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6.3.18. Audition des témoins: le témoin 143 et commentaires
de Vincent NTEZIMANA et d’Eugène SEMINEGA
Le Greffier : La Cour.
Le Président : L’audience
est reprise, vous pouvez vous asseoir et les accusés peuvent prendre place.
Bien. Madame le témoin 143 ? Je demande le silence dans la salle.
Madame, quels sont vos nom et prénom ?
le témoin 143 : Je m’appelle
le témoin 143.
Le Président : Quel âge avez-vous ?
le témoin 143 : 37 ans.
Le Président : Quelle est
votre profession ?
le témoin 143 : Je suis
fonctionnaire.
Le Président : Quelle est
votre commune de domicile ?
le témoin 143 : Ottignies.
Le Président : Connaissiez-vous,
Madame, les accusés, ou l’un ou l’autre d’entre eux avant les faits qui leur
sont reprochés, c’est-à-dire, en gros, avant le mois d’avril 1994 ?
le témoin 143 : Oui, je
connaissais Vincent NTEZIMANA.
Le Président : C’est le seul
que vous connaissiez ?
le témoin 143 : Je connaissais
Alphonse HIGANIRO de réputation, mais sans plus.
Le Président : C’est ça.
Vous n’êtes pas de la famille des accusés ni de la famille des parties civiles ?
le témoin 143 : Non.
Le Président : Vous n’êtes
pas sous un lien de contrat de travail avec les accusés ou les parties civiles ?
le témoin 143 : Non plus.
Le Président : Je vais vous
demander, Madame, de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment
de témoin.
le témoin 143 : Je jure
de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité, et rien que la
vérité.
Le Président : Je vous remercie,
vous pouvez vous asseoir. Madame, vous avez dit, il y a quelques instants, que
vous connaissiez Vincent NTEZIMANA. Pouvez-vous expliquer à quelle époque vous
avez fait sa connaissance et dans quelles circonstances ?
le témoin 143 : Je connais
Vincent NTEZIMANA depuis octobre 1991, où je l’ai rencontré pour la première
fois, lors de la réunion de fondation de la section MDR Benelux, ici à Bruxelles.
A l’époque, il m’avait interpellée, parce qu’il était un des rares membres de
cette section, originaire de la préfecture de Gisenyi ; et j’avais remarqué
une forte indépendance d’esprit et, en tout cas, une absence d’esprit grégaire
par rapport à d’autres, originaires de la même préfecture. Je l’ai rencontré
encore une ou deux fois, entre octobre 1991 et mars 1992, date à laquelle moi,
je suis partie au Rwanda, où j’ai été enseigner à l’université nationale du
Rwanda. Je l’ai rencontré notamment lors d’une conférence de presse, qu’il avait
organisée avec la section MDR dans laquelle il défendait donc les positions
du MDR à l’époque. Donc, le MDR, c’est le Mouvement Démocrate Républicain, auquel
il appartenait à l’époque.
Je suis partie, moi, en mars 1992, au Rwanda, enseigner à l’UNR,
et je n’ai revu Vincent NTEZIMANA que lorsque lui est arrivé, c’est-à-dire à
la fin de l’année académique 92-93, où je l’ai croisé sur le campus. Et puis,
je l’ai revu en septembre 93, je revenais, moi, de vacances en Belgique. Je
préparais mon mariage et je me suis aperçue qu’il habitait juste en face de
chez moi. Réellement comme la… enfin… c’est une maison, ce sont des maisons
sur des collines. Le versant est comme ceci, ma maison est ici, la rue est là,
et la maison de Vincent NTEZIMANA était juste en contrebas. En 93, vers septembre
93, en fait, j’avais, étant donné mes liens avec mon époux, le témoin 42,
nous suivions de très près les dissensions qui avaient lieu au sein du MDR.
Le Président : Vous pouvez
expliquer qui est votre époux ?
le témoin 143 : Oui, euh… Hildebrand
le témoin 42, donc, c’est le beau-frère de l’ancien premier ministre, Faustin TWAGIRAMUNGU.
Il était membre du MDR, avait pris position très, très clairement pour la partie
Faustin TWAGIRAMUNGU du parti, donc, contre la tendance Power. Il y avait même
un article qui était paru dans un journal, le journal Isibo, qui est un journal
qui était considéré en général proche de la tendance TWAGIRAMUNGU.
Donc, nous suivions de tout à fait près, tous les déroulements et
toutes les évolutions des dissensions au sein du MDR et je me souviens, vers
septembre ou octobre, c’était juste après mon mariage, avoir interpellé Vincent
NTEZIMANA, pour voir un petit peu où il en était, puisque je savais qu’il avait
quitté le MDR. Et savoir un petit peu où il en était dans ses options politiques.
Et je l’ai fait un petit peu à la rwandaise, c’est-à-dire que je l’ai pris un
peu par la bande. Et je l’ai interrogé en lui demandant ce qu’il pensait de
la politique d’accès à l’école secondaire qui avait été développée par Madame
Agathe UWILINGIYIMANA, qui était ministre de l’enseignement primaire et secondaire
jusqu’en juillet 93, et qui, après, est devenue premier ministre. Et j’ai été
très étonnée de la réponse de Vincent à deux points de vue, pour deux choses.
La première, parce qu’elle était très directe. Elle est arrivée vraiment d’un
seul jet. Il m’a dit : « Mais, en fait, chez nous, - donc, dans sa
commune, dans la préfecture de Gisenyi - les paysans sont extrêmement contents
de cette politique ». Il faut savoir qu’auparavant au Rwanda, en fonction
de la politique pour l’équilibre ethnique et régional, tel que le régime d’le témoin 32
l’appelait, on donnait un certain nombre de places d’accès aux enfants qui terminaient
l’école secondaire, euh… l’école primaire, pardon, pour pouvoir accéder à l’école
secondaire.
Certaines communes, dont les communes de Gisenyi, avaient un quota
assez important de places. Et moi, je me disais : « Tiens, avec la
nouvelle politique d’Agathe UWILINGIYIMANA, sans doute que les gens originaires
de ces communes sont beaucoup moins heureux qu’avant, parce que leur nombre
de places s’est réduit ». Et la réponse de NTEZIMANA a été : « Mais
non. Les paysans de chez nous sont tout à fait heureux de cette position actuelle,
pour la simple raison que, aujourd’hui, un paysan qui a son enfant qui réussit,
qui est en première, deuxième, troisième position dans sa classe, est sûr de
voir son enfant accéder à l’école secondaire, alors qu’auparavant, en réalité,
les places étaient squattées par des enfants de gens qui étaient originaires
de la commune, mais qui habitaient Kigali et qui étaient des notables ou des
gens proches du régime ». Ca c’est une question, c’est une réponse qu’il
m’a donnée de façon très, très directe. Le même jour aussi, on a un peu discuté
de ce qui se passait au sein du MDR, il m’a expliqué ses positions. Il m’a expliqué
comment il ne se retrouvait plus au sein du parti. Il ne pouvait pas concevoir
de suivre la branche Power et il ne comprenait pas non plus… l’option que Faustin
TWAGIRAMUNGU avait prise. Il ne faisait pas… il n’arrivait pas à faire confiance
au Front patriotique.
Donc, il n’arrivait pas à faire confiance dans le fait que le Front
patriotique allait respecter les accords d’Arusha. Mais, par contre, il ne se
retrouvait pas dans la tendance Power et ne pouvait… et ne cautionnait en tout
cas pas du tout ce qui s’était passé lors du congrès de Kabusunzu, qui est un
congrès qui a eu lieu fin juillet 93 et qui a, en fait, scellé la scission du
parti MDR en une branche Power et une branche pro-Faustin, qu’à Kigali on appelait
Iyogi. Et, ne se retrouvant plus dans ce parti, il m’a expliqué qu’il a fondé
son propre parti, le PRD.
Comme nous ne nous voyions pas très régulièrement, en fait, on se
voyait lorsqu’on arrivait ensemble, lui sortant du bus des professeurs de l’université,
et moi, rentrant soit à pied soit en moto, on ne s’est pas revu énormément,
et je me souviens d’une autre fois où je l’ai un petit peu titillé également
pour savoir un peu ce qui se passait… comment il ressentait les choses. C’était
en février ou mars 94, la situation avait beaucoup, beaucoup… s’était beaucoup
détériorée. On en était, à l’époque où la CDR, donc le parti le plus extrémiste
que le Rwanda ait connu, faisait blocage pour la mise en place du gouvernement
de transition à base élargie et l’Assemblée nationale. En fait, le parti MDR,
plutôt CDR, avait refusé de signer la charte qui avait été proposée à la signature
des partis, qui était une sorte de charte de déontologie, notamment, qui parlait
du problème de l’ethnisme. Et la CDR avait strictement refusé de signer ce document.
Or, en mars, février-mars 94, la CDR souhaitait absolument avoir un député à
l’Assemblée nationale. Et elle était soutenue en cela par le parti du général
le témoin 32. Pourquoi ? Parce qu’avoir un député en plus, qui était de
son obédience, lui permettait d’avoir une minorité de blocage au sein de l’Assemblée
nationale. Et cela faisait un blocage complet pour la mise en place du gouvernement
et de l’Assemblée.
Alors, moi, j’ai posé la question un jour où je croisais Vincent.
Je lui ai demandé : « Est-ce que le PRD là aussi va faire un blocage
là à son tour ? ». Parce que je savais que le PRD n’avait pas signé
non plus cette charte. Mais il ne l’avait pas signée pour la simple raison qu’il
était né après la date de clôture de la signature de cette charte. Donc, il
n’avait pas eu la possibilité de signer cette charte. Et Vincent NTEZIMANA,
là encore, a répondu vraiment tout de go : « Mais non, c’est clair.
Il est clair que nous allons jouer le jeu de l’opposition pendant… à partir
de la mise en place du gouvernement de transition jusqu’aux élections »,
puisque les accords d’Arusha prévoyaient que les élections arrivent 22 mois
plus tard, après la mise en place du gouvernement de transition. Et il dit :
« Nous allons simplement nous présenter aux élections. Et si nous sommes
élus, il est clair qu’à ce moment-là, on signe la charte quand on pourra la
signer, et on sera… on aura un député si on a des élus ». Là-dessus, la
conversation s’est arrêtée parce que je travaillais également pour MSF Hollande
en plus et qu’on avait une réunion ce soir-là. J’ai dû partir. Et on ne l’a
plus reprise.
Donc, je connaissais Vincent NTEZIMANA avant les faits, mais il n’était
pas de nos amis ; certainement pas. A partir du 6 avril, en fait, les choses
se sont vraiment tout à fait bousculées. Nous avons appris la mort du général
le témoin 32, le 6 avril vers 23 heures. Des voisins nous ont téléphoné parce
qu’ils venaient d’entendre la nouvelle sur la radio internationale néerlandaise,
et nous avons passé toute la nuit au téléphone. On a essayé de joindre mon beau-frère,
Faustin TWAGIRAMUNGU. Je sais que mon mari a tenté de joindre le premier ministre
Agathe UWILINGIYIMANA. On a téléphoné à beaucoup de gens à Kigali. Certains
n’étaient pas encore au courant. D’autres étaient au courant.
Le lendemain matin, relativement tôt, nous avons reçu à la maison
un coup de téléphone anonyme, nous disant que nous serions tués la nuit d’après.
Dans la matinée, nous sommes encore restés tout le temps au téléphone. On a,
euh… et deux de nos amis sont passés à la maison. C’était un de mes collègues,
qui s’appelait Hyacinthe KAYISIRE. Il était Tutsi, membre du PL, il était professeur
dans la même faculté que moi. Et quelqu’un qui travaillait au service coopération
du rectorat, qui s’appelait Ephrem MUNYANKAKA, qui était connu pour être membre
du MDR du côté de TWAGIRAMUNGU. Les deux avaient fait la fête toute la nuit,
suite à la mort du général et ne se rendaient absolument pas compte… ils n’étaient
plus dans un état très serein, et ils ne se rendaient absolument pas compte
de ce qui allait arriver. Et on les a vraiment refroidis en leur disant :
« Mais, vous savez, ce qui se passe à Kigali, c’est vraiment grave ».
Mais on n’était pas encore vraiment en train de penser que ça pouvait arriver
à Butare. Tout le restant de la journée s’est à peu près passé comme ça, et
vers 17h30, nous avons enfilé quelques vêtements et pris nos papiers les plus
élémentaires, papiers de mariage, diplômes, et nous avons été dormir chez une
amie belge.
Et là, peut-être que c’est une anecdote, mais elle reflète bien le
climat que certaines personnes ont vécu. Nous étions dans le salon de cette
amie qui n’avait pas hésité à nous accueillir, sachant que nous étions menacés.
Elle a reçu un coup de téléphone d’une autre famille belge qui vivait à 200
m de là et qui venait, elle, d’être appelée par le propriétaire de leur maison
qui était un menuisier Tutsi, qui voulait venir chez eux passer la nuit pour
être en sécurité. Et ils avaient refusé. Et la dame expliquait à l’amie qui
nous accueillait que c’était trop dangereux d’accueillir des Tutsi. Et je vois
encore Michèle devant nous, répondre au téléphone : « Oui, oui, tu
as raison, c’est très dangereux d’accueillir des gens qui sont menacés »,
alors que nous étions face à elle. Mais il fallait donner le change ; nous
savions que nos téléphones étaient sur écoute. Nous en avions l’impression le
7, j’en ai eu la confirmation le 8 avril au matin. Donc, on a passé la nuit
chez cette amie, on est reparti le lendemain vers chez nous. Il y avait une
distance de 100, 150, 200 mètres maximum. Et, arrivés à la maison, l’ami que
nous avions laissé, qui habitait avec nous et en qui nous avions toute confiance,
qui s’appelle Jean-Bosco SEMINEGA, nous dit : « Il y a eu un autre
coup de téléphone ce matin. On a voulu vérifier si vous étiez là. J’ai réussi
à donner le change. J’ai dit que vous dormiez, etc. Mais manifestement, ils
ont cherché à savoir où vous étiez ».
Dans la matinée, on a continué à essayer d’avoir des coups de téléphone,
mais c’était de plus en plus alarmant, parce que de moins en moins de gens répondaient
à leur téléphone, et pour nous, un téléphone qui ne répondait plus, c’était
quelqu’un qui était mort. Et puis, vers le milieu de la matinée, j’étais en
communication avec un prêtre, ami de Gitarama, qui était en train d’essayer
de préparer l’évacuation de ma belle-sœur et de ses enfants vers Gitarama, et
j’ai entendu un bruit dans le téléphone qui était comme un bic qu’on tapait
sur une table. Je n’ai pas de bic ici, mais c’était vraiment typique. Et j’ai
dit à l’ami : « Tu te rends compte, ils ne se gênent plus maintenant.
Non seulement, ils nous écoutent, mais en plus ils font du bruit pendant qu’on
parle ». Et, instantanément, on a été coupé pendant plusieurs heures. Donc,
je savais qu’on était écouté. Dans l’après-midi, on a vu le premier mouvement
de voiture qui a eu lieu sur les deux journées, dans la rue et c’est une petite
Jeep qui a déposé deux soldats. Quand on était chez moi dans mon salon, il y
avait la rue qui était peut-être 20 mètres plus bas, pas plus, la maison de
Vincent NTEZIMANA était de l’autre côté de la rue à droite, et les soldats ont
été postés à un petit carrefour à 50, 80 mètres, à gauche.
Juste avant que les soldats n’arrivent, il y a un ami qui était venu
nous dire bonjour, qui avait pu circuler, un ami qui habitait quelques 80 mètres
plus bas que chez KARENZI. Il était venu nous dire bonjour, et on était très
embêté parce qu’il fallait ressorte, or, normalement, il y avait couvre-feu.
Donc, nous sommes sortis, nous sommes allés faire diversion chez les militaires,
discuter avec eux, on leur a offert une bière, enfin, pour qu’ils ne regardent
pas trop dans la direction où allait l’ami en question. Il est rentré chez lui.
Mais nous, en discutant avec les militaires, on s’est aperçu que c’étaient deux
personnes qui parlaient avec un très fort accent du Bushiru, c’est-à-dire la
région d’origine du président le témoin 32. Et on a eu peur. Vraiment très peur.
Tous les trois, moi, mon mari et notre ami Jean-Bosco, qui habitait à la maison.
Mais on est resté cette nuit-là, parce qu’avec les militaires devant la maison,
plus moyen de sortir pour aller dormir ailleurs.
Et, effectivement, vers 4 heures du matin, ils ont tenté de rentrer
dans la parcelle, et ils ont été repoussés par nos Zamus, donc nos gardiens ;
nos gardiens et les gardiens des voisins qui se sont vraiment entraidés. Le
lendemain matin, c’était le 9 au matin, à 6 h du matin, on a été réveillé par
un coup de téléphone du patron de l’Ibis qui voulait venir à la maison faire
une interview avec un journaliste de RFI qui s’appelle Jean HELENE. Ils sont
arrivés à 6h30. A ce moment-là, mon mari ne parlait pas du tout de partir. Il
refusait absolument de partir, et il disait qu’il pouvait rester, qu’il allait
rester, qu’il allait essayer d’aider les gens. Et moi, je me voyais mal partir,
mais il voulait que je parte en disant que, de toute façon, une Européenne, ça
se cache très difficilement, ce n’est pas du tout évident de circuler avec une
Européenne et en plus, une Belge, avec un passeport belge, ce n’était pas du
tout sûr. Mais Jean-Bosco SEMINEGA l’a pris vraiment, l’a empoigné et lui a
dit : « Mon vieux, moi je suis Hutu. Toi aussi, tu l’es. Mais moi,
je suis du Nord. Toi, tu es du Sud. Et je n’ai jamais fait de politique. Je
n’ai jamais pris de position officielle en politique. Toi, tout le monde sait
de quel bord tu es. Ne crois pas, ils vont venir, ne crois pas que je pourrai
faire quoi que ce soit pour t’aider ».
Ca, ça a fait beaucoup pour que mon mari se décide à partir. Et en
une demi-heure, on s’est décidé et on est parti. On est allé au rendez-vous
pris avec les autres Européens devant l’école française, là où on a eu un petit
laïus du chargé de la sécurité pour l’ambassade. L’ambassadeur nous faisait
le message en disant que, s’il s’avérait a posteriori qu’on était parti trop
tôt, donc, de façon à ce que ce soit pas justifié, nous pourrions être taxés
d’abandon de poste. On a beaucoup apprécié... Et donc, nous nous sommes mis
en branle, nous avons été, avec tout le convoi, nous avons stationné un long
moment dans la rue principale de Butare. Et dans cette rue principale, il y
a une salle qui s’appelle la salle polyvalente, dans laquelle se tenait une
réunion de sécurité. Mon mari, profitant de la longue halte, a tenté de contacter
les autorités qui étaient sur place. Il a contacté le major HABYARABATUMA, qui
était responsable du camp gendarme. Le major semblait un peu désemparé et attendait
un peu les ordres de Kigali pour savoir ce qu’il voulait faire, mais manifestement,
il voulait s’en tenir à sa mission de maintenir l’ordre. Et mon mari a contacté
également le préfet, Jean-Baptiste le témoin 32, qui était une connaissance à
nous. Et Jean-Baptiste le témoin 32 était très clair vis-à-vis de lui. Il lui
a dit : « Tu pars avec les blancs, parce que moi je ne pourrais jamais
rien faire pour toi ».
Alors, nous sommes partis. Nous sommes arrivés le soir, nous avons
croisé à la frontière, l’Akanyaru, deux convois. Un premier convoi était un
convoi d’officiels burundais qui venaient rechercher le corps de leur président
qui était mort dans le même avion que le président le témoin 32. Le deuxième
convoi était le convoi de la presse, où, bon, là, on peut vraiment attester
qu’on est passé à ce moment-là, on a été interrogé par plusieurs journalistes ;
RTB, Le Soir, VTM, il y a eu une photo de mon mari dans Knack également. Et
nous sommes arrivés le 11 avril à 4 heures du matin, à l’hôpital militaire.
Très rapidement, mon mari a repris contact avec les gens de l’opposition ici
et, le vendredi 15 avril, il a fait une conférence de presse avec les gens de
l’opposition, et il y avait une personne représentant le PSD, une personne représentant
le PL, et lui représentant le MDR, pour dénoncer les massacres qui étaient vraiment
plus qu’entamés, à ce moment-là. Et à peu près à la même date, vers le 15 avril,
nous avons eu les dernières nouvelles téléphoniques de Butare. Après, le téléphone
a été coupé et nous avons donc appris que Jean-Bosco avait été rejoint par un
autre ami qui s’appelait Louis Marie Grignon le témoin, qui était arrivé de
Butare chez nous pour se réfugier, qui était aussi quelqu’un de très connu comme
étant proche de la… enfin, appartenant à la mouvance Faustin TWAGIRAMUNGU.
Nous avons réentendu parler de Vincent NTEZIMANA vers octobre-novembre
94, où on a commencé à entendre des rumeurs concernant ce qui se serait passé
à Butare, etc. Bon, ce n’était qu’une rumeur ; donc, on n’y a pas prêté
plus d’attention que cela, sauf que ça concernait quelqu’un qu’on connaissait,
qui avait habité en face de chez nous. Mais nous repartions au Rwanda en décembre
1994, parce que je pense qu’après ce qui nous était arrivé, on avait besoin
de voir, besoin de retrouver ceux qui étaient vivants, etc. Et nous sommes repartis.
Dès notre arrivée à Kigali, on s’est rendu compte que les gens avaient vraiment
besoin de parler, de raconter, et ils racontaient, ils racontaient, ils racontaient...
A Kigali, nous avons retrouvé plusieurs personnes qui avaient été cachées chez
nous, dont Jean-Bosco SEMINEGA, qui racontait ce qui se passait et, dans les
conversations, les gens disaient vraiment, parlaient des gens qui avaient tué,
des gens qui avaient organisé, des gens qui avaient envoyé les gardes présidentiels
chez nous, etc. Mais jamais le nom de NTEZIMANA n’arrivait.
Alors, de temps en temps, on posait la question : « Et
NTEZIMANA Vincent, quoi ? ». Et la première réflexion de Bosco qui
a dit : « Non, Vincent, là, vraiment, il n’a rien fait, c’est clair ».
Et puis, il me dit : « Mais enfin, il a même caché des gens chez lui.
Il y a même eu une fois, enfin, il a été menacé, il a eu des problèmes parce
qu’il refusait de faire des rondes, il a dû partir à un moment… assez rapidement,
enfin vers le mois de mai ». Enfin, il semblait tout à fait clair et tout
à fait net. Là-dessus, nous descendons sur Butare ; nous sommes restés
deux jours à Butare, où nous avons logé. Là aussi, nous avons rencontré, retrouvé
quelques personnes qui étaient restées sur place et puis qui étaient là, dont
le recteur du mouvement de l’UNR, dont le docteur Emmanuel le témoin 130 et d’autres,
et chacun, on sentait ce même besoin de parler, de… de s’exprimer, de raconter,
et il donnait des noms de gens qui avaient organisé des massacres, qui avaient
tué, etc. Mais encore une fois, le nom de NTEZIMANA n’arrivait pas. Jamais.
Et lorsqu’on posait la question, les gens, vraiment, disaient : « Non ».
En tout cas, pas parmi les tueurs.
Donc, comme ce n’était qu’une rumeur, on n’a pas poussé plus loin,
donc on n’a pas, on n’était pas chargé de faire des investigations. C’était
vraiment par intérêt, parce qu’on connaissait la personne, c’est tout. On est
rentré, et on a, je crois que j’ai dû croiser Vincent NTEZIMANA, et je lui ai
dit : « Ecoute, à Butare, il n’y a personne qui cite ton nom. On voit
vraiment pas, je crois que ce ne sont vraiment que des rumeurs ». Puis,
peu après, il a été arrêté. On a été contacté, à ce moment-là, un peu après,
enfin, même assez longtemps après l’arrestation de Vincent par Bosco le témoin 150,
donc l’ami qui était resté à la maison, qui nous disait que le juge Damien VANDERMEERSCH
avait essayé du joindre, qu’ils s’étaient fixé un premier rendez-vous à l’hôtel
des Mille Collines. Mais lorsque Bosco est entré dans le hall de l’hôtel des
Mille Collines, il a vu que l’hôtel grouillait d’agents de la DMI - et donc
c’est le service de renseignements militaires rwandais actuel - et il a fait
demi-tour, parce qu’il a pris peur. Il semblerait qu’un autre rendez-vous ait
été fixé, mais qu’ils se soient loupés. Et puis, quelques mois encore se sont
passés et BOSCO nous a dit par téléphone, qu’effectivement, il avait rencontré
VANDERMEERSCH.
Peu après, l’épouse de Vincent NTEZIMANA nous a contactés par téléphone
en disant : « Effectivement, Bosco a été entendu ». Mais la déclaration
qu’il avait faite ne collait pas avec ce qu’il nous avait raconté, donc, ce
que nous avions raconté, lorsque nous avions été entendus par les enquêteurs.
Moi, je ne suis pas à la place de Monsieur le témoin 150, il fait la déposition qu’il
veut. Et il se fait qu’en novembre 95, je devais retourner au Rwanda pour enseigner.
Il y avait une bonne partie de cours que j’assumais qui n’avaient pas été pris
en charge et qu’il fallait assumer. Donc, je suis partie deux semaines dans
le cadre d’une mission avec le CGRI, donc le Commissariat Général aux Relations
Internationales de la Communauté française de Belgique. Et pendant ces deux
semaines, j’ai beaucoup circulé, ça s’est assez bien… j’ai circulé assez bien,
même avec un soldat du FPR collé à mes basques à peu près tout le temps et,
vers la fin du séjour, bon, Bosco le témoin 150 m’avait accueillie au départ, etc.
Mais je devais rejoindre Butare rapidement.
Et vers la fin du séjour, il se fait qu’on s’est retrouvé ensemble,
à deux dans une voiture. Je lui dis : « Tiens, comment ça s’est passé
avec le juge VANDERMEERSCH ? » Il me dit : « Ecoute, j’ai
eu des problèmes ». Je dis : « Qu’est-ce qui s’est passé ? ».
Il dit : « J’ai été menacé avant d’être entendu par le juge VANDERMEERSCH ».
Je dis : « Ah bon ? ». Il me dit : « Oui, j’ai
été menacé par le témoin 142 ». - qui était une personne qui avait
habité chez Vincent pendant le génocide « le témoin 142 m’a clairement
dit qu’il savait que le juge VANDERMEERSCH voulait l’interroger. Il a également
dit qu’il pensait bien que Bénédicte était derrière - donc, ça je suppose que
c’est moi que ça visait - et que Monsieur le témoin 150 avait tout intérêt à témoigner
dans le même sens qu’eux ». Et BOSCO m’ajoute : « Tu dois savoir
que le témoin 142 a un frère qui s’appelle Jean-Pierre », qui était
Interahamwe d’ailleurs, mais qui habite toujours Kigali, et dont la femme travaille,
il me dit, chez KAGAME, mais sans plus de précisions. Je dois dire que Jean-Bosco
le témoin 150, c’est vraiment une des rares personnes au Rwanda en qui j’avais toute
confiance. C’est vraiment quelqu’un en qui je pouvais confier ma vie. Et je
lui ai demandé : « Est-ce que tu aurais le courage, parce que je pense
qu’il faut du courage, de faire un papier expliquant que ton témoignage a été
fait sous pression, qu’il n’était pas libre ». Et il m’a dit : « Oui ».
Il a fait ce papier, et j’ai apporté ce papier, il est dans mon sac. Il dit,
en substance dans ce papier, qu’il ne faut pas tenir compte de sa déclara...
Le Président : Vous pouvez
le prendre. Dans la mesure où ce n’est pas votre témoignage, vous pouvez le
prendre, et même en donner lecture. D’après les meilleurs auteurs en tout cas.
le témoin 143 : Pardon ?
Le Président : D’après les
meilleurs auteurs sur la procédure en Cour d’assises.
le témoin 143 : Là, je vous laisse juge...
Jean-Bosco écrit : « Je soussigné, Jean-Bosco
le témoin 150, résidant actuellement à Kigali, République rwandaise, atteste, par
la présente, que la déposition que j’ai faite au juge d’instruction, Damien
VANDERMEERSCH, doit être considérée avec toute la réserve due pour un document
de cette nature, non signé, et fait dans des conditions de pression extérieure
et d’hostilité. En effet, je n’étais pas libre de la déclaration que je faisais
au sujet de Vincent NTEZIMANA, ayant subi, au préalable, des mesures d’intimidation
de la part de certains de ses détracteurs. Pour les mêmes motifs, je souhaite
que cette pièce ne soit pas versée au dossier, ni portée à la connaissance des
personnes précitées. Fait à Kigali, le 24 novembre 1995. Et signé ».
En fait, Jean-Bosco
m’a raconté un peu comment l’audition s’était passée. Il m’a dit que, dans un
premier temps, il avait été entendu par un enquêteur qui avait pris des notes,
et que, je ne sais plus si le lendemain ou le jour d’après, le juge Damien VANDERMEERSCH
était venu avec le papier, avec la déclaration dactylographiée, qu’il avait
refusé de signer cette déclaration, mais qu’il en avait pris une copie sur son
fax. Et il m’a dit : « Cette copie sur le fax, j’ai dû la montrer
à le témoin 142 pour attester du sens dans lequel j’avais témoigné ».
Je suis partie avec ce papier, plié en huit morceaux, caché dans ma petite culotte,
parce que j’avais peur de la douane. Et j’ai eu raison. J’ai passé, dans un
premier temps, la douane sans trop de problèmes. J’avais avec moi, outre mes
bagages personnels,
des copies d’examens d’étudiants que je n’avais pas eu le temps de corriger,
et que j’ai corrigées en revenant à Bruxelles. Et, j’avais sous le bras le PC portable de mon
beau-frère qui était premier ministre, qui avait été premier ministre jusqu’en août 1995, avec
toutes ses disquettes. Je passe la douane, dans un premier temps, sans problèmes.
Je dépose mes bagages sur le comptoir SABENA pour les peser.
A ce moment-là,
arrive dans mon dos, quelqu’un que je connais et qui a passé la majeure partie
du temps du génocide, dans ma maison. Il s’appelle Jean-Marie ITANGAYENDA, qui,
après le départ de mon beau-frère, est devenu chef des services de renseignements
du premier ministre. Et ce monsieur, que je n’avais plus revu
depuis, vient me dire bonjour et m’embrasser comme si, enfin, vraiment, il me
revoyait, etc., alors qu’on se connaissait très mal avant le génocide. Il me
dit bonjour, et puis il s’éloigne. Et dans les 7, 8 secondes qui ont suivi,
j’ai vu arriver des agents de la DMI, qui ont repris tous mes bagages et ont
commencé à fouiller. Et ils se sont intéressés tout d’abord aux photos que j’avais
été chercher chez mes beaux-parents pour les ramener à la famille, parce qu’ils
étaient partis vraiment sans rien, et ça leur faisait effectivement… bien plaisir
d’avoir des photos de leurs parents et de leurs cousins. Ils ont sorti des photos,
et manifestement le militaire qui me fouillait ne savait pas qui j’étais, ni
mes liens de parenté. Il a sorti des photos de mon beau-père en disant :
« Qui c’est ça ? ». Moi, j’ai répondu : « Ce sont des
photos de famille ». Evidemment, il a commencé à rigoler. Les photos représentaient
des Rwandais, et je n’ai pas la couleur locale.
Et puis, ils se sont aperçus que j’avais des papiers manuscrits.
C’étaient les copies des examens des étudiants. Et ils ont fouillé, fouillé,
fouillé, fouillé ces copies. Ils n’ont même pas fait attention au PC que je
portais. Je me suis rendue compte après, dans l’avion, de ce qu’ils cherchaient
réellement en fouillant des manuscrits. En réalité, ils étaient à la recherche
de listes, qu’on appelle « les listes des morts de Gitarama », qui
sont des listes qui ont été faites par des militants du MDR et des associations
des droits de l’homme dans la préfecture de Gitarama après, donc, entre juillet
et septembre 94, et qui sont des listes nominatives de gens qui ont été tués
par le Front patriotique, après le génocide. Ces listes, elles étaient déjà
sorties. Ce n’est pas moi qui les avais, et certains avocats des parties civiles
en ont même vu les originaux.
Quand je suis revenue à Bruxelles avec ce document, j’ai contacté
le juge Damien VANDERMEERSCH et j’ai été entendue. Je lui ai raconté, donc,
ce que je viens de vous raconter, ce que Bosco le témoin 150 m’avait dit, et je ne
lui ai pas montré le papier, je l’avais appris par cœur à ce moment-là, je lui
ai dit de mémoire ce que contenait le papier. Et je lui ai dit aussi que Bosco
le témoin 150 craignait pour son existence, réellement. Il craignait pour lui, en
raison des menaces qu’il avait subies. Je suis rentrée chez moi, et quelque
temps après, j’ai été informée par l’épouse de Vincent NTEZIMANA que Vincent
semblait être très effrayé pour Jean-Bosco SEMINEGA. Et je demande : « Pourquoi ? ».
Et l’épouse de NTEZIMANA m’explique qu’une commission rogatoire avait été envoyée
à Kigali, demandant de vérifier si Monsieur le témoin 150 avait bien été menacé.
Et cette commission rogatoire a été envoyée auprès de l’inspecteur de la police
judiciaire rwandaise. Donc, s’il avait bien été menacé, et si la belle-sœur
de ce monsieur qui l’avait menacé, travaillait bien chez KAGAME, comme je l’avais
dit.
Là, j’ai vraiment eu peur pour Bosco le témoin 150, et je l’ai averti,
je lui ai téléphoné. Et je lui ai dit : « Ecoute, là, il faut que
tu fasses quelque chose, il faut que tu prennes les devants. Il faut que tu
ailles au parquet à Kigali. Il faut que tu démentes ». Et je crois que
c’est ce qu’il a fait. Il est allé au parquet, et il a simplement dit que j’avais
raconté des craques. Grosso modo. Voilà, je pense qu’après ça, c’est à peu près
tout.
Le Président : Et à l’heure
actuelle, vous êtes disposée à verser le document au dossier ?
le témoin 143 : Oui, parce
que Monsieur le témoin 150 est mort, il y a presque deux ans.
Le Président : Eh bien, je
vais vous demander, Monsieur l’huissier, de bien vouloir, non pas saisir le
document… mais il faudra en établir des copies pour les parties, mais le document
va être joint au dossier en vertu de mon pouvoir discrétionnaire. Il y aura
des copies, mais je crois que la photocopieuse est en panne, au moins qu’il
y en ait une qui fonctionne ? Bien. Madame, pour le surplus, ce qu’on reproche
à Vincent NTEZIMANA et ce que vous en savez, c’est ce que lui-même a pu vous
rapporter comme explication ?
le témoin 143 : Non. C’est
surtout ce que je Jean-Bosco a pu me donner.
Le Président : Oui, ça c’est
une chose. Mais lorsque vous exposez dans les auditions qui ont été faites,
soit par le juge d’instruction, soit par la politique judiciaire, de ce que
Monsieur NTEZIMANA vous a expliqué, je ne vais pas vous demander de ré-expliquer
ce qu’il explique.
le témoin 143 : Oui, tout
à fait.
Le Président : Y a-t-il des
questions à poser au témoin ? Monsieur l’avocat général ?
L’Avocat Général : Oui, Monsieur
le président. Madame le témoin 143, je voudrais quand même bien comprendre, parce
que si j’ai bien compris, Monsieur le témoin 150, d’après vous, fait une fausse déclaration.
Puis, il vous fait un papier dans lequel il revient sur cette fausse déclaration,
et lorsque le juge d’instruction envoie une commission rogatoire pour lui demander
ce qu’il en est, vous lui téléphonez pour faire une fausse déclaration ?
le témoin 143 : Non. Je
crois qu’il faut reprendre l’histoire dans l’ordre chronologique. Monsieur le témoin 150
était menacé...
L’Avocat Général : Oui, mais j’ai
compris l’histoire. Vous avez téléphoné à Monsieur le témoin 150...
le témoin 143 : Non, non,
je pense qu’il faut prendre l’ensemble dans le contexte. On est dans ce pays,
qui n’est absolument pas démocratique...
L’Avocat Général : Je connais
le contexte. Je vous demande simplement de confirmer que, lorsque vous avez
eu vent de la commission rogatoire, vous avez pris contact avec Monsieur le témoin 150
et vous avez dit : « Il faut que tu démentes ».
le témoin 143 : J’ai pris
contact avec Monsieur le témoin 150 et je lui ai dit : « Tu dois prendre
les devants ».
L’Avocat Général : Alors, puisque
Monsieur le témoin 150 est mort, comme vous venez du dire, depuis plus de deux
ans, pourquoi attendez-vous l’audience d’aujourd’hui pour déposer ce document ?
le témoin 143 : J’ai attendu
en tout cas jusqu’à sa mort pour remettre le document, parce que ça, je le lui
avais dit. Je dois dire qu’aussi, je voulais protéger en partie sa famille.
Il se fait que son papa est mort, il y a quelques semaines. Et donc, il est
clair que...
L’Avocat Général : Dans le document,
Monsieur le témoin 150 demande, si j’ai bien compris, et je ne l’ai pas sous les
yeux, mais enfin, demande de ne pas donner connaissance aux intéressés, et de
ne pas en parler, alors qu’ici, en audience publique, vous en donnez connaissance.
le témoin 143 : J’en donne
connaissance, parce qu’il y a beaucoup de gens qui ont disparu, et de plus,
le, le contenu du document figure au dossier, puisque je l’ai déposé auprès
du juge d’instruction. J’ai été entendue auprès du juge d’instruction, et j’ai
donné le contenu de ce document.
L’Avocat Général : Vous n’avez
pas déposé le document, puisque vous le déposez maintenant.
le témoin 143 : Je suis
d’accord, mais j’ai donné l’entièreté du contenu du document.
L’Avocat Général : Bon, une autre
question. Vous avez situé donc, votre époux. Vous avez dit, donc, qu’il est
le beau-frère de TWAGIRAMUNGU. Mais votre époux est aussi le fils de l’ancien
président le témoin 42.
le témoin 143 : Tout à
fait, qui est décédé en 76.
L’Avocat Général : Vous avez aussi
dans votre déclaration, fait état du fait qu’on vous a confirmé, à Butare, l’existence
de listes établies pour évacuer des personnes, que cette… que Monsieur le témoin 61
vous en a parlé notamment. Vous pouvez confirmer cela ?
le témoin 143 : Oui, oui,
on m’a parlé de ces listes d’évacuation à Butare, et c’est effectivement, entre
autres, Monsieur le témoin 61 qui m’en a parlé.
L’Avocat Général : Alors, j’ai
dans votre déclaration, une phrase qui m’interpelle un peu. Donc, vous êtes
sur place et vous dites, donc, on parle de l’évacuation des professeurs Tutsi
de l’université, et je cite : « C’est normal qu’ils - donc, ces professeurs - voulaient quitter un endroit où ils étaient « étrangers »,
et où, par conséquent, ils ne pouvaient pas trouver refuge parmi la population ».
le témoin 143 : Là, je
ne parlais pas pour les professeurs Tutsi, je parlais de l’ensemble. Et je pense…
L’Avocat Général : Vous parliez
de qui ?
le témoin 143 : …mais j’ai
été entendue, il y a très longtemps, ça aussi. Je pense que je parlais des autres
professeurs qui n’étaient pas originaires de la zone de Butare, et pas seulement
les Tutsi.
L’Avocat Général : Bon. Alors,
je vais relire le passage.
le témoin 143 : Oui, oui,
je vous en prie.
L’Avocat Général : « Toujours
selon Vincent, la demande initiale d’évacuation émanait de plusieurs professeurs,
dont notamment KARENZI Pierre-Claver, et le prénommé Denis, directeur du personnel… »
le témoin 143 : Qui n’était pas Tutsi.
L’Avocat Général : « C’est
normal qu’ils voulaient quitter un endroit où ils étaient étrangers ».
le témoin 143 : Oui, eh
bien, Denis, directeur du personnel n’était pas Tutsi et était originaire de
Gisenyi.
L’Avocat général : Oui, mais bon,
il ne s’agit pas uniquement de Denis. Ce n’est pas lui seul…
le témoin 143 : Non, non,
mais cette demande émanait de plusieurs professeurs. Et en fait...
L’Avocat Général : Est-ce que
c’était ça le sentiment qui régnait à Butare, que les Tutsi étaient des étrangers ?
le témoin 143 : Non, ce
n’est pas ce que j’ai dit. J’ai bien dit que c’est l’ensemble des professeurs
qui n’étaient pas originaires de la préfecture, et je vais vous donner un exemple.
Je vais vous expliquer pourquoi. Lorsque GATWAZA Félicien a été assassiné en
février, il y a eu des émeutes, les paysans originaires de Save sont descendus
sur Butare, ils ont fait des barrages. Et les professeurs qui étaient originaires
du Nord, notamment, se sont réellement sentis menacés par ces barrages. Les
gens étaient vraiment agressifs vis-à-vis des gens, et moi-même, je n’ai passé
ces barrages parce que j’avais, avec moi, sur ma moto, un professeur Tutsi originaire
de Butare qui m’a aidée à passer, en dialoguant avec les paysans. Et donc, ces
gens, ces professeurs, qui étaient originaires de Gisenyi, de Ruhengeri, de
Kibuye, de Cyangugu, de Kibungo, ne se sentaient pas chez eux à Butare. Ces
gens, en fait, ne pouvaient pas trouver dans la population ou, en tout cas,
ne pouvaient pas trouver suffisamment de ramifications chez les paysans pour
chercher des cachettes. Et c’est sans doute pour cela qu’ils ont demandé à partir.
L’Avocat Général : C’est là que
vous devrez donc dire que des professeurs qui se sentaient chez eux à Butare,
parce qu’ils étaient de la région, auraient survécu ?
le témoin 143 : Ils avaient
en tout cas plus de possibilités de trouver des cachettes, étant de la région.
Et, je pense que la preuve en est…
L’Avocat Général : Mais le résultat
est le même…
le témoin 143 : …ce même
professeur Hyacinthe KAYISIRE, qui m’a aidée à passer ces barrages, il était
originaire de Butare. Tout proche, il s’est caché chez des paysans, il a circulé,
et il n’a été finalement découvert, malheureusement, qu’en juin.
L’Avocat Général : Alors, une
dernière question. En fin de votre déclaration, vous déclarez que, enfin, on
vous demande si Monsieur NTEZIMANA avait des contacts avec des militaires. Et
vous avez confirmé que vous aviez d’ailleurs tous contacts avec des… que vous
aviez tous des amis militaires et que Vincent NTEZIMANA, étant originaire de
Gisenyi, ne pouvait pas ne pas connaître des militaires, vu la composition à
forte majorité du Nord de l’armée. Vous confirmez ?
le témoin 143 : Absolument.
L’Avocat Général : Est-ce que
vous connaissez un militaire qui se nomme Ildephonse NYZEYIMANA ?
le témoin 143 : Je ne le
connaissais pas à Butare à l’époque. J’en ai beaucoup entendu parler après.
Le person… le militaire qui nous semblait, à nous, le plus dangereux à l’époque,
et je m’étonne que personne n’en parle aujourd’hui, c’est un lieutenant du camp
Goma du nom de HATEGEKIMANA.
L’Avocat Général : Pas d’autre
question.
le témoin 143 : Par contre,
nous avions des contacts avec le Major Cyriaque HABYARABATUMA, qui était de
la gendarmerie…
Le Président : C’est la gendarmerie, cela…
le témoin 143 : …qui était
de la gendarmerie, mais qui était un des plus hauts gradés sur Butare. Et en
fait, nous avions demandé contact avec lui, parce qu’une de mes nièces, une
fille de Faustin TWAGIRAMUNGU, était à l’école à Save à quelques kilomètres.
Et nous avion pris les devants vis-à-vis de Cyriaque HABYARABATUMA, pour que,
en cas de problème, Cyriaque envoie une patrouille pour aller chercher l’enfant
à l’école et nous l’amène à la maison.
L’Avocat Général : Monsieur Cyriaque
HABYARABATUMA, c’était le commandant de place ?
le témoin 143 : Je ne sais
pas s’il avait le grade de commandant de place. Il était commandant du camp
gendarmerie.
L’Avocat Général : Il était major-gendarme.
le témoin 143 : Il était
major-gendarme, tout à fait. Mais est-ce que le commandant de place n’était
pas un militaire ? Je pense…
L’Avocat Général : Ce n’est pas
lui qui a été déplacé pratiquement en même temps que le préfet HABYARIAMANA ?
le témoin 143 : Cyriaque
HABYARABATUMA a été muté assez rapidement effectivement. Mais le préfet, lui,
a été tué, il me semble.
L’Avocat Général : Pas d’autre
question pour l’instant.
Le Président : Maître HIRSCH ?
le témoin 143 : Merci,
Monsieur le président. Est-ce que vous pouvez demander au témoin quand elle
est arrivée à Butare en 93 ?
le témoin 143 : Je suis
arrivée à Butare le 25 mars 1992.
Me. HIRSCH : A cette époque-là,
Monsieur NTEZIMANA n’était pas son voisin, puisqu’il est arrivé plus tard.
le témoin 143 : Il est
absolument arrivé plus tard. Dans la maison qu’a pris Monsieur NTEZIMANA, par
après, vivait à l’époque un couple belgo-chinois-américain, qui travaillait
pour l’université Johns Hopkins, je pense.
Me. HIRSCH : Est-ce que le témoin
sait qu’avant de déménager en face de chez elle, Monsieur NTEZIMANA avait vécu
chez le capitaine NIZEYIMANA ?
le témoin 143 : Non, je
l’ignorais.
Me. HIRSCH : Merci.
le témoin 143 : Monsieur
NTEZIMANA ne faisait pas partie de mes fréquentations régulières, hein. Donc,
ce n’était pas un ami à ce moment-là.
Me. HIRSCH : Deuxième question,
Monsieur le président, si vous le permettez. Le témoin a déclaré dans une de
ses dépositions qu’elle avait connaissance de listes qui avaient été établies
en janvier 1994 ; le comité de sécurité de Buye avait établi des plans
de la cellule de Buye, avec les habitations, le nombre d’occupants et leur identité ;
le but avoué à l’époque, était d’organiser le système de sécurité, etc. Est-ce
que le témoin qui parle de cela à propos des listes d’évacuations dont Monsieur
NTEZIMANA lui a parlé, peut-elle se rappeler de cela ?
Le Président : Je ne pense
pas que ce soit présenté comme ça dans l’audition du témoin.
le témoin 143 : Il ne s’agit
pas du tout des mêmes listes, hein.
Me. HIRSCH : Non, non, mais je
sais. Je pose la question.
Le Président : Vous pouvez
confirmer qu’en janvier 1994, une sorte de recensement et de plan avaient été
dressés.
le témoin 143 : Alors,
à l’époque, en janvier 94, il y avait de plus en plus d’attaques par des bandes
de… de brigands, hein. Et effectivement, il y a eu des réunions de sécurité
qui ont été organisées dans le quartier. Elles étaient présidées par le bibliothécaire
de l’université. Et tout le quartier s’est organisé pour payer des Zamus, donc
des veilleurs qui veillaient à différents points du quartier. A l’époque donc,
nous nous cotisions pour payer ces veilleurs, et la personne qui était chargée
de récolter ces cotisations était le professeur le témoin 9. Donc, ça c’est
quelque chose, mais vraiment qui a visé tout le monde. Et tout le monde y participait.
Et il n’y avait pas de contraintes, c’était vraiment un problème de sécurité
face à du brigandage. Je pense que, si après, on a utilisé ces plans-là pour
en faire autre chose, c’est possible. Mais je me suis toujours étonnée d’une
chose, c’est pourquoi fallait-il absolument faire des réunions et faire des
listes, alors qu’en réalité, toutes ces données existaient à l’université ?
Au niveau de l’administrateur trésorier adjoint, au niveau du secrétaire général
adjoint, on avait toutes les données.
On avait toutes les données concernant les origines des gens, et
donc leur ethnie, toutes les données concernant leur habitation, et les plans,
puisque les maisons appartenaient à l’université, etc. Et qu’en plus, Butare
était une petite ville où tout le monde se connaissait, a fortiori dans le corps
académique, et où tout le monde savait pertinemment bien ce que les autres pensaient.
C’était une ville, c’est très difficile à imaginer quand on habitait, par exemple,
Kigali, où les gens parlaient peu. Mais Butare était une ville où les gens n’hésitaient
pas à vraiment dire ce qu’ils pensaient, et en face. A titre d’exemple, je me
souviens d’une soirée dans le courant du mois de mars 94, où j’étais à la terrasse
de l’Ibis, avec le Docteur Emmanuel le témoin 130 et, je ne me souviens plus
de qui, mais il y avait une autre personne avec nous, et est arrivé à la table,
le ministre Casimir BIZIMUNGU, qui est quand même quelqu’un dont le nom apparaît
parmi les noms des escadrons de la mort depuis les rapports qui ont été faits
par la commission d’enquête Rwanda depuis longtemps, notamment en janvier 93,
et Séraphin BARARENGANA, qui était le frère de Juvenal le témoin 32, président
de la République. Et je me souviens bien que nous n’avions, mais, vraiment pas
peur, ni Emmanuel le témoin 130, ni moi, de dire notre fait à ces deux personnes,
qui étaient assises en face de nous, et de leur dire, vraiment, qu’on ne pouvait
pas tolérer qu’on tue les gens, qu’on intimide, que… et ça se disait. Quand
j’y pense maintenant, on était complètement cinglé de dire ça. De leur dire
comme ça. On prenait des risques fous. Parce que je sais maintenant ce qui s’est
passé après. Je l’ignorais à l’époque. On était avant.
Le Président : Madame, vous
posez effectivement des questions à propos de listes que l’on aurait faites
alors qu’il y en avait, qui existaient toutes faites, je dirais, hein. Vous
posez des questions, vous disant : « Mais à Butare, au fond, c’est
une petite ville, et tout le monde, ou pratiquement tout le monde se connaît ».
Mais, n’avez-vous pas dit que les deux militaires que vous aviez vus dans votre
quartier n’étaient pas des gens de Butare ?
Bénédicte VAN CUSTSEM : Tout à
fait.
Le Président : Et donc, quand
on n’est pas de Butare, même quand on a une liste de noms, est-ce qu’on sait
où habite cette personne ?
le témoin 143 : Non, c’est
sûr. Mais les deux militaires ne dépendaient pas de l’université. Donc, ils
dépendaient manifestement du camp Goma, ils venaient de là. Donc…
Le Président : Donc, si des
personnes étrangères à Butare étaient à la recherche de personnes à tuer,
n’avaient-elles pas besoin aussi dans Butare, pas seulement de listes, mais
de personnes qui pouvaient leur indiquer les endroits où se trouvaient les personnes
sur les listes ?
le témoin 143 : Elles avaient
certainement besoin de ce type de personnes, c’est clair. C’est évident. Mais
les listes étaient déjà, enfin… les listes, si listes il y avait, les données,
existaient.
Le Président : Bien. Oui,
Maître HIRSCH ?
Me. HIRSCH : Encore une dernière
question, Monsieur le président. Le témoin a déclaré qu’elle avait rencontré
un témoin direct de l’assassinat de Monsieur KARENZI, qui lui avait raconté
comment les choses s’étaient passées. Est-ce qu’elle peut nous donner plus de
précisions, puisque ce témoin apparemment a refusé de témoigner.
le témoin 143 : Oui, c’est
une des personnes qui étaient chez moi à la maison, qui effectivement m’a dit
qu’elle ne témoignerait jamais et qu’elle ne voudrait jamais témoigner. Je pense
que c’est quelqu’un qui a encore beaucoup de famille au Rwanda, et qui m’a dit
effectivement, que Monsieur KARENZI avait été tiré de sa voiture devant le Faucon.
Ca, c’est ce qu’elle m’a dit. Monsieur KARENZI.
Le Président : Oui, vous
pouvez intervenir…
Me. HIRSCH : Monsieur le président,
ce n’est pas ça que le témoin avait déclaré. Que ce n’était pas devant
le Faucon que Monsieur KARENZI avait été tué, mais...
le témoin 143 : Dans mon
souvenir, c’est là, mais je peux peut-être m’être trompée, effectivement. Ca
fait 6 ans, hein, que j’ai fait cette déclaration.
Me. HIRSCH : Donc, ce témoin était
une des personnes qui se trouvaient chez Madame le témoin 143, à l’époque des faits ?
le témoin 143 : Je pense
bien que, si, si… enfin, comme je n’ai évidemment pas donné le nom dans la déclaration,
et que c’est vraiment une chose à laquelle que je n’ai plus pensé, cela fait
6 ans, je pense qu’effectivement, il s’agit bien de quelqu’un qui était chez
moi. Dans mon souvenir, il s’agit bien de quelqu’un qui était chez moi, oui.
Le Président : Vous avez
exposé à l’époque, hein, pour vous rafraîchir la mémoire, parce qu’effectivement
ça fait longtemps, vous étiez en contact avec un Rwandais de passage en Belgique
qui habitait la cellule de Buye, commune de Goma, pendant les massacres. Vous
dites que cette personne a refusé, et refuse toujours, au moment où vous faites
votre déposition, il y a six ans...
le témoin 143 : Oui, alors,
je confirme que c’était bien quelqu’un qui était chez moi.
Le Président : « Cette personne m’a raconté avoir
été témoin direct de l’assassinat de Monsieur KARENZI, et ce sur la parcelle
de l’Institut catéchétique africain ? ».
Bénédicte VAN CUSTEM : Alors,
là il y a une erreur, ce sont les enfants de Monsieur KARENZI. Cette personne
m’a raconté avoir vu la mort des enfants de Monsieur KARENZI. Il est possible
que j’aie fait une erreur en faisant la déclaration.
Le Président : Vous expliquez,
donc, « cette personne m’a raconté d’avoir été témoin direct de l’assassinat »,
d’après le procès-verbal, hein, « de Monsieur - ou de Maître
- KARENZI », et ce « sur la parcelle de l’Institut Catéchétique
Africain (ICA), ce qui est la parcelle située en face, de l’autre côté de la
rue de celle de KARENZI ».
le témoin 143 : Oui, tout
à fait, mais il s’agit bien des enfants. Et il m’a raconté effectivement la
mort des enfants.
Le Président : Et qu’est-ce
qu’il vous a dit à propos de la mort des enfants ?
le témoin 143 : Il m’a
dit qu’il avait vu les enfants emmenés vers l’ICA et que, quelques jours plus
tard, je ne sais plus exactement, c’était vraiment pas très précis, qu’il avait
vu la mort des enfants. Comme il ne voulait pas témoigner...
Le Président : Est-ce qu’il
vous a dit si les enfants avaient été fusillés ?
le témoin 143 : Non, il
ne m’a pas dit.
Le Président : Il ne vous
a pas précisé la manière dont ils avaient été tués ?
le témoin 143 : Non.
Le Président : Est-ce qu’il
vous a dit qu’il y avait les trois enfants, qu’il y avait… ?
le témoin 143 : Non, il
ne m’a pas dit.
Le Président : D’autres questions ?
Me. HIRSCH : Une dernière question,
Monsieur le président.
Le Président : C’est un peu
comme à la roulette, on essaie encore une fois.
Me. HIRSCH :
Pardon ?
Le Président : On se dit :
« Est-ce qu’on tente la chance ou pas ? ». Allez-y, Maître HIRSCH.
Me. HIRSCH : Enfin, moi je suis
un petit peu surprise par ce témoignage. Nous avons toujours souhaité savoir
ce qu’il était advenu des enfants de la famille KARENZI et nous apprenons aujourd’hui
qu’un témoin direct des faits a raconté au témoin ce qu’il s’était passé. Alors,
est-ce que ce témoin a été présent ? Est-ce qu’il y aurait participé, ce
qui expliquerait qu’il ne veut pas témoigner ?
le témoin 143 : Il m’a
dit qu’il avait vu.
Le Président : C’est marqué
ici, hein, dans la déposition : « D’après ce qu’il m’a dit, ce témoin
passait par-là et a vu l’affaire ».
Me. HIRSCH : Ce qui est marqué
ne correspond pas à la réalité, Monsieur le président, puisqu’on parlait de
la mort de KARENZI, et qu’on apprend maintenant que c’est la mort des enfants.
Alors, est-ce que le témoin ne peut pas nous dire exactement ce que ce témoin,
qui désire garder l’anonymat, et qui est toujours vivant, si je comprends bien ?
le témoin 143 : Je pense
que oui.
Me. HIRSCH : …ce que ce
témoin a raconté précisément à Madame le témoin 143.
le témoin 143 : Je crois
que je l’ai dit dans ma déposition.
Me. HIRSCH : Non.
le témoin 143 : J’ai dit
tout ce qu’il m’a dit à ce moment-là.
Le Président : Cette personne
vous a dit avoir été témoin de la mort des enfants KARENZI…
le témoin 143 : Des enfants.
Des enfants.
Le Président : …et non pas
de Monsieur KARENZI, sans vous donner aucune précision quant aux auteurs de
ce meurtre ou de cet assassinat, sans vous dire la manière dont ce meurtre ou
cet assassinat se serait déroulé, sans vous dire…
le témoin 143 : Il m’a
juste dit le lieu…
Le Président : …dire le moment
où cela se serait passé ?
le témoin 143 : Il
m’a juste donné le lieu, l’ICA.
Me. HIRSCH : Alors, une toute
dernière question, Monsieur le président : le témoin sait-elle que Monsieur
Jean-Bosco SEMINEGA - dans la déclaration qui a été confirmée devant le juge
d’instruction, comme Monsieur le juge d’instruction l’a dit devant cette Cour
- sait-elle que Monsieur Bosco n’a jamais chargé Monsieur NTEZIMANA. Jamais.
le témoin 143 : Je n’ai
jamais vu les déclarations de Monsieur le témoin 150.
Me. HIRSCH : Ah…
le témoin 143 : Donc, j’en
ai eu des ouï-dire, donc, ce que lui m’a dit avoir dit. Et effectivement, il
m’a dit qu’il avait essayé d’esquiver, de ne pas charger, mais en tout cas,
qu’il n’avait pas eu la liberté de pouvoir dire réellement que, selon lui, Monsieur
NTEZIMANA n’avait rien commis de répréhensible.
Me. HIRSCH : La seule chose, Monsieur
le président, qui pourrait intéresser le jury, je pense qu’on lira probablement
la déclaration de Monsieur le témoin 150 ultérieurement…
Le Président : Que je sache,
il n’est pas cité comme témoin, donc, ce n’est en tout cas pas moi qui lirai
sa déclaration. Ca ne nous empêchera pas, éventuellement, en temps opportun,
notamment au moment de votre plaidoirie, si vous le souhaitez, de faire connaître
au jury d’autres éléments que les éléments qui sont les témoignages.
Me. HIRSCH : Monsieur le président,
peut-être que, tout de même, je ne sais pas, si en vertu de votre pouvoir discrétionnaire,
il ne serait pas intéressant pour le jury qu’il prenne un moment connaissance
de cette déclaration, puisque Monsieur le témoin 150 est décédé, nous l’apprenons,
depuis deux ans, c’est évidemment difficile de l’appeler comme témoin. Mais
je voulais simplement relever que la seule chose qui peut-être nous intéresse
ici, c’est que Monsieur Jean Bosco le témoin 150 a déclaré qu’il a vu Monsieur NTEZIMANA
une seule fois au cours des événements qui ont suivi le 19 avril et que ça n’était
pas le 21.
Le Président : D’autres témoins
ont dit le contraire, aujourd’hui notamment.
le témoin 143 : Et il m’avait
dit le contraire également. Il m’a dit qu’ils se voyaient régulièrement.
L’Avocat Général : Oui, Madame
le témoin 143, vous avez dit que vous avez reçu un coup de fil anonyme au mois
d’avril, donc, lorsque les événements ont éclaté, disant que les massacres allaient
débuter à Butare dans la semaine suivante. Ce n’est pas exact non plus ?
le témoin 143 : Vous ne
m’avez pas entendue convenablement. J’ai dit que nous avons reçu un premier...
L’Avocat Général : Je ne vous
ai pas entendue du tout...
le témoin 143 : Je dis
que…
L’Avocat Général : Moi, je lis
ce que vous avez déclaré, mais bon, apparemment… ou bien les enquêteurs ne savent
pas taper…
le témoin 143 : Ah, oui. Non, il
s’agit effectivement d’un autre coup de fil anonyme.
L’Avocat Général : …ou bien
ils ne savent pas écouter. Je vais vous lire ce que vous avez déclaré…
le témoin 143 : Non, je
suis d’accord. Effectivement, à l’époque… maintenant je me souviens, mais je
vous dis, ça fait 6 ans que j’ai déployé, il y a un autre...
Le Président : Pas de commentaires
dans la salle !
le témoin 143 : …j’ai reçu
un autre appel téléphonique dans la journée du 7 en disant qu’effectivement
les massacres allaient débuter. Mais je pensais en fait au coup de fil anonyme
dont je vous ai parlé tout à l’heure, qui date, le premier, du 7 au matin, qui
nous disait que nous allions être attaqués la nuit du 7 au 8.
L’Avocat Général : Je lis notamment :
« Nous avons été menacés à plusieurs reprises, notamment
via un coup de fil anonyme qui nous avertissait du début des massacres à partir
de la semaine suivante à Butare, et qui nous précisait que nous serions parmi
les premiers à y passer ». Donc, le coup de fil anonyme vous a avisé
que les massacres allaient commencer la semaine d’après.
le témoin 143 : Comme le
coup de fil du matin nous avait avisés que nous serions attaqués dans la nuit
du 7 au 8.
L’Avocat Général : Alors, une
autre question. Vous dites que, je ne sais pas pour quelle raison vous
et votre mari étiez des cibles privilégiées. Vu, d’une part, que vous dites
que la mémoire du président le témoin 42 avait toujours un grand effet sur la population,
et que, d’autre part, votre époux faisait partie à ce moment-là du MDR, et est
actuellement encore membre du MDR et a été réélu au secrétariat préfectoral
de Gitarama ; donc, pourquoi étiez-vous des cibles privilégiées ? Et je
n’invente pas, moi, je me borne à lire des déclarations que j’ai en ma possession,
pas depuis deux ans, qui sont dans le dossier du juge d’instruction VANDERMEERSCH.
le témoin 143 : Nous étions
visés en raison de l’option que mon mari avait prise de suivre la partie du
MDR qui était celle, enfin, l’option par le premier ministre désigné Faustin
TWAGIRAMUNGU. Mon mari avait pris position très clairement. Il avait fait publier
un article dans le journal Isibo, dans lequel il expliquait ses positions, et
il avait participé à un certain nombre de meetings de la tendance MDR Faustin
TWAGIRAMUNGU, notamment le dernier meeting, celui du 20 février 94 à Nyamirambo,
où nous avons eu la voiture qui a été abîmée, etc. dans les émeutes, et on a
dû évacuer le stade de Nyamirambo sous la protection de la MINUAR. Pour ma part,
j’ai été visée en raison de mes liens avec lui, mais également sans doute en
raison du fait que j’avais énormément d’amis parmi les Tutsi et parmi mes collègues
Tutsi. Je pense que les collègues, avec lesquels je m’entendais le mieux dans
mon département, étaient effectivement des Tutsi, c’était Hyacinthe KAYISIRE,
c’était Winifred KATENGWA, c’était Mathieu MUKAMA. Et aussi le fait que j’avais
été, je n’arrive pas à trouver un mot en français qui corresponde, c’est une
sorte d’adoption, enfin, il y avait un très grand ami qui était beaucoup plus
âgé que moi, et qui m’a vraiment prise comme quelqu’un de la famille, et qui
était Tutsi, qui habitait Nyamirambo. Il s’appelait Canisius NKULIKIYINGA. Il a aussi été tué en avril, avec son épouse et deux enfants.
C’étaient sans doute ces liens-là qui faisaient que j’étais une cible
privilégiée, et mes liens avec, donc, le fait que j’étais la belle-sœur de TWAGIRAMUNGU
faisait de temps en temps apparaître des railleries au sein de certaines personnes
à l’université. Il y en avait qui ne se gênaient pas pour me héler en m’appelant
« Rukokoma », qui était le surnom de mon beau-frère. Donc, il y avait
de la raillerie, manifestement.
Le Président : Cible privilégiée
de qui ? Du FPR ? Des alliés du FPR ? Au contraire des Hutu extrémistes,
Hutu Power, là hein, ou…
le témoin 143 : A l’époque,
nous, nous apparaissions comme des alliés du FPR.
Le Président : …ou Interahamwe,
milices et autres…
le témoin 143 : Donc, à l’époque,
nous, nous apparaissions comme des alliés du FPR. Les gens qui ne nous aimaient
pas, étaient les gens du MRND, de la CDR et des tendances Power.
Le Président : Oui. Maître
GILLET ?
Me. GILLET : Monsieur le président,
est-ce que vous pourriez poser au témoin la question de savoir comment elle
positionne politiquement quelqu’un qui, dans le contexte de janvier-février
1994, donc de blocage de la mise en œuvre des accords d’Arusha, appelle le peuple
rwandais tout entier à se lever comme un seul homme contre Faustin TWAGIRAMUNGU ?
le témoin 143 : Contre
Faustin TWAGIRAMUNGU, je ne crois pas que ça soit une bonne idée. Je pense que…
il faut vraiment, dans ce contexte, de ce qui s’est passé au Rwanda, dissocier
clairement la guerre civile du génocide. Donc, il y a un contexte de guerre,
et il y a un contexte de génocide, de massacres généralisés. Et les uns, les
plus extrémistes, les Power, ont utilisé le contexte de guerre pour justifier
leurs massacres. Je pense qu’effectivement ce genre d’option n’est pas tenable.
Elle est inacceptable, clairement.
Le Président : Celui qui
fait un appel comme ça, il est de quel côté ?
le témoin 143 : Enfin,
il me semble, enfin, se positionner en tout cas à l’époque comme ça, des gens
qui étaient anti-Faustin, il suffit de lire la presse de l’époque, pour se rendre
compte que c’étaient essentiellement les tendances Power qui le faisaient. Maintenant,
il faut savoir s’il s’agit de se lever contre la personne ou contre les options
politiques de la personne.
Le Président : Oui. Maître GILLET ?
Me. GILLET : Oui, Monsieur le
président, il y a eu, le 4 janvier, un appel des intellectuels de l’université
nationale de Butare allant dans ce sens, et critiquant dans un long document,
citant exactement les mots que j’ai cités, des options de TWAGIRAMUNGU. C'était
clairement une opposition à la mise en œuvre d’Arusha qui était dans ce document,
qui a été signé, je ne sais pas si le témoin le sait, notamment par Vincent
NTEZIMANA et par Monsieur HIGANIRO.
le témoin 143 : Oui, je
le sais, je l’ai lu et j’ai réprouvé cet écrit à l’époque. Ca, c’est clair.
Le Président : D’autres questions
encore ? Les parties sont… à moins que, oui, Maître CARLIER ?
Me. CARLIER : Monsieur NTEZIMANA
demande la parole.
Le Président : Alors, si
c’est pour un commentaire, c’est après la clôture du témoignage. Mais si c’est
pour poser une question au témoin, Monsieur NTEZIMANA peut poser sa question
directement, sans passer par l’intermédiaire de ses conseils, hein. Commentaires.
Alors, c’est après la clôture du témoignage. Plus de questions ? Les parties,
sont-elles d’accord pour que le témoin se retire ? Madame, est-ce bien
des accusés ici présents dont vous avez voulu parler, ce qui signifie plus clairement :
persistez-vous dans vos déclarations ?
le témoin 143 : Oui, oui,
tout à fait.
Le Président : Madame, la
Cour vous remercie pour votre témoignage. Vous pouvez disposer librement de
votre temps.
le témoin 143 : Merci.
Le Président : Bien, Monsieur
NTEZIMANA, si vous souhaitez faire un commentaire à propos du témoignage, vous
pouvez le faire.
Vincent NTEZIMANA : Oui,
Monsieur le président, il s’agit de cette pétition que les avocats des parties
civiles viennent d’évoquer et que j’ai signée. Je voulais souligner qu’en fait,
la pétition concernait les options de Faustin pour des sujets précis et, parmi
les personnes qui l’ont signée, il y a, par exemple, Emmanuel GATWAZA, qui était
vice-président de la faculté des sciences et qui est l’une des victimes du génocide.
Il y a aussi, par exemple, KUBAIRO Faustin, vous pouvez le vérifier, c’est aussi
l’une des victimes du génocide. Donc, on ne peut pas interpréter cette pétition
comme réunissant des personnes favorables au génocide dès lors que, parmi les
signataires, figurent des victimes du génocide. Merci, Monsieur le président.
Le Président : Bien. Il y
a encore des témoins présents, mais il est déjà 16h35. Qui est présent ?
L’épouse de Monsieur le témoin 6. Je crois que c’est peut-être bien à votre demande
que Monsieur le témoin 6 était appelé. Même si c’était un témoin à charge, théoriquement.
Est-ce que c’est long ? Si ce n’est pas très long, c’est une personne qui
vous a accueilli, Monsieur NTEZIMANA ?
Vincent NTEZIMANA : Oui,
Monsieur le président.
Le Président : Si ce n’est
pas trop long, je veux bien encore l’entendre aujourd’hui, mais sinon...
Vincent NTEZIMANA : Je ne
sais pas ce qu’elle a à dire, hein ?
Le Président : Moi, non plus.
Son mari a été entendu. Elle pas.
Me. CARLIER : Je ne sais pas du
tout ce qu’elle a à dire, Monsieur le président, mais dans la mesure où il y
a une, semble-t-il, un contact assez long, puisqu’elle l’a accueilli, la famille
a accueilli Monsieur NTEZIMANA, du point du contexte de personnalité, ça peut
être important et prendre un certain temps.
Le Président : Mais alors,
je crois que nous allons plutôt en rester là pour aujourd’hui. Donc, signalez,
Monsieur l’huissier, que Monsieur BODARD, qui ne savait pas venir aujourd’hui,
sera re-convoqué à une autre date. Monsieur le témoin 144 et Monsieur le témoin 89
seront également re-convoqués à une autre date. Par contre, Monsieur le témoin 93,
qui était sur la liste, ne se présentera ni aujourd’hui ni sans doute un autre
jour, puisqu’il est détenu. Est-ce que les parties renoncent à l’audition de
Monsieur le témoin 93 ? Je voulais qu’au moins aujourd’hui, je tienne mes
promesses à l’égard du jury, en disant qu’il pourrait partir au plus tard à
17 heures. Nous allons donc suspendre l’audience jusqu’au mercredi 2 mai, 9h
du matin. Je vous souhaite à tous et à toutes un excellent week-end prolongé.
N’oubliez pas que le 1er mai est la fête du travail, mais que ce
mot garde son sens pour la fête, en tout cas du 1er mai.
Le Président : 21 mai 2001,
le témoin 150 Eugène, ce n’est pas un témoin.
« Bruxelles, le 14 mai 2001.
Concerne : Affaire Vincent NTEZIMANA.
Monsieur le président,
Suite à la déclaration faite par Madame Bénédicte
le témoin 143 devant votre juridiction, en date du 27 avril 2001, au cours de laquelle
celle-ci mentionne une attestation lui ayant été faite par feu mon frère Jean-Bosco
le témoin 150, permettez-moi de vous demander de mettre en doute la véracité de ladite
déclaration, pour les motifs suivants : cette attestation aurait été délivrée
au cours du mois de novembre 1995, or, ce n’est que cinq ans après qu’elle fait
état de son existence.
Pourquoi avoir attendu si longtemps pour mettre
à la disposition de l’instruction, un document d’une telle importance ?
D’après la presse du lendemain, Madame le témoin 143 invoque des motifs de sécurité
pour mon frère décédé le 17 juillet 1999, craignant des représailles à l’encontre
de la famille le témoin 150. Or, force est de constater qu’après le décès de mon
père, le 18 mars 2001, il restait encore des membres de la famille, tant au
Rwanda qu’en Belgique, qui pouvaient subir les mêmes foudres.
Qu’a-t-elle prévu pour eux ? La décence,
le bon sens, exigent de la part de Madame le témoin 143, de consulter préalablement
ma famille avant de jeter son nom en pâture. Bien plus, lors de sa dernière
visite au Rwanda, j’ai cru comprendre, et beaucoup d’amis peuvent en témoigner,
qu’elle était en réalité motivée par la récupération de ses biens matériels
laissés sous la garde de mon frère, notamment sa moto et autres, voiture, téléviseur,
etc.
Tous ces éléments et d’autres que je préfère taire
pour l’instant, prouvent qu’il y a lieu d’intenter à Madame le témoin 143, un procès
pour subornation de témoin, faux témoignage, diffamation et usage de faux, C’est
pourquoi, je vous saurai gré, Monsieur le président, de sommer Madame le témoin 143
de revoir son témoignage, principalement en ce qui concerne mon frère ».
Ce fax est également joint, vous en avez copie. J’attire cependant
l’attention sur le fait que Madame le témoin 143, si elle n’a pas produit l’attestation
écrite avant son audition ici, lorsqu’elle a été entendue par le juge d’instruction,
a fait part de la teneur de cette attestation au juge d’instruction. Ce n’est
donc pas cinq ans après qu’elle en a fait, pour la première fois, état. Elle
n’a pas déposé cette attestation chez le juge d’instruction mais elle en a livré
la teneur. Alors, commentaires ? Oui, Maître HIRSCH ?
Me. HIRSCH : Merci, Monsieur
le président. Bon, Monsieur le témoin 150 n’est évidemment pas témoin puisqu’il est
mort, euh… mais ne serait-il pas possible que vous lisiez les déclarations de
Monsieur le témoin 150 Jean-Bosco ? On en a longuement parlé au cours des
débats et de manière peut-être à alléger les plaidoiries, ce serait peut-être,
je ne sais pas, je laisse ça à votre appréciation, mais… |
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