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8.6.1. Audition des témoins: le témoin 19
Le Président : Monsieur,
quels sont vos nom et prénom ?
le témoin 19 : le témoin 19.
Le Président : Quel âge avez-vous ?
le témoin 19 : 62 ans.
Le Président : Quelle est
votre profession ?
le témoin 19 : Journaliste.
Le Président : Quelle est
votre commune de domicile ou de résidence ?
le témoin 19 : Netinne.
Le Président : Connaissiez-vous
les accusés ou certains des accusés, Monsieur NTEZIMANA, Monsieur HIGANIRO,
Madame MUKANGANGO, Madame MUKABUTERA, avant le mois d’avril 1994 ?
le témoin 19 : Non, je ne les
connais pas.
Le Président : Etes-vous
parent ou allié des accusés ou des parties civiles ?
le témoin 19 : Non.
Le Président : Etes-vous
attaché au service des accusés ou des parties civile ?
le témoin 19 : Non.
Le Président : Je vais vous
demander de bien vouloir lever la main droite et de prononcer le serment de
témoin.
le témoin 19 : Je jure de parler
sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie,
asseyez-vous, Monsieur le témoin 19. Simplement, pour pouvoir vous situer, Monsieur
le témoin 19, donc vous êtes journaliste. Avez-vous des connaissances particulières
sur le Rwanda et les événements qui s’y sont déroulés en avril-mai 1994 ?
le témoin 19 : Je veux dire d’abord
que j’ai vécu trois ans au Rwanda, c’est-à-dire 67-68-69, et que j’ai fait,
à partir de 79, plusieurs reportages pour la BRTN.
Le Président : Bien. Vous
n’avez jamais été entendu dans le cours de l’instruction ? Je crois que
la défense de sœur Gertrude et sœur Marie Kizito souhaitait vous entendre à
propos de je ne sais quoi. Donc, je vais peut-être demander à ce qu’elle pose
les questions. Maître WAHIS ?
Me. WAHIS : Oui, Monsieur
le président. Dans les différents ouvrages qu’il a écrits, et notamment sur
le procès de Monseigneur le témoin 59, le témoin a été amené à analyser les écrits
d’African Rights. Alors, nous aimerions qu’il puisse, avec votre permission,
nous parler d’African Rights et de la qualité des écrits de cette organisation
puisque African Rights a deux ouvrages qui reposent au dossier de sœur Gertrude
et de sœur Kizito.
Le Président : C’est cela.
le témoin 19 : Je voudrais d’abord
dire que c’est assez difficile de parler d’African Rights, premièrement parce
que j’estime le travail d’African Rights, surtout quand je pense au premier
livre de septembre 1994, et le deuxième un an après, donc 1995, le mois d’août.
Mais il y a encore un autre livre qui est paru en septembre 2000, aussi d’African
Rights, et dans ce livre - c’est plutôt une brochure de 65 pages - on fait l’analyse
des sœurs de Sovu, et je dois dire sincèrement que c’est assez difficile parce
que quand je prends donc ces trois ouvrages, on est bouleversé par les faits
qu’ils ont racontés dedans. Il y a tant de détails mais il y a aussi - et je
dois bien faire attention ici aux mots que je choisis - il y a tant d’impressions
qui me font douter.
Premièrement, parce que je constate qu’African Rights globalise…
globalise dans ce sens. Je prends par exemple une phrase à la page 2, la page
2 de la brochure sur les sœurs de Sovu, où African Rights écrit que : « Tant
de prêtres et tant de sœurs et tant d’évêques sont complices dans le génocide »,
et je vous rappelle que cette brochure date de septembre 2000. ça
veut dire que ça, c’est déjà après l’acquittement de Monseigneur le témoin 59 et qu’à
ce moment, il y avait encore une quinzaine de religieux et religieuses en prison,
tandis qu’un an avant, ils étaient à 33. Qu’est-ce que je veux dire par cela ?
Je veux simplement dire que je pense qu’African Rights part des rumeurs, part
des faits qui sont racontés par des personnes qui emploient souvent les mots :
« On a entendu dire que… ». Et, ce qui me choque un peu chez African
Rights, c’est qu’on n’a jamais, n’est-ce pas, l’impression qu’ils ont vraiment
questionné aussi les accusés.
Permettez-moi, Monsieur le président, de donner deux exemples. Par
exemple, dans le cas de Monsieur le témoin 59, dans le livre, dans le premier livre
de septembre 1994, un livre de 750 pages, je ne trouve nulle part l’accusation
ou bien du témoin 59 ou bien des sœurs. Et pourtant, on donne vraiment tant de
détails, souvent par diocèse, souvent par commune, même par colline. Je suis
frappé parce que le troisième livre que j’ai écrit, c’était sur le procès de
Monsieur le témoin 59, et quand j’ai dit qu’il y a des… je ne dis pas que ce sont
des fautes expresses, mais que ce sont quand même des choses, n’est-ce pas,
qui me choquent, comme je l’ai déjà dit. Par exemple, je trouve dans le livre
d’African Rights, surtout le premier, qu’on insiste fortement sur les premiers
meurtres au centre Christ. Ils donnent les noms, les trois jésuites, parce que
le centre Christ était dirigé par les pères jésuites - nous sommes donc tout
à fait au début du génocide - alors, ils citent les trois noms des jésuites
et ils citent encore les noms des prêtres et parmi ces prêtres se trouve juste
un des prêtres, l’abbé Joseph de Gikongoro, cela veut dire, le diocèse de Monsieur
le témoin 59, alors que ce prêtre n’a pas été tué à Kigali, au centre Christ, mais
dans sa paroisse et certainement pas à la date qui est indiquée par African
Rights. Un deuxième fait, c’est par exemple… Mais je voudrais d’abord dire ceci :
ce que je reproche un peu à African Rights, quand ils font le dossier de quelqu’un,
comme j’ai commencé à parler du témoin 59, l’évêque de Gikongoro, ils ont cherché
des témoignages presque partout dans le pays, ils étaient à 50 mètres de Monseigneur
le témoin 59 et ils ne l’ont jamais interrogé, ils ne lui ont jamais parlé. Pour African
Rights, Monseigneur le témoin 59 était déjà condamné avant le procès.
J’ai l’impression que - et ça c’est la deuxième chose - j’ai… l’impression
que j’ai aussi, n’est-ce pas, pour la brochure sur les deux sœurs de Sovu en
Belgique, nulle part dans la brochure de septembre 2000, je n’ai trouvé, n’est-ce
pas, une indication qui dit clairement que les enquêteurs d’African Rights ont
vraiment parlé avec les deux accusées. Je ne connais pas les sœurs. Peut-être
que je les ai vues dans mes reportages, mais je ne leur ai jamais parlé. Mais
cela m’étonne fort, on dira, des enquêteurs qui restent pendant je ne sais pas
combien de semaines dans un pays et qui essaient, n’est-ce pas, de trouver les
preuves, qu’ils n’essaient non plus et certainement pas de contacter les deux
accusées, ici en Belgique. Ce qui m’a fort étonné, c’était… Par exemple, j’ai
déjà parlé, n’est-ce pas, de la page 2 où on globalise, où on dit, n’est-ce
pas, on dit : « Il y a tant d’évêques, tant de prêtres et de religieuses
qui sont impliqués dans le génocide ». Il y a encore d’autres faits. A
la page 44-45, dans cette même brochure sur les sœurs de Sovu, se trouve une
phrase assez importante et qui caractérise… et même, n’est-ce pas, qui semble,
à première vue, un peu banale, même je dirais, n’est-ce pas, presque pour rire.
Quand on connaît la situation de la Belgique… Là, j’ai lu, et je cite presque
littéralement : « Les deux sœurs sont venues en Belgique par Bangui,
la France, elles sont arrivées à Maredret, Maredret qui se trouve tout près
de Namur, Namur qui se trouve en Flandre et la Flandre est caractérisée comme
le bastion du catholicisme flamand ». Disons, n’est-ce pas, pour une organisation
où il y a aussi, n’est-ce pas, un Hollandais qui y travaille, DEWAEL, alors
je suppose quand même que ça demande, au moins, un peu plus de justesse. Un
autre fait. Même sur le plan géographique si vous voulez, c’est qu’African Rights
place aussi Hermeton tout près de Liège. Je pense que Hermeton se trouve plutôt
tout près de Dinant. Et il caractérise l’abbaye de Maredret comme la plus grande
abbaye de l’ordre des bénédictins. Peut-être qu’ils n’ont jamais, les enquêteurs
d’African Rights, qu’ils n’ont jamais entendu parler de Maredsous ou bien de
Zeewindbergen, tout près de Bruges, ou bien d’une autre abbaye à Liège.
Donc, en comparaison, n’est-ce pas, je veux seulement souligner qu’il
y a quand même quelques points qui me font douter. Mais ce que je trouve aussi
assez important à souligner ici, c’est que je vois, je constate, quand on analyse
tout ce qu’on a écrit, pas seulement sur les sœurs de Sovu mais aussi, n’est-ce
pas, de Monseigneur le témoin 59, que je vois qu’il y a presque un lien entre plusieurs
organismes de presse. Je constate qu’African Rights prône une thèse, accuse
quelqu’un et que ces accusations sont reprises par Golias en France, souvent
littéralement. Je constate aussi qu’après Golias, on trouve les mêmes cas presque
littéralement dans ARI, l’Agence Rwandaise d’Information dirigée par Privat
RUTAZIBWA. Je vois les mêmes faits qui arrivent ici en Belgique dans Solidarité-Solidariteit.
Je vois les mêmes faits qui sont repris dans la revue ou bien dans les articles
ou bien dans les conférences de presse données par les Avocats sans frontières
de Montpellier. Je vois les mêmes faits qui sont repris dans les journaux qui
sont dans des tendances du régime ou bien du gouvernement rwandais, cela veut
dire Umusemburo, ça veut dire New Times, ça veut dire aussi La Nouvelle Relève
ou bien Higori, pour donner… citer quelques journaux rwandais. Ce qui me fait,
n’est-ce pas, penser et réfléchir sur… Est-ce qu’il n’y a pas quelque part une
relation entre ces organisations… ces organismes, ces médias pour diffuser des
rumeurs, pour les faire sortir comme des faits, mais qui ne sont pas toujours
vérifiables et certainement pas encore prouvés.
Alors, sur African Rights, c’est dans ce sens que je dis que je suis
toujours stupéfait par la quantité qui est offerte mais que je suis aussi stupéfait,
de temps en temps, et surtout donc dans la brochure de… sur les sœurs de Sovu,
par, par exemple, la qualité qui manque. Surtout quand on voit que tout
est basé, ou plutôt qu’il y a beaucoup de points dans la brochure où on reprend
ce que l’adjudant Emmanuel REKERAHO a dit. REKERAHO, et je pense que je ne dois
pas répéter cela, qui a été condamné à mort par la Cour militaire à Kigali mais
qui, au début de ce mois-ci, le 11 avril si je ne me trompe pas, a dit dans
une interview qu’il n’a jamais rencontré les personnes d’African Rights. Ou
bien il ment à ce moment, donc quand je parle du 11, le grand milicien, le grand
Interahamwe pour employer ce mot, ou bien il ment à ce moment… et qu’est-ce
que cela veut dire ? Que sa première édition, que tout ce qu’il a dit,
n’est-ce pas, en 2000 ou bien les années avant, aux gens d’African Rights, que
j’ai aussi mes doutes à ce moment, sur tout… sur tout ce qu’il a dit. Et cela
m’étonne qu’on donne, donc, dans une organisation où on parle et où on défend
les droits de l’homme, eh bien qu’on donne tant d’importance à une personne
qui a été impliquée dans le génocide et qui essaie peut-être de sauver sa peau
mais sur le dos des autres.
Le Président : Bien. Une
autre question ? Maître FERMON.
Me. FERMON : Monsieur le
président, deux très, très courtes questions. D’abord, à propos de la phrase
généralisante, etc., est-ce que c’est bien la phrase suivante que je lis à la
page 2 de ce rapport : « Des milliers de membres
du clergé furent parmi les victimes du génocide et nombreux furent ceux qui
risquèrent leur vie pour sauver des réfugiés terrorisés, mais la liste
des évêques, prêtres et religieuses impliqués dans les massacres est longue
et ils sont rares à avoir été arrêtés ou traduits en justice ».
Est-ce que c’est cette phrase-là que le témoin trouve peu nuancée ?
le témoin 19 : C’est surtout,
donc, la dernière partie de cette phrase…
Me. FERMON : Oui. Mais donc,
c’est bien cette phrase-là avec ses deux parties ?
le témoin 19 : Oui.
Me. FERMON : Merci. Alors,
deuxième question, Monsieur le président. Si vous voulez bien demander au témoin
qui a dit… qui a fait allusion au fait que Monsieur REKERAHO aurait dit n’avoir
jamais rencontré les gens d’African Rights… est-ce que le témoin a connaissance
- je crois que oui, parce que c’est dans le même article - de la réponse de
la responsable d’African Rights à ce propos, et, est-ce que le témoin sait ce
qu’elle dit, l’endroit où elle dit que ces entretiens ont eu lieu, et est-ce
qu’il sait ce qu’elle dit à propos d’une photo ?
le témoin 19 : Je pense que sur
cette question, ce n’est certainement pas à moi de juger, n’est-ce pas, sur
le fait de REKERAHO, mais la meilleure solution, selon mon avis, est de convoquer
et REKERAHO et African Rights et de les mettre devant les faits accomplis :
« Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce que vous avez dit ? ».
Me. FERMON : Est-ce que le
témoin… Si vous me le permettez, Monsieur le président, dernière chose. Est-ce
que le témoin a connaissance du passage suivant du même article, affirmation
démentie par Odette MUKASAKA, donc, la personne euh… affirmation de Monsieur
REKERAHO qui n’a jamais vu African Rights, affirmation démentie par Odette
MUKASAKA d’African Rights : « Il m’a fait ses aveux, là en dernier
au cours de plusieurs entretiens à l’auditorat… », dit-elle, « …ce
que nous a confirmé l’officier du ministère public et c’est moi qui ai tiré
sa photo dans la cour », ajoute-t-elle.
le témoin 19 : Qu’est-ce que vous
voulez savoir ?
Le Président : Vous avez
connaissance de cet article ?
le témoin 19 : Oui.
Me. FERMON : Je vous remercie,
Monsieur le président.
Le Président : Monsieur l’avocat
général.
L’Avocat Général : Si le
témoin veut nous avoir donné ses conseils sur sa manière de convoquer Monsieur
REKERAHO et African Rights, il faut dire, je n’y avais pas encore songé… Est-ce
que l’intéressé a rencontré Monsieur REKERAHO ?
le témoin 19 : Je ne l’ai jamais
rencontré.
L’Avocat Général : Est-ce
que vous avez rencontré les deux sœurs de Sovu ?
le témoin 19 : Je n’ai jamais
rencontré les deux sœurs.
L’Avocat Général : Vous avez
rencontré d’autres sœurs de Sovu ?
le témoin 19 : Oui.
L’Avocat Général : Est-ce
que vous avez rencontré des survivants du massacre, là, à Sovu ?
le témoin 19 : Oui.
L’Avocat Général : Est-ce
que vous avez rencontré les enquêteurs d’African Rights ?
le témoin 19 : Non.
L’Avocat Général : Donc,
sur quoi basez-vous vos critiques ?
le témoin 19 : Sur ce qui est
écrit.
L’Avocat Général : Ah oui,
mais bon. Vous faites des critiques sans avoir consulté les personnes ?
le témoin 19 : Sans ?
L’Avocat Général : Sans avoir
consulté les personnes ?
le témoin 19 : Les tierces personnes,
vous voulez dire, donc, African Rights ?
L’Avocat Général : Entre
autres.
Le Président : Maître BEAUTHIER.
Me. BEAUTHIER : Une question.
Est-ce que le témoin sait que Maredret et Maredsous, c’est les hommes et les
femmes bénédictins ou bien est-ce qu’il croit que c’est différent ?
le témoin 19 : Je ne le sais pas,
je crois certainement que c’est tout à fait différent.
Le Président : Bien.
le témoin 19 : Que Maredsous ce
sont les bénédictins et Maredret ce sont les bénédictines.
Le Président : Bien. Une
autre question ?
Me. RAMBOER : Pas de question,
Monsieur le président, mais j’aimerais faire un commentaire s’il n’y a plus
de questions.
Le Président : Après
la clôture du témoignage. Plus de questions ? Les parties sont d’accord
pour que le témoin se retire ? Monsieur le témoin 19, est-ce bien des accusés
ici présents dont vous avez voulu parler, le sens de cette question étant de
savoir si vous persistez dans les déclarations que vous avez faites ?
le témoin 19 : Oui.
Le Président : Eh bien, la
Cour vous remercie pour votre témoignage. Vous pouvez disposer librement de
votre temps.
le témoin 19 : Merci.
Le Président : Bien, Maître
RAMBOER, si vous souhaitez faire un commentaire, vous avez la parole.
Me. RAMBOER : Le témoin a
mis en doute les méthodes d’investigation d’African Rights qui a publié, donc,
énormément de documents sur le génocide et qui continue ce travail, donc, dans
le pays, au Rwanda. Donc, ces documents sont une source d’informations pour
tout un chacun qui fait un travail sur l’histoire du génocide. Je sais personnellement
que ce travail est fait par les enquêteurs auprès de témoins, que ces témoignages
sont actés et que ces témoignages sont signés par les personnes qui sont interrogées
par les enquêteurs d’African Rights. Donc, si effectivement cette méthode est
générale telle que je le sais, donc Monsieur REKERAHO a fait une signature sous
une déclaration qui a été actée par la dame dont on a euh... qu’on a nommée,
la dame Odette. Je crois qu’effectivement, éventuellement en vertu de votre
pouvoir discrétionnaire, on pourrait demander si un tel rapport existe et s’il
a été signé par Monsieur REKERAHO.
Le Président : Nous avons
déjà bien des pièces signées par Monsieur REKERAHO dans le dossier. Bien. L’audience
est suspendue. On reprend à 14 heures 30. |
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