assises rwanda 2001
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Instruction d’audience C. Mukangango, « sœur Gertrude » et J. Mukabutera, « sœur Kizito » Audition témoins compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction d’audience C. Mukangango, « sœur Gertrude » et J. Mukabutera, « sœur Kizito » > Audition témoins > A. JANSSENS
1. le témoin 19 2. M.le témoin 44 3. R. Tremblay 4. le témoin 110 5. le témoin 38 6. le témoin 72 7. le témoin 101 8. le témoin 79 9. le témoin 138 10. le témoin 57 11. le témoin 2 12. le témoin 66 13. le témoin 71 14. le témoin 64 15. le témoin 81 16. le témoin 151 17. le témoin 115 18. le témoin 136 19. le témoin 7 20. le témoin 75 21. le témoin 82 22. le témoin 80 23. le témoin 99 24. le témoin 152 25. le témoin 78 26. Commentaires sur textes rédigés à Maredret 27. le témoin 95 28. le témoin 133 et commentaires de défense 29. le témoin 74 30. le témoin 70 31. le témoin 20 32. le témoin 60 33. le témoin 17 34. le témoin 49 35. le témoin 127 36. le témoin 47 37. le témoin 46 38. le témoin 147 39. le témoin 51 40. A. JANSSENS 41. le témoin 48 42. le témoin 145 43. G. Dupuis
 

8.6.40. Audition des témoins: Andrée JANSSENS

Le Président : Madame le témoin 37 est présente, elle peut approcher. Madame, quels sont vos nom et prénom ?

Andrée JANSSENS : Je m’appelle Andrée JANSSENS, en religion sœur Françoise.

Le Président : Bien. Quel âge avez-vous ?

Andrée JANSSENS : Le mois prochain, 73 ans.

Le Président : Donc, jusqu’au mois prochain vous en avez encore 72.

Andrée JANSSENS : J’en ai encore 72 jusqu’au 14 juin à midi.

Le Président : Bien. Quelle est votre profession ?

Andrée JANSSENS : Je suis moniale bénédictine à l’abbaye de Maredret, près de Maredsous.

Le Président : Oui. Vous êtes domiciliée à Maredret alors ?

Andrée JANSSENS : Oui.

Le Président : Connaissiez-vous les accusés ou certains des accusés avant le mois d’avril 1994 ?

Andrée JANSSENS : Une des deux.

Le Président : Sœur Gertrude ?

Andrée JANSSENS : Sœur Gertrude, pas sœur Kizito.

Le Président : Bien. Etes-vous de la famille des accusés ou des parties civiles ?

Andrée JANSSENS : Famille ?

Le Président : Oui.

Andrée JANSSENS : Non.

Le Président : Etes-vous liée par un contrat de travail ou un contrat d’emploi avec les accusés ou les parties civiles ?

Andrée JANSSENS : Non.

Le Président : Je vais vous demander alors de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment de témoin. 

Andrée JANSSENS : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président : Je vous remercie. Asseyez-vous. Je n’ai pas non plus de déclaration de Madame le témoin 37 dans le dossier. Madame, avez-vous vécu au Rwanda ?

Andrée JANSSENS : Non.

Le Président : Est-ce à Maredret que vous avez fait la connaissance de sœur Gertrude, m’avez-vous dit tout à l’heure, avant 1994 ?

Andrée JANSSENS : Oui. A deux reprises.

Le Président : Pouvez-vous expliquer dans quelles circonstances et à quelle époque ?

Andrée JANSSENS : Non, je ne sais plus quand c’était.

Le Président : Vous ne savez plus quand c’était.

Andrée JANSSENS : Non. Elle a fait deux séjours en Europe, en Belgique et à Maredret dans les années qui ont précédé le génocide et que je ne peux pas préciser. Elle est venue pour études, à deux reprises, et elle a séjourné dans notre monastère. Je l’ai donc connue, sans la connaître, parce que j’étais moi-même à l’époque sœur hôtelière, et j’étais fort prise par mon travail qui n’était pas même en clôture, je dirais, en partie oui, je venais tout le temps en clôture, mais j’étais occupée avec les autres à l’extérieur, donc je ne l’ai pas connue intimement, je dirais, mais bien connue quand même.

Le Président : Elle venait faire des études de théologie, si je ne m’abuse ? Une formation en théologie ?

Andrée JANSSENS : Je ne sais plus ce qu’elle est venue faire. Oui, je crois qu’elle a fait l’ITHIM, oui je crois bien, euh… théologie monastique, une combine comme ça.

Le Président : De ces contacts que vous avez eus, qui n’étaient donc pas très fréquents, ni très intimes…

Andrée JANSSENS : C’est-à-dire qu’on se voyait aux repas mais comme on ne parle jamais aux repas, mais parfois en récréation, quand j’y étais, là on parle évidemment.

Le Président : Eh bien, quand vous alliez à la récréation et que vous parliez avec elle, de ces contacts que vous avez pu avoir avec elle à cette époque-là, comment décririez-vous sa personnalité ?

Andrée JANSSENS : Quelqu’un qui a le contact facile, qui est une personne qui a de la personnalité, comme on dit, euh… énergique, intelligente, qui prend facilement une décision, qui voit vite clair, qui est peut-être un peu impulsive ou pas très patiente toujours, mais très capable, dévouée, droite, loyale, on peut compter dessus.

Le Président : Vous l’avez revue, j’imagine, à Maredret après les événements dramatiques qu’a connus le Rwanda à partir du 6 avril 1994 ?

Andrée JANSSENS : Oui. Toutes les sœurs sont arrivées groupées le 16 août 1994, vers 6h du soir. Et sœur Gertrude était auprès, étant à ce moment-là la prieure, du reste, depuis moins d’un an.

Le Président : Et vous avez, à cette occasion-là, fait la connaissance de sœur Maria Kizito et d’autres sœurs de la communauté de Sovu ?

Andrée JANSSENS : Et de toutes les autres, des 22 autres.

Le Président : Alors, sœur Maria Kizito, c’est quel genre de personnalité ?

Andrée JANSSENS : Mais elle se met vite sur la brèche. Je dirais qu’elle est extrêmement serviable et dévouée, elle se couperait en morceaux pour rendre service et pour aider, c’est la plus grande caractéristique de sa personne, me semble-t-il. On pourrait dire qu’elle est parfois un mêle-tout puisque je dis tout, toute la vérité, mais c’est pour le bien, c’est pour faire une surprise et faire que quelqu’un soit content.

Le Président : Avez-vous constaté que les religieuses arrivées de la communauté de Sovu étaient particulièrement marquées par les événements qu’elles venaient de vivre ?

Andrée JANSSENS : Oh oui ! Je l’ai très fort constaté, et en particulier après la démission de sœur Gertrude comme prieure car, à ce moment-là, dans l’interrègne, je dirais, celle qui a pris la relève temporaire de sœur Gertrude, et qui était mère Marie-Jeanne DE MEULEMEESTER, une de nos sœurs de Maredret, partie en 1959 au Rwanda pour fonder, et qui s’est trouvée là au moment du génocide, elle a quitté le 18 pour revenir chez nous. Et mère Marie-Jeanne a repris la communauté en main en attendant qu’une autre prieure rwandaise soit désignée, et elle a demandé à ce moment-là à notre abbesse si moi je ne pouvais pas l’aider en prenant en charge les plus jeunes qui étaient encore en formation et qui étaient au nombre de 7. Et j’ai fait ça pendant quelques mois, jusqu’à ce que mère Anastasie qui est la prieure actuelle soit venue prendre le relais. Alors, moi je me suis retirée. Mais j’ai donc connu de très près les plus jeunes surtout. Et les autres très bien aussi parce qu’on avait été ensemble, je logeais d’ailleurs avec elles dans le même dortoir, je leur donnais des cours auxquels sœur Marie Kizito a d’ailleurs parfois assisté. Je me suis beaucoup investie et je peux le dire, parce que c’est la vérité, j’ai appris à les apprécier et à les aimer.

Le Président : Avez-vous constaté que, parmi les religieuses de la communauté de Sovu qui s’étaient réfugiées à Maredret, il y avait des tensions, qu’il existait sans doute deux groupes, un plus important en nombre, soutenant, je dirais, sœur Gertrude, et un autre, plus petit, considérant que sœur Gertrude, et peut-être bien aussi sœur Kizito, avaient une part de responsabilité dans les événements qui s’étaient déroulés à Sovu ?

Andrée JANSSENS : Non, pas directement. A ce moment-là, je n’ai pas vu ou constaté des choses  pareilles, sauf une chose qui m’a paru bizarre et qui a paru bizarre à notre communauté, je dois dire, on vivait ensemble mais on se respectait et comme Maredret est très grand, on ne courait pas tout le temps les unes chez les autres, il y a d’ailleurs le silence. Mais, nous avons pu constater quelque chose d’étrange, c’est que sœur Scholastique venait beaucoup auprès des plus jeunes, au début donc quand mère Gertrude était encore prieure, elle venait, tâchant de s’occuper des plus jeunes, or c’est un rôle qui ne lui revenait pas. Dans un monastère, ça c’est très clair. Ce rôle revenait à mère Gertrude, et nous nous sommes dit que ça devait l’agacer de voir sœur Scholastique tout le temps vouloir s’en mêler, pour employer un terme bien belge et bien réel. Ca nous a paru assez étrange. Mais les sœurs rwandaises nous ont peu parlé de leurs affaires internes. J’ai entendu dire petit à petit par elles, qu’il y avait en effet une tension et qu’il y en avait une au moment de l’élection prieurale en juillet 1993, parce qu’il y avait deux candidates possibles et qui devaient être, je ne peux pas dire à égalité, je n’en sais rien, mais je me souviens d’une réaction.

A Maredret, à ce moment-là, résidait une sœur rwandaise, je ne sais plus si elle a voté par procuration, si elle ne l’a pas fait du tout, je ne me rappelle plus, mais c’était sœur Agnès qui a été tuée, vous savez qu’il y en a neuf qui ont été tuées, n’est-ce pas, et elle est parmi les neuf. Et celle-là, quand nous avons appris par un coup de fil de mère Marie-Jeanne, c’est moi qui ai eu le coup de fil, le soir : « Voilà, nous avons une prieure rwandaise, pour la première fois, et c’est soeur Gertrude ». Et quand notre abbesse a annoncé cela à sœur Agnès, sœur Agnès a été très surprise. Elle a dit : « Sœur Gertrude ? ». Mais elle n’a rien dit de plus. C’est tout. Nous nous sommes dit : « Tiens, c’est que les jeux n’étaient pas faits d’avance ». C’est l’impression que ça nous a laissée, c’est tout.

Le Président : Vous avez parlé de deux candidates, mais je crois qu’on ne dépose pas sa candidature, hein ? On ne fait pas campagne électorale pour l’élection ?

Andrée JANSSENS : Non, quand même pas !

Le Président : En réalité, toutes les religieuses qui sont dans les conditions, elles sont toutes candidates en quelque sorte ?

Andrée JANSSENS : Toutes. Entendons-nous, pas celles qui sont en formation.

Le Président : Oui, oui.

Andrée JANSSENS : Seules celles qui ont fait leurs vœux solennels, c’est-à-dire définitifs, jusqu’à la mort alors, hein. Chacune d’elles a voix au chapitre comme on dit et c’est littéralement ça. Et celles-là sont toutes éligibles, donc, aucune n’est présentée, aucune n’est proposée. Rien. Nous venons d’avoir nous-mêmes une élection abbatiale parce notre abbesse était arrivée au bout de son terme, eh bien, elle est rentrée dans la communauté comme moi, comme n’importe laquelle, et nous nous sommes trouvées toutes là très librement à voter, voter pour qui nous voulions. Et c’est parfois la surprise. Mais parfois aussi, il y a des personnalités qui émergent. Il y en a évidemment pour qui on ne voterait pas, au contraire, et d’autres, pourquoi pas ? Ca, on peut le supposer. Et il peut se faire que dans une communauté - nous avons eu ça une fois, paraît-il, mais je n’étais pas encore là - il y en avait deux vraiment, je dirais en concurrence, elles ne se faisaient pas la concurrence mais, euh… pour qui il était prévu que beaucoup voteraient. Et alors, on est élu à Sovu, comme à Maredret, aux deux tiers des voix, donc, pas la majorité.

Le Président : Donc, ce n’est pas une majorité simple ? Il peut peut-être y avoir plusieurs tours de scrutin alors ?

Andrée JANSSENS : Il y a plusieurs tours de scrutin, bien sûr, oui. Ca se rajuste alors, et si ça ne se rajuste pas, alors il y a des dispositions prévues, je ne sais pas lesquelles, dans le statut.

Le Président : Bien. Y a-t-il des questions à  poser au témoin ? S’il n’y a plus de questions, les parties sont-elles d’accord pour que le témoin se retire ? Madame le témoin 37, confirmez-vous les déclarations que vous venez de faire ? Persistez-vous dans ces déclarations ?

Andrée JANSSENS : Absolument.

Le Président : Madame, la Cour vous remercie pour votre témoignage. Vous pouvez maintenant disposer librement de votre temps.

Andrée JANSSENS : C’est gentil, Monsieur le président, merci.