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6.3.12. Audition des témoins: le témoin 100 et commentaires
de Vincent NTEZIMANA
Le Président : Monsieur,
quels sont vos nom et prénom ?
le témoin 100 : Je m’appelle
le témoin 100.
Le Président : Quel âge avez-vous ?
le témoin 100 : J’ai 45 ans.
Le Président : Quel est votre
profession ?
le témoin 100 : J’ai exercé
plusieurs professions.
Le Président : Mais quelle
est votre profession actuelle ?
le témoin 100 : Je ne travaille
pas.
Le Président : Quelle est
votre commune de domicile ou de résidence ?
le témoin 100 : Je suis domicilié
à Pecq.
Le Président : Pecq. Connaissiez-vous
les accusés ou l’un ou l’autre des accusés avant les faits qui leur sont reprochés,
donc en gros, avant le mois d’avril 1994 ?
le témoin 100 : Oui, je connaissais
bien Vincent NTEZIMANA. Et puis Monsieur HIGANIRO, mais de… de vue.
Le Président : De vue uniquement.
Etes-vous de la famille des accusés ou de la famille des parties civiles ?
le témoin 100 : Non. Aucun des
deux
Le Président : Travaillez-vous,
êtes-vous sous un contrat d’emploi avec les accusés ou les parties civiles ?
le témoin 100 : Non, Monsieur
le président.
Le Président : Je vais vous
demander alors de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment
de témoin.
le témoin 100 : Je jure de parler
sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.
Le Président : Vous pouvez
vous asseoir. Monsieur le témoin 100, vous avez dit, il y a un instant, que vous
connaissiez Monsieur Vincent NTEZIMANA, Monsieur HIGANIRO de vue sans plus,
mais que vous connaissiez Vincent NTEZIMANA.
le témoin 100 : Oui, Monsieur
le président.
Le Président : Pouvez-vous
expliquer dans quelles circonstances vous avez fait sa connaissance ? A
quel endroit ? Est-ce au Rwanda ? Est-ce en Belgique ?
le témoin 100 : Voilà. La
commune de NTEZIMANA est très proche de la mienne. Je l’ai connu, la toute première
fois, on faisait la route ensemble vers le cours secondaire. Il allait à Gitarama,
moi, j’allais à Butare, au collège du Christ-Roi. La seconde fois, c’est qu’il
m’a rejoint ici. En 1980, je faisais mes études à l’université catholique de
Louvain, j’étais en première licence et lui, il venait de commencer sa première
année. Ensuite, on s’est revu au Rwanda en 1993, dans mon bureau, à Kigali.
Le Président : Comment est-ce
que vous décririez la personnalité de Monsieur NTEZIMANA ?
le témoin 100 : NTEZIMANA a
une qualité sur laquelle j’aimerais bien insister, c’est qu’il avait un franc
parler. Il parlait, tout ce qu’il voulait parler, il le disait, à l’aise… sans
esprit retors, il discutait, il était franc, voilà, dans ses propos.
Le Président : Que connaissiez-vous
des opinions politiques de Monsieur NTEZIMANA ?
le témoin 100 : NTEZIMANA est
venu me voir. J’étais conseiller économique au ministère de l’environnement
et du tourisme au Rwanda.
Le Président : J’aimerais
peut-être que vous me parliez déjà de ses opinions politiques…
le témoin 100 : Oui, c’est
cela…
Le Président : …avant ça,
quand vous étiez tous les deux en Belgique, est-ce qu’il avait, déjà à l’époque,
des opinions politiques ?
le témoin 100 : Non, à cette
époque-là, non, on ne parlait pas de politique dans les années 80. Non.
Le Président : Vous avez
quitté la Belgique pour retourner au Rwanda à quel moment ?
le témoin 100 : Le 1er février
1982.
Le Président : Ah oui. Donc,
vous n’avez pas connu le parcours de Monsieur NTEZIMANA en Belgique dans les
années 90 ?
le témoin 100 : Non, Monsieur
le président.
Le Président : D’accord.
le témoin 100 : Alors, il venait
de rentrer au Rwanda et alors, il m’a rejoint dans mon bureau à Kigali, je crois
que c’était septembre ou octobre 93, et il m’a dit : « Voilà, Michel,
nous voulons créer un parti politique. J’étais au MDR, mais comme tu es courant,
tous les partis sont divisés. Il y a des luttes intestines et il n’y a plus
de projet de société, il n’y a plus d’idéal démocratique. Ces gens-là, ces soi-disant
politiciens, luttent pour leurs intérêts individuels ». Alors, il m’a dit
qu’il voulait mettre en place un autre parti avec un projet de société qui tend
vers la démocratie. Alors, moi je lui ai dit que j’aimerais rester au sein de
mon parti, - j’étais membre du parti démocrate chrétien - et que j’adhérais
à ses idées et à cette époque-là, mon parti était encore uni. C’est à ce moment-là
qu’on a parlé, et on s’est parlé franchement. Il a respecté mes convictions
politiques et il est reparti.
Le Président : Est-ce qu’à
cette époque-là, le parti qu’il voulait créer ou qu’il venait de créer, est-ce
qu’il vous a exposé quels étaient ses objectifs ?
le témoin 100 : En fait, il
m’a dit que, quand il s’est engagé dans la politique, il voulait lutter pour
la démocratie et l’émancipation de la population la plus démunie, et que donc,
il voulait… il se battait pour le changement, pour la démocratie. Et que, comme
dans tous ces partis-là… il n’y avait que, ces partis étaient divisés et qu’ils
étaient minés par la corruption, par la… la lutte pour le pouvoir, qu’il ne
voulait plus faire partie, donc être membre de ces partis, qu’il voulait mettre
en place un autre parti qui répondrait à ses objectifs de démocrate.
Le Président : C’était un
parti qui ne voulait pas aller au pouvoir, celui-là ?
le témoin 100 : Pardon ?
Le Président : Ce parti qu’il
voulait créer, aurait-il été un parti qui ne voulait pas aller au pouvoir ?
le témoin 100 : Pas du tout.
Quand on crée un parti, normalement c’est pour participer au pouvoir, et participer
au pouvoir, ça veut dire, justement, mettre en pratique son projet de société.
Le Président : Et vous a-t-il,
à cette occasion-là, parlé de ce qu’il pensait des accords d’Arusha ?
le témoin 100 : Non, on n’a
pas abordé ce sujet.
Le Président : Vous a-t-il
parlé de ce qu’il pensait du FPR ?
le témoin 100 : Non. Non, pas
du tout. Disons, moi, au Rwanda, on parlait de ce qui se passait ici, des associations
des étudiants, et… alors, je crois, à une occasion, je crois que j’ai lu des
communiqués, là, où effectivement, ils condamnaient les idées bellicistes du
FPR, et ça rejoignait ma conviction aussi c’était… que le FPR effectivement…
moi, je croyais que le FPR était pour la démocratie, mais que… il pouvait justement
s’écarter de cette visée belliqueuse pour se battre pour la démocratie sur le
terrain. Et alors, moi non plus, je n’étais pas d’accord avec la guerre que
menait le FPR. Je ne la considérais pas comme une guerre de libération. Mais
on n’a pas abordé ce sujet. J’étais dans mon bureau. Il est venu me recruter ;
comme je campais sur mes positions de démocrate-chrétien, alors, il n’a pas
été trop loin.
Le Président : Est-ce qu’il
vous aurait, à un moment quelconque, exposé son point de vue sur le problème
de l’ethnisme, du régionalisme ?
le témoin 100 : Non, ici, quand
j’ai passé deux ans et demi avec lui, bon, on était avec les gens du Sud comme
du Nord. On n’abordait pas le problème de régionalisme, d’ethnisme, et puis,
il n’y avait pas de raison. Au Rwanda, à cette époque-là, du moins jusqu’à 90,
il n’y avait vraiment pas de divisions claires et nettes au sein de la population
rwandaise, les sudistes et les nordistes. Mais effectivement, petit à petit,
avec la création des partis, avec l’attaque du FPR, effectivement, ça a créé des divisions
claires et nettes, entre les nordistes et les sudistes, mais à cette époque-là,
dans les années 80, je ne dis pas que c’était… nous on n’en parlait pas, puisque
ça ne se posait pas.
Le Président : Il y avait
pourtant déjà eu au Rwanda, avant les années 80, des massacres, peut-être moins
importants que ceux qui se sont passés en 1994, mais qui avaient des connotations
ethniques.
le témoin 100 : Effectivement,
je m’en souviens, là. En 73, il y a eu un soulèvement des étudiants et puis
des fonctionnaires. Mais, à ma connaissance, j’étais encore à l’école secondaire,
je n’ai pas connu de victimes à cette époque, en 73. Donc, les étudiants sont
partis et on est resté à l’école. J’étais en troisième secondaire, on est resté
à l’école, on n’a pas eu droit aux vacances de Pâques, on est rentré au mois
de juin, et moi je suis retourné chez moi. Donc, je n’ai pas eu connaissance
de massacres en tant que tels, mais effectivement les soulèvements de la… des
étudiants et puis des fonctionnaires, là, qui ont chassé leurs confrères Tutsi,
ça c’est vrai.
Le Président : Vous êtes
en Belgique maintenant depuis combien de temps ?
le témoin 100 : Depuis bientôt
deux ans.
Le Président : Vous avez
résidé au Rwanda jusqu’il y a peu de temps ?
le témoin 100 : Non…
Le Président : Non, vous
avez peut-être voyagé ?
le témoin 100 : Non, j’ai fait
des pérégrinations, au Zaïre, au Kenya…
Le Président : Donc, comme
réfugié ? Comme...
le témoin 100 : Oui, comme réfugié.
Le Président : Vous avez
quitté le Rwanda à quel moment ?
le témoin 100 : J’ai quitté
le Rwanda en 94 ?
Le Président : A quel moment
en 94 ?
le témoin 100 : Le 29 mai 1994.
Le Président : Vous avez
quitté pourquoi ?
le témoin 100 : Il y avait la
guerre à cette époque-là, et puis alors, j’étais membre de l’opposition et surtout,
j’avais rencontré le FPR à Bujumbura, du 21 février au 3 mars 1993. Et puis,
pendant la guerre, juste le 7 avril, j’ai caché une famille de 10 personnes
de Tutsi, et puis heureusement, avec la collab… avec l’aide des militaires qui
habitaient tout près de moi, tout près de chez moi, j’habitais en face de l’aéroport
international de Kanombe, on a pu évacuer cette famille qui travaillait à Air
France. Et heureusement, cette famille a survécu et vit actuellement en Ouganda.
Alors, moi j’étais menacé justement par le fait que j’étais membre de l’opposition,
que j’avais rencontré le FPR et qu’effectivement j’avais hébergé, si, je peux
dire ainsi, cette famille Tutsi.
Le Président : Vous étiez
donc menacé par qui ?
le témoin 100 : En fait, justement,
c’est ça le problème. Moi, j’étais menacé et par le FPR et par l’autre côté
du gouvernement. Pourquoi ? Parce qu’à Bujumbura, quand même je n’ai pas…
j’ai manifesté mon opposition aux idées du FPR, puisque moi, je demandais qu’ils
abandonnent la lutte armée pour venir sur le terrain politique. Et puis alors,
l’autre côté, comme j’avais rencontré le FPR, c’était presque un… c’était un
tabou, c’était… le fait de rencontrer le FPR c’était… on était accusé de complicité,
de pro-FPR, il y a un terme qu’on a appelé au Rwanda « Iyogi », « Iyogi »,
c’est-à-dire que vous êtes de l’autre tendance, vous n’êtes pas avec les autres,
vous êtes du côté du FPR. Et puis alors, comme j’étais taxé d’ « Iyogi »,
alors, j’étais assez poursuivi par ceux du gouvernement. Alors donc, pardon ?
Le Président : Il existait
donc, si je comprends ce que vous expliquez, semble-t-il, une espèce de troisième
voie au Rwanda ? Il y avait les pro-FPR, il y avait éventuellement les
Hutu Power, et puis, il y avait des gens qui voulaient à la fois se rapprocher
du FPR, mais en lui demandant de quitter le terrain militaire pour arriver sur
un terrain politique, et qui étaient pourtant opposés aussi aux forces gouvernementales
ou au RMD, CDR et autres tendances ethnistes ?
le témoin 100 : C’est bien ça,
Monsieur le président. Donc, il y en avait qui voulaient le compromis. Donc,
notamment notre parti, le parti démocrate-chrétien.
Le Président : Bien. Y a-t-il
des questions à poser au témoin ? Oui, Maître FERMON ?
Me. FERMON : Monsieur
le président, le témoin nous a expliqué que, quand Monsieur NTEZIMANA est venu
le voir, il a dit qu’il voulait fonder un parti qui était pour la démocratie,
pour le bien-être et pour le changement. Je voudrais demander au témoin si,
parmi les autres partis politiques qui existaient à ce moment-là à l’intérieur
du Rwanda, y compris parmi les partis les plus extrémistes je dirais, il y en
avait qui disaient qu’ils étaient contre la démocratie, contre le changement
ou contre le bien-être du peuple. Donc, est-ce que, je dirais, ces trois idées
distinguaient ce parti, ce nouveau parti, de ce qui existait sur le terrain ?
Le Président : Que pouvez-vous
dire à ce sujet ?
le témoin 100 : Oui. A cette
époque-là, tous les partis étaient traversés par un courant qui les divisait
en deux. Il y avait les pro-FPR et il y avait ceux qui étaient opposés au FPR.
Alors, NTEZIMANA, comme il était du MDR au début, il a vu que tous ces partis-là
étaient scindés en deux, étaient minés par des luttes intestines. Mais heureusement
- comme je l’ai signalé - le parti démocrate était encore préservé de cette
division. Alors, NTEZIMANA lui, comme il était du MDR et qu’il y avait le MDR
pro-FPR et l’autre aile qui était catégoriquement contre, lui il a cherché une
autre voie, la voie médiane. Mais, comme le parti démocrate était un petit parti
et que lui, il voulait sauvegarder ces idées-là, qu’il avait trouvées au sein
du MDR mais qui n’étaient pas appliquées ni par l’autre parti du MDR, il voulait
créer un autre parti pour mettre en pratique ses idées.
Le Président : Oui, bien
sûr. Mais… est-ce que le MRND, gauche ou droite, le PSD gauche ou droite, le
PDC gauche ou droite, le PL gauche ou droite, est-ce que tous ces partis, qu’ils
soient de gauche ou de droite, à part le parti que voulait créer Monsieur NTEZIMANA,
est-ce que ces partis étaient contre la démocratie ?
le témoin 100 : En fait, ces
partis-là, ils s’étaient écartés un peu de leur objectif premier.
Le Président : Est-ce qu’ils
étaient contre la démocratie ?
le témoin 100 : En fait, oui,
parce qu’ils ne cherchaient pas les intérêts de la population. Ils cherchaient
leurs intérêts, leurs propres intérêts.
Le Président : Oui, donc,
c’étaient même plus que des partis, c’était plus que des… des défenses d’intérêts
personnels. Bien. Maître BEAUTHIER ?
Me. BEAUTHIER : Monsieur
le président, on se trouve au mois de septembre 1993 ; Monsieur NTEZIMANA
vient dans le bureau de Monsieur, en fait du témoin, il lui parle d’un nouveau
parti. Il lui parle des petits, il lui parle de la situation, et il ne lui parle
pas des accords d’Arusha ?
le témoin 100 : Voilà, je vous
l’ai dit… Il est venu dans mon bureau. Il voulait me recruter…
Le Président : Regardez par
ici. Ce n’est pas parce que l’avocat a posé la question que vous ne pouvez pas
regarder par ici. C’est plus facile pour vous d’ailleurs, hein. Sinon, vous
allez avoir un torticolis.
le témoin 100 : OK.
Non, mais lui, il voulait me recruter pour ce parti, et moi, je restais
dans mon parti et moi, j’étais entièrement d’accord avec les accords d’Arusha.
Je croyais que ça allait mettre fin à la guerre. Malheureusement, ça n’a pas
été le cas. Et lui, il m’a exposé l’objectif de sa visite, dans mon bureau.
Je lui ai dit carrément que moi, je restais dans mon parti, que je ne voulais
pas changer. Mais on n’a pas abordé d’autres sujets en long et en large, parce
que j’étais au travail. J’étais au service.
Me. BEAUTHIER : Non, mais…
en long, en large ou en court, est-ce qu’on a parlé des accords d’Arusha ?
le témoin 100 : Non, Monsieur,
on n’a pas abordé ces accords d’Arusha.
Le Président : Voilà.
le témoin 100 : Mais… j’aimerais
ajouter peut-être deux petits points, pour vous éclairer la Cour, Monsieur le
président. NTEZIMANA, il y a deux petits points sur lesquels j’aimerais rappeler…
insister. C’est que NTEZIMANA est de la commune voisine de la mienne. Alors,
je me souviens qu’en… novembre, je revenais de faire le meeting, d’organiser
le meeting dans sa propre commune, dans un lieu appelé Muramba. C’est une grande
paroisse. Et alors, on s’est arrêté tout près de chez lui. Alors, comme j’étais
dans l’opposition, et en fait, on me considérait comme une personnalité importante
dans ma commune, et lui, quand même… en tant que professeur, on le connaissait
bien, surtout qu’il avait fait ses études en Europe. Et puis alors, on a dit :
« Ah, Michel, toi, tu es aussi « Iyogi », tu es pro-FPR comme
notre ami NTEZIMANA. Vous êtes les seuls intellectuels sur lesquels nous pouvions
compter, et vous, vous vous écartez, vous vous éloignez de nous pour rejoindre,
pour être complice du FPR ». Et ça, ça m’a fort marqué. Effectivement,
c’est pourquoi d’ailleurs je n’ai pas été chez moi, parce que j’étais poursuivi
pendant la guerre.
Le deuxième point, j’étais à Kigali, il y avait une association qu’on
avait créée au niveau de notre région, qui s’appelle Kingogo, et alors, j’étais
invité, malheureusement je n’ai pas pu m’y rendre, et NTEZIMANA était parmi
les promoteurs. Et effectivement, on a évoqué aussi ce point quand il est venu
me voir… Disons que c’était un point qui ne regardait pas la politique et donc
qu’il voulait mettre en place une association au niveau de notre région, le
Kingogo, qui regroupait à cette époque-là quatre… trois communes. Alors, quand
il s’est présenté aux élections, il y avait quand même plus de 200 personnes,
et alors, malgré qu’il soit un des promoteurs, on a crié haro sur lui comme
quoi il était Inkotanyi, parce qu’il n’était pas de la mouvance présidentielle,
et il n’a pas été élu membre du comité de cette association dont il était l’inspirateur,
le fondateur.
Donc, pour vous dire que le fait de ne pas être du côté du… du MRND
et des autres partis qui avaient... qui s’étaient rangés du côté du MRND, c’était
très dangereux. Et je vous dis, depuis 1994, j’ai évité la… ma région, parce
que j’étais menacé de mort. Et… en 94, quand j’ai appris que NTEZIMANA avait
été trempé dans l’eau, le génocide, qu’il avait tué, j’étais un peu choqué,
parce que je le connaissais comme un type franc et un type, bon… qu’on qualifie
de modéré, parce moi, le mot modéré, là, moi, je… ça n’a aucun sens pour moi...
Modéré, vous avez vos idées à défendre, vous ne tuez pas, vous refusez de tuer,
vous refusez la corruption et l’exploitation, à ce moment-là, vous n’êtes pas…
donc, vous êtes démocrate. Moi, je dis démocrate et non-démocrate, en fait,
ce sont les termes que j’aimerais qu’on utilise dans le domaine-là, parce que
modéré, c’était un peu flou. A cette époque-là, on disait modéré, c’est-à-dire
celui… qui se rangeait du côté du FPR, qui était Iyogi etc. Voilà, c’était les
deux points que je voulais souligner, Monsieur le président.
Le Président : Oui, Maître
BEAUTHIER.
Me. BEAUTHIER : Le témoin,
pourrait-il nous dire si un modéré, en 1994, pouvait avoir des attitudes ou
des comportements ou des amitiés avec des gens de l’armée, qui étaient en fait
des génocidaires. Est-ce qu’il était normal que quelqu’un qui est modéré, ait
des relations intimes, peut-être par famille, peut-être depuis l’enfance, avec
des militaires, ou bien est-ce que les modérés n’étaient pas en odeur de sainteté
chez les militaires ?
Le Président : Je n’ai pas
envie de vous poser la question, parce que...
le témoin 100 : Oui, j’ai compris.
Le Président : Non, je n’ai
pas envie de vous poser la question, c’est une question d’ordre général, est-ce
que... ou alors, je dois vous poser la question de savoir s’il y avait des militaires
modérés, des militaires pas modérés.
Me. BEAUTHIER : On peut
la reformuler autrement, Monsieur le président.
Le Président : Est-ce qu’on
peut savoir à l’époque, qui était modéré et qui ne l’était pas ?
Me. BEAUTHIER : On peut
la reformuler autrement.
Le Président : Est-ce que
quelqu’un qui était modéré, à un moment donné, a pu changer d’opinion ?
Ce sont des questions donc purement générales.
Me. BEAUTHIER : Monsieur
le président, une question précise. Est-ce que Monsieur NTEZIMANA, qui est modéré
pour Monsieur le témoin, est un homme… Etant, dit-il, modéré, pouvait-il, à
Butare au moment des événements, avoir des relations proches, amicales, jouer
aux cartes avec des militaires génocidaires ?
Le Président : Savez-vous
si Monsieur NTEZIMANA était en contact avec des militaires ?
le témoin 100 : Non, Monsieur
le président, je ne savais pas. Mais… le mot génocidaire...
Le Président : Non, c’est
tout. Je vous ai posé la question que j’estime devoir vous poser.
le témoin 100 : Ah oui, d’accord.
Le Président : Maître GILLET.
Me. GILLET : Oui, Monsieur
le président, le témoin parle de cette association de Kingogo, dont et Monsieur
HIGANIRO et Monsieur NTEZIMANA ont fait état lors de leur interrogatoire de
personnalité, et j’aurais souhaité poser trois questions à propos de cette association.
Deux questions, exactement. D’abord, quel était son objet social ?
Le Président : Quel était
l’objet social ou le but ?
Me. GILLET : Oui, c’est cela.
Qu’avaient-ils l’intention de faire ?
le témoin 100 : C’était le développement
social et économique de la région de Kingogo.
Le Président : Est-ce qu’il
y avait éventuellement des objectifs plus précis encore ?
le témoin 100 : Il voulait,
par exemple, ce jour-là, le jour de la constitution de cette association, ils
ont mis ensemble des cotisations, qui pourraient servir à payer le minerval
à des enfants des plus démunis.
Le Président : C’est cela.
Oui ?
Me. GILLET : Alors, on remarque
dans la liste des membres de cette association, il y a des personnes telles
que le colonel Anatole NSENGIYUMVA et Monsieur Pierre TEGERA qui, déjà avant
le génocide, ont été dénoncés pour leur participation dans les massacres dans
la période 1990-1994, et Monsieur Anatole NSENGIYUMVA est aujourd’hui en détention
préventive à Arusha. Et je voudrais savoir s’il était normal que tous ces gens
se retrouvent dans ce type d’association ?
le témoin 100 : Monsieur le
président, c’est que, n’importe qui est présumé innocent quand il n’est pas
encore déclaré coupable. Donc, vous dites des génocidaires, des… Non !
Il est devant le tribunal, il faut attendre qu’il soit condamné. Donc, le fait
que Anatole NSENGIYUMVA ou Pierre TEGERA soient membres d’une association, mais
c’est vous-même, Monsieur l’avocat, qui le qualifie de génocidaires. Ils ne
sont pas encore déclarés coupables. N’importe qui pouvait être membre d’une
association de son choix.
Le Président : Oui ?
Me. GILLET : Alors une
toute dernière question : les deux accusés nous ont dit avoir rassemblé
à l’occasion de l’assemblée générale constitutive, je crois, lorsqu’il y a eu
ces 200 ou 300 personnes, la somme de 300.000 francs rwandais, mais ne pas se
souvenir de ce qui avait été fait de cet argent. Je souhaiterais savoir si le
témoin à des précisions à cet égard.
Le Président : Savez-vous
ce que seraient devenues des cotisations récoltées ?
le témoin 100 : Non, Monsieur
le président.
Le Président : Vous-même,
vous avez cotisé ? Vous...
le témoin 100 : Non, je n’étais
pas encore membre, parce que j’étais retenu pour des raisons de service à Kigali.
Le Président : Donc, vous
n’avez pas été à cette assemblée ?
le témoin 100 : Non, Monsieur
le président. J’en ai eu des échos.
Le Président : Et vous n’avez
pas eu d’échos de ce qui était devenu de l’argent ?
le témoin 100 : Non, parce que,
en fait, j’étais juste, il y a eu la guerre, et c’était la débandade, même les
responsables ne savaient pas ce qu’il est devenu.
Le Président : D’autres questions ?
Oui, Monsieur l’avocat général et ensuite Maître NKUBANYI.
L’Avocat Général : C’est
une simple précision, Monsieur le président, pour que ce soit tout à fait clair
ce dont on parle ici. Donc, l’association qui a été érigée et qui concerne donc
le développement socio-économique de Kingogo, on parle bien de l’ADSK ?
le témoin 100 : Oui, c’est bien
cela, Monsieur l’avocat général.
Le Président : Maître NKUBANYI ?
Me. NKUBANYI : Monsieur le
président, le témoin dit qu’il était membre d’un parti politique, le parti démocrate-chrétien,
si j’ai bien entendu. Est-ce que, à son estime, en tant que politicien, l’application
des accords d’Arusha pouvait apporter la démocratie au Rwanda ?
le témoin 100 : Oui, moi, j’estime
que c’était un bon début, parce que ça allait mettre fin à la guerre. Il y avait
une transition pendant la guerre. On devait mettre en place des institutions
qui étaient définies à Arusha. Mais je… si les deux partis avaient été sincères,
je crois que ça aurait été un bon début pour notre pays.
Me. NKUBANYI : Merci. On
a constaté que dans les partis rwandais, il y a eu une division entre les pro-accords
et les opposants aux accords. Les uns étaient dit Power et les autres modérés.
Autrement dit, ceux qui étaient modérés, étaient favorables à l’application
des accords, et le témoin dit que ni les Power ni les modérés n’étaient, à son
estime, des démocrates. Est-ce qu’il n’y a pas une contradiction à cet égard ?
Le Président : Le but du
procès n’est pas de faire de l’exégèse politique, c’est de juger quatre personnes.
Donc la question, celle-là en tout cas, n’est pas posée.
Me. NKUBANYI : Oui. Une
autre question, Monsieur le président. Le témoin a parlé de régionalisme, en
disant que le régionalisme n’existait pas au Rwanda avant l’attaque du FPR.
Est-ce qu’il peut nous parler de ce phénomène au Rwanda et notamment de l’Akazu
et de ceux qui étaient membres de cet Akazu ?
Le Président : L’Akazu, est-ce
que vous savez ce que c’est ?
le témoin 100 : Oui, Monsieur
le président.
Le Président : Vous pouvez
définir ce qu’est l’Akazu ?
le témoin 100 : En fait, c’était
l’entourage le plus proche du président de la république. Moi, qui me semblait,
donc le président de la république qui me semblait être indécis alors, c’est
ce que je lui reprochais le plus, c’est pourquoi je voulais qu’on change, il
était indécis, il ne prenait pas de décision et il était influencé, effectivement,
par cet entourage qu’on appelle Akazu.
Le Président : Est-ce que,
par exemple, Monsieur HIGANIRO…
le témoin 100 : Oui…
Le Président : …faisait,
selon vous, partie de l’Akazu ?
le témoin 100 : Le fait qu’il
s’est marié avec la fille du médecin personnel du président de la République,
disons, normalement l’introduirait dans l’Akazu. Mais le fait qu’il a été ministre
pendant quelques mois et puis il a été dégommé et puis, en fait, il a été éloigné,
en fait éloigné vers une société qui venait d’être mise en place, et puis encore
là au Sud-là qui n’était plus proches de cet Akazu-là, qui était normalement
notamment à Kigali et puis dans la commune originaire du président… dont le
président était originaire. Je crois que, moi, il n’était pas membre effectif
de l’Akazu.
Le Président : Alors, on
a parlé un peu de régionalisme Qu’est-ce que ça a comme sens le régionalisme ?
Est-ce qu’il n’y avait pas des gens qui étaient, même dans les Hutu, plus favorisés
que d’autres par le pouvoir ? Est-ce que c’est ça le régionalisme ?
Ou est-ce que c’est autre chose ?
le témoin 100 : Oui, Monsieur
le président. Disons, je peux dire qu’avec ce qui a provoqué les histoires au
Zaïre… au Rwanda, pardon, c’est la lutte pour le pouvoir. Bon, ce petit gâteau,
avant, jusqu’en 1972, c’était le Sud qui dominait le pouvoir. En 73, après le
coup d’état, ça a été au début dominé par le Nord, et, après la création du
MRND dans les années 76-78 jusqu’en 82, ça a été corrigé, ça allait bien. Et
puis, après 84, encore cette tendance, elle a favorisé plus les nordistes que
les sudistes.
Le Président : Bien. Oui,
Monsieur l’avocat général.
L’Avocat Général : Est-ce
que le témoin connaît les candidats de l’ADSK qui avaient été élus ? Il
y avait les membres du comité exécutif, les président des commissions, mais
puis il y avait aussi des candidats élus, par nombre décroissant de voix.
le témoin 100 : Monsieur l’avocat,
puisque que je vous ai dit que je n’ai pas participé à la mise en place de cette
association, qu’on m’en a parlé, j’étais retourné à Kigali, je n’ai pas pu y
aller, et puis, vous savez qu’après la, la… disons, toute l’année 94, c’était
une année trouble. Donc, avec, je peux dire, même, je peux dire que ça n’a jamais
fonctionné en tant que tel. Donc, je n’ai pas en tête ceux qui ont été élus
avec des voix.
L’Avocat Général : Est-ce
que le nom d’un nommé Laurent BUGABO lui dit quelque chose ?
le témoin 100 : Laurent ?
L’Avocat Général : BU-GA-BO.
le témoin 100 : Je connais un
certain BUGABO, qui est un gendarme, mais qui a été ensuite chassé, est-ce que
c’est celui-là ? Il était de la commune de Satiskyi justement où il y a
eu la réunion constitutive de l’association. Mais...
L’Avocat Général : Est-ce
que Monsieur NTEZIMANA connaît un nommé BUGABO Laurent ?
Vincent NTEZIMANA : Laurent
BUGABO, ça me dit quelque chose effectivement, c’est un gendarme qui a été chassé
de la gendarmerie, ça me dit quelque chose effectivement.
Le Président : Oui ?
L’Avocat Général : Ce n’est
pas le Docteur MUGABO, par hasard ? Ce n’est pas le Docteur MUGABO, ou
BUGABO ?
Le Président : Oui ?
Vincent NTEZIMANA : Laurent BUGABO, dont je parle, était un
gendarme, et je crois qu’il y avait un Docteur MUGABO, médecin à l’hôpital universitaire
à Butare. Ce sont des personnes si on parle des mêmes personnes ce sont
des personnes différentes, Monsieur le président.
Le Président : Oui, Maître
HIRSCH.
Me. HIRSCH : Merci, Monsieur
le président. Personnellement, je ne suis pas du tout sûr que cette association
n’ait jamais fonctionné, et j’aurais voulu demander au témoin s’il connaît par
ailleurs Monsieur François BARANYERETSE, qui a participé également à ce groupe,
Monsieur HIGANIRO également, Monsieur NDAYAMBAJE Augustin, qui était étudiant
à l’université de Butare, Monsieur NTEZIMANA qui a participé à la même réunion
également, et je voudrais que le témoin nous explique en quoi la sensibilisation
pour cette organisation dont les intérêts était purement régionaux, association
caritative, pour venir en aide aux étudiants démunis, en quoi cette association
devait permettre la coordination de la sensibilisation à Butare, qui était organisée
précisément par Monsieur NTEZIMANA et l’étudiant de l’UNR, Monsieur NDAYAMBAJE.
le témoin 100 : Madame, le docteur
BARANYERETSE, je crois, c’est un type de Ramba. Lui, je le connais, il était
docteur à… je le connais. Ce n’était pas un ami, mais je le connais personnellement.
Et les autres sont des… NDAYAMBAJE, je ne le connais pas, Madame. Et alors,
cette sensibilisation, peut-être qu’à l’université, il y avait des étudiants
originaires de ces trois communes, et ce n’était que des professeurs, et peut-être
qu’ils voulaient recruter des gens pour cette association. Mais je le jure au
nom de Dieu tout-puissant que l’association était pour le bien-être de la population
locale.
Le Président : D’autres questions ?
Maître BEAUTHIER.
Me. BEAUTHIER : Monsieur
le président, j’ai deux questions : comment la personne qui est devant
nous peut-elle dire qu’elle connaît personne dans cette association et qu’elle
peut nous jurer, au nom du Dieu tout-puissant, qu’elle sait qu’elle a accompli
ses buts. Alors, il y a quelque chose que je ne comprends pas. Quelle était
la fonction précise du témoin dans...
Le Président : Maître. BEAUTHIER,
je ne pose pas cette question. Le témoin vous a dit qu’il ne sait pas si les
buts ont été poursuivis ou pas.
Me. BEAUTHIER : Je pose une
deuxième question, Monsieur le président.
Le Président : Le témoin
a dit qu’il connaissait le but qui était avancé, et puis, il a dit que ça n’avait
jamais fonctionné.
Me. BEAUTHIER : Mais non,
c’est…
Le Président : Maître BEAUTHIER,
nous sommes pour le moment en train d’examiner les faits qui sont reprochés
à Monsieur NTEZIMANA.
Me. BEAUTHIER : Monsieur
le président, une deuxième question. On a posé une question à propos de Monsieur
HIGANIRO. Le témoin sait-il que Monsieur HIGANIRO a une maison tout près de
celle de Monsieur le président à l’époque, où le président venait manger souvent.
Puisqu’il nous a dit qu’il était retiré à Butare, est-ce qu’il sait qu’il a
une maison dite de campagne, de week-end ou de mois, je ne sais pas, près du
Lac Kivu.
Le Président : Savez-vous
si Monsieur HIGANIRO est propriétaire d’une maison près du Lac Kivu ?
le témoin 100 : Non, Monsieur
le président, je ne le savais pas.
Me. BEAUTHIER : Est-ce qu’il
allait manger souvent avec le président ?
Le Président : Savez-vous
si Monsieur HIGANIRO allait manger souvent avec le président le témoin 32 ?
le témoin 100 : Non, Monsieur
le président.
Me. BEAUTHIER : Je vous remercie,
Monsieur le président.
Le Président : Bien. D’autres
questions ? Les parties sont-elles d’accord pour que le témoin se retire ?
Un petit instant, hein ? Monsieur le témoin 100, est-ce bien des accusés ici
présents dont vous avez voulu parler ; cela signifie : persistez-vous,
confirmez-vous vos déclarations ?
le témoin 100 : Oui, Monsieur
le président, je confirme mes déclarations.
Le Président : Vous pouvez
vous retirer et disposer librement de votre temps. La Cour vous remercie pour
votre témoignage.
le témoin 100 : Je vous remercie,
Monsieur le président.
Le Président : Le témoin
suivant, Monsieur le témoin 97. Oui ? Maître CARLIER ?
Me. CARLIER : Monsieur NTEZIMANA
signale qu’il souhaite faire un commentaire suite à ce témoignage.
Le Président : Eh bien, il
peut le faire. Monsieur l’huissier, vous attendez un instant avant de faire
venir Monsieur le témoin 97. Monsieur NTEZIMANA souhaite faire un commentaire après
le témoignage qui vient d’être reçu. Vous avez la parole, Monsieur NTEZIMANA.
Vincent NTEZIMANA : Oui, Monsieur
le président, il a souvent été question de l’association, et on a cité des noms.
J’ai déjà signalé que nous étions au environ de 300 personnes, que j’ai contactées,
par-delà les divergences politiques, tout le monde qui pouvait apporter une
contribution. Que se soient retrouver là-dedans plus tard des personnes suspectes,
ça c’est même indéniable éventuellement, mais le but premier de l’association
était bel et bien de soutenir les enfants. Alors, à propos de la sensibilisation,
pour toucher autant de monde, on a dû contacter les personnes natives, donc,
de la région, qui étaient fonctionnaires, de part et d’autre, de tous les coins
du Rwanda, et c’est la raison d’être de cette sensibilisation, Monsieur le président.
Le Président : Je vous remercie.
Donc, on peut faire approcher maintenant le témoin suivant. |
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