assises rwanda 2001
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Instruction d’audience V. Ntezimana Audition témoins compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction d’audience V. Ntezimana > Audition témoins > R. Degni-Segui
1. N. Gasana 2. le témoin 9 3. le témoin 125 4. le témoin 134 5. le témoin 116 6. le témoin 61 7. le témoin 124 8. le témoin 50 9. le témoin 150 10. le témoin 73 11. le témoin 55 12. le témoin 100 et commentaires V. Ntezimana 13. le témoin 97 14. le témoin 104 15. H. Gallee 16. le témoin 84 17. le témoin 36 18. B. Van Custem et commentaires V. Ntezimana et E. Seminega 19. Lecture président attestation J.B. Seminega 20. le témoin 77 21. le témoin 10 22. le témoin 96 23. le témoin 42 24. R. Degni-Segui 25. le témoin 15 26. J. Léonard et commentaires partie civile et V. Ntezimana 27. J.P. Van Ypersele de Strihou 28. le témoin 118 29. le témoin 31, commentaires avocat général, partie civile, défense, audition interview I. Nkuyubwatzi 30. le témoin 108 31. le témoin 127 32. le témoin 109 33. le témoin 147 34. le témoin 105 35. le témoin 89
 

6.3.24. Le témoin René DEGNI-SEGUI n’est pas là.

Le Président : Bien. Donc, nous devions encore entendre, mais nous savons qu’ils ne sont pas là, Messieurs GUICHAOUA et DEGNI-SEGUI. En ce qui concerne Monsieur DEGNI-SEGUI qu’on ne parvient pas à joindre, les parties renoncent-elles, dès à présent, à son audition, tout en sachant que je ne vais pas lire le rapport ou les rapports de Monsieur DEGNI-SEGUI ?

Me. de CLETY : On pourrait le joindre ultérieurement, nous souhaiterions qu’il soit entendu.

Le Président : On réserve tout simplement. Mais dites-vous bien que s’il ne vient pas, moi, je n’ai pas la possibilité de lancer un mandat d’amener contre Monsieur DEGNI-SEGUI.

Me. de CLETY : Je ne vous demande pas cela ni des recherches impossibles, mais si, dans un délai raisonnable, on pouvait mettre la main dessus…

Le Président : Alors, Monsieur GUICHAOUA est retenu pour le moment, il est donc contactable, lui en tout cas, et au cours de l’évolution des débats, on fixera sans doute une date, qui sera vraisemblablement après les témoins des faits proprement dits, c’est-à-dire, je pense qu’on pourrait envisager du faire revenir le lundi 14 mai. Bien. Donc, on n’a pas renoncé à l’audition de qui que ce soit aujourd’hui. Nous allons suspendre l’audience jusqu’à demain 9h00.

En principe, demain, euh… nous n’avons pas de nouvelles particulières, en tout cas annoncées en ce qui concerne Messieurs et Mesdames VIDAL, DE BEUL, DEFILLET, MAS, VANDENBON et VANDEPLAS qui, en principe, se présenteront. On n’a en tout cas pas de nouvelles de ce qu’ils ne se présenteraient pas. Messieurs DIABIRA et AL HOUSSEYNOU avaient un problème de visa qui n’est sans doute pas encore résolu à l’heure actuelle et donc, eux ne se présenteront manifestement pas demain, mais par contre, j’ai demandé à ce que Madame Els DE TEMMERMAN soit présente demain pour les remplacer, dans la mesure où elle était absente jeudi dernier et où elle a un reportage à présenter.

Dans le courant de l’après-midi, nous entendrons, à la demande de la défense de Monsieur NTEZIMANA, deux témoins de contexte mais qui sont plus particuliers à son propre cas, qui sont Monsieur le témoin 39 et Madame le témoin 135, ou l’inverse ; c’est bien Madame le témoin 135, hein ?  Et ensuite, il y aura un interrogatoire sur les faits de Monsieur NTEZIMANA. Pour Madame DE TEMMERMAN, prévoir, en tout cas, même si cet interprète ne doit pas prester, un interprète français-néerlandais puisqu’à la fois son reportage est en néerlandais et l’audition ou les auditions de Madame DE TEMMERMAN qui figurent au dossier sont également en néerlandais. Je ne sais pas si elle connaît suffisamment la langue française pour s’exprimer en français, il est préférable de prévoir, Monsieur l’avocat général, effectivement, à partir de 11h demain, la présence d’un interprète.

Voilà. L’audience est suspendue, elle reprend demain à 9h00. Je vous souhaite à tous et à toutes une bonne soirée.

[Suspension d’audience]

Le Président : Monsieur, quels sont vos nom et prénom ?

René DEGNI-SEGUI : René DEGNI-SEGUI.

Le Président : Quel âge avez-vous ?

René DEGNI-SEGUI : J’ai 55 ans

Le Président : Quelle est votre profession ?

René DEGNI-SEGUI : Je suis professeur agrégé à la faculté de droit d’Abidjan.

Le Président : Quelle est votre commune de domicile ou de résidence ?

René DEGNI-SEGUI : Je réside à Abidjan.

Le Président : Connaissiez-vous avant le mois d'avril 1994, l’un ou l’autre des accusés ceux-ci étant Vincent NTEZIMANA, Alphonse HIGANIRO, Madame MUKANGANGO et Madame MUKABUTERA ?

René DEGNI-SEGUI : Je n’en connais... je ne les connaissais pas.

Le Président : Etes-vous de la famille des accusés ou des parties civiles ?

René DEGNI-SEGUI : Non.

Le Président : Etes-vous attaché au service, travaillez-vous pour les parties civiles ou pour les accusés ?

René DEGNI-SEGUI : Je ne crois pas.

Le Président : Je vais vous demander, Professeur, de bien vouloir lever la main droite et prononcer le serment de témoin.

René DEGNI-SEGUI : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président : Je vous remercie. Vous pouvez vous asseoir.

Monsieur DEGNI-SEGUI, vous avez été rapporteur spécial de l'ONU a propos de faits qui se sont déroulés au Rwanda à partir du 6 ou 7 avril 1994. Vous avez établi à cette occasion plusieurs rapports, si je ne m'abuse, quatre rapports qui s'étalent du 28 mai 1994 au 28 mai 1995. Pouvez-vous rappeler quelle était la mission qui vous été confiée par l'ONU ?

René DEGNI-SEGUI : Merci, Monsieur le président. Je voudrais tout juste apporter un rectificatif pour dire que le dernier rapport date de 1997. Janvier 97. Et en tout, six rapports.

J'avais pour mission, selon la résolution de la Commission des Nations Unies, de me rendre sur les lieux immédiatement et d'enquêter, de rechercher les causes profondes qui ont entraîné les événements dont vous avez parlé ; de recueillir les informations auprès des États, des organisations intergouvernementales et des ONG, des organisations non gouvernementales. Succinctement.

Le Président : Quels étaient les moyens, je dirais matériels et humains, dont vous aviez la disposition pour réaliser cette mission ?

René DEGNI-SEGUI : Lorsque je devais me rendre sur le terrain, les Nations Unies mettaient à ma disposition des moyens logistiques, notamment le véhicule. J'étais accompagné également de collaborateurs et plus tard, à la suite de recommandations par moi faites, l'ONU a déployé sur le terrain des observateurs de droits de l'homme qui étaient sur le terrain et qui m'envoyaient des informations, informations que je pouvais par la suite vérifier.

Le Président : Quels sont les éléments que vous avez pu recueillir sur place auprès des États, auprès d'hommes politiques ?

René DEGNI-SEGUI : J'ai dû interroger plusieurs Etats à partir de Genève. Et particulièrement les États intéressés, notamment des grandes puissances, des États limitrophes. Et j'ai pu donc interroger les représentants de ces États. J'ai eu les témoignages sur place de victimes des faits, les témoignages des personnes employées par les Nations Unies et la famille, la grande famille des Nations Unies. Et j'ai pu également avoir un certain nombre de documents sur les faits. Et enfin, j'ai pu visiter des sites de fosses communes et autres.

Le Président : Sur base des constatations et des renseignements que vous avez recueillis, documents, témoignages, qu’est-ce…

René DEGNI-SEGUI : J'ai pas suivi. Ah bon, allez-y. Excusez-moi.

Le Président : Quelles sont les conclusions auxquelles vous êtes arrivé quant à l'origine des faits ?

René DEGNI-SEGUI : Dans le premier rapport, j'ai relaté les faits. Et à la suite des faits à ma connaissance, je suis arrivé à la conclusion qu’au Rwanda, il y a eu un génocide, un génocide de Tutsi, qu'il y a eu crime contre l'humanité et qui est aussi violations des Conventions de Genève de 49, et du Protocole II. Si vous voulez que je développe, voilà en gros…

Le Président : Oui. Quels sont les éléments qui vous ont amené à cette conclusion ?

René DEGNI-SEGUI : S'agissant du génocide, nous avons une Convention, la Convention des Nations Unies de 1949, qui prescrit trois conditions pour qu'il y ait génocide. En substance, il faut un acte criminel, il faut l'intention de détruire en partie ou tout un groupe et ce groupe, qui peut être un groupe ethnique, religieux, euh…, ethniques, religieux, racial, que ce groupe soit visé comme tel. Je vois donc trois conditions. La première : les meurtres, assassinats et autres. À l'époque des faits, c'est, si je prends uniquement les massacres, il y avait un certain nombre oscillant entre 500 et 800.000, mais le nombre importe peu, ce qui compte c'est qu'il y ait meurtre, assassinat, qu’il y ait torture et autres. S'agissant du premier point, il n'y avait pas de problème.

Ce qui pouvait poser problème, c'était le problème de l'intention de détruire le groupe. Le problème a été relativement résolu dans la mesure où ceux qui ont commis les massacres ne se cachaient pas et cette intention a été largement diffusée dans la presse, par les communiqués, par les déclarations des organes de l'Etat et donc on peut ainsi déceler l'intention.

Ce qui posait un problème en revanche, c'est le 3e point : il faut que le groupe soit visé, soit spécifiquement visé. Le problème qui se pose est d'autant plus qu’il n'y avait pas eu seulement l'assassinat de Tutsi, il y a eu également les Hutu qui avaient été assassinés. Mais en fouillant davantage, je me suis rendu compte que c'était le groupe ethnique Tutsi qui était spécifiquement visés par le tri qui était fait, aussi bien aux barrages, lors des barrages que dans les maisons. Partout, il y avait un tri qui était fait. Et même, la carte d'identité était un moyen de contrôle puisqu'on faisait… mention était faite de l'ethnie. Et quelquefois même, la carte d'identité n'était pas même suffisante puisqu’il y avait un délit de faciès, dans la mesure où on pouvait, ceux qui tuaient estimaient que, bien que certains aient la carte, ces personnes avaient la morphologie de Tutsi et donc, ces personnes étaient également tuées.

Le second point qui m'a emmené à cette conclusion, c’est qu’il y a un document officiel du ministère de la défense qui date, je crois, de 1992, septembre 92. Ce document est assez clair. Il définit l'ennemi et indique que l'ennemi principal est le Tutsi. Le Hutu, lui, n'est visé qu’en tant qu’il est traître à son propre groupe ethnique.

Voilà, Monsieur le président, les éléments succinctement, les éléments qui m'ont permis… étant arrivé au point que les trois éléments constitutifs donnés par la Convention étaient réunis, je suis arrivé à la conclusion d'un génocide des Tutsi.

Le Président : Aviez-vous également relevé que ce génocide présentait un caractère organisé ?

René DEGNI-SEGUI : Oui. Par la suite, déjà lors des premières investigations, il y avait des indices sérieux. Il y avait des indices sérieux qui ont été par la suite confirmés. D'abord, il y a, il y a eu un ferment idéologique, constitué par cette incitation à la haine ethnique orchestrée par la radio nationale et par la radio RTLM, des Mille Collines.

Il y a ensuite un encadrement. C'est cette politique d'autodéfense qui est au départ, était destinée à une auto protection des populations contre les incursions des rebelles et qui, par la suite, a été dévoyée et utilisée pour le génocide. Et cela a consisté dans le fait que la population… d'abord il y a eu une… il y a eu… on a stocké des armes. Ces armes circulaient. On les a ensuite distribuées. Et par la suite, les Interahamwe et la population civile elle-même selon les témoignages concordants, ont eu à voir un entraînement, un encadrement militaire pour apprendre à tirer, à jeter les grenades et autres.

Et il y a aussi un autre phénomène, c'est le caractère systématique même des massacres. Ce caractère peut s'analyser du point de vue local comme du point du personnel. Du point de vue local, ce qui est caractéristique, c'est qu’on poursuit la victime jusque dans son dernier retranchement pour éviter que la victime n'échappe. C’est ainsi que le recoin où la victime est susceptible de se, de se cacher, est mis à feu : les broussailles, par exemple, sont fouillées systématiquement et les frontières, il y a des témoignages qui ont été donnés où les victimes qui voulaient fuir pour aller de l'autre côté étaient encerclées pour empêcher que ces victimes aillent dans les pays limitrophes.

Un autre phénomène, c'est le refuge des églises, d'abord des maisons ensuite des églises. Dans un premier temps, on a demandé aux victimes de rester dans les maisons. Et cela a permis d'éliminer des intellectuels, des hommes politiques, des leaders politiques, et autres. Mais le second phénomène, c'est le refuge dans les lieux publics et dans les églises. Certains, certaines victimes y sont allées volontairement pensant trouver un refuge. D'autres ont été appelés à s'y rendre pour qu'elles aient une protection assurée. Et ça a été le piège puisque ces personnes ont été, par la suite, massacrées dans ces lieux.

Je voudrais relever pour les églises, pour les informations que j'ai eues. Jusque-là, les églises étaient considérées comme des lieux sacrés, mais avec les événements du 6 avril, l'on a violé cette demeure qui était considérée comme sacrée, surtout que le Rwanda est un pays à majorité chrétienne. Voilà en gros ce que je peux dire, Monsieur le président.

Le Président : N'aviez-vous pas notamment relevé que dès 1992 ou 1993, un recensement avait été opéré, indiquant notamment l'ethnie à laquelle appartenaient les Rwandais ?

René DEGNI-SEGUI : Non. J'avoue n'avoir pas d'informations.

Le Président : Les faits qui nous occupent se situent plus particulièrement à Butare ou dans la région de Butare. Les informations que vous aviez recueillies font-elles apparaître une différence dans la manière dont les événements se sont déroulés à Butare par rapport à d'autres régions du Rwanda ?

René DEGNI-SEGUI : Monsieur le président, avant de continuer, est-ce que je peux demander un privilège ?

Le Président : Oui.

René DEGNI-SEGUI : J'ai la gorge sèche.

Le Président : Vous allez avoir tout de suite de quoi la rafraîchir.

René DEGNI-SEGUI : Merci. Ce que je peux relever, c'est que lorsque les massacres ont commencé, Butare a été le lieu épargné par l'action, je crois, du préfet de Butare, si j'ai bonne mémoire qui s'appelait le témoin 32, et je crois également peut-être le commandant. En tout cas, la ville de Butare, d'après les informations que j'ai recueillies, la ville de Butare avait été épargnée à peu près jusqu'au 19 avril. De sorte que beaucoup de personnes, de Tutsi, s’y sont réfugiées. Et c'est le fameux 19 avril où il y a eu le discours du président intérimaire, et c'est là qu’il y a eu, par la suite, le soir, il y a eu des massacres mais qui, d'après des informations, ont eu une ampleur beaucoup plus grande. Voilà ce que je peux dire par rapport à la question qui est posée.

Le Président : Avez-vous éventuellement des informations en ce qui concerne le rôle qu’auraient joué des militaires et même plus précisément des membres de la garde présidentielle dans les massacres à Butare ?

René DEGNI-SEGUI : Pas particulièrement à Butare. Je n'ai pas d'informations précises s'agissant de ce fait.

Le Président : Avez-vous éventuellement des informations sur le rôle qu'auraient pu jouer des intellectuels à Butare ? Et peut-être plus précisément des professeurs de l'université nationale du Rwanda ?

René DEGNI-SEGUI : Je crois que, d'après les informations que j'ai, Butare est la ville intellectuelle. Je crois que l'université s'y trouve. Et il y a beaucoup d'intellectuels. Et souvent, il revient que les intellectuels ont pris part aux événements, tout particulièrement des médecins. Voilà l'information que je peux donner. Tout particulièrement des médecins.

Le Président : Votre enquête ne s’est peut-être pas dirigée vers une identification précise de tous les participants au massacre ?

René DEGNI-SEGUI : Mon enquête n’allait pas jusqu'à, jusqu’à identifier des personnes. Je crois que cela revient, devait revenir au Tribunal pénal international. Moi, je voyais en gros les groupes constitués, c’est-à-dire, la garde présidentielle dont vous avez parlé, les partis politiques, les milices, mais je n'avais pas à identifier les personnes à l'intérieur. Je crois que cela revenait au Tribunal pénal international.

Le Président : Dans les groupes que vous aviez à identifier, pouvez-vous parler du rôle qu'ont chacun de ces groupes : garde présidentielle, armée, armée non garde présidentielle je dirais, partis politiques, plus certains que d'autres ? Je ne sais pas !

René DEGNI-SEGUI : Disons que dans les rapports, ce qui ressort le plus, c’est que ceux qui ont été très actifs, ce sont le MRND et puis la CDR. La CDR. Les miliciens ont joué un rôle très important parce que les massacres étaient particulièrement leur fait. Les bourgmestres et les préfets sont ceux qui étaient la courroie de transmission, qui étaient d'ailleurs, des préfets, certains préfets avaient été supplantés même par des bourgmestres ou des miliciens.

S'agissant des autorités supérieures, ce qu'on relève, c'est que la plupart du temps, il est indiqué que les ordres venaient d'en haut. Des ordres venaient d'en haut. Donc, il y a ceux qui sont peut-être au niveau présidentiel, qui ont conçu, qui ont organisé et qui ont donné les ordres. Il appartenait aux autorités locales - j'entends préfets, bourgmestres - d'être des intermédiaires pour transmettre l'information, pour que les milices puissent exécuter. La garde présidentielle a eu, d'après les informations que j'avais, parfois un rôle d'organisateur et un rôle d'exécuteur. Tantôt elle exécutait, tantôt elle donnait des ordres aux miliciens.

Ce que je peux relever également, c'est qu’entre les militaires et… entre les forces de l'ordre et les Interahamwe, il y avait une certaine complicité. Tantôt les forces de l'ordre regardaient sans réagir, regardaient massacrer, tantôt ils regardaient mais intervenaient lorsqu'il y avait des difficultés, par exemple, s'il faut défoncer une, un portail d’église ou autres, ils intervenaient ponctuellement. Ou lorsque, quelques rares fois, les assaillants avaient des difficultés pour venir à bout des victimes qui se servaient de pierres pour les chasser, alors les militaires donnaient un coup de main. Tantôt ils se substituaient et… ou bien aidaient à… exécuter la besogne.

Le Président : Selon vous, des plans existaient quand même… ? Y avait-il des plans bien antérieurs au 6 avril 1994 ? Des plans d'extermination ?

René DEGNI-SEGUI : Je pense que d'après ce que j'ai indiqué tout à l'heure - le ferment idéologique, l'encadrement militaire et le caractère systématique - pour moi, ce sont des indices qui montrent qu'il y avait une planification. Le problème maintenant, c'est de savoir si le plan était prévu pour le 6. Je ne le pense pas. Je pense que le 6, peut-être qu'un groupe a pu penser au 6. Jusque là, on ne sait pas. Enfin, ça fait un moment que j'ai décroché, je ne sais pas, j'ai eu des difficultés à demander aux Nations Unies de me donner les moyens pour qu’on puisse savoir qui a été à la base de cet attentat. Mais ce que je veux dire, c'est que l'attentat a été le prétexte pour mettre à exécution le plan. Ce n'est peut-être pas forcément la date indiquée, mais ça a été le prétexte pour pouvoir exécuter un plan qui existait déjà.

Le Président : Avez-vous éventuellement recueilli des informations selon lesquelles on aurait, quelque part, fait déjà quelques essais avant, de manière limitée ?

René DEGNI-SEGUI : Des essais avant ?

Le Président : Avant le 6, 6-7 avril. ?

René DEGNI-SEGUI : Il y a eu… effectivement, on peut parler d'essais, puisque nous avons, et j'ai fait partie, j'ai eu l'honneur de faire partie d'un groupe qui a été enquêter en 93 et déjà à cette date, nous n'étions pas loin de conclure à un génocide. Donc, en prenant cela, on peut dire qu’il y avait, mais ça n'a pas vraiment l'ampleur de ce que nous avons vu le six avril, mais déjà, il y avait des… les Tutsi étaient déjà persécutés à l'époque. C'est une commission qui avait été constituée par African Watch, la Ligue, non, la FIDH et le mouvement, non, l'Union interafricaine des droits de l'homme. Et lors de… dans nos conclusions, nous sommes arrivés presque à ce stade-là. Et le rapporteur spécial sur les exécutions sommaires qui s'est rendu après nous sur le terrain, a repris presque l'ensemble des conclusions de cette commission.

Donc, vu sous cet angle, on peut dire qu'il y a eu déjà des tentatives, mais encore une fois, ça n'a pas vraiment l'ampleur de ce qu'il y a eu, puisque si nous prenons l'ampleur des événements du 6 avril, ce sont des événements qui commencent dès la chute de l'avion, avant même qu'on l’ait annoncée, comme je l'ai indiqué dans mon rapport, une demi-heure avant, les barricades étaient dans tout Kigali. Il est vrai, il est vrai que le Rwanda est coutumier des faits, mais c'était vraiment exceptionnel. Par ailleurs, dès le 6 avril, ça commence, et le matin, presque tout le Rwanda se met dans la danse avec quelques rares exceptions, telles que Butare, et ensuite, ça se poursuit jusqu'à la mi-juillet, c’est-à-dire, à peu près à la fin de la guerre civile et après le 6 juillet, ça se poursuit d'ailleurs dans les camps de réfugiés, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle la résolution des Nations Unies étend la compétence du Tribunal dans les camps de réfugiés : l'ampleur était telle que ça n’a rien, absolument rien à voir avec ce qui s'est passé avant, puisqu'il y a eu des vagues successives de massacres de Tutsi, 90, 91,92,93. Mais ça n’a rien à voir avec ce qui s'est passé en 94.

Le Président : Et vous dites : « Ca s'est poursuivi même après la guerre civile à l'extérieur du… » ?

René DEGNI-SEGUI : Oui, parce que dans les camps de réfugiés, il y a eu, il y a une des, il y a eu encore des massacres dans les camps de réfugiés. C'est la raison pour laquelle l'ONU a étendu la compétence du Tribunal pénal international, aussi bien dans l'espace que dans le temps. Puisque c’est après le dies ad quem va jusqu'à la fin décembre 94. Le dies ad quo part de janvier et le dies ad quem décembre 94.

Le Président : Parmi les groupes qui auraient pu se trouver à l'origine des massacres ou qui les ont organisés ou qui les ont exécutés, avez-vous entendu parler de l’Akazu ? Terme signifiant apparemment en rwandais « la petite maison » et semblant, je dirais, vouloir identifier les proches du président le témoin 32.

René DEGNI-SEGUI : J'ai entendu parler de l’Akazu la première fois lorsqu'on s'est rendu en 93 au Rwanda. Et à l'époque, on disait justement que c'était la maison, enfin, les proches du président le témoin 32 qui étaient à la base de ce qui se passait. Mais après les événements de 94, le président le témoin 32 lui-même étant décédé, je n'ai pas vraiment focalisé mon attention sur cette piste.

Le Président : Vous avez parlé tout à l'heure de 500.000 à 800.000 morts. C’est un chiffre qu'on peut retenir ? Est-ce que des recherches ont été opérées ? Est-ce qu'on a vraiment voulu savoir ?

René DEGNI-SEGUI : Ce qui est sûr, c'est qu'on ne saura jamais le chiffre exact. Certains parlent d'un million. Le minimum en tout cas, c'est 500. Et finalement, on en arrive, le chiffre officiel qu'on donne maintenant c’est 800. On ne saura jamais avec exactitude le nombre de morts.

Le Président : Dans la manière dont ces massacres ont eu des suites, il y a eu des fosses, il y a eu des choses de ce genre, des maisons rasées… y avait-il une volonté, quelque part, d'empêcher qu'on sache, qu'on puisse identifier même les victimes ?

René DEGNI-SEGUI : Qu'on puisse identifier les victimes ?

Le Président : Donc, dans les manœuvres, je dirais, après la mort, y a-t-il eu des manœuvres qui tendaient à ce qu'on ne retrouve pas les  victimes ? A ce qu'on ne puisse pas les identifier ?

René DEGNI-SEGUI : Je ne pense pas. Puisqu’on a trouvé des corps à Nyarubuye, des corps, enfin, des victimes avec les mains au dos, qui ont été massacrées, qui sont restées là. Et on a trouvé aussi des corps dans des églises, dans les rues etc. Il y avait régulièrement, d'après ce que j'ai appris des agents des Nations Unies, des prisonniers qui venaient ramasser les morts pour les enterrer. Je pense que c'est plus pour des raisons d'hygiène que la volonté de... Maintenant, par la suite, et il y a eu à certains moments, il y a eu aussi des corps calcinés. Alors, est-ce que cela témoigne de la volonté de cacher ? À des endroits, il y a eu des corps calcinés, à des endroits, il y a eu des fosses communes. Peut-être qu’au niveau des fosses communes, ça dépendait des endroits, au niveau des fosses communes, il y avait cette volonté de cacher. Mais ces fosses communes ont été découvertes par la suite. Alors, tantôt ces corps sont à découvert, tantôt ces corps sont cachés. Est-ce que vraiment il y avait cette volonté de cacher les choses ? Je ne sais pas, à proprement parler.

Le Président : Certains parlent d'un double génocide ?

René DEGNI-SEGUI : Le double génocide peut être possible à la condition que et, j'allais dire, les conditions soient réunies. Dans le premier cas, les conditions ne posent pas problème. Mais dans le second, c'est difficile. Enfin, je n'ai pas eu à ma connaissance des éléments me permettant de dire il y a eu un double génocide, dans la mesure où le FPR n'a jamais donné, a fait croire qu’il tuait pour se venger, mais pas dans l'intention de détruire un groupe. Il y a eu des massacres, c'est un fait. Il y a eu des massacres au niveau, du côté du FPR. Mais les éléments constitutifs, du moins en ce qui concerne la Convention de 49, à mon sens, il n'y a pas d'éléments qui m’ont permis de dire qu'il y avait un double génocide.

Le Président : Est-ce que je peux vous demander quel est votre sentiment quant à l'avenir du Rwanda ?

René DEGNI-SEGUI : Vous me posez une question... Je crois que, comme je l'ai indiqué dans mon rapport préliminaire, il faut une réconciliation. Mais la réconciliation passe nécessairement par la justice. L'impunité ne peut garantir la réconciliation. Si la justice est rendue, aussi bien au plan international, au plan externe tel que ce que nous faisons présentement, mais surtout si la justice est bien rendue au Rwanda même, sans qu’on ait l'impression d'une vengeance sur les Hutu, je pense que le Rwanda pourrait revenir à de meilleurs sentiments. Il faut que les Rwandais se réconcilient avec leur justice. Je crois que c’est important. C'est la condition pour qu'il y ait un nouveau départ. Parce que si on ne punit pas, on reste, on s'en tient, on fait la réconciliation nationale sans identifier les véritables auteurs pour leur infliger des sanctions, je pense que ce sera difficile. Voilà ce que je peux dire, Monsieur le président.

Le Président : Selon l'état de vos informations, le Rwanda est-il est quelque part équipé pour faire cette œuvre de justice ?

René DEGNI-SEGUI : Vous me posez là... une question !? Lorsque j'étais rapporteur spécial, nous avions fait une proposition au Rwanda. Nous avons demandé que la justice soit rendue par des rwandais avec d'autres frères africains, avec d'autres personnes. Nous avions même pu obtenir un financement du PNUD. Je crois que l'Assemblée nationale avait adopté la loi, non, le gouvernement avait fait une proposition et l'assemblée nationale a rejeté le projet pour des raisons de souveraineté. Et nous avons pris acte et actuellement, le Rwanda rend sa justice avec beaucoup de difficultés. Beaucoup de difficultés à la fois point de vue matériel, et point de vue ressources humaines. J'ai appris au Rwanda, j'ai constaté qu'il y avait des magistrats non-juristes. C'est la 1ère fois que je découvrais cela. Et je me demande si ces magistrats peuvent juger efficacement un crime aussi important et infliger des sanctions allant jusqu'à, jusqu'à priver la vie.

Le Président : Je vais vous rassurer : en Belgique, ce sont les jurés qui sont non-juristes qui vont juger de la culpabilité. Donc, ce n'est pas seulement au Rwanda que ça existe.

René DEGNI-SEGUI : Oui, mais en même temps, en même temps, lorsque les jurés sont là, ils ne sont pas seuls.

Le Président : En Belgique, ils délibèrent seuls, sans les magistrats professionnels.

René DEGNI-SEGUI : Ah ! D’accord. Si ça peut me rassurer, tant mieux.

Le Président : Je ne sais pas si c’est pour vous rassurer…

Bien, moi, je n'ai plus, pour l'instant en tout cas, de questions à aborder avec vous, mais peut-être des membres du jury ou les parties ont-elles des questions à poser ?

Non Identifié : Vous avez identifié des groupes. Le tissu industriel constituait-il un groupe, un relais dans les événements de 1994 ? Et plus particulièrement à Butare ?

René DEGNI-SEGUI : Je ne suis pas allé jusque-là. Je sais qu’il y a quelques industries qui ont pu collaborer dans l'exécution du génocide en apportant un appui matériel. Mais je ne sais pas si c'est la question que vous posez, si j'ai bien compris la question. Oui ? Donc, mais je n'ai pas approfondi cet aspect des choses.

Le Président : Avez-vous eu éventuellement des informations quant au financement par des entreprises d'achat d'armes par exemple ou d'autres financements ?

René DEGNI-SEGUI : Il y a eu un rapport des Nations Unies en ce qui concerne des achats d'armes. Mais ça, c’est un groupe d'experts qui s'est penché sur la question et qui a pu donner quelques indications sur le trafic d'armes qui a servi pour le Rwanda. Je sais aussi qu’en 1900… je ne me souviens plus de la date, il y a eu un dignitaire qui a commandé à l'époque 50.000 machettes, 50.000 machettes, je crois que c’était en 92-93.

Le Président : D'autres questions ?

Non Identifié : Vous exposez qu'il y a eu un génocide planifié. Cette planification suppose nécessairement que des individus aient joué…

René DEGNI-SEGUI : Ah, c'est vous, excusez-moi.

Non Identifié : …Que cette planification ait été le fait que des individus. Alors, est-ce qu'au niveau, je dirais, central, vous pouvez identifier ces individus ? Est-ce que le président le témoin 32 lui-même a joué un rôle central dans la préparation du génocide, dans la planification ? On a parlé du colonel BAGOSORA comme étant quelqu'un qui avait la haute main sur les Interahamwe et sur la garde présidentielle dans les faits. Est-ce qu'il y a d'autres personnes que vous pouvez désigner comme étant les grands responsables de cette planification ?

René DEGNI-SEGUI : J’avoue qu’il m’est difficile de désigner nommément des gens, parce qu'il s'agit d’accuser et là, je ne peux pas. Je sais, je peux vous dire que des noms reviennent souvent. Peut-être qu’le témoin 32 a préparé, mais il a été au dernier moment victime lui-même de ce qu’il a préparé. Certainement qu’il a été gênant et on s’en est débarrassé. Je sais aussi que le nom de BAGOSORA revient souvent, revient souvent comme étant le cerveau. Mais là, ce sont vraiment des supputations, je ne peux pas, je n’ai pas les preuves nécessaires, puisque ma mission ne m’emmenait pas jusque-là.

Le Président : D'autres questions ? Maître EVRARD ?

Me. EVRARD : Merci, Monsieur le président. Peut-on demander au témoin, je n’ai pas suivi l’ensemble de son explication, mais il a exposé les conditions qui répondaient à la Convention de Genève pour la détermination du génocide. Je crois que la question qui lui a été posée au départ touchait également les Conventions de Genève et donc l’infraction aux Conventions sur les lois de la guerre et également les conditions pour les crimes contre l’humanité. Ce qui m’intéresse plus particulièrement, Monsieur le président, ce sont les conditions pour les crimes de guerre. Et je ne crois pas avoir entendu son explication.

René DEGNI-SEGUI : Non. Effectivement. Je me suis arrêté au génocide. Je crois que pour les Conventions de Genève, et il y a le traitement cruellement dégradant d'un côté, il y a la persécution pour motifs politiques, raciaux et ethniques ce qui fait que d’ailleurs par les motifs politiques, le crime de guerre se distingue ainsi du génocide qui n'a pas, parce qu'il n'y a pas de génocide politique, dans la différence qu’on fait avec le crime de guerre. Et d'autre part, le second critère qui vient, la deuxième condition, c'est que cela doit se faire dans le cadre d'une attaque générale contre la population civile. Et en ce qui concerne le cas du Rwanda, c'est le Protocole 2 qui s'applique puisqu’il s'agit d'un conflit non international, armé, et donc, parce qu’il, ce conflit opposait deux armées d'un même état, il n'y a donc pas un élément d'extranéité, encore que dans [Inaudible] qui a été présenté par votre compatriote, le professeur, je ne me souviens plus, DAVID, il dit qu’on peut dire qu'il y a un conflit international puisque ce conflit oppose d'un côté les Nations Unies à travers les Casques bleus et de l'autre l'Etat rwandais et donc, on pourrait ici parler de conflit international. Mais d'une manière générale, ce qui est retenu, c'est le conflit non internationalisé armé. Et donc, il y a violation de la Convention de Genève et dans ces conditions, il faut rechercher les auteurs aussi bien du côté des FAR que du côté de l’APR, l'Armée Patriotique Rwandaise. Et le problème, éternel problème posé, c'est de savoir : actuellement on juge, le Tribunal pénal international se penche davantage sur le problème du génocide, ce qui exclut l'autre côté. Quand est-ce qu’on arrivera à juger les autres crimes pour que les autres aussi puissent être mis en scène.

Le Président : À ce sujet-là, les informations que vous avez font-elles état de ce qu’avant le 6 avril 1994, il y avait une guerre non internationale au Rwanda ? Certains soulèvent le problème de ce qu’on avait signé des accords de paix.

René DEGNI-SEGUI : Les accords de paix d’Arusha, oui ?

Le Président : Oui.

René DEGNI-SEGUI : Quelle est votre question, Monsieur le président ?

Le Président : Alors, Accords d’Arusha, août 1993.

René DEGNI-SEGUI : Oui, c’est en 93. C’est ça.

Le Président : Est-ce que depuis lors le Rwanda n'était plus en état de guerre interne ?

René DEGNI-SEGUI : En fait, si nous prenons les événements, je vois deux faits distincts mais qui s’entremêlent. D’un côté, une guerre civile entre les FAR et l’APR. Et d’autre part, des massacres, qu'on pourrait bien distinguer. Mais en réalité, les deux se mêlent. Et lorsque l'on demande… moi-même je l'ai fait en 94, lorsque je me suis rendu sur les lieux, il y avait encore la guerre à… le gouvernement intérimaire s'était réfugié, était parti et, à Kigali, avec ma délégation, on a trouvé les militaires et on a eu à discuter avec eux et on leur a demandé d'arrêter les massacres. Ils ont répondu qu'ils arrêteraient les massacres que si le FPR arrêtait la guerre parce que selon eux les Interahamwe constituent un front, un front qui fait barrage, qui est susceptible de faire barrage aux autres et donc, ils font partie intégrante de la guerre et ils ne veulent pas, ils n'ont pas voulu arrêter la guerre. Ce témoignage a été, enfin, ce témoignage a été corroboré par le général Dallaire lorsqu'il s'est rendu en 98 devant le Tribunal pénal international et qui a témoigné, il a dit également : « Ils ont demandé qu'on arrête les massacres mais on a estimé que les massacres font partie intégrante… ». Il faut dire qu’ici il y avait d'un côté une guerre civile, de l'autre des massacres les deux étaient difficilement euh séparables

Le Président : Dissociables.

René DEGNI-SEGUI : Dissociables. Voilà

Le Président : D'autres questions ? Maître EVRARD ?

Me. EVRARD : Merci, Monsieur le président. C'est une précision que je souhaite que l'on demande au témoin. Le témoin, sur base des Conventions de Genève de 48-49 et du Protocole II qui invoque un conflit interne je dirais, non international, en tout cas, fait état d'une opposition qui aurait entre les Nations Unies et l'Etat rwandais. Est-ce qu'a un moment, il n'y a pas les forces armées rwandaises de la République rwandaise en place et une agression qui vient de l'Ouganda par des forces qui seraient à qualifier autrement qu’internes ? Ou s'agit-il de forces internes ? Première question. Deuxième question…

René DEGNI-SEGUI : Si je pouvais répondre d'abord ? Je n'ai rien pour écrire, excusez-moi.

Je pense qu’il faut distinguer la période avant et la période du génocide. Entre-temps, il y a eu les accords d'Arusha et l'armée, l'APR, est rentrée, ce n'est pas plus une armée extérieure. L'APR était bien au Rwanda. Dans ces conditions, on ne peut pas parler d'une armée extérieure venant de l'Ouganda. Ils étaient bien là. Lorsque les massacres ont commencé, ils étaient bien cantonnés, je ne connais pas bien le site, ils étaient bien cantonnés. C'est lorsque les massacres ont commencé que l’APR qui était déjà au Rwanda est venue. Il faut bien faire la distinction entre avant et après. Après, ce n'est plus une armée étrangère, si c'est ce que vous voulez insinuer. C'est une armée nationale ! Et il était prévu d'ailleurs dans les accords que les armées fusionnent. Donc, c'est bien une armée nationale.

Le Président : Deuxième question.

Me. EVRARD : Merci, Monsieur le président. Dans les conditions de l'application des Conventions de Genève sur les crimes de guerre, le témoin nous a parlé de différence qu'il y a à faire dans la nature entre le génocide et le crime de guerre. Il nous a parlé d'une 2e condition qui est le cadre d'une attaque généralisée par rapport aux populations civiles. Est-ce qu'il n'y a pas d'autres conditions que ces conditions-là ? Et notamment des conditions à de rattachement, excusez-moi..

René DEGNI-SEGUI : Excusez-moi de vous interrompre. Monsieur le président, avec votre permission.

Tout à l'heure, j’étais en train de définir plutôt le crime contre l'humanité. Donc, vous m'excuserez. C'est le crime contre l'humanité que j'ai défini et au lieu de définir le… par rapport aux crimes contre l'humanité.

Me. EVRARD : Alors, maintenant le témoin peut-il définir les crimes de guerre, s'il vous plaît.

René DEGNI-SEGUI : Bon. Alors, ce que je veux dire, c'est que s'agissant du crime de guerre, c'est l'application des Conventions de 49, l'article 3 commun des quatre Conventions et ensuite du Protocole II qui mettent l'accent sur le conflit armé. Et un conflit armé, à la différence du conflit armé international, l'accent est mis sur le caractère non international du conflit. C’est le caractère non international du conflit qui importe ici. Et ce, en l'espèce, comme on a indiqué tout à l'heure, le conflit n'a pas de caractère international. Je vous ai indiqué que le professeur DAVID a estimé qu’à partir du moment où l'ONU était impliquée avec les Casques bleus, on pouvait parler de conflit international. Mais en l'espèce, il s'agit d'un conflit qui oppose deux armées d'un même Etat. Et dans ces conditions, le caractère national est bien net.

Me. EVRARD : Monsieur le président, je pense que c'est la première condition. Mais y a-t-il d'autres conditions que le témoin peut nous exposer ?

René DEGNI-SEGUI : Si vous voyez d'autres conditions, dites-le.

Me. EVRARD : Je pose la question.

René DEGNI-SEGUI : Non, je n'en vois pas.

Me. EVRARD : Je vous remercie.

Le Président : N'y a-t-il pas une condition en ce qui concerne la qualité des victimes ?

René DEGNI-SEGUI : J'ai parlé de population civile tout à l'heure.

Le Président : Oui, Maître Carlier.

Me. Carlier : Merci, Monsieur le président. Dans le rapport de Monsieur le Rapporteur spécial DEGNI-SEGUI, le témoin, du 28 juin 95, quatre-vingt-quinze pour ne pas vous imposer notre parlé belge, le témoin signale avoir rencontré diverses personnalités nationales dont Monsieur Faustin Twagiramungu, à l'époque premier ministre. Se souvient-il de cela ?

René DEGNI-SEGUI : Oui, je me souviens bien.

Me. Carlier : Est-ce que le témoin pourrait dire s'il lui apparaissait à l'époque que Monsieur Faustin Twagiramungu pouvait être un élément de cette réconciliation nationale pour le futur du Rwanda dont vous parliez il y a un instant, Monsieur le président ?

René DEGNI-SEGUI : Je ne sais pas. Monsieur Twagiramungu a été premier ministre avec le gouvernement FPR, a l'époque. Et il y a eu des divergences et il est parti. Et je ne sais pas vraiment s'il peut être l'homme de la situation. Ca, je ne peux pas vous en dire plus. Je ne sais pas.

Le Président : Oui. Une autre question ?

Me. Carlier : Je ne sais pas si - très probablement oui - est-ce que le témoin à connaissance d'un autre rapport ? Il y a eu plusieurs rapports évidemment des Nations Unies sur le génocide au Rwanda, dont un rapport d'une unité spéciale, SIU, notamment un rapport d'avril 95. Je ne sais pas si le témoin à connaissance de ce rapport ?

René DEGNI-SEGUI : C’est un rapport, enfin, est-ce que c’est un rapport ? L'ONU n'a jamais publié ce rapport parce qu'on estime que c'est quelqu'un qui a ramassé des informations sans, sans les éléments de preuve et finalement, on n'a pas voulu publier ce rapport. C'est pour ça que je parle d'un non-rapport. Ce n’est pas un vrai rapport. On n’a pas vraiment les éléments pour dire que les choses étaient exactes. Il y a une personnalité qui, lorsqu'elle était au pouvoir, a nié ce rapport et une fois qu'elle n'était plus au pouvoir a commencé à dire : « Voici le rapport il faut en tenir compte ». Ce n'est pas un rapport je pense. Du moins, ce n’est pas officiel.

Le Président : À propos de votre rapport du 28 juin 1995, vous nous avez dit tout à l'heure : « Butare est restée calme jusqu'au 19 ­ 20 avril 1994 ». Et pourtant je lis dans ce rapport, en tout cas dans le texte français, « que dans la préfecture de Butare, des témoins rapportent que près de 10 000 personnes réfugiées dans le stade furent attaqués à la machette et massacrés le dix huit avril ».

René DEGNI-SEGUI : Dans le rapport de 95 ?

Le Président : Oui. C'est peut-être une erreur de date ? Ca poursuit ensuite, « le 23 avril, 5000 personnes réfugiées à Nyakibanda… »

René DEGNI-SEGUI : Mais est-ce que j’ai mis la date ? Excusez-moi, Monsieur le président.

Le Président : Oui, le 18 avril. Moi, je lis…

René DEGNI-SEGUI : Ah ! Le 18 avril ? Ah ! Ah ! C’est peut-être une erreur.

Le Président : Je lis cette date-là.

René DEGNI-SEGUI : Oui. Je reconnais que c’est une contradiction.

Le Président : Une autre question, Maître CARLIER ?

Me. Carlier : Donc, dans le rapport, ou le non-rapport, SIU, je ne sais pas si le témoin peut se prononcer ou non sur un passage de ce document qui figure dans les pièces du dossier, bien entendu, sinon je n’en ferais pas état. C’est un document que le juge Damien VANDERMEERSCH a déposé dans son instruction. Et dans ce document, on dit : « Divers documents ont été obtenus et identifiés par la SIU ». Ensuite, je cite : « par exemple, un document indiquant que les milices Interahamwe constituaient un souci pour les partis politiques modérés avant mai 1992 a été découvert. Ce document décrit l'organisation et la structure ainsi que la direction des Interahamwe et comprend des renseignements sur l'entraînement de la garde présidentielle ». Est-ce que le témoin à connaissance de ce document ?

René DEGNI-SEGUI : Non. Je n'ai pas connaissance de ce document. Il date de ?

Me. Carlier : Donc, selon ce rapport de mai 1992. Avant… Non. Il n'y a pas de date du document. On dit : « Document indiquant que les milices Interahamwe constituaient un souci pour les partis politiques modérés avant mai 1992 a été découvert ».

René DEGNI-SEGUI : Non.

Me. Carlier : Il n’y a pas de date du document lui-même.

Le Président : D'autres questions ? Maître EVRARD ?

Me. EVRARD : Merci, Monsieur le président. Le témoin a dit tout à l'heure que le président, si je l'ai bien compris, le président le témoin 32 aurait été victime de quelque chose qu'il aurait lui-même préparé. C'est peut-être une opinion, je n'en sais rien. Mais sur base de quels éléments le témoin nous expose-t-il cela aujourd'hui ?

René DEGNI-SEGUI : J'étais au conditionnel. Et j'ai indiqué que le 6 avril, les gens n'ont pas forcément choisi cette date, ça a été un prétexte. Et le président a posé la question de savoir si je pouvais identifier. J'ai dit : « le témoin 32 été certainement, a certainement été au courant de ce qui s'est passé, mais il se pourrait que lui-même ait été victime de ce qu'il avait préparé ». « Aurait été victime ». Je n'affirme pas.

Le Président : Une autre question ? Maître FERMON ?

Me. FERMON : Monsieur le président, j'aurais souhaité que le témoin  précise, développe et concrétise un peu quelque chose qu’il a dit tout à l'heure, c’est-à-dire, que les églises étaient traditionnellement considérées comme des refuges et qu'elles sont devenues maintenant un piège parce que des gens y ont été appelés ou y sont allés de leur propre gré. J'aurais souhaité, si possible, que le témoin apporte et concrétise des éléments à ce propos.

Le Président : Vous avez peut-être quelques faits précis dont vous pouvez faire état ?

René DEGNI-SEGUI : Oui, Monsieur le président. D'après les informations que j'ai reçues, il y a eu des vagues successives de massacres. Si on prend seulement 90, 91, 92, jusque-là, les églises étaient épargnées. Les gens n’entraient pas… Lorsque les victimes entraient dans une église il n'était pas touché. On ne les poursuivait pas jusque dans les églises. Il y a peut-être eu des exceptions. Mais ce qui est nouveau, c'est qu’à partir du 6 avril 94, lorsque les personnes se sont réfugiées dans les églises, les gens sont arrivés jusque-là. Et si ces gens se sont réfugiés volontairement, c'est parce que ces gens pensaient être, ne pas être touchés. Mais là, ces gens s'y sont rendus et on les a tués. Voilà ce que je voulais dire.

Le Président : Est-ce que, pouvez-vous préciser si dans ces cas-là, les églises par exemple ont été détruites ou les portes enfoncées…

René DEGNI-SEGUI : Non. Dans ces cas, ce qui s'est passé d'après les témoignages que j'ai reçus, on a défoncé des portes, on y a jeté des grenades, et par la suite on a défoncé les portes et on est venu achever les personnes qui sont mortes. Voilà ce que j'ai comme informations.

Le Président : Oui. Maître FERMON ?

Me. FERMON : Monsieur le président, le témoin avait dit tout à l'heure, je crois aussi : « Certains y ont été appelés ». Donc, les réfugiés ont été rassemblés, je dirais, dans des lieux publics, église notamment. Je voudrais que là-dessus, si éventuellement il y a des précisions   possibles… ?

René DEGNI-SEGUI : Oui. J'ai indiqué qu'il y avait deux cas. Le cas où les gens se sont réfugiés volontairement, et des cas où les autorités municipales, bourgmestres et autres, ont appelé la population à aller se réfugier dans les stades et dans des lieux tels que les églises pour qu'ils soient épargnés. Donc, il y a eu les deux cas. Il y a eu ceux qui sont allés volontairement et ceux qui ont été appelés par les pouvoirs, enfin les autorités locales, à se réfugier dans ces églises.

Le Président : Et dans cette hypothèse-là, Monsieur DEGNI-SEGUI, dans l'hypothèse où les autorités appelaient les gens à venir se réfugier dans un lieu public ou dans une église, s'agissait-il, selon vos informations, d'une réelle démarche de protection de la part des autorités ou au contraire d'un piège que les autorités tendaient aux victimes ou aux futures victimes ?

René DEGNI-SEGUI : Il s'agit d'un piège, à mon sens. Il s'agit d'un piège.

Le Président : Une autre question ? Maître NKUBANYI ?

Me. NKUBANYI : Oui. Merci, Monsieur le président. Ma question rentre dans la même lignée que la précédente. J'aurais voulu que vous posiez la question au témoin de savoir quelle a été de manière générale l'attitude des autorités religieuses pendant la période sus-visée.

Le Président : Quelles sont vos informations à ce sujet ? Les autorités religieuses, j'allais dire nationale et locale peut-être ? Je ne sais pas. Je ne sais pas ce dont vous disposiez comme informations.

René DEGNI-SEGUI : Je crois que, lorsque les assaillants arrivaient dans les paroisses ou dans les églises, il y avait un tri qui était fait entre les Hutu et les Tutsi. Et les Tutsi étaient massacrés. Cela a été dit à Nyando par exemple, la paroisse de Nyando où les séminaristes et les prêtres ont été massacrés. J'ai pu voir la fosse sceptique où on a mis le corps entier de prêtres, dans ces fosses-là. Il y a donc des prêtres qui ont été victimes et il y a aussi quelques prêtres qui n'ont pas, et il y en a eu d'autre aussi qui ont eu le courage, je prends le cas de… qui est assez… on l'a souvent contesté et… le cas de l'abbé SIBOMANA qui s'est dressé contre des gens qui venaient, des chrétiens qui venaient massacrer d'autres personnes. Il a dit : « Si vous venez, avant d'aller jusqu'à l'église, vous passerez sur mon corps ». Les gens sont repartis. Donc, l'attitude des prêtres, certains ont été victimes, d'autres ont plus ou moins été complices, peut-être pas complices direct, mais je n'ose pas dire : « Est-ce qu'on peut parler de lâcheté ? Est-ce qu'ils avaient le choix ? ». Je ne sais pas. Je ne veux pas juger. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question ?

Le Président : Sur le plan d'autorités supérieures de l'Eglise catholique, y a-t-il des éléments qui vous permettent d'impliquer une responsabilité si pas pénale, peut être morale ?

René DEGNI-SEGUI : Sur le plan des autorités supérieures, les évêques, si c’est d’eux que vous parlez, beaucoup de choses leur sont reprochées, et on estime qu'ils n'ont pas assez agi pour empêcher le génocide. Et celui qui est en première ligne, c'est, c'était l'archevêque de Kigali à qui l'on reprochait ses liens avec le président le témoin 32. Et c'est la raison d'ailleurs qu'il a été tué, je crois, vers le mois de mai 94. Donc, la hiérarchie, selon beaucoup de témoignages, n'a pas eu assez de fermeté pour agir.

Le Président : Une autre question ? Maître GILLET ?

[Interruption d’enregistrement]

Me. GILLET : …L'implication d'hommes d'affaires dans l'importation au Rwanda de quantités massives de machettes à partir de 1992. Tout à l'heure, le témoin a parlé de distribution d'armes au sein du pays. A-t-il des indications précises, plus précises sur, non plus l'importation de machettes à l'intérieur du pays, mais sur la manière dont par la suite,     c-à-d, comment ces stocks ont été distribués au sein du pays ?

Le Président : La distribution. Avez-vous des informations au sujet de la distribution d'armes telles que des machettes, encore que c'était peut être considéré comme du matériel agricole ?

René DEGNI-SEGUI : Non. Disons que tout ce que l’on m’a rapporté, c’est que les armes circulaient, les armes étaient distribuées, mais on ne m'a pas donné les détails sur la manière dont ces armes étaient distribuées. Je sais que c'était distribué surtout aux Interahamwe et quelque fois à la population civile. Mais je n'ai pas les données sur la manière dont cela a été fait.

Le Président : Oui ? Oui, Maître GILLET.

Me. GILLET : Monsieur le président, pouvez-vous demander au témoin s’il peut confirmer que déjà en 1993, on pouvait voir sur les routes au Rwanda des bandes mêlées de militants MRND et CDR, des jeunes militants se promenant avec des machettes et faisant des signes non équivoques aux passants y compris d'ailleurs aux blancs qui passaient par-là qu'ils étaient là pour les découper.

René DEGNI-SEGUI : Vous avez dit à quelle période ?

Le Président : En 1993.

René DEGNI-SEGUI : 93 ?

Me. GILLET : Oui.

René DEGNI-SEGUI : Oui, effectivement en 93, lors de la mission dont j'ai parlé tout à l'heure, nous avons vu ce genre de scène.

Le Président : Une autre question ? Maître CARLIER.

Me. CARLIER : Merci, Monsieur le président. Ce serait une question générale mais l'expertise du témoin nous pousse à bénéficier peut-être de ses connaissances à ce sujet. Dans le rapport, dans son rapport du 18 janvier 1995, je crois que c'est le 3e rapport si je ne me trompe pas, le témoin citait cinq grandes catégories d'auteurs dans le génocide. 1ère catégorie : des organes de l'état rwandais ; 2e catégorie : des organes du FPR ; 3e catégorie : des personnes privées ; 4e catégorie : de certains États étrangers compte tenu de leur ingérence dans la vie politique du Rwanda qui reste à clarifier et 5e catégorie la communauté internationale. Est-ce que le témoin pourrait me dire s'il y a eu des clarifications sur ces deux dernières catégories, c’est-à-dire les États étrangers et la communauté internationale dont il était mentionné effectivement que la participation était à clarifier.

Le Président : Alors, c'est vrai que dans notre dossier, on a des rapports que jusqu'en juin 1995. Mais vous avez dit : « Il y en a eu 6 et non par 4. Et ça va jusqu'en 1997 ». Avez-vous des informations qui permettraient de préciser ce que vous exposiez dans ce rapport de janvier 1995 à propos de, comme auteurs ou comme responsables les États étrangers et la communauté internationale ?

René DEGNI-SEGUI : Monsieur le président, je ne faisais que débroussailler laissant le soin à d'autres de confirmer les faits. S'agissant des États, je crois que vous avez eu vous-même ici une commission qui a travaillé et qui a essayé d'élucider le point. De l'autre côté et… enfin la commission était surtout pour voir la responsabilité en ce qui concerne les Casques bleus, je vois, mais vous avez… quand je lis vos rapports, il y a beaucoup de choses intéressantes qui approfondissent ce qu’on avait déjà, ce qu'on a essayé de débroussailler. En ce qui concerne la France, ils ont eu également leur mission, leur mission, et cette mission a abouti à retenir la responsabilité sans la culpabilité de certains acteurs. Je pense que l'on n'a pas encore fini de, d'élucider la question parce qu’il faudrait, et j'estime qu'il faudrait une commission pour voir quels étaient les liens qu’il y avait entre le président le témoin 32 et son équipe d'un côté et de l'autre les puissances étrangères aussi bien l'Etat belge en tant que puissance tutélaire que la France en tant qu’ami d’le témoin 32. Je pense que cela doit être élucidé.

L'ONU, en ce qui concerne l'ONU, je l'ai dit parce qu’au moment où l'on tue les dix Casques bleus, il y a un retrait des forces pour ne laisser qu’à peu près 260, 270 personnes. Et même lorsque la MINUAR II est décidée, on met du temps à y aller. Je crois que là aussi, il y a une responsabilité à rechercher du côté des Nations Unies. On a, à la suite de la commission belge, il y a eu cette histoire de, je crois que c'est Jean-Pierre qu’il s'appelle, cette histoire de Jean-Pierre.

Le Président : Un… oui, un informateur...

René DEGNI-SEGUI : Un informateur qui avait des informations assez sûres mais qui demandait simplement une protection. Cela n'a pas pu se faire. Ce qui veut dire que tout ce que Jean-Pierre avait indiqué tout cela se réalisait. Et Jean-Pierre figure déjà dans le rapport de la commission de 93. Et ça veut dire qu’il y a encore beaucoup à apprendre si on veut fouiller et établir les responsabilités. Mais comme… encore une fois, mon rôle n'est pas d'imputer les responsabilités à X et à Y, mon rôle c'était juste de donner des pistes pour les recherches futures.

Le Président : D'autres questions ? Maître WAHIS et puis Maître LARDINOIS

Me. WAHIS : Oui, Monsieur le président, dans la ligne de ce qui vient d'être évoqué par le témoin, est-ce qu'il pourrait nous rappeler la date à laquelle la commission des Nations Unies lui a confié son mandat et nous faire part de son appréciation quant au caractère tardif ou non de cette date par rapport aux événements ?

René DEGNI-SEGUI : Les événements ont eu lieu le 25, le pardon le 6 avril, le 6 avril. Et la commission s'est réunie à l'initiative du Canada et le mandat m’a été confié le 25 mai 1994. Par la suite, lorsque j'ai établi mon rapport, l'on n'était pas semble-t-il convaincu des conclusions, donc celle du génocide. Le rapport a été publié le 28 mai et le 1er juillet, le Conseil de sécurité…

Le Président : Ce n’est pas le 28 juin. ?

René DEGNI-SEGUI : Le 28 juin 94. Le 1er juillet, c’est-à-dire deux ou trois jours après, le Conseil de Sécurité créait une commission d'experts pour aller ré-enquêter, contre-enquêter et c’est ainsi que cette commission d'enquête s'est rendue sur les lieux. Mais pour répondre à votre question, les Nations Unies ont assisté en spectateur dans un 1er temps pour ensuite intervenir bien après.

Le Président : Oui. Maître LARDINOIS ?

Me. LARDINOIS : Je vous remercie, Monsieur le président. Le témoin a dit tout à l'heure que pendant les événements, une des mesures qui avait été prise avait été la fermeture des frontières. J'aurais voulu savoir s'il pourrait donner plus de renseignements à cet égard-là. Est-ce que c'était une fermeture radicale ou bien est-ce qu’il y avait une certaine perméabilité, que certaines personnes pouvaient circuler ou bien le fait de pouvoir sortir ? Est-ce qu'on pouvait sortir avec son passeport ou bien est-ce que ne pouvaient entrer et sortir que certaines personnes, et avec des autorisations tout à fait exceptionnelles ?

René DEGNI-SEGUI : Je crois qu'il y a eu les deux. Il y a eu la fermeture mais surtout ce que j'ai voulu relater, c'est le fait que lorsque les Interahamwe sentaient que les victimes fuyaient pour échapper à la mort, allaient justement aux frontières pour les refouler afin qu'ils n'échappent pas au génocide. C'est ce que je voulais dire.

Le Président : Vous ne parler donc pas, je dirais, d'une fermeture par les autorités étatiques, l'empêchant de manière absolue

René DEGNI-SEGUI : Non, pas dans ce sens. Pas de manière absolue. Mais les Interahamwe en tout cas, et ça c'est… Dans mon rapport de 80, pardon, dans mon rapport, de 94, le 1er rapport, je l'indique, où les organismes des Nations Unies ont vu 80 personnes qui voulaient traverser la frontière et les Interahamwe sont arrivés et quand ils sont arrivés ils ont empêchés, et il n'y a que, d'après eux, il n'y a que dix personnes qui a pu échapper, enfin, pas plus de dix personnes qui aient pu échapper aux massacres. Et ça s’est produit dans d'autres endroits également.

Le Président : Une autre question encore ? Maître EVRARD.

Me. EVRARD : Je reviens à tout autre chose, c’est-à-dire, ce dont nous parlions tout à l'heure, l'état de guerre ou la notion de crime de guerre qui comporte cet élément est évidemment l'état de guerre. Et ma question se porte aussi bien sûr le plan juridique, c’est-à-dire celui des Conventions de l'ONU, que sur le plan de la situation de fait. Est-ce que vous pensez que l'occupation d'une portion du territoire rwandais qui a commencé sauf erreur, en octobre 1990 et qui semble ne pas avoir été interrompue jusqu'aux événements, peut constituer finalement cet état de guerre et ce même à l'époque où il y avait des cessez-le-feu depuis août 1992 et puis août 1993 malgré cette situation de cessez-le-feu, est-ce que l'occupation d'une partie du territoire rwandais par l'armée patriotique rwandaise peut constituer ou être un élément constitutif parmi d'autres que vous avez soulignés tout à l'heure d'un état de guerre ?

René DEGNI-SEGUI : Vous voulez parler d'un casus belli ? Le fait que ça soit là… ça soit une cause de guerre ?

Me. EVRARD : Non. Que ça fasse partie de la guerre, de l'état de guerre en tant que tel, l'occupation d'une portion de territoire, ce qui était le cas sauf erreur, mais je vous interroge également sur ce point-là, dans le Nord du Rwanda, l’APR a occupé une partie du sol rwandais semble-t-il d'une façon continue depuis octobre 90.

René DEGNI-SEGUI : C'est ça. Oui. Je vous ai dit tout à l'heure, j'ai dit tout à l'heure qu'il fallait bien distinguer la période avant de celle qui nous intéresse. Par rapport à celle qui nous intéresse, il n'y a plus d'occupation au moment où les événements se produisent, puisqu’il y a eu des négociations, il y a eu un accord et l’on est d'accord que par le futur les deux armées font désormais partie d'un même Etat. Dans ces conditions, lorsque le 6 avril, à la suite de l'attentat de l'avion présidentiel les massacres commencent, le lendemain, l’APR va rentrer dans la danse. A ce moment-là, l’APR n'est pas une force d'occupation. Elle est bien une force nationale. Si c'est bien de cela que vous voulez dire. Vous voulez parler.

Me. EVRARD : Mais je parle aussi bien d'une situation de guerre non internationale, de conflit non international

René DEGNI-SEGUI : Oui. Là ce n'est pas international puisque c'est la même armée.

Me. EVRARD : Oui. Donc, la situation, sauf erreur, c'était qu’une portion du sol rwandais était occupée dans le Nord par l'armée rwandaise, l'armée patriotique et de façon exclusive, c’est-à-dire que dans cette portion du territoire, les FAR n'avaient aucune prise, ne pouvaient pas rentrer sans créer une situation de conflit.

René DEGNI-SEGUI : Oui. Le problème c'est quoi ? Est-ce que l’APR et bien en tant que, l’APR ne représente pas l'Etat ougandais.

Me. EVRARD : Non non.

René DEGNI-SEGUI : Ce sont des nationaux de l'Etat. Ça reste toujours un conflit interne.

Me. EVRARD : Oui. Et donc, la question est alors : est-ce qu'on s’est trouvé en situation de guerre à, donc en état de guerre, donc conflit non international pendant toute cette période ?

René DEGNI-SEGUI : Il faut que pendant cette période, si le conflit répond aux critères, au caractère dont on a parlé, c’est-à-dire à un conflit armé avec une direction centrale et autres avec attaque de la population civile, si c’est… vous ne voulez pas parler de crimes de guerre, vous voulez parler d'une situation de guerre ? Il y avait effectivement une situation de guerre avant. Et cette situation va… il y aura une pause et à la suite des événements, la situation va reprendre. La situation de guerre va reprendre. Mais avec cette différence qu’après elle, à la guerre, viennent s'adjoindre les massacres.

Me. EVRARD : Bien. Mais je m'interrogeais sur la portée, sur le plan juridique du fait qu’une partie du territoire échappe au contrôle de l'état, c’est-à-dire des FAR, pour être sous contrôle exclusif de l'armée qui n'est pas une armée étrangère, mais qui est une armée tout à fait étranger à l'Etat, enfin étranger à l'Etat, dans la mesure où ce n'est pas l'Etat.

René DEGNI-SEGUI : Non. C'est un problème ici d'effectivité. C'est un problème d'effectivité. Et au fur et à mesure, tout dépend si l'effectivité est intermittente ou si elle est simplement localisée. C’est un problème d'effectivité en ce sens que l'Etat qui est là, l'Etat prétendu n'arrive pas à contrôler son territoire qui est occupé par une, par des rebelles. Pour moi ce sont des rebelles. Ce ne sont pas une armée étrangère. C’est une armée nationale. Ce n'est pas une armée étrangère. Ce sont des nationaux. Ce sont des nationaux et vous savez le problème des réfugiés, le problème des terres a été l'un des problèmes cruciaux dans les problèmes du Rwanda. Parce que pendant un moment donné, le témoin 32 a dit qu'il n'y avait pas assez de place pour tout le monde, les autres pouvaient y rester. Par la suite, ce sont les mêmes personnes, ces personnes-là qui ont constitué l'essentiel de l'armée pour attaquer et dans les Accords d’Arusha, il y a eu encore ce problème de l'armée, ce problème des réfugiés. Alors, pour moi, ce que je dis, l'Etat doit avoir l’effectivité et l'Etat se définit par l’effectivité. Un Etat qui ne contrôle pas et qui avait milices ou des gens qui occupent une portion de son territoire n'est pas digne d'un Etat. Il y a donc un problème d'effectivité international qui s'est posé. L'Etat ne contrôlait pas l'ensemble du territoire, parce qu'il y a eu une guerre. L'autre, les rebelles se sont réfugiés à cet endroit et par la suite, il y a eu des négociations et on a repris la guerre civile.

Le Président : Oui ? Monsieur l’avocat général ?

L’Avocat Général : Je voudrais simplement pour être tout à fait clair, reprendre la définition que donne donc l'article 1er du deuxième Protocole additionnel qui déclare donc qu'il s'agit de conflits armés non internationaux.

René DEGNI-SEGUI : Non international.

L’Avocat Général : « Qui se déroule sur le territoire d'une partie entre ses forces armées et des forces dissidentes ou des groupes armés organisés qui sous la conduite d'un commandement responsable exercent sur une partie du territoire un contrôle tel qu’il leur permet de mener des actions militaires continues et concertée ». Est-ce que c'était le cas au Rwanda à partir du 1er octobre 1990 donc, lorsque le FPR a envahi par l'Ouganda le Rwanda et a occupé d'abord une petite partie du territoire et puis après en 93, une plus grande partie du territoire ?

René DEGNI-SEGUI : Donc, c'est la question que, c'est la question que vous reprenez ?

L’Avocat Général : Oui, c’est la même question.

René DEGNI-SEGUI : Je pense qu’avant 90, tout dépend de la… et s’ il y avait des incursions à partir du lieu où ils étaient. À partir du lieu où ils étaient, ils occupaient juste une portion du territoire et il y avait les incursions, c'est la raison pour laquelle il y a eu cette politique d'autodéfense. C'est seulement à partir du 6 avril que la guerre s'est généralisée et où on peut parler justement et où on peut appliquer l'accord de 49.

L’Avocat Général : Ça veut donc en dire, que d'après vous, le Rwanda n'était pas en guerre à partir du 1er octobre 90 ?

René DEGNI-SEGUI : Je n'ai pas dit cela. Je dis…

L’Avocat Général : Est-ce qu'il y avait une guerre à partir du 1er octobre 1990 ? Est-ce qu'il y avait une occupation du territoire par le FPR ?

René DEGNI-SEGUI : Il y avait une occupation du territoire.

L’Avocat Général : Bon. Est-ce que le FPR était organisé militairement ?

René DEGNI-SEGUI : Ils étaient organisés militairement.

L’Avocat Général : Ils pouvaient faire des incursions organisées et concertées dans le territoire ?

René DEGNI-SEGUI : Absolument. Mais ils ne pouvaient pas, ils avaient quand même une portion et ils ne bougeaient pas de cette portion.

L’Avocat Général : Mais l'article du 2e Protocole parle d'une occupation d'une partie du territoire, ce qui était le cas à partir du 1er octobre 1990 ?

René DEGNI-SEGUI : Oui. Mais ce que je suis en train de vous dire à, ce qui rentrait dans ma mission, ce n'était pas avant, c'était après. On est d'accord ? Ce qui était dans ma mission, ce n'était pas avant, c'était après.

L’Avocat Général : Et votre mission était de voir s'il y avait eu un génocide après les événements. Ça je suis d'accord.

René DEGNI-SEGUI : Mais non, mais là, ce n'est pas un génocide.

Le Président : Mais ils ne sont pas poursuivis pour génocide et ici.

René DEGNI-SEGUI : Il n'y a pas un génocide là. Ça ne répond pas. Il faut bien distinguer les crimes de guerre du génocide. Ce sont deux choses totalement différentes.

Le Président : Les accusés sont ici poursuivis pour des crimes de guerre ?

René DEGNI-SEGUI : Oui. Mais non, mais, comme il parle de génocide.

L’Avocat Général : Ce que je veux simplement établir, c'est que la situation au Rwanda à partir du 1er octobre 1990 répond aux critères prévus dans l'article 1er du 2e Protocole additionnel : Occupation du territoire par une force armée dissidente ou rebelle comme vous dites avec possibilité de faire des opérations militaires concertées. C'était bien le cas à partir de la 1ère attaque du 1er octobre 90.

René DEGNI-SEGUI : Je crois qu'on doit se comprendre. Vous m'avez appelé en tant qu'ancien rapporteur spécial qui a fait un rapport sur une situation donnée. C’est par rapport à cette situation que je vous réponds. En revanche, la situation antérieure, je ne l’ai pas...

Le Président : Vous n'avez pas enquêté dessus.

René DEGNI-SEGUI : Je n'ai pas enquêté dessus. Je ne peux pas vous répondre par rapport à cette situation.

Le Président : Une autre question ? Maître EVRARD ? Plus de questions ? Je ne sais pas…

Me. EVRARD : Monsieur le président, je pense qu'il y avait effectivement une confusion entre la mission de témoin du témoin qui nous a bien précisé qu'il, apparemment, ne souhaitait pas répondre en dehors de la période pour laquelle il a été consulté et donc, je n'ai plus de questions. Même si au plan juridique je crois que la question est fondamentale pour cette cour, et qu'il y a encore des précisions qui ne sont pas fournies.

Le Président : Et c'est une question de fait. C'est une question pas de droit, mais de fait. Le droit n'étant jamais tout à fait éloigné du fait. Mais...

René DEGNI-SEGUI : Le droit tire sa substance du fait.

Le Président : Mais ça veut dire notamment que ce sera au jury de répondre à la question. Parce que c'est du fait, qualifié juridiquement.

Y a-t-il encore d'autres questions à poser au témoin ? S'il n'y en a plus, les parties sont-elles d'accord pour que le témoin se retire ? Monsieur DEGNI-SEGUI, encore deux questions : est-ce bien les accusés ici présents dont vous avez voulu parler, ça c'est ce que dit notre loi, vous nous avez dit tantôt que vous les connaissez pas, et ça signifie beaucoup plus simplement : persistez-vous dans les déclarations que vous avez faites ?

René DEGNI-SEGUI : Absolument. Je ne les connais pas.

Le Président : Et vous persistez dans les déclarations que vous avez faites ici ?

René DEGNI-SEGUI : Oui. J'ai juré, Monsieur le président.

Le Président : Oui, bien sûr. La cour vous remercie pour votre témoignage vous pouvez disposer maintenant librement de votre temps.

René DEGNI-SEGUI : Merci, Monsieur le président.

Le Président : Bien, nous allons suspendre l'audience et la reprendre à 13h30 ? Bon appétit.