8.6.18. Audition des témoins: le témoin 136
Le Président : Madame, quel est
votre nom et quel est votre prénom ?
le témoin 136 : Je suis le témoin 136.
Le Président : Je vais vous demander
de parler bien dans le micro.
le témoin 136 : Pardon, pardon,
je m’appelle le témoin 136.
Le Président : Quel âge avez-vous ?
le témoin 136 : 65.
Le Président : Quelle est votre
profession ?
le témoin 136 : Secrétaire ou infirmière
ou catéchiste.
Le Président : Quelle est votre
commune de résidence ?
le témoin 136 : Pour le moment,
je viens d’Allemagne, de Düsseldorf, mais en dix jours je retourne au Rwanda,
à Butare.
Le Président : C’est ça. Connaissiez-vous
les accusés ou une partie des accusés avant le mois d’avril 1994.
le témoin 136 : Oui, je connaissais
sœur Gertrude.
Le Président : Uniquement sœur
Gertrude ?
le témoin 136 : Oui.
Le Président : Pas sœur Kizito ?
le témoin 136 : Non.
Le Président : Etes-vous de la
famille des accusés ?
le témoin 136 : Non.
Le Président : Ou des parties
civiles, c’est-à-dire des personnes qui réclament des dommages et intérêts aux
accusés ?
le témoin 136 : Non.
Le Président : Vous ne travaillez
pas sous les liens d’un contrat de travail pour les accusés ou les parties civiles ?
le témoin 136 : Non.
Le Président : Je vais vous demander,
Madame, de bien vouloir lever la main droite et de prononcer le serment de témoin.
le témoin 136 : Je jure de parler
sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie
Madame, vous pouvez vous asseoir.
Vous étiez, Madame, au Rwanda lors des tragiques événements qui ont
débutés le 6 avril 1994, lorsque l’avion du président le témoin 32 a été abattu ?
le témoin 136 : Oui.
Le Président : Vous êtes actuellement
en Allemagne. Avez-vous à un moment quitté le Rwanda ? Oui, puisque vous
êtes en Allemagne, mais si vous avez quitté le Rwanda, à quelle époque l’avez-vous
quitté ?
le témoin 136 : Pour venir en congé
en Allemagne tous les deux ou trois ans, et puis je suis revenue pour une année,
en mars 2000.
Le Président : Donc, au moment
des événements d’avril, mai, juin 1994, vous n’avez pas quitté le Rwanda ?
le témoin 136 : Non, non.
Le Président : Vous travailliez
où plus particulièrement ?
le témoin 136 : A ce moment-là...
Le Président : En avril 94, oui…
le témoin 136 : J’étais économe
adjointe du diocèse de Butare.
Le Président : Alors, on vous
a entendue dans ce dossier à propos d’un bourgmestre, Monsieur Joseph KANYABASHI.
Vous vous souvenez de ça ?
le témoin 136 : Oui, oui.
Le Président : Par contre, on
ne vous a jamais entendue à propos de sœur Gertrude ou de sœur Kizito ou des
liens qu’il pouvait y avoir avec Sovu.
le témoin 136 : Oui, j’aurais pu
faire peut-être faire une déclaration mais je n’y ai pas pensé. KANYABASHI,
c’était notre voisin immédiat. Sœur Gertrude, c’était à 6 km de chez nous. J’ai
eu un seul contact, pendant le mois de mai probablement, ou fin mai début juin,
avec elle. J’étais venue un jour la voir étant donné que le témoin 110,
qui leur fournissait de la nourriture, est venu un jour me dire :
« Il y a des problèmes à Sovu : les sœurs ont dû renvoyer leur personnel
et ça a créé des mauvais esprits étant donné que, sur les collines, parmi le
personnel renvoyé, on dit maintenant : voilà nous sommes renvoyés parce
qu’ils ont des Tutsi qui ont pris notre travail ». Mais elles n’avaient
plus d’argent, c’est ça que Laurien m’a dit - Laurien NTEZIMAMA - elles n’avaient
plus d’argent parce que l’hôtellerie ne marchait plus, et sans doute la fabrication
des hosties ne marchait plus non plus.
Donc, ça se comprenait qu’elles pouvaient manquer d’argent, et puisque
j’étais économe adjointe et que l’économe général était lui-même caché - pas
caché, mais parti de la circulation n’est-ce pas, il était à l’évêché sans pouvoir
bouger - c’est moi qui m’ai déplacé pour amener de l’argent chez sœur Gertrude,
à Sovu. Mais c’est sœur Gertrude qui est venue m’ouvrir la porte. Alors, bon,
je lui ai remis l’argent en disant : « Voilà, c’est… je l’ai débité
sur votre compte c’est votre argent », et je lui ai demandé à ce moment-là :
« Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous ? » Et elle
m’a répondu : « Oui, aidez-nous à partir d’ici ».
Mais je lui ai dit : « Ma sœur, il y a des barrières sur
la route : comment partir d’ici ? ». Alors, elle m’a dit :
« Mais aidez au moins sœur Véronique et le témoin 2 qui est martiniquaise et qui
avait un passeport français pour pouvoir partir ». Et c’est ça que j’ai
fait avec l’aide d’une doctoresse allemande et avec un organisme, mais ça, je
ne saurais pas dire lequel, qui les ont pris entre leurs voitures et qui les
ont amenés par la frontière pour le Burundi.
Le Président : C’est le seul contact
que vous avez eu avec sœur Gertrude à l’époque ?
le témoin 136 : Oui, je ne me souviens
pas d’autre. Je pense pas que j’ai été une autre fois à Sovu.
Le Président : Y a-t-il des questions
à poser au témoin ? Monsieur l’avocat général souhaiterait… ?
L’Avocat Général : Lorsque vous
avez vu sœur Gertrude au mois de mai, le seul problème dont on a discuté c’était
donc le fait que le personnel ait été renvoyé, qu’il n’y avait plus d’argent,
que la fabrique d’hosties ne marchait plus et que sœur Gertrude vous a demandé
de les aider à partir. Mais est-ce quelle vous a parlé de ce qui s’était passé
au couvent ?
le témoin 136 : Non, c’est pas exactement
comme ça, pardon. Je savais par avant qu’elle avait un problème d’argent donc
elle ne m’a pas communiqué son problème d’argent : je l’ai su par Laurien
mais j’ai essayé de me déplacer pour des communautés qui étaient en difficultés
parce qu’il n’y avait plus beaucoup des européennes qui étaient là, des personnes
qui pouvaient faire quelque chose. C’est Laurien qui a beaucoup voyagé, et moi
j’ai essayé d’aider des communautés qui étaient en difficulté, qui ne pouvaient
plus se déplacer notamment. Et donc, j’avais beaucoup à faire j’étais pas seulement
concernée par Sovu, mais ça, je le savais d’avance. Nous n’avons parlé :
je n’avais pas beaucoup de temps. A six heures il fallait de nouveau être de
retour, donc quand j’étais quelque part, c'était jamais des grandes visites
et des longues conversations.
L’Avocat Général : Mais bon, est-ce
que sœur Gertrude vous a parlé des massacres qui avaient eu lieu le 22, le 25
et le 6 mai ?
le témoin 136 : Je ne me souviens
pas de cela.
L’Avocat Général : Est-ce que
vous avez vu le centre de santé ?
le témoin 136 : Ah oui, bien sûr.
En arrivant, j’ai vu le centre de santé. Et je ne sais pas situer exactement,
mais il me semble il n’y avait plus de personnes chez elles. Il me semble, parce
que si on dit… j’ai appris dans la presse que les massacres ont eu lieu, les
dernières, le 5 mai. Moi j’ai commencé à circuler seulement à partir du 1er
mai. Je n’ai plus circulé dans Butare pendant les jours les plus terribles du
génocide à Butare : j’ai commencé à circuler à partir du 1er
mai.
L’Avocat Général : Sœur Gertrude
ne vous a pas dit que le centre de santé avait été incendié ?
le témoin 136 : Mais sans doute
qu’on a parlé de tout ça, mais aujourd’hui, je ne peux pas me rappeler de tout
ça. Vous voyez, j’ai eu tant de rencontres et tant de visites que je ne peux
pas me rappeler du contenu d’une conversation que j’aurais eu avec une, une
parmi toutes ces personnes visitées. Sans doute que nous en avons parlé, mais
je n’étais pas allée longtemps, je n’étais même pas assise. Je suis entrée dans
ce couvent, je lui ai donné ça, je lui ai demandé : « Qu’est-ce que
je peux faire pour vous ? », et ce qui m’est resté, c’est ça qui m’a
particulièrement frappée parce qu’elle m’a dit : « Aidez-nous à partir
d’ici », et j’ai dit : « Mais ma sœur, vous savez comment est
la situation, il y a des barrières, vous ne sortirez… pour aller où ? On
vous prendra à la première barrière ». Alors, c’est comme ça qu’elle a
demandé d’aider sœur Véronique, ce que nous avons pu faire pour elle.
Le Président : Une autre question ?
Pas d’autres questions. Les parties sont-elles d’accord pour que le témoin se
retire ? Madame, confirmez-vous les déclarations que vous venez de faire,
persistez-vous dans ces déclarations ?
le témoin 136 : Oui.
Le Président : Madame, la Cour
vous remercie pour votre témoignage, pour votre patience dont vous avez fait
preuve pour ces quelques minutes passées ici à l’audience, et nous vous souhaitons
un bon retour.
le témoin 136 : Merci. |