assises rwanda 2001
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Instruction d’audience V. Ntezimana Audition témoins compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction d’audience V. Ntezimana > Audition témoins > le témoin 100 et commentaires V. Ntezimana
1. N. Gasana 2. le témoin 9 3. le témoin 125 4. le témoin 134 5. le témoin 116 6. le témoin 61 7. le témoin 124 8. le témoin 50 9. le témoin 150 10. le témoin 73 11. le témoin 55 12. le témoin 100 et commentaires V. Ntezimana 13. le témoin 97 14. le témoin 104 15. H. Gallee 16. le témoin 84 17. le témoin 36 18. B. Van Custem et commentaires V. Ntezimana et E. Seminega 19. Lecture président attestation J.B. Seminega 20. le témoin 77 21. le témoin 10 22. le témoin 96 23. le témoin 42 24. R. Degni-Segui 25. le témoin 15 26. J. Léonard et commentaires partie civile et V. Ntezimana 27. J.P. Van Ypersele de Strihou 28. le témoin 118 29. le témoin 31, commentaires avocat général, partie civile, défense, audition interview I. Nkuyubwatzi 30. le témoin 108 31. le témoin 127 32. le témoin 109 33. le témoin 147 34. le témoin 105 35. le témoin 89
 

6.3.12. Audition des témoins: le témoin 100 et commentaires de Vincent NTEZIMANA

Le Président : Monsieur, quels sont vos nom et prénom ?

le témoin 100 : Je m’appelle le témoin 100.

Le Président : Quel âge avez-vous ?

le témoin 100 : J’ai 45 ans.

Le Président : Quel est votre profession ?

le témoin 100 : J’ai exercé plusieurs professions.

Le Président : Mais quelle est votre profession actuelle ?

le témoin 100 : Je ne travaille pas.

Le Président : Quelle est votre commune de domicile ou de résidence ?

le témoin 100 : Je suis domicilié à Pecq.

Le Président : Pecq. Connaissiez-vous les accusés ou l’un ou l’autre des accusés avant les faits qui leur sont reprochés, donc en gros, avant le mois d’avril 1994 ?

le témoin 100 : Oui, je connaissais bien Vincent NTEZIMANA. Et puis Monsieur HIGANIRO, mais de… de vue.

Le Président : De vue uniquement. Etes-vous de la famille des accusés ou de la famille des parties civiles ?

le témoin 100 : Non. Aucun des deux

Le Président : Travaillez-vous, êtes-vous sous un contrat d’emploi avec les accusés ou les parties civiles ?

le témoin 100 : Non, Monsieur le président.

Le Président : Je vais vous demander alors de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment de témoin.

le témoin 100 : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président : Vous pouvez vous asseoir. Monsieur le témoin 100, vous avez dit, il y a un instant, que vous connaissiez Monsieur Vincent NTEZIMANA, Monsieur HIGANIRO de vue sans plus, mais que vous connaissiez Vincent NTEZIMANA.

le témoin 100 : Oui, Monsieur le président.

Le Président : Pouvez-vous expliquer dans quelles circonstances vous avez fait sa connaissance ? A quel endroit ? Est-ce au Rwanda ? Est-ce en Belgique ?

le témoin 100 : Voilà. La commune de NTEZIMANA est très proche de la mienne. Je l’ai connu, la toute première fois, on faisait la route ensemble vers le cours secondaire. Il allait à Gitarama, moi, j’allais à Butare, au collège du Christ-Roi. La seconde fois, c’est qu’il m’a rejoint ici. En 1980, je faisais mes études à l’université catholique de Louvain, j’étais en première licence et lui, il venait de commencer sa première année. Ensuite, on s’est revu au Rwanda en 1993, dans mon bureau, à Kigali.

Le Président : Comment est-ce que vous décririez la personnalité de Monsieur NTEZIMANA ?

le témoin 100 : NTEZIMANA a une qualité sur laquelle j’aimerais bien insister, c’est qu’il avait un franc parler. Il parlait, tout ce qu’il voulait parler, il le disait, à l’aise… sans esprit retors, il discutait, il était franc, voilà, dans ses propos.

Le Président : Que connaissiez-vous des opinions politiques de Monsieur NTEZIMANA ?

le témoin 100 : NTEZIMANA est venu me voir. J’étais conseiller économique au ministère de l’environnement et du tourisme au Rwanda.

Le Président : J’aimerais peut-être que vous me parliez déjà de ses opinions politiques…

le témoin 100 : Oui, c’est cela…

Le Président : …avant ça, quand vous étiez tous les deux en Belgique, est-ce qu’il avait, déjà à l’époque, des opinions politiques ?

le témoin 100 : Non, à cette époque-là, non, on ne parlait pas de politique dans les années 80. Non.

Le Président : Vous avez quitté la Belgique pour retourner au Rwanda à quel moment ?

le témoin 100 : Le 1er février 1982.

Le Président : Ah oui. Donc, vous n’avez pas connu le parcours de Monsieur NTEZIMANA en Belgique dans les années 90 ?

le témoin 100 : Non, Monsieur le président.

Le Président : D’accord.

le témoin 100 : Alors, il venait de rentrer au Rwanda et alors, il m’a rejoint dans mon bureau à Kigali, je crois que c’était septembre ou octobre 93, et il m’a dit : « Voilà, Michel, nous voulons créer un parti politique. J’étais au MDR, mais comme tu es courant, tous les partis sont divisés. Il y a des luttes intestines et il n’y a plus de projet de société, il n’y a plus d’idéal démocratique. Ces gens-là, ces soi-disant politiciens, luttent pour leurs intérêts individuels ». Alors, il m’a dit qu’il voulait mettre en place un autre parti avec un projet de société qui tend vers la démocratie. Alors, moi je lui ai dit que j’aimerais rester au sein de mon parti, - j’étais membre du parti démocrate chrétien - et que j’adhérais à ses idées et à cette époque-là, mon parti était encore uni. C’est à ce moment-là qu’on a parlé, et on s’est parlé franchement. Il a respecté mes convictions politiques et il est reparti.

Le Président : Est-ce qu’à cette époque-là, le parti qu’il voulait créer ou qu’il venait de créer, est-ce qu’il vous a exposé quels étaient ses objectifs ?

le témoin 100 : En fait, il m’a dit que, quand il s’est engagé dans la politique, il voulait lutter pour la démocratie et l’émancipation de la population la plus démunie, et que donc, il voulait… il se battait pour le changement, pour la démocratie. Et que, comme dans tous ces partis-là… il n’y avait que, ces partis étaient divisés et qu’ils étaient minés par la corruption, par la… la lutte pour le pouvoir, qu’il ne voulait plus faire partie, donc être membre de ces partis, qu’il voulait mettre en place un autre parti qui répondrait à ses objectifs de démocrate.

Le Président : C’était un parti qui ne voulait pas aller au pouvoir, celui-là ?

le témoin 100 : Pardon ?

Le Président : Ce parti qu’il voulait créer, aurait-il été un parti qui ne voulait pas aller au pouvoir ?

le témoin 100 : Pas du tout. Quand on crée un parti, normalement c’est pour participer au pouvoir, et participer au pouvoir, ça veut dire, justement, mettre en pratique son projet de société.

Le Président : Et vous a-t-il, à cette occasion-là, parlé de ce qu’il pensait des accords d’Arusha ?

le témoin 100 : Non, on n’a pas abordé ce sujet.

Le Président : Vous a-t-il parlé de ce qu’il pensait du FPR ?

le témoin 100 : Non. Non, pas du tout. Disons, moi, au Rwanda, on parlait de ce qui se passait ici, des associations des étudiants, et… alors, je crois, à une occasion, je crois que j’ai lu des communiqués, là, où effectivement, ils condamnaient les idées bellicistes du FPR, et ça rejoignait ma conviction aussi c’était… que le FPR effectivement… moi, je croyais que le FPR était pour la démocratie, mais que… il pouvait justement s’écarter de cette visée belliqueuse pour se battre pour la démocratie sur le terrain. Et alors, moi non plus, je n’étais pas d’accord avec la guerre que menait le FPR. Je ne la considérais pas comme une guerre de libération. Mais on n’a pas abordé ce sujet. J’étais dans mon bureau. Il est venu me recruter ; comme je campais sur mes positions de démocrate-chrétien, alors, il n’a pas été trop loin.

Le Président : Est-ce qu’il vous aurait, à un moment quelconque, exposé son point de vue sur le problème de l’ethnisme, du régionalisme ?

le témoin 100 : Non, ici, quand j’ai passé deux ans et demi avec lui, bon, on était avec les gens du Sud comme du Nord. On n’abordait pas le problème de régionalisme, d’ethnisme, et puis, il n’y avait pas de raison. Au Rwanda, à cette époque-là, du moins jusqu’à 90, il n’y avait vraiment pas de divisions claires et nettes au sein de la population rwandaise, les sudistes et les nordistes. Mais effectivement, petit à petit, avec la création des partis, avec l’attaque du FPR, effectivement, ça a créé des divisions claires et nettes, entre les nordistes et les sudistes, mais à cette époque-là, dans les années 80, je ne dis pas que c’était… nous on n’en parlait pas, puisque ça ne se posait pas.

Le Président : Il y avait pourtant déjà eu au Rwanda, avant les années 80, des massacres, peut-être moins importants que ceux qui se sont passés en 1994, mais qui avaient des connotations ethniques.

le témoin 100 : Effectivement, je m’en souviens, là. En 73, il y a eu un soulèvement des étudiants et puis des fonctionnaires. Mais, à ma connaissance, j’étais encore à l’école secondaire, je n’ai pas connu de victimes à cette époque, en 73. Donc, les étudiants sont partis et on est resté à l’école. J’étais en troisième secondaire, on est resté à l’école, on n’a pas eu droit aux vacances de Pâques, on est rentré au mois de juin, et moi je suis retourné chez moi. Donc, je n’ai pas eu connaissance de massacres en tant que tels, mais effectivement les soulèvements de la… des étudiants et puis des fonctionnaires, là, qui ont chassé leurs confrères Tutsi, ça c’est vrai.

Le Président : Vous êtes en Belgique maintenant depuis combien de temps ?

le témoin 100 : Depuis bientôt deux ans.

Le Président : Vous avez résidé au Rwanda jusqu’il y a peu de temps ?

le témoin 100 : Non…

Le Président : Non, vous avez peut-être voyagé ?

le témoin 100 : Non, j’ai fait des pérégrinations, au Zaïre, au Kenya…

Le Président : Donc, comme réfugié ? Comme...

le témoin 100 : Oui, comme réfugié.

Le Président : Vous avez quitté le Rwanda à quel moment ?

le témoin 100 : J’ai quitté le Rwanda en 94 ?

Le Président : A quel moment en 94 ?

le témoin 100 : Le 29 mai 1994.

Le Président : Vous avez quitté pourquoi ?

le témoin 100 : Il y avait la guerre à cette époque-là, et puis alors, j’étais membre de l’opposition et surtout, j’avais rencontré le FPR à Bujumbura, du 21 février au 3 mars 1993. Et puis, pendant la guerre, juste le 7 avril, j’ai caché une famille de 10 personnes de Tutsi, et puis heureusement, avec la collab… avec l’aide des militaires qui habitaient tout près de moi, tout près de chez moi, j’habitais en face de l’aéroport international de Kanombe, on a pu évacuer cette famille qui travaillait à Air France. Et heureusement, cette famille a survécu et vit actuellement en Ouganda. Alors, moi j’étais menacé justement par le fait que j’étais membre de l’opposition, que j’avais rencontré le FPR et qu’effectivement j’avais hébergé, si, je peux dire ainsi, cette famille Tutsi.

Le Président : Vous étiez donc menacé par qui ?

le témoin 100 : En fait, justement, c’est ça le problème. Moi, j’étais menacé et par le FPR et par l’autre côté du gouvernement. Pourquoi ? Parce qu’à Bujumbura, quand même je n’ai pas… j’ai manifesté mon opposition aux idées du FPR, puisque moi, je demandais qu’ils abandonnent la lutte armée pour venir sur le terrain politique. Et puis alors, l’autre côté, comme j’avais rencontré le FPR, c’était presque un… c’était un tabou, c’était… le fait de rencontrer le FPR c’était… on était accusé de complicité, de pro-FPR, il y a un terme qu’on a appelé au Rwanda « Iyogi », « Iyogi », c’est-à-dire que vous êtes de l’autre tendance, vous n’êtes pas avec les autres, vous êtes du côté du FPR. Et puis alors, comme j’étais taxé d’ « Iyogi », alors, j’étais assez poursuivi par ceux du gouvernement. Alors donc, pardon ?

Le Président : Il existait donc, si je comprends ce que vous expliquez, semble-t-il, une espèce de troisième voie au Rwanda ? Il y avait les pro-FPR, il y avait éventuellement les Hutu Power, et puis, il y avait des gens qui voulaient à la fois se rapprocher du FPR, mais en lui demandant de quitter le terrain militaire pour arriver sur un terrain politique, et qui étaient pourtant opposés aussi aux forces gouvernementales ou au RMD, CDR et autres tendances ethnistes ?

le témoin 100 : C’est bien ça, Monsieur le président. Donc, il y en avait qui voulaient le compromis. Donc, notamment notre parti, le parti démocrate-chrétien.

Le Président : Bien. Y a-t-il des questions à poser au témoin ? Oui, Maître FERMON ?

Me. FERMON : Monsieur le président, le témoin nous a expliqué que, quand Monsieur NTEZIMANA est venu le voir, il a dit qu’il voulait fonder un parti qui était pour la démocratie, pour le bien-être et pour le changement. Je voudrais demander au témoin si, parmi les autres partis politiques qui existaient à ce moment-là à l’intérieur du Rwanda, y compris parmi les partis les plus extrémistes je dirais, il y en avait qui disaient qu’ils étaient contre la démocratie, contre le changement ou contre le bien-être du peuple. Donc, est-ce que, je dirais, ces trois idées distinguaient ce parti, ce nouveau parti, de ce qui existait sur le terrain ?

Le Président : Que pouvez-vous dire à ce sujet ?

le témoin 100 : Oui. A cette époque-là, tous les partis étaient traversés par un courant qui les divisait en deux. Il y avait les pro-FPR et il y avait ceux qui étaient opposés au FPR. Alors, NTEZIMANA, comme il était du MDR au début, il a vu que tous ces partis-là étaient scindés en deux, étaient minés par des luttes intestines. Mais heureusement - comme je l’ai signalé - le parti démocrate était encore préservé de cette division. Alors, NTEZIMANA lui, comme il était du MDR et qu’il y avait le MDR pro-FPR et l’autre aile qui était catégoriquement contre, lui il a cherché une autre voie, la voie médiane. Mais, comme le parti démocrate était un petit parti et que lui, il voulait sauvegarder ces idées-là, qu’il avait trouvées au sein du MDR mais qui n’étaient pas appliquées ni par l’autre parti du MDR, il voulait créer un autre parti pour mettre en pratique ses idées.

Le Président : Oui, bien sûr. Mais… est-ce que le MRND, gauche ou droite, le PSD gauche ou droite, le PDC gauche ou droite, le PL gauche ou droite, est-ce que tous ces partis, qu’ils soient de gauche ou de droite, à part le parti que voulait créer Monsieur NTEZIMANA, est-ce que ces partis étaient contre la démocratie ?

le témoin 100 : En fait, ces partis-là, ils s’étaient écartés un peu de leur objectif premier.

Le Président : Est-ce qu’ils étaient contre la démocratie ?

le témoin 100 : En fait, oui, parce qu’ils ne cherchaient pas les intérêts de la population. Ils cherchaient leurs intérêts, leurs propres intérêts.

Le Président : Oui, donc, c’étaient même plus que des partis, c’était plus que des… des défenses d’intérêts personnels. Bien. Maître BEAUTHIER ?

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, on se trouve au mois de septembre 1993 ; Monsieur NTEZIMANA vient dans le bureau de Monsieur, en fait du témoin, il lui parle d’un nouveau parti. Il lui parle des petits, il lui parle de la situation, et il ne lui parle pas des accords d’Arusha ?

le témoin 100 : Voilà, je vous l’ai dit… Il est venu dans mon bureau. Il voulait me recruter…

Le Président : Regardez par ici. Ce n’est pas parce que l’avocat a posé la question que vous ne pouvez pas regarder par ici. C’est plus facile pour vous d’ailleurs, hein. Sinon, vous allez avoir un torticolis.

le témoin 100 : OK. Non, mais lui, il voulait me recruter pour ce parti, et moi, je restais dans mon parti et moi, j’étais entièrement d’accord avec les accords d’Arusha. Je croyais que ça allait mettre fin à la guerre. Malheureusement, ça n’a pas été le cas. Et lui, il m’a exposé l’objectif de sa visite, dans mon bureau. Je lui ai dit carrément que moi, je restais dans mon parti, que je ne voulais pas changer. Mais on n’a pas abordé d’autres sujets en long et en large, parce que j’étais au travail. J’étais au service.

Me. BEAUTHIER : Non, mais… en long, en large ou en court, est-ce qu’on a parlé des accords d’Arusha ?

le témoin 100 : Non, Monsieur, on n’a pas abordé ces accords d’Arusha.

Le Président : Voilà.

le témoin 100 : Mais… j’aimerais ajouter peut-être deux petits points, pour vous éclairer la Cour, Monsieur le président. NTEZIMANA, il y a deux petits points sur lesquels j’aimerais rappeler… insister. C’est que NTEZIMANA est de la commune voisine de la mienne. Alors, je me souviens qu’en… novembre, je revenais de faire le meeting, d’organiser le meeting dans sa propre commune, dans un lieu appelé Muramba. C’est une grande paroisse. Et alors, on s’est arrêté tout près de chez lui. Alors, comme j’étais dans l’opposition, et en fait, on me considérait comme une personnalité importante dans ma commune, et lui, quand même… en tant que professeur, on le connaissait bien, surtout qu’il avait fait ses études en Europe. Et puis alors, on a dit : « Ah, Michel, toi, tu es aussi « Iyogi », tu es pro-FPR comme notre ami NTEZIMANA. Vous êtes les seuls intellectuels sur lesquels nous pouvions compter, et vous, vous vous écartez, vous vous éloignez de nous pour rejoindre, pour être complice du FPR ». Et ça, ça m’a fort marqué. Effectivement, c’est pourquoi d’ailleurs je n’ai pas été chez moi, parce que j’étais poursuivi pendant la guerre.

Le deuxième point, j’étais à Kigali, il y avait une association qu’on avait créée au niveau de notre région, qui s’appelle Kingogo, et alors, j’étais invité, malheureusement je n’ai pas pu m’y rendre, et NTEZIMANA était parmi les promoteurs. Et effectivement, on a évoqué aussi ce point quand il est venu me voir… Disons que c’était un point qui ne regardait pas la politique et donc qu’il voulait mettre en place une association au niveau de notre région, le Kingogo, qui regroupait à cette époque-là quatre… trois communes. Alors, quand il s’est présenté aux élections, il y avait quand même plus de 200 personnes, et alors, malgré qu’il soit un des promoteurs, on a crié haro sur lui comme quoi il était Inkotanyi, parce qu’il n’était pas de la mouvance présidentielle, et il n’a pas été élu membre du comité de cette association dont il était l’inspirateur, le fondateur.

Donc, pour vous dire que le fait de ne pas être du côté du… du MRND et des autres partis qui avaient... qui s’étaient rangés du côté du MRND, c’était très dangereux. Et je vous dis, depuis 1994, j’ai évité la… ma région, parce que j’étais menacé de mort. Et… en 94, quand j’ai appris que NTEZIMANA avait été trempé dans l’eau, le génocide, qu’il avait tué, j’étais un peu choqué, parce que je le connaissais comme un type franc et un type, bon… qu’on qualifie de modéré, parce moi, le mot modéré, là, moi, je… ça n’a aucun sens pour moi... Modéré, vous avez vos idées à défendre, vous ne tuez pas, vous refusez de tuer, vous refusez la corruption et l’exploitation, à ce moment-là, vous n’êtes pas… donc, vous êtes démocrate. Moi, je dis démocrate et non-démocrate, en fait, ce sont les termes que j’aimerais qu’on utilise dans le domaine-là, parce que modéré, c’était un peu flou. A cette époque-là, on disait modéré, c’est-à-dire celui… qui se rangeait du côté du FPR, qui était Iyogi etc. Voilà, c’était les deux points que je voulais souligner, Monsieur le président.

Le Président : Oui, Maître BEAUTHIER.

Me. BEAUTHIER : Le témoin, pourrait-il nous dire si un modéré, en 1994, pouvait avoir des attitudes ou des comportements ou des amitiés avec des gens de l’armée, qui étaient en fait des génocidaires. Est-ce qu’il était normal que quelqu’un qui est modéré, ait des relations intimes, peut-être par famille, peut-être depuis l’enfance, avec des militaires, ou bien est-ce que les modérés n’étaient pas en odeur de sainteté chez les militaires ?

Le Président : Je n’ai pas envie de vous poser la question, parce que...

le témoin 100 : Oui, j’ai compris.

Le Président : Non, je n’ai pas envie de vous poser la question, c’est une question d’ordre général, est-ce que... ou alors, je dois vous poser la question de savoir s’il y avait des militaires modérés, des militaires pas modérés.

Me. BEAUTHIER : On peut la reformuler autrement, Monsieur le président.

Le Président : Est-ce qu’on peut savoir à l’époque, qui était modéré et qui ne l’était pas ?

Me. BEAUTHIER : On peut la reformuler autrement.

Le Président : Est-ce que quelqu’un qui était modéré, à un moment donné, a pu changer d’opinion ? Ce sont des questions donc purement générales.

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, une question précise. Est-ce que Monsieur NTEZIMANA, qui est modéré pour Monsieur le témoin, est un homme… Etant, dit-il, modéré, pouvait-il, à Butare au moment des événements, avoir des relations proches, amicales, jouer aux cartes avec des militaires génocidaires ?

Le Président : Savez-vous si Monsieur NTEZIMANA était en contact avec des militaires ?

le témoin 100 : Non, Monsieur le président, je ne savais pas. Mais… le mot génocidaire...

Le Président : Non, c’est tout. Je vous ai posé la question que j’estime devoir vous poser.

le témoin 100 : Ah oui, d’accord.

Le Président : Maître GILLET.

Me. GILLET : Oui, Monsieur le président, le témoin parle de cette association de Kingogo, dont et Monsieur HIGANIRO et Monsieur NTEZIMANA ont fait état lors de leur interrogatoire de personnalité, et j’aurais souhaité poser trois questions à propos de cette association. Deux questions, exactement. D’abord, quel était son objet social ?

Le Président : Quel était l’objet social ou le but ?

Me. GILLET : Oui, c’est cela. Qu’avaient-ils l’intention de faire ?

le témoin 100 : C’était le développement social et économique de la région de Kingogo.

Le Président : Est-ce qu’il y avait éventuellement des objectifs plus précis encore ?

le témoin 100 : Il voulait, par exemple, ce jour-là, le jour de la constitution de cette association, ils ont mis ensemble des cotisations, qui pourraient servir à payer le minerval à des enfants des plus démunis.

Le Président : C’est cela. Oui ?

Me. GILLET : Alors, on remarque dans la liste des membres de cette association, il y a des personnes telles que le colonel Anatole NSENGIYUMVA et Monsieur Pierre TEGERA qui, déjà avant le génocide, ont été dénoncés pour leur participation dans les massacres dans la période 1990-1994, et Monsieur Anatole NSENGIYUMVA est aujourd’hui en détention préventive à Arusha. Et je voudrais savoir s’il était normal que tous ces gens se retrouvent dans ce type d’association ?

le témoin 100 : Monsieur le président, c’est que, n’importe qui est présumé innocent quand il n’est pas encore déclaré coupable. Donc, vous dites des génocidaires, des… Non ! Il est devant le tribunal, il faut attendre qu’il soit condamné. Donc, le fait que Anatole NSENGIYUMVA ou Pierre TEGERA soient membres d’une association, mais c’est vous-même, Monsieur l’avocat, qui le qualifie de génocidaires. Ils ne sont pas encore déclarés coupables. N’importe qui pouvait être membre d’une association de son choix.

Le Président : Oui ?

Me. GILLET : Alors une toute dernière question : les deux accusés nous ont dit avoir rassemblé à l’occasion de l’assemblée générale constitutive, je crois, lorsqu’il y a eu ces 200 ou 300 personnes, la somme de 300.000 francs rwandais, mais ne pas se souvenir de ce qui avait été fait de cet argent. Je souhaiterais savoir si le témoin à des précisions à cet égard.

Le Président : Savez-vous ce que seraient devenues des cotisations récoltées ?

le témoin 100 : Non, Monsieur le président.

Le Président : Vous-même, vous avez cotisé ? Vous...

le témoin 100 : Non, je n’étais pas encore membre, parce que j’étais retenu pour des raisons de service à Kigali.

Le Président : Donc, vous n’avez pas été à cette assemblée ?

le témoin 100 : Non, Monsieur le président. J’en ai eu des échos.

Le Président : Et vous n’avez pas eu d’échos de ce qui était devenu de l’argent ?

le témoin 100 : Non, parce que, en fait, j’étais juste, il y a eu la guerre, et c’était la débandade, même les responsables ne savaient pas ce qu’il est devenu.

Le Président : D’autres questions ? Oui, Monsieur l’avocat général et ensuite Maître NKUBANYI.

L’Avocat Général : C’est une simple précision, Monsieur le président, pour que ce soit tout à fait clair ce dont on parle ici. Donc, l’association qui a été érigée et qui concerne donc le développement socio-économique de Kingogo, on parle bien de l’ADSK ?

le témoin 100 : Oui, c’est bien cela, Monsieur l’avocat général.

Le Président : Maître NKUBANYI ?

Me. NKUBANYI : Monsieur le président, le témoin dit qu’il était membre d’un parti politique, le parti démocrate-chrétien, si j’ai bien entendu. Est-ce que, à son estime, en tant que politicien, l’application des accords d’Arusha pouvait apporter la démocratie au Rwanda ?

le témoin 100 : Oui, moi, j’estime que c’était un bon début, parce que ça allait mettre fin à la guerre. Il y avait une transition pendant la guerre. On devait mettre en place des institutions qui étaient définies à Arusha. Mais je… si les deux partis avaient été sincères, je crois que ça aurait été un bon début pour notre pays.

Me. NKUBANYI : Merci. On a constaté que dans les partis rwandais, il y a eu une division entre les pro-accords et les opposants aux accords. Les uns étaient dit Power et les autres modérés. Autrement dit, ceux qui étaient modérés, étaient favorables à l’application des accords, et le témoin dit que ni les Power ni les modérés n’étaient, à son estime, des démocrates. Est-ce qu’il n’y a pas une contradiction à cet égard ?

Le Président : Le but du procès n’est pas de faire de l’exégèse politique, c’est de juger quatre personnes. Donc la question, celle-là en tout cas, n’est pas posée.

Me. NKUBANYI : Oui. Une autre question, Monsieur le président. Le témoin a parlé de régionalisme, en disant que le régionalisme n’existait pas au Rwanda avant l’attaque du FPR. Est-ce qu’il peut nous parler de ce phénomène au Rwanda et notamment de l’Akazu et de ceux qui étaient membres de cet Akazu ?

Le Président : L’Akazu, est-ce que vous savez ce que c’est ?

le témoin 100 : Oui, Monsieur le président.

Le Président : Vous pouvez définir ce qu’est l’Akazu ?

le témoin 100 : En fait, c’était l’entourage le plus proche du président de la république. Moi, qui me semblait, donc le président de la république qui me semblait être indécis alors, c’est ce que je lui reprochais le plus, c’est pourquoi je voulais qu’on change, il était indécis, il ne prenait pas de décision et il était influencé, effectivement, par cet entourage qu’on appelle Akazu.

Le Président : Est-ce que, par exemple, Monsieur HIGANIRO…

le témoin 100 : Oui…

Le Président : faisait, selon vous, partie de l’Akazu ?

le témoin 100 : Le fait qu’il s’est marié avec la fille du médecin personnel du président de la République, disons, normalement l’introduirait dans l’Akazu. Mais le fait qu’il a été ministre pendant quelques mois et puis il a été dégommé et puis, en fait, il a été éloigné, en fait éloigné vers une société qui venait d’être mise en place, et puis encore là au Sud-là qui n’était plus proches de cet Akazu-là, qui était normalement notamment à Kigali et puis dans la commune originaire du président… dont le président était originaire. Je crois que, moi, il n’était pas membre effectif de l’Akazu.

Le Président : Alors, on a parlé un peu de régionalisme Qu’est-ce que ça a comme sens le régionalisme ? Est-ce qu’il n’y avait pas des gens qui étaient, même dans les Hutu, plus favorisés que d’autres par le pouvoir ? Est-ce que c’est ça le régionalisme ? Ou est-ce que c’est autre chose ?

le témoin 100 : Oui, Monsieur le président. Disons, je peux dire qu’avec ce qui a provoqué les histoires au Zaïre… au Rwanda, pardon, c’est la lutte pour le pouvoir. Bon, ce petit gâteau, avant, jusqu’en 1972, c’était le Sud qui dominait le pouvoir. En 73, après le coup d’état, ça a été au début dominé par le Nord, et, après la création du MRND dans les années 76-78 jusqu’en 82, ça a été corrigé, ça allait bien. Et puis, après 84, encore cette tendance, elle a favorisé plus les nordistes que les sudistes.

Le Président : Bien. Oui, Monsieur l’avocat général.

L’Avocat Général : Est-ce que le témoin connaît les candidats de l’ADSK qui avaient été élus ? Il y avait les membres du comité exécutif, les président des commissions, mais puis il y avait aussi des candidats élus, par nombre décroissant de voix.

le témoin 100 : Monsieur l’avocat, puisque que je vous ai dit que je n’ai pas participé à la mise en place de cette association, qu’on m’en a parlé, j’étais retourné à Kigali, je n’ai pas pu y aller, et puis, vous savez qu’après la, la… disons, toute l’année 94, c’était une année trouble. Donc, avec, je peux dire, même, je peux dire que ça n’a jamais fonctionné en tant que tel. Donc, je n’ai pas en tête ceux qui ont été élus avec des voix.

L’Avocat Général : Est-ce que le nom d’un nommé Laurent BUGABO lui dit quelque chose ?

le témoin 100 : Laurent ?

L’Avocat Général : BU-GA-BO.

le témoin 100 : Je connais un certain BUGABO, qui est un gendarme, mais qui a été ensuite chassé, est-ce que c’est celui-là ? Il était de la commune de Satiskyi justement où il y a eu la réunion constitutive de l’association. Mais...

L’Avocat Général : Est-ce que Monsieur NTEZIMANA connaît un nommé BUGABO Laurent ?

Vincent NTEZIMANA : Laurent BUGABO, ça me dit quelque chose effectivement, c’est un gendarme qui a été chassé de la gendarmerie, ça me dit quelque chose effectivement.

Le Président : Oui ?

L’Avocat Général : Ce n’est pas le Docteur MUGABO, par hasard ? Ce n’est pas le Docteur MUGABO, ou BUGABO ?

Le Président : Oui ?

Vincent NTEZIMANA : Laurent BUGABO, dont je parle, était un gendarme, et je crois qu’il y avait un Docteur MUGABO, médecin à l’hôpital universitaire à Butare. Ce sont des personnes ­ si on parle des mêmes personnes ­ ce sont des personnes différentes, Monsieur le président.

Le Président : Oui, Maître HIRSCH.

Me. HIRSCH : Merci, Monsieur le président. Personnellement, je ne suis pas du tout sûr que cette association n’ait jamais fonctionné, et j’aurais voulu demander au témoin s’il connaît par ailleurs Monsieur François BARANYERETSE, qui a participé également à ce groupe, Monsieur HIGANIRO également, Monsieur NDAYAMBAJE Augustin, qui était étudiant à l’université de Butare, Monsieur NTEZIMANA qui a participé à la même réunion également, et je voudrais que le témoin nous explique en quoi la sensibilisation pour cette organisation dont les intérêts était purement régionaux, association caritative, pour venir en aide aux étudiants démunis, en quoi cette association devait permettre la coordination de la sensibilisation à Butare, qui était organisée précisément par Monsieur NTEZIMANA et l’étudiant de l’UNR, Monsieur NDAYAMBAJE.

le témoin 100 : Madame, le docteur BARANYERETSE, je crois, c’est un type de Ramba. Lui, je le connais, il était docteur à… je le connais. Ce n’était pas un ami, mais je le connais personnellement. Et les autres sont des… NDAYAMBAJE, je ne le connais pas, Madame. Et alors, cette sensibilisation, peut-être qu’à l’université, il y avait des étudiants originaires de ces trois communes, et ce n’était que des professeurs, et peut-être qu’ils voulaient recruter des gens pour cette association. Mais je le jure au nom de Dieu tout-puissant que l’association était pour le bien-être de la population locale.

Le Président : D’autres questions ? Maître BEAUTHIER.

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, j’ai deux questions : comment la personne qui est devant nous peut-elle dire qu’elle connaît personne dans cette association et qu’elle peut nous jurer, au nom du Dieu tout-puissant, qu’elle sait qu’elle a accompli ses buts. Alors, il y a quelque chose que je ne comprends pas. Quelle était la fonction précise du témoin dans...

Le Président : Maître. BEAUTHIER, je ne pose pas cette question. Le témoin vous a dit qu’il ne sait pas si les buts ont été poursuivis ou pas.

Me. BEAUTHIER : Je pose une deuxième question, Monsieur le président.

Le Président : Le témoin a dit qu’il connaissait le but qui était avancé, et puis, il a dit que ça n’avait jamais fonctionné.

Me. BEAUTHIER : Mais non, c’est…

Le Président : Maître BEAUTHIER, nous sommes pour le moment en train d’examiner les faits qui sont reprochés à Monsieur NTEZIMANA.

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, une deuxième question. On a posé une question à propos de Monsieur HIGANIRO. Le témoin sait-il que Monsieur HIGANIRO a une maison tout près de celle de Monsieur le président à l’époque, où le président venait manger souvent. Puisqu’il nous a dit qu’il était retiré à Butare, est-ce qu’il sait qu’il a une maison dite de campagne, de week-end ou de mois, je ne sais pas, près du Lac Kivu.

Le Président : Savez-vous si Monsieur HIGANIRO est propriétaire d’une maison près du Lac Kivu ?

le témoin 100 : Non, Monsieur le président, je ne le savais pas.

Me. BEAUTHIER : Est-ce qu’il allait manger souvent avec le président ?

Le Président : Savez-vous si Monsieur HIGANIRO allait manger souvent avec le président le témoin 32 ? 

le témoin 100 : Non, Monsieur le président.

Me. BEAUTHIER : Je vous remercie, Monsieur le président.

Le Président : Bien. D’autres questions ? Les parties sont-elles d’accord pour que le témoin se retire ? Un petit instant, hein ? Monsieur le témoin 100, est-ce bien des accusés ici présents dont vous avez voulu parler ; cela signifie : persistez-vous, confirmez-vous vos déclarations ?

le témoin 100 : Oui, Monsieur le président, je confirme mes déclarations.

Le Président : Vous pouvez vous retirer et disposer librement de votre temps. La Cour vous remercie pour votre témoignage.

le témoin 100 : Je vous remercie, Monsieur le président.

Le Président : Le témoin suivant, Monsieur le témoin 97. Oui ? Maître CARLIER ?

Me. CARLIER : Monsieur NTEZIMANA signale qu’il souhaite faire un commentaire suite à ce témoignage.

Le Président : Eh bien, il peut le faire. Monsieur l’huissier, vous attendez un instant avant de faire venir Monsieur le témoin 97. Monsieur NTEZIMANA souhaite faire un commentaire après le témoignage qui vient d’être reçu. Vous avez la parole, Monsieur NTEZIMANA.

Vincent NTEZIMANA : Oui, Monsieur le président, il a souvent été question de l’association, et on a cité des noms. J’ai déjà signalé que nous étions au environ de 300 personnes, que j’ai contactées, par-delà les divergences politiques, tout le monde qui pouvait apporter une contribution. Que se soient retrouver là-dedans plus tard des personnes suspectes, ça c’est même indéniable éventuellement, mais le but premier de l’association était bel et bien de soutenir les enfants. Alors, à propos de la sensibilisation, pour toucher autant de monde, on a dû contacter les personnes natives, donc, de la région, qui étaient fonctionnaires, de part et d’autre, de tous les coins du Rwanda, et c’est la raison d’être de cette sensibilisation, Monsieur le président.

Le Président : Je vous remercie. Donc, on peut faire approcher maintenant le témoin suivant.