8.6.7. Audition des témoins: le témoin 101
Le Président : Madame, vous
parlez et comprenez le français ?
le témoin 101 : Oui, je comprends.
Le Président : Quels sont
vos nom et prénom ? Quel est votre nom et quel est votre prénom ?
le témoin 101 : Je m’appelle
le témoin 101.
Le Président : Quel âge avez-vous ?
le témoin 101 : J’ai 33 ans.
Le Président : Quelle est
votre profession ?
le témoin 101 : Je suis secrétaire
à la Représentation de l’enseignement catholique du diocèse de Butare, au Rwanda.
Le Président : Dans quelle
commune êtes-vous domiciliée au Rwanda ?
le témoin 101 : A Huye.
Le Président : A Huye, c’est
ça ? Dans quelle commune êtes-vous domiciliée ?
le témoin 101 : La commune
de Ngoma.
Le Président : De Ngoma.
le témoin 101 : Oui.
Le Président : Connaissiez-vous
les accusés ou certains des accusés avant le mois d’avril 1994 ?
le témoin 101 : Avant le mois
d’avril 1994, je connaissais sœur Gertrude et sœur Maria Kizito.
Le Président : Oui. Etes-vous
de la famille des accusés ou de la famille des parties civiles, de ceux qui
demandent des dommages et intérêts aux accusés ?
le témoin 101 : Ceci, je ne
comprends pas.
Le Président : Est-ce que
vous êtes de la famille des accusés ?
le témoin 101 : De la famille
des accusés ?
Le Président : Oui.
le témoin 101 : Non.
Le Président : Vous allez
peut-être, vous, par la suite demander des dommages et intérêts ?
le témoin 101 : Oui, j’aimerais
bien par la suite.
Le Président : Mais pour
le moment, vous n’en demandez pas encore, enfin vous n’avez pas encore demandé
officiellement ?
le témoin 101 : Je demanderai
après.
Le Président : Bien. Vous
ne travaillez pas - vous êtes secrétaire avez-vous dit - vous ne travaillez
pas pour les accusés ni pour les gens qui ont déjà demandé des dommages et intérêts ?
le témoin 101 : Je ne comprends
pas ce que vous voulez dire.
Le Président : Vous êtes
secrétaire de l’enseignement catholique ?
le témoin 101 : Oui.
Le Président : Vous n’êtes
pas la secrétaire ou la servante des deux religieuses qui sont accusées ?
Vous n’êtes pas la domestique ou l’employée de ceux qui ont déjà demandé des
dommages et intérêts ?
le témoin 101 : Non.
Le Président : Bien. Je vais
vous demander de bien vouloir lever la main droite, vous levez la main droite
et de prononcer le serment de témoin.
le témoin 101 : Je jure de
parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie,
Madame, asseyez-vous. Madame, en 1994, vous étiez au couvent de Sovu ?
le témoin 101 : Oui, j’étais
novice au couvent de Sovu.
Le Président : Vous avez
actuellement quitté cette voie de la religion ?
le témoin 101 : Oui, j’ai quitté.
Le Président : Vous avez
expliqué, lorsque vous avez été entendue à la demande du juge d’instruction
belge au Rwanda, en 1995, que vous étiez novice depuis 1988, je crois.
le témoin 101 : Oui.
Le Président : A propos des
événements qui se sont déroulés au couvent de Sovu en avril 1994, vous avez
expliqué qu’à partir du 17 avril des réfugiés ont commencé à arriver au couvent,
essentiellement des femmes, des enfants, c’est bien exact ?
le témoin 101 : C’est bien
exact.
Le Président : Vous avez
remarqué que ces réfugiés sont rentrés chez eux le soir ?
le témoin 101 : Au contraire,
le soir, ils sont revenus.
Le Président : Ils sont revenus
déjà le soir du 17 avril ?
le témoin 101 : Le soir du
17 avril.
Le Président : Ils étaient
repartis chez eux dans la journée peut-être ?
le témoin 101 : Ils étaient
repartis chez eux.
Le Président : Vous avez
expliqué qu’il y avait assez bien de personnes qui étaient venues trouver refuge ?
le témoin 101 : Pardon ?
Le Président : Il y avait
beaucoup de personnes qui s’étaient réfugiées déjà le soir ?
le témoin 101 : Il y avait
beaucoup de personnes. Oui, notamment les femmes et les enfants.
Le Président : Quel était
votre travail au couvent ?
le témoin 101 : Au couvent,
je suivais la formation religieuse et aussi j’étais responsable du jardin potager.
Le Président : Savez-vous
si les réfugiés ont reçu de la nourriture du couvent ?
le témoin 101 : Les réfugiés
n’ont rien reçu de la nourriture du couvent.
Le Président : A aucun moment ?
le témoin 101 : A aucun moment,
je n’ai rien vu.
Le Président : Vous n’avez
pas vu en tout cas qu’on leur distribuait de la nourriture du couvent ?
le témoin 101 : Ils souffraient
de faim puisqu’il y avait les membres de ma famille qui pouvaient circuler,
qui pouvaient me parler. Ils me disent qu’ils n’ont rien reçu de la part des
sœurs. Ils consommaient ce qu’ils avaient pu apporter.
Le Président : Dans les réfugiés,
y avait-il des membres de votre famille ?
le témoin 101 : Oui.
Le Président : Vous pouvez
dire de qui il s’agissait ?
le témoin 101 : Dans les réfugiés
qui étaient au centre de santé, donc le centre de santé appartenait au monastère,
il y avait mon père, ma grand-mère et ma tante, mais au couvent il y avait ma
mère et mes deux petites sœurs.
Le Président : Est-ce qu’elles
sont entrées au couvent dès le début ou bien est-ce qu’elles sont arrivées au
couvent un peu après le 17 avril ?
le témoin 101 : Un peu après
le 17 avril.
Le Président : Il semble
que ce soit vers le 20 avril qu’ils sont arrivés, en tout cas votre maman et
vos petites sœurs.
le témoin 101 : Oui, en tout
cas après le 17. Dire que je connais exactement la date, je ne sais pas. Dans
les moments difficiles, on n’a pas la tête de bloquer les dates et tout ça,
mais c’est après le 17 avril.
Le Président : D’autres religieuses
avaient également des membres de leur famille qui étaient réfugiés dans le couvent
même ?
le témoin 101 : Oui, il y avait
d’autres religieuses qui avaient des membres de leur famille, par exemple sœur
Scholastique, sœur Bénédicte, sœur Marie-Bernard, sœurs Thérèse, Bernadette
et Fortunata.
Le Président : Le 22 avril
1994, le dispensaire, le centre de santé a été attaqué.
le témoin 101 : Oui, il a été
attaqué.
Le Président : Avez-vous
vu ce qui se passait ? Vous personnellement, hein ?
le témoin 101 : Personnellement,
le 22 avril, j’ai entendu les bruits et j’ai vu les gens armés puisque j’étais
à l’endroit où des fenêtres vitrées on pouvait voir de l’extérieur. Derrière
la clôture du monastère, j’ai vu les gens armés qui faisaient beaucoup de bruit,
de tambours, de sifflets et qui se dirigeaient vers l’endroit du dispensaire.
Mais comment ils ont attaqué le dispensaire, je n’ai pas été là-bas, mais j’entendais
les bruits.
Le Président : Le lendemain
de cette attaque, c’est-à-dire le 23 avril 1994, avez-vous quitté le couvent
de Sovu ?
le témoin 101 : J’ai quitté
le couvent de Sovu par un deuxième convoi.
Le Président : Dans un deuxième
convoi ?
le témoin 101 : Oui.
Le Président : A-t-on demandé
à sœur Gertrude ou à une autre personne, le 23 avril 1994, que d’autres personnes
que les religieuses puissent aussi quitter le couvent, par exemple les membres
des familles des religieuses ?
le témoin 101 : Oui.
Le Président : A qui a-t-on
demandé si des membres des familles pouvaient accompagner les religieuses ?
le témoin 101 : Puisque moi
j’étais dans le deuxième convoi, on a demandé au bourgmestre pour qu’il puisse
prendre des membres, mais le bourgmestre a dit qu’il ne pouvait pas les prendre,
il a pris seulement les sœurs.
Le Président : Et savez-vous
si, pour le premier convoi, quelqu’un d’autre que le bourgmestre, qui n’était
sans doute pas là au premier convoi… ?
le témoin 101 : Il n’était
pas là, c’était un policier qui était dans le…
Le Président : Lors du premier
convoi, c’était un policier ?
le témoin 101 : C’est un policier.
Le Président : Et est-ce
que ce policier, ou quelqu’un d’autre, a dit qu’on ne pouvait pas prendre d’autres
personnes que les religieuses ?
le témoin 101 : Je n’ai pas
été témoin.
Le Président : Vous n’en
avez pas été témoin. Vous quittez donc, dans le deuxième convoi le couvent de
Sovu pour vous rendre à la paroisse de Ngoma.
le témoin 101 : Oui.
Le Président : Vous n’êtes
restée à la paroisse de Ngoma que jusqu’au 24 avril ?
le témoin 101 : Le 24 avril,
nous avons quitté la paroisse pour nous diriger vers le couvent.
Le Président : Vous êtes
donc revenue au couvent ?
le témoin 101 : Oui.
Le Président : Savez-vous
pourquoi la décision a été prise de retourner au couvent ?
le témoin 101 : Il n’y avait
pas de sécurité à Ngoma, nous étions menacés.
Le Président : Est-ce que,
notamment, la mère prieure, sœur Gertrude n’a pas dit que dans la mesure où
il n’y avait pas de sécurité à Ngoma, que vous risquiez d’être tuées à Ngoma,
il valait peut-être mieux rentrer à Sovu pour mourir à cet endroit-là ?
le témoin 101 : Elle l’a dit
puisqu’elle a téléphoné au garde présidentiel de venir conduire les sœurs au
couvent.
Le Président : Vous êtes
rentrée au couvent le 24 avril 1994 au soir ?
le témoin 101 : Au soir.
Le Président : Dans un convoi
protégé par des militaires ?
le témoin 101 : Par la garde
présidentielle.
Le Président : Connaissez-vous
un certain Emmanuel REKERAHO ?
le témoin 101 : Oui, je le
connais.
Le Président : Est-ce que
cet Emmanuel REKERAHO accompagnait le convoi de Sovu, des sœurs de Sovu ?
le témoin 101 : Moi, je l’ai
vu au couvent, arriver là. Je ne l’ai pas vu dans le convoi.
Le Président : Vous l’avez
vu quand vous êtes arrivée au couvent le 24 au soir ?
le témoin 101 : Oui.
Le Président : Est-ce que
vous avez constaté que REKERAHO disait quelque chose à sœur Gertrude, à sœur
Kizito ou à quelqu’un d’autre ce jour-là, ce soir-là ?
le témoin 101 : Si, ils se
parlaient.
Le Président : Avez-vous
éventuellement entendu ce que REKERAHO disait ?
le témoin 101 : En tant que
novice, je n’avais pas droit d’entendre ce que la supérieure causait, je n’ai
pas entendu.
Le Président : Quand vous
êtes rentrée le 24 au soir, votre famille se trouvait toujours au couvent et
était toujours, enfin, oui, était toujours vivante ?
le témoin 101 : Oui.
Le Président : Le lendemain,
le 25 avril 1994, quelqu’un est-il venu au couvent pour chercher des gens qui
étaient réfugiés dans ce couvent ?
le témoin 101 : C’est REKERAHO
qui est venu au couvent pour réclamer ces réfugiés.
Le Président : Il réclamait
notamment des ouvriers du couvent et des voisins qui avaient échappé au massacre
quelques jours auparavant ?
le témoin 101 : Donc, nous
nous sommes réunis ensemble dans une pièce et la sœur a tenu un discours. Elle
a demandé à tout le monde de sortir pour ne pas détruire le monastère et pour
ne pas tuer les sœurs. Et puis tout le monde est sorti. Alors, REKERAHO qui
était chef de milice, était là pour faire sortir ces gens. C’est seulement les
membres de la famille des sœurs qui ont été préservés ce jour.
Le Président : Ce jour-là ?
le témoin 101 : Oui.
Le Président : Est-ce que
REKERAHO avait une liste de gens qui se trouvaient dans le couvent ?
le témoin 101 : Oui, il l’avait.
Le Président : Savez-vous
d’où provenait cette liste ?
le témoin 101 : Cette liste,
quand nous étions partis à Ngoma, REKERAHO était venu au couvent pour inventorier
les gens qui étaient restés.
Le Président : Il semble
que toutes les sœurs n’étaient pas parties à Ngoma, qu’il y en a, je crois,
au moins trois qui étaient restées dans le couvent ?
le témoin 101 : Il y avait
sœur Scholastique, sœur Bénédicte et sœur Fortunata qui étaient restées avec
les familles.
Le Président : C’est par
une de ces trois sœurs que vous avez appris que REKERAHO était venu pendant
ce temps-là pour faire une liste ?
le témoin 101 : J’ai appris,
oui, que REKERAHO est venu demander la liste à sœur Scholastique puisqu’elle
était responsable de…
Le Président : Elle était
responsable de l’hôtellerie ?
le témoin 101 : Oui.
Le Président : C’est ça.
Vous dites qu’il y a eu une réunion et que la sœur supérieure a demandé aux
personnes qui se trouvaient encore au monastère, réfugiées, de quitter le monastère ?
le témoin 101 : Oui.
Le Président : Est-ce que
ce jour-là, REKERAHO, éventuellement des militaires ou d’autres personnes, des
miliciens, des Interahamwe, ont pénétré dans le couvent pour chercher les gens
qui s’y cachaient ?
le témoin 101 : Ce jour-là ?
Le Président : Oui.
le témoin 101 : C’est REKERAHO
qui était là tandis que les miliciens étaient derrière un petit portail du couvent,
donc, les Interahamwes n’ont pas pénétré dans la clôture.
Le Président : Seul REKERAHO
a pénétré dans la clôture du couvent ce jour-là ?
le témoin 101 : Oui.
Le Président : REKERAHO a-t-il
trié les gens qui étaient réfugiés dans le monastère ?
le témoin 101 : Donc, il a
trié puisqu’il a seulement préservé les membres de nos familles.
Le Président : Il a donc
fait sortir tous les réfugiés qui se trouvaient encore dans le couvent, sauf
les membres des familles ?
le témoin 101 : Oui.
Le Président : Est-ce que
REKERAHO a donné une explication, la raison pour laquelle il ne faisait pas
sortir du couvent, les membres des familles des sœurs ?
le témoin 101 : Il a donné
l’explication. Il a dit qu’il était fatigué puisqu’il avait tué beaucoup de
monde et que d’ailleurs ces femmes et ces enfants ne vont pas restaurer la dynastie
Tutsi. Il a dit qu’il était fatigué et c’était pour cela qu’il ne veut pas tuer
ces femmes et ces enfants. Et d’ailleurs, il n’est pas revenu au couvent, je
ne l’ai jamais revu.
Le Président : Après cette
date-là, vous n’avez plus jamais revu Monsieur REKERAHO ?
le témoin 101 : Je n’ai jamais
revu REKERAHO.
Le Président : Le 6 mai 1994,
le bourgmestre est venu chercher les membres des familles.
le témoin 101 : Oui, le bourgmestre
est venu.
Le Président : Savez-vous
ce qui a amené le bourgmestre à venir chercher les membres des familles des
sœurs, ce jour-là ?
le témoin 101 : Ce jour-là,
ce qui a amené le bourgmestre, je crois que la provenance, c’est les paroles
que la sœur supérieure avait prononcées après la prière du matin puisque, après
cette prière, il a, je ne peux pas dire que c’est la prière, ce sont les mots
menaçants qu’il a prononcés et après, il a pris la voiture pour partir. Je pense
qu’il était parti avertir l’ Etat puisqu’il avait dit que si nous ne sortions
pas nos familles, il allait le faire par la force de l’Etat. Donc, après, le
bourgmestre est venu. Je pense que c’est la sœur qui était allée le chercher.
Le Président : Est-ce que
sœur Gertrude, dans une conversation, n’a pas dit une phrase qui a été traduite
comme ceci : « Devant Dieu tout puissant, ce n’est pas moi qui livre
ces gens, ce n’est pas moi qui ai causé cette guerre ; je demande aux sœurs
qui ont leur famille ici, de les faire sortir, je ne veux pas que l’on nous
détruise ? ».
le témoin 101 : « Je ne veux pas qu’on nous détruise ».
Elle a ajouté aussi que : « Si vous ne le faites pas, je le fais par
la force ».
Le Président : Et elle est
donc, partie chercher le bourgmestre, et le bourgmestre est venu, est revenu
avec elle, ou il est venu un peu plus tard ?
le témoin 101 : Elle est partie
mais elle est revenue un peu plus tard, toute seule, et le bourgmestre est venu
après.
Le Président : Lorsqu’elle
est partie pour aller chercher le bourgmestre, est-ce qu’elle était accompagnée
de quelqu’un ?
le témoin 101 : Elle était
accompagnée de Gaspard RUSANGANWA.
Le Président : Elle revient.
Un peu plus tard, le bourgmestre arrive aussi au couvent.
le témoin 101 : Il revient
un peu plus tard. Les miliciens encerclent la clôture, et avec beaucoup de bruit
et puis, il part chercher Gaspard puisqu’il y avait une porte qu’on pouvait
le voir aller chez Gaspard et il revient avec Gaspard et au moment où il revient
avec Gaspard, le bourgmestre vient dans la camionnette avec tous les policiers.
Le Président : Est-ce que
ce jour-là le bourgmestre, les policiers ou quelqu’un d’autre ont été fouiller
dans les chambres où étaient les membres des familles des sœurs, pour les faire
sortir ?
le témoin 101 : Personnellement,
puisque j’étais avec ma famille, je croisais la sœur Kizito avertir les policiers
et c’est elle qui montrait les chambres où se trouvaient nos familles, qui montrait
les chambres aux policiers.
Le Président : On a donc
réuni les membres des familles des sœurs.
le témoin 101 : On a donc réuni
les membres des familles des sœurs.
Le Président : Est-ce que
sœur Gertrude leur a dit quelque chose ?
le témoin 101 : Ce jour-là,
c’est le bourgmestre qui a tenu un discours.
Le Président : Qu’est-ce
qu’il a dit ? Est-ce qu’il n’a pas dit aux membres des familles des sœurs
qu’ils devaient rentrer chez eux, qu’ils ne pouvaient pas rester au couvent ?
le témoin 101 : Oui, le bourgmestre
a dit aux membres de nos familles qu’ils pouvaient rentrer puisque le couvent
appartenait aux sœurs.
Le Président : Est-ce qu’il
n’a pas dit aussi que pour les gens qui étaient là et qui n’habitaient pas à
Sovu, qu’on les conduirait à la préfecture et que de là, ces personnes seraient
ramenées chez elles ?
le témoin 101 : Pour les gens
qui n’étaient pas de Sovu, il a dit qu’il les ramènerait à la préfecture et
que les bourgmestres de leurs communes viendraient les prendre et il les a amenés
dans la camionnette tandis que les autres ont été exécutés.
Le Président : Les autres
qui habitaient Sovu sont partis à pied ?
le témoin 101 : Sont partis
à pied.
Le Président : Vous avez
vu qu’ils étaient tout de suite tués par les miliciens qui attendaient
dehors ?
le témoin 101 : Pour la maman
et le papa de sœur Fortunata, ils se sont dirigés vers la colline, je n’ai pas
vu leur mort mais par après, nous avons trouvé, après les événements, nous avons
trouvé, nous les avons trouvés… non, pas loin du monastère. Donc, ils étaient
enterrés dans un W.C. d’un voisin mais pas loin du monastère tandis que
les membres de la famille de sœur Bernadette, nous avons appris par après qu’ils
sont morts en cours de route, tandis que ma mère et deux sœurs de sœur Fortunata,
mes deux petites sœurs et un bébé d’une des sœurs de sœur Fortunata, ont été
tués dans la bananeraie des sœurs.
Le Président : Vous pouvez
dire, si vous en avez la force, comment votre maman, vos deux petites sœurs,
les sœurs de Fortunata ont été tuées et qui les a tuées ?
le témoin 101 : Un policier
qui s’appelait Xavier qui était toujours là, au monastère, les a fusillées à
notre demande, à ma demande, à la demande de sœur Fortunata. Il a réclamé de
l’argent puisque nos familles avaient 7.000 francs rwandais et nous les avons
donnés au policier pour les fusiller, de crainte de ne pas les couper en morceaux.
Le Président : Vous-même,
est-ce que vous n’avez pas voulu accompagner les membres de votre famille pour
mourir avec eux ?
le témoin 101 : Justement,
je les avais accompagnés, mais le policier a insisté en disant qu’il ne veut
pas tuer les sœurs.
Le Président : Après ce jour
du 6 mai 1994, les miliciens sont-ils encore venus autour du couvent pour essayer
d’attaquer le couvent, d’attaquer les sœurs puisqu’il ne restait plus que les
sœurs dans le couvent à partir du 6 mai ?
le témoin 101 : A partir du
6 mai, je n’ai jamais vu les miliciens qui venaient attaquer les sœurs, c’est
simplement… la sœur qui nous attaquait, qui nous disait jour et nuit… j’avais
confondu, ils nous attaquaient avant la mort des miens, de nos familles puisqu’ils
nous disaient : « Faites sortir vos familles ». Mais après le
6 mai, c’était le silence, c’étaient les sœurs qui tombaient malades, je n’ai
jamais vu les miliciens.
Le Président : Vous avez
évacué le couvent de Sovu avec toutes vos consœurs à la fin du moi de juin ou
au début du mois de juillet 1994 ?
le témoin 101 : C’était à la
fin du mois de juin.
Le Président : Pour cette
évacuation du couvent, est-ce que REKERAHO n’était pas présent ?
le témoin 101 : Si, il était
présent, il a conduit le taxi.
Le Président : Vous êtes
venue finalement, après un périple, par Gikongoro, puis Bukavu, la France, vous
êtes finalement arrivée en Belgique à Maredret ?
le témoin 101 : Oui, à Maredret.
Le Président : A Maredret,
est-ce qu’on a essayé de vous empêcher de parler de ce qui s’était passé ?
le témoin 101 : Personnellement,
j’ai quitté la Belgique au mois de janvier 1995 mais on ne m’avait pas empêchée
de parler puisque, au mois de janvier, il n’y avait personne qui est venu me
demander ce qui s’était passé.
Le Président : Je vais peut-être
revenir un petit peu en avant. Savez-vous si sœur Gertrude - vous avez parlé
de ce qu’elle était partie le 6 mai 1994 pour aller chercher le bourgmestre,
ce qui a provoqué la mort des membres des familles des religieuses - est-ce
qu’avant ça, tout au début, avant le massacre du 22 avril qui se passe dans
le centre de santé ou à proximité du centre de santé, savez-vous si sœur Gertrude
était déjà partie, notamment pour aller chercher des militaires qui auraient
évacué les gens qui se trouvaient dans le couvent pour les amener au centre
de santé ?
le témoin 101 : Je n’ai pas
été témoin oculaire, mais j’entendais qu’un jour, après l’arrivée des réfugiés,
je ne connais pas exactement la date, Gertrude est partie avertir qu’il y avait
des réfugiés, qu’il y avait des gens qui venaient au monastère, mais que les
militaires auraient dit que si elle connaissait pas ces gens, il valait mieux
ne pas ouvrir puisqu’on ne savait jamais si ces réfugiés n’avaient pas des armes,
mais je n’ai pas entendu dire de ses propres mots, c’était par l’intermédiaire
des deux sœurs.
Le Président : Avez-vous
vu éventuellement REKERAHO circuler avec l’ambulance ou la camionnette ambulance
du centre de santé ? Une camionnette Toyota ?
le témoin 101 : C’était une
camionnette Mazda, un bus qui appartenait au centre de santé. REKERAHO l’avait
prise comme sa propre possession.
Le Président : A partir de
quelle date ?
le témoin 101 : Je ne connais
pas la date.
Le Président : Est-ce que
c’était déjà avant la tuerie du 22 avril que vous le voyiez circuler avec cette
voiture ?
le témoin 101 : Avant la tuerie
du 22 avril, je ne voyais pas REKERAHO, je le connaissais puisqu’il est de la
colline, mais je ne le voyais pas souvent.
Le Président : Est-ce que
vous aviez beaucoup de contacts avec l’extérieur, vous personnellement, hein ?
le témoin 101 : Beaucoup de
contacts avec l’extérieur ? Puisque j’avais ma famille à l’hôtellerie,
je pourrais parler, mais dire que je pouvais aller à l’extérieur, je n’avais
pas droit à aller à l’extérieur.
Le Président : Bien. Y a-t-il
des questions à poser au témoin ?
Me. GILLET : Aviez-vous
déjà vu Monsieur REKERAHO dans le couvent ? Je parle d’avant les événements
du 22 avril.
le témoin 101 : Je ne l’ai
pas vu.
Me. GILLET : Donc, vous
n’avez jamais assisté ou entendu parler de réunions entre sœur Gertrude et sœur
Marie Kizito, avec REKERAHO et avec Gaspard, que ce soit dans le couvent ou
éventuellement en dehors du couvent ?
le témoin 101 : Donc, j’ai
entendu cette réunion de la part de REKERAHO au moment de son procès dans une
salle polyvalente à la préfecture de Butare et REKERAHO lui-même a dit que dans
une réunion du 20 avril, c’est Gaspard, lui et deux sœurs, donc ils s’étaient
réunis chez Gaspard et que la sœur a dit : « Venez… ». Je ne
sais pas le dire en français, je vais m’exprimer en kinyarwanda, pas en français
je ne peux pas traduire.
Le Président : Il y a un
interprète qui va traduire ce que vous dites.
le témoin 101 : Ngo muri iyo nama bakoranye
Gaspard, Rekeraho, Gertrude
L’interprète : Au cours de cette
réunion à laquelle participaient Gaspard, REKERAHO, Gertrude et Kizito,
le témoin 101 : Muriyo nama
bakoranye Gertrude, Kizito, Gaspard na Rekeraho
L’interprète : Sœur Gertrude aurait
dit à REKERAHO
le témoin 101 : Sœur Gertrud
ngo yaba yarabwiye Rekeraho ati muzabanguke muntabare kubera ko mu kigo hari abatutsi benshi
L’interprète : Qu’il faudrait
venir vite à sont secours parce qu’au couvent il y avait beaucoup de femmes
Tutsi,
le témoin 101 : Kuko bashobora
kunyica ntimuzabone n’amagufa yange
L’interprète : Parce qu’elles
pourraient me tuer et jamais vous ne verrez mes os.
le témoin 101 : Ibyo nabyumvanye
Rekeraho mu rubanza rwe aburana i Butare
L’interprète : J’ai entendu cela
par REKERAHO lors de son procès à Butare.
Me. GILLET : Alors,
tout autre chose. Le 23 avril, donc, vous quittez le couvent dans le deuxième
convoi. Vous avez assisté, je pense, vous l’avez dit, au départ du premier convoi.
Est-ce que vous avez eu l’occasion de voir, à ce moment-là si, soit du côté
du couvent, soit du côté du centre de santé, le sol était jonché de corps de
personnes décédées ou de corps de personnes agonisantes ? Est-ce que vous
avez pu voir cela ?
le témoin 101 : Dans le deuxième
convoi, il y avait beaucoup de cadavres mais je n’ai pas vu de personnes agonisantes.
Me. GILLET : Et vous
n’avez pas vu partir le premier convoi ?
le témoin 101 : Je l’ai vu
partir mais je n’ai pas suivi pour voir l’itinéraire.
Le Président : Et avec ce
deuxième convoi, qui est-ce qui conduisait le véhicule ? Le bourgmestre ?
le témoin 101 : C’est le bourgmestre
qui conduisait.
Le Président : Est-ce que
le bourgmestre a dû rouler sur des corps qui étaient sur la route, par exemple ?
le témoin 101 : Non, je ne
l’ai pas vu rouler sur des corps.
Le Président : Monsieur le
12e juré.
Le 12e Juré : Merci,
Monsieur le président. Est-ce que le témoin pourrait préciser s’il connaît sœur
Stéphanie et, si oui, quel était son rôle au sein du monastère ?
le témoin 101 : Je connaissais
sœur Stéphanie, elle était économe du couvent ou serrurière comme on l’appelle
dans les termes des sœurs ?
Le Président : Une autre
question ? Maître FERMON.
Me. FERMON : J’ai trois petites
questions, Monsieur le président. La première : est-ce que le témoin peut
nous dire si elle a entendu qu’à un certain moment sœur Gertrude aurait dit
que les réfugiés devaient cotiser pour la nourriture, qu’ils devaient payer
la nourriture avant de la recevoir ?
le témoin 101 : Oui, j’ai entendu
du papa de sœur Fortunata, je l’ai entendu que la sœur avait demandé la participation.
Le Président : Et le papa
de sœur Fortunata, il était à l’hôtellerie ?
le témoin 101 : Oui.
Le Président : Lorsque quelqu’un
vient à l’hôtellerie, est-ce qu’il ne doit pas payer son repas et son logement ?
le témoin 101 : Il était venu
comme réfugié, il n’était pas venu dans la normalité.
Le Président : Mais s’il
était venu dans la normalité, il aurait dû payer sa quote-part, son logement,
sa nourriture ?
le témoin 101 : En tant que
le papa d’une des sœurs, il ne pouvait pas, c’est comme ça qu’on faisait.
Le Président : Les gens de
la famille qui étaient hébergés normalement ne devaient pas payer ?
le témoin 101 : Ne devaient
pas payer.
Le Président : Même s’il
ne s’agissait pas de réfugiés ?
le témoin 101 : Non.
Le Président : Oui, Maître
FERMON.
Me. FERMON : Monsieur le
président, est-ce que le témoin pourrait nous raconter ce qui est arrivé à la
cousine, je crois, de sœur Théonile lors du tri des réfugiés le 25 avril, quand
ils sont partagés en trois groupes et certains groupes sont conduits à la mort ?
le témoin 101 : La cousine
de sœur Théonile, qui était gravement blessée a aussi été conduite, a été donnée
aux miliciens qui étaient derrière la petite porte du monastère.
Le Président : Elle n’a pas
été considérée comme membre de la famille des sœurs ?
le témoin 101 : Elle n’a pas
été considérée comme membre de la famille.
Le Président : Vous savez
pourquoi il y a eu cette différence en ce qui concerne la cousine, cette cousine
de sœur Théonile ?
le témoin 101 : Je ne sais
pas.
Le Président : Oui, Maître
FERMON.
Me. FERMON : Monsieur le
président, devant le TPIR, le témoin a expliqué comment cette cousine a été
conduite vers les milices qui attendaient derrière la grille et par qui.
le témoin 101 : C’est par la
sœur supérieure qu’elle a été conduite, elle l’a prise par la main, elle l’a
jetée derrière la petite porte du monastère.
Me. FERMON : Alors, dernière
question, si vous me permettez, Monsieur le président. Est-ce que dans le couvent,
que le témoin connaissait quand même, je dirais, de l’intérieur, est-ce qu’il
y avait des possibilités de cacher des personnes, par exemple dans d’autres
circonstances, on parle souvent de faux plafonds dans lesquels on cache les
gens ? Est-ce qu’il y avait des possibilités pareilles dans le monastère,
de cacher des personnes ?
le témoin 101 : Oui, il y avait
mille possibilités de cacher des personnes. Le couvent est immense, il y avait
des faux plafonds, il y avait des caves, donc, c’est que la volonté n’y était
pas, il y avait moyen de cacher des gens.
Le Président : A part Monsieur
REKERAHO et le bourgmestre et les policiers, est-ce que quelqu’un des milices
a mis un jour les pieds dans le couvent, dans la clôture, hein, du couvent ?
le témoin 101 : Je n’ai pas
vu les miliciens au couvent. Même ces attaques, on les voyait de l’extérieur.
Je n’ai jamais vu les miliciens entrer au couvent pour nous menacer ou réclamer
des réfugiés.
Le Président : Maître RAMBOER.
Me. RAMBOER : J’ai deux petites
questions, Monsieur le président. La première question, donc, le 22, le jour
de la grande attaque, les sœurs ainsi que des membres des familles des sœurs,
des membres des familles du personnel se sont réunis dans la grande salle pour
prier et on a prié toute la journée. Est-ce que le témoin peut confirmer qu’à
un certain moment, sœur Gertrude et sœur Kizito ont quitté cette réunion et
est-ce qu’elle peut éventuellement dire vers quel moment, si la réponse est
positive, vers quel moment sœur Gertrude et sœur Kizito ont quitté ?
Le Président : Les sœurs
Gertrude et Kizito ou l’une ou l’autre ont-elles, à un moment donné de la journée
du 22 avril 1994, quitté les autres sœurs qui étaient en train de prier ?
le témoin 101 : Nous avons
d’abord commencé par les prières dans une salle en haut, après nous sommes descendus,
donc les deux sœurs étaient là, mais à un moment donné, j’ai remarqué leur absence
mais je ne peux pas préciser, mais à un moment donné, j’ai remarqué leur absence,
elles n’étaient pas avec les sœurs et les réfugiés, en train de prier.
Le Président : Oui.
Me. RAMBOER : Et donc, une
deuxième question. Donc, j’ai vu dans mon dossier que le témoin est originaire
de Sovu elle-même, de la colline où se trouve le couvent. Est-ce qu’elle peut
préciser qui, à part sœur Kizito, était encore comme sœur originaire de la colline
au moment même que les faits se sont passés ?
Le Président : Y avait-il,
à part sœur Kizito et à part vous, encore d’autres religieuses qui étaient originaires
de la colline de Sovu ?
le témoin 101 : A part moi
et sœur Kizito, il y avait sœur Fortunata qui était originaire de Sovu, sœur
Bernadette qui était originaire de Maraba, mais pas de Sovu.
Me. RAMBOER : Alors, comme
elle est originaire de la colline de Sovu, est-ce qu’elle peut éventuellement
donner des précisions sur le rôle joué par les frères de sœur Kizito lors du
génocide, est-ce qu’elle a des informations à ce sujet ?
Le Président : Savez-vous
si les frères ou un des frères de sœur Kizito ont joué un rôle dans les massacres
à Sovu ?
le témoin 101 : Je n’ai pas
vu les frères de Kizito, bien que je les connaissais, mais je ne les ai pas
vus dans les massacres, ce sont seulement des ouï-dire, je ne les ai pas vus
personnellement de mes propres yeux.
Le Président : Une autre
question ? Maître BEAUTHIER.
Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, vu l’heure tardive,
je ferai des questions sommaires et j’en ai trois. Le témoin a parlé de cette
jeune fille fort blessée qui a été conduite à l’extérieur pour être tuée, qui
était conduite par sœur Gertrude. Quel âge avait cette jeune fille ?
Le Président : Vous savez
quel était l’âge de la cousine de sœur Théonile ?
le témoin 101 : Je ne la connaissais
pas, je l’ai vue ce jour-là, je ne connais pas son âge.
Le Président : Vous pouvez
évaluer ? Est-ce que c’était un enfant de 5 ans, une jeune fille d’une
dizaine d’années, une adolescente de 14-15 ans ?
le témoin 101 : Peut-être de
12 ans, autour de ça.
Le Président : Oui ?
Me. BEAUTHIER : Deuxième…
[Interruption d’enregistrement Fin de la déposition non
enregistrée] |