérifier mais je me souviens qu’elle avait été salée - j’ai eu de très nombreux contacts et c’est cet ensemble de contacts, de discussions, de documents audio-visuels, écrits, imprimés, qui m’a conduit à penser ce que je pense aujourd’hui.

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, la seule question que je voudrais poser, elle est très brève. Est-ce que c’est comme le climat, quand quelque chose se passe en 90, il n’y a pas d’évolution ? On ne peut pas imaginer que rationnellement quelqu’un éventuellement, je ne sais pas si c’est le cas, a changé ? Est-ce qu’on se base sur des éléments objectifs, pour vous, en 90, qui sont encore valables en 94 ?

le témoin 144 : Je peux répondre ? Je peux répondre ?

Le Président : Vous pouvez répondre. Vous pouvez répondre. Encore qu’il faudra quand même bien qu’un jour on se dise que ce n’est pas la conviction des témoins qui importe, hein…

le témoin 144 : Bien sûr.

Le Président : Il y a 12 jurés dans…

Me. BEAUTHIER : …rationnels dont il développe…

Le Président : Oui, mais…

Me. BEAUTHIER : …qu’ils aient été scientifiques…

Le Président : …les jurés… les jurés ont un mode d’emploi de leurs délibérations qui n’est pas celui-là, Maître BEAUTHIER, vous le savez bien, il est contenu dans le code d’instruction criminelle.

le témoin 144 : Donc, la seule réponse que je voudrais donner à la question, tout à fait pertinente… Je me suis toujours demandé : « Est-ce qu’il a pu changer, est-ce qu’il a pu basculer ? ». Je crois qu’il ne serait pas le seul, hein, il y a d’autres gens qui ont peut-être… qui ont probablement basculé en 94, donc, c’est une question que je me pose. Mais à partir du moment où on dit : « Avant 94, dès 90, il était extrémiste », je pense qu’alors il est normal que nous nous soyons intéressés à ce qui se passait et dont il y avait des traces chez nous, dans nos ordinateurs, en 90 et avant 94. Et donc, c’est de cela qu’on parle à ce moment-là. Hein, ce qui s’est passé plus tard, c’est un autre… c’est un autre sujet.

Le Président : Bien. Y a-t-il encore d’autres questions ? Maître RAMBOER.

Me. RAMBOER : Monsieur le président, la question est la suivante. Le professeur explique comment il arrive à une conclusion à partir d’un raisonnement, donc sur base de faits. Il défend en quelque sorte avec un certain brio quelqu’un qui est un ancien collègue. Il a dû sans doute suivre les débats qui se passent ici dans la salle d’assises, qui sont relatés dans la presse. Je pense qu’il a dû entendre qu’il y a eu un témoignage très clair et très précis justement concernant le texte « Appel à la conscience des Bahutu - Les dix commandements ». Il y a donc un témoin qui est venu dire ici, de manière claire et nette, qu’un texte haineux dont il a pris connaissance, dont il connaît le texte, il a dit : « Monsieur GASANA Ndoba me l’a envoyé », a été donné pour dactylographie, donc, à cette dame qui a situé le texte, l’époque du texte, qui a reconnu le texte en tant que tel…

Le Président : Une question s’il vous plaît…

Me. RAMBOER : …comme étant…

Le Président : …Maître RAMBOER.

Me. RAMBOER : Oui, Monsieur… c’est parce que peut-être le témoin ne connaît pas les faits. Et alors, à ce moment-là, ce témoignage qui est quand même un témoignage clair concernant l’implication de l’accusé dans la fabrication ou en tout cas la distribution de ce texte, est-ce qu’à ce moment-là, il ne commence pas à avoir un autre cheminement quant à la personnalité de Monsieur NTEZIMANA ?

Le Président : Je voudrais préciser que contrairement à ce qu’a dit Maître RAMBOER, ce témoin n’a pas dit que « L’appel à la conscience des Bahutu » avait été dactylographié par elle. Elle dit n’avoir dactylographié que « Les dix commandements » qui étaient joints à un document de type historique d’une cinquantaine de pages qui n’est pas « L’appel à la conscience des Bahutu ». Je veux apporter cette précision. Est-ce que ce témoignage comme tel vous amène à revoir votre cheminement intellectuel ?

le témoin 144 : Il a fait partie, parce qu’évidemment je connais ce témoignage depuis longtemps, de mon cheminement intellectuel et il m’a effectivement posé beaucoup de questions. Je… je suis un petit peu mal à l’aise, Monsieur le président, parce que je suis témoin ici, je ne suis pas… je ne suis pas le défenseur de Monsieur NTEZIMANA, donc je ne sais pas si je dois… mais enfin, il y a une question, donc, je vais… je vais répondre.

Euh… C’est la troisième version qui circule à propos de la dactylographie de ce texte. Il y en a eu deux autres auparavant dont l’une au moins, si je me souviens bien, a été… a circulé suite aux déclarations d’un autre de nos étudiants, beaucoup moins brillant que Monsieur NTEZIMANA (il a terminé son doctorat avec distinction, ce qui, dans les universités n’est pas très très bon signe), Monsieur le témoin 124, qui s’est contredit dans toutes les déclarations de lui qu’on a pu voir à la télévision. Il y a un certain nombre de contradictions dans les déclarations de Monsieur BONFILS et dans les déclarations précédentes, à propos des versions précédentes, à propos de la dactylographie de ce texte, Monsieur BONFILS a joué un certain rôle et j’ai les doutes les plus vifs quant à la véracité des déclarations de Monsieur BONFILS.

Donc, c’est la troisième version, après qu’on se soit rendu compte… comme dans d’autres accusations, nous nous étions rendu compte que les choses ne tenaient pas, après deux versions qui ne tenaient pas, on arrive avec une troisième qui a toutes les apparences de la vérité. Toutes les apparences de la vérité, il ne s’agit pas d’un témoin rwandais, c’est un témoin belge ; on sait qu’il y a une certaine pondération qu’on n’ose peut-être pas écrire quant à la qualité de témoignage suivant la couleur de la peau, ce que je regrette, mais c’est probablement comme ça pour les enquêteurs en Belgique. Donc, ce témoignage est très… est très interpellant, c’est vrai.

Mais je me pose énormément de questions sur ce qui s’est passé autour de ce… de ce témoignage. Je ne suis pas tout à fait certain que je sois la bonne personne pour poser ces questions, je ne suis ni juré, j’ai beaucoup de respect pour leur travail, ni avocat, j’ai beaucoup de respect pour leur travail aussi, j’ai beaucoup de respect pour votre travail aussi Monsieur le président et je ne suis pas tout à fait sûr que ce soit à moi de décortiquer le témoignage de quelqu’un d’autre, auquel je n’ai pas assisté en direct. C’est vrai que j’ai lu les comptes-rendus dans la presse, que j’ai tout de même été étonné de voir que Madame le témoin 50 parlait d’un texte beaucoup plus long que ce dont elle, à ma connaissance, elle avait parlé dans ses déclarations antérieures…

Et puis alors, je ne sais pas si je dois le dire, Monsieur le président, j’hésite un petit peu, j’ai aussi quelques questions sur la manière dont ce témoignage est arrivé dans le dossier. Quand le commissaire adjoint inspecteur de STEXHE est venu saisir mon dossier à Louvain-la-Neuve, juste après l’arrestation de Monsieur NTEZIMANA, ce qui n’était pas particulièrement agréable au moment même et puis après je me suis dit : « Mais au fond, c’est une… c’est une bonne idée parce qu’on verra que je n’ai rien à cacher », dans la conversation qui a suivi, Monsieur de STEXHE m’a dit qu’il avait adopté une petite fille rwandaise. Et je me suis dit : « C’est… c’est magnifique, il a… bon, c’est très bien ». Je me suis, déjà à ce moment-là, demandé s’il avait toute la distance nécessaire pour faire une enquête sur ce sujet-là parce qu’il était encore très marqué par ce qui était arrivé à la famille de cette petite fille. Et puis, j’ai appris un peu plus tard et ça, ça m’a vraiment choqué, que le commissaire de STEXHE était en contact quasi permanent avec GASANA Ndoba, y compris à un moment où le juge VANDERMEERSCH ayant été nommé et ayant… le juge VANDERMEERSCH ayant… ayant… il a été porté à sa connaissance que Monsieur de STEXHE avait des relations continues avec Monsieur GASANA Ndoba, et il est resté enquêteur.

Or, c’est le commissaire de STEXHE qui a apporté ce témoignage au dossier et ce commissaire de STEXHE a été entendu dire, et je pense que ce serait intéressant de lui poser la question, que l’adoption de cette petite fille rwandaise avait été facilitée par Monsieur GASANA Ndoba qui se présentait comme son ami. Alors, à partir du moment où un enquêteur qui se vante dans des endroits où il est possible de se vanter, qu’il a constitué plus de la moitié du dossier à charge de Monsieur NTEZIMANA, se présente aussi comme l’ami de Monsieur GASANA Ndoba, que c’est lui qui apporte ce témoignage qui a toutes les apparences de la vérité à un moment clé dans l’instruction du dossier à charge de Monsieur NTEZIMANA (c’est-à-dire, à peu près au moment où le Tribunal pénal international est en train de voir qu’il ne va pas prendre en charge le dossier de Monsieur NTEZIMANA parce que le tribunal estime qu’il n’est pas… il n’y a pas grand chose dedans), donc ce témoignage arrive à un moment clé. Je me pose beaucoup de questions sur la manière dont Monsieur de STEXHE a pu travailler, avec quelle indépendance il a pu travailler, quelle influence, oserais-je utiliser le mot ? Quelle pression il a éventuellement pu faire sur Madame le témoin 50, que je ne connais pas, à qui je n’ai jamais parlé, je me suis toujours refusé de lui parler pour éviter à tout prix qu’on puisse m’accuser d’avoir fait pression sur elle. Et donc, je me pose beaucoup de questions sur ce témoignage, qui, il est vrai, est très interpellant.

Mais il y a aussi, même dans ce témoignage-là, si on ne regarde pas tout ce qui s’est passé avant, si on ne regarde pas tout ce qui s’est passé autour, il y a des contradictions entre ce qu’elle a dit ici, d’après les journaux, et ce qu’elle a dit en décembre 95, quand Monsieur NTEZIMANA était en prison. Et donc, je me pose des questions, effectivement, sur ce témoignage. Mais je n’ai pas toutes les réponses, ce ne sont que des questions, Monsieur le président.

Le Président : Bien. Maître BEAUTHIER.

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, je me refuse à faire le moindre commentaire sur ce qui vient d’être dit. Je vais poser donc une autre question, mais je me réserve, quand le témoin n’est pas là, de faire un commentaire. Est-ce que ce sont des données scientifiques qui l’amènent à dire la phrase textuelle qu’il vient de prononcer, qu’un témoignage d’un Belge serait pour les enquêteurs plus important qu’un témoignage d’un Rwandais ? Sur quelle science base-t-il cela ? Sur quelle appréhension scientifique et rationnelle peut-il baser ce qu’il vient de dire mot pour mot ?

Le Président : La question n’est pas posée. Ça ne fait pas avancer le débat à propos des faits qui sont reprochés aux quatre accusés. Y a-t-il d’autres questions susceptibles de faire avancer le débat à ce sujet ? Les parties sont-elles d’accord pour que le témoin se retire ? Monsieur le témoin 144 est-ce bien des accusés ici présents dont vous avez voulu parler, cette question signifiant en clair : persistez-vous dans vos déclarations ?

le témoin 144 : Monsieur le président, je persiste du fond du cœur dans mes déclarations, et je voudrais dire une dernière chose…

Le Président : Terminé, c’est terminé.

le témoin 144 : Ce serait beaucoup plus facile pour moi si je ne devais pas m’occuper de cette affaire-là.

Le Président : La Cour vous remercie pour votre témoignage. Vous pouvez disposer librement de votre temps. Bien, nous avons encore Monsieur le témoin 22 à entendre…

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, Monsieur le président. Une minute, une minute. Je voudrais faire un commentaire tout bref, Monsieur le président. J’ai noté que le témoin avait dit qu’il ne désirait pas attaquer une personne parce qu’elle n’était pas là. Je voudrais m’étonner de la manière dont on a parlé de Monsieur de STEXHE alors qu’il était présent et qu’on aurait pu éventuellement, ou d’autres, ou la défense, ou Monsieur NTEZIMANA auraient pu lui poser des questions. Je trouve ça parfaitement inconvenant.

L’Avocat Général : Monsieur le président, je voudrais quand même dire à la Cour et aux jurés que je n’accepte pas qu’un témoin vienne discréditer un commissaire qui a travaillé sous la direction du juge d’instruction en toute indépendance, et qu’on vienne faire des amalgames parce que cette personne aurait adopté une victime du génocide. Je ne vois pas en quoi cela mettrait en cause la probité de Monsieur de STEXHE.

Me. BEAUTHIER : Monsieur, ce sont des procédés qu’on connaît fort bien.

Le Président : Oui ?

Me. CUYKENS : Monsieur le président, je voudrais faire la même remarque que Monsieur l’avocat général en ce qui concerne notre client ? Monsieur GASANA Ndoba, que le témoin vient tout simplement d’accuser de corruption de la même manière que l’officier de police judiciaire qui a été visé. Et je trouve ça totalement inacceptable.

Le Président : Bien. Alors, en ce qui concerne Monsieur le témoin 22. Ah, mais vous vouliez faire un commentaire peut-être Maître CARLIER… je vous en prie.

Me. CARLIER : Je n’ai pas à défendre le témoin mais la défense a été mise en cause dans un commentaire qui vient d’être fait, Monsieur le président, en disant que des questions auraient pu être posées avant. Je constate simplement que le témoin a répondu aux questions des parties civiles et de Monsieur l’avocat général et que les derniers reproches qu’on lui fait étaient des réponses à ces questions. Ce n’étaient pas des choses qui avaient été dites avant par, le témoin.

Le Président : Bien.

Me. BEAUTHIER : …de STEXHE, Monsieur le président, je n’ai jamais imaginé un moment donné que cette réponse allait fuser comme ça. Evidemment, qu’on ne fasse pas de procès d’intention aux parties civiles. On a posé des questions normalement à un homme qui se prétend scientifique et qui a répondu par des attaques les plus basses.

Le Président : Alors, aurons-nous assez avec une demi-heure pour Monsieur le témoin 22 ? ça paraît difficile.

Me. CUYKENS : Eh bien moi, j’ai trouvé trois déclarations au dossier, Monsieur le président. Donc, il y a des pièces qui sont en rapport avec la déclaration de Monsieur le témoin 22. Je pense que ça va être court, si vous voulez terminer à 18h00, mais…

Le Président : Alors, en prévision de terminer le 31 juillet…

Me. CUYKENS : Vous pouvez peut-être demander l’avis des parties civiles également intéressées à l’audition de Monsieur le témoin 22 ou quoi, pour avoir leur idée.

Le Président : Mais non, mais j’imagine qu’ une demi-heure est bien… est insuffisante, hein.

Demain matin, nous avons Monsieur TREMBLAY à 9h00. A 10h30, nous aurons Monsieur le témoin 110, Mesdames MUKABUTERA, le témoin 75 et le témoin 81 étant reportées à un autre moment, puisque l’avion atterrit fort tôt demain matin, à Bruxelles. Alors… Est-ce que Monsieur… d’où vient-il, Monsieur… non Monsieur le témoin 22 ? Aurait-il la possibilité de se représenter demain à 11h00 ? De se représenter demain à 11h00 ?

Ah, oui… Deux témoins ne se sont pas présentés : le témoin 105 et le témoin 89. Les parties renoncent-elles à l’audition de ces témoins ?

Me. CARLIER : Monsieur le président, c’étaient des témoins qui avaient déjà été convoqués antérieurement et qui s’étaient présentés puisqu’on les a reportés aujourd’hui, donc, je suis un peu étonné effectivement de leur absence. Je souhaiterais qu’on les interpelle et qu’on les re-convoque.

Le Président : A ma connaissance, ils ont été contactés et touchés.

[Inaudible]

Me. CARLIER : Parce qu’on n’a pas d’accusé de réception.

Le Président : On n’a pas d’accusé de réception pour aucun des deux ?

Me. CARLIER : Parce qu’ils avaient été présents, je sais pas c’était pas la semaine dernière ou la semaine d’avant.

Le Président : Oui, oui, oui, oui. Bien, on va vérifier. Donc, on laisse en suspend le problème. On vérifiera s’ils ont été ré-avertis pour aujourd’hui et s’ils ont reçu l’avis pour aujourd’hui. Parce que je me demande si Monsieur le témoin 89 notamment n’avait pas été avisé verbalement de se présenter le 11 mai.

[Inaudible]

Le Président : Oui. Oui, mais moi, je ne vais pas tenir le jury jusqu’à 7h et demie du soir. Je suis désolé. Le témoin se représentera demain à 11h.

Oui ?

Me. de CLETY : Je vous remercie, Monsieur le président. Donc, pour… pour demain donc, il y a trois témoins prévus dans l’affaire de Sovu, qui ne viennent pas, c’est bien MUKABUTERA, le témoin 75 et le témoin 81 ?

Le Président : Qui ne viendront pas demain matin, hein. le témoin 75 se… se… viendra ; enfin, on fera le nécessaire pour qu’elle vienne le 10 mai à 10h. MUKABUTERA Adelice et le témoin 81 pour qu’elles se présentent le 11 mai à 13h30 et 14h. Monsieur le témoin 31 étant reporté à 14h30.

Me. de CLETY : Très bien et les témoins prévus l’après-midi sont, sont toujours prévus pour demain ?

Le Président : Sont toujours prévus pour l’après-midi.

Bien, eh bien, alors, je pense qu’on va suspendre l’audience maintenant et que nous la reprendrons demain, à 9h si possible, 9h05 au plus tard.