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8.6.11. Audition des témoins: le témoin 2
Le Président : Nous allons,
donc maintenant, entendre Madame le témoin 2.
Classeur 5, farde 13, pièce 5, c’est une commission rogatoire à Paris,
je crois.
Madame, vous parlez bien et comprenez bien le français ?
le témoin 2 : Oui, Monsieur…
oui, Monsieur le président.
Le Président : Alors, Madame,
quels sont vos nom et prénom ?
le témoin 2 : Le nom c’est
le témoin 2, B-A-B-O, et le prénom c’est Véronique.
Le Président : Quel âge avez-vous ?
le témoin 2 : Je suis née le
8 juin 1935…
Le Président : Donc… Oui ?
le témoin 2 : …ça fait 66 ans.
Je vais vers la 66ème année.
Le Président : C’est ça.
Euh… votre… Vous êtes religieuse ?
le témoin 2 : Je suis religieuse.
Le Président : Quelle est
votre… votre commune de domicile ? Pour le moment…
le témoin 2 : Actuellement,
je suis domiciliée en Martinique, au Carbet.
Le Président : Connaissiez-vous,
Madame, les accusés ou une partie des accusés en avril 1994 ou avant même,
le mois d’avril ? Connaissiez-vous Monsieur NTEZIMANA ?
le témoin 2 : Non, je ne connaissais
pas Monsieur NTEZIMANA…
Le Président : Connaissiez-vous
Monsieur HIGANIRO ?
le témoin 2 : Non plus, je
ne l’ai pas… en tout cas, je ne le connais pas.
Le Président : Connaissiez-vous
sœur Gertrude ?
le témoin 2 : Oui, sœur Gertrude
était ma supérieure.
Le Président : Et connaissiez-vous
sœur Marie-Kizito ?
le témoin 2 : Elle était dans
ma communauté, dans la communauté de Sovu.
Le Président : Etes-vous
de la famille des accusés ?
le témoin 2 : Non, je ne suis
pas de leur famille.
Le Président : Vous n’êtes
pas non plus de la famille des parties civiles, c’est-à-dire des gens qui réclament
des dommages et intérêts aux accusés ?
le témoin 2 : Non, non, je
ne suis pas de leur famille. Je suis Martiniquaise d’origine
Le Président : Vous ne travaillez
pas sous un lien de contrat de travail pour les accusés ou pour les parties
civiles ?
le témoin 2 : Non, Monsieur
le président.
Le Président : Madame, je
vais vous demander de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment
de témoin.
le témoin 2 : Je jure de parler
sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie.
Vous pouvez vous asseoir. Madame, au mois d’avril 1994, vous étiez membre de
la communauté des religieuses de Sovu ?
le témoin 2 : Oui, Monsieur
le président.
Le Président : Vous y étiez
depuis quand ?
le témoin 2 : Depuis 1968.
Le Président : En avril 1994,
aviez-vous une fonction particulière dans cette communauté ?
le témoin 2 : Non, je n’avais
pas de fonction particulière, Monsieur le président, parce que j’étais absente…
Le Président : Vous étiez…
le témoin 2 : J’étais en… à
Paris et je suis arrivée le 12 août 1993, alors je n’avais pas une fonction
précise. Je donnais des cours aux jeunes, c’est tout.
Le Président : C’est cela.
Vous n’étiez pas présente au moment où sœur Gertrude a été élue prieure de la
communauté ?
le témoin 2 : Non, je n’étais
pas présente.
Le Président : Savez-vous
si, avant les événements qui vont survenir à Sovu, au mois d’avril et au mois
de mai 1994, savez-vous s’il y avait des problèmes d’entente entre religieuses
dans cette communauté de Sovu, ou plus exactement de mésentente ?
le témoin 2 : Je ne peux pas
dire qu’il y avait une mésentente parce qu’il y a toujours des frictions, mais
une mésentente profonde, je ne m’en suis pas aperçue à mon arrivée, parce que
je n’ai pas vu cela.
Le Président : Avez-vous
éventuellement constaté qu’après les événements de Sovu, une mésentente soit…
se soit installée entre les religieuses ?
le témoin 2 : J’ai quitté le
Rwanda le 25 mai et j’étais étonnée qu’il n’y avait aucun clivage entre les
sœurs, il n’y avait vraiment pas de clivage ni de… il n’y avait rien, et cela
m’avait étonnée.
Le Président : Vous dites
avoir quitté, donc, le Rwanda, le 25 mai 1994, donc avant les autres membres
de la communauté.
le témoin 2 : Avant les autres
membres.
Le Président : Savez-vous
encore situer le moment auquel, dans le courant du mois d’avril 1994, des réfugiés
sont venus au couvent de Sovu ?
le témoin 2 : Mes souvenirs
sont un peu loin mais je vais essayer de vous dire ce qui me reste comme souvenirs.
Le Président : Oui.
le témoin 2 : Je me souviens
que les réfugiés sont venus en deux vagues, en deux fois. Une première fois,
ils sont arrivés, je pense que c’était euh… je ne sais pas si c’était un dimanche,
enfin, en tout cas ils sont arrivés le soir.
Je venais prier et ils sont entrés dans l’église et pendant quelques
minutes, personne n’a bougé. Quelques minutes après, les… on a vu, je crois,
que c’est deux hommes, arriver derrière les sœurs, par derrière, avec un coutelas,
chacun avait un coutelas et on pensait qu’ils allaient… qu’on allait cerner
les réfugiés qui étaient dans l’église.
J’ai vu qu’ils ont parlé avec euh… c’était la mère… c’était sœur
DEMEULEMEESTER qui était… qui était là… qui secondait sœur Gertrude, et ils
ont parlé, ils ont demandé à parler et un des deux a dit aux personnes qui étaient
à l’église : « Vous pouvez retourner chez vous parce que nous, les
hommes de la colline, nous allons nous mettre ensemble, quelle que soit notre
origine, pour repousser ces personnes qui nous assaillent, donc, retournez chez
vous ». Et les personnes sont retournées sur la colline. Mais je ne peux
pas dire si c’est une semaine ou combien de… quelques jours après, alors, il
y a eu un afflux de réfugiés qui a rempli l’église.
A ce moment, j’entends… je me souviens, sœur DEMEULEMEESTER a dit :
« On ne peut pas leur demander, quel que soit ce qui va arriver, on ne
peut plus leur demander de regagner la colline, on doit prendre les mesures
pour les héberger ». Mais comme il n’y a pas de confort dans l’église,
on a pensé les mettre dans notre centre nutritionnel où il y a une immense salle
et où il y avait des vivres, une cuisine, de l’eau et c’est ainsi qu’une sœur
a pris les… c’était la sœur aide-économe, a pris les… enfin, les opérations
et a installé les… ces réfugiés au centre nutritionnel, d’après ce que j’ai
vu. Après, je ne sais pas parce que j’étais toujours dans l’enceinte du monastère,
je n’avais pas de fonction pour aller ni à la grille ni… j’étais toujours à
l’intérieur.
Mais je sais, j’ai demandé à la sœur qui s’en est occupée, elle m’a
dit : « Oui, nous les avons installés bien, ils ont de l’eau, ils
ont de la nourriture et même certaines… certaines personnes ont porté des choses
de la maison, donc, ils ont tout ce qu’il faut et demain, les responsables du
centre du… du centre de santé vont… vont s’occuper de ces personnes encore
un peu plus ». Et le lendemain, je me souviens avoir rencontré la titulaire
du centre, je lui ai demandé : « Vous avez fait… », elle m’a
dit : « Oui, nous avons… nous nous sommes occupés, elles sont bien
accueillies, ils sont bien placés ».
Voilà tout ce que je peux dire parce que je ne suis pas sortie du
monastère pour aller voir, c’est ce qu’on m’a dit. Et on voyait les personnes
qui venaient chercher des choses au monastère. Les enfants circulaient, ça,
je les voyais, circulaient du centre et jouaient devant l’église. Donc, au début,
c’était bien.
Le Président : Vous avez
été entendue, je crois, alors que vous étiez à Paris ?
le témoin 2 : Oui, à Paris
j’ai été entendue mais j’ai insisté sur le fait qu’à Paris, j’étais moins… j’étais
plus déstabilisée qu’en arrivant au mois de juin 94 à Maredret parce qu’à ce
moment-là j’avais appris beaucoup de choses malheureuses ; mais j’ai essayé
quand même de dire ce que je pensais, ce que je croyais, j’ai… j’avais témoigné.
Le Président : Vous avez,
notamment lorsque vous avez été entendue à Paris, expliquée qu’il y avait au
couvent de Sovu, à cette époque-là, à l’époque où les réfugiés vont… vont arriver,
des personnes qui étaient en séminaire, qui étaient en session, qui suivaient
des formations.
le témoin 2 : Oui, ça je suis
sûre, parce que… j’en suis sûre. Il y avait un groupe qui était en formation
avec des… comment dire, enfin des… c’étaient des… les Etat-Unis qui… les Américains
qui on donné cette session. La session finie, ils sont partis mais le groupe
est resté. Et quand ils devaient partir, il y a eu le décès du président le témoin 32
et on a dit à la radio que personne ne pouvait bouger, alors, ils sont restés
là.
Le Président : Et vous avez
expliqué que, parmi les personnes qui étaient restées, il y en avait une qui
semblait avoir un certain ascendant sur le groupe et qui semblait avoir des
initiatives et que cette personne, notamment, aurait pris contact avec une autorité
de Butare ou de la région, pour organiser euh… le… le fait de regrouper les
réfugiés au centre de santé ?
le témoin 2 : Non, ceci m’a
été… c’est… personnellement, je n’ai pas eu de contact avec ce monsieur…
Le Président : Ah…
le témoin 2 : …mais ceci m’a
été rapporté. On m’a dit que ce monsieur qui était… qui semblait être le chef
du groupe a demandé… a trouvé que ce groupe était en danger du fait que les
réfugiés, pendant la journée, pendant le soir, venaient librement devant le…
devant le monastère ; le portail était ouvert, à ce moment-là, le portail
n’était pas fermé. Alors, quand les enfants voulaient, ou bien quand ils sentaient…
ils se sentaient en danger, ils montaient tout de suite au monastère.
Alors, ce monsieur, paraît-il, je ne l’ai pas entendu mais on me
l’a dit - c’est une sœur qui me l’a dit, je ne savais pas laquelle parce que
je… j’étais là… je n’étais pas là comme observatrice, j’étais avec les sœurs
- donc, on m’a dit qu’il a dit que le groupe est danger parce qu’un fanatique
peut lancer quelque chose sur les réfugiés et les atteindre aussi, qu’il demanderait
de mettre ces gens-là… enfin de les séparer. C’est ce que j’ai entendu, c’est
ce qu’on m’a dit.
Le Président : A propos de
la nourriture au centre de santé, vous avez expliqué que, selon la responsable,
il y avait de l’eau, il y avait de la nourriture, certains des réfugiés avaient
apporté des victuailles…
le témoin 2 : Oui. L’eau, je suis certaine parce que j’étais responsable
avant, je sais qu’il y a de l’eau. Il y a de l’eau, enfin euh… au centre. Il
y avait du bois, ça je le sais. Et la nourriture, il y avait de la nourriture
et la responsable m’a dit qu’elle aussi, elle s’ en est occupée, la responsable
du centre.
Le Président : Avez-vous
constaté qu’à ce moment-là, avant l’attaque du 22 avril - parce que le centre
de santé va être attaqué le 22 avril, ça va être une attaque très importante
- avez-vous constaté ou avez-vous su qu’ on avait recensé les personnes qui
étaient présentes au centre de santé, qu’on avait fait des listes de présence
éventuellement ?
le témoin 2 : Au centre de
santé, non, je n’ai pas… je n’ai pas entendu dire qu’on les a recensées. On
m’a dit seulement qu’on les a parquées au centre, qu’on a fermé les grilles
et qu’on a mis des policiers, je ne sais si c’est un ou deux, pour les empêcher
en disant… c’est ce que la sœur m’a dit, en disant : « On fait ceci,
on prend ces mesures pour les protéger contre les assaillants, les… Messieurs
les miliciens, et quand Messieurs les miliciens allaient venir, on allait tirer
un coup de feu et elles seraient protégées ». C’est ce que j’ai su.
Le Président : C’est ça.
Avez-vous, à un moment… à un autre moment, entendu parler de recensement des
personnes présentes dans le couvent peut-être alors ?
le témoin 2 : Dans le couvent,
je me souviens, c’était le 22, le jour de… le jour où les militaires sont arrivés,
je me souviens quand très tôt… enfin, je ne sais pas si c’est le matin ou l’après-midi,
je ne me souviens pas bien, mais je me souviens qu’on est venu dire à sœur Gertrude :
« Messieurs les militaires demandent la liste de toutes les personnes qui
se trouvent dans le couvent ».
Le Président : Savez-vous
si sœur Gertrude a fait cette liste ou a demandé à quelqu’un de faire cette
liste ?
le témoin 2 : Je pense qu’elle
a donné la liste des sœurs, de nous autres, mais je pense que la liste… je ne
peux pas affirmer que c’est sœur Gertrude, mais normalement, sœur Gertrude n’avait
pas la liste des gens qui sont… c’est la personne qui s’occupe de l’hôtellerie,
de l’accueil qui… enfin, je pense. Mais je ne peux pas dire qu’elle l’avait
ou qu’elle l’a donnée, mais sœur Gertrude, je pense, a donné la liste des sœurs
peut-être, mais de nous autres, moi aussi, elle a donné mon nom puisque c’était
impératif, mais je ne l’ai pas vu donner mais j’ai su qu’on lui a demandé et
elle est… elle est… parce que c’était…
Le Président : La sœur qui
s’occupait de l’hôtellerie, c’était sœur Scholastique ?
le témoin 2 : Entre autres,
je crois, elle était la première parce qu’elle était aidée par d’autres mais
elle était la première à s’occuper de…
Le Président : Lorsque vous
avez été entendue à Paris, vous avez expliqué que sœur Scholastique qui était
la sœur hôtelière, avait précisé que les militaires avaient été chargés de fouiller
le couvent et avaient exigé une liste des personnes présentes, c’est-à-dire
les sœurs, les familles des sœurs, les gens en session, les réfugiés, peut-être
les membres du personnel…
le témoin 2 : Oui. En tout
cas…
Le Président : Et cela se
situe avant l’attaque du 22 ?
le témoin 2 : C’est-à-dire
ça se situe dans la matinée parce que l’attaque, c’est l’après-midi qu’on l’a…
D’abord, les militaires sont arrivés, ils ont… ils ont parcouru tout le… puisque
la communauté est assez grande, je crois qu’ils ont été à la ferme, on entendait
des grenades, ils passaient un peu partout. Et ce n’est que le… le… dans l’après-midi
qu’ils ont… je pense, qu’on a entendu un bruit, moi, j’ai entendu un bruit et
on a dit : « Ce sont les gens qui sont au centre qui ont été… ».
Mais avant de… c’était pas une attaque, ils sont venus légalement,
ils sont rentrés, une partie a fait le tour de la ferme, enfin ils ont… Mais
c’est pas une attaque brusque, ils sont venus, ils sont rentrés et nous sommes
restés parqués là toute la journée, depuis le matin jusqu’au… jusqu’au soir.
Le Président : Vous n’ avez
pas prié toute la journée ?
le témoin 2 : Nous avons prié
toute la journée.
Le Président : Est-ce que
tout le monde a prié toute la journée ou bien certaines des religieuses ont-elles,
à un moment donné, quitté les autres qui étaient en train de prier ?
le témoin 2 : Monsieur le président,
je ne sais pas vous dire tout le monde parce que, quand on a entendu les grenades,
nous étions tous, si je me… enfin, si mes souvenirs sont bons, on était tous
dans une salle, comme ça, en bas, au rez-de-chaussée.
Lorsqu’on a entendu les grenades, on s’est éparpillé. Moi, je suis
montée à l’étage entre deux murs, deux… deux murs, d’autres sont allés dans
le couloir. Donc, on s’est éparpillé. Donc, à ce moment, je ne voyais pas tout
le monde, je voyais deux ou trois sœurs, donc je ne peux pas certifier qu’ il
y a des sœurs qui sont parties ou qui sont… Mais là où j’étais, entre ces deux
murs, il y avait quelques sœurs et il y avait aussi des gens de Kigali, il y
avait aussi des réfugiés… des… des parents des sœurs, alors, je ne peux pas
affirmer que des sœurs sont parties.
Le Président : Le lendemain
de cette attaque, les sœurs de la communauté, sauf trois d’entre elles, ont
quitté le couvent de Sovu pour aller se réfugier à la paroisse de Ngoma, chez
le père Jérôme ?
le témoin 2 : C’était pas le
but, hein, le but, c’était l’évêché.
Le Président : Oui, le but
était celui-là, mais…
le témoin 2 : C’était le… c’était
l’évêché…
Le Président : …l’endroit
où…
le témoin 2 : Mais on nous
a déposés là.
Le Président : Les religieuses
sont parties en deux groupes ?
le témoin 2 : En deux groupes.
Je ne suis pas… J’étais dans le premier groupe, euh… et le deuxième groupe…
Le Président : C’est le bourgmestre
qui est allé le chercher.
le témoin 2 : C’était le bourgmestre
qui devait aller chercher tous les… je croyais qu’il allait chercher tout le
monde mais au fond, quand il est revenu, il a dit qu’il ne pouvait pas… qu’il
était attaqué, qu’on l’attaquait, qu’il était menacé, alors, il en a amené trois.
Le Président : Avant que
le premier groupe dans lequel vous étiez ne parte de Sovu, avez-vous éventuellement
entendu qu’on demandait à ce que des parents des religieuses qui étaient dans
le couvent, accompagnent les sœurs pour quitter le couvent ?
le témoin 2 : C’est-à-dire
que moi, je croyais que c’était évident. Mais c’est après, j’ai su que… j’ai
entendu, c’est toujours des rumeurs, c’est une sœur qui m’a dit cela, on m’a
dit qu’ on n’était pas parti pour de bon, on était parti parce qu’ on voulait
laisser les soldats piller parce qu’ ils devaient venir piller le monastère
et on est… on… je me suis dit, j’ai pas posé de question à la sœur Gertrude,
je ne lui ai pas demandé : « Pourquoi vous êtes partie ? »,
parce que la terreur… c’était la… on était dans un climat de peur et de terreur
et on essayait de dire le moins de choses possibles parce que c’était violent,
extrêmement violent.
Alors, on était un peu déstabilisé, on suivait un peu… Et je pensais
que c’était à cause des sœurs, parce qu’il y a une majorité de jeunes sœurs,
et sœur Gertrude m’avait déjà dit que les soldats en général sont… elle m’avait
averti que les soldats peuvent agir de façon pas convenable.
Alors j’ai dit : « C’est peut-être pour ça qu’elle a voulu
protéger les jeunes sœurs », parce qu’elle a mis un voile à tout le monde,
même celles qui n’avaient pas de voile, qui ne devaient pas avoir de voile,
elle a mis… Et elle a dit : « Pour vous protéger ». Donc, j’ai
pensé que l’impératif qu’elle avait, c’était de protéger les jeunes sœurs et
puis nous sommes partis, c’est ce que j’ai pensé, mais je ne lui ai pas posé
la question.
Le Président : Vous partez
donc de Sovu avec le premier convoi, le premier trajet. C’est sœur Gertrude
qui conduisait la voiture ?
le témoin 2 : Oui, c’est elle
qui conduisait.
Le Président : Il y avait
un policier qui accompagnait, je crois ?
le témoin 2 : Il y avait un
policier, c’est le policier qui nous faisait passer les barrières.
Le Président : C’est ça.
Lorsque vous êtes passée sur le chemin entre le couvent et le centre de santé
et puis le chemin du centre de santé vers la commune, avez-vous vu des cadavres
sur la route, sur le chemin, avez-vous des cadavres sur le chemin ?
le témoin 2 : Je n’ai pas vu
les cadavres parce que j’étais du côté de la forêt, j’étais à gauche. Mais une
sœur m’a dit : « Voilà, là, il y a un tas de gens, euh… un tas de
gens par terre, comme ça ». Donc, elle m’a donné un coup comme ça, j’ai
dit… Moi, je n’ai pas vu, mais j’ai vu des personnes qui étaient debout, qui
n’étaient pas… qui étaient vivantes encore, c’est tout ce que j’ai vu. Mais
je n’ai pas vu les cadavres qui étaient par terre, je les ai vus un peu plus
loin, devant la… devant le… chez le bourgmestre, c’est là que j’ai vu les cadavres
et un peu plus loin, à Ntyazo, il y avait un champ de personnes, comme une forêt
qu’on vient d’abattre. Mais devant le couvent, je n’ai pas pu voir bien parce
que j’étais du côté opposé, du côté… de l’autre côté. Mais j’ai vu qu’il y avait
des personnes qui étaient encore debout.
Le Président : Bien, vous
allez rester à la paroisse de Ngoma le 23 et revenir à Sovu le 24, dans la soirée,
en fin de journée. Qu’est-ce qui s’est passé à la paroisse de Ngoma, pourquoi,
après vous être rendue dans cette paroisse, avoir décidé de revenir au couvent
de Sovu ?
le témoin 2 : Tout d’abord,
on s’est aperçu qu’on était tombé de Charybde en Scylla, c’était pire. On était
dans une zone qui était… on n’était pas rentré dans la salle, que les miliciens
étaient là, devant nous, avec des machettes et des sagaies et toutes sortes
de choses et ils nous haranguaient en disant : « Vous avez mélangé
des choses qu’on ne peut pas mélanger. Et puis, vous êtes venus avec le bourgmestre,
mais je sais que ce bourgmestre a amené aussi des jeunes gens », et… et
ils ne… Ensuite, ils ont… ils ont dit : « Oui, Batatu », c’est-à-dire
trois, mais ils parlaient des jeunes gens. Nous avons cru que c’était nous.
Ils demandaient trois personnes pour tuer.
Alors, il y a eu sœur Gertrude qui s’est levée, je me suis levée
et la sœur Julienne, une autre sœur, pas sœur Kizito, une autre, s’est levée
et puis, quand les trois étaient debout, tout le monde s’est levé, alors, il
a dit : « C’est pas… je ne parle pas… c’est pas ce que je veux, je
dis que le bourgmestre a emmené trois jeunes hommes ». Alors, à ce moment,
il a dit qu’il ne va pas nous tuer, qu’il va laisser ce travail aux soldats
parce que nous sommes trop nombreuses, si je me souviens, si j’ai bonne mémoire,
c’est ce que je me souviens. Et nous sommes restés là.
Le Président : Est-ce que
vous avez le souvenir, par exemple, qu’à un moment donné, on aurait exigé que
les religieuses qui s’étaient réfugiées à Ngoma, montrent leur carte d’identité ?
le témoin 2 : Non. Non, jamais.
On n’a pas demandé de carte, en tout cas, j’étais là, je n’ai pas bougé de la
salle, on était… jamais on n’a demandé… et quand sœur Gertrude s’est levée,
elle s’est levée, je me suis levée et une autre, elle n’a pas dit : « Regardez
leurs cartes ». Non, elle s’est levée tout simplement, elle n’a pas parlé
de cartes, on n’a pas parlé de cartes. Cela, je peux le certifier, je me souviens
bien.
Le Président : Le 24, vous
allez retourner à Sovu. C’est également deux voyages en deux convois que vous
retournez à Sovu ?
le témoin 2 : Oui. Il y a eu
un premier voyage, j’étais aussi du premier et il y avait un autre. En tout
cas, j’ai vu une jeep avec un monsieur qui portait le… qui avait le logo de
commando. Alors, quand j’ai vu ça, j’ai dit…
Le Président : Ce sont des
militaires qui ont donc accompagné pour le retour à Sovu ?
le témoin 2 : Oui. C’est à
ce moment que je me suis dit : « Commando, c’est quelque chose de
grave ». Mais j’étais dans le premier groupe.
Le Président : Lorsque vous
êtes arrivée à Sovu ,le 24 avril au soir, avez-vous vu peut-être que le chef
des Interahamwe était là, le chef des miliciens était là ?
le témoin 2 : Quand je suis
arrivée dans le premier groupe, je n’ai… il n’y avait… il n’y avait pas… Non,
c’est la sœur Scholastique qui est venue, non, euh… Est-ce que je me trompe ?
Oui, parce que sœur Scholastique n’était pas partie, donc je pense que c’est
elle qui nous a… Mais il n’y avait pas de… je n’ai pas vu le chef, je ne connais
pas le chef de visage, donc, je ne l’ai pas vu, il n’ y avait pas… le chef…
quand le… dans le premier groupe ; mais après, je ne sais pas si… s’il
était… pour le deuxième groupe, je ne sais pas. Je ne le connais pas, mais s’il
était là, on m’aurait dit : « Voici le chef des miliciens ».
Donc, il n’était pas là.
Le Président : Le lendemain
de votre retour à Sovu, avez-vous vu le chef des miliciens ?
le témoin 2 : Je n’ai jamais…
parce que moi, j’étais dans l’enceinte, je ne sortais pas même vers le portail.
Donc, il y avait des personnes qui étaient autorisées, par les miliciens, à
sortir. Les autres ne pouvaient pas sortir. J’étais toujours dans l’enceinte
du monastère.
Le Président : Donc, le lendemain
de votre retour au couvent, après le passage à Ngoma, vous n’avez pas vu le
chef des miliciens. Est-ce qu’il y a eu alors une réunion de toutes les religieuses
et des gens qui étaient présents dans le monastère, parce qu’il y avait des
exigences de la part du chef des miliciens ?
le témoin 2 : En tout cas,
même avant notre départ où euh… même avant notre départ pour Ngoma, on disait
que les miliciens avaient dit qu’un monastère, c’est pour des religieuses, ils
n’admettaient pas qu’il y ait d’autres personnes dedans. Et sœur Gertrude avait
avisé les réfugiés. Mais, ce que moi j’ai compris, quand elle a avisé ça, elle
leur a pas dit : « Voilà, il faut vous en aller », mais elle
a…
Parce que, autrefois, lorsqu’on était chez des religieuses, les gens
ne poursuivaient pas, mais cette fois, c’était très dur. Alors, elle les a informés
qu’ils n’étaient pas dans un château-fort et qu’il y avait du danger et elle
leur a dit qu’il… que les miliciens disent qu’il faut qu’ils ne soient pas avec
les sœurs.
Le Président : Et ces gens
sont partis du monastère ?
le témoin 2 : Non. Ils ne sont pas partis, ils sont sortis. Donc, il
y a une… je me souviens qu’il y a une femme mais je ne maîtrise pas le kyniarwanda
comme les Rwandaises, je ne suis pas Rwandaise de naissance, j’ai étudié la
langue mais c’est surtout du côté médical, mais lorsque ça devient abstrait…
je vous dis l’idée de ce que sœur Gertrude a dit, mais pas exactement les détails.
Mais j’ai vu une femme se lever et dire : « Bien, s’ils
ne veulent pas que nous soyons là, on va pas… on va leur laisser la maison »,
et la femme est sortie. Evidemment, les autres sont sortis mais ils ne sont
pas partis, ils sont sortis sous le perron et ils sont remontés de chez eux
et c’était avant le 22, disons, avant le vendredi, je crois, si je ne brouille
pas les choses. Déjà là, il y avait déjà ce problème… ce problème que les miliciens
étaient… vraiment, ils disaient : « Nous voulons qu’il n’y ait pas
de réfugiés dans la maison, qu’il y ait des sœurs puisque c’est la maison des
sœurs ».
Le Président : Vous souvenez-vous
que les réfugiés, enfin les gens qui étaient étrangers au couvent, sont partis
sauf… sauf, les membres des familles des sœurs ?
le témoin 2 : Je me souviens
qu’on m’a dit, parce que moi, je vous ai dit que je suis toujours à l’intérieur,
je n’ai pas vu les gens partir, ils étaient déjà partis quand on m’a dit :
« Vous savez, aujourd’hui, on est venu chercher les réfugiés pour les mettre
chez Monseigneur NDANDALI », un anglican, enfin pour les mettre en sûreté
parce que les miliciens demandent toujours qu’il n’y ait pas de réfugiés ;
on est venu les chercher. Et…
Mais on a pas pris… ceux de Huye et de Kibabara n’ont pas été… on
ne les a pas… on leur a donné un… un papier pour dire qu’ils sont autorisés
à retourner chez eux, c’est ce que j’ai entendu. Et les autres, on est parti
avec, c’est le bourgmestre qui les a emmenés. Voilà tout ce que j’ai su à propos
de ça. Mais c’est en deuxième… c’est quelqu’un qui… une sœur qui me l’a dit
et cette sœur, malheureusement, c’est… elle a été victime, c’était la sœur Thérèse
à qui, souvent, je demandais… et aussi la sœur économe.
Le Président : Lorsque… Vous
êtes venue à Maredret avec les autres ? Non, vous étiez partie avant ?
le témoin 2 : Je suis partie
avant et, arrivée à Paris, je suis venue… parce qu’à Maredret, on ne se rendait
pas compte de la gravité des événements, on pensait que c’était comme en 1900
euh… je ne sais pas quoi et que ce n’était pas aussi grave. Alors, je suis venue
à Maredret tout de suite, je crois, le 6 juin, je suis arrivée le 31 mai, à
Paris et le 6 juin, j’étais ici, à Maredret et j’ai alerté, j’ai dit :
« Mais c’est grave, il y a… » et j’ai expliqué la violence de la révolution,
mais personne… tout le monde croyait… et finalement, je pense qu’à la radio,
je ne sais pas…
En tout cas, il y a eu l’opération Turquoise, je crois qu’ils ont
compris que je n’exagérais pas.
Le Président : Vous êtes
restée longtemps à Maredret ?
le témoin 2 : Non, parce que
j’étais à Paris…
Le Président : Donc, vous
êtes… oui…
le témoin 2 : …et je suis repartie
peut-être deux jours après. Je suis retournée à Paris.
Le Président : Ah oui. Donc,
vous n’avez pas retrouvé, à un moment donné, sœur Gertrude et toute la communauté ?
le témoin 2 : Oui, je les ai
retrouvées.
Le Président : A Maredret ?
le témoin 2 : Je les ai rencontrées
à l’aéroport.
Le Président : Ah oui, mais
donc, vous n’avez pas séjourné avec elles à Maredret, avec sœur Gertrude ?
le témoin 2 : Peut-être une…
une… une journée comme ça, une journée peut-être, oui.
Le Président : D’accord.
Bien. Y a-t-il des questions à poser au témoin ? Maître JASPIS ?
Me. JASPIS : Je vous remercie,
Monsieur le président. Le témoin nous a dit il y a quelques instants que, si
j’ai bien compris, c’étaient les miliciens qui décidaient quelles étaient les
sœurs qui pouvaient sortir de l’enceinte du couvent. Est-ce qu’elle peut nous
en dire un peu plus et éventuellement nommer les personnes qui circulaient,
s’il vous plaît ?
Le Président : Selon ce que
vous avez pu constater, quelles étaient les religieuses qui pouvaient sortir
du couvent au moment où il y avait les attaques et tout cela.
le témoin 2 : Quand je dis
sortir du couvent, c’est-à-dire sortir de l’enceinte, de l’intérieur (comme
nous sommes ici) et aller jusque vers euh… à l’accueil, il y a une porte, à
l’accueil, et ensuite, il y a… comment ça s’appelle, un grillage, un portail
donc, c’est ce que je veux dire, hein, mais pas sortir parce que je crois que
toute personne qui quittait, qui dépassait le portail, devait avoir une autorisation
du préfet, c’était catégorique, moi, j’ai dû l’avoir pour sortir. Mais il y
avait des sœurs qui pouvaient accueillir les miliciens, qui étaient autorisées.
Il y avait la sœur Stéphanie qui est décédée et évidemment la sœur Scholastique
parce qu’elle était en première ligne, c’est elle qui était responsable de
l’accueil.
Le Président : Sœur Gertrude,
elle pouvait se déplacer ?
le témoin 2 : Obligatoirement,
parce que c’est elle, on la réclamait, on la harcelait à toute la… à tout moment,
on demandait… elle devait aller répondre à toutes sortes de questions. C’était
elle qui était en tête. C’était le bouclier, si vous voulez.
Le Président : Et sœur Kizito,
elle pouvait aussi se déplacer ?
le témoin 2 : Alors sœur Kizito,
je ne peux rien vous dire. Je crois qu’elle pouvait, hein, je pense qu’elle
pouvait aller jusqu’au portail, elle ne pouvait pas… Mais je ne peux pas le
dire parce que sœur Kizito avait un statut spécial, elle n’était pas encore
dans la… engagée dans la communauté, donc elle se trouvait… elle avait des responsables,
elle avait une sœur responsable. Quand elle avait quelque chose, c’est à cette
sœur… Donc, je ne m’inquiétais pas de sœur Kizito. Mais je pense qu’elle avait
aussi la possibilité, d’aller jusqu’au portail, mais pas plus loin.
Le Président : Bien. Une
autre question ?
Me. JASPIS : Est-ce que le témoin
pourrait nous décrire l’aspect physique de sœur Stéphanie ?
Le Président : Est-ce que
sœur Stéphanie ressemblait à sœur Kizito physiquement ?
le témoin 2 : De taille. La
taille, elle n’était pas plus…
Le Président : Pas plus grande.
le témoin 2 : Pas plus grande,
mais…
Le Président : La carrure ?
le témoin 2 : Non, elle était…
si je ne me trompe, c’était une personne, elle était un peu moins forte que
sœur Maria-Kizito, que sœur Kizito. Et le visage était, oui, le…
Le Président : Est-ce qu’elle
n’avait pas un teint de peau plus clair que celui de sœur Kizito ?
le témoin 2 : Je ne sais pas.
Vous savez, ce sont des petites nuances, hein, c’est pas très… c’était pas très
significatif. Je ne vois pas qu’elle était tellement plus claire.
Le Président : Donc, elles
pouvaient se ressembler un peu quand même ? Quelqu’un qui ne les connaît
pas bien, qui ne les voit pas tous les jours, pouvait confondre sœur Stéphanie
et sœur Kizito ?
le témoin 2 : Je… je ne… le
visage de sœur Stéphanie était un peu plus… les traits étaient moins accusés
que sœur… mais il fallait vraiment savoir, les connaître.
Le Président : Est-ce qu’elles
avaient le même uniforme ? Peut-être que…
le témoin 2 : Ah oui, tout
à fait.
Le Président : Parce que
peut-être, notamment, il y avait des novices ou des postulantes qui n’avaient
même pas de voile, par exemple.
le témoin 2 : Il y en avait
qui n’avaient pas…
Le Président : Sur le plan
vestimentaire, il n’y avait pas de différence entre…
le témoin 2 : C’était tout
à fait… c’était pareil, il n’y avait pas de… c’était la même chose, tout le
monde était pareil.
Le Président : Oui ?
Oui, Maître JASPIS.
Me. JASPIS : Je reviens un tout
petit peu en arrière à ce que vient de dire le témoin à la question précédente.
Elle nous a parlé, mais de façon un petit peu… sans terminer son idée, de statut
spécial de sœur Kizito, de quelqu’un à qui elle devait se référer ?
Le Président : Oui, quelle
était la religieuse de référence de sœur Kizito ?
le témoin 2 : C’était la sœur
Marie-Agnès. C’est une de celles qui sont… qui est décédée, qui sont décédées.
C’était sœur Marie-Agnès, c’était sa première, euh… c’était la première autorité
à laquelle elle se référait et si besoin est, peut-être à sœur Gertrude, mais
en premier, c’était sœur Marie-Agnès, sœur Agnès.
Le Président : Oui.
Me. JASPIS : C’est ça, parce que
bon, ça diffère évidemment très, très fort de ce que le témoin a déclaré, je
ne sais pas si je peux peut-être lui relire sa déclaration. A aucun moment on
ne parle ni de sœur Stéphanie ni de sœur Marie-Agnès, par contre, il est dit
très clairement ceci : « Depuis le début, sœurs
Gertrude et Kizito avaient une liberté totale de mouvement ». Dont
acte.
le témoin 2 : Oui, pardonnez-moi.
Monsieur le commissaire m’a demandé, m’a posé la question : « Est-ce
que sœur Kizito et sœur Gertrude avaient une liberté de mouvement ? », j’ai
dit : « Oui ». Ce que j’entends par liberté de mouvement, quand
il m’a posé la question, j’ai pensé à l’évêque de Butare chez lequel je suis
passée en partant. Et cet évêque avait deux policiers dans la cour, un policier
dans l’escalier, un autre en haut et un qui était avec lui. Pour me parler,
il a dû demander l’autorisation de… de… aux… pas des policiers, des soldats,
excusez-moi, alors, il a dû demander aux soldats l’autorisation d’aller dans
une salle à côté pour me parler. Et quand le commissaire m’a demandé ça, j’ai
pensé à ça, j’ai dit : « Sœur Gertrude et sœur Kizito n’avaient pas
de miliciens qui les poursuivaient, ni de soldats ». C’est ce que… A ce
moment-là, c’est à cela à quoi je disais liberté de mouvement.
Liberté de mouvement dans les limites fixées, c’est-à-dire dans le
monastère, devant le perron, jusqu’au portail. Et je ne pense pas que sœur Gertrude
pouvait, - sœur Kizito, je ne sais pas si elle avait l’autorisation de ses supérieures
de sortir - mais sœur Gertrude, si elle devait sortir, quitter, elle devait
aussi avoir une autorisation parce qu’il était dit formellement que personne
ne pouvait quitter le domicile sans une autorisation du préfet. Or, je pense…
mais je n’ai pas suivi la sœur Gertrude, je ne peux pas dire si elle est sortie
ou pas.
Le Président : D’autres questions ?
Maître BEAUTHIER ?
Me. BEAUTHIER : Monsieur le président,
j’ai deux questions à poser. La première question, c’est au moment où le témoin
sort pour aller à Ngoma. Est-ce qu’elle pourrait simplement nous dire qu’en
sortant, elle n’a pas vu quelques milliers de cadavres, et elle a simplement
vu les arbres de la forêt et quelqu’un lui dire qu’il y avait des cadavres,
c’est ce qu’elle a déclaré…
le témoin 2 : Non, non,
je n’ai pas vu les arbres, j’ai dit : « J’étais du côté de la forêt
et quelqu’un m’a dit : « C’est plein de cadavres » . C’était
parce que l’auto, il y avait celle qui était… c’était une fourgonnette et la
sœur passait à toute vitesse. Donc, il y avait celle qui était là, qui donnait
sur le centre, moi, j’étais de ce côté et quelqu’un m’a dit. Mais maintenant,
je ne… après sept ans, je ne me souviens pas avoir vu des cadavres devant le
centre. Mais je me souviens avoir vu des personnes qui étaient encore vivantes
et qui étaient debout, devant le centre.
Me. BEAUTHIER : Deuxième question.
Pourquoi, à son estime, les trois sœurs ne sont-elles pas parties à Ngoma ?
Le Président : Il y a trois
sœurs qui sont restées au couvent…
le témoin 2 : Les trois sœurs
ont dit ouvertement que si on… si on ne prenait pas… on ne prenait pas la famille,
elles ne quittaient pas. Elles l’ont dit.
Me. BEAUTHIER : Est-ce que
le témoin peut préciser qu’elle a dit que les trois sœurs n’étaient pas venues
parce qu’elles avaient de la famille et, je cite, est-ce qu’elle peut simplement
confirmer : « Parce que nous ne disposions pas de véhicules suffisants ? ».
le témoin 2 : Je suis d’accord.
Me. BEAUTHIER : Je vous remercie.
le témoin 2 : Je suis d’accord,
c’est qu’on ne savait pas si… Le premier véhicule qui nous a conduits, il n’y
avait pas la place puisque trois autres sœurs sont restées, encore trois sœurs
sont restées, donc, il n’y avait pas de place pour tout le monde. Et sœur Gertrude
a dit : « Je demanderai au bourgmestre de revenir chercher ceux qui
restent ». Et c’est ce que le bourgmestre a fait mais il a dit qu’il a
pris seulement une partie parce qu’il était poursuivi, il n’a pas su prendre
tout le monde.
Le Président : Bien. D’autres
questions ? Maître WAHIS ?
Me. WAHIS : Monsieur le président,
est-ce que le témoin pourrait confirmer ce qu’elle a déclaré, donc, lors de
son interrogatoire quant à la journée du 22, à propos de sœur Kizito. Elles
étaient apparemment dans la même salle et elle dit ceci : « Elle est restée avec nous sauf à certains moments de la journée
où elle s’absentait pour aller chercher de la nourriture. Je peux préciser qu’elle
a notamment fait cuire des pommes de terre pour les enfants des familles des
sœurs réfugiées au couvent ».
le témoin 2 : Oui, je suis
d’accord. Je suis d’accord. Au début, tout le monde était ensemble. Je vous
ai dit qu’on s’est dispersé vers… quand les soldats sont arrivés. Quand les
soldats ont commencé à lancer des projectiles, on a essayé de se mettre à l’abri.
A ce moment-là, j’ai perdu de vue et puis moi, mon… je suis restée au Rwanda,
non pas pour mener une enquête ou bien pour observer, mais je suis restée pour
partager la chose, donc, je n’étais pas… ces choses-là ne… j’attendais le moment
où on allait nous tuer, c’est tout.
C’est pourquoi je n’ai pas les choses précises. Mais je me souviens,
je le dis, je me souviens qu’au début, nous étions… tout le monde était là,
ensemble. Et puis, lorsqu’il y a eu les projectiles, on s’est un peu dispersé
et je ne peux pas dire : « Il y avait untel ici ». ça, je ne peux pas le dire, je ne sais
pas.
Mais je me souviens très bien qu’il y avait des enfants et moi-même,
je m’inquiétais, je me disais : « Mais est-ce que ces enfants vont
pouvoir rester toute une journée sans prendre quelque chose ? ». Et
vers midi… midi, je ne savais pas quelle heure il était exactement, j’ai vu
sœur Kizito, ça je peux témoigner, j’ai vu la sœur Kizito arriver avec un plat
de pommes de terre et elle est passée devant chaque enfant des réfugiés, elle
a donné et les enfants ont pris les pommes de terre, ça j’ai pas oublié, j’ai
pas oublié ça, ça m’a frappée. Il y a des choses qui s’estompent, mais ça, j’en
suis sûre.
Le Président : Une autre
question ?
Me. WAHIS : Oui, Monsieur le président.
Lorsqu’elle est interrogée sur la période qui suit le retour de Ngoma, jusqu’à
son départ, apparemment le 15 mai, le témoin dit que les sœurs ont subi un harcèlement
constant de la part des miliciens et des militaires. Est-ce qu’elle confirme ?
Est-ce qu’elle peut préciser ?
le témoin 2 : Je confirme parce
qu’on était à l’église. Moi, je… celles… les personnes qui n’avaient pas de
fonction pour sortir ou pour être dans l’accueil, dès qu’on avait un moment,
on allait à l’église. Et de l’église, on entend toujours le portail qui s’ouvre
et les pieds des militaires ou bien la voix des miliciens. Et chaque fois, j’entendais
ces gens, mais qui… c’était vraiment un défilé, le lendemain déjà du jour où
on était allé à Ngoma et ça a continué jusqu’à mon départ, chaque jour.
Et je me disais… je demandais à la sœur, puisque nous étions deux
ou trois qui priaient dans l’église, je lui disais : « Est-ce qu’ils
viennent pour finir avec nous ou bien est-ce qu’il y a encore… ? »,
elle disait : « Moi, je ne sais pas, il faut attendre ». Donc,
ça je suis sûre, c’étaient ou bien les miliciens, on entendait leurs voix, ou
bien les soldats qui ouvraient le portail, c’était continuellement. Et ça, on
peut… dans l’église, on l’entend, on n’a pas besoin de voir, on entend ça.
Le Président : Oui ?
D’autres questions ? Maître NKUBANYI ?
Me. NKUBANYI : Merci, Monsieur
le président. Pourriez-vous demander au témoin s’il se souvient d’une pluie
abondante qui est tombée dans la nuit du 18 avril ?
le témoin 2 : Oui. J’ai bien
dit au commissaire que les dates, enfin j’ai dit des dates approximatives, je
pense, mais ça oui. Je me souviens très bien, nous habitions au premier étage
et j’ai entendu des personnes, donc des gens, et je me suis dit : « Mais
qu’est-ce qu’il y a ». Et j’ai regardé, j’ai vu au rez-de… au sous-sol,
dans une salle qui est près d’un oratoire, j’ai vu des personnes et j’ai tout
de suite vu que c’étaient les réfugiés qui étaient au centre. Et j’ai entendu,
parce qu’on entend de là où j’étais, j’ai entendu la même… le même bruit là-bas,
au grand… je ne les ai pas vus, mais j’ai entendu qu’ils étaient dans un grand
parloir que nous avons. Alors… Et ces gens, toute la nuit, ont chanté, ont dit
des cantiques, ont parlé entre eux, et je me réveillais chaque fois et je les
entendais.
Le lendemain, j’ai demandé à sœur Bernadette, parce que sœur Bernadette,
c’était l’aide de l’économe, je lui ai dit : « Mais qu’est-ce qui
s’est passé hier soir ? », elle m’a dit : « Ce sont les
gens du centre qui sont venus, qui sont montés et moi… il pleuvait, on les a
accueillis, on ne pouvait pas les laisser dehors ». Alors, j’ai dit :
« Mais comment est-ce que les gens, ils ne dorment pas au centre ? »,
elle m’a dit : « Oui, depuis qu’ils ont vu que les miliciens
venaient tout le temps… ». Ils montaient, mais nous ne le savions pas.
C’est la pluie qui nous a appris qu’ils étaient là, qu’ils venaient se… il y
a une espèce de, comment dirais-je, le perron, là il fait… on peut rentrer et
ils étaient là mais on ne le savait pas, ils montaient sans… C’est ce qu’on
m’a dit. Moi, je ne sais pas.
Me. NKUBANYI : Monsieur le
président, je voudrais qu’elle précise bien ce qu’elle vient de dire au sujet
du fait que les réfugiés auraient passé la nuit dehors, sous la pluie, ou alors
s’ils ont passé la nuit…
le témoin 2 : Non, ils n’ont
pas passé la nuit dehors, sous la pluie. Tout de suite, la sœur Bernadette les
a fait rentrer tout de suite dans un endroit, une salle couverte et dans le
grand parloir, en haut. Ça, je suis certaine. Ils n’ont pas passé la nuit là,
ils n’ont pas passé la nuit dehors.
Me. NKUBANYI : Une dernière
question, Monsieur le président. Est-ce que, à Maredret ou à Paris, est-ce que
le témoin aurait eu des personnes parmi les instances religieuses, pour lui
demander de témoigner, dans un sens ou dans un autre, envers les deux sœurs ?
le témoin 2 : Non, jamais.
On me connaît, je ne peux pas me laisser… je n’ai pas eu de personnes et quand
le commissaire BOGAERT - je ne sais pas comment on prononce - est venu, j’étais
étonnée parce que je ne m’attendais pas à être interrogée puisque je me disais
que personne ne savait que j’étais là. Mais personne ne m’a influencée et, jusqu’à
ce jour, j’ai toujours dit : « On ne peut pas m’influencer, je dois
dire ce que moi je pense que c’est la vérité ». Personne ne m’a influencée,
ni d’un côté ni de l’autre.
Le Président : Maître BEAUTHIER ?
Me. BEAUTHIER : Je renonce à la
question, Monsieur le président, je crois qu’il vaut mieux.
Le Président : Ce n’était
peut-être pas une question ?
Me. BEAUTHIER : Oui, c’était… Vous voulez que je la pose, Monsieur le président ?
Le Président : Non, non.
Me. BEAUTHIER : Je n’ai pas envie…
Je connais trop bien les préceptes de la religion catholique et les conséquences
du mensonge, Monsieur le président.
Le Président : Non, non.
Bien. D’autres questions ? S’il n’y a plus de questions, les parties sont-elles
d’accord pour que le témoin se retire ? Madame, persistez-vous, confirmez-vous
les déclarations que vous avez faites aujourd’hui ?
le témoin 2 : Je persiste,
Monsieur le président. Je vous le dis, les faits sont loin mais je crois avoir
dit ce que je devais dire.
Le Président : Je vous remercie
pour votre témoignage. Vous pouvez disposer librement de votre temps.
le témoin 2 : Merci.
Le Président : Alors, où
est-il, le témoin ? L’inspecteur, il est où ? Est-ce qu’on peut faire
venir un inspecteur de la police fédérale ? Vous pouvez approcher.
Eh bien, venez… Oui, mais cela se fait en audience publique à la
Cour d’assises. Habituellement, cela se passe dans le cabinet du juge d’instruction
mais à la Cour d’assises, tout se fait en public. Alors ça, c’est pour les interprètes,
je signale que je donne… oui… Je vous le demande, de bien vouloir assurer le
transfert du témoin le témoin Vénérande qui doit être transféré le vendredi
11 mai 2001, c’est-à-dire demain, de l’Ecole militaire au cabinet de Monsieur
BOMBLET, médecin légiste, rue des Quatre-Bras, 13, où elle doit être… où elle
est attendue pour 9h du matin. Je vous demande de remettre en même temps au
docteur BOMBLET un réquisitoire qui lui demande de, serment préalablement prêté
par écrit : « Décrire les séquelles physiques et
psychiques encourues par le témoin Vénérande lors d’événements survenus à Sovu,
entre le 21 avril et le 7 mai 1994, et d’évaluer si les explications fournies
par elle au sujet de ses séquelles sont compatibles avec ces constatations,
faire du tout un rapport écrit et motivé à nous transmettre dans les meilleurs
délais ». Je vous remets donc à la fois l’apostille pour le transfert
et le réquisitoire à remettre en même temps au docteur BOMBLET et je remets
également aux interprètes, le réquisitoire afin que l’un d’eux puisse se rendre
demain à 9h, au cabinet du docteur BOMBLET, pour assurer la traduction des explications
qui seraient fournies par ce témoin au docteur BOMBLET. Je vous remercie. |
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