8.6.17. Audition des témoins: le témoin 115
Le Président : L’audience est
reprise, vous pouvez vous asseoir, les accusés peuvent prendre place. Peut-on
fermer les tentures derrière les accusés de manière à ce que les jurés ne soient
pas éblouis par le soleil resplendissant de cette fin d’après-midi ? Monsieur
l’huissier, vous pouvez faire venir le témoin le témoin 115 ?
Madame, quels sont vos noms et prénoms ?
le témoin 115 : Sœur, je suis connue
comme sœur Jeanne Paul, le témoin 115, mais mon nom de famille c’est Johanne… [Inaudible]
Le Président : Quel âge avez-vous ?
le témoin 115 : 40 ans.
Le Président : Quelle est votre
profession ?
le témoin 115 : Je suis religieuse.
Le Président : Et quelle est votre
commune de domicile ?
le témoin 115 : Pologne… [Inaudible]
Le Président : Connaissiez-vous
les accusés ou certains des accusés avant le mois d’avril 1994 ?
le témoin 115 : Oui, je connais.
Le Président : Vous connaissiez
sœur Gertrude et sœur Marie Kizito ?
le témoin 115 : Oui, je connais.
Le Président : Etes-vous de la
famille des accusés ou de la famille des personnes qui leur réclament des dommages
et intérêts
le témoin 115 : Non, je ne suis
pas de famille.
Le Président : Travaillez-vous
pour les accusés ou les personnes qui leur réclament des dommages et intérêts,
je veux dire sous un lien de contrat de travail ?
le témoin 115 : Excusez-moi, je
ne suis pas française et vous pouvez utiliser des mots très simples.
Le Président : Etes-vous l’employée ?
le témoin 115 : Oui.
Le Président : Des accusés ?
le témoin 115 : Je travaillais
dans le centre de santé des sœurs bénédictines.
Le Président : Oui, mais actuellement
vous n’avez pas un contrat de travail.
le témoin 115 : Non.
Le Président : Vous n’avez pas
un contrat de travail.
le témoin 115 : Non, pour le moment,
non.
Le Président : Et vous n’êtes
pas non plus travailleuse au noir comme on dit, travaillé sans contrat pour
les accusés ?
le témoin 115 : Non.
Le Président : Ni pour ceux qui
réclament des dommages et intérêts, ni pour ceux qui demandent de l’argent aux
accusés ?
le témoin 115 : Non, je ne travaille
pas pour ça.
Le Président : Je vais vous demander,
Madame, de bien vouloir lever la main droite, et de prêter le serment de témoin.
Si vous ne savez pas lire le français, Monsieur l’huissier va vous répéter ce
que vous devez dire.
le témoin 115 : Je jure de parler
sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie
Madame, vous pouvez vous asseoir.
Le Président : Madame, vous avez
expliqué que vous travailliez en 1994, je suppose au centre de santé qui dépendait
du couvent de Sovu ?
le témoin 115 : Oui, je travaillais,
à partir de 1991 jusqu’à 1994.
Le Président : Vous avez quitté
le Rwanda à quel moment, à quelle date ou en tout cas Sovu à quelle date ?
le témoin 115 : 18 avril 94.
Le Président : Le 18 avril 94,
donc, avant que des massacres ne surviennent à Sovu.
le témoin 115 : Oui, des grands
massacres. Je dis les petits accidents dans les collines, je soignais les gens
qui sont blessés, mais les grands massacres, je n’ai pas vu.
Le Président : Le centre de santé
semblait disposer d’un véhicule ambulance ?
le témoin 115 : Oui.
Le Président : C’est bien exact ?
le témoin 115 : Oui, c’est bien
exact. Toyota combi.
Le Président : Ce véhicule ambulance…
le témoin 115 : Oui.
Le Président : …à l’époque où
vous étiez à Sovu, a-t-il été mis à la disposition d’un d’homme politique de
la région de Sovu qui s’appelle REKARAHO Emmanuel ?
le témoin 115 : Quand j’étais à
Sovu jusqu’à mon départ, j’étais responsable de l’ambulance. J’ai les clefs
dans ma main.
Le Président : Vous n’avez confié
ce véhicule à personne d’autre que des personnes qui devaient s’en servir
pour le centre de santé ?
le témoin 115 : J’amenais les malades
avec cette ambulance jusqu’à Butare, jusqu’à l’hôpital, gravement malade, même
pendant la guerre j’amenais là, moi-même avec chauffeur rwandais.
Le Président : C’est ça !
Et ce n’est qu’à votre départ de Sovu que vous avez remis les clefs à quelqu’un ?
le témoin 115 : Oui.
Le Président : Vous avez restitué
ces clefs à qui ?
le témoin 115 : Ce sont les sœurs,
exactement, je ne peux pas vous dire parce que c’est au moment de la guerre,
je n’ai pas le nom exact des sœurs que j’ai remis les clefs, en tout cas c’est
les sœurs bénédictines de Sovu, je ne sais pas vraiment à qui. C’est déjà 7
ans, je…
Le Président : C’était pas sœur
Gertrude ?
le témoin 115 : Je ne peux pas
vous dire, parce que je ne sais.
Le Président : Mais en tout cas,
vous êtes formelle pour dire que vous aviez les clefs de ce véhicule, jusqu’au
moment où vous avez quitté Sovu
le témoin 115 : Oui, exactement
au moment de mon départ, j’ai mis encore les clefs de ma propre main chez les
sœurs.
Le Président : Y-a-t-il des questions
à poser au témoin ? Maître WAHIS ?
Me. WAHIS : Oui, Monsieur le président.
Est-ce que le témoin qui est parti le 18 après-midi pourrait nous dire la manière
dont les réfugiés ont été ou non accueillis au centre de santé.
le témoin 115 : Si j’ai bien compris,
est-ce que les réfugiés sont déjà arrivés au centre de santé, oui ?
Le Président : Etaient-ils déjà
arrivés, oui ?
le témoin 115 : Sont arrivés et
sont accueillis au centre de santé et au monastère parce que je soignais moi-même
les gens qui sont cachés au monastère. J’étais l’infirmière, on m’a demandé
de soigner les gens qui se sont réfugiés là.
Le Président : Savez-vous si,
jusqu’à votre, jusqu’à votre départ, par exemple, ces réfugiés ont reçu à boire
et à manger ?
le témoin 115 : Oui, moi-même,
avec Madame… [Inaudible] qui est, qui m’a aidé au centre nutritionnel,
nous avons distribué des vivres chez les réfugiés.
Le Président : C’était quel genre
de vivre ?
le témoin 115 : Toujours haricots,
du lait qu’on a eu, des légumes, parce que ça, j’avais au magasin du centre
de santé.
Le Président : Et au moment où
vous quittez Sovu, vous savez évaluer le nombre de réfugiés qu’il y avait ?
le témoin 115 : Plusieurs fois
les soldats avec son commandant sont venus chez moi pour demander combien sont
les personnes, et ça le nombre des personnes était vraiment vague. On a, les
soldats ont compté 1500 personnes, c’est plus ou moins. Moi-même je n’ai pas
compté.
Le Président : Une autre question.
Me. WAHIS : Oui, Monsieur le président.
Avec qui le témoin a-telle soigné les réfugiés le 18 avril ?
le témoin 115 : C’est-à-dire pendant
la guerre, le personnel du centre de santé, c’est mon personnel parce que j’étais
responsable du centre santé. Quelques personnes sont venues. Aussi les sœurs,
quelques sœurs nous sommes aidées. Les sœurs, parce que j’ai ordonné les médicaments,
j’ai fait les sutures, j’ai fait les pansements, moi-même je ne peux pas faire
tout. Elles m’ont aidée. J’ai montré où sont les bandes, je ne sais pas les
sparadraps et les sœurs ont fait ça aussi.
Le Président : Savez-vous, vous
connaissez encore le nom des sœurs qui seraient venues vous aider ?
le témoin 115 : La sœur qui se
préparait comme l’infirmière, je ne sais pas c’est qui c’était à l’école d’infirmière.
Je connais deux sœurs qui se sont préparées pour l’infirmière, c’est Solange
et Cécile. Ça, c’est vrai et une d’eux m’a aidée. Deuxième a été absente pour
le moment.
Le Président : Oui ?
Me. WAHIS : Est-ce que le témoin
se serait rendu le 18 avril à la commune pour chercher de l’aide ?
le témoin 115 : A la commune, moi ?
J’étais pour prendre l’essence au bourgmestre à commune de Huye pour ambulance,
pour qu’elle soit pleine, peut-être que je pensais que ça soit utile. J’ai été
à bourgmestre pour demander essence, ça c’est vrai ! Et quelquefois, comme
je vous ai dit, les soldats sont venus pour regarder la situation au centre
de santé. Ils sont venus, mais moi-même...
Le Président : N’y avait-il pas
une réserve d’essence au couvent de Sovu ?
le témoin 115 : Euh… c’est-à-dire,
il y a différence centre de santé à Sovu. Moi pour ambulance, j’ai toujours
l’essence pour ambulance. Et le monastère a sa propre quantité, pour ses voitures.
Je ne suis pas au courant qu’est-ce que c’est avec l’essence du monastère.
Me. WAHIS : Savez-vous comment
l’ambulance a été acquise par le centre de santé ? Est-ce que c’était un
don ou est-ce que le centre de santé l’a acheté ?
le témoin 115 : Quand je suis arrivée,
l’ambulance était déjà là pour disposition au centre de santé, mais avant de
mon arrivée en 1991, il était déposé sur place, au monastère. Après, on a construit
un garage à côté du dispensaire, on a mis l’ambulance là, mais je ne sais pas
d’où il vienne si c’est un don ou si c’est acheté, ça je ne peux pas vous dire
exactement.
Le Président : Vous ne savez pas
s’il y avait un accord avec la commune dont on nous a dit qu’elle avait donné
cette ambulance, qui voulait que l’ambulance soit mise à la disposition de la
commune de temps en temps, l’ambulance était une camionnette apparemment
le témoin 115 : C’était Toyota,
mais jamais la commune n’a pas me demandé ce service.
Le Président : Une autre question ?
Me. WAHIS : Oui, Monsieur le président.
Est-ce que le témoin a le souvenir d’être allé le 18 avril à Butare, à la Caritas,
pour chercher des vivres ?
le témoin 115 : 18 non, 18 non,
18 j’ai parti avec la voiture qui est venue du Burundi pour me chercher.
Le Président : Eventuellement
les jours précédents ? Dans les jours qui ont précédé votre départ, êtes-vous
allée chercher ?
le témoin 115 : J’ai été plusieurs
fois à Butare, ça c’est vrai, j’étais plusieurs fois prendre des médicaments
aussi pour le centre de santé mais je ne peux pas vous dire, je… c’est moi qui
a gardé les clefs de l’ambulance, mais je ne me souviens plus.
Le Président : Autre question ?
Me. FERMON : Oui, je vous remercie
Monsieur le président. Le témoin vient de nous déclarer qu’il avait quitté le
monastère de Sovu le 18 avril, pourriez-vous lui demander pour quelle raison
elle est partie le 18 avril ?
le témoin 115 : Pour quelle raison ?
Je suis de la congrégation des carmélites de l’Enfant Jésus d’origine polonaise.
J’habitais à Rugango, je n’ai pas habité à Sovu au monastère, je travaillais
seulement là. Chaque jour, je viens à Sovu et je reviens à Rugango dans ma propre
communauté mais les sœurs de ma communauté sont parties, si je me souviens bien,
le 13, ça je ne peux pas vous dire exactement, mais ma propre communauté. En
ce moment-là, ne pas rester seule à Rurango, j’ai demandé à sœur Gertrude de
m’accueillir au monastère, parce ce que c’est ma conscience je ne peux pas quitter
les malades. Et j’habitais au monastère mais, seule avec ma congrégation qui
sont parties vers Burundi à 18, sont venues avec père CAM pour me chercher,
on m’a obligé de quitter le Rwanda par mes supérieures.
Le Président : Une autre question ?
Me. FERMON : Oui, est-ce qu’on
a demandé au témoin de partir en raison du danger qu’elle courrait, personnellement ?
le témoin 115 : Je n’ai pas eu
peur du danger, parce que c’est ma vocation de soigner les malades, je suis
venue pour ça, mais comme je suis religieuse, je dois être obéir, obéissante.
Le Président : Une autre question ?
Me. FERMON : Oui, Monsieur le
président. Est-ce que le témoin peut nous dire si elle a été entendue par un
juge d’instruction ou par des enquêteurs à propos des faits de Sovu ?
Le Président : Avez-vous été interrogée
par un juge d’instruction, par des policiers, à propos des faits qui seraient
survenus à Sovu ou au Rwanda ?
le témoin 115 : Non, non, non.
Le Président : Oui, encore une
question, Monsieur le président. Le témoin nous a dit qu’elle était au centre
de santé depuis 1991 ; si elle a des informations à ce sujet, est-ce qu’elle
pourrait nous décrire la personnalité de sœur Gertrude avant la période d’avril
1994. Est-ce que sœur Gertrude était quelqu’un d’accueillant, est-ce qu’elle
avait des opinions politiques anti-Tutsi ou que sais-je ?
Le Président : Comment décririez-vous
des contacts que vous aviez pu avoir avec sœur Gertrude, sa personnalité ?
le témoin 115 : Je vous assure
qu’avec sœur Gertrude comme la prieure de cette maison, vraiment, je n’ai pas
eu les obstacles entre centre de santé et le monastère. Quand elle était prieure…
avant c’était Jeanne-Marie belge, j’ai fait la même chose avec sœur Gertrude
comme supérieure responsable de tout, je n’ai pas jamais les obstacles, jamais
les difficultés avec elle. Tout ce que j’ai demandé pour centre de santé, j’ai
obtenu.
Le Président : Auriez-vous constaté
qu’elle donnait un traitement différent aux personnes selon qu’elles étaient
d’origine Hutu ou d’origine Tutsi ?
le témoin 115 : Jamais on a parlé
de ça mais si les sœurs sont étaient malades, elles sont venues chez moi pour
se soigner ; même moi j’ai parti en haut parce que le monastère c’est en
haut, le dispensaire c’est plus bas, j’ai soigné toutes les sœurs qu’on a demandé,
même les familles de sœurs sont venues pour se faire soigner chez moi, je n’ai
pas eu de différences, je n’ai pas jamais vu ça.
Le Président : Oui ?
Me. FERMON : Oui, Monsieur le
président. Est-ce que le témoin était présente lors de l’élection de la prieure
de 1993, et est-ce qu’elle a participé à ces élections ?
le témoin 115 : Non, je n’appartiens
pas à la communauté des bénédictines mais je travaillais en bas au dispensaire.
On m’a informé tout de suite que la sœur Gertrude est élue et on a monté pour
souhaiter, pour se réjouir ensemble.
Le Président : Avez-vous constaté,
à ce moment-là, qu’il y aurait eu des tensions dans la communauté des bénédictines
en raison de cette élection ?
le témoin 115 : J’étais trop occupée
avec les malades, avec les gens qui viennent chez moi pour regarder les problèmes
de la communauté. Ce que je peux dire, les sœurs sont, les sœurs qui viennent
chez moi par exemple pour se faire soigner, j’ai vu quelque chose qui ne sont
pas tout à fait pour elles, mais pas tous je dis il y a quelqu’un des sœurs
qui…
Le Président : Quelques-unes unes
des sœurs n’étaient pas…
le témoin 115 : N’est pas...
Le Président : N’étaient pas très
contentes de cette élection ?
le témoin 115 : Oui, c’est ça.
Le Président : Est-ce que par
exemple sœur Scholastique était mécontente ?
le témoin 115 : Voyez-vous, ça
c’est mon propre sentiment et ma propre expérience, je peux dire : oui,
parce qu’elle a travaillé dans hôtellerie, j’ai eu beaucoup de contacts avec
elle mais jamais je n’ai pas ouverte avec elle.
Le Président : Oui ?
Me. FERMON : Est-ce qu’elle peut
nous donner éventuellement les noms des autres sœurs qui auraient manifesté
un certain mécontentement ?
le témoin 115 : Si je me souviens
bien, il y a une grande sœur, c’est très grande, Bernard ou quelque chose comme
ça.
Le Président : Bernard ou Marie-Bernard ?
le témoin 115 : Exactement, Bernard,
je pense que si c’est Marie, je ne sais pas, elle s’est présentée comme Bernard.
Le Président : Oui ? Monsieur
l’avocat général ?
L’Avocat Général : Si j’ai bien
compris, le témoin qui déclare qu’elle est partie du couvent le 18 avril ?
le témoin 115 : Oui, exactement.
L’Avocat Général : A quelle heure ?
le témoin 115 : Ça a été plus ou
moins à midi.
L’Avocat Général : A ?
le témoin 115 : A midi, plus ou
moins.
L’Avocat Général : Et il y avait
déjà beaucoup de réfugiés à ce moment là ?
le témoin 115 : Beaucoup. Ça, c’est
pleine. Ça commençait, je pense à 10 avril que les réfugiés sont venus chez
nous.
L’Avocat Général : Le 10 ?
le témoin 115 : Le 10 déjà ça commençait.
D’abord au centre de santé petit groupe, après on a augmenté, ils sont venus
avec les matelas, les casseroles et tout pour dormir là.
Le Président : Oui ?
Me. VERGAUWEN : Oui, je vous
remercie, Monsieur le président. Quand le témoin dit « beaucoup de réfugiés »
est-ce qu’elle peut les chiffrer ?
le témoin 115 : J’ai déjà dit.
Me. VERGAUWEN : Je n’ai pas
entendu, excusez-moi
Le Président : Environ 1500. Les
militaires qui auraient compté environ 1500.
le témoin 115 : Ils ont constaté
que c’est plus ou moins comme ça.
Le Président : Le 18 à midi, ou
un peu avant votre départ.
le témoin 115 : Ça fait plein de
jours de travail, certainement la situation était grave, très grave.
Me. VERGAUWEN : Je vous remercie.
Le Président : Y a-t-il d’autres
questions ? S’il n’y a plus de questions, les parties sont-elles d’accord
pour que le témoin se retire ? Madame confirmez-vous les déclarations que
vous venez de faire ?
le témoin 115 : Oui.
Le Président : La Cour vous remercie
pour votre témoignage et votre patience depuis hier pour être enfin entendue.
le témoin 115 : Ça, c’est pour
la vérité. Que ce soit vraiment vérité.
Le Président : Nous vous souhaitons
un bon retour.
le témoin 115 : Grand merci.
Le Président : Vous pouvez faire
venir Madame le témoin 136. |