8.6.32. Audition des témoins: le témoin 60
Le Président : Monsieur le témoin 60
peut approcher.
Avant qu’on amène Monsieur le témoin 60, Monsieur MFISI Christophe
qui ne s’est pas présenté ce matin, les parties renoncent-elles à son audition ?
Pas de réaction ? On y renonce.
Monsieur, quels sont vos nom et prénom ?
le témoin 60 : le témoin 60.
Le Président : Quel âge avez-vous ?
le témoin 60 : 52 ans, Monsieur
le président.
Le Président : Quelle est
votre profession ?
le témoin 60 : Euh… maintenant
je travaille dans une organisation pour la paix.
Le Président : Quelle est
votre commune de domicile ?
le témoin 60 : J’habite à
Ransart, à Charleroi.
Le Président : Connaissiez-vous
les accusés ou certains des accusés avant le mois d’avril 1994 ?
le témoin 60 : Non, pas du
tout, Monsieur le président.
Le Président : Etes-vous
de la famille des accusés ou de la famille des parties civiles ?
le témoin 60 : Pas du tout,
Monsieur le président.
Le Président : Travaillez-vous
sous un lien de contrat de travail pour les accusés ou pour les parties civiles ?
le témoin 60 : Non, pas du
tout, Monsieur le président.
Le Président : Je vais alors
vous demander, Monsieur, de bien vouloir lever la main droite, et de prêter
le serment de témoin.
le témoin 60 : Je jure de
parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie.
Vous pouvez vous asseoir. Monsieur le témoin 60, vous n’avez jamais rencontré
l’un ou l’autre ou l’une ou l’autre des accusés ?
le témoin 60 : Non, Monsieur
le président.
Le Président : Vous avez,
semble-t-il, publié un article dans un hebdomadaire qui s’appelle « Solidaire »…
le témoin 60 : C’est bien
cela.
Le Président : …au mois de
mai 1995 ?
le témoin 60 : Oui.
Le Président : Dans cet article,
vous mettez en cause le rôle de certaines religieuses de la communauté de Sovu,
dans les massacres qui ont eu lieu dans ce monastère, ou à proximité de ce monastère,
en avril et mai 1994.
le témoin 60 : C’est exact.
Le Président : Aviez-vous
reçu des informations de témoins directs de ces faits ?
le témoin 60 : Je n’ai pas
reçu d’informations de témoins directs de ces faits. Je peux vous préciser ?
Le Président : Oui.
le témoin 60 : L’article
que j’ai publié était un témoignage que j’avais reçu, d’abord sous forme de
cassette, et qui était le témoignage de Madame le témoin 20. J’ai écouté
cette cassette, après quoi j’ai eu un contact téléphonique avec Madame le témoin 20 pour savoir si les faits qui étaient relatés dans cette cassette étaient
vraiment vrais, si elle confirmait ce témoignage et aussi pour quelques compléments
d’information qui ont été publiés dans l’article. Et alors, sur cette base-là,
j’ai décidé à l’époque, que j’étais responsable pour la rubrique internationale
du journal « Solidaire », de publier son témoignage tel quel. Donc,
en fait, tous les éléments qui se trouvent dans cet article de « Solidaire »
proviennent du témoignage de Madame le témoin 20.
Le Président : Madame le témoin 20
vous avait-elle signalé avoir, comment dirais-je, avoir elle-même reçu des témoignages
de personnes qui avaient vécu les événements ?
le témoin 60 : Euh… non.
Le Président : Vous êtes-vous
rendu à Sovu ?
le témoin 60 : J’ai été à
Sovu au mois de juillet 1995, donc ça veut dire à peu près trois mois après
avoir publié cet article.
Le Président : Avez-vous
à ce moment-là, lors de cette visite à Sovu en juillet 95 je crois, fin juillet
1995…
le témoin 60 : Oui, oui.
Le Président : …avez-vous
recueilli sur place d’autres témoignages ?
le témoin 60 : Oui, en effet.
Donc, nous avons eu la possibilité pendant une journée, d’être à Sovu et donc,
j’ai pu parler entre autres avec Madame le témoin 71.
Le Président : Le témoignage
que vous avez reçu à ce moment-là de Séraphine, euh… vous a-t-il conforté dans
l’article que vous aviez écrit quelques mois auparavant ?
le témoin 60 : Oui, absolument,
absolument. Donc, le témoin 71 a fait le récit, en fait, principalement
de la tuerie du garage. Donc, elle a d’abord expliqué comment les réfugiés sont
arrivés près du couvent, dans le jardin du couvent, comment ils ont été refoulés
par les séminaires et par certaines sœurs. Puis, elle a expliqué que euh… énormément
de gens étaient concentrés dans le centre de santé, une centaine de mètres plus
bas que le couvent. Comment des grenades ont été lancées dans la foule et que
suite à un mouvement de panique, à un certain moment, des centaines de personnes
se sont réfugiées dans le garage, dont notamment Madame le témoin 71.
Comment les miliciens ont essayé, d’abord avec des coups de fusil, de casser,
de briser la serrure pour entrer dans le garage, pour tuer les gens. Quand ils
n’y sont pas arrivés, comment ils ont versé de l’essence sur la porte du garage
pour faire le feu, pour incendier le garage, pour brûler les gens et pour les
faire suffoquer et donc, le témoin 71 a expliqué que finalement quand
même, des gens ont réussi à sortir, qu’ils ont été tués avec des machettes et
que, elle, finalement, n’a eu la vie sauve que grâce au fait qu’elle a fait
le mort. C’est ce qu’elle nous a expliqué à l’époque.
Après ce témoignage, nous avons visité le couvent. On a parcouru
tout le bâtiment, on a vu les caves, on a vu les chambres, on a vu effectivement
qu’il y avait beaucoup de séquelles d’actions violentes qui avaient eu lieu
au sein de ce bâtiment et puis, nous avons été accompagnés aussi dans la bananeraie
où une personne nous a raconté comment des membres des familles de sœur Régine
avaient été tués là ; donc, j’ai fait une déposition auprès de Monsieur
le juge d’instruction là-dessus, avec les noms, les dates de naissance et la
date de l’assassinat de ces six personnes, le 6 mai 94.
Le Président : Bien. Y a-t-il
des questions à poser au témoin ? Monsieur le 3ème juré ?
Le 3e Juré : Pouvez-vous
demander au témoin, lorsqu’il parle des séquelles, parle-t-il des séquelles
qu’il a vues au centre de santé ou au monastère lui-même ?
Le Président : Ah oui. Vous
parlez de bâtiments abîmés, hein, de séquelles aux bâtiments. S’agit-il de séquelles
aux bâtiments du centre de santé ou au monastère lui-même ?
le témoin 60 : Le centre
de santé lui-même était complètement détruit évidemment, mais au sein de… du
couvent, pour autant que je me souvienne, j’ai vu des portes enfoncées, des
traces de violence manifestes.
Le Président : Mais ça, vous
constatez en juillet 1995, hein ?
le témoin 60 : Oui.
Le Président : Je crois pas
qu’il y ait une contestation que jusqu’au départ de… des religieuses de la communauté
de Sovu, fin juin 1994, ce monastère était préservé. C’est peut-être pour ça
que vous vous étonniez. On a dit jusqu’à présent que le monastère n’avait eu
aucun dégât, cela ne veut pas dire qu’après le départ de la communauté, il n’y
a pas eu éventuellement d’autres dégâts que ceux commis peut-être par d’autres
personnes d’ailleurs. Une autre question ? Monsieur le 6ème
juré.
Le 6e Juré : Vous
pouvez demander au témoin, parce que je ne suis pas sûr d’avoir bien compris,
ce qu’il a écrit ou ce qu’il a relaté, c’est Madame Marie-Claire qui lui a dit
ou alors, c’est une cassette qu’elle lui a envoyée ?
Le Président : Si nous avons
bien compris, vous avez reçu une cassette enregistrée dont vous saviez quelle
était la provenance ?
le témoin 60 : Oui.
Le Président : Vous saviez
que c’était Madame le témoin 20 ou le témoin 20-le témoin 20 ?
le témoin 60 : Oui, donc
il y a un collaborateur à « Solidaire » qui a fait une interview de
Marie-Claire, qui a recueilli son témoignage. Et donc, moi j’ai reçu cette cassette
et donc, j’ai écouté cette cassette et je trouvais que ça devait être publié
et donc, j’ai pris contact avec Madame le témoin 20 pour savoir si ça pouvait se faire.
Je pense que j’ai recueilli quelques informations complémentaires, je ne me
souviens plus exactement lesquelles. Et donc, elle a dit : « Vous
pouvez le publier mais sous anonymat », ce que nous avons fait.
Le Président : Oui ?
Le 6e Juré : Donc,
si on comprend bien, le témoin n’était pas un ami proche, ou il n’a jamais discuté
ou été chez Madame le témoin 20 ?
Le Président : Etiez-vous
un ami, un proche, une connaissance de Madame le témoin 20 ?
le témoin 60 : Non, pas du
tout, pas du tout.
Le Président : Est-ce qu’éventuellement
le collaborateur qui vous a remis la cassette était une connaissance de Madame le témoin 20 ?
le témoin 60 : Certainement
pas.
Le Président : Non plus.
le témoin 60 : Non.
Le Président : Bien. Une
autre question ? Maître VANDERBECK ?
Me. VANDERBECK : Je vous
remercie, Monsieur le président. L’article du témoin date du 31 mai 1995.
Est-ce que, dans le témoignage que lui a remis Madame le témoin 20 via cassette, il
lui était parlé de sœur Maria Kizito ?
le témoin 60 : De sœur Maria
Kizito ?
Le Président : Oui.
le témoin 60 : Non, il n’était
pas question de cette sœur-là dans l’article. Il était seulement question de
la prieure Gertrude.
Le Président : Oui. Une autre
question ? Maître WAHIS ?
Me. WAHIS : Oui, Monsieur
le président. Dans l’article publié dans « Solidaire », il n’est pas
question, à une seule ligne de cet article, de l’incendie du garage du centre
de santé, ni de l’utilisation d’essence, ni a fortiori de la provenance de cette
essence. Est-ce que le témoin peut confirmer que, dans toutes ses déclarations,
dans sa cassette, son interview, son coup de fil, Madame le témoin 20 n’a, à aucun
moment, parlé de l’incendie du garage et de l’essence qui aurait servi à cet
incendie ?
le témoin 60 : Oui, c’est
exact.
Le Président : Une autre
question ?
Non Identifié : Monsieur le président,
le témoin, dans son article, dit que, je cite : « Pour des raisons de sécurité, notre témoin souhaite rester
anonyme ». Est-ce qu’il pourrait éventuellement nous donner des
explications par rapport à ce souhait qu’avait, à l’époque, Madame le témoin 20
puisqu’on sait qu’il s’agit d’elle ?
Le Président : Oui ?
le témoin 60 : Je dois avouer
que c’est un souvenir très vague, mais je… il me semble quand même me souvenir
que Madame le témoin 20 estimait que les accusés avaient des pouvoirs de protection
assez forts et elle voulait en tenir compte, mais donc, je n’ai aucune autre
information à ce propos.
Le Président : Une autre
question ? Maître JASPIS ?
Me. JASPIS : Monsieur le
président, je pense que les jurés souhaitent peut-être savoir, et nous aussi,
comment alors Madame le témoin 20 a été mise en contact avec Monsieur le témoin 60. Pourquoi
ce journaliste-là et pas un autre ? Est-ce qu’il y a une personne qui était
peut-être une connaissance commune alors, qui a servi de lien entre les deux,
si je puis dire ?
Le Président : Savez-vous
comment finalement Madame le témoin 20 est entrée en contact avec vous ou avec votre
collaborateur ?
le témoin 60 : Euh… oui.
Le Président : Pourquoi à
vous, pourquoi pas à Madame BRAECKMAN du journal « Le Soir » ?
Je ne sais pas moi, bon ?
le témoin 60 : A un certain
moment, mais je n’ai pas de détails à ce propos, à un certain moment, Madame
le témoin 20 est entrée en contact avec Riet D’HONDT, qui travaille dans
la même maison que moi, donc pour « Solidaire », et donc, Madame le témoin 20
est effectivement venue à « Solidaire » pour faire son témoignage
sur cassette, donc pour faire cette interview et donc, Madame Riet D’HONDT de
Bruxelles, si vous voulez, est une connaissance commune à nous deux.
Le Président : Vous pouvez
peut-être situer cette revue « Solidaire » ? Ça traite de quoi ?
C’est diffusé dans quel public ?
Michel le témoin 60 : L’hebdomadaire « Solidaire », c’est
l’hebdo-madaire du Parti du travail de Belgique. C’est un hebdomadaire de tendance
anticapitaliste, de solidarité avec le Tiers-monde, c’est un hebdomadaire communiste
en fait. Et donc, depuis les événements au Rwanda, pour parler de ce sujet,
nous avons apporté énormément d’importance à ces événements, parce que nous
sommes fondamentalement solidaires des peuples du Tiers-monde, nous sommes fondamentalement
anti-racistes et donc, nous estimions que ce qui s’était passé au Rwanda était
vraiment effroyable pour l’humanité. Et donc, je dis : « Nous
avons attaché beaucoup, beaucoup d’importance à cela ». Il n’y a d’ailleurs
pas uniquement des publications dans « Solidaire », nous avons aussi
organisé des campagnes de solidarité concrètes avec le peuple rwandais victime,
et nous avons organisé des délégations de solidarité, des voyages pour aller
voir sur place, pour recueillir des témoignages et donc, c’est dans ce cadre-là
que j’ai été, au mois de juillet 95, aussi au Rwanda avec un groupe.
Le Président : Alors, votre
hebdomadaire, s’agit-il de quelque chose qui est distribué ou bien faut-il être
abonné pour le recevoir ?
le témoin 60 : Nous travaillons
surtout par abonnement et par la vente militante. Ça veut dire que ce n’est
pas facilement disponible, disons, dans les librairies.
Le Président : Encore moins
dans un couvent, j’imagine ?
le témoin 60 : Oui, je pense,
oui, en effet. Quelqu’un doit certainement l’avoir apporté, enfin, c’est mon
sentiment.
Le Président : Puisque vous
savez que sœur Gertrude a déposé plainte contre vous avec constitution de partie
civile, à raison de cet article, hein ?
le témoin 60 : J’ai appris
ça, oralement jusqu’ici. Donc, j’ai été convoqué chez le juge d’instruction
pour l’apprendre.
Le Président : Bien. Une
autre question éventuellement ? Plus de questions ? Les parties sont
d’accord pour que le témoin se retire ? Monsieur le témoin 60, confirmez-vous
les déclarations que vous venez de faire ? Persistez-vous dans ces déclarations ?
le témoin 60 : Absolument.
Le Président : La Cour vous
remercie pour votre témoignage, Monsieur. Vous pouvez disposer librement de
votre temps.
le témoin 60 : Merci. |