assises rwanda 2001
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Instruction d’audience V. Ntezimana Audition témoins compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction d’audience V. Ntezimana > Audition témoins > le témoin 77
1. N. Gasana 2. le témoin 9 3. le témoin 125 4. le témoin 134 5. le témoin 116 6. le témoin 61 7. le témoin 124 8. le témoin 50 9. le témoin 150 10. le témoin 73 11. le témoin 55 12. le témoin 100 et commentaires V. Ntezimana 13. le témoin 97 14. le témoin 104 15. H. Gallee 16. le témoin 84 17. le témoin 36 18. B. Van Custem et commentaires V. Ntezimana et E. Seminega 19. Lecture président attestation J.B. Seminega 20. le témoin 77 21. le témoin 10 22. le témoin 96 23. le témoin 42 24. R. Degni-Segui 25. le témoin 15 26. J. Léonard et commentaires partie civile et V. Ntezimana 27. J.P. Van Ypersele de Strihou 28. le témoin 118 29. le témoin 31, commentaires avocat général, partie civile, défense, audition interview I. Nkuyubwatzi 30. le témoin 108 31. le témoin 127 32. le témoin 109 33. le témoin 147 34. le témoin 105 35. le témoin 89
 

6.3.20. Audition des témoins: le témoin 77

Le Président : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place. Alors, pour la suite. Ah ! Monsieur HIGANIRO, il va arriver. On va attendre que Monsieur HIGANIRO soit là, alors. Alors, donc pour la suite de cet après-midi, Monsieur le témoin 96 et Monsieur le témoin 42 acceptent de se représenter demain matin plutôt que cet après-midi, euh… demain matin à 9h00. Monsieur DEGNI-SEGUI, euh… arrivant à Zaventem demain matin à 8h40, on a peut-être un peu de battement pour entendre ces deux témoins avant Monsieur DEGNI-SEGUI. Alors, Madame MUKANKUBANA, vous parlez et comprenez bien le français, Madame ?

le témoin 77 : Oui, je pense.

Le Président : Madame, quels sont vos nom et prénom ?

le témoin 77 : Je m’appelle le témoin 77.

Le Président : Quel âge avez-vous ?

le témoin 77 : J’ai 34 ans.

Le Président : Quelle est votre profession ?

le témoin 77 : Je suis sans profession pour le moment.

Le Président : Quelle est votre actuelle commune de domicile ou de résidence ?

le témoin 77 : Je réside à Wavre.

Le Président : Connaissiez-vous les accusés ou certains d’entre eux, avant le mois d’avril 1994 ?

le témoin 77 : Il y a mon mari parmi les accusés, Monsieur le président.

Le Président : Votre mari, Vincent NTEZIMANA. Vous ne connaissiez pas les autres accusés ?

le témoin 77 : Je reconnais Monsieur HIGANIRO. Les sœurs Gertrude et Kizito, je les connais par les médias, Monsieur le président.

Le Président : Donc, vous êtes l’épouse de Monsieur NTEZIMANA ?

le témoin 77 : C’est bien cela, Monsieur le président.

Le Président : Vous n’êtes pas de la famille des parties civiles ?

le témoin 77 : Non.

Le Président : Vous ne travaillez pas pour les accusés ou pour les parties civiles ?

le témoin 77 : Non.

Le Président : Je vais… bon, j’attire l’attention du jury et des parties sur le lien de parenté qui existe entre le témoin et un des accusés. Y a-t-il une opposition de la part des parties à ce que le témoin soit entendu sous serment ? Pas d’opposition ? Je vais vous demander alors, Madame, de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment de témoin.

le témoin 77 : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président : Je vous remercie. Vous pouvez vous asseoir, Madame. Madame, vous êtes donc l’épouse de Vincent NTEZIMANA.

le témoin 77 : Oui.

Le Président : Vous êtes mariée depuis quand ?

le témoin 77 : Je suis mariée avec Vincent NTEZIMANA depuis le 5 octobre 1986.

Le Président : Vous vous connaissiez déjà avant ça ?

le témoin 77 : J’ai connu Vincent NTEZIMANA deux ans auparavant. Il était…

Le Président : Il était professeur et vous étiez étudiante ?

le témoin 77 : Il était assistant à l’université nationale du Rwanda et j’y étais inscrite comme étudiante à la faculté des sciences économiques et sociales.

Le Président : Donc, il n’était pas votre professeur ?

le témoin 77 : Il ne m’a pas donné cours, Monsieur le président.

Le Président : Il jouait au basket et vous aussi ?

le témoin 77 : En fait, nous nous sommes rencontrés euh… via les activités sportives. Je faisais partie de l’équipe, de l’équipe de basket féminine, des étudiantes de l’université et Vincent NTEZIMANA, donc, mon mari, faisait partie de l’équipe des garçons, enfin il jouait en tant que professeur mais au sein de l’équipe des garçons euh… de l’université et il donnait aussi des cours, euh… donc des entraînements à l’équipe de basket, des travailleurs de l’université par après. Enfin, nous nous sommes rencontrés via les activités sportives, oui.

Le Président : C’est ça. Euh… vous avez trois enfants ?

le témoin 77 : Pour le moment, nous avons trois enfants. Nous avons…

Le Président : Oui. Le dernier, c’est… c’est Brian, Brian ?

le témoin 77 : Je me suis donc, après euh…, j’ai passé une année à l’université euh… qui malheureusement euh… ne s’est pas bien terminée parce que, enfin, j’avais une difficulté pendant cette année-là, j’ai perdu mon père et je devais reprendre l’année, j’ai dû arrêter pour pouvoir euh… aider ma maman à subvenir euh… aux besoins de la famille. Et, par après donc, j’ai été, j’ai dû euh… aller travailler. J’ai travaillé pendant une année euh… et après cette année, je me suis mariée avec Vincent. Je suis euh… donc euh… allée habiter à Butare où nous avons passé une année avant qu’il ne reprenne ses études en Belgique en 87. En décembre 87, euh… je l’ai rejoint, euh… ici en Belgique, euh… où il devait faire un troisième cycle en physique et nous avons passé cinq ans en Belgique, cinq ans et demi, puisque nous sommes rentrés, retournés au Rwanda en avril 93, le 7 avril précisément. A cette époque-là donc, nous avions… Vincent avait fait sa thèse euh… en physique. J’en avais profité pour faire une licence en sociologie et nous avions deux enfants à l’époque. C’est comme ça qu’après, donc, nos études, Vincent a été repris, a été repris à l’université euh… au département de physique. Quant à moi-même, j’ai demandé euh… du travail au département des sciences sociales où j’ai été engagée un mois et demi plus tard, soit le 12, le 13 mai 93.

Le Président : Au moment des événements d’avril 94 au Rwanda, vous n’étiez pas au pays ? Vous veniez de quitter le pays quelques jours auparavant ? Vous étiez en mission à… ou à un séminaire ?

le témoin 77 : Oui, donc j’ai été engagée à l’université et j’ai presté pendant à peu près neuf mois. Au mois de février, euh… j’ai été euh… agréablement surprise parce que j’avais postulé pour un séminaire qui se faisait, qui se tenait à Washington et qui devait se tenir du 4, du 4 avril au 28 avril. J’avais été retenue, donc je suis… j’ai quitté le Rwanda le 2 avril et je suis arrivée à Washington le 4. Deux jours après, j’apprenais l’assassinat du président et tout le drame qui s’est… qui s’en est suivi. Donc, j’étais effectivement euh… à Washington quand les événements d’avril se sont déroulés.

Le Président : C’est ça. Vous étiez enceinte à l’époque ?

le témoin 77 : Je suis partie, oui, j’étais enceinte.

Le Président : Et Brian est né ?

le témoin 77 : Donc, je suis partie le 2, et quand les événements ont commencé, je n’ai plus eu de contacts avec mon mari. Donc, j’ai eu que deux coups de fil en avril, avant le 15 avril je pense, parce qu’après, les communications se sont vite coupées et je n’ai eu d’autres nouvelles de ma famille et de mes deux enfants qui sont restés, qu’au mois de juin. Entre-temps, j’ai accouché en catastrophe, je crois avec le stress. L’enfant qui devait naître au mois de juin, fin juin, est né le 22 mai. Et, enfin, il a eu d’ailleurs beaucoup de difficultés pour s’en sortir, il est resté à l’hôpital jusqu’au mois de juillet et il n’est sorti de l’hôpital définitivement, donc, il a subi donc une opération des intestins, à sept jours, à une semaine, et il est resté pendant un mois et demi. Enfin, c’était très dur à cette époque-là.

Le Président : Il est donc… il est donc né avant terme ?

le témoin 77 : Oui.

Le Président : Comment décririez-vous la personnalité de votre mari ? Comme mari, comme… comme père, comme… ?

le témoin 77 : Vous savez, Monsieur le président, ça c’est une question que ma mère m’a posée quand je l’ai, quand je lui ai dit que j’avais rencontré un jeune homme. Euh… c’était à cette époque-là déjà assez difficile de décrire Vincent tellement je trouvais beaucoup de choses  euh… à dire. Maintenant, après 16 ans de vie commune, euh… c’est une question un peu difficile mais je vais essayer de me résumer. Euh… Voilà, j’ai connu Vin…, enfin sur ces 15 années, euh… je pense qu’il n’a pas changé vraiment dans son for intérieur, tel que je l’ai connu. C’est un mari, euh… je veux dire, pour moi, idéal parce euh… que c’est quelqu’un qui me soutient dans mes projets, qui veut que je m’épanouisse. Pour le moment, par exemple, j’ai entamé, il y a trois ans, des études d’infirmière qui sont des études quand même assez prenantes. Il a pris sur lui toute la responsabilité des enfants et je suis tout le, je suis euh… appelée à être dist… absente de la maison et il euh… je peux compter sur lui pour tout ce qui concernait le bon déroulement des choses. Il est, c’est un père très avenant, euh… très généreux avec les enfants, euh... Quand tout marche bien, vous savez, je n’ai pas, on ne se pose pas de questions, en fait. Il a, comment est-ce que je vais dire, il est généreux, il est courageux, il est brave.

Le Président : Vous avez notamment, quand vous l’avez décrit à la police judiciaire, vous avez notamment dit que c’était un coureur de fond. Vous pouvez un peu expliquer ce que vous entendiez par-là ?

le témoin 77 : Ce qu’il y a, c’est que mon mari, quand il y a par exemple, quand nous avons une décision à prendre concernant par exemple le futur de telle ou telle chose, comment est-ce que nous envisageons de faire la chose, je saute sur l’occasion en proposant beaucoup de choses et lui, il prend le temps de réfléchir, de construire son argumentation, euh… cela peut prendre des jours et il revient sur la même question en disant : « Voilà, en fait j’ai réfléchi, tu ne penses pas que… », avec des arguments euh… qui, pour certaines choses, finissent par me convaincre. Donc, c’est quelqu’un qui prend des décisions réfléchies et il ne prend pas euh… il ne prend pas, comme ça, des décisions à la légère et il prend le temps de peser le pour et le contre des choses.

Le Président : Que connaissez-vous des, des opinions politiques de votre mari ?

le témoin 77 : Je dois dire que les opinions politiques de mon mari, je les partage amplement. J’ai milité, euh… Donc, quand le système politique du pays s’est ouvert en 1990-91, avec la formation des partis politiques, euh… je pense que je me suis inscrite le même jour que lui au Mouvement Républicain Démocratique, le MDR. Euh… j’ai milité en tant que membre de la section Benelux du MDR, dont il était secrétaire général. En fait, je pense que, sur le fond et sur les idées qu’avançait euh… le parti, et du moins, la section du MDR en Belgique, je suis sur la même longueur d’ondes que lui pour les idées politiques. C’est-à-dire que je n’ai pas à les partager, je, je... Ses idées sont les miennes et je militais en même temps, en même temps que lui en tant que membre, à part que lui, il était secrétaire général.

Le Président : Ce sont des idées extrémistes ? Ce sont des idées Hutu Power ?

le témoin 77 : Vous savez, Monsieur le président, quand nous avons, nous avons euh…, nous nous sommes inscrits au MDR, il n’y avait pas, il y avait un seul parti qui avait une seule gouvernance. Ce n’est que par après que le parti s’est scindé en deux, vers la fin 92, avec euh… la scission du MDR. Donc, nous nous sommes retrouvés, donc, à Butare au mois d’avril avec deux tendances au sein du MDR. Avec les accords d’Arusha, vous savez, on avait prévu les institutions, euh… on avait prévu d’élargir donc le gouvernement au FPR et les autres institutions, notamment l’Assemblée. Et il s’est trouvé que le parti s’est scindé en deux et il y avait deux listes du même parti. Je dois dire que nous ne nous retrouvions pas dans ces deux tendances du parti. Parmi les leaders du parti au Rwanda, il y avait notamment Monsieur TWAGIRAMUNGU           et Monsieur NSENGIYAREMYE de l’autre côté. Donc, Monsieur TWAGIRAMUNGU était étiqueté pro-FPR. Monsieur NSENGIYAREMYE et les autres, KARAMIRA, étaient étiquetés, donc, d’une autre tendance. Nous ne nous retrouvions pas franchement dans cette… dans ce schisme. Nous avions des contacts au MDR via le feu GAPYISI Emmanuel. C’est le seul leader du MDR finalement qui, pour nous, nous semblait représenter nos idées centristes, qui voulait encore quand même que ce soit le peuple qui décide de l’avenir du pays, que ce ne soient pas les leaders qui s’autoproclament et qui se battent ouvertement pour avoir les places.

Au mois de mai, GAPYISI a été assassiné et quand Monsieur GAPYISI a été assassiné, nous avons senti, nous avons ressenti cela comme euh… une… une perte importante, vu que c’était le seul qui pouvait à la limite encore faire passer nos idées et c’est de là que nous avons euh… essayé… Soit, nous devions nous taire et ne plus parler, ne plus faire partie du paysage politique, soit, nous devions faire quelque chose et créer une… une structure qui nous permettait quand même de pouvoir exprimer euh… nos idées. C’est de là qu’est né le PRD, dont je fus aussi membre fondateur. Monsieur le président, je pense que mon mari n’a pas des idées extrémistes, comme j’ai souvent entendu… comme j’ai souvent…

Le Président : Connaissant… connaissant votre mari depuis aussi longtemps… hein…

le témoin 77 : J’ai connu mon mari depuis 84 et je crois que, enfin ce n’est pas ce que je crois, je l’ai vu…

Le Président : Vous avez… vous avez entendu, ou par lui-même peut-être quand il avait accès à son dossier, je suppose que vous avez entendu les accusations qui étaient portées contre lui, notamment à propos d’un texte qui aurait été publié dans Kangura en fin 1990, début 1991, qu’il aurait été un des auteurs notamment des « Dix commandements des Hutu ? ».

le témoin 77 : Monsieur le président, ce texte a été publié en 90 et lorsque j’ai appris, donc, que ce texte, on accusait mon mari de l’avoir dactylographié ou de l’avoir écrit, j’ai été peinée parce que ça ne représente pas ce que, comme je le connais, ce ne sont pas ses idées. Je ne sais pas s’il vous l’a dit, il n’a pas… il n’a pas de haine euh… raciale ni quoi que ce soit. Quand je l’ai connu, il avait comme un deuxième père et c’était un Tutsi, le frère Jean-Léonard.

Le Président : Celui qui l’a aidé à poursuivre ses études, notamment ?

le témoin 77 : Voilà. Quand je l’ai connu, il m’a vite… il me l’a vite présenté. Ce dernier m’a prise comme son enfant. Il venait me rendre visite à mon travail, me donnait des nouvelles de son fils, comme il disait. Donc, je vois mal Vincent NTEZIMANA écrire un texte pareil. Je le vois mal, d’autant plus que, quand je suis arrivée à Louvain-la-Neuve, il avait beaucoup d’amis Tutsi, notamment d’anciens réfugiés rwandais qui étudiaient à Louvain-la-Neuve. Il me les a présentés. Certains sont venus chez nous, nous ont fréquentés jusqu’au dernier moment de notre séjour ici en Belgique. J’ai eu connaissance euh… j’ai pris connaissance de ce qui était avancé en tant que preuves que Vincent aurait écrit ce texte. Enfin, je ne veux pas ici prendre la place de ses avocats, mais j’ai été peinée de voir les contradictions qu’il y avait dans ces preuves, jusqu’à la dernière où une certaine Madame le témoin 50 disait que Vincent lui a présenté ce texte-là et qu’elle lui aurait aussi présenté d’autres textes de la communauté des étudiants rwandais, à taper, que donc, elle le connaissait véritablement bien et qu’ils avaient même sympathisé. Euh… J’ai pris ça, enfin, à un certain moment, c’était de trop. Je me suis dit : « Mais si ça… j’espère que c’est une plaisanterie, quand même », parce que la communauté des étudiants rwandais avait déjà une structure où Vincent ne faisait… dont Vincent ne faisait pas partie.

Et je me demandais comment est-ce que, pour le moment, avec tous les textes de la communauté, de cette communauté qui était ici, des étudiants rwandais en Belgique, qui étaient présentés au juge d’instruction, on continuait encore à dire : « Voilà, Vincent a quand même écrit ces textes-là ». Tel que je le connais, moi je suis peinée de voir qu’il doit se battre contre une accusation dont il n’est pas responsable, contre un texte dont il n’est pas responsable et dont il, dont lui-même a pris connaissance, appris comme nous autres dans les médias. Je ne vois pas comment il l’aurait tapé, je ne vois pas comment il l’aurait fait taper et les preuves qu’on avance, il y a eu au moins trois succ… une succession de trois euh… trois accusations différentes sur le même texte et qui ne tiennent pas la route. C’est pas à moi peut-être du dire, mais ses avocats, je pense que… ils seront à même du démontrer. Il a lui-même écrit ça dans son livre, je pense, et je suis peinée de voir qu’il doit encore affronter ou se, de devoir vraiment se défendre contre une accusation pareille.

Le Président : Vous savez aussi qu’il est notamment, votre mari est notamment accusé par une dame qui s’appelle le témoin 91 d’avoir été la personne qui aurait désigné la maison de victimes à des militaires ou à un militaire, cette personne déclarant, non pas connaître votre mari, mais vous connaître, vous. le témoin 91 dit vous connaître.

le témoin 77 : Oui, Monsieur le président, j’ai été entendue à ce sujet à la PJ. J’ai déclaré, donc, je crois que c’était à l’inspecteur de police, Monsieur STASSIN ou BOGAERT, j’ai été entendue par les deux, sur un après-midi. Quand j’ai été entendue, donc, la veille, Vincent avait été lire son dossier et il m’a dit au téléphone, donc le soir, de la prison, il m’a téléphoné en me disant : « Tu ne sais pas ce qui m’est tombé encore dessus ? Il y a une certaine Bernadette qui m’accuse d’avoir désigné une maison ». Je dis : « Mais tu la connais, cette Bernadette ? ». Il me dit : « Non, je ne la connais même pas, mais elle dit te connaître, toi, que tu aurais donc fréquenté la même classe qu’elle à l’université ». Alors, je lui dis : « Mais si c’est celle que je pense connaître, effectivement, nous avons fait la première année ensemble à l’université, donc à Butare, elle était en sciences économiques et moi, j’étais en sciences sociales ». Mais je ne la connais pas outre mesure parce qu’elle n’était pas ma copine, enfin, il y avait des amis proches, je la connais de vue. Et quand je suis retournée, donc, quand nous sommes retournés à Butare, donc j’ai été assistante à la faculté des sciences économiques, au département des sciences sociales, j’ai dit que je crois avoir donné un cours à son mari qui faisait une licence en sociologie . C’était une licence tout à fait nouvelle parce qu’avant, il n’y avait pas un deuxième cycle à l’université, en sciences sociales et j’avais un cours de sciences politiques, en 1ère licence.

Donc, enfin, c’est pénible ! Que puis-je vous dire, à part être révoltée de voir que… C’est très facile de présenter, d’accuser quelqu’un qui est à des kilomètres du Rwanda et ce que j’ai fait par après, après mon audition, je suis tombée sur la revue Dialogue que je lis régulièrement même si je ne suis pas abonnée et là, j’ai vu dans les… on fait une revue de presse, enfin une revue des faits, à la fin de cette revue, et là, je suis tombée justement sur les syndicats des délateurs, un article que Monsieur Joseph MATATA avait écrit pour la revue Dialogue. Et notamment, Monsieur MATATA faisait état d’un certain le témoin 129 accusé notamment de tels et tels faits et il se trouve que ce monsieur était accusé, donc Monsieur le témoin 129 est le mari du témoin 91, celle qui accuse mon mari d’avoir fait assassiner cette famille. Evidemment, moi j’étais intriguée et je me suis dit : « Mais tiens, si Monsieur MATATA connaît ce dossier, il serait intéressant qu’il soit entendu sur ces faits-là ». J’ai pris connaissance, j’ai pris des contacts avec des amis en demandant si je peux avoir, si je peux demander d’avoir les contacts avec Monsieur MATATA parce que Monsieur MATATA, je ne le connaissais pas à part par les rapports donc qu’il faisait avec son organisation des droits de l’homme ».

J’ai eu des contacts donc téléphoniques avec Monsieur MATATA en lui expliquant : « Tiens, voilà, j’ai vu que vous avez écrit un article et dans votre article, vous citez un certain le témoin 129 qui est accusé, emprisonné à Butare, accusé de tels faits. Il se trouve que sa femme, maintenant, accuse mon mari des mêmes faits ». Alors, Monsieur MATATA m’a surpris pour quelqu’un qui, c’est la première fois que je l’avais au téléphone, il me dit : « Mais ce n’est pas possible, cette histoire-là, il faut que je la tire au clair ». « Parce que moi… », il disait, « …moi, au mois de décembre, j’ai rendu visite aux prisonniers de Butare et donc, j’ai vu le concerné, parce que je l’ai écrit dans, comme il l’a écrit dans son article, il n’a pas fait état, il m’a jamais parlé de votre mari, il m’a pas cité ce nom-là. Comment est-ce possible que ce soit maintenant lui qui soit accusé des mêmes accusations, donc Monsieur TWAGIRAMUNGU ». En mon for intérieur, je dis : « Mais je comprends bien cette femme, à la limite elle veut décharger son mari. Si avec ça son mari peut sortir, je peux bien comprendre son geste, mais de là… ». Et puis elle accusait quelqu’un qui était emprisonné en Belgique. Peut-être se disait-elle : « Au moins, lui, il est dans de bonnes conditions de détention, etc. ». Je peux comprendre son geste, mais c’était mensonger.

Moi, quand j’ai interrogé Vincent, de dire : « Cette famille, tiens, moi je ne la connais, enfin de mémoire, je ne la connaissais pas comme cela et puis ces habitations-là, je pense que, enfin, à moins que Vincent ait fait des promenades autres euh… à mon insu, je ne pense pas que ce quartier-là, on le fréquentait, cette rangée de maisons-là ». Et alors, je ne sais pas si Monsieur MATATA a été entendu par après, sur ce dossier-là. Toujours est-il que, après, Vincent a vu des témoignages en kinyarwanda, notamment sur d’autres témoins qui auraient, qui ont témoigné sur cette affaire-là. On parlait notamment de Madame NDUWUMWE, sa mère, a témoigné et il se trouve que, en lisant le dossier par après, la mère de cette, de la fille de Monsieur NDUWUMWE est une dame qu’on a connue à Butare via le frère, le frère Jean-Léonard, donc le frère qui a aidé mon mari à faire ses études et qui se présentait comme son père et il le présentait comme son fils.

Et ça m’a, ça m’a touchée de voir que cette dame disait clairement que ce n’est pas, ce n’est pas Vincent NTEZIMANA qui a tué sa fille et son gendre parce qu’elle connaît bien Vincent NTEZIMANA, elle donnait un détail que peu de gens pouvaient connaître à Butare, le fait que nous ayons deux enfants en avril 1993. Quand nous sommes partis du Rwanda, nous avions notre fille Lucrèce et quand nous sommes revenus, nous avions Jean-Claude et juste après notre arrivée à Butare, je me souviens que je suis allée lui rendre, lui dire bonjour pour lui dire que nous sommes, nous étions de retour. Quand nous avons quitté Butare, elle avait un magasin de pharmacie, elle avait une pharmacie et quand nous sommes revenus en 1993, elle avait changé de commerce, elle avait une épicerie dans l’ancienne euh… dans l’ancien local qu’occupait la banque de Kigali, à Butare. C’est comme ça que je lui ai raconté donc notre séjour en Belgique, notre retour, ce que nous faisions et que je comptais bien la revoir, que nous allions reprendre nos relations comme c’était avant. Elle m’a donné des nouvelles de… du frère Jean-Léonard et moi, je lui ai donné des nouvelles de Vincent. Voilà la seule visite que j’ai rendue à cette dame.

Donc, en me prodiguant des conseils pour pouvoir bien entretenir les enfants, et vous savez, les femmes âgées chez nous euh… enfin ne se font pas prier, en tout cas pour quelqu’un qu’elles apprécient, de donner des conseils, de donner des… de guider. Quand on arrive dans une ville comme ça et qu’elle avait une épicerie, quand j’avais besoin de quelque chose, je pouvais compter sur elle, je pouvais envoyer mon… notre employé pour aller chercher des affaires chez elle. Donc, cette accusation-là, j’étais peinée de voir Bernadette accuser mon mari et donner une même, une version différente de celle de son mari et j’ai été ravie de voir que la propre mère de la victime disait que ce n’était pas Vincent NTEZIMANA, que ce type-là elle le, qu’elle le connaissait très bien.

Le Président : Bien. Y a-t-il des questions à poser au témoin ? Maître HIRSCH.

Me. HIRSCH : Oui, merci Monsieur le président. Euh… Trois petites questions : l’épouse de Monsieur NTEZIMANA part donc aux Etats-Unis, elle nous a dit, le 2 avril, elle aurait dû rentrer le 28 avril, à son retour des Etats-Unis. Est-ce qu’elle pourrait nous dire, par votre intermédiaire, Monsieur le président, avec qui laisse-t-elle ses deux enfants, donc âgés de 7 ans, sauf erreur, et de 1 an, outre son mari ?

le témoin 77 : J’ai laissé mes enfants à ma bonne, j’avais une fille qui élevait mes enfants. J’avais confiance en elle et en mon mari. Euh… Juste avant mon départ, vous savez qu’il y a eu des troubles à Butare, l’assassinat de Monsieur GATABAZI, qui s’est suivi par l’assassinat de Monsieur BUCYANA. Je vous dis pourquoi je relate ces faits-là. Parce qu’on a passé trois jours d’intense émotion et il se trouve que, donc j’avais ma fille, donc, ma fille Lucrèce et Jean-Claude en bas âge, et cette nounou, qui s’appelle Caritas, et j’avais aussi un garçon qui travaillait pour nous, qui s’occupait du ménage et des courses. Le garçon avait fait des avances à Caritas et pendant ces, après ces événements, Caritas, en rentrant un soir, je trouve la fille partie, je suis retournée à une famille amie où on me l’avait renseignée pour demander qu’est-ce qui s’était passé et la fille, donc de la famille amie qui me l’avait renseignée, me dit : « En fait, elle n’est pas contente parce que votre », enfin on l’appelait groom, « votre groom lui a raconté que, de toute façon, elle n’avait pas un poids face à ce qu’elle avait dit, elle avait à dire ». Donc, il lui a fait comprendre que si elle se plaignait de ses agissements, nous ne la croirions pas parce que lui se disait : « Ils vont pas te croire, toi, parce que moi je suis de leur région ».

Donc, le groom lui a raconté cela. Et quand j’ai su cela, j’ai dit à la fille, donc, de la famille amie qui m’avait renseigné Caritas, j’ai dit : « Vous faites vite de la faire revenir parce que je vais régler cette histoire au clair ». Aussitôt que Caritas est rentrée à la maison, j’ai renvoyé le groom et j’ai dit à Caritas que j’avais besoin d’elle pour mes enfants. Donc, quand je suis partie quelques jours plus tard, donc, pour les Etats-Unis, Caritas m’a accompagnée avec Vincent et les deux enfants jusqu’à Kigali, et je lui ai dit que je comptais sur elle, donc, j’ai laissé mes deux enfants avec leur nounou et leur père.

Le Président : Oui ?

Me. HIRSCH : Madame NTEZIMANA nous a dit qu’elle avait eu des nouvelles de ses enfants et de son mari, jusqu’environ le 15 avril, c’est ce qu’elle vient de déclarer. A ce moment-là, tout est calme à Butare, par contre, les massacres se déchaînent dans le reste du pays, et notamment dans la région de Gisenyi. Comment a-t-elle donc réagi quand elle a appris que son mari avait évacué ses deux petits enfants le 12 avril, d’une région calme, Butare, pour les envoyer en plein massacres dans la région de Gisenyi ?

le témoin 77 : Euh… Madame… Monsieur le président, si vous permettez, j’ai eu deux contacts téléphoniques avec Butare. Je n’ai jamais su que mes enfants étaient évacués à Gisenyi parce que quand j’ai téléphoné, en fait, une fois je suis tombée sur le frère de Vincent. Je téléphonais de Washington, il était 20h00, il était 2h00 du matin à Butare, je suis tombée donc sur mon beau-frère François qui m’a dit qu’en fait, lui, il devait être, il devait se tenir éveillé parce que, à tour de rôle, il devait y avoir quelqu’un qui devait être éveillé s’il y avait quelque chose. Donc, Butare, il n’y avait pas encore de massacres mais les gens avaient peur de ce qui pouvait se passer. Il y avait des rondes, je crois, et il me disait qu’en fait, tout le monde avait peur. Quant à savoir si mes enfants ont été évacués vers Gisenyi, je ne l’ai pas su, je l’ai su quand Vincent me l’a raconté quand nous nous sommes retrouvés ; d’ailleurs j’étais fâchée sur lui parce qu’il a failli les laisser dans notre commune d’origine. Quand il est passé pour aller les rechercher, quand il quittait Butare en fuyant, quand il est arrivé au centre de négoce, où il y avait, où il pouvait avoir ses, récupérer les enfants, on lui a conseillé de partir dare-dare parce qu’il était étiqueté pro-Inkotanyi, parce qu’il était dans un parti d’opposition. Il est parti, sans les prendre, jusqu’à Gisenyi et ce n’est que deux jours après qu’un ami a accepté de prendre sur lui tous les risques que ça pouvait lui faire courir pour aller les rechercher. Donc, si ça se trouve, j’étais très fâchée de voir qu’il ne pouvait pas les récupérer euh... Heureusement que ça s’est bien passé, mais il y avait un risque certain.

Me. HIRSCH : Je comprends. Monsieur le président, euh… je comprends que le témoin a dû être fâché mais comment explique-t-elle, connaissant bien son mari, que Monsieur NTEZIMANA n’ait pas jugé utile de faire accompagner les enfants par, justement, Caritas à qui elle les avait également confiés.

le témoin 77 : Euh… Je, je pense qu’elle, il ne pouvait pas prendre le risque d’envoyer Caritas par le simple fait que Caritas avait, quand les massacres ont commencé, selon ce que Vincent m’a raconté, Caritas avait peur et alors elle lui a demandé un jour : « Qu’est-ce que, qu’est-ce qui se passe ? ». Et Vincent lui a dit : « Il y a des tueries, on est en train de s’attaquer à l’ethnie Tutsi ». Alors, Caritas lui a dit : « Est-ce que ça se passe partout ? ». Vincent lui a dit : « A mon avis, pour le moment, en tout cas, on ne sait pas très bien mais il y a des forces, il y a des risques que ce soient des massacres généralisés ». C’est comme ça que Caritas a dit : « Donc, mon père et ma mère pourraient être tués ». Et c’est comme ça que Vincent a su que Caritas était d’ethnie Tutsi. Elle n’avait pas de carte d’identité quand nous l’avons embauchée parce que, en fait, quand on me l’a renseignée, elle venait d’une autre maison à Gikongoro et moi, je n’ai pas demandé de quelle ethnie elle était, elle n’avait pas de carte d’identité. Je lui ai dit même : « Quand je reviendrai de Washington, on ira à la commune pour te faire faire des papiers d’identité ». Vous pensez bien que si elle devait se trouver sur des barrières sans carte d’identité, elle pouvait se faire tuer. Elle est restée juste, à la maison, Dieu merci, et en vie, de par le témoignage de Longin, jusqu’à la fin juin. En tout cas, au mois de juillet, elle était en vie, elle était chez nous.

Le Président : Oui.

Me. HIRSCH : Une dernière question, Monsieur le président. Monsieur NTEZIMANA a déclaré dans le dossier, qu’après donc avoir évacué ses enfants le 12 avril, il a estimé utile de rester à Butare et le motif qu’il a invoqué dans une de ses déclarations, la seule d’ailleurs, le seul motif qu’il ait invoqué, c’est précisément de euh… venir en aide à Caritas. Donc, il évacue vos deux enfants mais il reste à Butare pour venir en aide à Caritas. Je souhaiterais savoir, Monsieur le président, pour quelle raison, d’après Madame NTEZIMANA, Monsieur NTEZIMANA est-il resté à Butare durant les massacres ?

le témoin 77 : C’est très simple. Parce que, quand les massacres ont commencé à Butare, beaucoup de gens ont fui Kigali, pardon, quand les massacres ont commencé après le 6 avril, beaucoup de gens ont fui Kigali. J’ai appris, par après, que plusieurs personnes venant de Kigali ont séjourné chez nous. Vous vous imaginez bien, si Vincent avait fermé à clé les portes de la maison, où seraient passés mes deux beaux-frères qui sont passés par la maison, mes deux sœurs qui sont passées par la maison, les amis qui sont venus, qui sont, il y a beaucoup de gens,  en tout cas dans le document que mon mari a fait au mois d’octobre 1994, quand il a été question par la Sûreté de l’Etat qu’il y avait une enquête qui était faite sur lui et qu’on lui disait : « Mais, si tu n’as rien à te reprocher, tu peux dire ce qui s’est passé ». Il a fait un document, je crois, de quelques pages où il racontait les gens qui sont passés chez nous depuis le début des événements jusque quand il est parti.

Ce document-là, je crois qu’il a été fait euh… à son do… à son bureau et il a été saisi par la police judiciaire quand on a été, quand on est venu perquisitionner dans ses locaux. C’était sur ses back-up. Il y a eu beaucoup de gens, je ne sais pas les rappeler ici. Je sais que mes deux sœurs sont passées par-là, j’avais une sœur à Kigali qui était enceinte qui a dû passer par Bugesera faire tout le tour pour arriver à Butare, longtemps après le 12 avril. Elle est passée deux jours et ils ont continué. Elle a accouché dans des circonstances invivables par après. Il y a Aster qui est passée par-là avec toute sa famille et des amis. Les gens qui sont passés par chez nous ont pu trouver au moins une maison ouverte et où ils pouvaient faire escale. Je pense que pour cette raison-là, il devait rester à Butare et ces gens-là qui passaient, étaient en désarroi total. Et je pense que si j’avais été à sa place, je l’aurais fait.

Le Président : Bien, Maître Clément de CLETY.

Me. de CLETY : Je vous remercie, Monsieur le président. Pourriez-vous demander au témoin si, en ce qui la concerne, le mot Inyenzi revêt une dimension raciste et injurieuse ?

le témoin 77 : Monsieur le président, j’ai 34 ans, donc je suis née après l’Indépendance. J’ai appris l’histoire du Rwanda comme l’ont apprise tous les enfants des écoles primaires et peut-être moins, parce que mon père, fuyant la servitude de la monarchie, s’était engagé à 17 ans, à aller travailler à la Gécamine au Zaïre. Donc, je suis née au Zaïre et j’ai grandi là-bas. J’ai connu les problèmes que connait le Rwanda aujourd’hui, d’ethnies Tutsi-Hutu, quand je suis revenue du Zaïre. Nous sommes rentrés en 75, j’avais à peu près 9 ans-10 ans. J’ai fait l’école primaire et là, on nous apprenait l’histoire du Rwanda, l’histoire des Mwami, jusqu’au dernier ministre nommé. A l’école secondaire, j’ai fréquenté une institution qui était gérée par les sœurs de l’Assomption. Je pense que je n’ai pas connu d’histoire ethnique. La première confrontation face à cette problématique-là, je l’ai eue quand j’étais à Muramba, à l’école de sciences économiques au collège. Il se… il ne se posait pas en ces termes-là. Et alors euh… quant à savoir, il ne se posait pas en termes de savoir Hutu-Tutsi, qui était privilégié et qui ne l’était pas. Il se posait un problème Kiga Nduga : Les enfants du Nord sont favorisés, etc.

Et quand on parle d’Inyenzi, Monsieur, j’ai oublié votre nom, Monsieur Clément de CLETY, tout ce que je peux vous dire, c’est que je l’ai, je l’ai lu et je l’ai appris comme le disent les manuscrits de l’histoire. Le mot Inyenzi représente les premières, on en a parlé lors des premières attaques en 61-62, après la révolution de 59 et c’est une milice de, une milice qui était, qui avait une connotation royale et je crois que cette, ce mot-là a une, a une signification, ce serait une abréviation et que c’était une dénomination de ces milices royales qui voulaient revenir en, qui ont, qui sont revenues envahir le Rwanda pour réinstaurer la monarchie. Donc, si vous me dites ce terme-là revêt un caractère racial ou ethnisante, ou à la limite, comment j’en entends parler, on dit Inyenzi c’est cancrelat et on assimile ça aux Tutsi, ça ce sont, il y a, il y a des écrits qui font état de cela, mais pour ma part, je considère que comme c’est une milice qui est revenue donc pour combattre et pour réinstaurer la monarchie, pour moi, je ne peux, je ne peux pas croire, je ne peux pas dire que c’est une, c’est un mot qui a un caractère racial. Ce sont, c’est une appellation comme les gens se sont appelés Inkotanyi, comme d’autres se sont appelés Indahemuka, par exemple.

Le Président : Bien… Oui ?

Me. de CLETY : Monsieur le président, j’entends que le mot cancrelat n’est pas injurieux, mais au-delà de ça…

le témoin 77 : Monsieur, j’aimerais bien rectifier. J’ai dit que dans les ouvrages, on dit, Monsieur, on dit « Inyenzi », et on a dit texto, c’est cancrelat. Quand je pense que si on vous traite de cancrelat, Monsieur, ce serait quand même pas moins injurier, ce serait quand même injurier, non ? Ce serait injurieux. Vous traiter de cancrelat…

Le Président : Bien. Alors, pas de dialogue, si vous voulez bien.

Me. de CLETY : Monsieur le président, Madame NTEZIMANA se souvient-elle que, en 1991 notamment, peut-être avant et peut-être après, son époux était en correspondance avec un certain Monsieur, enfin prénom Vianney, avec lequel il y avait notamment eu une discussion à propos d’une possibilité d’importer, pour peut-être éclairer sa mémoire, une possibilité d’importer une voiture au Rwanda. Mais, Monsieur NTEZIMANA avait expliqué qu’il y avait un problème de taxe de, de telle sorte que l’opération n’était peut-être pas intéressante ?

Le Président : Vous souvenez-vous d’une correspondance entre votre mari et un, un certain Vianney ?

le témoin 77 : Je dois, je dois vous avouer que cette correspondance-là, je n’ai jamais eu les écrits après, quand il y a eu le back-up de l’université. Je sais que mon mari avait des contacts avec beaucoup de gens, notamment Vianney nous avait contactés pour que nous puissions, quand nous, nous rentrions, comme nous ne comptions pas euh… acheter une voiture pour rentrer au pays, que nous l’achetions pour lui euh… pour qu’il y ait moins de taxes puisque, quand on partait en déménagement après un séjour assez long à l’étranger, on ne payait pas de taxes sur euh… ce genre...

Le Président : Bien. Donc, votre mari avait une correspondance avec Vianney.

le témoin 77 : Oui.

Me. de CLETY : Je vous remercie, Monsieur le président. Dernière question concernant cette correspondance, puisque le témoin s’en souvient. Pourrait-il… pourrait-elle nous éclairer quant à un passage de ce courrier que je souhaiterais lire et quant à la signification profonde : « Sur le plan de la défense, je parle de la fermeté puisqu’il n’y a pas de façon noble de tuer pour se défendre. Toute complicité, si tacite soit-elle, est de nature à être réprimée par les services de sécurité. De leur côté, les politiciens s’emploieraient à relayer adroitement, pour ne pas choquer l’opinion publique, les services de sécurité à travers la sensibilisation ».

Le Président : Vous avez un commentaire à faire à ce sujet-là ?

le témoin 77 : Un texte pris de son contexte comme cela, je n’ai pas, je ne peux pas m’avancer à décrire euh… enfin l’état de la personne qui l’a écrit, l’a fait.

Le Président : Maître NKUBANYI…?

Me. NKUBANYI : Oui, Monsieur le président. Pourriez-vous demander au témoin si, parmi les amis de son mari, avant qu’elle n’aille à Washington, si elle reconnaît deux personnes : un certain capitaine NIZEYIMANA et un certain NKUYUBWATSI ? S’ils étaient amis de la famille, s’ils venaient à la maison souvent ?

Le Président : Alors, dans les relations de votre mari, y avait-il, avant votre départ pour Washington, y avait-il déjà à cette époque-là, dans les relations de votre mari, le capitaine NIZEYIMANA ?

le témoin 77 : Je vais répondre très simplement ceci. Euh… J’ai connu euh…, il y avait le capitaine NIZEYIMANA et son épouse. Et je vous, si vous le permettez, je pourrais, je voudrais ici, dire comment nous avons rencontré ces personnes. Il faut se situer donc en avril 93. Nous sommes à Butare, Vincent est à Butare plutôt, moi, je suis encore à Kigali et je reviens donc au mois de mai pour reprendre mon service. Voilà qu’un soir, Vincent a repris donc contact avec ses anciens collègues, les amis, il les revoit. Butare n’est pas une si grande ville. Et puis, les gens se voient. Il y a quelques, enfin, les endroits où les gens se rencontrent, l’hôtel Faucon, Ibis, Guesthouse ne sont pas tellement nombreux. Un soir, il rentre, il me dit : « J’ai revu notre ami BWANAKWERI ». BWANAKWERI, c’était son ancien copain qui faisait la psychologie, avant notre mariage, à l’université de Butare. Par après, il s’est engagé dans l’armée lorsqu’il a fallu recruter des gens pour renforcer l’armée en 90… après la guerre. BWANAKWERI, ça m’a surpris, que BWANAKWERI se soit engagé dans l’armée.

Enfin, toujours est-il qu’il l’avait revu en compagnie d’un certain NIZEYIMANA Ildephonse et il vient, il me dit : « Tu sais, j’ai rencontré un type intéressant puisque, étant lui-même militaire, il comprend le rôle de l’opposition ». Je dis : « Ah bon ! Comment se fait-il cela ? ». Je dis : «  Il est d’où ? ». Il me dit : « Il est de Gisenyi ». Je me dis : « Ce n’est pas possible ». Parce que, il faut se rappeler qu’un peu avant, quand on parlait de fusion des armées, il y avait eu justement un discours du premier ministre de l’époque, Dismas NSENGIYAREMYE, qui disait notamment qu’ il fallait, qu’on allait démobiliser une grande partie de l’armée, et notamment il disait, comme travail de remplacement, on allait les envoyer dans Ibishanga, cela veut dire les marais, donc cultiver les marais. ça n’avait pas plu aux militaires, et notamment des gens qui avaient, qui venaient de passer trois ans sur le front et qui avaient perdu leurs amis,  qui avaient perdu euh…, qui étaient mutilés, etc., ce discours-là n’avait pas plu.

Alors, ça m’étonnait qu’il y ait un militaire, notamment, et de surcroît, un officier qui dit comprendre le rôle de l’opposition et qui, enfin, qui n’avait pas en tout cas, qui n’était pas… n’était pas hostile à l’opposition, ça m’intéressait. Alors, j’étais intriguée. Deux jours après ou trois jours, je n’en sais, je n’en sais pas plus, Vincent il revient, il me dit : « En fait, tu sais, la femme du capitaine a accouché ». Ma réaction a été de dire : « Mais tiens, non seulement tu me dis qu’il y a un capitaine intéressant, un militaire intéressant, il était encore lieutenant, et en plus tu me dis qu’il a une femme, tout d’un coup, comme ça. Tu ne pouvais pas le savoir avant ? ». Mais ça, c’est le caractère de Vincent. Il n’entre pas, il ne fonce pas dans les gens pour savoir qui ils sont, etc. Alors, moi, je lui dis : « Tiens, si elle a accouché, donc, est-ce qu’elle connaît des gens, ici à Butare, qui peuvent l’aider, lui venir en aide, enfin lui prodiguer des conseils ? ». C’était son premier enfant. Voilà que le week-end suivant, moi, je me précipite pour aller voir la dame qui avait accouché, pour voir le bébé.

Comme j’avais un enfant en bas âge, avec plein de lingerie, de layettes, je me disais : « Si ça l’intéresse, moi, ça ne me dérange pas de lui donner ». Je suis donc allée la voir à la clinique. Ce qui était intéressant, c’était de voir que j’allais connaître la femme de l’officier dont Vincent m’a parlé, avant même du connaître lui-même. Voilà que je me présente à la clinique. Je lui dis : « Probablement que votre mari vous a parlé de moi, que j’allais passer, est-ce que ça va, etc. ? ». Voilà que je viens donc de, finalement d’avoir, de me faire une copine. Donc, nous avons sympathisé. Voilà comment j’ai connu la femme de NIZEYIMANA et je lui ai proposé ma layette qu’elle a acceptée. Et après, nous nous sommes revues. Elle est sortie de clinique. Nous avons continué à nous voir jusqu’à ce que je parte aux Etats-Unis. Et de ce fait-là, j’ai été amenée à connaître NIZEYIMANA.

Le Président : Et y avait-il, dans les relations de votre mari, avant votre départ pour Washington, un certain NKUYUBWATSI Innocent ?

le témoin 77 : A part le fait que quand nous avons dû euh… déménager à Kigali et, parce que nous devions remettre la maison que nous avions, nous occupions, au mois de juin, et que nous devions par exemple, quand nous sommes revenus à Butare en septembre, n’ayant pas de logement, le capitaine NIZEYIMANA nous a proposé de nous loger. C’est là que nous avons rencontré et que moi, j’ai connu en tout cas Innocent qui logeait chez NIZEYIMANA mais moi, je n’ai pas euh… il ne faisait pas partie de nos amis. J’avais une, des relations amicales avec Donata qui était son épouse mais avec NKUYUBWATSI, non.

Le Président : Oui, Maître NKUBANYI… ?

Me. NKUBANYI : Pouvez-vous demander au témoin si, pendant les rencontres, elle a pu, peut-être, prendre connaissance des opinions politico-ethniques du capitaine NIZEYIMANA ou de NKUYUBWATSI ?

Le Président : Alors, de manière très brève, le capitaine était-il un extrémiste ou n’était-il pas un extrémiste ?

le témoin 77 : En tout cas, selon les indices que moi j’ai, notamment euh… le fait que nous, il nous, nous le fréquentions sans problème avec les positions que nous prenions, par exemple vis-à-vis du président le témoin 32, de son parti, et vu qu’il était militaire, il avait quand même encore une euh… enfin, il y a comme une obéissance et une déférence par rapport à l’autorité. Donc, il était encore euh… général de l’armée, donc il devait, il était, il avait de l’autorité sur lui mais il comprenait très bien que nous puissions, nous, être heurtés par certaines positions euh… de la personne dont il considérait quand même encore avoir de l’autorité au sein de l’armée. Je ne connais pas d’extrémisme par rapport à NIZEYIMANA d’autant plus que j’ai eu à rencontrer des gens de toutes ethnies chez lui, notamment une personne qui s’appelle, enfin, ça ce n’est qu’un exemple, hein, et j’ai eu à lui demander un petit service parce qu’elle fréquentait cette famille-là. C’est une infirmière qui s’appelait Béata. Quand il y a eu des troubles en avril 94, je devais faire vacciner mon petit, mon fils Jean-Claude et nous ne pouvions pas le faire. J’ai demandé pour que, si elle pouvait venir. Cette fille-là était Tutsi, elle fréquentait cette famille-là. Moi, je n’avais pas d’indices vraiment palpables disant que ces gens-là étaient extrémistes.

Le Président : Bien. D’autres questions encore… ? S’il n’y a plus de questions, les parties sont-elles d’accord pour que le témoin se retire ? Madame, est-ce bien des accusés ici présents dont vous avez voulu parler, cette question signifiant : persistez-vous dans vos déclarations ?

le témoin 77 : Je n’ai aucun problème à répéter tout ce que je viens de dire ici, Monsieur le président.

Le Président : Persistez-vous dans vos déclarations ?

le témoin 77 : Oui, Monsieur le président.

Le Président : Merci, Madame. La Cour vous remercie. Vous pouvez disposer librement de votre temps.

le témoin 77 : OK.