6.3.24. Le témoin René DEGNI-SEGUI n’est pas là.
Le Président : Bien. Donc,
nous devions encore entendre, mais nous savons qu’ils ne sont pas là, Messieurs
GUICHAOUA et DEGNI-SEGUI. En ce qui concerne Monsieur DEGNI-SEGUI qu’on ne parvient
pas à joindre, les parties renoncent-elles, dès à présent, à son audition, tout
en sachant que je ne vais pas lire le rapport ou les rapports de Monsieur DEGNI-SEGUI ?
Me. de CLETY : On pourrait le
joindre ultérieurement, nous souhaiterions qu’il soit entendu.
Le Président : On réserve
tout simplement. Mais dites-vous bien que s’il ne vient pas, moi, je n’ai pas
la possibilité de lancer un mandat d’amener contre Monsieur DEGNI-SEGUI.
Me. de CLETY : Je ne vous
demande pas cela ni des recherches impossibles, mais si, dans un délai raisonnable,
on pouvait mettre la main dessus…
Le Président : Alors, Monsieur
GUICHAOUA est retenu pour le moment, il est donc contactable, lui en tout cas,
et au cours de l’évolution des débats, on fixera sans doute une date, qui sera
vraisemblablement après les témoins des faits proprement dits, c’est-à-dire,
je pense qu’on pourrait envisager du faire revenir le lundi 14 mai. Bien.
Donc, on n’a pas renoncé à l’audition de qui que ce soit aujourd’hui. Nous allons
suspendre l’audience jusqu’à demain 9h00.
En principe, demain, euh… nous n’avons pas de nouvelles particulières,
en tout cas annoncées en ce qui concerne Messieurs et Mesdames VIDAL, DE BEUL,
DEFILLET, MAS, VANDENBON et VANDEPLAS qui, en principe, se présenteront. On
n’a en tout cas pas de nouvelles de ce qu’ils ne se présenteraient pas. Messieurs
DIABIRA et AL HOUSSEYNOU avaient un problème de visa qui n’est sans doute pas
encore résolu à l’heure actuelle et donc, eux ne se présenteront manifestement
pas demain, mais par contre, j’ai demandé à ce que Madame Els DE TEMMERMAN soit
présente demain pour les remplacer, dans la mesure où elle était absente jeudi
dernier et où elle a un reportage à présenter.
Dans le courant de l’après-midi, nous entendrons, à la demande de
la défense de Monsieur NTEZIMANA, deux témoins de contexte mais qui sont plus
particuliers à son propre cas, qui sont Monsieur le témoin 39 et Madame le témoin 135,
ou l’inverse ; c’est bien Madame le témoin 135, hein ? Et ensuite, il
y aura un interrogatoire sur les faits de Monsieur NTEZIMANA. Pour Madame DE
TEMMERMAN, prévoir, en tout cas, même si cet interprète ne doit pas prester,
un interprète français-néerlandais puisqu’à la fois son reportage est en néerlandais
et l’audition ou les auditions de Madame DE TEMMERMAN qui figurent au dossier
sont également en néerlandais. Je ne sais pas si elle connaît suffisamment la
langue française pour s’exprimer en français, il est préférable de prévoir,
Monsieur l’avocat général, effectivement, à partir de 11h demain, la présence
d’un interprète.
Voilà. L’audience est suspendue, elle reprend demain à 9h00. Je vous
souhaite à tous et à toutes une bonne soirée.
[Suspension d’audience]
Le Président : Monsieur,
quels sont vos nom et prénom ?
René DEGNI-SEGUI : René DEGNI-SEGUI.
Le Président : Quel âge avez-vous
?
René DEGNI-SEGUI : J’ai 55 ans
Le Président : Quelle est
votre profession ?
René DEGNI-SEGUI : Je suis professeur
agrégé à la faculté de droit d’Abidjan.
Le Président : Quelle est
votre commune de domicile ou de résidence ?
René DEGNI-SEGUI : Je réside à
Abidjan.
Le Président : Connaissiez-vous
avant le mois d'avril 1994, l’un ou l’autre des accusés ceux-ci étant Vincent
NTEZIMANA, Alphonse HIGANIRO, Madame MUKANGANGO et Madame MUKABUTERA ?
René DEGNI-SEGUI : Je n’en connais...
je ne les connaissais pas.
Le Président : Etes-vous
de la famille des accusés ou des parties civiles ?
René DEGNI-SEGUI : Non.
Le Président : Etes-vous
attaché au service, travaillez-vous pour les parties civiles ou pour les accusés ?
René DEGNI-SEGUI : Je ne crois
pas.
Le Président : Je vais vous
demander, Professeur, de bien vouloir lever la main droite et prononcer le serment
de témoin.
René DEGNI-SEGUI : Je jure de
parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie.
Vous pouvez vous asseoir.
Monsieur DEGNI-SEGUI, vous avez été rapporteur spécial de l'ONU a
propos de faits qui se sont déroulés au Rwanda à partir du 6 ou 7 avril 1994.
Vous avez établi à cette occasion plusieurs rapports, si je ne m'abuse, quatre
rapports qui s'étalent du 28 mai 1994 au 28 mai 1995. Pouvez-vous rappeler quelle
était la mission qui vous été confiée par l'ONU ?
René DEGNI-SEGUI : Merci, Monsieur
le président. Je voudrais tout juste apporter un rectificatif pour dire que
le dernier rapport date de 1997. Janvier 97. Et en tout, six rapports.
J'avais pour mission, selon la résolution de la Commission des Nations
Unies, de me rendre sur les lieux immédiatement et d'enquêter, de rechercher
les causes profondes qui ont entraîné les événements dont vous avez parlé ;
de recueillir les informations auprès des États, des organisations intergouvernementales
et des ONG, des organisations non gouvernementales. Succinctement.
Le Président : Quels étaient
les moyens, je dirais matériels et humains, dont vous aviez la disposition pour
réaliser cette mission ?
René DEGNI-SEGUI : Lorsque je
devais me rendre sur le terrain, les Nations Unies mettaient à ma disposition
des moyens logistiques, notamment le véhicule. J'étais accompagné également
de collaborateurs et plus tard, à la suite de recommandations par moi faites,
l'ONU a déployé sur le terrain des observateurs de droits de l'homme qui étaient
sur le terrain et qui m'envoyaient des informations, informations que je pouvais
par la suite vérifier.
Le Président : Quels sont
les éléments que vous avez pu recueillir sur place auprès des États, auprès
d'hommes politiques ?
René DEGNI-SEGUI : J'ai dû interroger
plusieurs Etats à partir de Genève. Et particulièrement les États intéressés,
notamment des grandes puissances, des États limitrophes. Et j'ai pu donc interroger
les représentants de ces États. J'ai eu les témoignages sur place de victimes
des faits, les témoignages des personnes employées par les Nations Unies et
la famille, la grande famille des Nations Unies. Et j'ai pu également avoir
un certain nombre de documents sur les faits. Et enfin, j'ai pu visiter des
sites de fosses communes et autres.
Le Président : Sur base des
constatations et des renseignements que vous avez recueillis, documents, témoignages,
qu’est-ce…
René DEGNI-SEGUI : J'ai pas suivi.
Ah bon, allez-y. Excusez-moi.
Le Président : Quelles sont
les conclusions auxquelles vous êtes arrivé quant à l'origine des faits ?
René DEGNI-SEGUI : Dans le premier
rapport, j'ai relaté les faits. Et à la suite des faits à ma connaissance, je
suis arrivé à la conclusion qu’au Rwanda, il y a eu un génocide, un génocide
de Tutsi, qu'il y a eu crime contre l'humanité et qui est aussi violations des
Conventions de Genève de 49, et du Protocole II. Si vous voulez que je développe,
voilà en gros…
Le Président : Oui. Quels
sont les éléments qui vous ont amené à cette conclusion ?
René DEGNI-SEGUI : S'agissant
du génocide, nous avons une Convention, la Convention des Nations Unies de 1949,
qui prescrit trois conditions pour qu'il y ait génocide. En substance, il faut
un acte criminel, il faut l'intention de détruire en partie ou tout un groupe
et ce groupe, qui peut être un groupe ethnique, religieux, euh…, ethniques,
religieux, racial, que ce groupe soit visé comme tel. Je vois donc trois conditions.
La première : les meurtres, assassinats et autres. À l'époque des faits,
c'est, si je prends uniquement les massacres, il y avait un certain nombre oscillant
entre 500 et 800.000, mais le nombre importe peu, ce qui compte c'est qu'il
y ait meurtre, assassinat, qu’il y ait torture et autres. S'agissant du premier
point, il n'y avait pas de problème.
Ce qui pouvait poser problème, c'était le problème de l'intention
de détruire le groupe. Le problème a été relativement résolu dans la mesure
où ceux qui ont commis les massacres ne se cachaient pas et cette intention
a été largement diffusée dans la presse, par les communiqués, par les déclarations
des organes de l'Etat et donc on peut ainsi déceler l'intention.
Ce qui posait un problème en revanche, c'est le 3e point : il faut
que le groupe soit visé, soit spécifiquement visé. Le problème qui se pose est
d'autant plus qu’il n'y avait pas eu seulement l'assassinat de Tutsi, il y a
eu également les Hutu qui avaient été assassinés. Mais en fouillant davantage,
je me suis rendu compte que c'était le groupe ethnique Tutsi qui était spécifiquement
visés par le tri qui était fait, aussi bien aux barrages, lors des barrages
que dans les maisons. Partout, il y avait un tri qui était fait. Et même, la
carte d'identité était un moyen de contrôle puisqu'on faisait… mention était
faite de l'ethnie. Et quelquefois même, la carte d'identité n'était pas même
suffisante puisqu’il y avait un délit de faciès, dans la mesure où on pouvait,
ceux qui tuaient estimaient que, bien que certains aient la carte, ces personnes
avaient la morphologie de Tutsi et donc, ces personnes étaient également tuées.
Le second point qui m'a emmené à cette conclusion, c’est qu’il y
a un document officiel du ministère de la défense qui date, je crois, de 1992,
septembre 92. Ce document est assez clair. Il définit l'ennemi et indique que
l'ennemi principal est le Tutsi. Le Hutu, lui, n'est visé qu’en tant qu’il est
traître à son propre groupe ethnique.
Voilà, Monsieur le président, les éléments succinctement, les éléments
qui m'ont permis… étant arrivé au point que les trois éléments constitutifs
donnés par la Convention étaient réunis, je suis arrivé à la conclusion d'un
génocide des Tutsi.
Le Président : Aviez-vous
également relevé que ce génocide présentait un caractère organisé ?
René DEGNI-SEGUI : Oui. Par la
suite, déjà lors des premières investigations, il y avait des indices sérieux.
Il y avait des indices sérieux qui ont été par la suite confirmés. D'abord,
il y a, il y a eu un ferment idéologique, constitué par cette incitation à la
haine ethnique orchestrée par la radio nationale et par la radio RTLM, des Mille
Collines.
Il y a ensuite un encadrement. C'est cette politique d'autodéfense
qui est au départ, était destinée à une auto protection des populations contre
les incursions des rebelles et qui, par la suite, a été dévoyée et utilisée
pour le génocide. Et cela a consisté dans le fait que la population… d'abord
il y a eu une… il y a eu… on a stocké des armes. Ces armes circulaient. On les
a ensuite distribuées. Et par la suite, les Interahamwe et la population civile
elle-même selon les témoignages concordants, ont eu à voir un entraînement,
un encadrement militaire pour apprendre à tirer, à jeter les grenades et autres.
Et il y a aussi un autre phénomène, c'est le caractère systématique
même des massacres. Ce caractère peut s'analyser du point de vue local comme
du point du personnel. Du point de vue local, ce qui est caractéristique, c'est
qu’on poursuit la victime jusque dans son dernier retranchement pour éviter
que la victime n'échappe. C’est ainsi que le recoin où la victime est susceptible
de se, de se cacher, est mis à feu : les broussailles, par exemple, sont fouillées
systématiquement et les frontières, il y a des témoignages qui ont été donnés
où les victimes qui voulaient fuir pour aller de l'autre côté étaient encerclées
pour empêcher que ces victimes aillent dans les pays limitrophes.
Un autre phénomène, c'est le refuge des églises, d'abord des maisons
ensuite des églises. Dans un premier temps, on a demandé aux victimes de rester
dans les maisons. Et cela a permis d'éliminer des intellectuels, des hommes
politiques, des leaders politiques, et autres. Mais le second phénomène, c'est
le refuge dans les lieux publics et dans les églises. Certains, certaines victimes
y sont allées volontairement pensant trouver un refuge. D'autres ont été appelés
à s'y rendre pour qu'elles aient une protection assurée. Et ça a été le piège
puisque ces personnes ont été, par la suite, massacrées dans ces lieux.
Je voudrais relever pour les églises, pour les informations que j'ai
eues. Jusque-là, les églises étaient considérées comme des lieux sacrés, mais
avec les événements du 6 avril, l'on a violé cette demeure qui était considérée
comme sacrée, surtout que le Rwanda est un pays à majorité chrétienne. Voilà
en gros ce que je peux dire, Monsieur le président.
Le Président : N'aviez-vous
pas notamment relevé que dès 1992 ou 1993, un recensement avait été opéré, indiquant
notamment l'ethnie à laquelle appartenaient les Rwandais ?
René DEGNI-SEGUI : Non. J'avoue
n'avoir pas d'informations.
Le Président : Les faits
qui nous occupent se situent plus particulièrement à Butare ou dans la région
de Butare. Les informations que vous aviez recueillies font-elles apparaître
une différence dans la manière dont les événements se sont déroulés à Butare
par rapport à d'autres régions du Rwanda ?
René DEGNI-SEGUI : Monsieur le
président, avant de continuer, est-ce que je peux demander un privilège ?
Le Président : Oui.
René DEGNI-SEGUI : J'ai la gorge
sèche.
Le Président : Vous allez
avoir tout de suite de quoi la rafraîchir.
René DEGNI-SEGUI : Merci. Ce que
je peux relever, c'est que lorsque les massacres ont commencé, Butare a été
le lieu épargné par l'action, je crois, du préfet de Butare, si j'ai bonne mémoire
qui s'appelait le témoin 32, et
je crois également peut-être le commandant. En tout cas, la ville de Butare,
d'après les informations que j'ai recueillies, la ville de Butare avait été
épargnée à peu près jusqu'au 19 avril. De sorte que beaucoup de personnes, de
Tutsi, s’y sont réfugiées. Et c'est le fameux 19 avril où il y a eu le discours
du président intérimaire, et c'est là qu’il y a eu, par la suite, le soir, il
y a eu des massacres mais qui, d'après des informations, ont eu une ampleur
beaucoup plus grande. Voilà ce que je peux dire par rapport à la question qui
est posée.
Le Président : Avez-vous
éventuellement des informations en ce qui concerne le rôle qu’auraient joué
des militaires et même plus précisément des membres de la garde présidentielle
dans les massacres à Butare ?
René DEGNI-SEGUI : Pas particulièrement
à Butare. Je n'ai pas d'informations précises s'agissant de ce fait.
Le Président : Avez-vous
éventuellement des informations sur le rôle qu'auraient pu jouer des intellectuels
à Butare ? Et peut-être plus précisément des professeurs de l'université
nationale du Rwanda ?
René DEGNI-SEGUI : Je crois que,
d'après les informations que j'ai, Butare est la ville intellectuelle. Je crois
que l'université s'y trouve. Et il y a beaucoup d'intellectuels. Et souvent,
il revient que les intellectuels ont pris part aux événements, tout particulièrement
des médecins. Voilà l'information que je peux donner. Tout particulièrement
des médecins.
Le Président : Votre enquête
ne s’est peut-être pas dirigée vers une identification précise de tous les participants
au massacre ?
René DEGNI-SEGUI : Mon enquête
n’allait pas jusqu'à, jusqu’à identifier des personnes. Je crois que cela revient,
devait revenir au Tribunal pénal international. Moi, je voyais en gros les groupes
constitués, c’est-à-dire, la garde présidentielle dont vous avez parlé, les
partis politiques, les milices, mais je n'avais pas à identifier les personnes
à l'intérieur. Je crois que cela revenait au Tribunal pénal international.
Le Président : Dans les groupes
que vous aviez à identifier, pouvez-vous parler du rôle qu'ont chacun de ces
groupes : garde présidentielle, armée, armée non garde présidentielle je
dirais, partis politiques, plus certains que d'autres ? Je ne sais pas !
René DEGNI-SEGUI : Disons que
dans les rapports, ce qui ressort le plus, c’est que ceux qui ont été très actifs,
ce sont le MRND et puis la CDR. La CDR. Les miliciens ont joué un rôle très
important parce que les massacres étaient particulièrement leur fait. Les bourgmestres
et les préfets sont ceux qui étaient la courroie de transmission, qui étaient
d'ailleurs, des préfets, certains préfets avaient été supplantés même par des
bourgmestres ou des miliciens.
S'agissant des autorités supérieures, ce qu'on relève, c'est que
la plupart du temps, il est indiqué que les ordres venaient d'en haut. Des ordres
venaient d'en haut. Donc, il y a ceux qui sont peut-être au niveau présidentiel,
qui ont conçu, qui ont organisé et qui ont donné les ordres. Il appartenait
aux autorités locales - j'entends préfets, bourgmestres - d'être des intermédiaires
pour transmettre l'information, pour que les milices puissent exécuter. La garde
présidentielle a eu, d'après les informations que j'avais, parfois un rôle d'organisateur
et un rôle d'exécuteur. Tantôt elle exécutait, tantôt elle donnait des ordres
aux miliciens.
Ce que je peux relever également, c'est qu’entre les militaires et…
entre les forces de l'ordre et les Interahamwe, il y avait une certaine complicité.
Tantôt les forces de l'ordre regardaient sans réagir, regardaient massacrer,
tantôt ils regardaient mais intervenaient lorsqu'il y avait des difficultés,
par exemple, s'il faut défoncer une, un portail d’église ou autres, ils intervenaient
ponctuellement. Ou lorsque, quelques rares fois, les assaillants avaient des
difficultés pour venir à bout des victimes qui se servaient de pierres pour
les chasser, alors les militaires donnaient un coup de main. Tantôt ils se substituaient
et… ou bien aidaient à… exécuter la besogne.
Le Président : Selon vous,
des plans existaient quand même… ? Y avait-il des plans bien antérieurs
au 6 avril 1994 ? Des plans d'extermination ?
René DEGNI-SEGUI : Je pense que
d'après ce que j'ai indiqué tout à l'heure - le ferment idéologique, l'encadrement
militaire et le caractère systématique - pour moi, ce sont des indices qui montrent
qu'il y avait une planification. Le problème maintenant, c'est de savoir si
le plan était prévu pour le 6. Je ne le pense pas. Je pense que le 6, peut-être
qu'un groupe a pu penser au 6. Jusque là, on ne sait pas. Enfin, ça fait un
moment que j'ai décroché, je ne sais pas, j'ai eu des difficultés à demander
aux Nations Unies de me donner les moyens pour qu’on puisse savoir qui a été
à la base de cet attentat. Mais ce que je veux dire, c'est que l'attentat a
été le prétexte pour mettre à exécution le plan. Ce n'est peut-être pas forcément
la date indiquée, mais ça a été le prétexte pour pouvoir exécuter un plan qui
existait déjà.
Le Président : Avez-vous
éventuellement recueilli des informations selon lesquelles on aurait, quelque
part, fait déjà quelques essais avant, de manière limitée ?
René DEGNI-SEGUI : Des essais
avant ?
Le Président : Avant le 6,
6-7 avril. ?
René DEGNI-SEGUI : Il y a eu…
effectivement, on peut parler d'essais, puisque nous avons, et j'ai fait partie,
j'ai eu l'honneur de faire partie d'un groupe qui a été enquêter en 93 et déjà
à cette date, nous n'étions pas loin de conclure à un génocide. Donc, en prenant
cela, on peut dire qu’il y avait, mais ça n'a pas vraiment l'ampleur de ce que
nous avons vu le six avril, mais déjà, il y avait des… les Tutsi étaient déjà
persécutés à l'époque. C'est une commission qui avait été constituée par African
Watch, la Ligue, non, la FIDH et le mouvement, non, l'Union interafricaine des
droits de l'homme. Et lors de… dans nos conclusions, nous sommes arrivés presque
à ce stade-là. Et le rapporteur spécial sur les exécutions sommaires qui s'est
rendu après nous sur le terrain, a repris presque l'ensemble des conclusions
de cette commission.
Donc, vu sous cet angle, on peut dire qu'il y a eu déjà des tentatives,
mais encore une fois, ça n'a pas vraiment l'ampleur de ce qu'il y a eu, puisque
si nous prenons l'ampleur des événements du 6 avril, ce sont des événements
qui commencent dès la chute de l'avion, avant même qu'on l’ait annoncée, comme
je l'ai indiqué dans mon rapport, une demi-heure avant, les barricades étaient
dans tout Kigali. Il est vrai, il est vrai que le Rwanda est coutumier des faits,
mais c'était vraiment exceptionnel. Par ailleurs, dès le 6 avril, ça commence,
et le matin, presque tout le Rwanda se met dans la danse avec quelques rares
exceptions, telles que Butare, et ensuite, ça se poursuit jusqu'à la mi-juillet,
c’est-à-dire, à peu près à la fin de la guerre civile et après le 6 juillet,
ça se poursuit d'ailleurs dans les camps de réfugiés, c'est d'ailleurs la raison
pour laquelle la résolution des Nations Unies étend la compétence du Tribunal
dans les camps de réfugiés : l'ampleur était telle que ça n’a rien, absolument
rien à voir avec ce qui s'est passé avant, puisqu'il y a eu des vagues successives
de massacres de Tutsi, 90, 91,92,93. Mais ça n’a rien à voir avec ce qui s'est
passé en 94.
Le Président : Et vous dites :
« Ca s'est poursuivi même après la guerre civile à l'extérieur du… »
?
René DEGNI-SEGUI : Oui, parce
que dans les camps de réfugiés, il y a eu, il y a une des, il y a eu encore
des massacres dans les camps de réfugiés. C'est la raison pour laquelle l'ONU
a étendu la compétence du Tribunal pénal international, aussi bien dans l'espace
que dans le temps. Puisque c’est après le dies ad quem
va jusqu'à la fin décembre 94. Le dies ad quo part
de janvier et le dies ad quem décembre 94.
Le Président : Parmi les
groupes qui auraient pu se trouver à l'origine des massacres ou qui les ont
organisés ou qui les ont exécutés, avez-vous entendu parler de l’Akazu ? Terme
signifiant apparemment en rwandais « la petite maison » et semblant,
je dirais, vouloir identifier les proches du président le témoin 32.
René DEGNI-SEGUI : J'ai entendu
parler de l’Akazu la première fois lorsqu'on s'est rendu en 93 au Rwanda. Et
à l'époque, on disait justement que c'était la maison, enfin, les proches du
président le témoin 32 qui étaient
à la base de ce qui se passait. Mais après les événements de 94, le président
le témoin 32 lui-même étant décédé, je
n'ai pas vraiment focalisé mon attention sur cette piste.
Le Président : Vous avez
parlé tout à l'heure de 500.000 à 800.000 morts. C’est un chiffre qu'on peut
retenir ? Est-ce que des recherches ont été opérées ? Est-ce qu'on
a vraiment voulu savoir ?
René DEGNI-SEGUI : Ce qui est
sûr, c'est qu'on ne saura jamais le chiffre exact. Certains parlent d'un million.
Le minimum en tout cas, c'est 500. Et finalement, on en arrive, le chiffre officiel
qu'on donne maintenant c’est 800. On ne saura jamais avec exactitude le nombre
de morts.
Le Président : Dans la manière
dont ces massacres ont eu des suites, il y a eu des fosses, il y a eu des choses
de ce genre, des maisons rasées… y avait-il une volonté, quelque part, d'empêcher
qu'on sache, qu'on puisse identifier même les victimes ?
René DEGNI-SEGUI : Qu'on puisse
identifier les victimes ?
Le Président : Donc, dans
les manœuvres, je dirais, après la mort, y a-t-il eu des manœuvres qui tendaient
à ce qu'on ne retrouve pas les victimes ? A ce qu'on ne puisse pas les identifier
?
René DEGNI-SEGUI : Je ne pense
pas. Puisqu’on a trouvé des corps à Nyarubuye, des corps, enfin, des victimes
avec les mains au dos, qui ont été massacrées, qui sont restées là. Et on a
trouvé aussi des corps dans des églises, dans les rues etc. Il y avait régulièrement,
d'après ce que j'ai appris des agents des Nations Unies, des prisonniers qui
venaient ramasser les morts pour les enterrer. Je pense que c'est plus pour
des raisons d'hygiène que la volonté de... Maintenant, par la suite, et il y
a eu à certains moments, il y a eu aussi des corps calcinés. Alors, est-ce que
cela témoigne de la volonté de cacher ? À des endroits, il y a eu des corps
calcinés, à des endroits, il y a eu des fosses communes. Peut-être qu’au niveau
des fosses communes, ça dépendait des endroits, au niveau des fosses communes,
il y avait cette volonté de cacher. Mais ces fosses communes ont été découvertes
par la suite. Alors, tantôt ces corps sont à découvert, tantôt ces corps sont
cachés. Est-ce que vraiment il y avait cette volonté de cacher les choses ?
Je ne sais pas, à proprement parler.
Le Président : Certains parlent
d'un double génocide ?
René DEGNI-SEGUI : Le double génocide
peut être possible à la condition que et, j'allais dire, les conditions soient
réunies. Dans le premier cas, les conditions ne posent pas problème. Mais dans
le second, c'est difficile. Enfin, je n'ai pas eu à ma connaissance des éléments
me permettant de dire il y a eu un double génocide, dans la mesure où le FPR
n'a jamais donné, a fait croire qu’il tuait pour se venger, mais pas dans l'intention
de détruire un groupe. Il y a eu des massacres, c'est un fait. Il y a eu des
massacres au niveau, du côté du FPR. Mais les éléments constitutifs, du moins
en ce qui concerne la Convention de 49, à mon sens, il n'y a pas d'éléments
qui m’ont permis de dire qu'il y avait un double génocide.
Le Président : Est-ce que
je peux vous demander quel est votre sentiment quant à l'avenir du Rwanda ?
René DEGNI-SEGUI : Vous me posez
une question... Je crois que, comme je l'ai indiqué dans mon rapport préliminaire,
il faut une réconciliation. Mais la réconciliation passe nécessairement par
la justice. L'impunité ne peut garantir la réconciliation. Si la justice est
rendue, aussi bien au plan international, au plan externe tel que ce que nous
faisons présentement, mais surtout si la justice est bien rendue au Rwanda même,
sans qu’on ait l'impression d'une vengeance sur les Hutu, je pense que le Rwanda
pourrait revenir à de meilleurs sentiments. Il faut que les Rwandais se réconcilient
avec leur justice. Je crois que c’est important. C'est la condition pour qu'il
y ait un nouveau départ. Parce que si on ne punit pas, on reste, on s'en tient,
on fait la réconciliation nationale sans identifier les véritables auteurs pour
leur infliger des sanctions, je pense que ce sera difficile. Voilà ce que je
peux dire, Monsieur le président.
Le Président : Selon l'état
de vos informations, le Rwanda est-il est quelque part équipé pour faire cette
œuvre de justice ?
René DEGNI-SEGUI : Vous me posez
là... une question !? Lorsque j'étais rapporteur spécial, nous avions fait
une proposition au Rwanda. Nous avons demandé que la justice soit rendue par
des rwandais avec d'autres frères africains, avec d'autres personnes. Nous avions
même pu obtenir un financement du PNUD. Je crois que l'Assemblée nationale avait
adopté la loi, non, le gouvernement avait fait une proposition et l'assemblée
nationale a rejeté le projet pour des raisons de souveraineté. Et nous avons
pris acte et actuellement, le Rwanda rend sa justice avec beaucoup de difficultés.
Beaucoup de difficultés à la fois point de vue matériel, et point de vue ressources
humaines. J'ai appris au Rwanda, j'ai constaté qu'il y avait des magistrats
non-juristes. C'est la 1ère fois que je découvrais cela. Et je me demande si
ces magistrats peuvent juger efficacement un crime aussi important et infliger
des sanctions allant jusqu'à, jusqu'à priver la vie.
Le Président : Je vais vous
rassurer : en Belgique, ce sont les jurés qui sont non-juristes qui vont juger
de la culpabilité. Donc, ce n'est pas seulement au Rwanda que ça existe.
René DEGNI-SEGUI : Oui, mais en
même temps, en même temps, lorsque les jurés sont là, ils ne sont pas seuls.
Le Président : En Belgique,
ils délibèrent seuls, sans les magistrats professionnels.
René DEGNI-SEGUI : Ah ! D’accord.
Si ça peut me rassurer, tant mieux.
Le Président : Je ne sais
pas si c’est pour vous rassurer…
Bien, moi, je n'ai plus, pour l'instant en tout cas, de questions
à aborder avec vous, mais peut-être des membres du jury ou les parties ont-elles
des questions à poser ?
Non Identifié : Vous avez identifié
des groupes. Le tissu industriel constituait-il un groupe, un relais dans les
événements de 1994 ? Et plus particulièrement à Butare ?
René DEGNI-SEGUI : Je ne suis
pas allé jusque-là. Je sais qu’il y a quelques industries qui ont pu collaborer
dans l'exécution du génocide en apportant un appui matériel. Mais je ne sais
pas si c'est la question que vous posez, si j'ai bien compris la question. Oui ?
Donc, mais je n'ai pas approfondi cet aspect des choses.
Le Président : Avez-vous
eu éventuellement des informations quant au financement par des entreprises
d'achat d'armes par exemple ou d'autres financements ?
René DEGNI-SEGUI : Il y a eu un
rapport des Nations Unies en ce qui concerne des achats d'armes. Mais ça, c’est
un groupe d'experts qui s'est penché sur la question et qui a pu donner quelques
indications sur le trafic d'armes qui a servi pour le Rwanda. Je sais aussi
qu’en 1900… je ne me souviens plus de la date, il y a eu un dignitaire qui a
commandé à l'époque 50.000 machettes, 50.000 machettes, je crois que c’était
en 92-93.
Le Président : D'autres questions
?
Non Identifié : Vous exposez
qu'il y a eu un génocide planifié. Cette planification suppose nécessairement
que des individus aient joué…
René DEGNI-SEGUI : Ah, c'est vous,
excusez-moi.
Non Identifié : …Que cette
planification ait été le fait que des individus. Alors, est-ce qu'au niveau,
je dirais, central, vous pouvez identifier ces individus ? Est-ce que le
président le témoin 32 lui-même
a joué un rôle central dans la préparation du génocide, dans la planification
? On a parlé du colonel BAGOSORA comme étant quelqu'un qui avait la haute main
sur les Interahamwe et sur la garde présidentielle dans les faits. Est-ce qu'il
y a d'autres personnes que vous pouvez désigner comme étant les grands responsables
de cette planification ?
René DEGNI-SEGUI : J’avoue qu’il
m’est difficile de désigner nommément des gens, parce qu'il s'agit d’accuser
et là, je ne peux pas. Je sais, je peux vous dire que des noms reviennent souvent.
Peut-être qu’le témoin 32 a préparé,
mais il a été au dernier moment victime lui-même de ce qu’il a préparé. Certainement
qu’il a été gênant et on s’en est débarrassé. Je sais aussi que le nom de BAGOSORA
revient souvent, revient souvent comme étant le cerveau. Mais là, ce sont vraiment
des supputations, je ne peux pas, je n’ai pas les preuves nécessaires, puisque
ma mission ne m’emmenait pas jusque-là.
Le Président : D'autres questions
? Maître EVRARD ?
Me. EVRARD : Merci, Monsieur le président. Peut-on demander
au témoin, je n’ai pas suivi l’ensemble de son explication, mais il a exposé
les conditions qui répondaient à la Convention de Genève pour la détermination
du génocide. Je crois que la question qui lui a été posée au départ touchait
également les Conventions de Genève et donc l’infraction aux Conventions sur
les lois de la guerre et également les conditions pour les crimes contre l’humanité.
Ce qui m’intéresse plus particulièrement, Monsieur le président, ce sont les
conditions pour les crimes de guerre. Et je ne crois pas avoir entendu son explication.
René DEGNI-SEGUI : Non. Effectivement.
Je me suis arrêté au génocide. Je crois que pour les Conventions de Genève,
et il y a le traitement cruellement dégradant d'un côté, il y a la persécution
pour motifs politiques, raciaux et ethniques ce qui fait que d’ailleurs par
les motifs politiques, le crime de guerre se distingue ainsi du génocide qui
n'a pas, parce qu'il n'y a pas de génocide politique, dans la différence qu’on
fait avec le crime de guerre. Et d'autre part, le second critère qui vient,
la deuxième condition, c'est que cela doit se faire dans le cadre d'une attaque
générale contre la population civile. Et en ce qui concerne le cas du Rwanda,
c'est le Protocole 2 qui s'applique puisqu’il s'agit d'un conflit non international,
armé, et donc, parce qu’il, ce conflit opposait deux armées d'un même état,
il n'y a donc pas un élément d'extranéité, encore que dans [Inaudible]
qui a été présenté par votre compatriote, le professeur, je ne me souviens plus,
DAVID, il dit qu’on peut dire qu'il y a un conflit international puisque ce
conflit oppose d'un côté les Nations Unies à travers les Casques bleus et de
l'autre l'Etat rwandais et donc, on pourrait ici parler de conflit international.
Mais d'une manière générale, ce qui est retenu, c'est le conflit non internationalisé
armé. Et donc, il y a violation de la Convention de Genève et dans ces conditions,
il faut rechercher les auteurs aussi bien du côté des FAR que du côté de l’APR,
l'Armée Patriotique Rwandaise. Et le problème, éternel problème posé, c'est
de savoir : actuellement on juge, le Tribunal pénal international se penche
davantage sur le problème du génocide, ce qui exclut l'autre côté. Quand est-ce
qu’on arrivera à juger les autres crimes pour que les autres aussi puissent
être mis en scène.
Le Président : À ce sujet-là,
les informations que vous avez font-elles état de ce qu’avant le 6 avril 1994,
il y avait une guerre non internationale au Rwanda ? Certains soulèvent le problème
de ce qu’on avait signé des accords de paix.
René DEGNI-SEGUI : Les accords
de paix d’Arusha, oui ?
Le Président : Oui.
René DEGNI-SEGUI : Quelle est
votre question, Monsieur le président ?
Le Président : Alors, Accords
d’Arusha, août 1993.
René DEGNI-SEGUI : Oui, c’est
en 93. C’est ça.
Le Président : Est-ce que
depuis lors le Rwanda n'était plus en état de guerre interne ?
René DEGNI-SEGUI : En fait, si
nous prenons les événements, je vois deux faits distincts mais qui s’entremêlent.
D’un côté, une guerre civile entre les FAR et l’APR. Et d’autre part, des massacres,
qu'on pourrait bien distinguer. Mais en réalité, les deux se mêlent. Et lorsque
l'on demande… moi-même je l'ai fait en 94, lorsque je me suis rendu sur les
lieux, il y avait encore la guerre à… le gouvernement intérimaire s'était réfugié,
était parti et, à Kigali, avec ma délégation, on a trouvé les militaires et
on a eu à discuter avec eux et on leur a demandé d'arrêter les massacres. Ils
ont répondu qu'ils arrêteraient les massacres que si le FPR arrêtait la guerre
parce que selon eux les Interahamwe constituent un front, un front qui fait
barrage, qui est susceptible de faire barrage aux autres et donc, ils font partie
intégrante de la guerre et ils ne veulent pas, ils n'ont pas voulu arrêter la
guerre. Ce témoignage a été, enfin, ce témoignage a été corroboré par le général
Dallaire lorsqu'il s'est rendu
en 98 devant le Tribunal pénal international et qui a témoigné, il a dit également :
« Ils ont demandé qu'on arrête les massacres mais on a estimé que les massacres
font partie intégrante… ». Il faut dire qu’ici il y avait d'un côté une
guerre civile, de l'autre des massacres les deux étaient difficilement euh séparables
Le Président : Dissociables.
René DEGNI-SEGUI : Dissociables.
Voilà
Le Président : D'autres questions
? Maître EVRARD ?
Me. EVRARD : Merci, Monsieur le président. C'est une précision
que je souhaite que l'on demande au témoin. Le témoin, sur base des Conventions
de Genève de 48-49 et du Protocole II qui invoque un conflit interne je dirais,
non international, en tout cas, fait état d'une opposition qui aurait entre
les Nations Unies et l'Etat rwandais. Est-ce qu'a un moment, il n'y a pas les
forces armées rwandaises de la République rwandaise en place et une agression
qui vient de l'Ouganda par des forces qui seraient à qualifier autrement qu’internes ?
Ou s'agit-il de forces internes ? Première question. Deuxième question…
René DEGNI-SEGUI : Si je pouvais
répondre d'abord ? Je n'ai rien pour écrire, excusez-moi.
Je pense qu’il faut distinguer la période avant et la période du
génocide. Entre-temps, il y a eu les accords d'Arusha et l'armée, l'APR, est
rentrée, ce n'est pas plus une armée extérieure. L'APR était bien au Rwanda.
Dans ces conditions, on ne peut pas parler d'une armée extérieure venant de
l'Ouganda. Ils étaient bien là. Lorsque les massacres ont commencé, ils étaient
bien cantonnés, je ne connais pas bien le site, ils étaient bien cantonnés.
C'est lorsque les massacres ont commencé que l’APR qui était déjà au Rwanda
est venue. Il faut bien faire la distinction entre avant et après. Après, ce
n'est plus une armée étrangère, si c'est ce que vous voulez insinuer. C'est
une armée nationale ! Et il était prévu d'ailleurs dans les accords que
les armées fusionnent. Donc, c'est bien une armée nationale.
Le Président : Deuxième question.
Me. EVRARD : Merci, Monsieur le président. Dans les conditions
de l'application des Conventions de Genève sur les crimes de guerre, le témoin
nous a parlé de différence qu'il y a à faire dans la nature entre le génocide
et le crime de guerre. Il nous a parlé d'une 2e condition qui est le cadre d'une
attaque généralisée par rapport aux populations civiles. Est-ce qu'il n'y a
pas d'autres conditions que ces conditions-là ? Et notamment des conditions
à de rattachement, excusez-moi..
René DEGNI-SEGUI : Excusez-moi
de vous interrompre. Monsieur le président, avec votre permission.
Tout à l'heure, j’étais en train de définir plutôt le crime contre
l'humanité. Donc, vous m'excuserez. C'est le crime contre l'humanité que j'ai
défini et au lieu de définir le… par rapport aux crimes contre l'humanité.
Me. EVRARD : Alors, maintenant le témoin peut-il définir les
crimes de guerre, s'il vous plaît.
René DEGNI-SEGUI : Bon. Alors,
ce que je veux dire, c'est que s'agissant du crime de guerre, c'est l'application
des Conventions de 49, l'article 3 commun des quatre Conventions et ensuite
du Protocole II qui mettent l'accent sur le conflit armé. Et un conflit armé,
à la différence du conflit armé international, l'accent est mis sur le caractère
non international du conflit. C’est le caractère non international du conflit
qui importe ici. Et ce, en l'espèce, comme on a indiqué tout à l'heure, le conflit
n'a pas de caractère international. Je vous ai indiqué que le professeur DAVID
a estimé qu’à partir du moment où l'ONU était impliquée avec les Casques bleus,
on pouvait parler de conflit international. Mais en l'espèce, il s'agit d'un
conflit qui oppose deux armées d'un même Etat. Et dans ces conditions, le caractère
national est bien net.
Me. EVRARD : Monsieur le président, je pense que c'est la première
condition. Mais y a-t-il d'autres conditions que le témoin peut nous exposer
?
René DEGNI-SEGUI : Si vous voyez
d'autres conditions, dites-le.
Me. EVRARD : Je pose la question.
René DEGNI-SEGUI : Non, je n'en
vois pas.
Me. EVRARD : Je vous remercie.
Le Président : N'y a-t-il
pas une condition en ce qui concerne la qualité des victimes ?
René DEGNI-SEGUI : J'ai parlé
de population civile tout à l'heure.
Le Président : Oui, Maître
Carlier.
Me. Carlier : Merci, Monsieur le président. Dans le
rapport de Monsieur le Rapporteur spécial DEGNI-SEGUI, le témoin, du 28 juin
95, quatre-vingt-quinze pour ne pas vous imposer notre parlé belge, le témoin
signale avoir rencontré diverses personnalités nationales dont Monsieur Faustin
Twagiramungu, à l'époque premier
ministre. Se souvient-il de cela ?
René DEGNI-SEGUI : Oui, je me
souviens bien.
Me. Carlier : Est-ce que le témoin pourrait dire s'il
lui apparaissait à l'époque que Monsieur Faustin Twagiramungu pouvait être un élément de cette réconciliation
nationale pour le futur du Rwanda dont vous parliez il y a un instant, Monsieur
le président ?
René DEGNI-SEGUI : Je ne sais
pas. Monsieur Twagiramungu a été
premier ministre avec le gouvernement FPR, a l'époque. Et il y a eu des divergences
et il est parti. Et je ne sais pas vraiment s'il peut être l'homme de la situation.
Ca, je ne peux pas vous en dire plus. Je ne sais pas.
Le Président : Oui. Une autre
question ?
Me. Carlier : Je ne sais pas si - très probablement
oui - est-ce que le témoin à connaissance d'un autre rapport ? Il y a eu
plusieurs rapports évidemment des Nations Unies sur le génocide au Rwanda, dont
un rapport d'une unité spéciale, SIU, notamment un rapport d'avril 95. Je ne
sais pas si le témoin à connaissance de ce rapport ?
René DEGNI-SEGUI : C’est un rapport,
enfin, est-ce que c’est un rapport ? L'ONU n'a jamais publié ce rapport
parce qu'on estime que c'est quelqu'un qui a ramassé des informations sans,
sans les éléments de preuve et finalement, on n'a pas voulu publier ce rapport.
C'est pour ça que je parle d'un non-rapport. Ce n’est pas un vrai rapport. On
n’a pas vraiment les éléments pour dire que les choses étaient exactes. Il y
a une personnalité qui, lorsqu'elle était au pouvoir, a nié ce rapport et une
fois qu'elle n'était plus au pouvoir a commencé à dire : « Voici le
rapport il faut en tenir compte ». Ce n'est pas un rapport je pense. Du
moins, ce n’est pas officiel.
Le Président : À propos de
votre rapport du 28 juin 1995, vous nous avez dit tout à l'heure : « Butare
est restée calme jusqu'au 19 20 avril 1994 ». Et pourtant je lis dans
ce rapport, en tout cas dans le texte français, « que dans la préfecture de Butare, des témoins rapportent que près de
10 000 personnes réfugiées dans le stade furent attaqués à la machette
et massacrés le dix huit avril ».
René DEGNI-SEGUI : Dans le rapport
de 95 ?
Le Président : Oui. C'est
peut-être une erreur de date ? Ca poursuit ensuite, « le
23 avril, 5000 personnes réfugiées à Nyakibanda… »
René DEGNI-SEGUI : Mais est-ce
que j’ai mis la date ? Excusez-moi, Monsieur le président.
Le Président : Oui, le 18
avril. Moi, je lis…
René DEGNI-SEGUI : Ah ! Le
18 avril ? Ah ! Ah ! C’est peut-être une erreur.
Le Président : Je lis cette
date-là.
René DEGNI-SEGUI : Oui. Je reconnais
que c’est une contradiction.
Le Président : Une autre
question, Maître CARLIER ?
Me. Carlier : Donc, dans le rapport, ou le non-rapport,
SIU, je ne sais pas si le témoin peut se prononcer ou non sur un passage de
ce document qui figure dans les pièces du dossier, bien entendu, sinon je n’en
ferais pas état. C’est un document que le juge Damien VANDERMEERSCH a déposé
dans son instruction. Et dans ce document, on dit : « Divers documents
ont été obtenus et identifiés par la SIU ». Ensuite, je cite : « par
exemple, un document indiquant que les milices Interahamwe constituaient un
souci pour les partis politiques modérés avant mai 1992 a été découvert. Ce
document décrit l'organisation et la structure ainsi que la direction des Interahamwe
et comprend des renseignements sur l'entraînement de la garde présidentielle ».
Est-ce que le témoin à connaissance de ce document ?
René DEGNI-SEGUI : Non. Je n'ai
pas connaissance de ce document. Il date de ?
Me. Carlier : Donc, selon ce rapport de mai 1992. Avant…
Non. Il n'y a pas de date du document. On dit : « Document indiquant que les milices Interahamwe constituaient un souci
pour les partis politiques modérés avant mai 1992 a été découvert ».
René DEGNI-SEGUI : Non.
Me. Carlier : Il n’y a pas de date du document lui-même.
Le Président : D'autres questions
? Maître EVRARD ?
Me. EVRARD : Merci, Monsieur
le président. Le témoin a dit tout à l'heure que le président, si je l'ai bien
compris, le président le témoin 32
aurait été victime de quelque chose qu'il aurait lui-même préparé. C'est peut-être
une opinion, je n'en sais rien. Mais sur base de quels éléments le témoin nous
expose-t-il cela aujourd'hui ?
René DEGNI-SEGUI : J'étais au
conditionnel. Et j'ai indiqué que le 6 avril, les gens n'ont pas forcément choisi
cette date, ça a été un prétexte. Et le président a posé la question de savoir
si je pouvais identifier. J'ai dit : « le témoin 32 été certainement, a certainement été au courant
de ce qui s'est passé, mais il se pourrait que lui-même ait été victime de ce
qu'il avait préparé ». « Aurait été victime ». Je n'affirme pas.
Le Président : Une autre question ? Maître FERMON ?
Me. FERMON : Monsieur le
président, j'aurais souhaité que le témoin précise, développe et concrétise
un peu quelque chose qu’il a dit tout à l'heure, c’est-à-dire, que les églises
étaient traditionnellement considérées comme des refuges et qu'elles sont devenues
maintenant un piège parce que des gens y ont été appelés ou y sont allés de
leur propre gré. J'aurais souhaité, si possible, que le témoin apporte et concrétise
des éléments à ce propos.
Le Président : Vous avez
peut-être quelques faits précis dont vous pouvez faire état ?
René DEGNI-SEGUI : Oui, Monsieur
le président. D'après les informations que j'ai reçues, il y a eu des vagues
successives de massacres. Si on prend seulement 90, 91, 92, jusque-là, les églises
étaient épargnées. Les gens n’entraient pas… Lorsque les victimes entraient
dans une église il n'était pas touché. On ne les poursuivait pas jusque dans
les églises. Il y a peut-être eu des exceptions. Mais ce qui est nouveau, c'est
qu’à partir du 6 avril 94, lorsque les personnes se sont réfugiées dans les
églises, les gens sont arrivés jusque-là. Et si ces gens se sont réfugiés volontairement,
c'est parce que ces gens pensaient être, ne pas être touchés. Mais là, ces gens
s'y sont rendus et on les a tués. Voilà ce que je voulais dire.
Le Président : Est-ce que,
pouvez-vous préciser si dans ces cas-là, les églises par exemple ont été détruites
ou les portes enfoncées…
René DEGNI-SEGUI : Non. Dans ces
cas, ce qui s'est passé d'après les témoignages que j'ai reçus, on a défoncé
des portes, on y a jeté des grenades, et par la suite on a défoncé les portes
et on est venu achever les personnes qui sont mortes. Voilà ce que j'ai comme
informations.
Le Président : Oui. Maître
FERMON ?
Me. FERMON : Monsieur le président, le témoin avait dit tout
à l'heure, je crois aussi : « Certains y ont été appelés ». Donc,
les réfugiés ont été rassemblés, je dirais, dans des lieux publics, église notamment.
Je voudrais que là-dessus, si éventuellement il y a des précisions possibles…
?
René DEGNI-SEGUI : Oui. J'ai indiqué
qu'il y avait deux cas. Le cas où les gens se sont réfugiés volontairement,
et des cas où les autorités municipales, bourgmestres et autres, ont appelé
la population à aller se réfugier dans les stades et dans des lieux tels que
les églises pour qu'ils soient épargnés. Donc, il y a eu les deux cas. Il y
a eu ceux qui sont allés volontairement et ceux qui ont été appelés par les
pouvoirs, enfin les autorités locales, à se réfugier dans ces églises.
Le Président : Et dans cette
hypothèse-là, Monsieur DEGNI-SEGUI, dans l'hypothèse où les autorités appelaient
les gens à venir se réfugier dans un lieu public ou dans une église, s'agissait-il,
selon vos informations, d'une réelle démarche de protection de la part des autorités
ou au contraire d'un piège que les autorités tendaient aux victimes ou aux futures
victimes ?
René DEGNI-SEGUI : Il s'agit d'un
piège, à mon sens. Il s'agit d'un piège.
Le Président : Une autre question ? Maître NKUBANYI ?
Me. NKUBANYI : Oui. Merci,
Monsieur le président. Ma question rentre dans la même lignée que la précédente.
J'aurais voulu que vous posiez la question au témoin de savoir quelle a été
de manière générale l'attitude des autorités religieuses pendant la période
sus-visée.
Le Président : Quelles sont
vos informations à ce sujet ? Les autorités religieuses, j'allais dire nationale
et locale peut-être ? Je ne sais pas. Je ne sais pas ce dont vous disposiez
comme informations.
René DEGNI-SEGUI : Je crois que,
lorsque les assaillants arrivaient dans les paroisses ou dans les églises, il
y avait un tri qui était fait entre les Hutu et les Tutsi. Et les Tutsi étaient
massacrés. Cela a été dit à Nyando par exemple, la paroisse de Nyando où les
séminaristes et les prêtres ont été massacrés. J'ai pu voir la fosse sceptique
où on a mis le corps entier de prêtres, dans ces fosses-là. Il y a donc des
prêtres qui ont été victimes et il y a aussi quelques prêtres qui n'ont pas,
et il y en a eu d'autre aussi qui ont eu le courage, je prends le cas de… qui
est assez… on l'a souvent contesté et… le cas de l'abbé SIBOMANA qui s'est dressé
contre des gens qui venaient, des chrétiens qui venaient massacrer d'autres
personnes. Il a dit : « Si vous venez, avant d'aller jusqu'à l'église,
vous passerez sur mon corps ». Les gens sont repartis. Donc, l'attitude
des prêtres, certains ont été victimes, d'autres ont plus ou moins été complices,
peut-être pas complices direct, mais je n'ose pas dire : « Est-ce
qu'on peut parler de lâcheté ? Est-ce qu'ils avaient le choix ? ».
Je ne sais pas. Je ne veux pas juger. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre
question ?
Le Président : Sur le plan
d'autorités supérieures de l'Eglise catholique, y a-t-il des éléments qui vous
permettent d'impliquer une responsabilité si pas pénale, peut être morale ?
René DEGNI-SEGUI : Sur le plan
des autorités supérieures, les évêques, si c’est d’eux que vous parlez, beaucoup
de choses leur sont reprochées, et on estime qu'ils n'ont pas assez agi pour
empêcher le génocide. Et celui qui est en première ligne, c'est, c'était l'archevêque
de Kigali à qui l'on reprochait ses liens avec le président le témoin 32.
Et c'est la raison d'ailleurs qu'il a été tué, je crois, vers le mois de mai
94. Donc, la hiérarchie, selon beaucoup de témoignages, n'a pas eu assez de
fermeté pour agir.
Le Président : Une autre question ? Maître GILLET ?
[Interruption d’enregistrement]
Me. GILLET : …L'implication
d'hommes d'affaires dans l'importation au Rwanda de quantités massives de machettes
à partir de 1992. Tout à l'heure, le témoin a parlé de distribution d'armes
au sein du pays. A-t-il des indications précises, plus précises sur, non plus
l'importation de machettes à l'intérieur du pays, mais sur la manière dont par
la suite, c-à-d, comment ces stocks ont été distribués au sein du pays ?
Le Président : La distribution.
Avez-vous des informations au sujet de la distribution d'armes telles que des
machettes, encore que c'était peut être considéré comme du matériel agricole
?
René DEGNI-SEGUI : Non. Disons
que tout ce que l’on m’a rapporté, c’est que les armes circulaient, les armes
étaient distribuées, mais on ne m'a pas donné les détails sur la manière dont
ces armes étaient distribuées. Je sais que c'était distribué surtout aux Interahamwe
et quelque fois à la population civile. Mais je n'ai pas les données sur la
manière dont cela a été fait.
Le Président : Oui ? Oui, Maître GILLET.
Me. GILLET : Monsieur le
président, pouvez-vous demander au témoin s’il peut confirmer que déjà en 1993,
on pouvait voir sur les routes au Rwanda des bandes mêlées de militants MRND
et CDR, des jeunes militants se promenant avec des machettes et faisant des
signes non équivoques aux passants y compris d'ailleurs aux blancs qui passaient
par-là qu'ils étaient là pour les découper.
René DEGNI-SEGUI : Vous avez dit
à quelle période ?
Le Président : En 1993.
René DEGNI-SEGUI : 93 ?
Me. GILLET : Oui.
René DEGNI-SEGUI : Oui, effectivement
en 93, lors de la mission dont j'ai parlé tout à l'heure, nous avons vu ce genre
de scène.
Le Président : Une autre question ? Maître
CARLIER.
Me. CARLIER : Merci, Monsieur le président. Ce serait une question
générale mais l'expertise du témoin nous pousse à bénéficier peut-être de ses
connaissances à ce sujet. Dans le rapport, dans son rapport du 18 janvier 1995,
je crois que c'est le 3e rapport si je ne me trompe pas, le témoin citait cinq
grandes catégories d'auteurs dans le génocide. 1ère catégorie : des organes
de l'état rwandais ; 2e catégorie : des organes du FPR ; 3e catégorie :
des personnes privées ; 4e catégorie : de certains États étrangers
compte tenu de leur ingérence dans la vie politique du Rwanda qui reste à clarifier
et 5e catégorie la communauté internationale. Est-ce que le témoin pourrait
me dire s'il y a eu des clarifications sur ces deux dernières catégories, c’est-à-dire
les États étrangers et la communauté internationale dont il était mentionné
effectivement que la participation était à clarifier.
Le Président : Alors, c'est vrai que dans
notre dossier, on a des rapports que jusqu'en juin 1995. Mais vous avez dit :
« Il y en a eu 6 et non par 4. Et ça va jusqu'en 1997 ». Avez-vous
des informations qui permettraient de préciser ce que vous exposiez dans ce
rapport de janvier 1995 à propos de, comme auteurs ou comme responsables les
États étrangers et la communauté internationale ?
René DEGNI-SEGUI : Monsieur le
président, je ne faisais que débroussailler laissant le soin à d'autres de confirmer
les faits. S'agissant des États, je crois que vous avez eu vous-même ici une
commission qui a travaillé et qui a essayé d'élucider le point. De l'autre côté
et… enfin la commission était surtout pour voir la responsabilité en ce qui
concerne les Casques bleus, je vois, mais vous avez… quand je lis vos rapports,
il y a beaucoup de choses intéressantes qui approfondissent ce qu’on avait déjà,
ce qu'on a essayé de débroussailler. En ce qui concerne la France, ils ont eu
également leur mission, leur mission, et cette mission a abouti à retenir la
responsabilité sans la culpabilité de certains acteurs. Je pense que l'on n'a
pas encore fini de, d'élucider la question parce qu’il faudrait, et j'estime
qu'il faudrait une commission pour voir quels étaient les liens qu’il y avait
entre le président le témoin 32
et son équipe d'un côté et de l'autre les puissances étrangères aussi bien l'Etat
belge en tant que puissance tutélaire que la France en tant qu’ami d’le témoin 32. Je pense que cela doit être
élucidé.
L'ONU, en ce qui concerne l'ONU, je l'ai dit parce qu’au moment où
l'on tue les dix Casques bleus, il y a un retrait des forces pour ne laisser
qu’à peu près 260, 270 personnes. Et même lorsque la MINUAR II est décidée,
on met du temps à y aller. Je crois que là aussi, il y a une responsabilité
à rechercher du côté des Nations Unies. On a, à la suite de la commission belge,
il y a eu cette histoire de, je crois que c'est Jean-Pierre qu’il s'appelle,
cette histoire de Jean-Pierre.
Le Président : Un… oui, un informateur...
René DEGNI-SEGUI : Un informateur
qui avait des informations assez sûres mais qui demandait simplement une protection.
Cela n'a pas pu se faire. Ce qui veut dire que tout ce que Jean-Pierre avait
indiqué tout cela se réalisait. Et Jean-Pierre figure déjà dans le rapport de
la commission de 93. Et ça veut dire qu’il y a encore beaucoup à apprendre si
on veut fouiller et établir les responsabilités. Mais comme… encore une fois,
mon rôle n'est pas d'imputer les responsabilités à X et à Y, mon rôle c'était
juste de donner des pistes pour les recherches futures.
Le Président : D'autres questions ? Maître
WAHIS et puis Maître LARDINOIS
Me. WAHIS : Oui, Monsieur
le président, dans la ligne de ce qui vient d'être évoqué par le témoin, est-ce
qu'il pourrait nous rappeler la date à laquelle la commission des Nations Unies
lui a confié son mandat et nous faire part de son appréciation quant au caractère
tardif ou non de cette date par rapport aux événements ?
René DEGNI-SEGUI : Les événements
ont eu lieu le 25, le pardon le 6 avril, le 6 avril. Et la commission s'est
réunie à l'initiative du Canada et le mandat m’a été confié le 25 mai 1994.
Par la suite, lorsque j'ai établi mon rapport, l'on n'était pas semble-t-il
convaincu des conclusions, donc celle du génocide. Le rapport a été publié le
28 mai et le 1er juillet, le Conseil de sécurité…
Le Président : Ce n’est pas le 28 juin. ?
René DEGNI-SEGUI : Le 28 juin
94. Le 1er juillet, c’est-à-dire deux ou trois jours après, le Conseil de Sécurité
créait une commission d'experts pour aller ré-enquêter, contre-enquêter et c’est
ainsi que cette commission d'enquête s'est rendue sur les lieux. Mais pour répondre
à votre question, les Nations Unies ont assisté en spectateur dans un 1er temps
pour ensuite intervenir bien après.
Le Président : Oui. Maître LARDINOIS ?
Me. LARDINOIS : Je vous
remercie, Monsieur le président. Le témoin a dit tout à l'heure que pendant
les événements, une des mesures qui avait été prise avait été la fermeture des
frontières. J'aurais voulu savoir s'il pourrait donner plus de renseignements
à cet égard-là. Est-ce que c'était une fermeture radicale ou bien est-ce qu’il
y avait une certaine perméabilité, que certaines personnes pouvaient circuler
ou bien le fait de pouvoir sortir ? Est-ce qu'on pouvait sortir avec son
passeport ou bien est-ce que ne pouvaient entrer et sortir que certaines personnes,
et avec des autorisations tout à fait exceptionnelles ?
René DEGNI-SEGUI : Je crois qu'il
y a eu les deux. Il y a eu la fermeture mais surtout ce que j'ai voulu relater,
c'est le fait que lorsque les Interahamwe sentaient que les victimes fuyaient
pour échapper à la mort, allaient justement aux frontières pour les refouler
afin qu'ils n'échappent pas au génocide. C'est ce que je voulais dire.
Le Président : Vous ne parler donc pas,
je dirais, d'une fermeture par les autorités étatiques, l'empêchant de manière
absolue
René DEGNI-SEGUI : Non, pas dans
ce sens. Pas de manière absolue. Mais les Interahamwe en tout cas, et ça c'est…
Dans mon rapport de 80, pardon, dans mon rapport, de 94, le 1er rapport, je
l'indique, où les organismes des Nations Unies ont vu 80 personnes qui voulaient
traverser la frontière et les Interahamwe sont arrivés et quand ils sont arrivés
ils ont empêchés, et il n'y a que, d'après eux, il n'y a que dix personnes qui
a pu échapper, enfin, pas plus de dix personnes qui aient pu échapper aux massacres.
Et ça s’est produit dans d'autres endroits également.
Le Président : Une autre question encore
? Maître EVRARD.
Me. EVRARD : Je reviens à tout autre chose, c’est-à-dire, ce
dont nous parlions tout à l'heure, l'état de guerre ou la notion de crime de
guerre qui comporte cet élément est évidemment l'état de guerre. Et ma question
se porte aussi bien sûr le plan juridique, c’est-à-dire celui des Conventions
de l'ONU, que sur le plan de la situation de fait. Est-ce que vous pensez que
l'occupation d'une portion du territoire rwandais qui a commencé sauf erreur,
en octobre 1990 et qui semble ne pas avoir été interrompue jusqu'aux événements,
peut constituer finalement cet état de guerre et ce même à l'époque où il y
avait des cessez-le-feu depuis août 1992 et puis août 1993 malgré cette situation
de cessez-le-feu, est-ce que l'occupation d'une partie du territoire rwandais
par l'armée patriotique rwandaise peut constituer ou être un élément constitutif
parmi d'autres que vous avez soulignés tout à l'heure d'un état de guerre ?
René DEGNI-SEGUI : Vous voulez
parler d'un casus belli ? Le fait que ça soit là…
ça soit une cause de guerre ?
Me. EVRARD : Non. Que ça fasse partie de la guerre, de l'état
de guerre en tant que tel, l'occupation d'une portion de territoire, ce qui
était le cas sauf erreur, mais je vous interroge également sur ce point-là,
dans le Nord du Rwanda, l’APR a occupé une partie du sol rwandais semble-t-il
d'une façon continue depuis octobre 90.
René DEGNI-SEGUI : C'est ça. Oui.
Je vous ai dit tout à l'heure, j'ai dit tout à l'heure qu'il fallait bien distinguer
la période avant de celle qui nous intéresse. Par rapport à celle qui nous intéresse,
il n'y a plus d'occupation au moment où les événements se produisent, puisqu’il
y a eu des négociations, il y a eu un accord et l’on est d'accord que par le
futur les deux armées font désormais partie d'un même Etat. Dans ces conditions,
lorsque le 6 avril, à la suite de l'attentat de l'avion présidentiel les massacres
commencent, le lendemain, l’APR va rentrer dans la danse. A ce moment-là, l’APR
n'est pas une force d'occupation. Elle est bien une force nationale. Si c'est
bien de cela que vous voulez dire. Vous voulez parler.
Me. EVRARD : Mais je parle aussi bien d'une situation de guerre
non internationale, de conflit non international
René DEGNI-SEGUI : Oui. Là ce
n'est pas international puisque c'est la même armée.
Me. EVRARD : Oui. Donc, la
situation, sauf erreur, c'était qu’une portion du sol rwandais était occupée
dans le Nord par l'armée rwandaise, l'armée patriotique et de façon exclusive,
c’est-à-dire que dans cette portion du territoire, les FAR n'avaient aucune
prise, ne pouvaient pas rentrer sans créer une situation de conflit.
René DEGNI-SEGUI : Oui. Le problème
c'est quoi ? Est-ce que l’APR et bien en tant que, l’APR ne représente pas l'Etat
ougandais.
Me. EVRARD : Non non.
René DEGNI-SEGUI : Ce sont des
nationaux de l'Etat. Ça reste toujours un conflit interne.
Me. EVRARD : Oui. Et donc,
la question est alors : est-ce qu'on s’est trouvé en situation de guerre
à, donc en état de guerre, donc conflit non international pendant toute cette
période ?
René DEGNI-SEGUI : Il faut que
pendant cette période, si le conflit répond aux critères, au caractère dont
on a parlé, c’est-à-dire à un conflit armé avec une direction centrale et autres
avec attaque de la population civile, si c’est… vous ne voulez pas parler de
crimes de guerre, vous voulez parler d'une situation de guerre ? Il y avait
effectivement une situation de guerre avant. Et cette situation va… il y aura
une pause et à la suite des événements, la situation va reprendre. La situation
de guerre va reprendre. Mais avec cette différence qu’après elle, à la guerre,
viennent s'adjoindre les massacres.
Me. EVRARD : Bien. Mais je m'interrogeais sur la portée, sur
le plan juridique du fait qu’une partie du territoire échappe au contrôle de
l'état, c’est-à-dire des FAR, pour être sous contrôle exclusif de l'armée qui
n'est pas une armée étrangère, mais qui est une armée tout à fait étranger à
l'Etat, enfin étranger à l'Etat, dans la mesure où ce n'est pas l'Etat.
René DEGNI-SEGUI : Non. C'est
un problème ici d'effectivité. C'est un problème d'effectivité. Et au fur et
à mesure, tout dépend si l'effectivité est intermittente ou si elle est simplement
localisée. C’est un problème d'effectivité en ce sens que l'Etat qui est là,
l'Etat prétendu n'arrive pas à contrôler son territoire qui est occupé par une,
par des rebelles. Pour moi ce sont des rebelles. Ce ne sont pas une armée étrangère.
C’est une armée nationale. Ce n'est pas une armée étrangère. Ce sont des nationaux.
Ce sont des nationaux et vous savez le problème des réfugiés, le problème des
terres a été l'un des problèmes cruciaux dans les problèmes du Rwanda. Parce
que pendant un moment donné, le témoin 32 a dit qu'il n'y avait pas assez de
place pour tout le monde, les autres pouvaient y rester. Par la suite, ce sont
les mêmes personnes, ces personnes-là qui ont constitué l'essentiel de l'armée
pour attaquer et dans les Accords d’Arusha, il y a eu encore ce problème de
l'armée, ce problème des réfugiés. Alors, pour moi, ce que je dis, l'Etat doit
avoir l’effectivité et l'Etat se définit par l’effectivité. Un Etat qui ne contrôle
pas et qui avait milices ou des gens qui occupent une portion de son territoire
n'est pas digne d'un Etat. Il y a donc un problème d'effectivité international
qui s'est posé. L'Etat ne contrôlait pas l'ensemble du territoire, parce qu'il
y a eu une guerre. L'autre, les rebelles se sont réfugiés à cet endroit et par
la suite, il y a eu des négociations et on a repris la guerre civile.
Le Président : Oui ? Monsieur
l’avocat général ?
L’Avocat Général : Je voudrais simplement pour être tout à fait clair,
reprendre la définition que donne donc l'article 1er du deuxième Protocole additionnel
qui déclare donc qu'il s'agit de conflits armés non internationaux.
René DEGNI-SEGUI : Non international.
L’Avocat Général : « Qui se déroule sur le territoire d'une partie entre ses forces armées
et des forces dissidentes ou des groupes armés organisés qui sous la conduite
d'un commandement responsable exercent sur une partie du territoire un contrôle
tel qu’il leur permet de mener des actions militaires continues et concertée ».
Est-ce que c'était le cas au Rwanda à partir du 1er octobre 1990 donc, lorsque
le FPR a envahi par l'Ouganda le Rwanda et a occupé d'abord une petite partie
du territoire et puis après en 93, une plus grande partie du territoire ?
René DEGNI-SEGUI : Donc, c'est
la question que, c'est la question que vous reprenez ?
L’Avocat Général : Oui,
c’est la même question.
René DEGNI-SEGUI : Je pense qu’avant
90, tout dépend de la… et s’ il y avait des incursions à partir du lieu où ils
étaient. À partir du lieu où ils étaient, ils occupaient juste une portion du
territoire et il y avait les incursions, c'est la raison pour laquelle il y
a eu cette politique d'autodéfense. C'est seulement à partir du 6 avril que
la guerre s'est généralisée et où on peut parler justement et où on peut appliquer
l'accord de 49.
L’Avocat Général : Ça veut donc en dire, que d'après vous, le Rwanda
n'était pas en guerre à partir du 1er octobre 90 ?
René DEGNI-SEGUI : Je n'ai pas
dit cela. Je dis…
L’Avocat Général : Est-ce qu'il y avait une guerre à partir du 1er
octobre 1990 ? Est-ce qu'il y avait une occupation du territoire par le FPR
?
René DEGNI-SEGUI : Il y avait
une occupation du territoire.
L’Avocat Général : Bon. Est-ce que le FPR était organisé militairement
?
René DEGNI-SEGUI : Ils étaient
organisés militairement.
L’Avocat Général : Ils pouvaient faire des incursions organisées et
concertées dans le territoire ?
René DEGNI-SEGUI : Absolument.
Mais ils ne pouvaient pas, ils avaient quand même une portion et ils ne bougeaient
pas de cette portion.
L’Avocat Général : Mais l'article du 2e Protocole parle d'une occupation
d'une partie du territoire, ce qui était le cas à partir du 1er octobre 1990
?
René DEGNI-SEGUI : Oui. Mais ce
que je suis en train de vous dire à, ce qui rentrait dans ma mission, ce n'était
pas avant, c'était après. On est d'accord ? Ce qui était dans ma mission, ce
n'était pas avant, c'était après.
L’Avocat Général : Et votre mission était de voir s'il y avait eu
un génocide après les événements. Ça je suis d'accord.
René DEGNI-SEGUI : Mais non, mais
là, ce n'est pas un génocide.
Le Président : Mais ils ne sont pas poursuivis
pour génocide et ici.
René DEGNI-SEGUI : Il n'y a pas
un génocide là. Ça ne répond pas. Il faut bien distinguer les crimes de guerre
du génocide. Ce sont deux choses totalement différentes.
Le Président : Les accusés sont ici poursuivis
pour des crimes de guerre ?
René DEGNI-SEGUI : Oui. Mais non,
mais, comme il parle de génocide.
L’Avocat Général : Ce que je veux simplement établir, c'est que la
situation au Rwanda à partir du 1er octobre 1990 répond aux critères prévus
dans l'article 1er du 2e Protocole additionnel : Occupation du territoire
par une force armée dissidente ou rebelle comme vous dites avec possibilité
de faire des opérations militaires concertées. C'était bien le cas à partir
de la 1ère attaque du 1er octobre 90.
René DEGNI-SEGUI : Je crois qu'on
doit se comprendre. Vous m'avez appelé en tant qu'ancien rapporteur spécial
qui a fait un rapport sur une situation donnée. C’est par rapport à cette situation
que je vous réponds. En revanche, la situation antérieure, je ne l’ai pas...
Le Président : Vous n'avez pas enquêté
dessus.
René DEGNI-SEGUI : Je n'ai pas
enquêté dessus. Je ne peux pas vous répondre par rapport à cette situation.
Le Président : Une autre question ? Maître
EVRARD ? Plus de questions ? Je ne sais pas…
Me. EVRARD : Monsieur le président,
je pense qu'il y avait effectivement une confusion entre la mission de témoin
du témoin qui nous a bien précisé qu'il, apparemment, ne souhaitait pas répondre
en dehors de la période pour laquelle il a été consulté et donc, je n'ai plus
de questions. Même si au plan juridique je crois que la question est fondamentale
pour cette cour, et qu'il y a encore des précisions qui ne sont pas fournies.
Le Président : Et c'est une question de
fait. C'est une question pas de droit, mais de fait. Le droit n'étant jamais
tout à fait éloigné du fait. Mais...
René DEGNI-SEGUI : Le droit tire
sa substance du fait.
Le Président : Mais ça veut dire notamment
que ce sera au jury de répondre à la question. Parce que c'est du fait, qualifié
juridiquement.
Y a-t-il encore d'autres questions à poser au témoin ? S'il n'y en
a plus, les parties sont-elles d'accord pour que le témoin se retire ? Monsieur
DEGNI-SEGUI, encore deux questions : est-ce bien les accusés ici présents dont
vous avez voulu parler, ça c'est ce que dit notre loi, vous nous avez dit tantôt
que vous les connaissez pas, et ça signifie beaucoup plus simplement :
persistez-vous dans les déclarations que vous avez faites ?
René DEGNI-SEGUI : Absolument.
Je ne les connais pas.
Le Président : Et vous persistez
dans les déclarations que vous avez faites ici ?
René DEGNI-SEGUI : Oui. J'ai juré,
Monsieur le président.
Le Président : Oui, bien sûr. La cour
vous remercie pour votre témoignage vous pouvez disposer maintenant librement
de votre temps.
René DEGNI-SEGUI : Merci, Monsieur
le président.
Le Président : Bien, nous allons suspendre
l'audience et la reprendre à 13h30 ? Bon appétit. |