6.3.22. Audition des témoins: le témoin 96
Le Président : Monsieur,
quels sont vos nom et prénom ?
le témoin 96 : Je m’appelle
le témoin 96.
Le Président : Quel âge avez-vous
?
le témoin 96 : J'ai 47
ans.
Le Président : Quelle
est votre profession ?
le témoin 96 : Je suis
médecin de profession.
Le Président : Quelle est
votre commune de domicile ou de résidence ?
le témoin 96 : Ici et
en Belgique ?
Le Président : Oui.
le témoin 96 : J'habite
Ottignies. Ottignies, Louvain-la-Neuve.
Le Président : Connaissiez-vous
les accusés ou certains des accusés, avant le mois d'avril 1994 ?
le témoin 96 : Je connais
les deux, mais je ne connais pas les soeurs.
Le Président : Vous connaissez
donc Monsieur NTEZIMANA et Monsieur HIGANIRO.
le témoin 96 : Je connais
NTEZIMANA et je connais HIGANIRO Alphonse.
Le Président : Êtes-vous
de la famille des accusés ou de la famille des parties civiles ?
le témoin 96 : Non.
Le Président : Travaillez-vous,
êtes-vous au service des accusés ou des parties civiles ?
le témoin 96 : Non plus.
Le Président : Je vais vous
demander, Monsieur, de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment
de témoin.
le témoin 96 : Je jure
de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la
vérité.
Le Président : Je vous remercie,
vous pouvez vous asseoir.
le témoin 96 : Merci.
Le Président : Monsieur le témoin 96,
vous êtes d'origine rwandaise. Vous avez dû fuir le Rwanda en 1993, semble-t-il…
le témoin 96 : C’est exact.
Le Président : …suite à une
attaque de votre habitation.
le témoin 96 : C’est exact.
Le Président : Cette attaque
provenait de qui ?
le témoin 96 : Cette attaque
provenait des éléments… une personne bien identifiée faisait partie de la garde
présidentielle.
Le Président : Vous étiez
à cette époque, à Butare ?
le témoin 96 : J'étais
à cette époque, à Butare.
Le Président : Vous y étiez
professeur ou médecin ?
le témoin 96 : J’étais
médecin, professeur d'université.
Le Président : Vous avez
fait parvenir au juge d'instruction un tableau synoptique des faits qui s'étaient
passés à Butare en vous fondant sur une série de renseignements recueillis auprès
de connaissances.
le témoin 96 : Oui.
Le Président : Dans ce tableau,
vous expliquez notamment que les tueries ont commencé surtout à Butare, à partir
du 20 avril 1994, le lendemain d'un discours qui avait été prononcé par le président
intérimaire, le Monsieur SINDIKUBWABO.
le témoin 96 : Oui. Exact.
Le Président : Que, jusqu'à
cette date notamment, le préfet de Butare et le commandant de la gendarmerie
avaient pu préserver le calme alors que dans le reste du pays, les tueries avaient
déjà commencé bien avant cette date.
le témoin 96 : Tout à
fait.
Le Président : Vous avez
exposé que vous connaissiez Monsieur NTEZIMANA, uniquement de vue.
le témoin 96 : Tout à
fait, c’est exact.
Le Président : Vous ne l'avez
donc jamais véritablement fréquenté ?
le témoin 96 : Je ne l'ai
pas fréquenté. On n'a pas discuté dans le temps comme c'était le cas à l'égard
de collègues ou de confrères, parce qu’on n’habitait pas les mêmes zones. On
ne se connaît que de vue, effectivement.
Le Président : L’avez vous
rencontré éventuellement en Belgique, lorsque… parce que vous êtes venu faire
des études en Belgique ? L’avez-vous rencontré à cette époque-là ?
le témoin 96 : Oui, je
l’ai rencontré à cette époque-là.
Le Président : Vous exposez
que, à cette époque, Monsieur NTEZIMANA faisait partie euh… du noyau dur du
MRND. Est-ce qu'il n'y a pas une erreur ?
le témoin 96 : C'est dans
le sens large d'un groupe d'étudiants qui était, pour moi, comme perçu activiste
du groupe MRND. C'est dans le sens élargi.
Le Président : Et vous semblez
exposer que Monsieur NTEZIMANA aurait, à l'époque, prononcé des discours anti-Tutsi
évoquant même l’élimination systématique de tous les Tutsi.
le témoin 96 : Il ne s'agit
pas de NTEZIMANA. Il s'agit d'un autre, d’une autre personne avec qui on a eu
des problèmes à ce sujet.
Le Président : Et il s'agissait
de quelle personne ?
le témoin 96 : Il s'agit
d'un confrère que je ne citerai pas pour le moment puisqu'il n’est pas impliqué.
Le Président : Monsieur HIGANIRO,
vous le connaissiez parce qu'il aurait été votre professeur de mathématiques
au collège où vous avez suivi votre formation secondaire.
le témoin 96 : Il a été
effectivement mon professeur de mathématiques dans le cours terminal, au collège
Saint-André.
Le Président : Vous avez
exposé que Monsieur HIGANIRO avait été un moment ministre et puis qu'il était
venu à Butare comme directeur d'une fabrique d'allumettes, la SORWAL.
le témoin 96 : Tout à
fait, la question m’a été posée de savoir si je le connaissais. J'ai donc exposé
que je le connaissais bien puisque il n’a été mon professeur de mathématiques
qu’en fin de cours terminal, que depuis, je l’avais perdu de vue puisqu'il a
quitté la profession pour entrer en politique, et que depuis, je ne l’ai plus
vu, sauf à Butare, quand j'y suis retourné et qu'il était à ce moment-là directeur
de la société.
Le Président : Monsieur HIGANIRO
habitait-il dans le même quartier que vous-même, à Butare ?
le témoin 96 : Monsieur
HIGANIRO habitait plus bas que chez moi. Moi, j’habitais plutôt le plateau et
lui habitait la région de Buye.
Le Président : Avez-vous
constaté que Monsieur HIGANIRO était protégé par des militaires?
le témoin 96 : Oui, c'était
ostensible. Toute personne qui habitait Butare à ce moment-là, le voyait, le
savait bien.
Le Président : Et vous avez
précisé qu'il s'agissait d'hommes de la garde présidentielle ?
le témoin 96 : Tout à
fait.
Le Président : Alors, y a-t-il,
je dirais, une manière de reconnaître parmi les militaires, ceux qui font partie
de la garde présidentielle ? Y a-t-il des signes distinctifs sur leurs uniformes,
par exemple, qui permettent de les distinguer d'autres militaires ?
le témoin 96 : Il n'y
a pas de signe distinctif, à ce que je sache. Je ne suis pas spécialiste des
uniformes. Mais on sait très bien, on connaît très bien la provenance des gens
et on sait qui est gardé par qui. A Butare, il n'y avait pas beaucoup de personnes
qui étaient gardées et les deux qui étaient gardées c'était HIGANIRO et BARARENGANA
qui était le frère du président et qui, naturellement, était gardé par des personnes
de confiance, autrement dit des personnes qui viennent de la garde présidentielle.
Le Président : Vous avez
exposé aussi que Monsieur HIGANIRO, lorsqu'il recrutait du personnel à la SORWAL,
il avait recruté notamment des jeunes gens faisant partie de ce qui s'appelait
des Interahamwe. Selon ce que vous aviez exposé lorsque vous avez été entendu
par la police judiciaire, il s'agissait même d'une condition d'engagement à
la SORWAL ?
le témoin 96 : Je l’ai
exposé d'une manière rapportée comme je vous… Vous l’avez bien souligné, je
suis parti de Butare en 93, en début 93. La plupart des éléments que j'ai fournis,
je les ai fournis sur base de témoignages. Et il est bien rapporté par différentes
personnes d'une manière concordante que l'entreprise SORWAL a engagé beaucoup
de personnes et qu’elle a été le siège où pas mal d’éléments étrangers de Butare,
à Butare, ont été hébergés avant le déclenchement des événements.
Le Président : Donc, c'est
sur base de témoignages que vous avez recueillis ?
le témoin 96 : C'est sur
base de témoignages.
Le Président : Vous n'en
avez pas été le témoin direct ?
le témoin 96 : Je n’en
ai pas été le témoin direct.
Le Président : Vous avez
exposé d'après, donc, les témoignages que vous auriez recueillis que dans les
locaux de la SORWAL, à l'époque qui précède les massacres ou pendant les massacres,
se trouvaient des gardes présidentiels.
le témoin 96 : Des gardes
présidentiels à Butare, comme je viens de dire, deux éléments, étaient du temps
antérieur, donc, chez Monsieur HIGANIRO comme garde et chez Monsieur BARARENGANA
comme garde également. Mais les témoignages rapportent que, au moment du durcissement
de la situation à Butare, notamment après l'assassinat du président de la CDR,
faisant lui-même suite à un autre assassinat, beaucoup d'éléments de la garde
présidentielle se sont ajoutés. Et en plus, à Butare, au moment où un nouveau
président a été nommé en la personne de SINDIKUBWABO, d'autres gardes présidentiels
s'y sont ajoutés. Il y a eu donc plusieurs, disons, foyers ou noyaux où étaient
localisés les gens de la garde présidentielle à Butare, en tout cas avant le
déclenchement des événements. Et ces noyaux peuvent être précisés comme tels.
Le Président : Vous avez
également exposé que pendant les massacres, une série de moyens logistiques
de la SORWAL avaient été mis à la disposition, disons, des tueurs ou des miliciens.
Il y aurait eu mise à disposition des véhicules, de carburant, d'entraînement,
éventuellement dans les locaux de la SORWAL ou sur les terrains de la SORWAL.
le témoin 96 : Pas d'une
manière aussi précise que vous le dites. Mais des témoignages soulignent que
bien des bus sont arrivés à Butare, peut-être des camionnettes, avec des éléments
qui ont été logés, entre autre, à la SORWAL.
Le Président : Saviez-vous
qu’à l’époque Monsieur HIGANIRO ne se trouvait plus à Butare ?
le témoin 96 : Je ne sais
pas puisque je n'y étais pas. Mais cela n'exclut pas que, s’il y a responsabilité
prouvée puisqu’il était responsable de la société, il en ait une responsabilité.
Le Président : Vous avez,
semble-t-il, également indiqué que Monsieur HIGANIRO aurait été le responsable,
à Butare, de la CDR ?
le témoin 96 : C'était
ostensible, il ne l'a jamais caché lui-même.
Le Président : Vous savez
qu’il le conteste. Il dit que lui a toujours adhéré, je dirais, presque depuis
la naissance puisque c'était quasiment automatique, au parti unique qui existait
à l'époque.
le témoin 96 : C'est son
opinion. C'est sa responsabilité.
Le Président : Son épouse,
par contre, reconnaît qu'elle faisait partie de la CDR. Avez-vous des éléments
dont vous êtes le témoin direct qui permettent de dire que Monsieur HIGANIRO
était un des dirigeants de la CDR ?
le témoin 96 : Un exemple,
c'est de l’avoir vu au cours d'un meeting. Mais à cette époque, faire partie
d'un meeting n'était pas ostensible puisqu’en ce moment, j'y étais moi-même
pour écouter ce qui se disait et qui faisait très froid au dos ; mais j’y
étais aussi. Donc, assister à un meeting ne veut pas dire que l'on est idéologiquement
de ceci ou de cela. C'est la responsabilité de chacun. Et à l'époque, c'était
une éclosion de la démocratie et je crois que ça fait une époque où les gens
ont pensé qu’ils pouvaient exprimer clairement ce qu'ils ont dit, ce qu'ils
voulaient dire. Seulement, il y a ceux qui ont dit des choses acceptables, il
y en a d'autres qui ont porté des paroles de haine et c'était le cas de la CDR.
Le Président : Et par exemple
à ces meetings, Monsieur HIGANIRO a-t-il pris la parole ?
le témoin 96 : Non, d'autres
prenaient la parole. Il n'a pas pris la parole. Je ne l'ai pas entendu, je ne
peux pas dire que je l'ai entendu dire, je ne l'ai pas entendu dire. Mais je
l’ai vu présent. Ceci pour justifier que c'était ostensible le fait que lui-même
ne le cachait pas. Et à l'époque, les gens ne cachaient pas non plus de faire
partie de tel ou de tel autre parti politique.
Le Président : En 1993 vous
êtes… donc vous avez quitté Butare en janvier 93 ? Si mes souvenirs sont bons,
Monsieur NTEZIMANA…
le témoin 96 : Début,
début février…
Le Président : Début février
93. Il me semble que Monsieur NTEZIMANA est arrivé à Butare, après votre départ
?
le témoin 96 : Tout à
fait, on s'est croisé, on ne s’est jamais vu. Pratiquement, ici, quand il y
était, moi, je préparais ma thèse d'agrégation et je n'ai pas eu le temps ni
l'occasion du voir, sauf le rencontrer chez un des amis qu'on avait à l'époque.
Le Président : Bien. Y a-t-il
des questions à poser au témoin ? Maître GILLET ?
Me. GILLET : Merci, Monsieur
le président. Je reste préoccupé d'identifier l'opinion des gens dans cette
ambiance de démocratie qui naissait à l'époque et où des partis se créaient
etc. Et donc, je remarque qu'à plusieurs reprises, on identifie Monsieur HIGANIRO
à la CDR. Moi, j'aurais aimé - et le témoin dit encore maintenant que il, notamment
pour NTEZIMANA, qu'il était vu comme étant parmi les durs du MRND alors qu'il
n'était pas au MRND, il était au à MDR - et je souhaiterais que le témoin, d'après
la connaissance qu’il avait des choses à l'époque, telles qu'il les voyait se
dérouler sous ses yeux, nous explique un petit peu cette espèce de dialectique
qui existait entre, apparemment, des choses distinctes, MRND, MDR, CDR, etc.,
et le fait que des gens, malgré qu'ils étaient situés quelque part, par exemple
au MDR, au MRND, étaient vus comme autrement, étaient vus, par exemple, comme
CDR ou PRD, comme le cas de Monsieur NTEZIMANA, et étaient vus quand même dans
le noyau dur du MRND. Si le témoin a des idées sur cette espèce de dialectique,
je souhaiterais qu'il s'en explique, Monsieur le président.
Le Président : Est-ce que
selon ce que vous avez vécu, vous avez pu constater finalement que l'appartenance
à un parti politique, à un moment donné, ne signifiait plus rien mais que, par
contre, c'était peut-être un autre clivage qui apparaissait ?
le témoin 96 : J'ai vu
évoluer les choses à partir de 1990, au moment où je suis retourné au Rwanda,
jusqu'au moment où je suis parti du pays. A la naissance des partis politiques,
certains partis semblaient avoir des idéologies bien précises. A l'époque, l'idéologie
c'était surtout… disons le principal objectif des partis au pouvoir, c'était
euh… une envie évidente de changement, suite aux dégradations du pouvoir en
place, au niveau de l'ethnisme, au niveau du despotisme, au niveau du régionalisme
essentiellement. Et les partis qui naissaient, voulaient un changement manifeste.
L'évolution a fait que, au niveau des idéologies qui clivaient les partis politiques
en différentes familles, on a vu une détérioration qui s'est organisée autour,
effectivement, du facteur ethnique et des partis qui avaient, au départ, des
programmes d'égalité, de fraternité, se sont scindés en deux parties.
Dans chaque famille politique pratiquement, dans le pays, on a vu
naître une partie qui était pro… des partis qui étaient, je dirais, Power, comme
on l'a dit à l'époque, donc qui préconisaient un pouvoir Hutu absolu et des
partis… et des branches qui étaient plutôt pour l'égalité ou qui sont alors…
qui ont été considérées comme pro-Tutsi essentiellement. Et à la fin, finalement,
il n'y a plus de différence entre des partis, qu'ils soient du MDR, ou qu'ils
soient de la CDR, ou qu'ils soient du PL, du moment qu'ils étaient… qu'ils avaient
pour moteur le pouvoir Hutu, l'élimination de l'opposition qui est essentiellement
vue comme provenant des Tutsi et cela a été aggravé par le fait de la guerre
et de l'attaque du Front patriotique rwandais dans le nord du pays, le problème
du déplacement des réfugiés, ce qui a fait naître beaucoup d'animosités à l'égard
des Tutsi, à l'époque.
Le Président : D’autres questions ?
Maître GILLET ?
Me. GILLET : Mais, poursuivant
dans cette voie-là, Monsieur le président, je souhaiterais alors… Concrètement
concernant les accusés, qu’est-ce qui permet au témoin de dire que Monsieur
NTEZIMANA était un dur du MRND ? Est-ce qu'il a entendu des choses, est-ce
qu’il a entendu dire, est-ce qu'on disait de lui etc. ? Même chose pour
Monsieur HIGANIRO quand on parle d'une… enfin d’une affinité CDR ?
Le Président : Quels sont les éléments
précis qui vous permettraient de dire : « Voilà, pour moi, Monsieur NTEZIMANA
était du MRND,
Monsieur HIGANIRO, c'est la tendance CDR ? ».
le témoin 96 : Il y a
dur et dur. Il y a des durs que l’on peut voir par les faits qu'ils manifestent,
par les faits qu'ils font. À l'époque, il y avait, en tout cas, un groupe qui
était affilié pratiquement à l'ambassade du Rwanda de l'époque, dont faisait
partie un certain nombre d'étudiants et qui était manifestement activiste au
fait de défendre le parti au pouvoir, le parti MRND et l’idéologie qui était,
à l'époque, en train de se développer, c’est-à-dire la lutte contre l’ennemi,
l'ennemi qui était, d'une manière plus ou moins globalisée, l'ennemi c'était
le Tutsi, c'était l'envahisseur, et tous les gens qui prônaient finalement l'égalité.
C’est ce que j'appelle, c'est ce que j'ai appelé, dans le texte ou les écrits,
un noyau dur.
Le Président : Selon vous,
Monsieur NTEZIMANA faisait partie de ce noyau-là ?
le témoin 96 : A cette
époque, il y a eu un certain nombre d'écrits, notamment les fameuses règles
des Hutu dont NTEZIMANA participait en tout cas à l'expansion, à répandre, à
diffuser.
Le Président : Vous l’avez
vu distribuer des tracts ?
le témoin 96 : Je ne l’ai
pas vu distribuer des tracts mais il a été rapporté qu’il en a… il a participé
à, disons, à distribuer ou à bien diffuser le document. Un document qui n’était
pas euh… de nature, si on est bien conscient de ce qu'il peut rapporter, de
ce qu'il peut contenir comme grains de haine, un document qui, à mon avis, s'il
est en votre main, vous le classeriez où il doit être.
Le Président : Et pour Monsieur
HIGANIRO ?
le témoin 96 : Pour Monsieur
HIGANIRO, c'est autre chose. Ça rentre dans le cadre global des événements tels
qu'ils se sont passés à Butare, tels que je les ai vus, tels qu'ils m’ont été
apportés où, à mon avis, l'usine d'allumettes, l'université nationale du Rwanda,
les autorités politiques, se sont comportées comme des éléments qui ont, en
tout cas, servi à organiser une action qui était très grave, qui était criminelle
et dont les conséquences sont, se sont bien vues, se sont bien vues en ce moment-là.
Le Président : Bien. D'autres
questions ? Maître LARDINOIS et puis Maître CARLIER.
Me. LARDINOIS : Je vous remercie,
Monsieur le président. Est-ce que vous pourriez demander au témoin si il a des
informations concernant des liens entre Monsieur HIGANIRO et Madame Pauline
NYIRAMASUHUKO.
Le Président : Auriez-vous
des informations à ce sujet ?
Me. LARDINOIS : Qui était
la ministre du bien-être familial à l'époque.
le témoin 96 : À moins
que l'on me demande d'exposer ce qui se serait passé à Butare ou en résumé,
ou d'après différents témoignages, ou différentes personnes qui étaient sur
place, l'activité politique s'est bien engagée dans le phénomène de tueries,
de génocide proprement dit, avec des mots d'ordre, avec des participations évidentes,
une entreprise qui était bien programmée, dirigée et contrôlée. C'est dans ce
cadre que rentrent par exemple, la ministre NYIRAMASUHUKO, son mari et aussi
un de leurs fils qui est réputé comme un, en tout cas, des Interahamwe très
fort, dans Butare. Cela ne veut pas dire que je dis le lien direct entre eux,
je précise le contexte global. L'autorité politique était engagée et de cette
autorité politique se… faisait partie, entre autres, la ministre NYIRAMASUHUKO.
Je précise que la plupart de ces autorités est originaire de Butare.
Me. LARDINOIS : Une deuxième
question, Monsieur le président. Je souhaiterais que vous demandiez au témoin
si, à sa connaissance, une attestation spéciale de circulation de la Communauté
économique des pays du grand lac dont on a pu bénéficier Monsieur HIGANIRO le
29 avril 1994, est-ce que ce type de document, d'autorisation de circulation
était délivré facilement, je dirais, à toute personne en possession d'un passeport
?
le témoin 96 : Je n'étais
pas sur place, je ne peux pas répondre, je n'ai pas vu Monsieur HIGANIRO se
déplacer. Mais ce type de document existe effectivement et je pense que les
personnes aussi haut placées que Monsieur HIGANIRO, pouvaient bénéficier de
n'importe quel type de document, je présume.
Me. LARDINOIS : Je précise
ma question, si vous voulez bien, Monsieur le président.
Le Président : Le témoin
a dit qu'il n'était pas présent. Maître CARLIER.
Me. CARLIER : Merci, Monsieur
le président. Le témoin peut-il confirmer que, après l'élaboration de son document
« Vision synoptique des massacres à Butare », il a remis ce document
à Monsieur Gasana NDOBA.
Le Président : Oui. Pouvez-vous
confirmer, ça apparaît dans une de vos déclarations, que vous avez remis le
document que vous aviez établi, hein… le tableau synoptique ?
le témoin 96 : Je ne suis
pas enquêteur. Je ne suis pas…
Le Président : Oui, mais l’avez-vous remis ? Avez-vous remis le texte
de ce document à Monsieur Gasana NDOBA ?
le témoin 96 : Oui, Gasana
NDOBA en a eu connaissance comme l’un ou l’autre de mes amis.
Le Président : Oui ?
Me. CARLIER : Le témoin se
souvient-il, fût-ce approximativement, du nombre de personnes citées dans ce
document comme étant responsables ou présumées responsables des massacres à
Butare ?
Le Président : Vous vous
souvenez du nombre de personnes approximatif que vous avez citées comme étant,
à un titre ou à un autre, responsables des massacres à Butare ?
le témoin 96 : Vous savez,
les noms, les massacres ont été commis pas par des gens sans nom. Ce sont des
gens qui ont des visages, qui ont des mains. Certains noms sont cités effectivement.
La liste, c’est pas une liste, c’est pas exhaustif. Je crois que si on devait
compter les gens qui se sont… qui ont été responsables des massacres, on ne
pourrait pas les dénombrer tellement ils sont nombreux.
Le Président : Oui, mais
dans votre document, vous en citez approximativement combien ?
le témoin 96 : Des noms
qui ont été rapportés par différents témoins, de manière concordante, de manière
répétée, certains noms apparaissent effectivement sur ce document.
Le Président : Mais, Maître
CARLIER les a comptés. Il va nous le dire.
Me. CARLIER : Sauf erreur
de ma part, Monsieur le président, j’en ai compté 177. Est-ce que le témoin
peut nous confirmer que sur ces 177 noms, quand parmi ces noms, il cite un monsieur
Vincent, originaire de Kibuye, cabaretier à Ngoma, il ne s’agit pas de Monsieur
Vincent NTEZIMANA ?
le témoin 96 : Les noms
qui sont cités, ce n’est pas moi qui les ai produits, j’ai bien précisé. Ce
sont des noms qui reviennent par des témoins d’une manière répétée et je n’ai
pas vérifié ces identités. Les personnes qui sont habilitées, les enquêteurs,
c’est leur travail de vérifier…
Le Président : Oui. Enfin,
quand vous mettez Vincent, cabaretier quelque part, vous ne voulez pas parler
de Monsieur Vincent NTEZIMANA, j’imagine ?
le témoin 96 : Le nom
de NTEZIMANA, c’est un nom très courant également. Le prénom de Vincent également.
Il se peut qu’on trouve souvent au Rwanda, des noms qui portent à la fois le
même nom et le même prénom.
Le Président : Oui. Enfin,
je suppose que vous savez faire la différence entre un cabaretier et un professeur
d’université ?
le témoin 96 : Tout à
fait. Mais je ne peux pas préciser s’il s’agit de Monsieur NTEZIMANA que l’on
voit là.
Me. CARLIER : Il n’y a pas
de nom de famille, hein, c’est simplement de Vincent, cabaretier à Ngoma.
le témoin 96 : Vincent,
vous voyez, c’est un prénom. Il y a des tas de Vincent. Et donc, il faut le
placer dans le contexte et peut-être, à ce moment-là, préciser par le témoin
qui a dit le nom.
Le Président : Une autre
question ?
Me. CARLIER : Est-ce que
le témoin peut confirmer que parmi les 22 personnes de l'université nationale
du Rwanda, citées dans le document, le nom de Monsieur Vincent NTEZIMANA n’apparaît
pas ?
le témoin 96 : C'est possible
mais l'université nationale du Rwanda était aussi un noyau qui a joué pratiquement
un rôle, le rôle de support, le rôle de réserve, le rôle de matériel, le rôle
d'outils dans les massacres qui ont lieu à Butare, dans le génocide. Aussi bien,
au même titre que la SORWAL. J'ai bien cité l'université nationale du Rwanda,
j'ai bien cité la SORWAL, et a été beaucoup rapporté aussi, les autorités politiques.
Le Président : Bien. Mais
le nom de Monsieur Vincent NTEZIMANA n'est pas dans votre liste ?
le témoin 96 : N'est pas
dans les noms rapportés.
Le Président : Dans les noms
rapportés. Oui.
Me. CARLIER : Je vous remercie,
Monsieur le président. Une dernière question. Est-ce que le témoin peut confirmer
que dans sa déclaration du 6 juin 1995, il a dit, et vous l’avez cité il y a
un instant, en ce qui concerne NTEZIMANA Vincent : « Il a prononcé
des discours anti-Tutsi sans équivoque, il évoquait la thèse de l'élimination
systématique de tous les Tutsi », et qu’il vient de dire devant vous qu'il
ne visait pas en réalité Monsieur Vincent NTEZIMANA, mais une autre personne
dont il n'a pas voulu dire le nom.
Le Président : Vous confirmez
bien ce que vous avez dit aujourd'hui, c'est que l'auteur de ces discours anti-Tutsi
et de ces discours visant à l'élimination de tous les Tutsi, n'était pas Monsieur
Vincent NTEZIMANA ?
le témoin 96 : Je ne vois
pas bien ce qui est écrit et je n'ai pas exactement mémoire de la réponse que
j'ai donnée à ce moment-là.
Le Président : Si vous avez
un instant, je vais vous retrouver votre déclaration telle qu'elle a été relatée
dans le procès-verbal. Dans ce procès-verbal, il est écrit ceci : « En ce qui concerne NTEZIMANA Vincent, je le connais uniquement de
vue, je ne l'ai jamais fréquenté. Vous me montrez une photo de lui, je le reconnais
formellement. Je sais qu'il était professeur à la faculté des sciences à l’UNR.
En ce qui concerne sa personnalité, je sais vous dire, pour l'avoir entendu
dire ici en Belgique, lors de ma spécialisation, qu'il avait des idées extrémistes,
il faisait partie du noyau dur du MRND, il était connu comme tel à Louvain-la-Neuve.
Il a prononcé des discours anti-Tutsi, sans équivoque. Il évoquait la thèse
de l'élimination systématique de tous les Tutsi ». Lorsqu'on lit
cette phrase, on semble comprendre que c'est Monsieur NTEZIMANA l'auteur de
ces discours. Vous avez dit tout à l'heure que ce n'était pas de lui que vous
parliez mais d'un, d’un… de quelqu'un d'autre ?
le témoin 96 : Ça se peut,
parce qu'à la même période, j'ai eu… j'ai été interrogé à propos d'une autre
personne. Mais, en ce moment-là, j'évoquais probablement la seule discussion
que j'ai eue avec lui, qui a eu lieu chez un ami commun qui s'appelait RUHIGIRA
Désiré et qui était à l’époque aussi un euh… qui faisait partie du noyau dur.
C’est la seule discussion, mais je pense que la reporter comme telle paraîtrait
au niveau… si on ne se met pas dans le contexte d’un interrogatoire, un peu
excessif.
Le Président : Bien.
Me. CARLIER : Encore une
question, si vous m’y autorisez alors, Monsieur le président. Quand le témoin
parle de l’assimilation au noyau du MRND, des étudiants de l’époque, je suppose
qu’il parle de la Communauté des Etudiants Rwandais de Belgique, la CERB dont
il a déjà été question ici ?
Le Président : Ça vous dit
quelque chose, la CERB ?
le témoin 96 : Je sais
bien… Je sais bien qu'il y avait une association des étudiants rwandais à l'époque,
mais je n'y participais pas et je n'étais pas, en tout cas, euh… je ne participais
pas à l'époque des réunions tel… de la même manière que je n'étais pas un fréquentateur
de l'ambassade du Rwanda.
Me. CARLIER : Mais est-ce
que c'est cette communauté d'étudiants qu’il vise lorsqu'il assimile, en expliquant
aux questions de Maître GILLET, que c'est là qu’on voit qu’il y a un noyau dur
?
Le Président : Alors, s'agit-il
de cette organisation ?
le témoin 96 : À l'époque,
il y a eu tant de documents engagés, je ne pourrais pas dire précisément lequel
serait repris et lequel aurait, disons, aurait participé à diffuser ou aurait
écrit Vincent NTEZIMANA à l'époque. Mais il y en a beaucoup qui ont circulé.
Je n'en n'ai pas mémoire pour le moment.
Me. CARLIER : Est-ce que
le témoin sait que Monsieur Vincent NTEZIMANA a démissionné de cette communauté
CERB ?
Le Président : Aviez-vous
connaissance de cette démission de Monsieur NTEZIMANA, et d'autres d'ailleurs,
mais notamment de Monsieur NTEZIMANA ?
le témoin 96 : Je viens
de préciser que je ne fréquentais pas cette association. Donc, je ne sais pas
ce qui s'y est passé à ce moment-là.
Le Président : Bien. D'autres
questions ? Monsieur l’avocat général ?
L’Avocat Général : Est-ce que le témoin peut nous éclairer sur le
rôle du capitaine NIZEIMANA et du lieutenant Ildephonse HATEGEKIMANA ?
le témoin 96 : D’après
les témoignages à partir desquels j'ai fait note… j'ai fait la note en question,
ils apparaissent comme les responsables militaires organisateurs du génocide
à Butare. Donc, le capitaine était à l’ESO, tandis que le lieutenant était dans
le camp de Ngoma. Et si on se rend compte de l'organisation qui y était, il
était axé sur différents bras : il y avait le bras politique, il y avait le
bras militaire évidemment, et il y avait, disons, le bras des infrastructures,
des investissements et des moyens matériels qui étaient plutôt fournis par des
établissements publics, je dirais ici.
Le Président : Autre question
? Maître GILLET.
Me. GILLET : Deux questions,
Monsieur le président, si vous me le permettez. La première : je voudrais
savoir si, de science personnelle, de connaissance personnelle, à l'époque où
il était à Butare, le témoin connaissait Monsieur Jean-Berckmans NSHIMYUMUREMYI
qui était vice-recteur à l'époque du génocide, et quel était le genre de personnage,
s’il le connaît ?
Le Président : Alors, vous
connaissiez ?
le témoin 96 : Oui, je
connais bien, oui. Je le connais bien, c'est un confrère, c’est… il était… on
a travaillé pendant un temps ensemble à l'université nationale du Rwanda et
il a été promu comme vice-recteur de l'université nationale du Rwanda.
Le Président : Et comme position politique
?
le témoin 96 : Je crois
qu'il faisait partie du MRND, je pense, effectivement.
Le Président : Dur ? Pas
dur ? Hutu Power ?
le témoin 96 : Du moment
que l'université nationale du Rwanda s'est engagée d'une manière visible dans
le soutien des milices, dans le soutien, euh… dans l'entreprise du génocide,
il est évident que les responsables de l'université y ont une responsabilité.
Je donne un exemple très simple : si un bus de l'université doit sortir pour
aller transporter des miliciens, il ne peut pas sortir sans autorisation, il
ne peut pas sortir sans avoir des bons de carburant, et en ce moment-là, les
responsables de l'université sont effectivement… ont une responsabilité dans
ce fait.
Le Président : Autre question
?
Me. GILLET : Oui, Monsieur le président. Le témoin peut-il confirmer
que, d'après les informations qu'il a reçues, très tôt tout de même après le
génocide puisque ce document date de l'été 1994, il a reçu l’information suivante,
je lis un petit alinéa de son document, donc : « Le capitaine NIZEYIMANA de l’ESO, originaire de Gisenyi et proche
de HIGANIRO Alphonse, second du colonel le témoin 151, commandant de l’ESO, a mené
les mêmes activités - donc le capitaine NIZEIMANA -
que le lieutenant Ildephonse - qui est HATEGEKIMANA. Il a coordonné les activités menées sur l'axe Butare-Akanyaru
- frontière avec le Burundi - pour empêcher la fuite vers
le Burundi. Un encadrement de la population et des milices a été mis au point
pour une véritable chasse aux fuyards ».
Le Président : Vous pouvez
confirmer la teneur de cette note ?
le témoin 96 : Puisque
les événements à Butare semblent s'être déroulés selon un schéma bien précis
où il y a eu, au départ, un mot d'ordre qui a été prononcé par le président
de la République à l'époque où les massacres, comme c'est précisé, n'avaient
pas eu lieu jusqu'au 19 avril alors que les autres parties du pays étaient mises
à feu et à sang, cela prouve bien que l'autorité, pour peu qu'elle ait eu de
la bonne volonté, pouvait arrêter et freiner les massacres. Cela n'a pas été
le cas. Dès que le mot d'ordre a été donné par le président dans son discours
d'investiture d'un nouveau préfet, où les mots comme : « Abanyabutare
mwigize bantibindeba », cela veut dire : « Vous vous faites déjà…
vous vous retirez du circuit »), ou « Umwanzi abarimo nimumudukize »,
« l’ennemi est parmi vous, débarrassez-nous-en ».
Ce sont des mots qui ont été prononcés et qui ont été entendus, et
à la sortie de la réunion, tous les bourgmestres, tous les préfets… tous les
bourgmestres plutôt, en particulier, n’ont plus fait acte de résistance. Cela
est la phase d'initiation. La phase de mouvement telle que les témoignages le
rapportent, on trouvait très souvent des noyaux de miliciens. Ces noyaux étaient
généralement encadrés par un militaire. Ce militaire apportait du matériel,
essentiellement des grenades qui ne pouvaient provenir que des milieux militaires.
Et c’est, il semble, et c'est probablement très crédible, que ces armes, ces
grenades étaient fournies par les responsables du camp militaire de l’ESO, en
particulier le capitaine, et du camp militaire de N’Goma, en particulier du
lieutenant.
Le Président : Oui. Maître
EVRARD ?
Me. EVRARD : Je vous remercie,
Monsieur le président. Dans… lorsqu'il est entendu par le juge d'instruction,
pardon, plutôt par l'inspecteur judiciaire, le témoin, le 6 juin 1995, signale
avoir effectivement transmis le 19 août 1994, la note « vision synoptique »
qu'il a rédigée à Bruxelles, le 19 août 1994. Alors, est-ce que les éléments
qui sont recueillis, je ne sais pas trop comment, par le témoin, sont des éléments
recueillis à partir de Bruxelles ou est-ce que ce sont des éléments qu'il a
recueillis par je ne sais trop quels moyens, par des contacts qu'il aurait eus
à Butare ou ailleurs ?
le témoin 96 : J’ai précisé
que je suis venu ici en février 93, comme réfugié. Cela veut dire que j'avais
l'intention ferme de travailler dans mon pays, d’y rester et d’y développer
des choses que j’avais commencé à faire. Cela n’est donc pas, pour moi, un plaisir
de constater que tant de choses pour lesquelles on avait apporté la petite contribution
étaient détruites, étaient remises à sac et retournées au nul, au zéro. Cela
a été pour moi très difficile de constater que dans une région où j’avais pensé
qu’il y aurait de la concordance, il y avait des déchirements, qu’il y avait
des actes criminels tellement diaboliques que moi-même je ne parvenais pas à
le comprendre. Cela est une raison pour laquelle j’ai rédigé cette note, parce
que, à mon avis, je me disais que ce n’était pas possible, ce n’était pas compréhensible
et que donc, il fallait au moins laisser une trace quelque part.
Le Président : Avez-vous
recueilli ces éléments à Bruxelles ou…
le témoin 96 : Je les
ai recueillis à Bruxelles puisque j’étais à Bruxelles. Je n’étais pas au Rwanda.
Beaucoup… quelques personnes ont eu heureusement la chance de… échapper à ces
massacres. J’ai parlé avec beaucoup d’entre eux. Certains ont même accepté de
faire des témoignages et les personnes qui ont bien accepté, je leur ai conseillé
de contacter… de prendre contact avec les autorités judiciaires. C’est-à-dire
les personnes… certaines des personnes ont eux-même confirmé, auprès des
autorités judiciaires, le témoignage qu’ils m’ont donné et qui figure en partie,
d’une manière globale, dans le document qui est entre vos mains.
Le Président : Oui. Bien.
Me. EVRARD : Merci, Monsieur le président. Une autre question.
Le document daté, de Bruxelles, 19 août 1994 est transmis à Monsieur Gasana
NDOBA, cela ressort du procès-verbal. Est-ce que, au même moment, le témoin
l’a-t-il transmis au juge d'instruction ou à une autorité judiciaire, en Belgique
ou ailleurs ?
Le Président : Avez-vous
transmis votre document à une autorité judiciaire en Belgique ?
le témoin 96 : Je l'ai
transmis à Gasana NDOBA en lui demandant expressément du transmettre. Mais
je crois que, en cette matière, il faut être extrêmement prudent - les gens
qui témoignent courent un risque et… couraient un risque important - et que
donc, en tout cas, il faut respecter les témoins, il faut respecter en tout
cas le secret. Certaines personnes ont accepté de témoigner mais même ces personnes-là
ont reçu le conseil de pouvoir témoigner face aux autorités habilitées, aux
autorités judiciaires.
Le Président : Une autre
question ?
Me. EVRARD : Merci, Monsieur
le président. Le témoin fait état de prudence dans les éléments qu'il faut communiquer
mais je lis à la page 5 du document transmis : « Vision synoptique des
massacres à Butare à partir du 7 avril 94 » - et pour l’information du jury
c’est carton 9, farde 33, pièce 70 - je lis que on signale comme étant milicien
actif, je lis le texte : « Milicien actif, Butare ville » et
l’on cite une série de personnes dont on entend parler ici, à savoir Monsieur
le témoin 40, des gens qui ont… qui seront cités comme témoins, Monsieur
le témoin 21 et d’autres membres du personnel de la SORWAL. Alors, le témoin a-t-il
connaissance de ce que ces gens soient éventuellement poursuivis en tant que
miliciens actifs ou d’autres éléments quant à leur rôle ? Est-ce que le
témoin se contente simplement de signaler comme étant miliciens actifs, une
série de personnes, ou sait-il autre chose, et par qui ?
le témoin 96 : J’ai bien
précisé que dans ce domaine, il faut être extrêmement prudent, que citer le
nom d'une personne peut comporter des conséquences bien déterminées. Je précise
que ce document, s'il se trouve entre vos mains, vous ne l’avez pas vu circuler
à l'extérieur, vous ne l’avez pas vu diffusé d'une autre manière. Il vous est
parvenu par les voies de la justice. Et je pense que si on ne sait pas agir
ainsi, ça ne vaut pas la peine de parler devant les gens.
Le Président : Avez-vous
des éléments précis qui permettent de dire que Monsieur le témoin 21 et Monsieur le témoin 40
étaient des miliciens actifs ?
le témoin 96 : Les personnes
qui ont rapporté ces témoignages, s’ils ont été entendus, c’est à ces personnes-là
de témoigner.
Le Président : Bien.
Me. EVRARD : Merci, Monsieur
le président. Le témoin a-t-il connaissance, à Butare, par ce qu'il entend,
de l'arrivée à un certain moment, et ce sont des témoins qui sont venus nous
le dire, d'avions qui se seraient posés, je crois, la nuit, et qui auraient
déposé des bataillons ou, je ne sais pas l'expression, en tout cas, un contingent
de la garde présidentielle ?
Le Président : Avez-vous
connaissance de ça ?
le témoin 96 : Cela a
été rapporté par l’un ou l'autre des témoins qu’il y a eu des avions qui sont
arrivés, effectivement, à Butare, avant le début des massacres.
Me. EVRARD : Je vous remercie,
Monsieur le président. En ce qui concerne les gardes qui se trouvent à la SORWAL,
le témoin nous a précisé qu'il n'était pas en mesure d'identifier un garde présidentiel
d'un autre militaire. Le témoin a-t-il connaissance de ce que le conseil d'administration
de la SORWAL ait pris la décision d'engager ou de donner la possibilité au directeur
général, d'engager des anciens militaires ou, en tout cas, des gens qui ont
gardé les bâtiments de la SORWAL et n'y a-t-il pas une confusion entre des gardes
présidentiels et ces personnes-là ?
le témoin 96 : Il faut
bien distinguer les gardes présidentiels qui étaient à disposition de Monsieur
HIGANIRO lui-même, pour sa garde, sa sécurité, de ceux-là qui sont arrivés avant
la vague des massacres. Ceux qui sont arrivés pour les massacres, puisque c'était
finalement l'objectif, étaient… sont rapportés pour avoir séjourné à la SORWAL,
avoir séjourné à l'université nationale du Rwanda et au camp militaire de l’ESO.
C’est les trois endroits qui ont été signalés.
Le Président : Oui.
Me. EVRARD : Une dernière
question, Monsieur le président. Dans le document « Vision synoptique »,
on fait état d’une proximité entre Monsieur NIZEYIMANA, le capitaine NIZEYIMANA
dont on parle, et Monsieur HIGANIRO. Le témoin peut-il nous donner plus d'informations
? Sur quoi se base-t-il pour signaler cette proximité ?
Le Président : Quels sont
les éléments précis qui vous permettraient de dire qu’il y a… qui vous permettent
de dire qu'il y a une proximité entre le Capitaine NIZEYIMANA et Monsieur HIGANIRO ?
le témoin 96 : C’est présumé.
Mais là, je ne sais pas fournir de précisions, sauf si je pose la question à
mon informateur.
Le Président : Bien.
le témoin 96 : Mais il
est bien rapporté que ce capitaine, notamment même NTEZIMANA lui-même et Monsieur
HIGANIRO, se fréquentaient régulièrement.
Le Président : Dans quel
cadre ?
le témoin 96 : Lors de
cette période, mais il n’est pas précisé les activités qu’ils menaient ensemble.
Peut-être se connaissaient-ils parce qu’ils venaient de…
Le Président : De la même
région
le témoin 96 : De la même
région ou… mais est-ce qu’ils ont eu une collusion dans les activités qui ont
eu lieu, ça ce n’est pas mon domaine.
Le Président : Bien, Maître
CUYKENS.
Me. CUYKENS : Oui, Monsieur
le président. Au sujet du meeting dont parlait le témoin, est-ce qu’il pourrait
nous préciser quand et où a eu lieu ce meeting ?
Le Président : Vous avez
parlé tout à l’heure d’un meeting auquel vous aviez, comme spectateur, participé
et auquel vous auriez, donc un meeting CDR, auquel vous auriez… au cours duquel
vous auriez aperçu Monsieur HIGANIRO. Ça se situait à quelle époque et à quel
endroit ?
le témoin 96 : C’est bien
vrai. Donc, c’est… il ne faut pas le mettre au conditionnel. Ça s’est bien passé
comme ça. J’habitais le plateau de Butare, c’est-à-dire presque derrière le
stade de Huye où se déroulaient la plupart des meetings. A une certaine période,
c’est-à-dire je situe à fin 1992, le parti CDR, vu son comportement, avait fait
des exactions dans la région de Cyangugu, au cours d’un de ses meetings, et
le préfet de Butare l’avait interdit pendant une certaine période pour pratiquer
des meetings ou organiser des meetings à Butare. Probablement suite à des pressions
politiques, l’interdiction a été levée et, une fois, un meeting a été organisé
au stade. C’est l’appel global de tout le monde, des véhicules qui appellent…
Et à l’époque donc, j’entendais, de chez moi d'abord, ce qui se disait et puis
je me suis dit : « Bon, qu’est-ce que les gens peuvent dire ? »,
puisque j'entendais des bribes de chez moi. Je pouvais entendre et je me suis
dit : « Bon, comment est-ce que les gens peuvent parler, peuvent tenir
un discours pareil ? ». Je me suis dit : « Je vais aller
de près regarder ce qui se passe ». Et c'est à ce moment-là donc, que j'ai
vu un meeting de la CDR auquel donc, à ce meeting-là, j'ai vu Monsieur HIGANIRO
assis tout près, dans les stades.
Le Président : Donc, c’est
à la fin de l'année 1992 ?
le témoin 96 : C'est à
la fin de l'année 1992. Mais je ne sais pas vous préciser la date, à quel moment
c’était. Je vous dis que c’était suffisamment effrayant pour entendre et rentrer
chez soi en se disant bien que le pays allait éclater et que c'était vraiment
une conviction qui s'imposait à qui pouvait entendre de pareilles choses, de
pareils discours.
Le Président : D'autres questions
?
Me. CUYKENS : Oui, Monsieur
le président. Tout à l'heure, le témoin nous a dit qu'il n'a pas pu vérifier
les témoignages qu’il a reçus puisqu'il était effectivement en Belgique et donc,
il ne pouvait pas vraiment faire des recoupements sur place, pour vérifier les
informations qu'il recevait. Depuis lors, est-ce qu’il a essayé de faire des
vérifications par rapport aux témoignages qu'il a reçus ? Ou, une fois
que le document a été remis, son travail s'est arrêté là ?
Le Président : Vous avez
encore fait… vous avez, vous, fait des re-cherches ? Vous avez essayé de recouper
les témoignages ?
le témoin 96 : J'ai vu
moi-même quelques rescapés. J’ai vu moi-même certains endroits où les gens ont
été tués. J'ai vu moi-même des emplacements. Alors cela, je vous assure que
s’il y a à vérifier, ce n'est pas un problème. Même vous-même si vous y allez,
vous pourriez le vérifier.
Me. CUYKENS : Oui, mais les…
Est-ce que vous pourriez demander au témoin si, par exemple, il a pris la peine
de vérifier dans les listes de membres de partis ou bien les listes d'affectations
de la garde présidentielle à telle ou telle personne, ou bien les documents
de listes de personnel de la SORWAL…
Le Président : Avez-vous
fait un travail d'enquêteur ?
le témoin 96 : Je n'ai
pas fait le travail d'enquêteur. C'est pas mon travail.
Me. CUYKENS : Je vous remercie.
Le Président : Y a-t-il une
autre question ?
Me. EVRARD : Monsieur le
président, je souhaiterais poser une question concernant la méthodologie générale.
Jusqu'à présent, les questions qui ont été posées touchent des points particuliers.
Je vois que le témoin est médecin et anatomo-pathologiste. La médecine est une
science exacte, on procède par diagnostic d’éléments constatés. Peut-on demander
au témoin…
Le Président : C’est un commentaire
?
Me. EVRARD : Non, je souhaite
poser une question, Monsieur le président. Peut-on demander au témoin si, dans
le document, quand il a été animé… son esprit, quel était-il quand il est… quand
il produit ces documents et quand il veut donner des informations ? Et fait-il
une distinction entre les méthodes scientifiques qu'il utilise dans son activité
professionnelle et ce secteur qui n'est peut-être plus celui de son activité
professionnelle mais par lequel il est manifestement motivé d'une façon particulière ?
le témoin 96 : Je pense
que c'est le droit de chacun de s'engager dans un domaine ou dans un système
qui semble le toucher. S'il le touche d’une manière affective, il peut travailler
d'une manière affective. Mais je pense au minimum avoir respecté des méthodes
élémentaires qui s'imposent pour chacun, c’est-à-dire respecter la confidentialité,
respecter les personnes qui vous livrent leur témoignage, et la confidentialité
qui en découle.
Le Président : Autre question ?
Bien. Si nous prenons une heure à chaque témoin, nous en avons jusqu'au 31 juillet.
Je vous le signale. Mais allez-y.
Me. LARDINOIS : Oui, Monsieur
le président. Je ne suis pas particulièrement l'exemple d'exagération de poser
des questions dans ce procès. Euh… La CDR est une organisation ouvertement criminelle,
c'est l'extrémisme de l'extrémisme, et ça a toujours été reconnu comme ça et
elle ne s'en cachait pas. Et ce que dit le témoin à cet égard-là est important.
Et l'épouse de Monsieur HIGANIRO était affiliée à la CDR, soi-disant dans un
mouvement de mauvaise humeur contre Monsieur Juvénal le témoin 32…
Le Président : Une question,
s’il vous plaît.
Me. LARDINOIS : Et donc,
je voudrais savoir, euh… pousser le témoin un peu plus loin par rapport à ce
qu’il a dit, s'il en est capable, hein, je n'en sais rien. À propos de ce fameux
meeting CDR de l'époque, quelle était la position de Monsieur HIGANIRO dans
ce meeting ? Il n'a pas prononcé de discours, on le sait. Il me semble avoir
entendu le témoin dire qu'il était dans les stands, je ne sais pas ce que ça
veut dire. Est-ce qu'il était sur l’estrade ? Est-ce qu’il avait l'air d'être
parmi les notabilités du CDR… de la CDR à l'époque ou bien c'était un badaud
au même titre que Monsieur… que le témoin ? Et s’il a des indications sur les
activités CDR de son épouse ?
Le Président : Alors, Monsieur
HIGANIRO, lorsque vous étiez à ce meeting, était-il assis sur l'estrade des
responsables de la CDR qui prenaient la parole ?
le témoin 96 : Oui, il
était assis sur l'estrade et son véhicule était garé à l'intérieur du stade.
Le Président : Avez-vous
des informations sur les activités de son épouse à la CDR ?
le témoin 96 : Non, précisément,
les informations qui passaient à l'époque, c’est des « on-dit ». Je
vous ai dit que c'était ostensiblement, c’est-à-dire que tout le monde pouvait
le voir et que l'une ou l'autre personne… Mais je ne tiens pas à faire des rapports,
à rapporter des situations que n'importe qui pouvait constater. Je crois :
le mot ostensible est assez clair.
Le Président : D'autres questions
? Vous êtes sûr de ne pas confondre avec une autre personne que Monsieur HIGANIRO
?
le témoin 96 : C'est impossible
de confondre.
Le Président : Une autre
question ? Les parties sont-elles d'accord pour que le témoin se retire ? Monsieur
le témoin 96, est-ce bien des accusés ici présents dont vous avez voulu parler
? Persistez-vous dans vos déclarations ?
le témoin 96 : Tout à
fait.
Le Président : Vous pouvez,
Monsieur, disposer librement de votre temps. La cour vous remercie pour votre
témoignage.
le témoin 96 : Merci bien.
Le Président : Maître CUYKENS ?
Me. CUYKENS : Si vous le
souhaitez, Monsieur HIGANIRO peut être interrogé à ce sujet-là, au sujet de
ce meeting.
Le Président : Oui, Monsieur
HIGANIRO, vous étiez présent à un meeting de la CDR, sur l’estrade ?
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le président, je voudrais redire
ici…
Le Président : Parlez dans
le micro, si vous voulez bien.
Alphonse HIGANIRO : Je voudrais redire ici, Monsieur le président,
que je n'ai jamais participé à un meeting politique à Butare. Même pas pour
mon parti, le MRND. Et je voudrais rappeler : dans le dossier se trouve
par exemple le témoignage du maire de Butare, Monsieur KANYABASHI. Il a aussi
bien précisé que c'était lui qui donnait les autorisations aux partis pour tenir
leur meeting, il a bien précisé qu'il ne m’a jamais vu dans un meeting politique
dans sa commune à Butare. Merci, Monsieur le président.
Le Président : Un commentaire
?
Me. GILLET: Oui, Monsieur le président.
Éventuellement une question à Monsieur HIGANIRO, c'est possible ?
Le Président : Oui.
Me. GILLET : Dans l'agenda
de Monsieur SEBALINDA qui se trouve là dans les pièces à conviction, on trouve
tout un schéma d'organisation d'un meeting du MRND, au mois de novembre 1993
(Monsieur SEBALINDA est le directeur administratif et financier de la SORWAL).
On y parle du prix de la location du stade : 10.000 F rwandais. Je n'imagine
pas que ça soit Monsieur SEBALINDA qui ait payé cela. On y parle des orateurs.
A peu près tous ces orateurs sont aujourd'hui en détention, à Arusha. Je voudrais
savoir, de la part de Monsieur HIGANIRO, quel était le rôle de Monsieur SEBALINDA
dans l'organisation de ce meeting et notamment le rôle de Monsieur SEBALINDA
par rapport à lui, Monsieur HIGANIRO, et si c’est la SORWAL qui organisait ce
type de meeting ?
Le Président : Monsieur HIGANIRO
?
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le président, c'est vraiment inquiétant
d’entendre cela, parce que l'orateur semble ignorer comment les partis fonctionnaient
au Rwanda et les meetings comment ils étaient organisés. Monsieur SEBALINDA,
c'était un membre du parti MDR, il était actif, il avait un rôle à jouer dans
son parti. Si on a trouvé dans son agenda une activité, une trace d'activité
pour le parti MRND, c'est un parti pour lequel le MDR était en opposition. Je
ne saurais pas vous dire quelle mesure politique particulière il comptait prendre
vis-à-vis de ce parti. Ça c'est dans l'agenda de Monsieur SEBALINDA, ce n'est
pas dans les livres de la SORWAL. La SORWAL n'a rien à voir avec les gens qui
organisent le meeting politique. Je ne vois pas en quoi le fait de trouver un
agenda dans le bureau du directeur administratif de la SORWAL, parlant d'une
activité politique privée, cela laisse penser à un certain engagement de la
société en cette matière, je ne vois vraiment pas de lien. Monsieur le président,
je pense que même le directeur administratif et financier de la SORWAL a droit
à avoir sa vie politique privée. Je ne vois vraiment pas de lien, Monsieur le
président.
Le Président : Bien. Merci
à vous.
Alphonse HIGANIRO : Je vous remercie, Monsieur le président. |