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6.3.13. Audition des témoins: le témoin 97
Le Président : Monsieur,
quels sont vos nom et prénom ?
le témoin 97 : Mon nom c’est
le témoin 97, prénom Rénovat.
Le Président : Quel âge avez-vous ?
le témoin 97 : 40 ans.
Le Président : Quelle est votre
profession ?
le témoin 97 : Je suis chercheur
et enseignant
Le Président : Et quelle
est votre commune de domicile ou de résidence ?
le témoin 97 : Gembloux.
Le Président : Connaissiez-vous
les accusés avant le mois d’avril 1994, ou certains des accusés avant le mois
d’avril 1994 ?
le témoin 97 : Je connais
deux d’entre eux.
Le Président : Il s’agit…
le témoin 97 : Je connais
principalement Monsieur Vincent NTEZIMANA et alors, incidemment Monsieur HIGANIRO
qui était enseignant où j’ai fait mes études secondaires.
Le Président : C’est ça.
Vous n’êtes pas de la famille des accusés ni de la famille des parties
civiles ?
le témoin 97 : Non.
Le Président : Vous ne travaillez
pas pour les accusés ni pour les parties civiles sous un lien de contrat de
travail, on s’entend, hein ?
le témoin 97 : Non.
Le Président : Je vais vous
demander de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment de témoin.
le témoin 97 : Je jure de
parler sans haine, sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie,
vous pouvez vous asseoir. Vous venez de dire, Monsieur le témoin 97, que vous connaissiez
incidemment Monsieur HIGANIRO. On va peut-être parler de lui d’abord. Vous le
connaissez dans quelles circonstances ?
le témoin 97 : Je vous ai
déjà dit qu’il a donné des cours de mathématiques à l’école où j’ai fait mes
études secondaires. Pas plus que ça.
Le Président : Donc il a
été votre…
le témoin 97 : Je ne le connais
pas en privé.
Le Président : Votre professeur ?
le témoin 97 : Non, non, pas
mon professeur, mais il était professeur…
Le Président : Dans l’école où
vous étiez étudiant, mais il ne vous a pas donné cours.
le témoin 97 : Non, non.
Le Président : Donc, vous
ne vous rappelez pas les notes qu’il aurait pu vous donner ?
le témoin 97 : Non.
Le Président : Puisqu’il ne vous
en a pas donné. Bien. Monsieur NTEZIMANA, vous le connaissiez depuis quand et
dans quelles circonstances ?
le témoin 97 : Je connais
Monsieur NTEZIMANA depuis 1985 à Butare, où nous étions tous les deux assistants,
lui à la faculté des sciences et moi à la faculté d’agronomie. Je le connais,
parce qu’en fait, il venait voir mon cohabitant, là où j’habitais, donc, dans
une maison mise à notre disposition par l’université. Et comme il n’y avait
pas assez de maisons, parfois, on était amené à vivre à deux, comme célibataires.
Et alors, il venait voir mon cohabitant qui avait été avec lui, ici à l’UCL.
Le Président : Et qui était ?
le témoin 97 : Qui était BUKUZI
Augustin. Donc, il venait parfois le voir avec sa famille, parce qu’ils se connaissaient.
Alors, je l’ai vu à cette occasion. Par ailleurs…
Le Président : Vous avez
fait sa connaissance en 1985. C’est ça ?
le témoin 97 : C’est ça, oui,
mais par ailleurs, je sais qu’il avait, bon, j’avais eu à le connaître donc…
j’avais eu à la voir pour la première fois chez mon cohabitant, je me suis quand
même un peu intéressé à lui, parce que je sais que, par exemple, il avait été
élu jeune secrétaire de la faculté des sciences et que, par ailleurs, il était
dynamique et socialement ouvert. Il faisait partie d’une équipe de basket-ball
où toutes les tendances, toutes les sensibilités ethniques, régionales, sociales
du Rwanda étaient représentées.
Le Président : Ca, c’était en
1985 ?
le témoin 97 : Oui. Donc…
de 1985…
Le Président : Est-ce qu’en
1985, le problème de l’ethnisme et tout ça, les appartenances ethniques, est-ce
que ça joue en 85, au Rwanda ?
le témoin 97 : Euh… pas beaucoup,
mais vous savez que chaque fois qu’il y a une crise, on remonte au moins 50
ans en arrière pour dire que le problème du Rwanda est principalement ethnique.
Je le dis aujourd’hui parce que nous sommes concernés par le génocide. Mais
à ce moment-là, je dis qu’il n’y avait pas de raison de voir que cette équipe
appartenait à une tendance ou un parti. Donc, je conclus qu’elle regroupait
toutes les tendances. Mais il n’y avait pas de… manifestement de problèmes.
Le Président : Et puis, Monsieur
NTEZIMANA a quitté le Rwanda à un moment donné pour revenir en Belgique ?
le témoin 97 : C’est ça, oui.
Il a quitté le Rwanda, je crois, deux ou trois mois avant moi pour faire des
études de doctorat, à l’UCL, où il avait fait sa licence, et alors, moi-même,
je suis venu quelque temps après pour faire aussi un doctorat à la faculté d’agronomie.
Et alors…
Le Président : Donc, vous
vous êtes retrouvés tous les deux en Belgique ?
le témoin 97 : Nous nous sommes
retrouvés en Belgique, et alors, sur ce point, avec votre permission, j’aimerais
quand même présenter les activités que nous avons pu mener ensemble au sein
des associations d’étudiants, parce que j’ai peur… d’être pris en répondant
partiellement à la nature de ces activités. Donc, je vais, avec votre permission,
j’aimerais présenter un aperçu global de ce que nous avons fait. Parce que,
pourquoi ? Parce que la tendance à laquelle nous appartenions est ignorée
par la presse et par tout le monde politique. Pourquoi ? Parce que, en
fait...
Le Président : Parce qu’il
n’y avait que vous deux ?
le témoin 97 : Parce que les
gens ne regardent que la logique binaire : Hutu, Tutsi, favorable au FPR
ou favorable au MRND, alors que nous, nous appartenions à une tendance entre
les deux, et alors, j’aimerais, avec votre permission, présenter ce que nous
aurions fait à cette occasion-là.
Le Président : Eh bien, expliq…
le témoin 97 : Parce que nous
disposons de…
Le Président : Ah non, non,
pas d’écrits, hein. Là, je suis désolé.
le témoin 97 : Je vais essayer
de dire de mémoire, mais ça remonte...
Le Président : Mais avec
les études que vous avez faites, vous devez avoir une mémoire extraordinaire,
et un esprit de synthèse tout aussi extraordinaire.
le témoin 97 : Non, je vous
dis tout de suite que je ne suis pas aller jusqu’au bout de mes études à cause
des problèmes que nous avons vécus au Rwanda. A cause de tout ce drame. Mais
je vais essayer. Donc, premièrement, je viens ici en tant que témoin pour aider
la Belgique, donc, qui est mon second… mon pays d’accueil.
Le Président : Ne vous occupez
pas des problèmes de la Belgique, occupons-nous du problème de juger Monsieur
NTEZIMANA.
le témoin 97 : Non, permettez-moi
quand même de dire que son procès est historique comme beaucoup l’on dit avant
nous. Donc, moi, en tant que Rwandais et Belge à la fois, j’estime que j’ai
quand même une forte responsabilité en intervenant dans ce procès. Donc, je
vais aider la Belgique, qui est mon pays d’accueil, à faire la lumière sur une
page de mon histoire dont je ne suis pas fier, donc...
Le Président : Mais vous
ne devez pas aider la Belgique ! Ici, il y a que des juges qui ont à juger.
La Belgique n’entre pas là-dedans.
le témoin 97 : Voilà. Donc,
maintenant, je vais…
Le Président : Il y a la
Cour et les jurés qui doivent juger. Ce n’est pas la Belgique qui juge, c’est
la Cour et les jurés.
le témoin 97 : Je vous présente
mes excuses. Donc, je vais essayer alors de dire ce que nous avons fait ensemble,
donc, avec Monsieur NTEZIMANA. J’ai déjà adressé un témoignage écrit en date
du 12 mai 1995, peu de temps après son arrestation, pour une détention préventive.
J’ai adressé la lettre à Madame Ariane [Inaudible]… qui était commissaire principale.
Dans cette lettre je disais ceci, je disais : « Je
soutiens les initiatives de la Belgique pour aider à établir à séparer les coupables
des innocents, les coupables de tous bords d’ailleurs, et dans cette optique,
je voudrais fournir les éléments qualitatifs que je connais sur le profil social
et politique de Vincent NTEZIMANA afin d’aider la justice dans ses investigations ». J’ai commencé donc par dire ce que j’ai déjà dit, que je
connaissais l’intéressé depuis Butare, à ça, je n’y reviens pas. Deuxièmement,
j’ai dit que j’ai eu à le côtoyer au sein des associations d’étudiants en Belgique.
La première de ces associations est celle qui est née aussitôt après l’attaque
lancée par le FPR à partir - donc le Front Patriotique Rwandais - à partir de
l’Ouganda. Alors, un ensemble d’étudiants de toutes tendances, encore une fois,
se sont mis - du moins ressortissants de l’intérieur du pays qui étaient souvent,
pour la plupart, des boursiers ici - se sont mis ensemble pour répondre, réagir
à cette attaque.
Et alors, moi, j’étais à ce moment-là au Rwanda pour un stage de
recherche, et quand je suis rentré en janvier 1991, j’ai trouvé que l’association
était déjà en place et que Monsieur NTEZIMANA, comme tous les autres, participait
à cette association. Mais ce que je veux dire, c’est que Monsieur NTEZIMANA
n’était pas, donc, je ne passerais pas beaucoup de temps sur cette association
parce que Monsieur NTEZIMANA n’était pas membre de la direction de cette association.
Il pouvait intervenir comme tous les membres, mais il n’était pas membre de
la direction. D’ailleurs, par la suite, ce que je dis dans le témoignage, ce
qu’aussi, par la suite, à cause des dissensions internes dues au fait que le
multipartisme naissant avait divisé la communauté des étudiants… mais ici, ça
n’avait rien avoir avec les questions ethniques ; d’ailleurs, je crois
que c’était plutôt, je vais dire, purement politique. Donc, après, nous avons
eu l’impression que cette association d’étudiants avait tendance à être récupérée
par le parti au pouvoir au Rwanda. Et alors que nous, nous avions une sensibilité
plus proche de l’opposition pacifique de l’intérieur du Rwanda. Moi j’ai tenté…
j’ai fait plusieurs tentatives de conciliation, parce que, parmi les membres
qui dirigeaient, les membres de la direction de cette association, j’en connaissais
quelques-uns qui étaient donc de ma génération, et nous étions tous boursiers,
mais ces tentatives de conciliation n’avaient rien donné. Je me souviens même
des moments où j’étais aller voir l’ambassadeur, pour lui demander d’apporter
un peu de paix dans cette association, et il a dit que les têtes étaient trop
chaudes, qu’il ne pouvait pas le faire.
Et alors, moi, à ce moment-là, j’ai démissionné individuellement.
Mais je me souviens que Monsieur NTEZIMANA, avec une centaine d’autres collègues
de l’association donc, notamment de l’association, ont démissionné par la suite,
en bloc, mais je ne faisais pas partie de cette équipe, parce que j’avais déjà
démissionné avant. Donc, je sais qu’il avait tapé la lettre de démission sur
sa propre machine, et qu’il avait circulé parmi toutes les tendances politiques,
que ce soit la tendance du Mouvement Démocratique et Républicain, MDR au Benelux,
dont il était membre, que ça soit les membres du Parti libéral, que ça soit
les membres du Parti Social-Démocrate, qu’on appelle PSD. Bon, tous ces membres-là,
il les a parcourus pour dire : « Nous devons nous distancier de cette
approche de la CERB, qui a tendance à se limiter à soutenir le parti au pouvoir ».
Voilà, donc ça, c’est tout ce que je peux dire sur le cas de l’association,
c’est donc après, tout ce que je sais, c’est aussi qu’après cette démission…
après cette démission, il y a quand même eu des gens, donc de toutes tendances,
comme je vous dis, au niveau ethnique, régional, etc. qui sont sortis, qui ont
démissionné, et d’autres qui sont restés. Je connais personnellement au moins
deux Tutsi qui sont restés après la démission de Monsieur NTEZIMANA dans cette
association. Voilà.
Deuxième chose alors que je… deuxième, ou troisième je ne sais plus
exactement, que j’avais dite dans mon témoignage, c’est que je l’ai mieux connu,
bon, je passe sur une autre association donc qui regroupait les étudiants rwandais
du troisième cycle en Belgique. Bon, celle-là était plus ou moins apolitique
et je crois que celle-là, donc, je crois que Monsieur NTEZIMANA n’y a pas joué
un rôle important, sauf que je peux juste dire que, que ça soit au niveau de
la communauté ou au niveau de cette association de troisième cycle, Monsieur
NTEZIMANA est un des membres qui voulait élever le niveau des débats. Donc,
pour ne pas se limiter aux querelles de second ordre.
Donc, cela dit, je peux passer donc au troisième volet de mon intervention,
qui concerne plutôt la section du MDR au Benelux. Donc, MDR c’est Mouvement
Démocratique Républicain. Ce n’est pas le MRD, comme je l’ai vu dans la presse,
c’est MDR. Donc, Mouvement Démocratique République au Benelux, où nous avons,
je crois, donc, vous savez que le multipartisme est né par la Constitution qui
a été promulguée, je crois, en juin 1991, et alors, par la suite, en octobre,
je crois que c’est là que cette association est née. Donc, je commence par la
naissance de l’association, parce que l’association donc, qui représentait son
parti en Belgique, parce qu’on a fait un tour de table pour dire pourquoi vous
intervenez au niveau de cette association. On voulait mieux se connaître. Je
me rappelle qu’il y avait plusieurs tendances. Il y en avait qui disaient :
« Je crois que je fais partie de ceux-là », mais, sauf que j’aurais
dû commencer par les autres, qui disaient : « Le système en vigueur
au Rwanda ne peut pas se rénover de lui-même. Il faut absolument qu’il y ait
une opposition pour essayer de faire évoluer le système, même si on était en
temps de guerre, vers une solution pacifique passant par la négociation ».
Et Monsieur NTEZIMANA, je me souviens qu’en étant d’accord avec cette
première vision, lui a dit : « Un système c’est bien beau, mais il
faut préciser les acteurs de ce système. Moi, je suis aussi de ceux qui doivent
combattre le président le témoin 32 et son entourage, parce qu’il constitue en
fait une barrière, presque infranchissable, vers la démocratie ». Donc,
je crois c’est ce qu’il a dit. Alors, la troisième tendance, c’est, je crois,
des gens qui disaient : « Pour avoir travaillé avec le MRND donc,
le parti au pouvoir à ce moment-là - nous connaissons ses abus, donc nous avons
voulu changer d’autant pour nous sentir mieux ». Voilà. Donc, c’est déjà
la naissance du parti.
Alors, par la suite, il y a eu plein de documents que nous avons
signés ensemble, plein d’appels à la manifestation pour condamner à la fois
les violations perpétrées par le Front patriotique rwandais, donc attentats
au Rwanda à partir de l’Ouganda, et à la fois le régime en place, donc, qui
voulait assimiler tous les opposants à… assimiler tous les opposants à des collaborateurs,
parce que c’était présenté comme cela, des collaborateurs des Inkotanyi, ou
alors, des mécontents qui veulent avoir une occasion d’avoir une place au soleil,
etc. et alors on voulait minimiser leur importance. Alors, nous avons mené une
forte campagne, même si elle n’a pas été répercutée par la presse, donc, pour,
en tout cas, montrer que nous soutenons une… que nous soutenons une voie intermédiaire
entre l’approche guerrière, développée par le FPR, et l’approche de maintien
du pouvoir par la force, développée par le MRND et le clan le témoin 32.
Voilà. Donc ça, c’est… nous avons fait beaucoup d’écrits auxquels
je ne reviendrai pas ; il est clair que nous nous placions entre les deux.
Maintenant, pour aller plus loin, j’ai dit, concernant le profil de NTEZIMANA
au sein de ces associations, j’ai déjà dit que c’est quelqu’un qui voulait toujours
élever le niveau des débats, dans la lettre que j’ai envoyée à Madame Marianne,
j’ai aussi précisé que c’est quelqu’un qui a une haute idée d’une personne dans
la société qui ne veut pas d’absentéisme et voir les choses pourrir, donc je
me souviens, j’ai mis ce détail dans mon témoignage, il avait donné le nom de
Ngenzi à son fils parce que Ngenzi devait lutter pour être parmi les meilleurs.
Donc, cela peut le servir ou le desservir mais c’est la vérité. Donc, on peut
dire : « Il est ambitieux, il a pu commettre des crimes », mais
aussi, à mon avis cela peut le desservir comme… ça peut le servir pour dire
que, en fait, c’est quelqu’un qui était déterminé pour lutter pour la démocratie
au Rwanda.
Donc, cela je l’ai déjà dit dans le témoignage, je ne sais pas si
je vais me rappeler le point suivant.
Le point suivant, je disais aussi que Monsieur NTEZIMANA, compte
tenu de son choix politique, alors qu’il était originaire de la province du
président, de la province natale du président le témoin 32, compte tenu de son
choix de soutenir plutôt l’opposition, il pouvait donner une image plutôt controversée
vis-à-vis de ses compatriotes. Et alors, c’était parfois difficile à porter.
Donc, d’abord je sais personnellement que, même s’il avait fait ce choix, il
voulait garder de bonnes relations avec ses amis, ses amis, donc, originaires
de sa région, par exemple, ou ses anciens collègues de cours, etc. Et je me
souviens que quelques-uns de ces amis le considéraient comme traître pour avoir
été dans l’opposition. Et alors les gens… donc, ce qui était plus influent,
ressortait principalement du parti MRND ou alors de la région du Nord-Ouest
du Rwanda d’où venait le témoin 32 et alors l’opposition était plutôt… les ténors
de l’opposition étaient plutôt centrés sur la région centrale du Rwanda, donc
à savoir Gitarama, Butare etc., la région centrale Est-Sud-Est du Rwanda, et
alors, il pouvait aussi paraître pour un infiltré du régime dans cette opposition.
Et alors, ce que j’ai déjà dit, son aversion contre l’approche guerrière du
FPR le faisait confondre avec quelqu’un d’anti-Tutsi parce que, toujours dans
la logique binaire, par paresse intellectuelle, la plupart des gens préfèrent
dire : « Vous êtes pro-FPR ou anti-FPR ; Vous êtes pro-Tutsi
ou anti-Tutsi ». On ne veut pas avoir quelque chose d’intermédiaire.
Alors, compte tenu de ça et son aversion contre le FPR, le FPR étant
confondu par les Tutsi, parce que sans direction, à part KANYARENGWE - qui était,
à mon avis, un Hutu de service - à part KANYARENGWE, on était quand même sûr
que ce mouvement était dirigé par les anciens réfugiés, et d’ailleurs, légitimement,
qui devaient rentrer au pays, parce que le régime en place avait tardé longtemps
à trouver une place pour eux. Et alors, comme on confondait ce mouvement avec
les Tutsi, être anti-FPR, ça paraissait comme être anti-Tutsi. Alors, j’ai noté
dans le témoignage que, compte tenu de ça, NTEZIMANA devait faire face à plusieurs
reprises à des attaques personnelles dirigées contre lui, en disant : « Tu
es traître - de la part des gens de sa région - tu es un infiltré dans
l’opposition », etc.
Le Président : Monsieur le témoin 97…
le témoin 97 : Oui ?
Le Président : Je sais bien,
on a déjà beaucoup perdu de temps dans ce procès, hein, et qu’on voudrait bien
arriver au bout. Ceci dit, vous n’êtes pas obligé de sprinter.
le témoin 97 : De
sprinter, je...
Le Président : Vous pouvez
parler plus lentement, de manière à ce qu’on comprenne ce que vous dites.
le témoin 97 : Ah, oui, voilà.
Donc, ce que je voulais dire, c’est que, compte tenu de son appartenance à l’opposition
pacifique et démocratique, comme la plupart des gens ont tendance à nous identifier
à nos groupes d’origine, lui devait faire face à plusieurs attaques, parfois
personnelles, auxquelles il devait répondre. Et alors, j’avais précisé dans
le témoignage, que la façon dont il pouvait répondre à ces attaques n’était…
je ne pouvais pas exclure qu’à un certain moment, il puisse élever le ton. Alors,
ce qui serait perçu par certains, tendant à l’accuser comme extrémiste, ce qui
ont amené notamment à le considérer comme un extrémiste. J’ai dit : « Je
n’exclus pas que cela ait pu arriver », compte tenu de ces attaques, en
essayant de se mettre à sa place. Bon, alors, après ça j’ai dit autre chose.
Le fait qu’il avait fait son choix… non, ça je crois que je ne l’ai pas dit,
mais je le dis aujourd’hui, je crois que Monsieur NTEZIMANA est quelqu’un -
encore une fois je parle de ce que je connais de lui et la Cour se chargera
de ce qui s’est passé à Butare, où je n’étais pas - mais, ce que je connais
de lui, c’est qu’il est capable de vivre avec le conflit.
Donc, c’est quelqu’un qui n’est pas nécessairement tenté de supprimer
le conflit en supprimant, donc, l’objet de son conflit, en l’occurrence son
adversaire. Pourquoi ? Parce qu’à maintes reprises, il a montré qu’il peut
adhérer à un parti ou à une association qui n’est pas nécessairement de son
ressort… qui n’est pas nécessairement proche de ses origines. Alors, donc il
était prêt à affronter le conflit avec les Hutu, je vous l’ai déjà dit, du Nord,
oui, avec les Hutu du Sud, qui pouvaient le traiter d’infiltrer avec les Tutsi,
qui pouvaient le traiter d’un Tutsi, parce qu’anti-FPR. Donc, je crois que dans
cette… dans toute cette démarche, il a fait l’apprentissage de vivre avec le
conflit. Parce que je crois que j’ai je ne peux par citer la personne mais
à un de ces témoins, j’ai suivi à la télévision quelqu’un qui disait quelque
chose, que j’ai retenu. En général, qu’est-ce qui peut être à l’origine des
génocides ou de tous ces crimes que nous avons malheureusement vécus au Rwanda ?
C’est que la plupart des gens sont tentés de supprimer le conflit, parce qu’ils
ne savent pas le gérer. Alors, supprimer un conflit, c’est supprimer l’adversaire.
Mais je crois que c’était un point, donc, que je peux noter vis-à-vis de lui,
que plusieurs fois, il a joué… il a tenté de jouer la médiation. Il était pris
en plein dans le conflit et il essayait d’en sortir, tout en gardant de bonnes
relations avec ses anciennes connaissances. Donc, ça c’était un point que je
voulais souligner.
Maintenant, je voulais quand même aller aussi, il me restera deux
points, je voulais aussi aller à l’essentiel en ce qui concerne son appartenance
à une tendance euh… A une tendance qui n’était ni pro-FPR ni pro-MRND. Je crois
que, compte tenu de l’évolution des événements au Rwanda, il y a eu des dissensions
à la tête des partis, et je peux dire que ces dissensions n’étaient pas… je
peux affirmer, si j’avais l’occasion, je pourrais le prouver, que ces dissensions
n’étaient pas nécessairement liées aux appartenances ethniques ou régionales
des gens, mais plutôt à l’incompétence de nos leaders qui mettaient en avant
leurs intérêts personnels. Donc, je peux dire que même cela s’appliquait à un
autre parti.
A un certain moment, je crois que c’était dans le premier semestre
de 1993, donc vers le mois de mars-avril, etc. Monsieur GAPYISI Emmanuel, qui
était membre du bureau politique de notre parti au Rwanda, a voulu se distancer,
donc, de ces querelles et créer un forum pour la paix et la démocratie, forum
qui était résolument engagé contre la prise du pouvoir par la force et la violence
par le FPR et contre le maintien du pouvoir par la force et la violence par
le MRND. Donc, ça je crois que c’était dans l’éditorial déjà de son journal,
et ceux qui le connaissaient savaient qu’il y croyait réellement. Et alors,
quand il a lancé son mouvement, je crois que nous qui étions ici en Belgique,
la majorité des gens qui étaient dans la section du MDR au Benelux, naturellement
se sentaient proches de cette tendance-là.
Malheureusement, Monsieur GAPYISI n’a pas vécu longtemps, parce qu’en
fait, il s’opposait à deux alliés objectifs, à savoir le MRND et le FPR. Ces
alliés objectifs ne voulaient pas qu’il existe une tendance intermédiaire. D’ailleurs,
quand vous le dites, les gens vous demandent : « Est-ce que cette
tendance existe ? ». J’ai compris que Monsieur TWAGIRAMUNGU a nié
l’existence de cette tendance parce que, justement, ça ne lui servait pas. Mais
je ne vais pas dans les détails. Mais cette tendance existait et était incarnée
par Monsieur Emmanuel GAPYISI et, pour la supprimer, supprimer le conflit, on
l’a éliminé aussitôt après. Là, je ne veux pas dire : « Est-ce
que son élimination est l’œuvre du FPR ? Est-ce que son élimination est
l’œuvre du MRND ? ». Il restait que son départ arrangeait les deux
à la fois. Si c’était le FPR, ça arrangeait le MRND. Le MRND n’a jamais cherché
à faire une enquête pour faire la lumière sur cet assassinat, et alors, ce que
je vais…
Le Président : On ne la fera
pas ici non plus, vous savez.
le témoin 97 : Ce que je veux
dire, donc, c’est que Monsieur NTEZIMANA a été… se sentait plutôt proche de
cette tendance et, quand Monsieur GAPYISI a été assassiné, il a, avec ses amis,
penché pour la création de nouveau parti, le Parti du Renouveau Démocratique,
le PRD. Il a tenté de nous associer à cette entreprise mais, donc, les membres
de la section du MDR du Benelux qui étaient restés ici, parce que lui était
rentré en mars au Rwanda, mais nous avons dit que nous le soutenions moralement,
mais que nous ne pourrions pas adhérer à ce parti, comme la situation était
tendue au Rwanda, il fallait… Cela commençait à être tendu, donc à l’approche
de la signature des accords de paix, avec… avec toutes les dissensions qui étaient
à la tête des parties, qui allaient se scinder en deux, tout ça. Donc, nous
n’avons pas voulu le soutenir formellement, parce que nous nous disions :
« Nous n’avons pas les moyens d’œuvrer sur place pour consolider cette
tendance ».
Donc, nous avons préféré faire ce que nous pouvions au sein du MDR,
jusqu’à ce que nous en avons… jusqu’à ce que nous avons démissionné de ce MDR
ici, quand on s’est retrouvé nulle part, donc les partis s’étant scindés en
deux, et les membres de ces partis étant allés, comme des voyageurs sans bagage,
vers le MRND ou vers le FPR. Et voyageurs sans bagage, je veux dire : ils
allaient vers le MRND ou le FPR, mais pour en être des instruments. Parce qu’ils
n’apportaient rien. Ils n’avaient pas d’armes, alors que les deux blocs voulaient
utiliser des armes. Donc, c’est des gens que le FPR et le MRND voulaient tout
simplement utiliser et alors, c’est comme ça qu’on a eu les tendances Hutu Power
d’un côté et la tendance pro-FPR de l’autre. Et alors, là, le peuple rwandais
a été pris en étau entre ces deux acteurs, et vous savez ce qui est arrivé par
la suite.
Donc, la plupart d’entre nous avons démissionné de cette section,
soit activement, soit passivement. Moi, personnellement, j’ai écrit une lettre
pour dire que je ne peux pas cautionner ce qui se passe là par la suite, parce
que la tendance à laquelle nous croyions n’existait plus. Mais, Vincent, qui
est plus politicien que nous, voulait croire à la poursuite de son action au
sein d’un parti nouveau, quelle que soit son importance. Il disait : « Ce
sera peut-être un petit parti, mais nous pensons que, si les accords d’Arusha
sont signés, on pourra infléchir le cours des événements, le cours de la politique,
en jouant sur les applications de l’accord ». Et alors, il disait :
« De toute façon, on ne peut plus les freiner, donc, on va intervenir en
cours de ces applications ». Cela m’a fait penser qu’il n’était pas opposé
aux accords d’Arusha, mais il entrevoyait des solutions au cours de l’application
de ces accords. Voilà.
Le dernier point que je voudrais aborder, c’est maintenant, euh…
bon, après un certain moment, je crois à partir de septembre 93, il s’est fait
que j’étais embourbé personnellement dans mes propres problèmes et je n’ai plus
communiqué avec lui depuis cette période-là. C’est même la période où j’ai démissionné
du MDR, c’est hélas une époque, mais la juge le sait, je ne pouvais pas assumer
ce qui se passait par la suite. Bon, alors, à ce moment-là donc, depuis septembre
93 jusqu’en avril 94, on n’a plus communiqué suffisamment. Je crois même pas,
donc politiquement en tout cas, il n’y a plus eu d’échanges, parce qu’il avait
choisi sa voie du parti de renouveau démocratique, que nous ne le pouvions pas
soutenir activement. Et alors, les questions… il y avait une tension extrême
au sein… à l’intérieur du pays. Bon, chacun s’occupait de ses propres problèmes
et de sa survie. On n’a pas pu communiquer. Mais alors, par la suite, vous savez
ce qui est arrivé. Il y a eu des massacres. Il a pu fuir. Il a pu revenir en
Belgique. Et je l’ai encore revu en Belgique.
Et, bon, j’ai appris qu’il était arrêté et j’ai réagi justement en
envoyant mon témoignage pour que, au moins sur la partie qui concerne la théorie
du génocide, pour qu’on ne puisse pas dire qu’il était le grand professeur-théoricien
du génocide, qui a commencé à planifier le génocide à partir de la Belgique.
Parce que nous savions pertinemment que Monsieur NTEZIMANA n’était pas un surhomme.
Il ne pouvait pas rester avec nous, à rédiger des communiqués, jusque parfois
minuit, 2h du matin, il allait dormir et demain aller faire son doctorat et
le terminer dans les délais et en même temps, allez rédiger d’autres articles.
Donc, sur… la plupart du temps, nous étions ensemble à courir à Bruxelles, à
rédiger des documents, etc. Donc, personnellement, je peux attester que, si
théorie pour génocide il y a eu, ce n’est pas en tout cas, en Belgique. Donc,
c’est ça que je voulais dire. Et quand il a été, donc, arrêté, j’ai donné mon
témoignage dans ce sens, et alors… qu’est-ce que je vais dire ? Bon, plus
tard, j’ai, dans ce témoignage, j’ai dit tout ce que j’ai, j’ai essayé de dire
tout ce que j’ai raconté ici, et j’ai terminé en disant : « Tel que
j’ai connu Monsieur NTEZIMANA, donc, sa force de caractère, son degré d’engagement
pour une cause et sa capacité de tolérer le conflit, je ne pense pas qu’il ait
été mêlé aux crimes qui se sont passés au Rwanda ».
Mais, admettant, comme je n’étais pas là, de toute façon c’est pas
à moi de l’attester, et que donc la justice devra faire son travail. Donc, j’ai
terminé mon intervention en disant… je termine mon intervention comme je l’ai
commencée en faisant confiance au travail de la Justice pour découvrir
la vérité. J’ai ajouté néanmoins que, jusqu’alors, je n’avais pas eu de témoignages
à me donner la conviction intime qu’il était mêlé dans ce génocide, parce qu’en
général, quand il y a eu dans une région un actif… un activiste du génocide,
dans ma région natale, par exemple… étaient du pays… A un moment donné, Monsieur
GISTA avait parcouru toutes les collines en engueulant les familles rwandaises.
Donc, c’était un nom qui revenait. Alors, je me suis dit : « Comme,
passivement, son nom de Vincent ne m’est pas parvenu, c’est que probablement
il ne doit pas en tout cas, être mêlé ouvertement à ce qui s’est passé au Rwanda ».
Mais, par la suite, comme je voyais quand même que son instruction
durait, j’ai fait quelque chose d’autre, que je vais dire, mais sans citer un
nom par respect, donc, parce que le Monsieur que je vais citer, c’est le Monsieur
qui a perdu sa femme justement à Butare, mais qui était mon ami. Donc, qui a
perdu sa femme dans ces événements-là, mais j’ai dit : « Je ne vais
quand même pas continuer à attendre, comme l’instruction dure, je ne vais pas
attendre que les informations viennent passivement vers moi ». J’ai dit :
« Je vais quand même aller vers ce Monsieur, parce que soutenir NTEZIMANA
sur le côté idéologique, serait quand même malvenu au cas où, on ne sait jamais,
il serait mêlé quand même dans l’assassinat de la femme de mon ami ». Alors,
je lui ai téléphoné, je suis allé le voir, je lui ai posé la question, clairement,
et j’ai dit : « Bon, j’ai témoigné en faveur de Monsieur NTEZIMANA,
mais je dois dire que, comme son instruction dure, il n’est pas exclu qu’un
jour nous serons confrontés à un procès. Peut-être qu’ils ont découvert quelque
chose de pertinent ». Donc ça, je lui ai dit comme ça. J’ai dit… d’un autre
côté donc, donc ça c’est un premier point, il faut que j’aie une idée quand
même de ce qu’il aurait pu faire. Et un deuxième point, c’est que j’ai dit,
personnellement, donc vis-à-vis de mes relations avec toi, je n’aimerais pas
être coincé en ne sachant pas me démarquer de...
Le Président : Qu’est-ce
que ce Monsieur vous a dit ?
le témoin 97 : De mes relations
d’amitié avec lui ?
Le Président : Qu’est-ce
que ce Monsieur vous a dit ?
le témoin 97 : Monsieur m’a
dit, j’allais y venir, ce Monsieur m’a dit trois choses. La première chose,
il m’a dit : « Je crois que... »
Le Président : Ce Monsieur,
vous a-t-il dit que Vincent NTEZIMANA était lié à l’assassinat de sa femme ?
le témoin 97 : Non.
Le Président : Merci.
le témoin 97 : Voilà.
Le Président : Alors, moi,
je vais vous poser une question. En 1990, vous étiez en Belgique ?
le témoin 97 : Oui, euh… non.
Le Président : Vous n’étiez
pas en Belgique ?
le témoin 97 : En 1990, j’y
étais, mais pas sur la totalité de l’année. Mais, euh…
Le Président : Est-ce que
vous étiez en Belgique à la fin de l’année 1990 ?
le témoin 97 : J’étais au
Rwanda.
Le Président : Vous étiez
au Rwanda.
le témoin 97 : Oui.
Le Président : Alors, je
n’ai pas de questions à vous poser. Y a-t-il des questions à poser au témoin ?
Les parties sont-elles d’accord pour que le témoin se retire ? Monsieur
le témoin 97, est-ce bien des accusés ici présents dont vous avez voulu parler ?
Persistez-vous, confirmez-vous les déclarations que vous venez de faire ?
le témoin 97 : Je le confirme.
Le Président : Eh bien, Monsieur,
la Cour vous remercie pour votre témoignage, et vous pouvez disposer librement
de votre temps.
le témoin 97 : Je vous remercie
aussi. Mais, quitte à ajouter une minute…
Le Président : Il n’y a plus
rien à ajouter, je vais vous prier de bien vouloir...
le témoin 97 : Je voudrais
garder une minute de silence pour les victimes du génocide...
Le Président : (Haussant
fortement le ton) Vous n’êtes pas ici pour
faire une minute de silence pour les victimes. Vous êtes venu ici pour témoigner,
maintenant, je vous prie de quitter la salle.
Il y a d’autres personnes présentes ? Monsieur… Je ne sais pas,
moi je n’ai pas son témoignage. Moi, je n’ai pas…
Nous allons suspendre l’audience et la reprendre à 11h25. Il y a
donc Monsieur le témoin, qui est présent pour le moment. L’audience est suspendue
et on reprend à 11h25. |
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