assises rwanda 2001
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Instruction d’audience V. Ntezimana Audition témoins compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction d’audience V. Ntezimana > Audition témoins > le témoin 97
1. N. Gasana 2. le témoin 9 3. le témoin 125 4. le témoin 134 5. le témoin 116 6. le témoin 61 7. le témoin 124 8. le témoin 50 9. le témoin 150 10. le témoin 73 11. le témoin 55 12. le témoin 100 et commentaires V. Ntezimana 13. le témoin 97 14. le témoin 104 15. H. Gallee 16. le témoin 84 17. le témoin 36 18. B. Van Custem et commentaires V. Ntezimana et E. Seminega 19. Lecture président attestation J.B. Seminega 20. le témoin 77 21. le témoin 10 22. le témoin 96 23. le témoin 42 24. R. Degni-Segui 25. le témoin 15 26. J. Léonard et commentaires partie civile et V. Ntezimana 27. J.P. Van Ypersele de Strihou 28. le témoin 118 29. le témoin 31, commentaires avocat général, partie civile, défense, audition interview I. Nkuyubwatzi 30. le témoin 108 31. le témoin 127 32. le témoin 109 33. le témoin 147 34. le témoin 105 35. le témoin 89
 

6.3.13. Audition des témoins: le témoin 97

Le Président : Monsieur, quels sont vos nom et prénom ?

le témoin 97 : Mon nom c’est le témoin 97, prénom Rénovat.

Le Président : Quel âge avez-vous ?

le témoin 97 : 40 ans.

Le Président : Quelle est votre profession ?

le témoin 97 : Je suis chercheur et enseignant

Le Président : Et quelle est votre commune de domicile ou de résidence ?

le témoin 97 : Gembloux.

Le Président : Connaissiez-vous les accusés avant le mois d’avril 1994, ou certains des accusés avant le mois d’avril 1994 ?

le témoin 97 : Je connais deux d’entre eux.

 Le Président : Il s’agit…

le témoin 97 : Je connais principalement Monsieur Vincent NTEZIMANA et alors, incidemment Monsieur HIGANIRO qui était enseignant où j’ai fait mes études secondaires.

Le Président : C’est ça. Vous n’êtes pas de la famille des accusés ni de la famille des parties civiles ?

le témoin 97 : Non.

Le Président : Vous ne travaillez pas pour les accusés ni pour les parties civiles sous un lien de contrat de travail, on s’entend, hein ?

le témoin 97 : Non.

Le Président : Je vais vous demander de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment de témoin.

le témoin 97 : Je jure de parler sans haine, sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président : Je vous remercie, vous pouvez vous asseoir. Vous venez de dire, Monsieur le témoin 97, que vous connaissiez incidemment Monsieur HIGANIRO. On va peut-être parler de lui d’abord. Vous le connaissez dans quelles circonstances ?

le témoin 97 : Je vous ai déjà dit qu’il a donné des cours de mathématiques à l’école où j’ai fait mes études secondaires. Pas plus que ça.

Le Président : Donc il a été votre…

le témoin 97 : Je ne le connais pas en privé.

Le Président : Votre professeur ?

le témoin 97 : Non, non, pas mon professeur, mais il était professeur…

Le Président : Dans l’école où vous étiez étudiant, mais il ne vous a pas donné cours.

le témoin 97 : Non, non.

Le Président : Donc, vous ne vous rappelez pas les notes qu’il aurait pu vous donner ?

le témoin 97 : Non.

Le Président : Puisqu’il ne vous en a pas donné. Bien. Monsieur NTEZIMANA, vous le connaissiez depuis quand et dans quelles circonstances ?

le témoin 97 : Je connais Monsieur NTEZIMANA depuis 1985 à Butare, où nous étions tous les deux assistants, lui à la faculté des sciences et moi à la faculté d’agronomie. Je le connais, parce qu’en fait, il venait voir mon cohabitant, là où j’habitais, donc, dans une maison mise à notre disposition par l’université. Et comme il n’y avait pas assez de maisons, parfois, on était amené à vivre à deux, comme célibataires. Et alors, il venait voir mon cohabitant qui avait été avec lui, ici à l’UCL.

Le Président : Et qui était ?

le témoin 97 : Qui était BUKUZI Augustin. Donc, il venait parfois le voir avec sa famille, parce qu’ils se connaissaient. Alors, je l’ai vu à cette occasion. Par ailleurs…

Le Président : Vous avez fait sa connaissance en 1985. C’est ça ?

le témoin 97 : C’est ça, oui, mais par ailleurs, je sais qu’il avait, bon, j’avais eu à le connaître donc… j’avais eu à la voir pour la première fois chez mon cohabitant, je me suis quand même un peu intéressé à lui, parce que je sais que, par exemple, il avait été élu jeune secrétaire de la faculté des sciences et que, par ailleurs, il était dynamique et socialement ouvert. Il faisait partie d’une équipe de basket-ball où toutes les tendances, toutes les sensibilités ethniques, régionales, sociales du Rwanda étaient représentées.

Le Président : Ca, c’était en 1985 ?

le témoin 97 : Oui. Donc… de 1985…

Le Président : Est-ce qu’en 1985, le problème de l’ethnisme et tout ça, les appartenances ethniques, est-ce que ça joue en 85, au Rwanda ?

le témoin 97 : Euh… pas beaucoup, mais vous savez que chaque fois qu’il y a une crise, on remonte au moins 50 ans en arrière pour dire que le problème du Rwanda est principalement ethnique. Je le dis aujourd’hui parce que nous sommes concernés par le génocide. Mais à ce moment-là, je dis qu’il n’y avait pas de raison de voir que cette équipe appartenait à une tendance ou un parti. Donc, je conclus qu’elle regroupait toutes les tendances. Mais il n’y avait pas de… manifestement de problèmes.

Le Président : Et puis, Monsieur NTEZIMANA a quitté le Rwanda à un moment donné pour revenir en Belgique ?

le témoin 97 : C’est ça, oui. Il a quitté le Rwanda, je crois, deux ou trois mois avant moi pour faire des études de doctorat, à l’UCL, où il avait fait sa licence, et alors, moi-même, je suis venu quelque temps après pour faire aussi un doctorat à la faculté d’agronomie. Et alors…

Le Président : Donc, vous vous êtes retrouvés tous les deux en Belgique ?

le témoin 97 : Nous nous sommes retrouvés en Belgique, et alors, sur ce point, avec votre permission, j’aimerais quand même présenter les activités que nous avons pu mener ensemble au sein des associations d’étudiants, parce que j’ai peur… d’être pris en répondant partiellement à la nature de ces activités. Donc, je vais, avec votre permission, j’aimerais présenter un aperçu global de ce que nous avons fait. Parce que, pourquoi ? Parce que la tendance à laquelle nous appartenions est ignorée par la presse et par tout le monde politique. Pourquoi ? Parce que, en fait...

Le Président : Parce qu’il n’y avait que vous deux ?

le témoin 97 : Parce que les gens ne regardent que la logique binaire : Hutu, Tutsi, favorable au FPR ou favorable au MRND, alors que nous, nous appartenions à une tendance entre les deux, et alors, j’aimerais, avec votre permission, présenter ce que nous aurions fait à cette occasion-là.

Le Président : Eh bien, expliq…

le témoin 97 : Parce que nous disposons de…

Le Président : Ah non, non, pas d’écrits, hein. Là, je suis désolé.

le témoin 97 : Je vais essayer de dire de mémoire, mais ça remonte...

Le Président : Mais avec les études que vous avez faites, vous devez avoir une mémoire extraordinaire, et un esprit de synthèse tout aussi extraordinaire.

le témoin 97 : Non, je vous dis tout de suite que je ne suis pas aller jusqu’au bout de mes études à cause des problèmes que nous avons vécus au Rwanda. A cause de tout ce drame. Mais je vais essayer. Donc, premièrement, je viens ici en tant que témoin pour aider la Belgique, donc, qui est mon second… mon pays d’accueil.

Le Président : Ne vous occupez pas des problèmes de la Belgique, occupons-nous du problème de juger Monsieur NTEZIMANA.

le témoin 97 : Non, permettez-moi quand même de dire que son procès est historique comme beaucoup l’on dit avant nous. Donc, moi, en tant que Rwandais et Belge à la fois, j’estime que j’ai quand même une forte responsabilité en intervenant dans ce procès. Donc, je vais aider la Belgique, qui est mon pays d’accueil, à faire la lumière sur une page de mon histoire dont je ne suis pas fier, donc...

Le Président : Mais vous ne devez pas aider la Belgique ! Ici, il y a que des juges qui ont à juger. La Belgique n’entre pas là-dedans.

le témoin 97 : Voilà. Donc, maintenant, je vais…

Le Président : Il y a la Cour et les jurés qui doivent juger. Ce n’est pas la Belgique qui juge, c’est la Cour et les jurés.

le témoin 97 : Je vous présente mes excuses. Donc, je vais essayer alors de dire ce que nous avons fait ensemble, donc, avec Monsieur NTEZIMANA. J’ai déjà adressé un témoignage écrit en date du 12 mai 1995, peu de temps après son arrestation, pour une détention préventive. J’ai adressé la lettre à Madame Ariane [Inaudible]… qui était commissaire principale. Dans cette lettre je disais ceci, je disais : « Je soutiens les initiatives de la Belgique pour aider à établir à séparer les coupables des innocents, les coupables de tous bords d’ailleurs, et dans cette optique, je voudrais fournir les éléments qualitatifs que je connais sur le profil social et politique de Vincent NTEZIMANA afin d’aider la justice dans ses investigations ». J’ai commencé donc par dire ce que j’ai déjà dit, que je connaissais l’intéressé depuis Butare, à ça, je n’y reviens pas. Deuxièmement, j’ai dit que j’ai eu à le côtoyer au sein des associations d’étudiants en Belgique. La première de ces associations est celle qui est née aussitôt après l’attaque lancée par le FPR à partir - donc le Front Patriotique Rwandais - à partir de l’Ouganda. Alors, un ensemble d’étudiants de toutes tendances, encore une fois, se sont mis - du moins ressortissants de l’intérieur du pays qui étaient souvent, pour la plupart, des boursiers ici - se sont mis ensemble pour répondre, réagir à cette attaque.

Et alors, moi, j’étais à ce moment-là au Rwanda pour un stage de recherche, et quand je suis rentré en janvier 1991, j’ai trouvé que l’association était déjà en place et que Monsieur NTEZIMANA, comme tous les autres, participait à cette association. Mais ce que je veux dire, c’est que Monsieur NTEZIMANA n’était pas, donc, je ne passerais pas beaucoup de temps sur cette association parce que Monsieur NTEZIMANA n’était pas membre de la direction de cette association. Il pouvait intervenir comme tous les membres, mais il n’était pas membre de la direction. D’ailleurs, par la suite, ce que je dis dans le témoignage, ce qu’aussi, par la suite, à cause des dissensions internes dues au fait que le multipartisme naissant avait divisé la communauté des étudiants… mais ici, ça n’avait rien avoir avec les questions ethniques ; d’ailleurs, je crois que c’était plutôt, je vais dire, purement politique. Donc, après, nous avons eu l’impression que cette association d’étudiants avait tendance à être récupérée par le parti au pouvoir au Rwanda. Et alors que nous, nous avions une sensibilité plus proche de l’opposition pacifique de l’intérieur du Rwanda. Moi j’ai tenté… j’ai fait plusieurs tentatives de conciliation, parce que, parmi les membres qui dirigeaient, les membres de la direction de cette association, j’en connaissais quelques-uns qui étaient donc de ma génération, et nous étions tous boursiers, mais ces tentatives de conciliation n’avaient rien donné. Je me souviens même des moments où j’étais aller voir l’ambassadeur, pour lui demander d’apporter un peu de paix dans cette association, et il a dit que les têtes étaient trop chaudes, qu’il ne pouvait pas le faire.

Et alors, moi, à ce moment-là, j’ai démissionné individuellement. Mais je me souviens que Monsieur NTEZIMANA, avec une centaine d’autres collègues de l’association donc, notamment de l’association, ont démissionné par la suite, en bloc, mais je ne faisais pas partie de cette équipe, parce que j’avais déjà démissionné avant. Donc, je sais qu’il avait tapé la lettre de démission sur sa propre machine, et qu’il avait circulé parmi toutes les tendances politiques, que ce soit la tendance du Mouvement Démocratique et Républicain, MDR au Benelux, dont il était membre, que ça soit les membres du Parti libéral, que ça soit les membres du Parti Social-Démocrate, qu’on appelle PSD. Bon, tous ces membres-là, il les a parcourus pour dire : « Nous devons nous distancier de cette approche de la CERB, qui a tendance à se limiter à soutenir le parti au pouvoir ». Voilà, donc ça, c’est tout ce que je peux dire sur le cas de l’association, c’est donc après, tout ce que je sais, c’est aussi qu’après cette démission… après cette démission, il y a quand même eu des gens, donc de toutes tendances, comme je vous dis, au niveau ethnique, régional, etc. qui sont sortis, qui ont démissionné, et d’autres qui sont restés. Je connais personnellement au moins deux Tutsi qui sont restés après la démission de Monsieur NTEZIMANA dans cette association. Voilà.

Deuxième chose alors que je… deuxième, ou troisième je ne sais plus exactement, que j’avais dite dans mon témoignage, c’est que je l’ai mieux connu, bon, je passe sur une autre association donc qui regroupait les étudiants rwandais du troisième cycle en Belgique. Bon, celle-là était plus ou moins apolitique et je crois que celle-là, donc, je crois que Monsieur NTEZIMANA n’y a pas joué un rôle important, sauf que je peux juste dire que, que ça soit au niveau de la communauté ou au niveau de cette association de troisième cycle, Monsieur NTEZIMANA est un des membres qui voulait élever le niveau des débats. Donc, pour ne pas se limiter aux querelles de second ordre.

Donc, cela dit, je peux passer donc au troisième volet de mon intervention, qui concerne plutôt la section du MDR au Benelux. Donc, MDR c’est Mouvement Démocratique Républicain. Ce n’est pas le MRD, comme je l’ai vu dans la presse, c’est MDR. Donc, Mouvement Démocratique République au Benelux, où nous avons, je crois, donc, vous savez que le multipartisme est né par la Constitution qui a été promulguée, je crois, en juin 1991, et alors, par la suite, en octobre, je crois que c’est là que cette association est née. Donc, je commence par la naissance de l’association, parce que l’association donc, qui représentait son parti en Belgique, parce qu’on a fait un tour de table pour dire pourquoi vous intervenez au niveau de cette association. On voulait mieux se connaître. Je me rappelle qu’il y avait plusieurs tendances. Il y en avait qui disaient : « Je crois que je fais partie de ceux-là », mais, sauf que j’aurais dû commencer par les autres, qui disaient : « Le système en vigueur au Rwanda ne peut pas se rénover de lui-même. Il faut absolument qu’il y ait une opposition pour essayer de faire évoluer le système, même si on était en temps de guerre, vers une solution pacifique passant par la négociation ».

Et Monsieur NTEZIMANA, je me souviens qu’en étant d’accord avec cette première vision, lui a dit : « Un système c’est bien beau, mais il faut préciser les acteurs de ce système. Moi, je suis aussi de ceux qui doivent combattre le président le témoin 32 et son entourage, parce qu’il constitue en fait une barrière, presque infranchissable, vers la démocratie ». Donc, je crois c’est ce qu’il a dit. Alors, la troisième tendance, c’est, je crois, des gens qui disaient : « Pour avoir travaillé avec le MRND ­ donc, le parti au pouvoir à ce moment-là - nous connaissons ses abus, donc nous avons voulu changer d’autant pour nous sentir mieux ». Voilà. Donc, c’est déjà la naissance du parti.

Alors, par la suite, il y a eu plein de documents que nous avons signés ensemble, plein d’appels à la manifestation pour condamner à la fois les violations perpétrées par le Front patriotique rwandais, donc attentats au Rwanda à partir de l’Ouganda, et à la fois le régime en place, donc, qui voulait assimiler tous les opposants à… assimiler tous les opposants à des collaborateurs, parce que c’était présenté comme cela, des collaborateurs des Inkotanyi, ou alors, des mécontents qui veulent avoir une occasion d’avoir une place au soleil, etc. et alors on voulait minimiser leur importance. Alors, nous avons mené une forte campagne, même si elle n’a pas été répercutée par la presse, donc, pour, en tout cas, montrer que nous soutenons une… que nous soutenons une voie intermédiaire entre l’approche guerrière, développée par le FPR, et l’approche de maintien du pouvoir par la force, développée par le MRND et le clan le témoin 32.

Voilà. Donc ça, c’est… nous avons fait beaucoup d’écrits auxquels je ne reviendrai pas ; il est clair que nous nous placions entre les deux. Maintenant, pour aller plus loin, j’ai dit, concernant le profil de NTEZIMANA au sein de ces associations, j’ai déjà dit que c’est quelqu’un qui voulait toujours élever le niveau des débats, dans la lettre que j’ai envoyée à Madame Marianne, j’ai aussi précisé que c’est quelqu’un qui a une haute idée d’une personne dans la société qui ne veut pas d’absentéisme et voir les choses pourrir, donc je me souviens, j’ai mis ce détail dans mon témoignage, il avait donné le nom de Ngenzi à son fils parce que Ngenzi devait lutter pour être parmi les meilleurs. Donc, cela peut le servir ou le desservir mais c’est la vérité. Donc, on peut dire : « Il est ambitieux, il a pu commettre des crimes », mais aussi, à mon avis cela peut le desservir comme… ça peut le servir pour dire que, en fait, c’est quelqu’un qui était déterminé pour lutter pour la démocratie au Rwanda.

Donc, cela je l’ai déjà dit dans le témoignage, je ne sais pas si je vais me rappeler le point suivant.

Le point suivant, je disais aussi que Monsieur NTEZIMANA, compte tenu de son choix politique, alors qu’il était originaire de la province du président, de la province natale du président le témoin 32, compte tenu de son choix de soutenir plutôt l’opposition, il pouvait donner une image plutôt controversée vis-à-vis de ses compatriotes. Et alors, c’était parfois difficile à porter. Donc, d’abord je sais personnellement que, même s’il avait fait ce choix, il voulait garder de bonnes relations avec ses amis, ses amis, donc, originaires de sa région, par exemple, ou ses anciens collègues de cours, etc. Et je me souviens que quelques-uns de ces amis le considéraient comme traître pour avoir été dans l’opposition. Et alors les gens… donc, ce qui était plus influent, ressortait principalement du parti MRND ou alors de la région du Nord-Ouest du Rwanda d’où venait le témoin 32 et alors l’opposition était plutôt… les ténors de l’opposition étaient plutôt centrés sur la région centrale du Rwanda, donc à savoir Gitarama, Butare etc., la région centrale Est-Sud-Est du Rwanda, et alors, il pouvait aussi paraître pour un infiltré du régime dans cette opposition. Et alors, ce que j’ai déjà dit, son aversion contre l’approche guerrière du FPR le faisait confondre avec quelqu’un d’anti-Tutsi parce que, toujours dans la logique binaire, par paresse intellectuelle, la plupart des gens préfèrent dire : « Vous êtes pro-FPR ou anti-FPR ; Vous êtes pro-Tutsi ou anti-Tutsi ». On ne veut pas avoir quelque chose d’intermédiaire.

Alors, compte tenu de ça et son aversion contre le FPR, le FPR étant confondu par les Tutsi, parce que sans direction, à part KANYARENGWE - qui était, à mon avis, un Hutu de service - à part KANYARENGWE, on était quand même sûr que ce mouvement était dirigé par les anciens réfugiés, et d’ailleurs, légitimement, qui devaient rentrer au pays, parce que le régime en place avait tardé longtemps à trouver une place pour eux. Et alors, comme on confondait ce mouvement avec les Tutsi, être anti-FPR, ça paraissait comme être anti-Tutsi. Alors, j’ai noté dans le témoignage que, compte tenu de ça, NTEZIMANA devait faire face à plusieurs reprises à des attaques personnelles dirigées contre lui, en disant : « Tu es     traître - de la part des gens de sa région - tu es un infiltré dans l’opposition », etc.

Le Président : Monsieur le témoin 97…

le témoin 97 : Oui ?

Le Président : Je sais bien, on a déjà beaucoup perdu de temps dans ce procès, hein, et qu’on voudrait bien arriver au bout. Ceci dit, vous n’êtes pas obligé de sprinter.

le témoin 97 : De sprinter, je...

Le Président : Vous pouvez parler plus lentement, de manière à ce qu’on comprenne ce que vous dites.

le témoin 97 : Ah, oui, voilà. Donc, ce que je voulais dire, c’est que, compte tenu de son appartenance à l’opposition pacifique et démocratique, comme la plupart des gens ont tendance à nous identifier à nos groupes d’origine, lui devait faire face à plusieurs attaques, parfois personnelles, auxquelles il devait répondre. Et alors, j’avais précisé dans le témoignage, que la façon dont il pouvait répondre à ces attaques n’était… je ne pouvais pas exclure qu’à un certain moment, il puisse élever le ton. Alors, ce qui serait perçu par certains, tendant à l’accuser comme extrémiste, ce qui ont amené notamment à le considérer comme un extrémiste. J’ai dit : « Je n’exclus pas que cela ait pu arriver », compte tenu de ces attaques, en essayant de se mettre à sa place. Bon, alors, après ça j’ai dit autre chose. Le fait qu’il avait fait son choix… non, ça je crois que je ne l’ai pas dit, mais je le dis aujourd’hui, je crois que Monsieur NTEZIMANA est quelqu’un - encore une fois je parle de ce que je connais de lui et la Cour se chargera de ce qui s’est passé à Butare, où je n’étais pas - mais, ce que je connais de lui, c’est qu’il est capable de vivre avec le conflit.

Donc, c’est quelqu’un qui n’est pas nécessairement tenté de supprimer le conflit en supprimant, donc, l’objet de son conflit, en l’occurrence son adversaire. Pourquoi ? Parce qu’à maintes reprises, il a montré qu’il peut adhérer à un parti ou à une association qui n’est pas nécessairement de son ressort… qui n’est pas nécessairement proche de ses origines. Alors, donc il était prêt à affronter le conflit avec les Hutu, je vous l’ai déjà dit, du Nord, oui, avec les Hutu du Sud, qui pouvaient le traiter d’infiltrer avec les Tutsi, qui pouvaient le traiter d’un Tutsi, parce qu’anti-FPR. Donc, je crois que dans cette… dans toute cette démarche, il a fait l’apprentissage de vivre avec le conflit. Parce que je crois que j’ai ­ je ne peux par citer la personne ­ mais à un de ces témoins, j’ai suivi à la télévision quelqu’un qui disait quelque chose, que j’ai retenu. En général, qu’est-ce qui peut être à l’origine des génocides ou de tous ces crimes que nous avons malheureusement vécus au Rwanda ? C’est que la plupart des gens sont tentés de supprimer le conflit, parce qu’ils ne savent pas le gérer. Alors, supprimer un conflit, c’est supprimer l’adversaire. Mais je crois que c’était un point, donc, que je peux noter vis-à-vis de lui, que plusieurs fois, il a joué… il a tenté de jouer la médiation. Il était pris en plein dans le conflit et il essayait d’en sortir, tout en gardant de bonnes relations avec ses anciennes connaissances. Donc, ça c’était un point que je voulais souligner.

Maintenant, je voulais quand même aller aussi, il me restera deux points, je voulais aussi aller à l’essentiel en ce qui concerne son appartenance à une tendance euh… A une tendance qui n’était ni pro-FPR ni pro-MRND. Je crois que, compte tenu de l’évolution des événements au Rwanda, il y a eu des dissensions à la tête des partis, et je peux dire que ces dissensions n’étaient pas… je peux affirmer, si j’avais l’occasion, je pourrais le prouver, que ces dissensions n’étaient pas nécessairement liées aux appartenances ethniques ou régionales des gens, mais plutôt à l’incompétence de nos leaders qui mettaient en avant leurs intérêts personnels. Donc, je peux dire que même cela s’appliquait à un autre parti.

A un certain moment, je crois que c’était dans le premier semestre de 1993, donc vers le mois de mars-avril, etc. Monsieur GAPYISI Emmanuel, qui était membre du bureau politique de notre parti au Rwanda, a voulu se distancer, donc, de ces querelles et créer un forum pour la paix et la démocratie, forum qui était résolument engagé contre la prise du pouvoir par la force et la violence par le FPR et contre le maintien du pouvoir par la force et la violence par le MRND. Donc, ça je crois que c’était dans l’éditorial déjà de son journal, et ceux qui le connaissaient savaient qu’il y croyait réellement. Et alors, quand il a lancé son mouvement, je crois que nous qui étions ici en Belgique, la majorité des gens qui étaient dans la section du MDR au Benelux, naturellement se sentaient proches de cette tendance-là.

Malheureusement, Monsieur GAPYISI n’a pas vécu longtemps, parce qu’en fait, il s’opposait à deux alliés objectifs, à savoir le MRND et le FPR. Ces alliés objectifs ne voulaient pas qu’il existe une tendance intermédiaire. D’ailleurs, quand vous le dites, les gens vous demandent : « Est-ce que cette tendance existe ? ». J’ai compris que Monsieur TWAGIRAMUNGU a nié l’existence de cette tendance parce que, justement, ça ne lui servait pas. Mais je ne vais pas dans les détails. Mais cette tendance existait et était incarnée par Monsieur Emmanuel GAPYISI et, pour la supprimer, supprimer le conflit, on l’a éliminé aussitôt après. Là, je ne veux pas dire : « Est-ce que son élimination est l’œuvre du FPR ? Est-ce que son élimination est l’œuvre du MRND ? ». Il restait que son départ arrangeait les deux à la fois. Si c’était le FPR, ça arrangeait le MRND. Le MRND n’a jamais cherché à faire une enquête pour faire la lumière sur cet assassinat, et alors, ce que je vais…

Le Président : On ne la fera pas ici non plus, vous savez.

le témoin 97 : Ce que je veux dire, donc, c’est que Monsieur NTEZIMANA a été… se sentait plutôt proche de cette tendance et, quand Monsieur GAPYISI a été assassiné, il a, avec ses amis, penché pour la création de nouveau parti, le Parti du Renouveau Démocratique, le PRD. Il a tenté de nous associer à cette entreprise mais, donc, les membres de la section du MDR du Benelux qui étaient restés ici, parce que lui était rentré en mars au Rwanda, mais nous avons dit que nous le soutenions moralement, mais que nous ne pourrions pas adhérer à ce parti, comme la situation était tendue au Rwanda, il fallait… Cela commençait à être tendu, donc à l’approche de la signature des accords de paix, avec… avec toutes les dissensions qui étaient à la tête des parties, qui allaient se scinder en deux, tout ça. Donc, nous n’avons pas voulu le soutenir formellement, parce que nous nous disions : « Nous n’avons pas les moyens d’œuvrer sur place pour consolider cette tendance ».

Donc, nous avons préféré faire ce que nous pouvions au sein du MDR, jusqu’à ce que nous en avons… jusqu’à ce que nous avons démissionné de ce MDR ici, quand on s’est retrouvé nulle part, donc les partis s’étant scindés en deux, et les membres de ces partis étant allés, comme des voyageurs sans bagage, vers le MRND ou vers le FPR. Et voyageurs sans bagage, je veux dire : ils allaient vers le MRND ou le FPR, mais pour en être des instruments. Parce qu’ils n’apportaient rien. Ils n’avaient pas d’armes, alors que les deux blocs voulaient utiliser des armes. Donc, c’est des gens que le FPR et le MRND voulaient tout simplement utiliser et alors, c’est comme ça qu’on a eu les tendances Hutu Power d’un côté et la tendance pro-FPR de l’autre. Et alors, là, le peuple rwandais a été pris en étau entre ces deux acteurs, et vous savez ce qui est arrivé par la suite.

Donc, la plupart d’entre nous avons démissionné de cette section, soit activement, soit passivement. Moi, personnellement, j’ai écrit une lettre pour dire que je ne peux pas cautionner ce qui se passe là par la suite, parce que la tendance à laquelle nous croyions n’existait plus. Mais, Vincent, qui est plus politicien que nous, voulait croire à la poursuite de son action au sein d’un parti nouveau, quelle que soit son importance. Il disait : « Ce sera peut-être un petit parti, mais nous pensons que, si les accords d’Arusha sont signés, on pourra infléchir le cours des événements, le cours de la politique, en jouant sur les applications de l’accord ». Et alors, il disait : « De toute façon, on ne peut plus les freiner, donc, on va intervenir en cours de ces applications ». Cela m’a fait penser qu’il n’était pas opposé aux accords d’Arusha, mais il entrevoyait des solutions au cours de l’application de ces accords. Voilà.

Le dernier point que je voudrais aborder, c’est maintenant, euh… bon, après un certain moment, je crois à partir de septembre 93, il s’est fait que j’étais embourbé personnellement dans mes propres problèmes et je n’ai plus communiqué avec lui depuis cette période-là. C’est même la période où j’ai démissionné du MDR, c’est hélas une époque, mais la juge le sait, je ne pouvais pas assumer ce qui se passait par la suite. Bon, alors, à ce moment-là donc, depuis septembre 93 jusqu’en avril 94, on n’a plus communiqué suffisamment. Je crois même pas, donc politiquement en tout cas, il n’y a plus eu d’échanges, parce qu’il avait choisi sa voie du parti de renouveau démocratique, que nous ne le pouvions pas soutenir activement. Et alors, les questions… il y avait une tension extrême au sein… à l’intérieur du pays. Bon, chacun s’occupait de ses propres problèmes et de sa survie. On n’a pas pu communiquer. Mais alors, par la suite, vous savez ce qui est arrivé. Il y a eu des massacres. Il a pu fuir. Il a pu revenir en Belgique. Et je l’ai encore revu en Belgique.

Et, bon, j’ai appris qu’il était arrêté et j’ai réagi justement en envoyant mon témoignage pour que, au moins sur la partie qui concerne la théorie du génocide, pour qu’on ne puisse pas dire qu’il était le grand professeur-théoricien du génocide, qui a commencé à planifier le génocide à partir de la Belgique. Parce que nous savions pertinemment que Monsieur NTEZIMANA n’était pas un surhomme. Il ne pouvait pas rester avec nous, à rédiger des communiqués, jusque parfois minuit, 2h du matin, il allait dormir et demain aller faire son doctorat et le terminer dans les délais et en même temps, allez rédiger d’autres articles. Donc, sur… la plupart du temps, nous étions ensemble à courir à Bruxelles, à rédiger des documents, etc. Donc, personnellement, je peux attester que, si théorie pour génocide il y a eu, ce n’est pas en tout cas, en Belgique. Donc, c’est ça que je voulais dire. Et quand il a été, donc, arrêté, j’ai donné mon témoignage dans ce sens, et alors… qu’est-ce que je vais dire ? Bon, plus tard, j’ai, dans ce témoignage, j’ai dit tout ce que j’ai, j’ai essayé de dire tout ce que j’ai raconté ici, et j’ai terminé en disant : « Tel que j’ai connu Monsieur NTEZIMANA, donc, sa force de caractère, son degré d’engagement pour une cause et sa capacité de tolérer le conflit, je ne pense pas qu’il ait été mêlé aux crimes qui se sont passés au Rwanda ».

Mais, admettant, comme je n’étais pas là, de toute façon c’est pas à moi de l’attester, et que donc la justice devra faire son travail. Donc, j’ai terminé mon intervention en disant… je termine mon intervention comme je l’ai commencée en faisant confiance au travail de la Justice pour découvrir la vérité. J’ai ajouté néanmoins que, jusqu’alors, je n’avais pas eu de témoignages à me donner la conviction intime qu’il était mêlé dans ce génocide, parce qu’en général, quand il y a eu dans une région un actif… un activiste du génocide, dans ma région natale, par exemple… étaient du pays… A un moment donné, Monsieur GISTA avait parcouru toutes les collines en engueulant les familles rwandaises. Donc, c’était un nom qui revenait. Alors, je me suis dit : « Comme, passivement, son nom de Vincent ne m’est pas parvenu, c’est que probablement il ne doit pas en tout cas, être mêlé ouvertement à ce qui s’est passé au Rwanda ».

Mais, par la suite, comme je voyais quand même que son instruction durait, j’ai fait quelque chose d’autre, que je vais dire, mais sans citer un nom par respect, donc, parce que le Monsieur que je vais citer, c’est le Monsieur qui a perdu sa femme justement à Butare, mais qui était mon ami. Donc, qui a perdu sa femme dans ces événements-là, mais j’ai dit : « Je ne vais quand même pas continuer à attendre, comme l’instruction dure, je ne vais pas attendre que les informations viennent passivement vers moi ». J’ai dit : « Je vais quand même aller vers ce Monsieur, parce que soutenir NTEZIMANA sur le côté idéologique, serait quand même malvenu au cas où, on ne sait jamais, il serait mêlé quand même dans l’assassinat de la femme de mon ami ». Alors, je lui ai téléphoné, je suis allé le voir, je lui ai posé la question, clairement, et j’ai dit : « Bon, j’ai témoigné en faveur de Monsieur NTEZIMANA, mais je dois dire que, comme son instruction dure, il n’est pas exclu qu’un jour nous serons confrontés à un procès. Peut-être qu’ils ont découvert quelque chose de pertinent ». Donc ça, je lui ai dit comme ça. J’ai dit… d’un autre côté donc, donc ça c’est un premier point, il faut que j’aie une idée quand même de ce qu’il aurait pu faire. Et un deuxième point, c’est que j’ai dit, personnellement, donc vis-à-vis de mes relations avec toi, je n’aimerais pas être coincé en ne sachant pas me démarquer de...

Le Président : Qu’est-ce que ce Monsieur vous a dit ?

le témoin 97 : De mes relations d’amitié avec lui ?

Le Président : Qu’est-ce que ce Monsieur vous a dit ?

le témoin 97 : Monsieur m’a dit, j’allais y venir, ce Monsieur m’a dit trois choses. La première chose, il m’a dit : « Je crois que... »

Le Président : Ce Monsieur, vous a-t-il dit que Vincent NTEZIMANA était lié à l’assassinat de sa femme ?

le témoin 97 : Non.

Le Président : Merci.

le témoin 97 : Voilà.

Le Président : Alors, moi, je vais vous poser une question. En 1990, vous étiez en Belgique ?

le témoin 97 : Oui, euh… non.

Le Président : Vous n’étiez pas en Belgique ?

le témoin 97 : En 1990, j’y étais, mais pas sur la totalité de l’année. Mais, euh…

Le Président : Est-ce que vous étiez en Belgique à la fin de l’année 1990 ?

le témoin 97 : J’étais au Rwanda.

Le Président : Vous étiez au Rwanda.

le témoin 97 : Oui.

Le Président : Alors, je n’ai pas de questions à vous poser. Y a-t-il des questions à poser au témoin ? Les parties sont-elles d’accord pour que le témoin se retire ? Monsieur le témoin 97, est-ce bien des accusés ici présents dont vous avez voulu parler ? Persistez-vous, confirmez-vous les déclarations que vous venez de faire ?

le témoin 97 : Je le confirme.

Le Président : Eh bien, Monsieur, la Cour vous remercie pour votre témoignage, et vous pouvez disposer librement de votre temps.

le témoin 97 : Je vous remercie aussi. Mais, quitte à ajouter une minute…

Le Président : Il n’y a plus rien à ajouter, je vais vous prier de bien vouloir...

le témoin 97 : Je voudrais garder une minute de silence pour les victimes du génocide...

Le Président : (Haussant fortement le ton) Vous n’êtes pas ici pour faire une minute de silence pour les victimes. Vous êtes venu ici pour témoigner, maintenant, je vous prie de quitter la salle.

Il y a d’autres personnes présentes ? Monsieur… Je ne sais pas, moi je n’ai pas son témoignage. Moi, je n’ai pas…

Nous allons suspendre l’audience et la reprendre à 11h25. Il y a donc Monsieur le témoin, qui est présent pour le moment. L’audience est suspendue et on reprend à 11h25.