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8.6.40. Audition des témoins: Andrée JANSSENS
Le Président : Madame le témoin 37
est présente, elle peut approcher. Madame, quels sont vos nom et prénom ?
Andrée JANSSENS : Je m’appelle
Andrée JANSSENS, en religion sœur Françoise.
Le Président : Bien. Quel
âge avez-vous ?
Andrée JANSSENS : Le mois prochain,
73 ans.
Le Président : Donc, jusqu’au
mois prochain vous en avez encore 72.
Andrée JANSSENS : J’en ai encore
72 jusqu’au 14 juin à midi.
Le Président : Bien. Quelle
est votre profession ?
Andrée JANSSENS : Je suis moniale
bénédictine à l’abbaye de Maredret, près de Maredsous.
Le Président : Oui. Vous
êtes domiciliée à Maredret alors ?
Andrée JANSSENS : Oui.
Le Président : Connaissiez-vous
les accusés ou certains des accusés avant le mois d’avril 1994 ?
Andrée JANSSENS : Une des deux.
Le Président : Sœur Gertrude ?
Andrée JANSSENS : Sœur Gertrude,
pas sœur Kizito.
Le Président : Bien. Etes-vous
de la famille des accusés ou des parties civiles ?
Andrée JANSSENS : Famille ?
Le Président : Oui.
Andrée JANSSENS : Non.
Le Président : Etes-vous
liée par un contrat de travail ou un contrat d’emploi avec les accusés ou les
parties civiles ?
Andrée JANSSENS : Non.
Le Président : Je vais vous
demander alors de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment
de témoin.
Andrée JANSSENS : Je jure de parler
sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie.
Asseyez-vous. Je n’ai pas non plus de déclaration de Madame le témoin 37 dans le
dossier. Madame, avez-vous vécu au Rwanda ?
Andrée JANSSENS : Non.
Le Président : Est-ce à Maredret
que vous avez fait la connaissance de sœur Gertrude, m’avez-vous dit tout à
l’heure, avant 1994 ?
Andrée JANSSENS : Oui. A deux
reprises.
Le Président : Pouvez-vous
expliquer dans quelles circonstances et à quelle époque ?
Andrée JANSSENS : Non, je ne sais
plus quand c’était.
Le Président : Vous ne savez
plus quand c’était.
Andrée JANSSENS : Non. Elle a
fait deux séjours en Europe, en Belgique et à Maredret dans les années qui ont
précédé le génocide et que je ne peux pas préciser. Elle est venue pour études,
à deux reprises, et elle a séjourné dans notre monastère. Je l’ai donc connue,
sans la connaître, parce que j’étais moi-même à l’époque sœur hôtelière, et
j’étais fort prise par mon travail qui n’était pas même en clôture, je dirais,
en partie oui, je venais tout le temps en clôture, mais j’étais occupée avec
les autres à l’extérieur, donc je ne l’ai pas connue intimement, je dirais,
mais bien connue quand même.
Le Président : Elle venait
faire des études de théologie, si je ne m’abuse ? Une formation en théologie ?
Andrée JANSSENS : Je ne sais plus
ce qu’elle est venue faire. Oui, je crois qu’elle a fait l’ITHIM, oui je crois
bien, euh… théologie monastique, une combine comme ça.
Le Président : De ces contacts
que vous avez eus, qui n’étaient donc pas très fréquents, ni très intimes…
Andrée JANSSENS : C’est-à-dire
qu’on se voyait aux repas mais comme on ne parle jamais aux repas, mais parfois
en récréation, quand j’y étais, là on parle évidemment.
Le Président : Eh bien, quand
vous alliez à la récréation et que vous parliez avec elle, de ces contacts que
vous avez pu avoir avec elle à cette époque-là, comment décririez-vous sa personnalité ?
Andrée JANSSENS : Quelqu’un qui
a le contact facile, qui est une personne qui a de la personnalité, comme on
dit, euh… énergique, intelligente, qui prend facilement une décision, qui voit
vite clair, qui est peut-être un peu impulsive ou pas très patiente toujours,
mais très capable, dévouée, droite, loyale, on peut compter dessus.
Le Président : Vous l’avez
revue, j’imagine, à Maredret après les événements dramatiques qu’a connus le
Rwanda à partir du 6 avril 1994 ?
Andrée JANSSENS : Oui. Toutes
les sœurs sont arrivées groupées le 16 août 1994, vers 6h du soir. Et sœur Gertrude
était auprès, étant à ce moment-là la prieure, du reste, depuis moins d’un an.
Le Président : Et vous avez,
à cette occasion-là, fait la connaissance de sœur Maria Kizito et d’autres sœurs
de la communauté de Sovu ?
Andrée JANSSENS : Et de toutes
les autres, des 22 autres.
Le Président : Alors, sœur
Maria Kizito, c’est quel genre de personnalité ?
Andrée JANSSENS : Mais elle se
met vite sur la brèche. Je dirais qu’elle est extrêmement serviable et dévouée,
elle se couperait en morceaux pour rendre service et pour aider, c’est la plus
grande caractéristique de sa personne, me semble-t-il. On pourrait dire qu’elle
est parfois un mêle-tout puisque je dis tout, toute la vérité, mais c’est pour
le bien, c’est pour faire une surprise et faire que quelqu’un soit content.
Le Président : Avez-vous
constaté que les religieuses arrivées de la communauté de Sovu étaient particulièrement
marquées par les événements qu’elles venaient de vivre ?
Andrée JANSSENS : Oh oui !
Je l’ai très fort constaté, et en particulier après la démission de sœur Gertrude
comme prieure car, à ce moment-là, dans l’interrègne, je dirais, celle qui a
pris la relève temporaire de sœur Gertrude, et qui était mère Marie-Jeanne DE
MEULEMEESTER, une de nos sœurs de Maredret, partie en 1959 au Rwanda pour fonder,
et qui s’est trouvée là au moment du génocide, elle a quitté le 18 pour revenir
chez nous. Et mère Marie-Jeanne a repris la communauté en main en attendant
qu’une autre prieure rwandaise soit désignée, et elle a demandé à ce moment-là
à notre abbesse si moi je ne pouvais pas l’aider en prenant en charge les plus
jeunes qui étaient encore en formation et qui étaient au nombre de 7. Et j’ai
fait ça pendant quelques mois, jusqu’à ce que mère Anastasie qui est la prieure
actuelle soit venue prendre le relais. Alors, moi je me suis retirée. Mais j’ai
donc connu de très près les plus jeunes surtout. Et les autres très bien aussi
parce qu’on avait été ensemble, je logeais d’ailleurs avec elles dans le même
dortoir, je leur donnais des cours auxquels sœur Marie Kizito a d’ailleurs parfois
assisté. Je me suis beaucoup investie et je peux le dire, parce que c’est la
vérité, j’ai appris à les apprécier et à les aimer.
Le Président : Avez-vous
constaté que, parmi les religieuses de la communauté de Sovu qui s’étaient réfugiées
à Maredret, il y avait des tensions, qu’il existait sans doute deux groupes,
un plus important en nombre, soutenant, je dirais, sœur Gertrude, et un autre,
plus petit, considérant que sœur Gertrude, et peut-être bien aussi sœur Kizito,
avaient une part de responsabilité dans les événements qui s’étaient déroulés
à Sovu ?
Andrée JANSSENS : Non, pas directement.
A ce moment-là, je n’ai pas vu ou constaté des choses pareilles, sauf une chose
qui m’a paru bizarre et qui a paru bizarre à notre communauté, je dois dire,
on vivait ensemble mais on se respectait et comme Maredret est très grand, on
ne courait pas tout le temps les unes chez les autres, il y a d’ailleurs le
silence. Mais, nous avons pu constater quelque chose d’étrange, c’est que sœur
Scholastique venait beaucoup auprès des plus jeunes, au début donc quand mère
Gertrude était encore prieure, elle venait, tâchant de s’occuper des plus jeunes,
or c’est un rôle qui ne lui revenait pas. Dans un monastère, ça c’est très clair.
Ce rôle revenait à mère Gertrude, et nous nous sommes dit que ça devait l’agacer
de voir sœur Scholastique tout le temps vouloir s’en mêler, pour employer un
terme bien belge et bien réel. Ca nous a paru assez étrange. Mais les sœurs
rwandaises nous ont peu parlé de leurs affaires internes. J’ai entendu dire
petit à petit par elles, qu’il y avait en effet une tension et qu’il y en avait
une au moment de l’élection prieurale en juillet 1993, parce qu’il y avait deux
candidates possibles et qui devaient être, je ne peux pas dire à égalité, je
n’en sais rien, mais je me souviens d’une réaction.
A Maredret, à ce moment-là, résidait une sœur rwandaise, je ne sais
plus si elle a voté par procuration, si elle ne l’a pas fait du tout, je ne
me rappelle plus, mais c’était sœur Agnès qui a été tuée, vous savez qu’il y
en a neuf qui ont été tuées, n’est-ce pas, et elle est parmi les neuf. Et celle-là,
quand nous avons appris par un coup de fil de mère Marie-Jeanne, c’est moi qui
ai eu le coup de fil, le soir : « Voilà, nous avons une prieure rwandaise,
pour la première fois, et c’est soeur Gertrude ». Et quand notre abbesse
a annoncé cela à sœur Agnès, sœur Agnès a été très surprise. Elle a dit :
« Sœur Gertrude ? ». Mais elle n’a rien dit de plus. C’est tout. Nous
nous sommes dit : « Tiens, c’est que les jeux n’étaient pas faits
d’avance ». C’est l’impression que ça nous a laissée, c’est tout.
Le Président : Vous avez
parlé de deux candidates, mais je crois qu’on ne dépose pas sa candidature,
hein ? On ne fait pas campagne électorale pour l’élection ?
Andrée JANSSENS : Non, quand même
pas !
Le Président : En réalité,
toutes les religieuses qui sont dans les conditions, elles sont toutes candidates
en quelque sorte ?
Andrée JANSSENS : Toutes. Entendons-nous,
pas celles qui sont en formation.
Le Président : Oui, oui.
Andrée JANSSENS : Seules celles
qui ont fait leurs vœux solennels, c’est-à-dire définitifs, jusqu’à la mort
alors, hein. Chacune d’elles a voix au chapitre comme on dit et c’est littéralement
ça. Et celles-là sont toutes éligibles, donc, aucune n’est présentée, aucune
n’est proposée. Rien. Nous venons d’avoir nous-mêmes une élection abbatiale
parce notre abbesse était arrivée au bout de son terme, eh bien, elle est rentrée
dans la communauté comme moi, comme n’importe laquelle, et nous nous sommes
trouvées toutes là très librement à voter, voter pour qui nous voulions. Et
c’est parfois la surprise. Mais parfois aussi, il y a des personnalités qui
émergent. Il y en a évidemment pour qui on ne voterait pas, au contraire, et
d’autres, pourquoi pas ? Ca, on peut le supposer. Et il peut se faire que
dans une communauté - nous avons eu ça une fois, paraît-il, mais je n’étais
pas encore là - il y en avait deux vraiment, je dirais en concurrence, elles
ne se faisaient pas la concurrence mais, euh… pour qui il était prévu que beaucoup
voteraient. Et alors, on est élu à Sovu, comme à Maredret, aux deux tiers des
voix, donc, pas la majorité.
Le Président : Donc, ce n’est
pas une majorité simple ? Il peut peut-être y avoir plusieurs tours de
scrutin alors ?
Andrée JANSSENS : Il y a plusieurs
tours de scrutin, bien sûr, oui. Ca se rajuste alors, et si ça ne se rajuste
pas, alors il y a des dispositions prévues, je ne sais pas lesquelles, dans
le statut.
Le Président : Bien. Y a-t-il
des questions à poser au témoin ? S’il n’y a plus de questions, les parties
sont-elles d’accord pour que le témoin se retire ? Madame le témoin 37, confirmez-vous
les déclarations que vous venez de faire ? Persistez-vous dans ces déclarations ?
Andrée JANSSENS : Absolument.
Le Président : Madame, la
Cour vous remercie pour votre témoignage. Vous pouvez maintenant disposer librement
de votre temps.
Andrée JANSSENS : C’est gentil,
Monsieur le président, merci. |
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