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8.6.31. Audition des témoins: le témoin 20
Le Président : L’audience
est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place.
Alors, il y a déjà deux témoins qui sont présents, Monsieur le témoin 60
et Madame le témoin 20. Mais Madame le témoin 20 étant, semble-t-il, accompagnée par un jeune
enfant, je suggère que nous l’entendions avant Monsieur le témoin 60. Pas d’objection ?
Madame, quels sont vos nom et prénom ?
le témoin 20 : Je m’appelle
le témoin 20.
Le Président : Euh… oui,
le témoin 20 est votre nom de jeune fille ?
le témoin 20 : le témoin 20.
Le Président : C’est ça.
Quel âge avez-vous, Madame ?
le témoin 20 : 62.
Le Président : Quelle est
votre profession ?
le témoin 20 : Enseignante.
Le Président : Quelle est
votre commune de domicile ?
le témoin 20 : Ypres.
Le Président : Madame, connaissiez-vous
les accusés ou certains des accusés, avant le mois d’avril 1994 ?
le témoin 20 : Je n’ai pas
compris le début, s’il vous plaît.
Le Président : Connaissiez-vous,
avant le mois d’avril 1994, certains des accusés ? Connaissez-vous Monsieur
NTEZIMANA ?
le témoin 20 : Non.
Le Président : Connaissez-vous
Monsieur HIGANIRO ?
le témoin 20 : Non.
Le Président : Connaissez-vous
sœur Gertrude ?
le témoin 20 : Oui.
Le Président : Connaissez-vous
sœur Marie-Kizito ?
le témoin 20 : Euh… je sais
qui c’est, mais je ne la connais pas.
Le Président : Bien, donc
vous connaissez uniquement sœur Gertrude ?
le témoin 20 : Oui.
Le Président : Etes-vous
de la famille des accusés ou de la famille des parties civiles ?
le témoin 20 : Euh… d’aucun
des deux.
Le Président : Travaillez-vous
sous un lien de contrat de travail pour les accusés ou pour les parties civiles ?
le témoin 20 : Non.
Le Président : Je vais vous
demander, Madame, de bien vouloir lever la main droite, et de prononcer le serment
de témoin qui vous est présenté.
le témoin 20 : Je jure de
parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité, et rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie.
Vous pouvez vous asseoir, Madame. Vous avez, Madame, semble-t-il, travaillé
au Rwanda ?
le témoin 20 : Oui, Monsieur.
Le Président : Vous pouvez
situer l’époque à laquelle vous avez travaillé au Rwanda ?
le témoin 20 : Oui, je suis
partie en 91, et j’y suis restée deux années scolaires, c’est-à-dire jusqu’à
juin, je pense, juin-juillet 93.
Le Président : A quel endroit
travailliez-vous et en quoi consistait votre travail ?
le témoin 20 : Je travaillais
au monastère de Sovu, et j’étais chargée de donner des cours de français aux
sœurs.
Le Président : C’est ça.
A partir de quand avez-vous connu sœur Gertrude ?
le témoin 20 : Je l’ai connue
avant mon départ, ici à Maredret, je pense que ça devait être au début de l’année
91, avant mon départ pour le Rwanda.
Le Président : Oui. Elle
se trouvait donc, à cette époque-là, avant votre départ pour le Rwanda, à Maredret ?
le témoin 20 : Oui.
Le Président : Elle a rejoint,
semble-t-il, la communauté de Sovu vers la Noël 1991 ?
le témoin 20 : C’est ça.
Le Président : Elle n’était
pas, à ce moment-là, la prieure de Sovu ?
le témoin 20 : Non, elle
ne l’était pas.
Le Président : Il semble
d’ailleurs qu’elle soit devenue la prieure en juillet 1993, donc, après votre
départ du Rwanda ?
le témoin 20 : C’est ça.
Le Président : Comment décririez-vous
l’attitude qu’avait sœur Gertrude à l’époque où vous l’avez connue à Sovu, et
où, donc, elle n’était pas encore la prieure ?
le témoin 20 : En fait, moi,
je ne la connais pas tellement. Mon travail là-bas consistait à m’occuper des
sœurs et c’était la prieure de l’époque, sœur Marie-Jeanne, qui… c’est avec
elle que nous parlions, que nous discutions de ce que nous avions à faire. Je
n’ai vu sœur Gertrude que très peu à la chapelle ou bien quand il y avait une
fête avec les jeunes sœurs, c’est tout.
Le Président : Vous avez
pourtant déclaré à la police judiciaire que quand sœur Gertrude est arrivée
à Sovu, en droite ligne de Maredret, elle avait quasiment tous les droits de
la mère prieure.
le témoin 20 : C’est exact,
mais ça, c’est un rapprochement que j’ai fait par la suite, c’est-à-dire par
ce qui s’est… ce dont on a parlé ensuite, ici. Moi, j’ai commencé à y voir un
petit peu clair et à faire des rapprochements. Mais quand j’étais là, je n’avais
vraiment pas affaire à elle. Il n’y a eu aucun problème, tout s’est passé dans…
amicalement, sans aucun… d’une façon tout à fait amicale et normale.
Le Président : Et pourtant,
vous avez déclaré que vous aviez ressenti que depuis son arrivée à Sovu, il
y avait, dans ce monastère, une ambiance exécrable et vous allez même jusqu’à
dire que sœur Gertrude empoisonnait la vie des gens.
le témoin 20 : C’est exact.
Je continue aussi à le maintenir. Mais je répète que je me suis rendu compte
de cela, ici, par rapprochement en disant : « Voilà, il s’est passé
ça, là-bas ». A ce moment-là, je ne comprenais pas : « Mais qu’est-ce
qui se passe ? Mais pourquoi ? ». Et ce n’est qu’ici que j’ai
fait des liens et que j’ai dit : « Mais c’est ça ». Mais je répète
encore que là-bas, ce n’était pas le cas.
Le Président : Bien. Lorsque
vous avez quitté le Rwanda en juin-juillet 1993…
le témoin 20 : Oui.
Le Président : …vous avez
expliqué que sœur Gertrude était venue vous dire au revoir. Vous l’avez serrée
dans les bras…
le témoin 20 : C’est juste.
Le Président : …qu’elle avait
même demandé avec insistance de lui promettre d’être son amie, de jurer d’être
son amie…
le témoin 20 : Oui, c’est
exact. Ça m’avait beaucoup étonnée, mais enfin, moi, je ne comprenais pas tellement,
je ne comprends pas encore maintenant. Et je lui ai dit : « Mais écoutez,
ma sœur, moi, je… mes amis je les choisis, vous n’avez pas à m’obliger à être
votre amie ». Et alors, elle a dit : « Mais promettez-moi que
vous ne serez pas mon ennemie ». J’ai dit : « Mais je n’ai aucune
raison d’être votre ennemie ». Et voilà, on s’est quittées comme ça.
Le Président : Lorsque la
communauté de Sovu ou du moins les religieuses qui ont survécu aux événements
qui se sont déroulés au Rwanda en avril-mai-juin 1994, ont rejoint Maredret,
ou en partie rejoint Maredret, vous êtes allée rendre visite à ces religieuses ?
le témoin 20 : Oui, plusieurs
fois.
Le Président : Avez-vous
constaté quelque chose d’anormal en ce qui concerne les contacts qu’avaient
éventuellement les religieuses de Sovu entre elles ?
le témoin 20 : La première
fois, sincèrement, non. Parce que c’était une grande joie de se revoir, c’était
tellement bien de savoir qu’elles étaient arrivées en vie et puis, c’est une…
non, c’était très amical et très ouvert. La première fois, vraiment pas.
Le Président : Et au fil
de vos visites, vous avez constaté des différences de comportement ?
le témoin 20 : J’ai senti
que quelque chose clochait. Ce sont des choses qui se sentent. Ne me demandez
pas quoi, parce qu’on le sent. Quelque chose ne va pas, mais on ne peut pas
expliquer. Il ne faut pas oublier que moi, je ne savais rien à ce moment-là,
absolument rien. Donc, oui, effectivement, il y a eu des changements, oui.
Le Président : Il semble
que dans les changements de comportement, vous avez ressenti que les religieuses
n’avaient pas la possibilité de communiquer librement ?
le témoin 20 : Exactement.
Et puis, il y en avait beaucoup qui me disaient : « Il faut que je
vous parle, il faut que je vous parle ». Moi, je pensais qu’elles voulaient
me dire comment ça allait, ce que j’avais fait, enfin des choses comme ça, de
la vie de tous les jours. Et je ne faisais pas tellement attention. Mais ce
n’est qu’après, je vous dis, quand tout comme ça… quand ça a commencé à… c’est
à ce moment-là que j’ai dit : « Voilà, mais voilà pourquoi elles voulaient
me parler, voilà pourquoi elles disaient ça ». Mais sur le coup, moi, je
pensais qu’elles voulaient me parler de choses et d’autres.
Le Président : Vous avez
eu un contact, en particulier avec sœur Marie-Bernard qui, à ce moment-là,
ne se trouvait en tout cas plus à Maredret, mais se trouvait à Rixensart.
le témoin 20 : Oui.
Le Président : Pouvez-vous
expliquer, brièvement hein, ce dont sœur Marie-Bernard vous a fait part lors
de cette rencontre ?
le témoin 20 : C’est difficile
du dire brièvement parce qu’on a parlé une partie de la nuit. Elle m’a téléphoné
et elle m’a dit si je pouvais aller la voir, que c’était très urgent, et
que surtout, je ne dise à personne que j’allais là-bas. Je m’y suis rendue.
Nous avons été très bien accueillies, et puis pendant la nuit, elle est venue
dans ma chambre et elle a parlé. Sincèrement, si j’avais su tout ce qu’elle
allait me dire, j’aurais dû l’enregistrer. Est-ce que je dois maintenant dire
tout ce dont elle m’a parlé ? Elle a commencé à me dire tout ce qui
s’était passé à Sovu, toutes les horreurs. Et moi, au début, je tombais des
nues parce que je ne savais absolument rien. Elle m’a dit, ben, que les gens
des collines étaient venus se réfugier au monastère, que la famille des sœurs
était venue se réfugier au monastère, que tout le monde avait très peur, que
c’était une époque épouvantable, mais ça, nous le savons tous, que ces gens
avaient faim, que ces gens, c’était la saison des pluies, qu’ils étaient mouillés,
qu’on a demandé à la prieure de leur donner à manger et qu’elle a dit qu’il
n’en était pas question. Et j’ai demandé : « Peut-être il n’y avait
rien à manger ». Parce que, c’est vrai, dans des moments pareils, c’est
pas évident. Elle a dit : « Nous avions des provisions de riz et nous
avions des provisions de… de macaroni » parce que ce sont elles-mêmes qui
les fabriquent, donc ça, je sais qu’il y en a toujours. Mais elle a refusé de
leur en donner.
C’était aussi la saison des pluies, et une des sœurs a dit :
« Est-ce que nous ne pourrions pas ouvrir la chapelle pour les mettre à
l’abri ? ». Et elle a répondu : « Non, parce que ces gens
profaneraient les lieux ». Voilà ce que sœur Marie-Bernard m’a raconté.
Et elle a dit, elle a raconté les crimes du garage, elle a raconté la peur,
elle a raconté tout ce que vous savez déjà. Elle a dit également qu’on avait
établi des listes avec des noms, que sœur Gertrude était sortie souvent et qu’elle
voulait se débarrasser de ces gens. C’était son… d’après sœur Marie-Bernard,
c’était son idée fixe, elle voulait se débarrasser d’eux. Et puis, qu’elle a
fait venir le bourgmestre pour lui dire : « Allez, il faut les mettre
dehors, etc. ». Et que le bourgmestre, et ça je m’en souviens très bien,
je me souviens bien de ce qu’elle m’a raconté, hein, je parle par personne interposée,
lui avait dit : « Ecoutez, ma sœur, patientez s’il vous plaît encore
deux ou trois jours, parce que ce sont des gens que nous connaissons, ce
sont des gens de la colline et puis tout va s’arranger, alors, prenez un peu
de patience, gardez-les, gardez-les encore quelques jours ». Et qu’elle
aurait dit : « Non, je ne peux pas attendre deux ou trois jours ».
Et qu’à un moment donné - je pense que c’était après ça, mais ça, je ne peux
pas le dire - elle a demandé à la communauté, à toutes les sœurs, de monter
dans leurs cellules, de s’enfermer dans les cellules et de n’en sortir sous
aucun prétexte, qu’elles ont entendu des cris épouvantables, des bruits de lutte
et que, quand elles sont sorties, eh bien, elles ont trouvé ce qu’elles ont
trouvé. Voilà à peu près ce qu’elle m’a raconté. Quand elle m’a raconté, à la
fin, vers la fin, l’épisode du garage, mon cerveau s’est refusé à… à accepter
encore cela parce que trop c’est trop.
Et puis moi, je vous dis, je connaissais sœur Gertrude, là-bas, qui
était quelqu’un d’aimable, de gentil, vous ne pouvez pas imaginer tout d’un
coup des choses pareilles. Et en moi-même, j’ai dit : « Tout de même,
l’épisode du garage, ça c’est… peut-être qu’elles en rajoutent ». Ce garage,
c’était moi qui l’avais construit avec des dons que j’avais reçus ; il
était destiné à l’ambulance, pour garder l’ambulance. Et j’ai dit : « Mais
on ne peut pas avoir brûlé des gens dedans, ce n’est pas possible ». Mais
j’ai été moi-même après, à Sovu, et j’ai bien vu qu’il y a encore des traces
de feu, des traces de fumée, je veux dire. Donc, il y a quand même une part
de vérité, enfin, les faits étaient là. Voilà. Et à ce moment-là, j’ai dit euh…
elle m’a demandé : « Est-ce que… est-ce que le moment venu, vous seriez
prête à nous aider ? ». J’ai dit : « Mais vous aider à quoi ? ».
Elle m’a dit : « Mais ça, on ne sait pas encore, mais est-ce que vous
pourriez nous aider ? ». J’ai dit : « Mais vous savez que
je vous aime beaucoup et j’aime beaucoup toute la communauté. Bien sûr que je
peux vous aider, tout dépend de quoi. Et d’abord, j’aimerais… », et ça,
je lui ai dit très sincèrement, j’ai dit : « Ecoute, Marie-Bernard,
j’aimerais vraiment bien parler avec d’autres personnes qui ont vécu cela, parce
que tout ce que tu me racontes est tellement effroyable, tellement inattendu,
ça me tombe dessus comme ça, euh… j’aimerais quand même avoir d’autres avis ».
Elle m’a dit : « Bien sûr, tu peux demander à n’importe qui, on te
racontera la même chose ». Voilà, je pense que c’est à peu près tout.
Le Président : Et vous avez,
par la suite, eu des contacts avec d’autres religieuses de la communauté de
Sovu ?
le témoin 20 : Oui.
Le Président : Sœur Scholastique,
sœur Solange et la novice, sœur Régine ?
le témoin 20 : Oui, et avec
d’autres aussi. Sœur Scholastique n’était pas à Rixensart.
Le Président : Non, non.
Oui, je ne dis pas que c’est à Rixensart que vous avez eu ces contacts, hein.
le témoin 20 : Non, ça c’est…
oui. A Rixensart, c’était seulement avec
Marie-Bernard.
Le Président : Et les autres
religieuses de Sovu avec lesquelles vous vous êtes entretenue, vous ont fait
le même récit ?
le témoin 20 : Avec des variantes,
mais les faits essentiels coïncidaient tous. C’est ce qui a commencé à me troubler
très fort.
Le Président : Etes-vous
intervenue pour que sœur Marie-Bernard et sœur Scholastique, je crois, regagnent
le Rwanda ?
le témoin 20 : Oui, Monsieur.
Le Président : Nonobstant
le défaut d’autorisation de leur supérieure ?
le témoin 20 : Elles m’ont
demandé de… parce que ce… il faudrait savoir une chose, c’est que, entre-temps,
une religieuse m’a téléphoné de Maredret en disant : « Notre monastère
n’est plus à nous ». Parce qu’en fait, elles avaient toutes envie de retourner
là-bas, ça c’était clair. Elles étaient ici pour une période et puis, tout le
monde rentrait là-bas quand tout serait en ordre, chez elles, elles essaieraient
de reprendre la vie comme par le passé, ça c’est une… je pense que tout le monde
est d’accord là-dessus. Euh… une… une… Sœur Geneviève m’a téléphoné de Maredret
en disant : « Tu sais, Marie-Claire, notre monastère a été cédé à
une organisation, il n’est plus à nous, il faut tout de suite avertir Scholastique
et Marie-Bernard pour voir ce que nous devons faire parce que ce monastère
est à nous et nous ne voulons pas le perdre ». C’est ce que j’ai fait.
J’ai été voir sœur Marie-Bernard et j’ai été voir sœur Scholastique qui étaient
absolument bouleversées parce qu’un monastère pour une communauté, c’est pas
rien, c’est leur chez-elles, c’est leur famille, elles ont vécu là-bas, elles
l’ont créé et puis on le donne comme ça.
Et ça les avait touchées très fort, elles en étaient… elles en étaient
malades. Et c’est à ce moment-là qu’elles m’ont demandé : « Est-ce
que tu pourrais nous aider à partir ? ». J’ai dit : « Oui »,
parce que je pense que c’est pour une bonne cause. Elles partaient là-bas pour
récupérer ce monastère. Elles avaient cette idée absolument là ! Le monastère
est le monastère. Je pense qu’elles ont… j’ai dit : « Mais est-ce
que vous avez le… vous ne pouvez pas partir comme ça ». Elles m’ont dit :
« Ecoute… » - si j’ai bien compris, hein, parce que c’étaient des
moments un petit peu difficiles, et puis tout ça, ça fait quand même assez longtemps
- elles m’ont dit : « Nous avons besoin de trois autorisations, celle
de l’évêque nous l’avons, celle de la communauté nous l’avons, celle de la prieure,
nous ne l’avons pas, mais nous en avons deux sur trois, ça nous donne une force
de vouloir partir ». Et à ce moment-là, elles m’ont demandé : « Est-ce
que tu peux faire quelque chose ? ». Et j’ai dit : « Oui,
bien sûr ».
Le Président : Vous vous
êtes rendue, semble-t-il, pendant les vacances de Noël 1995, à Sovu.
le témoin 20 : Je me suis
rendue plusieurs fois à Sovu, mais ne me demandez pas des dates parce que je
n’ai pas la mémoire des dates et je ne peux pas répondre si c’est à ce moment-là.
Mais effectivement, j’ai été à Sovu, oui. Je n’ai pas logé à Sovu, j’étais logée
par l’évêque, à Butare, et j’ai fait une… j’ai visité les sœurs qui étaient
parties et qui se trouvaient là-bas, oui.
Le Président : C’est ça.
A l’occasion en tout cas d’une de ces visites, vous avez pu rencontrer, semble-t-il,
quelques rescapés des massacres de Sovu ?
le témoin 20 : Oui.
Le Président : Et vous avez,
semble-t-il, à ce moment-là, entendu parler pour la première fois de sœur Kizito
et du rôle qu’elle aurait pu avoir ?
le témoin 20 : Oui. Mais
moi, je ne la connais pas, je ne la connaissais pas et je ne la connais pas,
donc, je ne peux pas dire : « Oui ». Effectivement, on parlait
d’elle aussi, oui, c’est sûr. Moi, je ne savais même pas qui c’était puisqu’elle
était à Kigufi.
Le Président : Et quel est
le rôle qui était attribué, selon les personnes que vous avez rencontrées, à
sœur Kizito ?
le témoin 20 : C’était euh…
le rôle de son bras droit. Voilà. Elles formaient équipe. J’ai évidemment entendu
l’affaire des jerricanes, que c’est elle qui les transportait, c’est elle qui
mettait un petit peu… : « Allez, allez, il faut que ça marche, il
faut que ça aille vite », mais, euh… pas plus.
Le Président : A propos des
jerricanes…
le témoin 20 : Oui.
Le Président : …dont on attribuait,
semble-t-il, dans les récits que l’on vous faisait, que l’on attribuait à sœur
Kizito d’en tout cas les avoir transportés, ces jerricanes d’essence qui avaient
été remis aux Interahamwe, euh… Vous a-t-on relaté que sœur Gertrude aussi,
aurait remis des jerricanes d’essence ?
le témoin 20 : Si j’ai bien
compris, c’est sœur Gertrude qui les lui procurait, et que c’est elle qui les
transportait.
Le Président : Vous avez
communiqué à la… je crois que c’est la police judiciaire qui vous a entendue,
une lettre, enfin une copie plus exactement, copie d’une lettre datée du 5 mai
1994 qui était signée par sœur Gertrude et qui était adressée au bourgmestre
de la commune de Huye. Vous avez le souvenir de cette lettre ?
le témoin 20 : Moi, j’ai
remis une photocopie de cette lettre ? Je n’ai pas bien compris.
Le Président : Oui. Vous
auriez, enfin moi, je… d’après ce que je lis dans un procès-verbal de la police
judiciaire qui vous a entendue le 10 mai 1999, Monsieur STASSIN de la police
judiciaire de Bruxelles, je vois, en fin de votre audition qu’il est indiqué :
« Je vous remets une copie d’une lettre datée du 5 mai
1994, signée par sœur Gertrude et qui est adressée au bourgmestre de la commune
de Huye, Butare ».
le témoin 20 : Je n’en ai
pas souvenance mais si j’ai remis la lettre, c’est bien que je l’ai fait, je…
je ne me rappelle pas de tout. Si j’ai donné la lettre, c’est… si vous l’avez,
c’est que je l’ai fait. Est-ce que c’est une lettre écrite en kinyarwanda ?
Le Président : C’est ce que
j’allais vous demander !
le témoin 20 : Ben euh… Il
y a eu beaucoup…
Le Président : Avez-vous
eu en votre possession, une lettre originale ou une copie de lettre écrite en
kinyarwanda, adressée par sœur Gertrude au bourgmestre de Huye ?
le témoin 20 : Monsieur le
président, ça vraiment, j’ai plusieurs lettres, je sais que j’en ai donné ;
si c’était celle-là ou une autre, je suis incapable de répondre. Ce… Quand je
dis un fait, c’est parce que j’en suis absolument sûre. Si je n’en suis pas
sûre, je dis : « C’est probable ». Mais à ce moment-là, je n’ai
pas tellement prêté attention puisque je ne savais pas que ce procès aurait
lieu, donc, je n’ai pas fait attention à ces… à ces choses-là, vraiment pas.
Le Président : Bien. Avez-vous
relaté les confidences qui vous avaient été faites par diverses religieuses
de la communauté de Sovu, à d’autres personnes qu’à la justice ?
le témoin 20 : J’en ai parlé
à ma fille, c’est un peu normal, mais je ne suis pas sortie dans les rues crier
ça à tous les toits. Ce sont des choses qu’on n’aime pas raconter, Monsieur,
vraiment pas, non. Nous en avons parlé peut-être entre amis, entre personnes
qui s’intéressaient à ce qui s’était passé, des personnes qui voulaient la vérité,
oui, certainement. Mais je n’ai pas dit plus de ce qui se disait dans les journaux
ou de ce qu’on voyait à la télévision.
Le Président : En avez-vous
éventuellement parlé à des journalistes ? Ou avez-vous, parmi les amis
auxquels vous auriez parlé, des journalistes ?
le témoin 20 : Je n’ai pas
d’amis journalistes, j’ai très peu d’amis. Moi, j’habite en Afrique, et je ne
viens ici que de temps en temps. Mais il est certain qu’il y a un groupe d’amis,
et parmi eux, il y a un journaliste, et que nous avons parlé ensemble et il
a écrit un article, oui, absolument.
Le Président : Ce journaliste
serait Monsieur le témoin 60 ?
le témoin 20 : C’est Michel,
oui, c’est ça, exactement. Mais Michel a écrit l’article, je pense, uniquement
d’après ce que je lui ai dit, puisque je ne crois pas qu’il avait été là-bas,
à ce moment-là.
Le Président : Ça permet
comme ça de situer un petit peu les sources d’informations.
le témoin 20 : Oui, oui.
Le Président : Vous recevez
des témoignages, je dirais, directs, de personnes qui se trouvaient dans la
communauté de Sovu au moment des événements. Lui-même, Monsieur le témoin 60,
par exemple, n’est pas témoin direct, n’a pas entendu non plus les témoins directs,
c’est par votre canal qu’il… qu’il reçoit des informations.
le témoin 20 : Oui, oui.
Le Président : Bien. Y a-t-il
des questions à poser au témoin ? Maître JASPIS ?
Me. JASPIS : Je vous remercie,
Monsieur le président. Est-ce que le témoin se souvient, dans les récits qu’on
lui a faits, donc au sujet de l’épisode qu’elle vient de nous relater, quand
le bourgmestre a incité Gertrude à faire preuve de patience et à garder les
réfugiés dans les murs du couvent disant que les choses allaient s’arranger ?
Est-ce que vous pouvez peut-être demander au témoin, Monsieur le président,
si elle se souvient quelle raison le bourgmestre a invoquée pour faire patienter
Gertrude, s’il vous plaît, sœur Gertrude.
Le Président : Vous vous
souvenez éventuellement du motif qu’avait invoqué le bourgmestre ?
le témoin 20 : Je ne pense
pas qu’on ait évoqué des motifs. Je pense que…
Le Président : Dans la mesure
où il aurait peut-être fait allusion à l’arrivée de troupes étrangères ?
le témoin 20 : Non, parce
que c’est une question… une question que je me suis posée, et j’en ai déduit
que, d’après l’époque plus ou moins, il devait quand même savoir ce qui se passait
hors de Butare même, et que lui, devait savoir qu’il y avait quand même des
gens qui approchaient pour essayer d’arranger les choses. Sinon euh… donc, pour
quelle raison le bourgmestre aurait-il dit : « Prenez patience, ça
va s’arranger. Attendez deux ou trois jours » ? C’est quand même très
précis : « Attendez deux ou trois jours, ça va s’arranger, ce sont
des gens de la colline, ce sont des gens que nous connaissons, attendez ».
Ça, j’en suis absolument sûre, mais les raisons, non.
Le Président : C’est vous
qui avez fait une déduction à propos des raisons ?
le témoin 20 : Oui, mais
mes déductions ne comptent pas tellement parce que je peux très bien me tromper.
Moi, à ce moment-là, je n’avais aucune idée de ce qui se passait là-bas.
Le Président : Une autre
question ?
Me. JASPIS : Oui, Monsieur
le président. Est-ce que le témoin peut nous préciser quand elle a parlé en
premier lieu à sœur Marie-Bernard, à Rixensart et puis, par la suite, à d’autres
religieuses séparément, si, d’après la manière dont les récits lui étaient rapportés,
est-ce que ces personnes étaient en contact les unes avec les autres ? Et
est-ce que ça donnait l’impression d’un récit concerté, autrement dit ?
Le Président : Avez-vous
eu l’impression, dans vos contacts avec les diverses religieuses, d’une concertation
entre elles ?
le témoin 20 : Alors là,
je suis catégorique, c’est non ! Et c’est un non, vraiment, qui veut bien
dire ce qu’il veut. Elles avaient… elles ne pouvaient pas communiquer entre
elles, ni même à Maredret ; ce sont les jeunes qui me l’ont dit :
« Dès notre arrivée, on a été séparées. Interdiction de parler entre nous ».
Voilà pourquoi elles m’ont… elles ont eu recours à moi - je ne vais pas dire
qu’elles m’ont utilisée, ce n’est pas le mot juste - elles ont eu recours à
moi pour essayer un petit peu, parce qu’elles se sentaient complètement… elles
voulaient parler, elles ne savaient pas comment, donc, il n’y a vraiment pas
eu concertation. La preuve que moi j’ai dit à Marie-Bernard : « Ecoute,
c’est bien, c’est bien. Tout ce que tu me dis, ça va, mais moi, j’aimerais quand
même entendre d’autres versions parce que ce que tu me racontes est tellement
épouvantable, tellement incroyable que moi, je ne peux pas dire oui tout de
suite ». Et c’était pour moi-même que j’ai voulu entendre d’autres personnes,
j’avais pas envie de me laisser gruger comme ça, ni me laisser raconter des
bobards.
J’ai interrogé d’autres personnes. C’est-à-dire, elles ont parlé
simplement, j’ai pas eu besoin de demander. Elles avaient hâte d’avoir quelqu’un
qui les écoute. Et tous les récits concordaient et c’est ça, moi, qui a commencé
à me troubler très fort. N’oubliez pas que quand moi je suis venue ici, sœur
Gertrude, je la connaissais comme une personne aimable, comme une personne accueillante,
comme une personne parmi les autres, ni plus ni moins. Et puis tout d’un coup,
vous entendez ça et vous dites : « Mais je rêve, il y a erreur ».
Une autre vous parle, elle vous dit la même chose. « Mince, il y a quand
même quelque chose ». Et puis une autre, et puis une autre. Alors, vous
êtes prise, vous ne pouvez pas penser que tant de personnes vont raconter la
même chose sans qu’il y ait un fond, sans qu’il y ait un lien commun. Mais qu’elles
disent… qu’elles parlaient entre elles, ça c’est complètement exclu. Lorsque
les sœurs me téléphonaient, chaque fois qu’elles parlaient, elles disaient :
« Attention, je vais parler très bas parce qu’on peut m’écouter. Et si
je raccroche, je rappellerai ». Elles disaient des mots, crac, ça raccrochait.
Bon. Moi, au début, ça m’agaçait parce que je ne comprenais pas ce climat, moi,
je n’étais pas là-bas. Et c’était chaque fois la même chose. Ça prouve bien
qu’elles ne pouvaient pas discuter entre elles, sinon on ne fait pas tant d’histoires
pour dire quelque chose.
Le Président : Une autre
question ?
Me. JASPIS : Oui, Monsieur
le président. Concernant la question du voile qui a été procuré à certaines
postulantes pour pouvoir s’enfuir en toute sécurité, le témoin a fait une déclaration
à ce sujet. Je pense que Mesdames et Messieurs les jurés commencent à savoir
ce qu’il y a lieu de penser de cette histoire du voile. Est-ce que le témoin
a été confronté avec sœur Gertrude au sujet de cette question bien précise des
gens à qui elle a donné le voile et surtout des gens à qui elle n’a pas donné
de voile, s’il vous plaît ?
Le Président : Oui, avez-vous
interrogé sœur Gertrude sur ce problème du port du voile par des personnes qui
n’avaient pas, je dirais, les qualités requises pour normalement porter le voile,
ne lui avez-vous pas posé la question notamment…
le témoin 20 : Je tiens…
Le Président : …de savoir
pourquoi elle n’avait pas procuré un voile à KAMANZI Aline ?
le témoin 20 : Je vous remercie
infiniment pour cette question parce que je ne savais pas comment l’aborder
et j’avais très envie d’en parler. Quand je suis arrivée une des premières fois
à Maredret, donc, c’était très sympathique, tout le monde sortait, on bavardait
sans aucune contrainte, il y avait une ou deux jeunes que je connaissais déjà
qui à ce moment-là, étaient postulantes. Quand on est postulante, on ne porte
pas de voile. Il y en avait d’autres que je ne connaissais pas, et en parlant,
vous savez comme ça, elles ont dit : « Oui, mais nous, on n’est pas
là depuis longtemps ». Tiens, moi, ça m’a étonnée. J’ai dit : « Vous
n’êtes pas là depuis longtemps et vous portez un voile blanc qui est réservé
aux novices après un laps de temps plus ou moins long, et vous le portez
déjà ». Elles ont dit : « Ah oui, mais tu comprends, c’était
beaucoup plus facile, pour partir avec la communauté, ça simplifiait les choses,
alors on nous l’a mis d’office ».
C’est à ce moment-là que j’ai eu le premier… disons qu’on s’est un
petit peu affrontées avec sœur Gertrude, parce que je me suis retournée vers
elle et j’ai dit : « Ecoutez, parmi les réfugiés, il y avait Aline,
Aline était ma filleule, Aline était la nièce d’une de vos religieuses, Aline
était une enfant bonne, Aline voulait entrer dans votre congrégation, ça vous
le saviez, enfin, l’ancienne prieure le savait. On lui a dit d’attendre de terminer
ses études. Aline n’était pas n’importe qui. Disons que toutes les jeunes filles
qui étaient là-bas, étaient des enfants connues, mais Aline avait des liens
familiaux avec la communauté, des liens spirituels. Aline avait le même âge
que ces jeunes et Aline était là. Aline avait été chercher refuge là ».
Et je lui dis : « Mais vous n’auriez pas pu lui mettre un morceau
de chiffon blanc sur la tête et la faire partir avec vous ? ». J’étais
un petit peu atterrée. Et là, elle est devenue… tout à coup, elle a grandi,
elle est devenue tout à fait furieuse, elle a dit : « Madame, moi,
je suis la prieure d’une communauté et j’ai d’autres choses à penser que celle-là !
». Ça a été notre première… notre premier affrontement, le seul et l’unique
tête à tête.
Le Président : Y a-t-il d’autres
questions encore ? Maître VERGAUWEN ?
Me. VERGAUWEN : Je vous
remercie, Monsieur le président. Monsieur le président, le témoin a été entendu
en 1999, par la police judiciaire à Bruxelles et elle commençait son audition
par nous dire qu’en 1991, elle se trouvait à Sovu, au Rwanda, dans la communauté
religieuse. Est-ce bien exact ?
le témoin 20 : C’est exact.
Me. VERGAUWEN : Et vous avez
poursuivi votre audition en disant ceci : « A la
Noël 1991, sœur Gertrude est venue rejoindre Sovu, elle venait en droite ligne
de Maredret, elle n’était pas la mère prieure mais elle en avait quasiment tous
les droits. J’ai ressenti que, depuis son arrivée, il y régnait une ambiance
exécrable, j’irais même jusqu’à dire qu’elle empoisonnait la vie des gens ».
Le Président : Je pense avoir
déjà posé cette question au témoin.
Me. VERGAUWEN : Donc, quand
elle dit : « J’ai ressenti que depuis son arrivée,
il y régnait une ambiance exécrable », elle a ressenti ça après ?
Pas au moment même ?
le témoin 20 : A ce moment-là,
il y a quelque chose qui a changé, mais je répète, je n’ai pas fait le rapport
avec son arrivée. Je sais que ça a commencé à ce moment-là avec des exemples
très précis, je ne peux pas vous dire ça, ou ça, ou ça, ou ça. Mais nous avions
vécu quelques mois en parfaite harmonie, tout roulait bien, les cours, les…
Et puis tout à coup, il y a quelque chose qui se bloque. Et vous dites :
« Mais il y a quelque chose ici, il y a quelque chose de fêlé dans cette
communauté. Qu’est-ce qui se passe ? ». Mais à ce moment-là, moi,
je n’ai pas fait le rapport, c’est ce que j’ai dit tout à l’heure. Il y avait
parfois des choses tellement incompréhensibles que c’était à se taper la tête
contre les murs et je peux vous donner des exemples précis, mais ce n’est qu’ici
que j’ai dit : « Mais voilà, il y a quand même quelque chose ».
Il y avait quand même quelque chose ou quelqu’un ou quelque chose derrière,
qui n’était pas net mais qui faisait que toute la vie en était changée. Voilà.
Me. VERGAUWEN : Je vous remercie.
Deuxième question. Le témoin a rencontré sœur Marie-Bernard, sœur Scholastique,
sœur Solange et sœur Régine. Est-ce que le témoin peut-il nous dire s’il avait
l’impression, le sentiment que ces sœurs avaient confiance en elle ?
le témoin 20 : En qui ?
Me. VERGAUWEN : En
vous.
le témoin 20 : Bien sûr,
bien sûr.
Me. VERGAUWEN : Elles étaient
en totale confiance avec vous-même ?
le témoin 20 : Mais toute
la communauté, absolument toute, même les toutes jeunes.
Me. VERGAUWEN : Donc - je poursuis
ma question - ni Solange, ni Scholastique, ni Marie-Bernard, ni Régine ne vous
cachaient rien ?
le témoin 20 : Ça, c’est
aller trop loin. Moi, je ne sais pas si elles me cachaient quelque chose. Moi,
je sais qu’elles avaient envie, qu’elles avaient un besoin vital de parler avec
quelqu’un. Si elles me cachaient quelque chose, ça, je ne peux pas savoir.
Me. VERGAUWEN : Elles avaient
un besoin vital de vous parler de ce qui s’était passé là-bas ?
le témoin 20 : De ce qui
s’était passé là-bas, et de leur dépression qu’elles subissaient ici. Elles
ne comprenaient pas : « Mais pourquoi est-ce qu’on ne peut pas parler
entre nous ? Pourquoi est-ce qu’on ne peut pas aller te rendre visite,
alors que sœur Gertrude a dit que ce serait possible ? ». En fait,
il y en a… euh… Cécile et Solange sont venues passer quelques jours chez nous,
ça s’est très bien passé. Et il y en avait d’autres qui devaient suivre par
la suite, et puis ça a été annulé, etc. Elles me disaient : « Mais
pourquoi elles ont pu et pourquoi nous, est-ce qu’on ne peut pas ? ».
Me. VERGAUWEN : Je vous remercie.
Le Président : D’autres questions ?
Maître VANDERBECK ?
Me. VANDERBECK : Je vous
remercie, Monsieur le président. Le témoin nous a dit, semble-t-il, aujourd’hui,
je répète ses mots, qu’elle m’arrête si je me trompe : « Quand je
dis un fait, c’est que j’en suis sûre ». Alors, ma question est la suivante.
Puisqu’elle a dit dans son audition de 1999 que ce n’est que durant les vacances
de Noël 95 qu’elle a entendu parler, pour la première fois, du nom de sœur Kizito,
est-ce qu’elle en est bien sûre ? Qu’elle confirme qu’elle est tout à fait
sûre de cela. Vous avez dit ça dans votre audition. Vous dites que quand vous
dites quelque chose, vous en êtes sûre, je voudrais savoir si vous êtes sûre
de ce que vous avez dit.
le témoin 20 : Je vous dis
que sœur Kizito, moi, je ne la connais pas. Elle n’était pas dans notre communauté.
Je ne sais pas quand est-ce que j’ai entendu parler d’elle pour la première
fois, entre soeurs. On peut très bien dire : « Une telle, ceci, cela ».
Mais sœur Kizito n’était même pas un visage, elle ne… je ne l’ai jamais vue.
On m’en a parlé comme ayant fait ça ou ayant fait ça, mais c’est tout.
Me. VANDERBECK : Le témoin
dit dans son audition : « J’ai entendu pour la première fois parler
du nom de Kizito qui aurait transporté des jerricanes d’essence en… à Noël 1995 ».
Est-ce que ça veut donc dire que lorsqu’elle a recueilli les confessions de
sœur Marie-Bernard, sœur Scholastique, sœur Régine et sœur Solange, elle n’a
pas entendu un mot sur Kizito.
le témoin 20 : Peut-être,
ça je ne sais pas, ça… ça… c’est peut-être venu dans la conversation, c’est
très possible, je ne saurais pas vous dire. Mais c’était pour moi un nom entre
beaucoup d’autres.
Me. VERGAUWEN : Pourquoi alors,
si c’est venu dans la conversation, elle ne l’a pas évoqué, puisqu’elle nous
dit qu’elle dit tout ce qu’on lui a dit et qu’elle est sûre de ce qu’elle dit ?
le témoin 20 : Mais quelle
est votre question exactement ?
Me. VERGAUWEN : Je pose la
question de savoir…
Le Président : On se pose
la question de savoir si c’est une question.
Me. VERGAUWEN : Je pose simplement
la question de savoir… je vais peut-être la réexprimer autrement pour être plus
clair. Pourquoi, si le témoin…
Le Président : Madame, je
vais poser la question de manière plus simple.
le témoin 20 : Oui, merci.
Le Président : Si sœur Marie-Bernard,
lorsque vous l’avez entendue à Rixensart, vous avait parlé de ce que sœur Kizito,
que vous ne connaissiez pas, avait transporté des bidons d’essence, si elle
vous l’avait raconté à vous…
le témoin 20 : Elle m’a parlé
de bidons d’essence, ça, j’en suis sûre parce que moi, je… à ce moment-là, c’est
à ce moment-là que je ne pouvais plus croire à tant d’horreurs. Si elle a parlé
de Kizito, ça, je n’en sais rien, je ne m’en souviens pas, vraiment pas. Je
sais qu’elle m’a parlé des bidons d’essence, ça oui.
Le Président : Alors, quand
vous relatez à la police judiciaire que durant votre séjour, pendant les vacances
de Noël 95, vous entendez diverses personnes, dont des rescapés des massacres
et que c’est à cette époque-là que vous entendez parler, dites-vous à la police
judiciaire, pour la première fois, de sœur Kizito comme étant celle qui transportait
les bidons d’essence et qui les remettait aux Interahamwe, cela correspond-il
à une réalité de ce que vous avez retenu ?
le témoin 20 : En tout cas,
c’est certainement à ce moment-là que j’ai commencé à réaliser que ce nom de
Kizito, ça signifiait quand même quelque chose de plus poussé. Si j’ai entendu
son nom avant, pour moi, ça passait comme on aurait dit sœur X ou sœur Z. Ne
la connaissant pas, moi, je ne prêtais pas attention à ce nom. Ce n’est qu’à
force de dire et à force de dire que vous dites : « Ah, mais si on
répète et si on dit, ou ceci, alors… ». Moi, je ne la connaissais pas,
elle n’était pas chez nous, vous voyez. On prête plus attention quand on vous
cite des noms de personnes que vous connaissez.
Le Président : Bien. Une
autre question ?
Me. VANDERBECK : Oui, Monsieur
le président. Est-ce que le témoin peut nous confirmer alors, puisque ça c’est
ce qu’elle a dit et qui figure dans son audition qu’elle a signée, qu’évoquant
les événements du 6 mai et dans le résumé de ce qu’elle a appelé les grandes
lignes des témoignages qu’elle a pu recueillir, elle dit ceci, vous me permettrez
de lire la déclaration, Monsieur le président, pour rafraîchir la mémoire du
témoin : « Le chef de police de Huye est venu exprès
au monastère, a demandé à sœur Gertrude de patienter encore quelques jours,
car les événements allaient changer dans le sens où les troupes étrangères
entre parenthèse les Français de la zone Turquoise -
pouvaient arriver et ainsi sauver les réfugiés. Exaspérée par le refus des autorités
de se débarrasser des réfugiés, elle a donné l’ordre aux sœurs de rester dans
leur cellule et de n’en sortir sous aucun prétexte, même si elles entendaient
du bruit. Sœur Gertrude, suivant les témoignages, est restée seule à l’extérieur
et lorsque les autres sœurs sont sorties de leur cellule, les réfugiés avaient
été massacrés ». Nous parlons bien du 6 mai.
le témoin 20 : Mais c’est
ce que je viens de dire tout à l’heure. Si je comprends bien, il y a seulement
un… vous parlez du chef de police, je crois ?
Me. VERGAUWEN : Je parle de ce
que vous avez parlé, Madame.
le témoin 20 : Oui, et qu’est-ce
qu’il y a là-dessus ?
Le Président : Dans la déclaration,
vous dites : « Le chef de police », peut-être…
le témoin 20 : Et moi, j’ai
dit : « Le bourgmestre ». Vous savez, n’étant pas là, comment
voulez-vous, moi… pour moi, le bourgmestre, le chef de police, je ne sais pas,
l’un des deux, disons, en tout cas, le reste coïncide bien.
Me. VERGAUWEN : La question n’est
pas de savoir si c’est le bourgmestre ou le chef de police, je vous demande
de confirmer ou de ne pas confirmer ce que vous avez dit…
Le Président : Vous ne demandez
pas !
Me. VERGAUWEN : Enfin, je
vous demande, Monsieur le président, de demander au témoin qu’elle veuille bien
confirmer ou ne pas confirmer ce qu’elle a dit dans cette audition.
le témoin 20 : Mais je l’ai
répété aujourd’hui, c’est la même chose.
Le Président : Oui, je pense
effectivement, Madame, que vous avez…
le témoin 20 : C’est écrit
et j’ai dit…
Le Président : …dans d’autres
termes peut-être, exposé la même chose que dans ce procès-verbal.
le témoin 20 : J’ai dit ça
à ce moment-là, j’ai dit ça aujourd’hui. Si les mots changent, il y a quand
même des années entre les uns et entre les autres. Le fait est que j’ai dit
la même chose.
Me. VERGAUWEN : Je vous remercie,
Monsieur le président.
Le Président : Une autre
question ?
Non Identifié : Oui, Monsieur
le président. Le témoin vient de nous rappeler que, lors de son entretien avec
sœur Marie-Bernard, cette dernière lui aurait parlé du bidon d’essence. Pourriez-vous
demander au témoin si sœur Marie-Bernard a parlé de sœur Gertrude comme portant
éventuellement des bidons d’essence à ce moment-là ?
le témoin 20 : Elle n’a pas
parlé : « portant », elle a parlé euh… : « donnant »,
c’est-à-dire que c’est elle qui les procurait. « Portant », non, pas
que je m’en souvienne. Peut-être qu’elle l’a dit mais je ne m’en souviens pas.
Je sais qu’il y avait Gertrude et les bidons d’essence. « Porter »
ou « donnant », ça je ne veux pas dire. Vous savez, ce sont des petits
mots, ça fait des années et citer un entretien très dense et très bouleversant,
il est extrêmement difficile de se rappeler des petits mots parce que, quand
vous recevez des témoignages pareils, vous faites un tri, vous prenez les idées
vraiment importantes et puis les autres, « portant » ou « procurant »,
vous les laissez de côté. Je suppose que tout le monde fait pareil.
Non Identifié : Oui, Monsieur
le président, est-ce que vous pourriez demander au témoin si sœur Marie-Bernard
lui a parlé de l’usage qui avait été fait de cette essence ?
Le Président : Sœur Marie-Bernard
vous a-t-elle parlé de l’usage qui avait été fait de l’essence ?
le témoin 20 : Je ne sais
pas si elle m’a dit : « L’essence, on l’a transportée dans des jerricanes,
on a été jusqu’au centre, on les a versés, on a mis le feu ». Je ne sais
pas si elle a dit ça comme ça. En tout cas, le rapport est bien net. Cette essence
leur a été donnée. L’essence a été transportée et on les a brûlés. Le message
était bien clair.
Non Identifié : Je vous remercie,
Monsieur le président. Le témoin nous a rappelé tout à l’heure, donc, qu’elle
avait été en contact avec Monsieur le témoin 60 et que c’est sur base des
informations du témoin que Monsieur le témoin 60 avait rédigé un article. Pourriez-vous
demander au témoin, toujours dans la droite ligne des questions précédentes,
si elle a parlé à Monsieur le témoin 60 de ces bidons d’essence et de l’usage
qui en avait été fait ?
le témoin 20 : Si Monsieur
le témoin 60 l’a écrit dans cet article, c’est que je lui en ai parlé. Mais moi,
je ne m’en souviens pas. Maintenant, s’il l’a écrit, c’est sûr que ça vient
de moi, donc…
Le Président : Nous allons
peut-être pouvoir poser la question à Monsieur le témoin 60 plutôt qu’à ce témoin-ci.
Non Identifié : Certainement,
Monsieur le président, mais je pense que la réponse du témoin était éclairante
malgré tout. Encore une question, Monsieur le président. Le témoin a-t-elle
souhaité à l’égard de Monsieur le témoin 60, demeurer anonyme ? Et si oui,
pourquoi ?
le témoin 20 : C’est une
bonne question. Si oui, pourquoi ? La communauté de Sovu, j’aime beaucoup
toutes ses religieuses, j’ai vécu avec elles deux années très enrichissantes,
très riches, j’ai des quantités de lettres écrites par elles en disant que c’était
bien, c’étaient deux années inoubliables. Moi, je ne voulais pas me brouiller
avec elles. La tension était déjà très forte. Je savais que sœur Gertrude avait
écrit des lettres diffamatoires à Butare, je ne sais pas si je l’ai déjà dit
ici, et que ces lettres m’avaient été renvoyées. J’ai senti une tension et je
ne voulais pas que ça s’envenime. Je tenais à garder euh… à être en bons termes
avec cette communauté et j’y tiens toujours. Dans ce cas-là, je préférais ne
pas remettre du bois au feu et d’essayer de tempérer les choses. Voilà pourquoi
j’ai décidé… j’ai désiré de rester anonyme.
Le Président : Une autre
question ? Les parties sont d’accord pour que le témoin se retire ?
Madame, confirmez-vous les déclarations que vous venez de faire ? Persistez-vous
dans ces déclarations ?
le témoin 20 : Absolument.
Le Président : Madame, la
Cour vous remercie pour votre témoignage. Vous pouvez disposer librement de
votre temps. |
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