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6.3.9. Audition des témoins: le témoin 150
Le Greffier : La Cour.
Le Président : L'audience
est reprise, vous pouvez vous asseoir et les accusés peuvent prendre place.
Bien.
Pour la suite de cet après-midi ou de ce début de soirée, nous n'entendrons
plus aujourd'hui que deux témoins, les deux témoins qui viennent du Rwanda et
qui devront retourner à la fin de cette semaine. C'est-à-dire, je crois que
c'est le témoin 150 et le témoin 73.
J'ai demandé à ce que les autres témoins soient renvoyés dans leur
foyer et nous allons sans leur communiquer de date pour le moment - parce
que, compte tenu du développement des débats, je crois qu'il est indispensable
que je puisse revoir l'organisation des auditions en accordant la priorité à
ceux pour lesquels nous sommes tenus à des impératifs de voyage, hein ce sont
ceux qui viennent du Rwanda et qui retournent et que donc, les auditions de
témoins se poursuivront au-delà de la date qui était prévue initialement, euh…
et que nous allons peut-être perdre un des avantages de l'ordre que l'on avait
actuellement dans les témoignages qui est une certaine structure d'étudier fait
par fait ou accusé par accusé.
Euh… mais je ne vais pas vous imposer six semaines de ce rythme.
Donc, je vais revoir l'horaire d'audition des témoins, en tout cas, à partir
de la semaine prochaine. Les quatre enfin les témoins non rwandais, enfin
non-résidents au Rwanda - d'aujourd'hui sont renvoyés pour le moment dans leur
foyer. Euh… demain, il n'y en a que deux apparemment qui sont du Rwanda ;
on verra ce qu'on pourra faire mais il y en a sans doute aussi qui seront renvoyés
dans leur foyer demain. Euh… et je reverrai la situation durant le long week-end
que j'accorde comme congé aux jurés, qui ne sera pas tout à fait des congés
pour nous. Euh… et je vais réorganiser, re-planifier les auditions de témoins
de manière à ce que nous ayons un rythme plus raisonnable. Alors, je vous donnerai
la parole après l'audition des témoins. Oui, mais vous le ferez après, comme
ça on est sûr qu'ils seront entendus. Parce que, même s'il s'agit d'une demande
à formuler, à supposer même que vous ne la fassiez pas aujourd'hui, vous pourrez
peut-être la faire demain matin, à moins que les heures ou les minutes ne soient
à ce point importantes qu'elles ne doivent être formulées immédiatement.
Donc, Monsieur le témoin 126 ou le témoin 150, je ne sais pas.
Le Président : Monsieur, quels sont vos nom et prénom ?
le témoin 150 : Je m'appelle le témoin 150.
Le Président : Quel âge avez-vous, Monsieur ?
le témoin 150 : J'ai 60 ans.
Le Président : Quelle est votre profession ?
le témoin 150 : Je suis professeur d'université.
Le Président : Quelle est votre commune de domicile ?
le témoin 150 : Maintenant Kicukiro à Kigali.
Le Président : Au Rwanda ?
le témoin 150 : Au Rwanda, oui.
Le Président : Connaissiez-vous les accusés ou certains des accusés avant le
mois d'avril 1994 ?
le témoin 150 : Oui, je connaissais NTEZIMANA.
Le Président : Oui.
le témoin 150 : Oui. Et puis, je connaissais aussi HIGANIRO.
Le Président : C'est ça. Vous n'êtes pas de la famille des accusés ou de la
famille des parties civiles ?
le témoin 150 : Non.
Le Président : Vous ne travaillez ni pour les accusés ni pour les parties civiles
?
le témoin 150 : Non.
Le Président : Je vais vous demander, Monsieur, de bien vouloir lever la main droite
et de prononcer le serment de témoin.
le témoin 150 : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité
et rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie. Vous pouvez vous asseoir. Monsieur le témoin 150,
dans quel cadre avez-vous fait la connaissance de Monsieur NTEZIMANA ?
le témoin 150 : J'étais collègue de travail de NTEZIMANA et souvent on se rencontrait
dans le bus qui nous conduisait à l'université.
Le Président : Vous avez été entendu, euh… au Rwanda à propos de la personnalité
ou des opinions politiques de Monsieur NTEZIMANA ? Vous pouvez expliquer ce
que, selon vous, selon ce que vous avez retenu des propos que tenait Monsieur
NTEZIMANA ?
le témoin 150 : Oui, comme je l'ai dit, on se rencontrait dans le bus et souvent il
discutait avec des collègues, parce que moi souvent je me taisais. Souvent je
me taisais parce que je suis témoin de Jehova de religion et j'ai comme principe
que je ne dois pas me mêler de politique. C'est pour cela que je me gardais
de me mêler de leur discussion mais je les écoutais et souvent il discutait
avec une collègue qu'on appelait le témoin 76 et des fois, ils avaient même
vraiment des propos assez énergiques et violents. Alors, ils discutaient surtout
au sujet du rôle que les Tutsi, surtout ceux qui étaient à l'intérieur du pays,
avaient à jouer dans l'attaque des Inkotanyi, des rebelles, de la diaspora,
et NTEZIMANA, d'après lui donc, il était de l'opinion que les Tutsi de l'intérieur
avaient une part à jouer, donc ils étaient complices, qu'ils étaient complices
de cette guerre, des rebelles et ce qu'on ne partageait pas, l’opinion que ne
partageait pas le témoin 76 qui lui disait qu’il fallait faire la part de ce
que font les rebelles et la part de ce que font les Tutsi de l'intérieur. Parce
que les Tutsi de l'intérieur, la plupart ne savait même pas d'où venait cette
rébellion ; ils ne savaient pas comment l'attaque avait été organisée.
Ils ne devaient pas être tenus responsables de cette attaque ou tenus pour complices
et voyez donc, quand on a ces idées, on risque de culpabiliser des gens qui
ne sont pas coupables et de les prendre pour responsables de la guerre et cela
est prêt à inciter les gens à les haïr et même à les tuer parce qu'ils les rendent
responsables de cette guerre dont ils ne savaient rien. Et finalement.
Le Président : C'est ça. Donc, vous le classeriez politiquement, même si vous
ne faites pas de politique, dans ce qu'on appelait la tendance Hutu Power ?
le témoin 150 : Bon, ce serait
peut-être trop risqué, mais je pourrais dire qu’il partageait cette idée-là,
que pratiquement l'ethnie Tutsi en tant que telle hein, voilà qu'elle était
responsable de cette guerre et qu'elle était complice et que, par conséquent,
elle devait être punie, ou elle devait être en tout cas, hein, traitée, d'après
ce qu'il pensait, probablement même donc tuée parce que voilà, elle était coupable.
Mais, je ne saurais pas dire s'il était de la tendance Power parce que je n'ai
aucune donnée là-dessus.
Le Président : Vous
avez exposé que, à l'université, il y avait quelques professeurs qui étaient
d'une tendance extrémiste et vous avez parlé de Monsieur NTEZIMANA, mais également
d'un autre professeur le témoin 93.
le témoin 150 : Oui, j'en ai parlé, parce qu’avec NTEZIMANA et un autre qui s'appelait
aussi BANYERETSE, voilà, ils étaient responsables de la sécurité dans le secteur
ou bien dans le quartier où habitaient les professeurs ; ce sont eux qui
ont organisé les rondes de nuit et qui surveillaient le mouvement des personnes
et des biens, donc pendant cette période difficile et bon, il partageait les
mêmes idées, les idées que j'ai évoquées tout à l'heure, il les partageait,
parce que souvent quand on causait, il faisait comprendre que nous sommes même
des Inkotanyi. Même moi, qui ne faisais pas de politique, il me traitait d'Inkotanyi
parce que j'étais Tutsi et même, par la suite, j'ai appris qu’ils avaient inventé
toute une histoire sur moi, ils avaient dit que j'avais des uniformes d'Inkotanyi
dans ma maison, que j'avais creusé un trou dans ma propriété pour enterrer les
Hutu que les Inkotanyi tueraient. Donc, il y a cette tendance de ne pas faire
la part des choses, de ne pas savoir qui est responsable ou qui est coupable.
C'est ça qui semait la confusion et qui culpabilisait les gens et qui semait
une tension et un climat d'insécurité.
Le Président : Dans ces gens extrémistes qui ne faisaient donc pas la différence
entre les Tutsi et participant à des attaques avec le FPR, et ceux qui étaient,
je dirais paisiblement chez eux au Rwanda, est-ce qu'il y avait aussi le vice-recteur
Jean Berckmans NSHIMIYUMUREMYI ?
le témoin 150 : Bon, euh… écoutez, il y avait un ensemble de gens qu'on appelait les
gens de la maison, c'est-à-dire les gens très proches du président le témoin 32.
Bon, en terminologie rwandaise on disait Akazu, c'est-à-dire les gens de la
maisonnée ou qui faisaient partie de cette maisonnée-là du président. Bon, on
pouvait citer par exemple HIGANIRO, on peut citer également Jean Berckmans,
ils étaient très proches. Ce que je sais c'est que le jour où le génocide a
commencé, le 21 qui fut d'ailleurs le jour de ma fuite, il y a eu un petit événement
dans ma famille, c'est-à-dire qu'un ami un ami témoin de Jehova de Kigali
est venu dormir chez moi le 20 parce que les gens commençaient à fuir Kigali
et venaient vers Butare, cet ami est venu dormir chez moi le 20 avec sa femme,
son enfant et une bonne Tutsi qui les accompagnait. Et, en arrivant chez moi,
ils nous ont dit qu’ils allaient seulement dormir une nuit et puis le lendemain
ils allaient traverser la frontière du Rwanda par Cyangugu pour arriver au Congo.
Mais, le lendemain on leur a dit qu'ils ne pouvaient pas voyager parce que leur
bonne n'avait pas de carte d'identité. Alors, comme cet ami, témoin de Jehova,
connaissait Bernard le témoin 93, il m'a dit : « Ecoutez, on va voir Bernard,
il va essayer de nous aider à résoudre ce problème de carte d'identité ».
Alors, Bernard est venu me prendre dans sa petite
jeep et puis on est monté. Mais les gens qui me voyaient, disaient : « Mais
où est-ce qu'il va Tharcisse ? Il ne sait pas qu'on a commencé à tuer ? ».
Alors moi, tout innocemment voyez, j'étais, je ne sais pas, quand on n'est pas
coupable on ne se rend même pas compte du danger. Je suis monté dans son véhicule,
on est monté puis j'entendais des crépitements de balles dans le bois tout autour
et je lui demandais ce qui se passait, mais il disait : « Je ne sais
pas ». On est monté, on est allé chez le préfet. Le préfet était devant
l'hôtel Ibis, c'était le nouveau préfet et il y avait également toutes les autorités
de Butare avec KANYABASHI. Il y avait aussi Jean Berckmans et d'autres
personnalités dont je ne me souviens pas, parce que c'était un groupe important
devant l'hôtel Ibis. Alors, moi j'arrive là-bas pour voir le préfet. Bon, j'essaie
de parler au préfet, mais il me dit qu'il ne peut rien faire et pendant que
j'étais en train de parler avec le préfet, je vois s'amener une camionnette
blanche avec des militaires dedans, et sur la camionnette, il y avait deux militaires
avec des gourdins et un troisième avec un fusil, et ils arrivent devant le groupe
de gens qui était devant l'hôtel Ibis. Ils demandent de présenter les cartes
d'identité.
Alors, les gens présentent les cartes d'identité et moi, quand je
vois qu'on commence à présenter les cartes d'identité, je m'esquive, je me cache
derrière. Je me cache derrière le groupe, je m'accroupis pour qu'on ne me demande
pas ma carte d'identité. Alors, on prend les gens, on les charge sur la camionnette,
on s'en va et on les emmène dans le bois, les tuer. Et moi, quand je vois que
la vague est passée, je me relève, je dis à Bernard : « Ecoutez, il
est temps que tu me ramènes à la maison parce que je vois que ma vie est en
danger ». Bon, alors Bernard dit : « Mais on n'a pas résolu le
problème de la carte d'identité ». Alors, je pars avec Bernard, on va voir
un… comme un sous-préfet chargé des affaires sociales. Lui non plus ne veut
pas me recevoir. Bon, alors je me dis : « Mais qu'est-ce qu'il faut
faire ? », je dis à Bernard : « Maintenant il faut quand
même me ramener à la maison ». Donc, Bernard m'a quand même ramené à la
maison et puis on m'a déposé là-bas, on m'a déposé à la maison et il est reparti
chez lui et là, quand je suis revenu, ma femme et mes enfants se sont étonnés
que j'étais encore en vie.
Mais alors, on a commencé à avoir de la panique, on s'est dit :
« On ne peut… qu'est-ce qu'on va faire, qu'est-ce qu'on va faire maintenant ».
Avec ma femme on se dit : « Si on pouvait se cacher dans la maison
du professeur voisin qui est parti, peut-être qu'on pourra se sauver, non ? ».
On a essayé d'ouvrir la fenêtre, ça n'allait pas, on est revenu, on s'est assis
dans le salon, on s'est dit : « Voilà, écoutez, on attend, on attend
la mort ». Voilà on est resté là-bas et puis, vers 6 heures du soir, bon,
j'entends quelqu'un qui toque à ma porte, c'était un témoin de Jehova qui venait
se rendre compte si on était mort. Il venait de passer à un endroit qu'on appelait
Rwabuye, donc c'est un peu tout près de la vallée de Butare, et il avait vu
quatre Tutsi qu'on tuait et qu'on jetait dans la rigole. En voyant ça il s'est
dit : « Bon, la famille de Tharcisse doit être déjà décimée, il faut
que j'aille me rendre compte ». Quand il arrive, il nous trouve au salon
en train d'attendre la mort et quand en entrant dans… tout près de notre enclos,
il trouve deux militaires avec des mitraillettes qui attendaient là-bas. Les
militaires lui disent : « Ecoutez, entrez, mais ne tardez pas chez
Tharcisse. Pendant que le témoin entre chez moi, les militaires commencent à
faire quelques pas, parce que, probablement, ils pensaient que j’étais… qu'on
était occupé par le visiteur, ils font quelques pas et ils tournent le dos à
mon domicile.
Alors, le témoin nous dit : « Ecoutez c'est le moment de
quitter votre maison. Si vous ne quittez pas votre maison vous serez tués ».
On profite de ce moment, on sort, on quitte la maison, on s'engouffre dans la
brousse qui était tout près de ma maison et on va se cacher dans la brousse
et le témoin s'en va avec deux de mes enfants. Il les emmène chez lui. Imaginez
que pendant que nous sommes encore dans la brousse, 20 minutes seulement après
avoir quitté ma maison, j'entends des coups de fusil dans ma maison. Alors,
des gardes présidentiels étaient venus pour me tuer, ils ne m'ont pas trouvé
bien sûr puisqu'on était déjà dans la brousse et ils ont tiré sur la porte arrière
qui donnait sur la cuisine parce qu'ils croyaient qu'on était à l'intérieur.
Alors, la porte s'est ouverte avec cette balle-là, et puis a ricoché, et a touché
le frigo et la cuisinière et c'est notre ouvrier qui nous l'a écrit le lendemain,
par un petit mot qu'il a envoyé, car il savait où on était caché. C'est ainsi
donc que ce jour je me suis sauvé de la maison et que j'ai quitté Butare avec
les témoins qui m'ont emmené avec toute ma famille. Ils nous ont cachés, je
me suis caché pendant 2 mois et demi jusqu'au 5 juillet du 21 avril jusqu'au
5 juillet je me suis caché donc chez ces témoins qui d'ailleurs m'ont trimballé
d'un endroit à l'autre avec ma famille dans des difficultés que je ne peux pas
raconter ici. Il me faudrait deux heures ou trois heures pour vous raconter
tout ce qui est arrivé pendant ces 79 jours que j'ai vécus jusqu'à ce qu’arrivent
les Inkotanyi qui m'ont tiré de la cachette.
Voilà donc, un peu, en quelques mots, ce qui s'est passé ce jour-là.
Le Président : Avant ce jour-là, n'avez-vous pas eu, à un moment donné, l'intention
de vous inscrire vous et votre famille…
le témoin 150 : Oui. Oui.
Le Président : …sur une liste qui était destinée à répertorier les personnes
qui souhaitaient quitter Butare.
le témoin 150 : Oui, c'est ça. Oui, c'est un point très important. Comme je l'ai dit,
NTEZIMANA et ses compagnons, comme le témoin 93 et BANYERETSE, étaient chargés
de la sécurité dans le quartier et puis à un certain moment, je crois deux ou
trois jours avant le génocide, bon, ils ont fait circuler une idée comme quoi
les professeurs Tutsi qui se sentaient menacés, ils pouvaient faire une… se
faire inscrire sur une liste et on allait leur donner un véhicule pour conduire
leur famille, les enfants et leurs femmes vers la frontière du Burundi. Voilà.
Evidemment, cette idée était très alléchante, très alléchante, parce qu’on se
sentait dans l’insécurité. Alors, c'est au professeur KARENZI qu’ils l'ont d'abord
dite cette idée, il a fait inscrire sa famille ; d'autres ont suivi, comme
le professeur Gaëtan et d'autres. Et puis KARENZI, comme KARENZI c'était vraiment
un ami, on s'aimait beaucoup parce qu’on était tous les deux des chercheurs
et on collaborait, il a dit : « Tiens, il faut que j'aille le dire
à Tharcisse ». Il est venu ; bon, ne m'ayant pas trouvé à la maison,
il a dit à ma femme que je devais le plus tôt possible aller me faire inscrire
sur cette liste. Il a dit qu'il faut aller chez NTEZIMANA Vincent.
Alors, quand je suis revenu à la maison, ma femme
me l'a dit. Je suis monté mais je n'ai pas trouvé NTEZIMANA à la maison, chez
lui ; alors, on m'a dit que, en son absence, c'était BANYERETSE François
qui pouvait m'inscrire sur la liste. Arrivé chez BANYERETSE donc, comme quand
même c'était aussi un collègue avec lequel on s'entendait avant, on était presque
des copains, il m'a dit : « Ecoute Tharcisse, ne sois pas si naïf,
ne sois pas si naïf. Bon, vous n'aurez jamais un véhicule pour vous conduire
à la frontière du Burundi ni pour conduire vos familles. Bon, ça ne vaut même
pas la peine de te faire inscrire. Tu peux te faire inscrire, je ne refuse pas
mais sois sûr même que si tu te fais inscrire tu n'auras jamais de véhicule ».
Alors, c'est à ce moment que j'ai compris que c'était vraiment une supercherie,
je me demandais pourquoi cette idée circulait, d'ailleurs, tous ceux qui se
sont fait inscrire sont tous morts, ils sont tous morts, alors pourquoi cette
liste, à quoi est-ce qu'elle servait ? Vous pouvez le demander à ceux qui faisaient
la liste. Et le fait que moi je ne me suis fait jamais inscrire, et donc je
suis retourné évidemment le dire à ma femme et ma femme a dit : « Pourquoi
tu ne veux pas le dire au professeur KARENZI, parce qu’il va continuer à se
bercer d'illusions ». Je suis monté le lui dire : « Ecoutez,
voici ce que BANYERETSE m'a dit. Il a dit que ça ne serait pas la peine de se
faire inscrire sur la liste ». Évidemment, le professeur KARENZI n'en revenait
pas, il était très déçu. Il a dit : « Tiens, moi je croyais que c'était
sérieux ce qu'on nous promettait ». Voilà, c'est comme ça donc que cette
liste a été faite, on se demandait pourquoi on la faisait.
Le Président : Vous dites, Monsieur le témoin 150, que tous ceux qui s'étaient inscrits
sur cette liste sont morts ?
le témoin 150 : Bon j'ai...
Le Président : Vous pouvez rappeler quelles sont les personnes qui sont mortes ?
Il y a eu le professeur KARENZI et sa famille…
le témoin 150 : Oui. Bon, je ne sais pas, la liste je ne l'ai jamais vue. Je ne l'ai
pas lue pour savoir qui était sur la liste mais la personne dont je suis sûr
c'est que le professeur KARENZI et Gaëtan, pour celui qui s'appelait Gaëtan,
je ne me souviens pas du deuxième nom, c'est Gaëtan. Voilà, et d'autres, je
n'ai pas vu vraiment la… je n'ai pas lu toute la liste pour identifier chaque
personne.
Le Président : Bien. Souhaitez-vous poser des questions au témoin ? Monsieur
l'avocat général ?
L'Avocat Général : Est-ce que le témoin peut confirmer ce qu'il vient de dire et ce qui
se trouve dans son audition, que Monsieur NTEZIMANA, Monsieur le témoin 93 et
Monsieur BANYERETSE, je cite : « Faisaient courir le bruit que les professeurs
Tutsi qui se sentaient menacés pouvaient se faire inscrire sur une liste ».
le témoin 150 : Oui, c'est-à-dire qu'ils le racontaient, ils le disaient aux personnes
intéressées, donc ils l’avaient dit à KARENZI, ils l'avaient dit aussi à d'autres
professeurs et puis l'idée aussi est venue jusqu'à moi. Donc voilà, c'est ce
que je voulais dire.
L'Avocat Général : Et une autre chose que vous avez dite dans votre déclaration. Est-ce
qu'il est exact que Monsieur NTEZIMANA a raconté à un certain moment que la
nuit, une nuit…
le témoin 150 : Ah, oui.
L'Avocat Général : …une nuit, il avait eu l'impression, ou avait vu trois personnes des
Inkotanyi qui voulaient venir l'assassiner lui, et vous avez dit à ce moment-là
qu'il racontait cela, c'étaient des bruits qu'il répandait pour créer la tension.
le témoin 150 : Ah oui, j'ai oublié ce détail-là, mais bon, je le répète, et vraiment,
ce n'est pas une invention que je fais. Il… il, le… donc il a dit, on était
dans le bus, il disait qu'il avait vu la tête de trois Tutsi, trois Inkotanyi
devant son portail. Alors, il disait que ces trois-là venaient l'attaquer et
le tuer. Il a même dit qu'il avait appelé la gendarmerie pour traquer ces personnes
mais que ces personnes ont disparu. Je ne sais pas s'ils ont disparu dans la
nature mais donc ils ont dit qu'il a dit qu'ils ont disparu et évidemment, quand
il racontait ça, on sentait qu'il n'y avait rien de vrai, mais c'était pour…
il disait : « Voilà, ils ont disparu mais, en fait, ils ne sont pas
disparus, ils doivent être chez des complices, ils sont cachés chez des complices,
c'est-à-dire chez des Tutsi qui habitaient là ». Voilà donc, ce détail,
j'avais oublié du dire.
Le Président : Monsieur NTEZIMANA devait donc avoir une très bonne vue pour
apercevoir trois visages pendant la nuit, à son portail, et de pouvoir dire
que c'étaient trois Tutsi ?
le témoin 150 : C'est pour cela qu'on trouvait que c'était une histoire farfelue. Donc,
il inventait pour créer la tension, pour montrer qu'il y a un danger, pour montrer
que les Inkotanyi veulent attaquer…
Le Président : Etaient parmi vous déjà ?
le témoin 150 : Ou qu'ils
étaient déjà là, que, il dit d'ailleurs : « Ils allaient se camoufler
chez les Tutsi déjà présents à Butare ». C'était pour créer, c'était pour
nous culpabiliser en fait, nous faire comprendre en fait que nous sommes des
complices, que nous allons cacher ces gens-là qui attaquent.
Le Président : Monsieur l'avocat général ?
L'Avocat Général : Dernière chose. Vous pouvez confirmer que vous et d'autres, vous étiez
frappés par la discordance qu'il y avait entre l'apparence et l'abord de Monsieur
NTEZIMANA et les idées extrémistes qu'il proférait.
le témoin 150 : Oui, personnellement je vous ai dit que j'étais presque un observateur.
Hein. J'étais un observateur dans le bus et j'essayais de ne pas avoir de parti
pris donc pour les principes que je vous ai dits. Moi, personnellement, au premier
abord, je l'ai toujours trouvé très sympathique, c'était un homme agréable.
Donc, il savait causer, bon, je le trouvais vraiment gentil, mais donc ça, c'était
mon point de vue avant de l'avoir écouté, d'avoir écouté ses tendances ;
mais quand il commençait à parler, à exprimer ses idées et à discuter d'une
façon assez violente, à dire aux autres : « Vous êtes des Inkotanyi.
Les Inkotanyi doivent mourir ». Alors, là mes opinions ont changé à son
sujet, je ressentais que derrière les apparences qu'il montrait, il y avait
quelque chose qui n'allait pas. C'est ça ce que j'ai voulu dire.
Le Président : D'autres questions ? Maître HIRSH.
Me. HIRSCH : Merci, Monsieur le président. Le témoin se souvient-il qu'il a fait
état dans sa déclaration, du fait que Monsieur NTEZIMANA et le professeur KARENZI
s'étaient mis d'accord en cas d'ennui pour se téléphoner ?
le témoin 150 : Oui, oui. Euh… oui, dans cette question de sécurité du quartier, il
y avait certaines personnes qui étaient chargées de surveiller certaines zones.
Parfois 10 maisons ou un peu plus. Alors, il semble que KARENZI, on l'avait
chargé de surveiller certaines maisons proches de sa maison, pendant que NTEZIMANA
aussi surveillait d'autres maisons et alors des fois ils devaient se donner
des nouvelles, se donner des nouvelles. D'ailleurs, quand NTEZIMANA parlait
de KARENZI, il disait : « Mon ami ». Il disait : « Mon
ami KARENZI », hein. Bon, je ne sais pas dans quelle mesure c'était vraiment
des amis, bon. Je ne sais pas ce qu'il a fait en tant qu'ami pour le sauver
ou pour l'avertir, mais toujours est-il que quand il parlait de KARENZI, il
disait : « Mon ami ». Donc, quand il s'agissait de question de
sécurité, ils se disaient : « Voilà, s'il y a quelque chose, tu me
téléphones et si moi aussi, il y a quelque chose, je te téléphone ». Et
une fois même, ils ont échangé une conversation à laquelle j'ai assisté en disant :
« Tiens, hier j'ai essayé de te téléphoner sans y parvenir, sans y arriver ».
Voilà, ça aussi je l'ai dit. Je me souviens.
Le Président : Oui.
Me. HIRSCH : Oui, merci. Et alors, pour situer les choses dans le temps. Donc,
le témoin nous a dit que le 20 avril il a reçu la visite d'un ami de Kigali
et que le lendemain, soit le 21, il s'est soucié de trouver une carte d'identité
pour sa bonne Tutsi.
le témoin 150 : Oui, c'est ça.
Me. HIRSCH : Et que cet ami avait un ami lui-même qui était le témoin 93
avec lequel vous vous êtes rendus…
le témoin 150 : A la préfecture.
Me. HIRSCH : A la préfecture qui se situe près de l'hôtel Faucon ?
le témoin 150 : Ibis. Bon. En fait, on se rendait à la préfecture, mais on a trouvé
le préfet donc stationné, enfin debout, bien oui, devant l'hôtel Faucon ;
il n'était pas à la préfecture mais il était à l'hôtel Faucon, plutôt à l'hôtel
Ibis avec tout cet ensemble de personnalités. Voilà, et dans mon témoignage
je vous ai dit qu'ils étaient observateurs, presque insensibles des meurtres
qui se commettaient devant eux.
Le Président : Il y a des meurtres qui se passaient à ce moment-là ?
le témoin 150 : Oui, on prenait des gens, on les mettait sur la camionnette dont je
vous ai parlé, on leur tapait des gourdins sur la tête et on les emmenait dans
le bois pour les fusiller ou les achever. J'ai vu ces scènes-là. Pendant que
je cherchais la carte d'identité, j'ai vu ces scènes et je vous ai dit qu'en
voyant ça, je me suis caché derrière le groupe pour qu'on ne me demande pas
mon identité.
Le Président : C'était le 21 avril ?
le témoin 150 : C'était le 21 avril.
Le Président : Est-ce que vous pouvez dire vers quelle heure ça se passait ?
le témoin 150 : Écoutez, Bernard m'a pris chez moi vers 10 heures, ou en tout cas,
c'était vers la fin de la matinée là. C'était vers la fin de la matinée.
Le Président : D'accord. C'est pas dans l'après-midi ?
le témoin 150 : Ce n'est pas dans l'après-midi. Parce que… les quittant, je suis allé
à la préfecture, chez le sous-préfet aux affaires sociales, et là on a continué
à tourner parce qu'il ne voulait pas nous recevoir. Il était dans une réunion.
J'ai essayé même de m'introduire, d'ouvrir la porte mais on m'a fermé la porte
au nez, je suis retourné en arrière. Voilà, c'était au début, ou plutôt en fin
de matinée. J'ai oublié aussi de dire que euh… le… le… le sous-préfet m'avait
renvoyé chez le conseiller, le conseiller de la ville, pour résoudre mon problème
de carte d'identité. Mais le préfet, plutôt le conseiller étant un Tutsi, avait
déjà pris la fuite. Donc, je n'ai pas pu le retracer pour lui soumettre le problème.
Et quand j'ai vu que ça commençait à traîner, que ma vie était en danger, c'est
alors que j'ai demandé à Bernard de me retourner à la maison.
Le Président : Bien. Oui Maître HIRSH.
Me. HIRSCH : Oui, une dernière précision, Monsieur le président. Le témoin a donc
déclaré qu’une série de personnalités, parmi lesquelles le vice-recteur, le
bourgmestre et d'autres, étaient là, dit-il, comme à un spectacle, en train
d'assister à la mort de gens, bon. Est-ce qu'il peut préciser, ou est-ce qu'il
se rappelle que Bernard est allé saluer les gens à ce moment-là ?
le témoin 150 : Saluer ?
Le Président : Saluer…
Me. HIRSCH : Bernard est allé les saluer….
le témoin 150 : Oui, bon, je vous ai dit qu'il m'emmenait pour voir le préfet. Quand
nous avons quitté le véhicule du témoin 93 pour aller vers le ceux qui
connaissent un peu l'hôtel Ibis bon, quand on vient de chez Bernard, l'hôtel
Ibis est à gauche, voilà. Alors Bernard s'est arrêté à droite, de l'autre côté
de la route ; il y avait un magasin qu'on appelait le magasin Alexakis,
c'est là où le véhicule s'est arrêté. Alors, on a dû traverser la route pour
aller vers le préfet. Bon, et comme dans la coutume rwandaise, quand on arrive,
quand on rencontre les gens pour la première fois dans la journée, la première
chose c'est de… c'est de les saluer. Donc, on les a salués ; bien sûr,
ils m'ont salué froidement mais j'ai vu qu'il y avait quelque chose de changé
dans leur attitude et je me sentais indésirable parce que j'ai vu que, bon,
ils se demandaient un peu ce que faisait ma présence, ce que signifiait ma présence
là-bas. Bernard aussi les a salués et puis, je me suis approché du préfet pour
lui parler du problème. C'est alors qu'il m'a dit qu'il ne pouvait rien faire,
qu’ il faut que j'aille voir le sous-préfet. Mais Bernard les a salués comme
moi-même j'ai salué le préfet et une ou deux personnes mais… Voilà.
Le Président : D'autres questions ? Maître LARDINOIS.
Me. LARDINOIS : Je vous remercie, Monsieur le président. J'aurais souhaité que vous
demandiez au témoin de préciser ce qu'il… dans sa déclaration, quand il dit
qu'à l'université il y avait des meneurs de réunions, d'extrémistes avec Bernard
le témoin 93, le vice-recteur. Est-ce qu'il peut donner d'autres noms de personnes
qui participaient à ces réunions ?
le témoin 150 : Il m'est difficile de citer d'autres noms. J'ai cité des noms que je
considérais comme les plus saillants et les plus importants. D'autres, ce serait
trop risqué d'aller citer des noms pour citer des noms. Mais j'ai cité des noms
dont j'étais sûr, hein.
Le Président : D'autres questions ? Les parties sont d'accord pour que le témoin
se retire ? Monsieur le témoin 150, est-ce bien des accusés ici présents dont vous
avez voulu parler ? Le sens de cette question est de savoir si vous confirmez,
si vous persistez dans les déclarations que vous venez de faire.
le témoin 150 : Je persiste dans les déclarations que j'ai faites.
Le Président : Je vous remercie, vous pouvez disposer librement de votre temps
maintenant mais je vous demande, pour des raisons administratives en tout cas,
de bien vouloir rester à la disposition de la Cour jusqu'à votre retour au Rwanda.
le témoin 150 : Oui.
Le Président : Je vous remercie.
le témoin 150 : Merci aussi. |
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