6.3.30. Auditions des témoins: le témoin 108
Le Président : Bien. Monsieur
le témoin 108.
Monsieur, quels sont vos nom et prénom ?
le témoin 108 : Je m’appelle
le témoin 108.
Le Président : le témoin 108
ou le témoin 108 ?
le témoin 108 : RI.
Le Président : Bien. Quel
âge avez-vous ?
le témoin 108 : 61 ans.
Le Président : Quelle est
votre profession ?
le témoin 108 : Educateur.
Le Président : Quelle est
votre commune de domicile ?
le témoin 108 : Actuellement,
j’habite à Anvers.
Le Président : Connaissiez-vous
les accusés ou certains des accusés avant le mois d'avril 1994 ?
le témoin 108 : Certains.
Pas tous.
Le Président : Qui connaissiez-vous ?
le témoin 108 : HIGANIRO et
NTEZIMANA
Le Président : HIGANIRO et
NTEZIMANA. Etes-vous de la famille des accusés ?
le témoin 108 : Non.
Le Président : Ou des parties
civiles ? Famille des parties civiles ?
le témoin 108 : Non.
Le Président : Vous ne travaillez
pas non plus, sous un lien de contrat de travail, pour les accusés ou pour les
parties civiles ?
le témoin 108 : Non.
Le Président : Je vais vous
demander, alors Monsieur, de bien vouloir lever la main droite… levez la main
droite, et de prêter le serment de témoin.
le témoin 108 : Je jure de
parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie.
Vous pouvez vous asseoir, Monsieur.
Personnellement, Monsieur, je n’ai pas trouvé de déclaration de votre
part dans le dossier d’instruction préparatoire. Vous avez dit que vous connaissiez
Monsieur NTEZIMANA et Monsieur HIGANIRO avant le mois d’avril 1994. Pouvez-vous
me dire dans quelles circonstances vous avez fait la connaissance de Monsieur
NTEZIMANA ?
le témoin 108 : NTEZIMANA
était enseignant à l’université, au campus de Butare, université dont j’étais
recteur. Et je l’ai vu pour la première fois quand je présidais un organe de
l’université appelé « Commission des titres » qui étudie les dossiers
des professeurs pour faire des propositions au Conseil universitaire, des propositions
de promotion du personnel académique.
Le Président : Et Monsieur
HIGANIRO ?
le témoin 108 : HIGANIRO,
je… j’ai travaillé avec lui en 1981 quand le ministère de l’éducation nationale
du Rwanda a été scindé en deux ministères et un des deux ministères m’a été
confié, à savoir le ministère de l’enseignement supérieur, la recherche scientifique
et de la culture. Et HIGANIRO était mon secrétaire général à ce moment-là.
Le Président : Vous vous
trouviez à Butare en avril 94 ?
le témoin 108 : Oui.
Le Président : Vous avez
connu les événements là-bas, alors ?
le témoin 108 : En fait, je…
j’étais à Butare, oui.
Le Président : Oui. Avez-vous
éventuellement connaissance de l’implication que pourrait avoir Monsieur Vincent
NTEZIMANA dans des meurtres de professeurs de l’université ?
le témoin 108 : Non. Il dépendait
du campus de Butare. L’université nationale du Rwanda était divisée en deux
campus.
Le Président : Et vous-même,
vous étiez sur quel campus, à ce moment-là ?
le témoin 108 : Moi, j’étais
au rectorat. Le rectorat était situé hors des deux campus. Un campus était au
Nord à Ruhengeri et un autre à Butare. Le rectorat était à Butare mais hors
du campus.
Le Président : En qualité
de recteur de l’université nationale, saviez-vous que Monsieur Vincent NTEZIMANA
était le président de… d’une association qui s’appelait l’APARU?
le témoin 108 : Oui. C’est
à ce titre-là qu’il siégeait à la Commission des titres.
Le Président : Il semble,
par exemple, que Monsieur Vincent NTEZIMANA ait fait des démarches auprès du
vice-recteur en vue de… d’envisager la possibilité pour certains professeurs
de quitter Butare et de manière à ce que l’université organise ces départs de
professeurs et de leur famille. Avez-vous connaissance de ces démarches ?
le témoin 108 : Non.
Le Président : Etait-ce normal
qu’il s’adresse au vice-recteur plutôt qu’au recteur ?
le témoin 108 : Oui. Oui.
Puisque les campus travaillaient presque indépendamment du rectorat, en certaines
matières. Notamment la gestion quotidienne du campus.
Le Président : Bien. Donc
vous n’avez pas été tenu au courant de démarches en vue de… de faire partir
certains professeurs ?
le témoin 108 : Non. Non.
Non.
Le Président : Ou d’aider
en tout cas à la fuite de certains professeurs et de leurs familles ?
le témoin 108 : Non, je n’ai
pas été saisi.
Le Président : Dans les relations
que vous avez pu avoir sur le plan professionnel ou dans, dans cette Commission
des titres là, avec Monsieur Vincent NTEZIMANA, ces quelques moments de relations
vous permettent-ils de décrire brièvement la personnalité de Monsieur NTEZIMANA ?
le témoin 108 : Euh… en réalité,
il était nouvellement nommé. Je crois que je n’ai pu travaillé avec lui dans
le cadre de la Commission des titres que, je crois, une ou deux fois. En 1993.
Le Président : Trop peu que
pour pouvoir donner une appréciation sur sa personnalité ?
le témoin 108 : Trop peu.
Le Président : Par contre,
de votre ancien secrétaire général, que pouvez-vous dire sur le plan de la personnalité ?
le témoin 108 : Oh, avec lui,
j’ai, j’ai fait une année. Euh… quand j’étais ministre et qu’il était secrétaire
général. Ce que je sais, c’est que c’est un… un homme raisonnable. Collaborateur.
En tant que collaborateur, j’ai été satisfait par ses services. Et c’est un
travailleur puisque c’est avec lui que nous avons mis en place un nouveau ministère.
C’est avec lui que j’ai cherché les personnes à proposer au Conseil universitaire
pour nomination dans l’organigramme. Nous avions notamment trois directions
générales. Et j’ai personnellement cherché deux, je lui ai demandé de m’en chercher
un troisième et j’ai été satisfait par le rendement de son travail pendant le
temps que j’ai été avec lui.
Le Président : Dans le temps,
à propos justement de son travail, était-ce quelqu’un qui était plus absorbé
par les aspects techniques des choses ou plus absorbé par les aspects politiques
du travail ?
le témoin 108 : L’aspect politique
était du domaine du ministre. Et lui, c’était un haut fonctionnaire, donc un
technicien. A mon avis, je n’ai jamais eu à me plaindre du fait que il allait
au-delà de ses attributions.
Le Président : Il ne donnait
pas de conseil au ministre sur le plan politique ?
le témoin 108 : Quand je les
lui demandais.
Le Président : Bien. Y a-t-il
des questions à poser au témoin ?
Me. EVRARD : Merci, Monsieur
le président.
Le Président : Oui, Maître
EVRARD, je vous en prie
Me. EVRARD : Le secrétaire
général du ministère, dont le témoin a été ministre, aurait-il eu la possibilité
de faire exclure ou d’influer sur la politique de recrutement des fonctionnaires
pour des raisons régionalistes ou ethnistes ? Est-ce que cette compétence
n’appartiendrait pas plutôt au ministre de la fonction publique ?
Le Président : Vous avez
entendu la question ?
le témoin 108 : Oui, je l’ai
entendue et je… je crois avoir compris le sens de sa question. A savoir si mon
collaborateur a fait montre de régionalisme.
Le Président : Et en avait-il
la possibilité, même fonctionnelle, hein ? Est-ce que ça entrait dans ses attributions
de…
le témoin 108 : Non. Non,
mais là où la personne qui vient de poser la question, à mon avis, ne cadre
pas avec la réalité, c’est quand il introduit le ministre de la fonction publique
au niveau du recrutement. Le recrutement était fait au Conseil universitaire,
mais chaque ministre faisait des propositions au Conseil universitaire et la
fonction publique n’intervenait que pour gérer les dossiers d’avancement, etc.
Mais quant à HIGANIRO, il n’était pas du tout dans ses attributions de faire
quoi que ce soit en dehors du ministre qui appliquait la politique du gouvernement.
Vous n’êtes pas sans savoir que, au Rwanda, il y a eu un thème d’équilibre régional
et ethnique. Si ce principe a été appliqué par un gouvernement, ça n’appartient
pas du tout, ce n’est pas du ressort d’un fonctionnaire, fut-il secrétaire général,
d’avoir à répondre de ce principe.
Le Président : Oui ?
Me. EVRARD : Monsieur le
président, vous avez indiqué tout à l’heure, vous avez posé au témoin la question
de savoir s’il émettait des opinions politiques. Le témoin, si j’ai bien compris,
a répondu qu’il le ferait éventuellement à la demande du ministre. Est-ce que…
il ne s’agit pas de faire le procès du ministre ici, mais le ministre a-t-il
eu une attitude régionaliste, qu’il aurait demandé de soit faire appliquer,
soit, euh… sur laquelle il aurait souhaité se faire conseiller par son secrétaire
général ?
Le Président : Oui.
le témoin 108 : Je peux répondre ?
Le Président : Bien sûr.
le témoin 108 : Attitude régionaliste,
par cette expression, j’entends une attitude contraire à ce que euh… j’explique :
le fait qu’il existait un principe d’équilibre ethnique et régional. Ça voulait
dire que pour le cas qui me concerne, pour un nouveau ministère, il fallait
que dans l’organigramme, le ministre propose des gens en tenant compte de ce
principe. C’est-à-dire qu’il y ait des Hutu, des Tutsi ou des Twa quand
on pouvait en avoir qui avaient la formation cadrant avec le profil de la fonction
à occuper.
Le Président : Donc, il…
aurait-il pu, Monsieur HIGANIRO, être amené à appliquer les décisions du ministre ?
le témoin 108 : Non, HIGANIRO,
je crois que pour être concret, je ne le traiterais pas du tout de régionaliste,
dans ce sens que quand j’ai proposé des noms parmi lesquels il y avait des Tutsi,
ou des gens qu’on appelait « Abanyenduga », des gens qui ne sont pas
de sa région, il ne s’y est pas opposé, il ne m’a fait aucun problème.
Le Président : Donc, il a
toujours exécuté ce que vous lui demandiez ? A supposer, maintenant, que
des nominations ou des promotions aient été vues de l’extérieur comme étant
régionalistes, ce n’était pas, si je comprends bien, du fait de Monsieur HIGANIRO…
le témoin 108 : Non, c’est
moi.
Le Président : Mais de votre
fait à vous ?
le témoin 108 : De moi.
Le Président : Si votre politique
était mal perçue…
le témoin 108 : Oui, de moi
et du gouvernement auquel je faisais partie. Donc, si le gouvernement avait
adopté le principe d’équilibre régional et ethnique et que les membres du gouvernement
et les techniciens l’appliquaient, ce n’est pas à un technicien à euh… le reprocher.
Le Président : Bien.
le témoin 108 : Mais pour
le cas d’espèce, je… je confirme que je ne l’ai jamais considéré comme un régionaliste
dans le sens négatif.
Le Président : Une autre
question ?
Me. EVRARD : Je vous remercie,
Monsieur le président. Concernant maintenant Butare. Le témoin était recteur
de l’université nationale alors que Monsieur HIGANIRO était le directeur général
de la SORWAL. Peut-on demander au témoin quelles relations éventuelles il avait
avec lui ? Ensuite, il était également membre du parti MRND dans la préfecture
de Butare et à ce titre, le témoin peut-il nous dire si Monsieur HIGANIRO participait
à des meetings ou des manifestations politiques publiques dans la ville de Butare ?
le témoin 108 : Je peux ?
Le Président : Avez-vous…
oui, donc premier volet de la question : lorsque Monsieur HIGANIRO est
arrivé à Butare comme directeur de la SORWAL, vous étiez, à l’époque, recteur
de l’université. Avez-vous entretenu avec lui des relations d’amitié, de… professionnelles
ou autres ?
le témoin 108 : Non, sur le
plan professionnel, l’université n’avait pas de relation verticale ou horizontale
avec la SORWAL, j’entends que HIGANIRO n’avait pas à répondre devant l’université,
au niveau de l’université, n’avait pas à répondre à la SORWAL, l’université
n’était pas un client particulier de la SORWAL étant donné le produit que la
SORWAL produisait, donc je dirais que sur le plan professionnel, il n’y avait
pas de relations.
Sur le plan social, ça faisait quand même une bonne dizaine d’années
de distance et après avoir fait des parcours, chacun en ce qui le concerne,
qui nous amenaient à être l’un distant de l’autre. Mais quand il venait à Butare,
à l’une ou l’autre occasion, on s’est… on s’est salué mais on… on n’habitait
pas l’un à côté de l’autre et… il n’y avait pas de relation particulière de
dire que chaque fois, on pouvait me voir chez lui ou lui chez moi.
Le Président : Et alors.
L’avocat a affirmé que vous étiez membre du MRND de Butare ?
le témoin 108 : Cela est vrai.
Le Président : En qualité
de membre du MRND de Butare, avez-vous vu Monsieur HIGANIRO participer à des
manifestations publiques du MRND ?
le témoin 108 : Pour autant
que je sache, non.
Le Président : Participait-il
éventuellement à des manifestations plus limitées, à des réunions de Comité
préfectoral, enfin je ne sais pas comment le parti était structuré mais…
le témoin 108 : Non, au niveau
du… du Comité préfectoral, après le multipartisme, tous les chefs de service
étaient convoqués quand il y avait une réunion qui concerne, par exemple, un
problème de sécurité, le préfet prenait l’initiative d’inviter tous les chefs
de service. Et certainement à ce titre-là, HIGANIRO en tant que chef d’une usine
qui a sous ses ordres des employés, il était invité. Mais dans le cadre du Comité
préfectoral du MRND, donc du multipartisme, HIGANIRO n’en faisait pas partie.
Il n’avait aucun rôle politique dans le cadre du MRND à Butare.
Le Président : Vous-même,
vous aviez une fonction particulière dans le MRND de Butare ?
le témoin 108 : Oui, j’étais
membre du Comité préfectoral.
Le Président : Bien, en tant
que membre du Comité préfectoral du MRND du Butare, avez-vous jamais eu connaissance
de l’existence d’un comité, d’une commission, d’un groupement de fonctionnaires
ou de salariés de la région de Butare, affiliés au MRND ?
le témoin 108 : J’en ai entendu
parler et même, il m’a été dit que j’avais été pressenti pour y figurer. Mais
à ce que je sache, je n’ai participé à aucune des réunions de ce comité et j’ai
l’impression que le comité a été pris de court par la vitesse des événements
de manière qu’il n’a pas pu réellement fonctionner.
Le Président : En votre qualité
de membre du Comité préfectoral du MRND avez-vous reçu des suggestions
de cette espèce de comité ?
le témoin 108 : Non. Non,
puisque quand il… s’il y avait des suggestions à faire, on devait les transmettre
au bureau du Comité préfectoral. Donc, le Comité préfectoral était composé de
12 membres parmi lesquels, il y en avait 3, un président, un vice-président
et un trésorier qui, euh… qui dirigeaient, qui dirigeaient le comité. Donc s’ils
devaient faire des suggestions, ce n’était certainement pas à moi. Moi, je les
aurais apprises lors d’une réunion du Comité préfectoral, chose qui n’a pas
été réalisée, ou qui n’a pas pu être réalisée.
Le Président : Bien. Une
autre question ?
Me. EVRARD : Monsieur le président,
je souhaiterais que l’on pose au témoin la question de savoir comment un membre
de la structure du parti, tel que le témoin, voyait l’existence de comités,
de petits comités, en tout cas de réunion à caractère, certes où on parle de
politique, mais de réunion plutôt de nature privée. Est-ce que ça lui paraissait
euh… quelque chose de normal dans les circonstances de l’époque ou ça lui paraissait
éventuellement une forme de, éventuellement de dissidence ou de choses un peu
anormales par rapport aux structures du parti ?
Le Président : Alors, l’éclosion
de ces petits comités, je dirais, en dehors des structures habituelles du parti,
phénomène normal ? Phénomène anormal ?
le témoin 108 : Logiquement,
ce n’est pas normal. Logiquement, ce n’est pas normal. Si ces petits comités
travaillaient au nom d’un parti sans avoir été mandatés par le parti, c’est
anormal. Mais d’autre part, on ne peut pas empêcher l’initiative de gens qui
veulent se rencontrer, de se rencontrer pour réfléchir sur un problème. Pourvu
qu’ils précisent que c’est à leurs noms et à leurs risques et périls.
Le Président : Une autre
question ? Plus d’autre question ? Les parties sont-elles d’accord
pour que le témoin se retire ? Monsieur le témoin 108, est-ce bien des accusés
ici présents dont vous avez voulu parler ? Le sens profond de cette question
étant seulement de savoir si vous persistez dans les déclarations que vous venez
de faire ?
le témoin 108 : Je ne saisis
pas le sens de votre question, Monsieur le président.
Le Président : Alors je vais
la poser beaucoup plus simplement : confirmez-vous les déclarations que
vous avez faites?
le témoin 108 : Je les confirme.
Le Président : Je vous remercie.
La Cour vous remercie pour votre témoignage. Vous pouvez disposer librement
de votre temps.
le témoin 108 : Je vous remercie.
Le Président : Une petite
suspension ? L’audience est suspendue, on reprend à quatre heures moins
cinq ?
Oui, Monsieur le sixième juré, vous vouliez intervenir ?
Le 6e Juré : [inaudible]
Oui, on va essayer de faire ça. |