6.3.14. Audition des témoins: le témoin 104
Le Président : L’audience
est reprise, vous pouvez vous asseoir et les accusés peuvent prendre place.
Alors, Monsieur le témoin 104 peut approcher. Monsieur, quels sont vos
nom et prénom ?
le témoin 104 : Je m’appelle
le témoin 104.
Le Président : Quel âge avez-vous ?
le témoin 104 : Je suis
né le 16 octobre 1962.
Le Président : Mille neuf cent… ?
le témoin 104 : …62.
Le Président : 62. Quelle
est votre profession ?
le témoin 104 : Je suis construct… Je suis ingénieur-technicien en construction.
Le Président : Voulez-vous
bien parler dans le micro ?
le témoin 104 : Je suis
ingénieur-technicien en construction.
Le Président : Bien. Quelle
est votre commune de domicile ou de résidence ?
le témoin 104 : Actuellement,
je suis à Boitsfort, Watermael-Boitsfort.
Le Président : Connaissiez-vous
les accusés ou l’un d’entre eux, avant le mois d’avril 1994 ?
le témoin 104 : Oui. Je
connais Vincent. Monsieur HIGANIRO, je le connaissais… de vue.
Le Président : Bien. Etes-vous
de la famille des accusés ou des parties civiles ?
le témoin 104 : Non, non.
Le Président : Travaillez-vous,
êtes-vous sous contrat de travail pour les accusés ou les parties civiles ?
le témoin 104 : Non, non.
Le Président : Je vais vous
demander de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment de témoin.
le témoin 104 : Je jure
de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la
vérité.
Le Président : Vous pouvez
vous asseoir, Monsieur. Monsieur le témoin, pouvez-vous expliquer à quelle époque
et dans quelles circonstances vous avez fait la connaissance de Vincent NTEZIMANA ?
le témoin 104 : J’ai connu
Vincent NTEZIMANA en 1985-84, quand j’étais encore étudiant à l’université nationale
du Rwanda. Lui, il était professeur à l’université, à ce moment-là.
Le Président : Comment pouvez-vous
décrire, selon les rapports que vous avez eus avec lui, la personnalité de Monsieur
NTEZIMANA, à cette époque-là ?
le témoin 104 : A cette
époque-là, il était professeur à l’université, et moi, j’étais étudiant. Et
il jouait à l’équipe nationale… à l’équipe de l’université nationale de basket-ball.
Je le voyais en tant que professeur et en même temps, en tant que joueur.
Le Président : Oui. Est-ce
que c’était quelqu’un qui faisait, par exemple, à l’époque, des différences
entre les joueurs de basket-ball ou les étudiants Tutsi et Hutu ?
le témoin 104 : A cette
époque, je ne voyais pas ça. Il était jeune comme tout le monde, et puis… je
ne voyais pas cette différence-là.
Le Président : L’avez-vous
fréquenté à une autre époque que celle-là ?
le témoin 104 : Oui. En
1994, quand j’ai quitté. Avant, moi, j’habitais à Kigali. Au mois d’avril, j’ai
quitté Kigali. Je suis allé me réfugier à Butare. Et à ce moment-là, j’ai logé
en face de sa maison, là où il habitait. Il habitait dans le quartier de Buye.
D’avril 1994 jusqu’au début juillet.
Le Président : Est-ce qu’à
l’époque, il était souvent en compagnie de militaires ?
le témoin 104 : Il y avait…
Quelques fois j’ai vu des militaires qui arrivent chez lui. Mais, et
après ça, ils venaient, je suis entré en contact avec Vincent parce qu’on était
voisin, on passait la plupart du temps ensemble là, dans la rue, et j’ai vu
quelques fois des militaires qui allaient chez lui.
Le Président : Est-ce que
vous connaissez le nom des militaires qui allaient chez lui ?
le témoin 104 : Non. Non,
je…
Le Président : Le nom du
capitaine NIZEYIMANA vous dit quelque chose ?
le témoin 104 : Oui.
Le Président : Est-ce que
c’est quelqu’un qui fréquentait Monsieur NTEZIMANA ?
le témoin 104 : Le capitaine…
quelquefois je le voyais qui allait chez lui.
Le Président : Vous avez
eu l’occasion, à cette époque-là, d’avoir des conversations avec Monsieur NTEZIMANA ?
le témoin 104 : Oui, oui.
Le Président : Qu’est-ce
qu’il ressortait de ces discussions ?
le témoin 104 : Une fois,
il avait chez lui des gens qui s’étaient réfugiés chez lui. Et là, moi aussi,
je suis resté dans une maison d’un ami qui avait quitté… qui avait quitté le
Rwanda, à ce moment-là. Et comme moi je venais de Kigali et que j’habitais là,
à Butare, dans une maison de l’université, une fois, les gens, les autorités
de l’université ont voulu nous… nous chasser de la maison. Comme je connaissais
Vincent, je lui ai dit d’essayer de me défendre auprès des autorités de l’université.
Et depuis lors, chaque fois j’entrais en contact avec lui pour des petits problèmes
d’organisation ou d’université. Je me rappelle qu’une fois, on a voulu faire
des… les responsables du quartier où on était nous, ont voulu qu’on fasse des
rondes la journée et la nuit. Et puis, lors de cette réunion, je me rappelle
qu’un professeur, qui s’appelle EUGENE Vincent, était contre ses rondes. Et
moi, comme je savais que c’était dangereux de passer la nuit dehors alors qu’on
était dans… j’étais… je n’avais pas le droit de dire des choses, parce que je
n’étais pas dans mon quartier. Et je me rappelle que Vincent et Monsieur Eugène
disaient qu’il ne fallait pas faire ça. Et à la fin, la décision a été prise
de faire des rondes à ce moment-là.
Le Président : Vous savez
pourquoi il était contre les rondes ?
le témoin 104 : Oui. Je
crois… j’avais déjà discuté avec lui avant que cette réunion passe. Je lui
avais dit qu’en effet… je lui avais dit qu’à Kigali, là, il y avait des gens
qui allaient au… là d’où je venais. On allait là, la nuit, et puis tout d’un
coup, il y avait des gens qui risquaient de mourir et tout le bazar. Et Vincent,
je crois, il disait que, je me rappelle qu’il disait que ce n’était pas logique
d’aller faire des rondes à mains nues contre les armées des militaires, des
deux côtés. Il y avait des militaires du mouvement rwandais qui venaient attaquer
les gens qui étaient sur des rondes. C’est dans cette logique-là qu’il a parlé
de ça.
Le Président : Il y avait
des militaires du FPR à cette époque-là, à Butare ?
le témoin 104 : A cette
époque-là, à Butare, je ne crois pas. Mais ils avaient pris presque plus de
la moitié du territoire rwandais. On s’attendait à ce qu’ils arrivent à n’importe
quel moment. On ne sait pas quand. Et à Butare, à cette époque-là, au mois d’avril,
ils n’étaient pas encore à Butare.
Le Président : Avez-vous
eu des conversations avec Monsieur NTEZIMANA à propos des tueries, quand elles
ont commencé à Butare ?
le témoin 104 : Oui, oui.
Le Président : Et quelle
était son opinion à ce sujet ?
le témoin 104 : Son opinion,
je voyais qu’il était contre.
Le Président : Avez-vous
eu connaissance que Monsieur NTEZIMANA aurait fait des démarches en vue de faire
évacuer des collègues de l’université ?
le témoin 104 : Bon. Quand
il y a eu, au mois de… au moment que des gens de l’université quitte Butare,
c’étaient seulement des professeurs et des gens qui organisaient. Nous, qui
n’étions pas membres de l’université, mais on… on ne s’intéressait pas à nous.
On voyait que… une fois, on a voulu aller le demander, c’était vers le mois
de juin, c’est ce que je me rappelle, on a voulu que, il puisse nous évacuer.
Et puis, on nous a dit qu’on n’était pas sur la liste. Et on a fait de nos moyens
pour quitter Butare ; moi, avec les gens avec qui je vivais. Pour ce qui
est des listes qui… moi je n’en sais rien. Je ne sais pas qui… qui faisait,
qui ne faisait pas. Je n’en sais rien.
Le Président : Donc, vous
ne savez pas s’il a entrepris des démarches pour faire évacuer des professeurs
de l’université ?
le témoin 104 : Ca, je ne
sais pas.
Le Président : Y a-t-il des
questions à poser au témoin ?
Juge Assesseur : En parlant des
rondes de nuit, Monsieur, j’ai cru comprendre que vous parlez d’un autre professeur,
prénommé Vincent.
le témoin 104 : Non, c’est
Vincent NTEZIMANA.
Juge Assesseur : Uniquement de
Vincent NTEZIMANA ?
le témoin 104 : Oui, et
il y avait un autre professeur qui s’appelait Eugène.
Juge Assesseur : D’accord, alors
c’est bien clair.
Le Président : D’autres questions ?
Monsieur l’avocat général et puis peut-être Maître GILLET.
L’Avocat Général : Est-ce
que le témoin connaît le nommé Innocent NKUYUBWATSI ?
le témoin 104 : Oui, je
le connais.
L’Avocat Général : Est-ce
qu’il était souvent en compagnie de Monsieur NTEZIMANA, parce qu’il logeait
chez Monsieur NTEZIMANA.
le témoin 104 : Oui, il
logeait chez NTEZIMANA. Il logeait chez Vincent.
Le Président : Est-ce qu’il
y avait… Est-ce vous connaissez le nom des autres personnes qui logeaient chez
NTEZIMANA à l’époque ?
le témoin 104 : Oui, j’en
connais deux. Il y avait le témoin 105 et le témoin 142.
Le Président : Est-ce qu’il
n’y avait pas aussi un professeur prénommé Aster ?
le témoin 104 : Il y avait
plusieurs gens qui logeaient chez lui, mais moi, les deux personnes que je connaissais,
FASTE Roger et Jean-Marie, et le Monsieur-là qu’on a parlé, je l’ai vu parce
qu’il était chaque fois en mouvement. Je me demandais ce que… les autres professeurs...
Le Président : Professeur
Aster RUTIBABALIRA.
le témoin 104 : Je ne
le connais pas. Je ne vois pas exactement qui c’est.
Le Président : Est-ce que
vous avez entendu parler du meurtre de deux jeunes filles qui logeaient chez
Monsieur NTEZIMANA ?
le témoin 104 : Oui, oui.
Le Président : Qu’est-ce
qu’on disait à propos de ces jeunes filles ?
le témoin 104 : Quand…
c’est… je crois... Moi je me rappelle qu’il avait une… qu’il y avait deux jeunes
filles qui logeaient chez Vincent. Il y a une qui a été tuée, et, le lendemain
de sa mort, Vincent est venu dire que je devais me méfier d’un jeune garçon
qui avait tué ces deux jeunes filles… qui avait tué une fille qui habitait chez
lui.
Le Président : Et de quel
jeune homme est-ce qu’il fallait ce méfier ?
le témoin 104 : C’est
de NKUYUBWATSI Innocent. C’est Innocent. Vincent, il est venu nous avertir.
Il nous a dit qu’il fallait qu’on se méfie de ce Monsieur, parce qu’il était
un tueur. Il me l’a dit. Je me rappelle bien de ça.
Le Président : Est-ce que
vous savez quelque chose du meurtre du professeur KARENZI et de la famille du
professeur KARENZI ?
le témoin 104 : La mort
de Monsieur KARENZI, je dirais que c’est… je me rappelle que c’est la première
personne qui a été tuée dans notre quartier, dans le quartier où je logeais.
Quand… quand KARENZI a été tué, Monsieur… je logeais avec Monsieur Bosco, il
était allé en ville, il est venu nous avertir qu’on venait de tuer KARENZI.
C’était dans le courant d’une après-midi. Le jour exact, je ne me rappelle pas.
Le Président : C’est Jean-Bosco
le témoin 150 ?
le témoin 104 : C’est
Jean-Bosco SEMINEGA.
Le Président : C’est lui
qui vous a averti de la mort du professeur KARENZI ?
le témoin 104 : Oui, oui.
Le Président : Est-ce qu’à
ce moment-là, Monsieur NTEZIMANA se trouvait dans la maison où vous vous trouviez
vous-même ?
le témoin 104 : Oui, oui.
C’était dans… il était avec nous depuis, disons, dans l’avant-midi. On était
là, en train de jouer aux cartes, aux différents jeux. Parce que, quand je suis
arrivé à Butare, on avait instauré un couvre-feu à partir de 15 heures jusqu’à
midi. On devait bouger entre midi et 15 heures. Et puis, durant toute l’après-midi,
on devait rester. Durant… à part ça, on devait rester dans nos quartiers. La
plupart du temps, Vincent était chez nous, avec d’autres amis, et puis, il y
avait plusieurs jeux là où je logeais. On restait là.
Le Président : Et donc, depuis
la matinée, jusque dans l’après-midi, Vincent NTEZIMANA se trouvait avec vous… ?
le témoin 104 : Oui, oui.
Le Président : …dans cette
maison, où habitait aussi Jean-Bosco SEMINEGA ?
le témoin 104 : Oui, il
est resté avec nous.
Le Président : C’est à ce
moment-là qu’il a appris, comme vous alors, la mort du professeur KARENZI ?
le témoin 104 : Oui, oui.
Le Président : En même temps
que vous ?
le témoin 104 : Oui. C’est
Monsieur Bosco qui nous a dit ça.
Le Président : La maison
du professeur KARENZI, elle était loin de la maison dans laquelle vous logiez ?
le témoin 104 : Non, elle
n’était pas loin. Elle était dans… à moins… disons à 500 mètres, je crois.
Le Président : 700 mètres ?
le témoin 104 : 500 ou
700, ne sais pas, ce n’était pas loin en tout cas.
Le Président : Est-ce que,
dans le courant de l’après-midi, où vous avez appris la mort du professeur KARENZI,
vous avez éventuellement entendu dans votre quartier, des coups de feu ?
le témoin 104 : Les coups
de feu, on les entendait un peu à gauche, à droite. Mais, dans le quartier,
pas exactement, dans le quartier où on était.
Le Président : Vous n’avez
pas entendu des coups de feu, par exemple, provenant de la maison du professeur
KARENZI ?
le témoin 104 : Non, non,
ça je ne me rappelle pas. Il y avait des coups de feu à gauche, à… un peu partout,
quel endroit exactement, ça je ne peux pas dire, parce que quand ça a commencé,
on entendait des coups de feu à gauche, à droite.
Le Président : Bien. Quand
vous avez appris, en même temps que Vincent NTEZIMANA, la mort du professeur
KARENZI par, c’est Jean-Bosco qui vous a dit ça ?
le témoin 104 : C’est
Jean-Bosco qui nous a dit ça.
Le Président : Quelle a été
la réaction de Vincent NTEZIMANA ?
le témoin 104 : Ah, sa réaction…
Quand on a appris ça, directement on a eu, moi, personnellement, j’ai
eu peur, parce que je me suis dit que, maintenant, les tueurs arrivent dans
notre quartier. Dire sa réaction… Tout le monde a été étonné. On a commencé
à dire que ça allait mal tourner maintenant, à ce moment-là. Dire sa réaction
exactement… On a dit que… ou on a discuté entre nous en disant que ça allait
mal tourner à ce moment-là dans le quartier, parce qu’avant, quand… dans cette
période-là, quand les tueries comm… quand il y avait quelqu’un qui commençait
à tuer dans un quartier, directement, tout le monde commence à dire : « Bon »,
on ne savait pas qui allait suivre. Chaque fois, ça faisait peur. C’est ce que…
c ’est ce que j’ai ressenti. Et lui…
Le Président : Et lui...
le témoin 104 : Directement,
on a discuté entre nous. On a dit : « Mais, qu’est-ce qu’on doit faire
maintenant ? ». Lui aussi, il me semble qu’il a dit que c’était pas
possible, qu’on commence à aller tuer des gens.
Le Président : Y a-t-il d’autres
questions à poser au témoin ?
Non Identifié : Aviez-vous le
téléphone dans cette maison ?
le témoin 104 : Oui, oui.
Non Identifié : Vincent NTEZIMANA
a-t-il reçu un appel téléphonique pendant que vous jouiez aux cartes ?
le témoin 104 : Non.
Le Président : Maître HIRSCH.
Me. HIRSCH : Merci, Monsieur le
président. Si je comprends bien, le témoin se trouvait donc chez Madame VAN
CUTSEM… ?
le témoin 104 : Oui, oui.
Me. HIRSCH : …et se trouvait avec
Monsieur NTEZIMANA quand il a appris la mort du professeur KARENZI ? Je
suppose donc que Monsieur Jean-Bosco SEMINEGA était à l’extérieur de la maison ?
le témoin 104 : Oui, il
était à l’extérieur. Il était allé en ville.
Me. HIRSCH : C’est ça. Donc, vous
étiez seul avec Monsieur NTEZIMANA ?
le témoin 104 : Non, j’étais
avec Joseph RWASIBO.
Me. HIRSCH : Avec ?
le témoin 104 : Monsieur
Joseph RWASIBO. Joseph. Il y avait Vianney… On était avec encore...
Me. HIRSCH : Avec qui ?
le témoin 104 : Là, dans
la maison où on était, il y avait plusieurs familles qui étaient là.
Me. HIRSCH : Oui ?
le témoin 104 : Il y avait
la famille d’ ITANGAYENDA était là.
Me. HIRSCH : Non, non, le matin,
là.
le témoin 104 : Je dis
le matin même, quand, dans la maison où je logeais, on était plusieurs dedans.
Il y avait moi, Bosco, Joseph RWASIBO, il y avait aussi Jean-Marie Vianney.
Me. HIRSCH : Vianney était chez
vous, oui. Qui encore ?
le témoin 104 : Il y avait
celle de ITANGA qui logeait là-bas.
Me. HIRSCH : La sœur ?
le témoin 104 : La sœur.
Il y avait aussi deux jeunes filles, que je me rappelle pas bien le nom, que
j’ai trouvées là-bas. Et encore un autre Monsieur. Mais quand Bosco m’a… nous
a dit ça...
Me. HIRSCH : Excusez-moi, mais
je n’ai pas bien compris les deux jeunes filles… ?
le témoin 104 : Il y avait
deux jeunes filles qui logeaient, que j’ai trouvées là-bas, que je me rappelle
pas bien leur nom. Là, chez…
Me. HIRSCH : Chez Madame le témoin 143 ?
le témoin 104 : Oui, oui…
Me. HIRSCH : Mais, le 21 avril,
quand vous êtes en train de jouer aux cartes avec Monsieur NTEZIMANA…
Le Président : Je vous rappelle
que vous passez par mon intermédiaire.
Me. HIRSCH : Oui, mais, Monsieur
le président, je m’excuse. Ce jour-là, avant l’arrivée de Monsieur Jean-Bosco,
avec qui le témoin se trouve-t-il exactement et à quelle heure apprend-il la
mort de Monsieur KARENZI ?
Le Président : L’après-midi,
le 21 avril, à quelle heure apprenez-vous par Jean-Bosco SEMINEGA, la mort du
professeur KARENZI ?
le témoin 104 : L’heure
exacte, je ne peux pas la dire. Je crois que c’était vers 15 heures, entre 15
heures et 4 heures.
Le Président : Entre 15 et
16 heures ?
le témoin 104 : Oui, je
crois bien.
Le Président : Qui se trouve
dans la maison de Madame le témoin 143 quand vous apprenez ça ? Il y a vous,
puisque vous l’apprenez. Vous avez dit que Vincent NTEZIMANA était là.
le témoin 104 : Vincent
était présent et je me rappelle bien qu’à ce moment-là, j’étais aussi et Joseph
RWASIBO était là. Joseph RWASIBO.
Le Président : Joseph RWASIBO.
Oui ?
le témoin 104 : Et Vianney
et ITANGA. Il y avait d’autres qui étaient à gauche, à droite dans la maison,
mais Joseph et Vianney et Vincent, ça, je me rappelle qu’on était ensemble quand
Bosco nous a dit ça.
Le Président : Dans la même
pièce…
le témoin 104 : Dans la même pièce.
Le Président : …en train
de jouer aux cartes, ou à…
le témoin 104 : Oui.
Le Président : C’est ça.
Me. HIRSCH : Petite question encore,
Monsieur le président. Est-ce que… donc, le témoin ne se rappelle pas de la
réaction précise de Monsieur NTEZIMANA, mais se souvient-il combien de temps
Monsieur NTEZIMANA est encore resté après le coup de téléphone… euh, pardon !
Pas le coup de téléphone. Après qu’il eut appris la mort de Monsieur KARENZI.
Le Président : Donc, vous
apprenez la mort de Monsieur KARENZI entre 15 et 16 heures. Est-ce que Monsieur
NTEZIMANA est encore resté là, dans la maison de Madame le témoin 143 longtemps ?
le témoin 104 : Quand
Bosco nous a dit ça, on a commencé à discuter des problèmes qui… qui devaient
arriver dans le quartier. Et puis, une heure après, on est allé dans la rue
se promener pour voir, mais pas loin de chez nous, on est resté là, dans la
rue pour voir ce qui se passe. Quand il y a quelque chose qui arrive, on est
allé là. On est allé vers… Disons qu’on s’est séparé à 5h-5h30 comme ça, quand
il commençait à faire noir. On est resté là, dans la rue.
Le Président : Et à ce moment-là,
vers 5 heures 5h et demie, 6 heures, au moment où le soir commence à tomber,
Monsieur NTEZIMANA vous a quittés ?
le témoin 104 : Lui, il
nous a quittés.
Le Président : Il est rentré
chez lui ?
le témoin 104 : Je crois
bien. Parce qu’on était en face. On habitait… on traversait la rue pour aller
chez lui.
Le Président : Oui ?
Me. NKUBANYI : Monsieur le président,
le témoin nous a dit que, quand NKUYUBWATSI a tué une jeune fille, Vincent leur
a dit qu’il faut se méfier de ce Monsieur-là. Est-ce que Vincent, lui-même,
se méfiait d’Innocent NKUYUBWATSI, parce qu’avant il se promenait avec lui.
Est-ce que, par après, d’après vos constatations, est-ce qu’il s’est méfié de
NKUYUBWATSI ?
Le Président : Est-ce que
donc vous avez pu constater que, après la mort de la jeune fille qui logeait
chez NTEZIMANA, est-ce que vous avez constaté que l’attitude de Vincent NTEZIMANA
changeait par rapport à Innocent NKUYUBWATSI. Il sortait plus si souvent avec
lui ?
le témoin 104 : Oui, l’attitude
a changé, mais ce que je sais c’est que, quand il nous a dit ça, je voyais que
Vincent avait peur de ce monsieur et qu’il n’avait pas… je me rappelle que je
lui ai demandé, je lui demandé pourquoi il ne pouvait pas se débarrasser de
lui, le chasser. Mais chasser quelqu’un qui arrivait chez toi, qui… ces gens-là
qui tuaient, à cette période-là… quand ils entraient chez toi, ils devenaient
presque plus… plus importants que même toi, dans ta maison. Mais j’ai constaté
qu’il avait peur de ce monsieur, aussi. Il m’a dit ça.
Le Président : Un instant,
Maître. Oui, oui, non, celui qui a le micro.
Me. NKUBANYI : Est-ce que le témoin
connaît une réputation particulière du capitaine NIZEYIMANA dans Butare comme
quelqu’un ayant participé…?
Le Président : Non. La réputation.
Me. NKUBANYI : Oui, la réputation.
Excusez-moi.
Le Président : Est-ce que
vous connaissez la réputation du capitaine NIZEYIMANA dans Butare ?
le témoin 104 : Oui, oui.
Le Président : Et c’était
quoi ? Il avait quelle réputation ?
le témoin 104 : Quand
j’étais à Butare, il y avait ce capitaine-là et les Interahamwe qui étaient
venus de Kigali, qui logeaient à l’hôtel Ibis. Moi, personnellement, je voyais
que, je suis convaincu que c’étaient eux qui organisaient des tueries dans la
région à Butare. Parce qu’il avait, le président le témoin 32 était venu, avait
réquisitionné l’hôtel Ibis. Et tous les malheurs… on voyait que tous les gens
tuaient à gauche, à droite, se réunissaient à l’hôtel Ibis. Ca, je l’ai constaté.
Le Président : Est-ce que,
par exemple, Innocent NKUYUBWATSI allait à l’hôtel Ibis ?
le témoin 104 : Oui, oui.
Il allait là-bas.
Me. NKUBANYI : Dernière question,
Monsieur le président. Est-ce que les visites de capitaine NIZEYIMANA chez Vincent
vous paraissaient normales, connaissant la réputation du capitaine ?
le témoin 104 : Moi, au
début, quand je voyais des militaires chez Vincent, j’avais une méfiance personnelle.
Et je me rappelle, une fois, j’ai vu qu’il y avait un monsieur, qui s’appelle
le témoin 142, qui logeait chez Vincent. Une fois, il est parti dans une
jeep. Je me suis dit qu’on l’emmenait pour tuer, je ne sais pas quoi. Et puis,
quand il est revenu, je lui ai demandé, moi, personnellement, où il était allé
avec ces militaires. Il m’a dit qu’il allait donner de l’essence. Monsieur Jean-Marie
le témoin 142 travaillait au Petrorwanda. Et les militaires qui venaient, ils venaient
le prendre pour aller donner de l’essence, c’est ce qu’il nous a dit. Au début,
quand il était parti avec eux, j’ai cru que c’était son dernier jour. Mais après,
il m’a dit que c’était, qu’on venait le prendre pour aller distribuer l’essence.
Le Président : Oui, Maître
Clément de CLETY, et puis Maître HIRSCH.
Me. de CLETY : Je vous remercie,
Monsieur le président. Auriez-vous l’amabilité de poser au témoin la question
suivante ? Il nous a exposé la peur de Monsieur NTEZIMANA par rapport à
Monsieur NKUYUBWATSI. Mais n’est-il pas de tradition de la culture rwandaise
qu’un jeune homme comme Monsieur Innocent NKUYUBWATSI, respecte l’autorité d’un
professeur d’université qui est son aîné et qui, de surcroît, l’héberge ?
Le Président : Alors, est-ce
que la crainte de Monsieur NTEZIMANA était, au fond, anormale, parce que, tout
d’abord, dans une relation sociale normale, est-ce que ce n’est pas Innocent
NKUYUBWATSI qui aurait dû obéir à Vincent NTEZIMANA ?
le témoin 104 : Ce que
vous dites est vrai, en temps normal. Depuis 94, rien n’allait pas comme normalement.
Tu allais dans la rue, tu voyais un petit voyou, un petit rien du tout, il t’arrêtait.
Il te faisait ce qu’il voulait, parce qu’il était armé.
Le Président : Est-ce que
Monsieur NKUYUBWATSI était armé ? Est-ce qu’il avait une arme ? Est-ce
que vous l’avez vu avec un fusil, par exemple, ou avec une machette ou avec
autre chose ?
le témoin 104 : Une fois,
je l’ai vu avec des grenades suspendues sur lui comme ça. Et il était habillé
la plupart du temps en tenue militaire. Au début, moi, je croyais que c’était
un militaire, mais à la fin on m’a dit… il y a des gens qui m’ont dit qu’il
était peut-être un réserviste ou bien je ne sais pas quoi. Mais au début, il
était habillé toujours en militaire, la plupart du temps.
Le Président : Maître HIRSCH.
Me. HIRSCH : Merci, Monsieur le
président, pourriez-vous poser la question au témoin de savoir si, pendant cette
heure qu’il a passée dans la rue l’après-midi du 21 avril 1994, il aurait rencontré
Monsieur Bernard…
Le Président : …le témoin 93.
Me. HIRSCH : Exactement, Monsieur
le président.
Le Président : Donc, le 21
avril dans l’après-midi, vous apprenez la mort du professeur KARENZI, vous expliquez
qu’à un moment donné, vous êtes sorti de la maison avec Vincent, avec les autres,
vous êtes restés pendant un temps dans la rue. Avez-vous vu, à un moment donné,
passer dans la rue, le docteur le témoin 93 ?
le témoin 104 : Bon, je
ne peux pas dire exactement si c’est le 21 ou bien le 22, mais moi, au moins
chaque jour, je le voyais régulièrement, parce qu’il était dans le quartier.
Ce professeur-là, il passait régulièrement à gauche, à droite. Dire que… je
crois que… chaque jour, je le voyais. Je n’ai pas dit si c’est exactement le
21 que je l’ai vu ou non, je le voyais plusieurs fois, au moins trois ou quatre
fois, passer à gauche et à droite.
Me. HIRSCH : Je dis ça, Monsieur
le président, parce que le docteur Bernard MUTUEWINGABO le dit, qu’il était
dans la rue, aux environs de cette heure-là. Et est-ce qu’à ce moment-là, puisque
tous ces gens sont voisins, le professeur KARENZI est voisin de Madame le témoin 143
et voisin du témoin 93, est-ce que, pendant cette heure ou ce moment
qu’ils ont passé dans la rue, ils ont poussé jusqu’à la maison de KARENZI ?
Le Président : Est-ce que
vous êtes allé voir, vous, ou d’autres de votre groupe, jusqu’à la maison du
professeur KARENZI ?
le témoin 104 : Le jour
même où on a appris la mort de KARENZI… on n’est pas allé jusque là.
Le Président : Vous pouvez
expliquer pourquoi vous n’êtes pas allés jusque là ?
le témoin 104 : Moi… je me rap…
Dans cette période-là,
quand on disait qu’on avait tué quelqu’un que tu connais, ou bien, quand
on disait qu’on venait de tuer quelqu’un, la première réaction que tu avais,
c’est de ne pas aller dans cet endroit-là, parce ce que tu peux y laisser aussi
ta peau. En général, on y allait quand les autorités disaient : « Bon,
maintenant on va ramasser des cadavres ou quoi ». Mais, quand on disait
qu’on venait de tuer chez quelqu’un, même si c’est ton voisin, la première réaction
qu’on faisait, c’était de rester chez toi, d’aller, de ne pas aller à cet endroit-là
le jour même. Parce que, la plupart du temps, les gens qui venaient tuer, ils
pillaient après. Et si par malheur, ils te trouvent là-bas, tu risques d’être
même agressé. C’est la réaction qu’en général on faisait.
Le Président : D’autres questions ?
Pardon, excusez-moi. Plus de questions ? Je crois qu’il va falloir instaurer
un système où on va laisser les GSM à l’extérieur, hein. Ou les saisir !
Oui, bien. Les parties sont-elles d’accord pour que le témoin se retire ?
Monsieur le témoin, est-ce bien des accusés ici présents dont vous avez voulu
parler, le sens de cette question est : confirmez-vous vos déclarations,
persistez-vous dans les déclarations que vous venez de faire ?
le témoin 104 : Oui, oui.
Le Président : Bien, la Cour
vous remercie. Vous pouvez disposer, Monsieur, librement de votre temps.
le témoin 104 : merci.
Le Président : Alors, j’avais
dit : « A midi, on arrête », il est 12h05. Donc, Monsieur le témoin 105,
est encore présent, mais, Monsieur l’huissier, vous signalerez à Monsieur le témoin 105
qu’il sera re-convoqué à une autre date. Il recevra un avis l’invitant à comparaître
à une autre date. C’est le seul qui soit encore présent. Donc, Monsieur le témoin 105
sera avisé par la police communale, ou locale, du moment où il doit se représenter,
qui sera fonction d’un nouvel horaire à établir pour les jours qui viennent.
Par contre, dans les personnes convoquées ce matin, ne se sont pas
présentés, si je comprends bien, Monsieur le témoin 34, Monsieur
le témoin 63 Anastase, Monsieur NSHIMYIUMUKIZA Prosper et Monsieur le témoin 140.
Les parties renoncent-elles aux auditions de ces témoins qui ne se sont pas
présentés ? Je peux vous dire qu’en ce qui concerne Monsieur HATEGEKIMANA,
il y a une audition au dossier ; en ce qui concerne le témoin 63 Anastase,
il y en a une aussi. Et le témoin 105, on lui a demandé de revenir. Monsieur NSHIMYIUMUKIZA,
il y a une audition au dossier. Et pour UWIMANA, il y a aussi une audition au
dossier. Alors, les parties, renoncent-elles à l’audition des témoins non présents
ce matin ? C’est le cas. Eh bien, presque à l’heure prévue, l’audience
est suspendue et elle reprendra cet après-midi à 13h30. |